Couverture de RHU_029

Article de revue

Un guerrier dans la ville

Obligations de service et sorties d'un samouraï en poste à Edo au XIXe siècle

Pages 27 à 66

Notes

  • [*]
    Les noms de personnages japonais, dans le corps du texte et les références bibliographiques, sont donnés dans l’ordre japonais, c’est-à-dire le nom de famille en premier, et le nom personnel (équivalent du prénom) ensuite. (Ndt)
  • [1]
    . Les « villes seigneuriales » (en japonais « villes sous le château », jôkamachi), sont un modèle urbain développé au tournant des XVIe et XVIIe siècles, et qui structura l’urbanisation accélérée du pays durant cette période. La ville était conçue autour du château seigneurial, auprès duquel étaient installés les vassaux, avec une population de marchands et d’artisans chargés d’entretenir l’ensemble. En tant que capitale shogounale, Edo était la plus grande ville seigneuriale de l’archipel (Ndt).
  • [2]
    Les hatamoto (litt : les hommes « au pied de la bannière ») étaient des vassaux directs du shogoun, dotés d’un fief ou de revenus féodaux, et qui jouissaient d’un droit d’audience auprès du shogoun. Les gokenin ou « hommes-lige » (litt : « les hommes de la maison [shogounale]) appartenaient à une catégorie inférieure, dépourvue du droit d’audience, et qui couvrait des catégories assez diverses, depuis des petits guerriers, jusqu’à des sortes de domestiques (Ndt).
  • [3]
    Les daimyô étaient les grands seigneurs du pays, pourvus d’un fief dont les revenus nominaux estimés étaient égaux ou supérieurs à 10 000 koku de riz (1 koku = environ 180 L). Ils entretenaient leur propre vasselage, et géraient leurs territoires sur un mode autonome (Ndt).
  • [4]
    Yoshida Nobuyuki, Kyodai jôkamachi Edo no bunsetsu kôzô [La structure modulaire de la ville seigneuriale géante d’Edo], Tokyo, Yamakawa shuppansha, 1999.
  • [5]
    Voir, notamment, Iwabuchi Reiji, Edo buke-chi no kenkyû [Recherches sur les terrains guerriers d’Edo], Tokyo, Hanawa shobô, 2004.
  • [6]
    « Edokko » (« le p’tit gars d’Edo ») est le nom familier donné encore maintenant aux habitants de Tokyo, et qui renvoie à certaines images de la vie et de la mentalité des quartiers populaires (shitamachi). On prétend toutefois qu’il faut trois générations de résidence continue pour faire un vrai edokko. (Ndt).
  • [7]
    Voir Yamamoto Hirobumi, Edo kinban bushi no seikatsu [La vie d’un guerrier en poste à Edo], Tokyo, Chûôkôronsha, 1997. Voir aussi Hara Fumihiko, « Edo ni okeru bushi no shôhi seikatsu » [Vie quotidienne et consommation des guerriers à Edo], Rekihaku n94, 1999.
  • [8]
    Les guerriers étaient titulaires de revenus féodaux tirés de la production agricole (chigyô) ou de pensions ; leur montant exprimé en volume de riz était l’une des manifestations de leur rang dans la hiérarchie de leur ordre (Ndt).
  • [9]
    Lorsque nous donnons les dates suivant le système de noms d’ères en usage à l’époque d’Edo, nous indiquons d’abord le nom d’ère, puis le numéro de l’année (Ndt).
  • [10]
    En 1840, le fief de Shônai comptait 600 vassaux (dont 80 en poste permanent à Edo) et 2 235 hommes dans son vasselage (c’est-à-dire y compris des personnages comme les fantassins ashigaru, embauchés par le fief et non pourvus de dotations féodales) ; ceci correspondait, en comprenant leurs familles, à un total de 3 066 personnes pour les vassaux et de 8 397 pour le reste du vasselage (chiffres de 1841). À la fin du shôgunat, cela représentait une part du vasselage (familles comprises) par rapport à la population totale du fief d’un peu plus de 6 %, mais seulement 1 , 7 % en ne prenant en compte que les seuls vassaux.
  • [11]
    . Voir Tsuruoka-shi shi [Histoire de la ville de Tsuruoka], vol. 1 (1962), Saitô Seiichi, Shônai-han [Le fief de Shônai], Tokyo, Yoshikawa kôbunkan, 1990, p. 23-24. Deux tiers des guerriers de Shônai avaient des dotations inférieures aux 100 ou 130 koku de l’auteur du journal. D’autre part, les chefs d’escortes jouissaient d’avantages protocolaires spéciaux au château seigneurial : on peut donc dire que Kanai Kuninosuke était un guerrier de rang moyen.
  • [12]
    O-azukarichi-daikan : cet intendant était chargé d’administrer les affaires civiles sur des territoires que le shôgunat avait confiées provisoirement à une autre autorité.
  • [13]
    Rappelons que les dates à l’époque d’Edo étaient déterminées en fonction d’un calendrier lunaire : la douzième lunaison d’une année se trouve donc au début de l’année du calendrier grégorien (soit ici 1843). Nous garderons cependant l’expression « 12e lune de 1842 » pour des raisons de commodité. (Ndt)
  • [14]
    Kanai-ke ryakukeizu, senzô « tsutomegaki », « o-bungenchô » (Bibliothèque municipale de Tsuruoka).
  • [15]
    Conservés à la Bibliothèque municipale de Tsuruoka. Les sept cahiers, tous du même type, sont écrits d’une écriture uniforme, avec un texte qui se poursuit là où il devrait y avoir des sauts de lignes. Certains passages indiquent d’autre part clairement qu’il ne s’agit pas là du document original, mais d’une copie, datant sans doute de l’ère Meiji. Après 1863, l’année 1865 manque et l’année 1866 ne figure que sous forme fragmentaire, mais la durée exacte de la tenue du journal est inconnue. Kuninosuke a pris sa retraite en 1868, et son frère aîné Danshirô avait fait de même dès 1866 (Shônai jinmei jiten [Dictionnaire des personnalités de Shônai], Shônai jinmei kankôkai, Tsuruoka, 1986). C’est chez ce dernier que furent rassemblés les papiers de famille, et il est possible que la copie ait été effectuée par un des membres de la maison de Danshirô.
  • [16]
    Le motif d’une autre absence lors du troisième séjour était une mission effectuée par le seigneur de Shônai, envoyé à Kyôto auprès de Hideko, fille du défunt Grand Chancelier (kanpaku) Ichijô Tadayoshi et promise du shogoun Iesada ; lors du quatrième séjour, Kuninosuke dut rentrer dans son fief d’origine pour y escorter les restes du précédent seigneur décédé.
  • [17]
    Les terrains détenus par les fiefs à Edo se répartissaient entre trois catégories : la résidence principale où résidait le seigneur ; la résidence intermédiaire où logeait une partie de la famille du daimyô, et qui pouvaient également servir de refuge en cas de destruction de la résidence principale par le feu ; les « résidences annexes » servaient pour diverses installations de maintenance, ou encore des jardins ou villas d’agrément. Tout ces terrains étaient des dons du shogounat qui pouvait en disposer à tout moment, et ils n’étaient pas cessibles ni ne pouvaient, en principe, faire l’objet d’une transaction. Quand le besoin s’en faisait sentir, les fiefs achetaient ou louaient aussi des parcelles (kakae-yashiki), souvent en bordure de la cité, pour remplir des fonctions analogues à celles des « résidences annexes ». (Ndt).
  • [18]
    Nous tirons ce renseignement d’un document (O-tomogashira tehikae, Bibliothèque municipale de Tsuruoka) concernant le fief de Shônai entre 1830 et 1844, mais on pense qu’il devait en être de même à Edo. Les autres informations viennent du journal de Kuninosuke.
  • [19]
    Nous avons des renseignements sur ce point pour 55 journées : cinq mentionnent des temps de service de deux heures, neuf de trois heures, et le reste, soit les trois-quarts, est supérieur à quatre heures.
  • [20]
    Par exemple, le journal ne retient qu’onze journées mentionnées pour cette mission jusqu’à la 6e lune de 1850, mais si l’on s’en tient à la citation qui récompensa Kuninosuke, il avait rempli cette charge de maître des cérémonies pendant 70 jours jusqu’à cette date.
  • [21]
    . Le kaô était une sorte de monogramme qui remplissait le rôle d’une signature pour les documents importants. (Ndt)
  • [22]
    Sont compris dans ce rayon de deux kilomètres Ryôgoku (n27) et Kyôbashi (n65). Mais bien que Kôjimachi (n7) soit aussi situé à vol d’oiseau à une distance de moins de deux kilomètres de la résidence principale de Shônai, puisqu’il fallait pour s’y rendre contourner le château d’Edo, le trajet était considérablement rallongé et je ne l’inclus donc pas dans la zone des 2 km.
  • [23]
    Voir Iwabuchi Reiji, « Hachinohe-han Edo kinban bushi no nichijô seikatsu to kôdô » [Vie quotidienne et activité d’un guerrier du fief de Hachinohe en poste à Edo] dans Kokuritsu rekishi hakubutsukan kenkyû hôkoku, 138, 2007.
  • [24]
    Nikki tôto zaikinchû, Bibliothèque municipale de Tsuruoka, fond Ishihara Shigetoshi. Ce personnage avait atteint le rang de Chef de la garde (bangashira) en 1868.
  • [25]
    Il est fréquent que les « déambulations » de Kuninosuke aient amené des « achats » ; il est arrivé aussi que pour une raison ou pour une autre, il fasse une mention spéciale dans son journal pour un endroit où il n’avait fait que passer.
  • [26]
    Les « lieux célèbres » (meisho) étaient les endroits réputés pour leur beauté ou leur pittoresque, et dont la popularité était assurée par leur diffusion de toute une littérature ou iconographie. Il pouvait s’agir d’édifices religieux ou de paysages à telle ou telle saison, de secteurs dévolus aux divertissements (quartier de plaisir ou des théâtres) mais aussi de commerces célèbres (le marchand de tissus d’habillement Echigoya à Edo), de quartiers animés (un marché par exemple), d’emplacements de spectacles forains, voire de lieux où se déroulaient des évènements particuliers, comme les cortèges de daimyô. (Ndt)
  • [27]
    Jizô (sanskrit : K?itigarbha) est une divinité du panthéon bouddhique particulièrement populaire au Japon. Fréquemment représenté sous la forme d’un jeune moine, il est devenu de ce fait un protecteur des enfants (Ndt).
  • [28]
    Le rakugo est un spectacle de conteur, prenant souvent pour thème la vie quotidienne des citadins et des marchands. (Ndt)
  • [29]
    Le Tôkaidô était la grande voie qui reliait Edo au Kansai, en suivant en partie la côte Pacifique. Le point de départ des principales routes shogounales était le pont de Nihonbashi, au cœur de la capitale shogounale, et le grand boulevard qui partait de cet endroit jusqu’à la sortie sud d’Edo (secteur de Shinagawa) constituait donc une partie du Tôkaidô. (Ndt)
  • [30]
    Nous traduisons ainsi le terme de « chô-ôdana » forgé par Yoshida Nobuyuki (rendu en anglais par « monster-shop »). Les grandes maisons de commerce (ôdana), entreprises familiales comptant en général plus d’une dizaine d’employés, formaient l’ossature de la société marchande des villes japonaises sous le régime des Tokugawa. Par le concept de « super-boutique » Yoshida Nobuyuki désigne des établissements d’une taille exceptionnelle, pouvant compter plusieurs dizaines, voire centaines d’employés, avec une grosse surface pour la vente et le stockage des marchandises, qui sont apparus dans le Japon de la seconde moitié du XVIIe siècle. (Ndt)
  • [31]
    . Le hanami (« contemplation des fleurs ») est une fête familiale ou entre amis, organisée à l’occasion de la floraison des cerisiers. (Ndt)
  • [32]
    Voir Iwabuchi Reiji, « Hachinohe-han Edo kinban bushi no nichijô seikatsu to kôdô », op. cit.
  • [33]
    Voir Kitagawa Morisada, Kinsei fûzoku-shi, [Monographie sur les mœurs des temps récents], Iwanami shoten, Tokyo, 1996, p. 176.
  • [34]
    En dehors d’Okadaya, Kuninosuke a également acheté au moins 6 fois des livres chez des libraires d’Ueno-Yamashita, Asakusa-mae ou Toyoshimachô, tous situés dans la zone 3. Là encore, il n’est question que d’ouvrages confucéens. Mais il ne devait pas s’agir de boutiques où il avait ses habitudes, et d’autre part, il n’est signalé nulle part que leur personnel se soit rendu à la résidence de Shônai pour affaires : Okadaya devait donc bien être le centre d’achat privilégié de l’auteur du journal.
  • [35]
    Il s’agit de poupées qui servent de décorations lors de la fête calendaire des petites filles (hina-matsuri), le 3e jour de la 3e lune. (Ndt)
  • [36]
    Le monme était une unité pondérale et une unité monétaire pour l’argent (monnaie pesée) valant 3,75 g. À Edo, contrairement aux grandes cités du Kansai, le métal monétaire de référence était d’habitude l’or et non l’argent, mais le journal nous montre que les sommes moyennes, trop faibles pour les règlements en or, trop élevées pour les pièces de cuivre, pouvait être payés en argent (Ndt).
  • [37]
    Mizuno Tadakuni (1794-1851), seigneur des fiefs de Karatsu, puis de Hamamatsu, fut l’homme fort du gouvernement shogounal de 1841 à 1844. Parvenu au pouvoir à la suite de la grave crise sociale et politique provoquée par la famine de l’ère Tenpô, il entreprit de mettre en place un train de réformes réactionnaires et visant à réaffirmer l’autorité shogounale et sa puissance. Il chercha en particulier à renforcer la cohérence des possessions du shôgunat, et tenta d’imposer des échanges de territoires entre plusieurs fiefs, dont celui de Shônai. Cette politique suscita une opposition violente même au sein du vasselage Tokugawa, et sa politique rigoriste le rendit très impopulaire : aussi sa chute en 1843 fut-elle accueillie comme un soulagement, en particulier à Edo. L’échec des réformes de Mizuno Tadakuni signait l’incapacité du régime shogounal à surmonter ses contradictions pour mettre fin à la crise de régime, alors même que la pression occidentale se faisait de plus en plus menaçante. La reprise par le shôgunat des terrains de la résidence annexe du fief de Shônai à Yanagihara était apparemment la conséquence de l’affrontement entre Misuno Tadakuni et la maison Sakai. (Ndt)
  • [38]
    Les lieutenants généraux en poste à Edo étaient, en l’absence du seigneur, chargés de la direction de l’administration de leur fief d’origine installée dans la capitale. (Ndt)
  • [39]
    Ces palmarès (banzuke), souvent conçus sur les modèles des classements des championnats de sumo, étaient des imprimés qui dressaient les listes des réputations dans une catégorie précise, professionnelle par exemple. (Ndt)
  • [40]
    Le donburi est un grand bol de riz sur lequel on pose d’autres aliments. (Ndt)
  • [41]
    . Le mon est l’unité monétaire pour les pièces de cuivre (sapèques), monnaie qui servait aux dépenses quotidiennes. (Ndt)
  • [42]
    « Edo mae ôkabayaki », Edo fûryû kamikusuro, sono ichi, Musée du théâtre, Université de Waseda.
  • [43]
    L’anguille est censée avoir des vertus fortifiantes. (Ndt)
  • [44]
    Voir Saitô Seiichi, Shônai-han [Le fief de Shônai], op. cit., p. 222.
  • [45]
    Le chazuke est une préparation à base de riz et de condiments sur lesquels est versé du thé vert chaud. (Ndt)
  • [46]
    Comme exemple de classements on peut citer celui de la « Restauration rapide ou de réception » (Sokuseki kaiseki o-ryôri), et pour les estampes, la série de Hiroshige intitulée « Les restaurants célèbres d’Edo » (Edo kômei kaitei-zuskushi).
  • [47]
    Les réformes de l’ère Tenpô sont celles entreprises par le gouvernement de Mizuno Tadakuni. Voir supra note 37 (Ndt).
  • [48]
    Le sugoroku est à l’origine une sorte de tric-trac (ou backgammon). À l’époque d’Edo ont se mit à imprimer des jeux appelés « sugoroku illustrés » dont les principes s’apparentent au jeu de l’oie (Ndt).
  • [49]
    Cette pièce, une des plus fameuses du répertoire, s’inspire d’un célèbre fait divers, l’affaire des 47 ronins d’Akô. Ceux-ci exécutèrent en 1702 Kira Yoshinaka qu’ils considéraient responsable de la mort de leur maître, Asano Naganori, et de la suppression de son fief. Comme les lois de l’époque prohibait la représentation sur scène d’évènements politiques contemporains, les adaptations théâtrales ont transposé l’affaire au Moyen Âge et changé les noms des protagonistes : Kô no Moranao est en réalité Kira Yoshinaka. (Ndt)
  • [50]
    Voir la carte du quartier de Saruwakachô de 1847, dans Kinsei fûzoku-shi, op. cit., vol. 4, p. 67.
  • [51]
    . Naitô Meisetsu, fils d’un guerrier du fief de Matsuyama dans la province d’Iyo, relate que « le théâtre se terminait en soirée, et on devait souvent rentrer sans avoir vu la fin. Les habitués regardaient jusqu’au bout, mais comme ils risquaient de trouver portes closes, il leur fallait soit louer très cher un palanquin, soit courir à toute vitesse depuis Saruwakachô. Et même s’ils perdaient une sandale en chemin, ils n’avaient pas le temps de s’en préoccuper ». (Naitô Meisetsu, Meisetsu jijoden, [Autobiographie] Iwanami shoten, Tokyo, 2001 , p. 37-38).
  • [52]
    Ce théâtre prenait comme prétexte des spectacles publicitaires pour la vente de remèdes. Voir Yoshida Nobuyuki, Mibunteki shûen to shakai = shakai kôzô [Les marges statutaires et les structures socio-spatiales], Buraku mondai kenkyûjo, Kyôto, 2003, Kitagawa Morisada, op. cit., vol. 5, p. 191 . Le terme « odedeko » désignait à l’origine des sortes de poupées ou figurines utilisées par des artistes ambulants.
  • [53]
    Même si l’on prend les valeurs de change la plus élevée pour l’argent et la plus faible pour le cuivre (1841 et 1854), un monme d’argent équivalait à 102 mon en pièces de cuivre (Nihonshi sôkan [Répertoire général de l’histoire japonaise], vol. 4, Shinjinbutsu ôraisha, Tokyo, 1984).
  • [54]
    Le calendrier lunaire en usage au Japon provoquait un décalage avec l’année solaire que l’on comblait périodiquement par l’ajout de mois supplémentaires. (Ndt).
  • [55]
    Voir Kawazoe Yû, Edo no misemono [Les spectacles d’Edo], Iwanami shoten, Tokyo, 2000.
  • [56]
    Le rakugo est un spectacle durant lequel un conteur raconte des histoires généralement centrées autour de la vie des quartiers bourgeois et populaires. (Ndt).
  • [57]
    Voir Saitô Gesshin, Bukô nenpyô [Chronologie d’Edo], coll. Tôyô Bunko, Heibonsha, Tokyo, 1968, vol. 2, p. 103 et 117, Fujiokaya nikki [Journal de Fujiokaya], San’ichi shobô, Tokyo, 1983, vol. 2, p. 417.
  • [58]
    Le kôdan est un autre type de spectacle de conteur, prenant pour sujet des évènements historiques et des personnages célèbres du passé, avec des thématiques politiques ou militaires. (Ndt)
  • [59]
    Fujiokaya nikki, op. cit., vol. 2, p. 405.
  • [60]
    Voir Tsuruokashi-shi, op. cit., p. 812-817.
  • [61]
    . Le Sanjûsankendô était un édifice bouddhique de 121 m (longueur dont il tirait son nom), construit sur le modèle d’un bâtiment de Kyôto. Sa galerie extérieure servait pour le tir à l’arc. (Ndt).
  • [62]
    Voir Tsuruokashi-shi, op. cit., p. 527-529.
  • [63]
    D’après Kitagawa Morisada, dans Kitagawa Morisada, op. cit., l’arrière-cour du monastère d’Asakusa (Sensôji-okuyama, n76), Yokkaichi (n57), l’esplanade ouest de Ryôgokubashi (n27), Atagoyama (n10), le sanctuaire de Myôjin à Kanda (n24), et celui de Kanda-Shinmeigû (n11), étaient des endroits où l’on pouvait pratiquer l’archerie pour ses loisirs, en payant 6 mon de cuivre pour 30 flèches.
  • [64]
    Tôto saiji-ki, vol. 2, Heibonsha, Tôkyô, 1970, p. 130.
  • [65]
    Ibidem, vol. 3, p. 160-165.
  • [66]
    Il s’agissait d’empreintes des plus belles prises, faites à l’encre par les pêcheurs en guise de souvenir. (Ndt).
  • [67]
    Conservées aux archives locales (gyôdo-shiryôkan) de la ville de Tsuruoka. Voir Sankinkôtai [La résidence alternée], Tôkyô-to Edo Tôkyô hakubutsukan, Tôkyô, 1997.
  • [68]
    Le tanago (Tanakia tanago) est un petit poisson d’eau douce de la famille des cyprinidés (qui compte aussi les carpes, carassins, vandoises), que l’on trouve dans les rivières du Kantô. (Ndt)
  • [69]
    Voir Satô Shichirô (éd.), Shônai no tsuri suichôsen [La pêche à Shônai], Honma bijutsukan, Sakata, 1976, Nagatsuji Zôhei, Edo chôgyo daizen [Encyclopédie de la pêche à Edo], Heibonsha, Tôkyô, 1996.
  • [70]
    Entre 1844 et 1845, alors qu’il se trouvait à Shônai, Kuninosuke a noté des parties de pêche pour huit journées, et fait mention quatre fois de dégustation de soupes de poissons à son domicile.
  • [71]
    . Yoshiwara qui se trouvait au cœur de la cité, à côté du quartier des théâtres, jusqu’en 1657, fut déménagé cette année-là à la périphérie de la ville. On l’appela dès lors le « nouveau Yoshiwara ». (Ndt)
  • [72]
    La « décoration de pins » est une cérémonie traditionnelle du nouvel an. Quant aux oiran, elles constituaient la catégorie supérieure des courtisanes de Yoshiwara. On les faisait parader dans des cortèges avec leur suite, comme une sorte d’attraction touristique. (Ndt).
  • [73]
    Voir supra, note 31.
  • [74]
    Voir Naitô Meisetsu, Meisetsu jijoden, [Autobiographie], op. cit., p. 37.
  • [75]
    Les maisons de tolérance exposaient leurs filles derrière des grilles de bois. (Ndt).
  • [76]
    On fumait à l’époque d’Edo à l’aide d’une longue pipe (kiseru), que l’on présentait sur un plateau. (Ndt)
  • [77]
    Voir supra, note 47 (Ndt).
  • [78]
    Les fêtes de Kanda et de Sannô était les deux plus célèbres de la cité, tant à cause de leurs dimensions que du fait qu’elles se déroulaient en présence du shogoun. Les communautés des quartiers bourgeois y formaient un long cortège, où chacune d’entre elles conduisait un char, sur le modèle de la fête de Gion à Kyôto. (Ndt)
  • [79]
    Les ujiko étaient des associations de fidèles d’un sanctuaire shintô, lui-même très lié en général à des communautés de quartiers ou villageoises. (Ndt)
  • [80]
    Les kaichô consistaient dans l’exposition dans un établissement religieux d’une statue ou d’une relique précieuse. C’était un prétexte à l’organisation de kermesses, dont les temples ou les sanctuaires tiraient des revenus (Ndt).
  • [81]
    . Voir supra, note 35.
  • [82]
    Sur ce marché des poupées, voir Iwabuchi Reiji, « Toiya nakama no kinô, kôzô to monjo sakusei, kanri » [Fonctions et structures des corporations de grossistes ; rédaction et gestion de leurs documents], Rekishi hyôron, n561 , 1997.
  • [83]
    Le mont Myôgi, situé dans la province de Kôzuke (actuel département de Gunma), était un site lié au culte syncrétique des montagnes (shugendô) ; sa divinité était à l’époque prémoderne censée protéger des incendies et des orages. (Ndt)
  • [84]
    Enma (sanskrit : Yama) est une divinité d’origine védique, passée comme juge des enfers dans le panthéon bouddhique. (Ndt)
  • [85]
    Il s’agissait de la célèbre épopée, que le récitant déclamait en jouant du biwa (luth japonais). Mais lorsque Kuninosuke s’est rendu à ce spectacle, celui-ci était annulé à cause de la mort de l’Empereur Ninkô, et notre auteur n’a finalement pu rien écouter.
  • [86]
    Benten, abréviation de Benzaiten (sanskrit : Sarasvatî), est une divinité d’origine védique passée dans le bouddhisme, devenu au Japon l’un des sept dieux du bonheur. (Ndt)
  • [87]
    Il s’agit de deux des représentations les plus populaires des « 33 Kannon », c’est-à-dire 33 hypostases différentes du bodhisattva Kannon (skt. Avalokite?vara), une divinité miséricordieuse particulièrement vénérée au Japon, en Corée et en Chine. (Ndt)
  • [88]
    Ces trois endroits étaient parcourus par des itinéraires de pèlerinages dans des temples dédiés à Kannon, avec chacun une statue, ce qui en faisait 100 au total ; en assemblant en un seul endroit leurs répliques, on était censé offrir aux fidèles la possibilité de cumuler en une seule visite les mérites des dévotions dans chacun de leurs temples d’origine (Ndt).
  • [89]
    Un proverbe célèbre dit que « bagarres et incendies sont les fleurs d’Edo ». (Ndt)
  • [90]
    On trouve par exemple aussi des notes concernant l’achat de plantes dans les journaux des Tôyama de Hachinohe. Voir Iwabuchi Reiji, « Hachinohe-han Edo kinban bushi no nichijô seikatsu to kôdô », op. cit.
  • [91]
    Le jardin des azalées de Hyakuninchô à Ôkubo avait été conçu par un vassal de bas rang (gokenin) du shogounat, pour en tirer des revenus ; voir Hirano Kei, Jû-kyû seiki nihon no engei bunka [La culture de l’art des jardins dans le Japon du XIXe siècle], Shibunkaku shuppan, Kyôto, 2006, p. 325. C’est d’ailleurs aussi un gokenin qui a vendu les azalées à Kuninosuke.
  • [92]
    Les ashigaru étaient à l’origine les fantassins qui formaient le gros des armées seigneuriales (piquiers ou arquebusiers). À l’époque d’Edo, ils demeurent aux marges de la condition guerrière, tenant à la fois du militaire, et du valet d’armes. (Ndt).
  • [93]
    Hirano Kei, Jû-kyû seiki nihon no engei bunka [La culture de l’art des jardins dans le Japon du XIXe siècle], op. cit.
  • [94]
    Il s’agit d’objets toujours produits actuellement à Tôkyô et appelés Ômori zaiku : les motifs en paille rehaussée de couleurs servent de décoration pour divers objets. (Ndt)
  • [95]
    Sur les Tôyama, voir Iwabuchi, « Hachinohe-han Edo kinban bushi no nichijô seikatsu to kôdô », op. cit. ; sur le spectacle offert par la « descente de cheval » et sa signification politique pour le shogounat, voir Iwabuchi Reiji, « Edo-jô tôjô fukei wo meguru futatsu no hyôshô. Meishoe to rekishiga no aida » [Deux types de représentations de la visite au château d’Edo : entre lieux célèbres illustrés et peinture historique], Nenpô toshi-shi kenkyû bessatsu, Edo to London [Numéro spécial du Bulletin annuel d’études urbaines : Edo et Londres], Tokyo, Yamakawa shuppansha, 2007.
  • [96]
    Les « études nationales », sont un mouvement à l’origine surtout littéraire, de réévaluation de la culture japonaise, en réaction contre l’hégémonie des modèles chinois. Au XIXe siècle, les courants issus de cette école engendrèrent des écoles de pensée religieuses et politiques nationalistes. (Ndt)
  • [97]
    Durant l’année qui suivit son retour au pays (1844-1845), Kuninosuke note une journée consacrée à la chasse aux oiseaux, et on trouve dans son journal d’autres mentions de chasses destinées à garnir ses soupes. À Edo, il lui est arrivé de se faire expédier de la viande de volatile salée (premier séjour, 17e jour de la 11e lune de 1843) ; il dégustait cette viande avec des camarades de la résidence seigneuriale (3e séjour, 28e jour de la 11e lune de 1849). La soupe à la volaille était aussi de mise à l’occasion de fêtes (second séjour, 16e jour de la 1re lune de 1846).
  • [98]
    Tsuruokashi-shi, op. cit., vol. 1 , p. 367.
  • [99]
    Le kakejiku est une manière d’exposer des calligraphies ou des peintures, collées sur un rouleau de tissu suspendu verticalement (Ndt).
  • [100]
    De retour dans son fief, entre 1844 et 1845, Kuninosuke a noté les évènements de 189 jours dans son journal. Parmi ceux-ci, 70 jours (37%) font mention de visites reçues ou effectuées : 13 fois pour des parties de go, 1 fois pour le cercle d’études sur le Canon de la poësie, une autre fois pour celui sur le Livre des mutations ; les réunions amicales entre collègues avaient lieu en principe le 17e jour de chaque mois (mais pas de mention pour les 9e et 1re lune, et annulation pour la 4e). Il était fréquent que les parties de go se prolongent tard dans la nuit (9e jour de la 11e lune de 1844). On relève aussi des allusions à des communautés de fidèles d’un sanctuaire shintô (2 jours), d’une « confrérie d’Atago » (1 jour), à une possible réunion de quartier (1 jour), et à celle des participants à une tontine, mais on n’en sait pas plus sur ces activités.
  • [101]
    . Voir Iwabuchi Reiji, « Edo no buke shakai to Edo jôfu hanshi. Mô hitotsu no kashindan » [La société guerrière d’Edo et les vassaux affectés permanents dans la capitale shogounale : un autre vasselage], Nenpô toshi-shi kenkyû bessatsu, Edo to Pari, Yamakawa shuppansha, Tôkyô, 2009.
  • [102]
    Cet article est basé en partie sur un texte publié précédemment en japonais : Iwabuchi Reiji, « Edo no buke yashiki. Edo kinban bushi no kôdô to kôsai » [Les demeures guerrières d’Edo. Activité et fréquentations des guerriers en poste à Edo], Nenpô toshishi-kenkyû, n15, Yamakawa shuppansha, Tôkyô, 2007. Je voudrais pour finir exprimer mes remerciements pour toutes les personnes qui m’ont fait bénéficier de leurs avis précieux lors de la rédaction de cet article, à commencer par M. Guillaume Carré et les autres auditeurs de la conférence que j’ai donnée à l’université Paris 7 en mai 2009.

1 Sous le régime des Tokugawa, Edo, la capitale du shogoun, était la première cité du pays, tant par son étendue que par sa population. On estime qu’elle comptait au début du XVIIIe siècle environ un million d’habitants, sur une surface d’approximativement 56 km2, ce qui en faisait l’une des plus grandes villes du monde, loin devant Londres ou Paris. Toutefois, si le chiffre d’environ 500 000 habitants pour les quartiers bourgeois est bien attesté, celui de la population guerrière, soit la plupart des 500 000 autres résidents, ne repose que sur des conjectures. De plus, à Edo, comme dans toutes les villes seigneuriales [1] , l’habitat était régi par des contraintes statutaires : les guerriers (buke) habitaient les « terrains guerriers », les bourgeois (chônin) les « terrains bourgeois », et les religieux réguliers les « terrains des temples et sanctuaires ». Or l’emprise des terrains guerriers à Edo représentait à peu prés 70% de l’ensemble de la surface de la cité. La raison de cette place très importante occupée par les guerriers dans l’espace et la population de cette ville, était qu’en plus des vassaux directs du shogoun (hatamoto et gokenin [2]), les daimyô [3] de tout le pays devaient y venir régulièrement pour la « résidence alternée », c’est-à-dire accomplir un séjour d’un an dans la capitale shogounale, accompagnés de suites plus ou moins nombreuses. En contrepartie, les seigneurs recevaient du shôgunat de vastes parcelles en ville pour y établir leurs résidences : c’est pourquoi on ne peut réfléchir sur la cité d’Edo sans prendre en compte l’existence de ses guerriers.

2 Malgré cela, les études urbaines japonaises ont longtemps mis au cœur de leurs thématiques le développement de la société bourgeoise, et les recherches sur les guerriers en tant qu’habitants des villes ont plutôt été négligées. En 1995 cependant, Yoshida Nobuyuki a proposé un modèle d’organisation interne de l’espace urbain centrée sur les résidences seigneuriales [4]. Ces travaux ont fait date, car pour la première fois, ils considéraient la société urbaine à partir de ces palais de l’aristocratie guerrière. Toutefois, leur objet résidait essentiellement dans l’examen des liens tissés avec la société urbaine environnante par un fief, comme institution, ou par une grande maison seigneuriale : concrètement, l’étude portait surtout sur les relations économiques avec les bourgeois, ou sur celles, de nature politique, entre le shôgunat et les daimyô. Dans mes propres travaux, je me suis attaché à examiner d’autres aspects de ces relations de proximité, comme celles découlant du maintien de l’ordre, du traitement des ordures, ou encore de l’ouverture au public des édifices religieux situés dans les résidences seigneuriales [5]. Ces études, tout comme celles de Yoshida Nobuyuki, restaient plus ou moins dans le cadre de liens institutionnels. Mais dans cet article, en prenant comme matériau le journal d’un guerrier séjournant à Edo pour les besoins de la résidence alternée, je souhaiterais observer à une échelle plus individuelle et micro-historique les rapports entretenus entre les habitants des résidences guerrières et la société urbaine.

3 On se représente en général ces guerriers résidant à Edo à cause de la résidence alternée de deux manières. La première, que l’on trouve dans les œuvres littéraires ou les poèmes satiriques de la période d’Edo, est l’image du « provincial » (inakamono), ceux qu’un calembour de l’époque désignait comme les « revers bleus pâles » (asagiura) parce que la doublure de leur vêtement était souvent teinte de cette couleur qui, paraît-il, les signalait immanquablement comme des péquenots dans le quartier de plaisirs de la capitale. Mais une telle représentation est avant tout une création de ceux qui s’appelaient eux-mêmes les edokko [6], c’est-à-dire le produit d’une affirmation identitaire des habitants de la cité shogounale. En réalité, parmi les guerriers venus de province pour la résidence alternée, nombreux étaient ceux qui effectuaient plusieurs séjours à Edo ; et même si l’on se doute que leurs manières et leurs comportements devaient différer de ceux des habitants permanents de la cité, ils ne pouvaient pas pour autant être complètement ignorants des choses de la grande ville. Pour ne pas en rester aux préjugés secrétés par la société d’Edo, il est donc nécessaire de s’intéresser d’un peu plus près à ce monde des guerriers en service dans la capitale des Tokugawa.

4 L’autre image dominante est celle d’individus n’ayant en fin de compte pas grand-chose à faire, et qui, bien que dépourvus d’argent, économisaient vaille que vaille pour s’offrir du bon temps en promenades dans la cité ou en excursions dans les montagnes alentours, afin de contempler leurs paysages fameux. Cette impression vient en fait de la lecture d’un journal tenu pendant six mois par un guerrier de bas rang du fief de Kii à la fin du shôgunat [7]. D’une manière générale, pour des employés japonais d’aujourd’hui (les « sararîman ») qui croulent sous le travail, cette idée de disposer de temps libre est une sorte de rêve qui rend la figure du samouraï oisif particulièrement séduisante. Cependant, le journal sur lequel repose cette réputation était tenu par un guerrier qui, pour des raisons propres à un temps de service un peu à part, se trouvait en réalité provisoirement sans tâches à effectuer : il est par conséquent dangereux de généraliser un tel cas particulier. On doit donc plutôt considérer la vie quotidienne de ces guerriers dans son ensemble, y compris leurs obligations de service, et ne pas s’intéresser seulement à leurs excursions lointaines, mais à leurs sorties de tous les jours dans les environs de la résidence seigneuriale.

5 Au-delà de ces deux seules images toutes faites des samouraïs à Edo, je pense qu’il est à présent nécessaire de les étudier sous toutes leurs facettes, qu’il s’agisse de stratification sociale, de la taille du fief dont ils dépendaient, des endroits où ils résidaient, etc. Dans cet article, je prendrai comme objet d’examen le journal de Kanai Kuninosuke, un guerrier de rang moyen du fief de Shônai. J’ai choisi ce document parce qu’il contient les récits des quatre tours de service pour lesquels son auteur s’est rendu à Edo, avec en plus, ses réflexions sur les endroits qu’il a visités.

Description du journal et du service à Edo

KANAI KUNINOSUKE ET SON JOURNAL

6 Kanai Kuninosuke, né à une date inconnue, sans doute aux alentours du tout début du XIXe siècle, dans la branche principale de la famille Kanai (200 koku de revenus [8]), fut adopté dans le fief de Shôan par une branche collatérale (100 koku de revenus) ; il en recueillit la succession en 1838 (Tenpô 9 [9]), en en devint alors le 9e chef de maison. Le fief de Shônai comptait environ 3 000 membres dans son vasselage [10], dont 530 vassaux directs en 1853 (Kaei 6), et la maison Kanai tenait parmi eux un rang moyen [11] .

7 Kuninosuke était un savant confucéen qui enseigna à partir de 1826 (Bunsei 9) les lettres chinoises dans l’école du fief, le Chidôkan. En 1832 (Tenpô 3), il en devint même directeur, et chargé de la surveillance de son établissement et de ses élèves, il partageait la vie quotidienne de ces derniers. Après 1838 (Tenpô 9), il cumula des charges aux achats seigneuriaux et à l’office du paiement du riz seigneurial, puis devint Intendant sur des terres confiées au fief de Shônai [12]. À la 12e lune de 1842 (Tenpô 13) [13], il fut nommé chef d’escorte (tomo-gashira), fonction qui lui valut un supplément de traitement de 30 koku, puis au 6e jour de la 6e lune de l’année suivante, il arriva à Edo pour y accomplir son service dans le cadre de la résidence alternée [14]. Son journal commence ce jour même de 1843, et il le tint au moins jusqu’à la 8e lune de 1866 (Keiô 2), soit en tout sept cahiers qui nous sont parvenus [15]. Durant cette période, il séjourna quatre fois à Edo, la dernière jusqu’au 23e jour de la 7e lune de 1854 (Kaei 7), soit un total de 1 879 jours, dont 1 536 font l’objet d’au moins une note dans le journal (Tab. 1). De ces quatre séjours, le premier, le second et le quatrième durèrent à peu près une année, le temps normal pour un service à Edo ; le troisième se prolongea plus longtemps, deux ans entre 1848 et 1850, avec une interruption d’un mois [16].

8 Le fief de Shônai (dit aussi fief de Tsuruoka, du nom de sa capitale), domaine de la maison Sakai, disposait à Edo des résidences suivantes pour abriter la suite seigneuriale et son personnel :

9

  • La résidence principale (kami-yashiki) de Kandabashi où séjournait le seigneur lorsqu’il venait à Edo.
  • La « résidence intermédiaire » [17] (naka-yashiki) de Shitaya, dévolue à l’héritier du fief.
  • La « résidence annexe » (shimo-yashiki) de Yanagihara où le précédent seigneur passait sa retraite.

Tableau 1

Séjours à Edo et jours de sortie de Kanai Kuninosuke d’après son journal

Durée du séjour à Edo
(sources)
Nombre de
jours total
Jours omis Jours notés
dans le
journal
Jours de sortie
[parmi lesquels
() = sorties
lointaines]
Jours sans
sortie
Jours de
service
Mentions de
relations au sein
de la résidence
seigneuriale
A 1843 (Tenpô 14)/
6e lune/6e jour ~ 1 844
(Tenpô 1 5)/6e lune/
28e jour [1er journal]
407 102 30 5 61 (33) 244 1 72 89
B 1845 (Kôka 2)/
9e lune/1er jour ~ 1 846
(Kôka 3)/8e lune/
1er jour [1er journal,
2e journal]
355 84 27 1 37 (20) 234 1 1 4 1 30
C 1 848 (Kaei 1)/
7e lune/7e jour ~ 1 849
(Kaei 2)/1re lune/
10e jour – 2e lune /
20e jour ~ 1850 (Kaei
3) / 7e lune / 1 5e jour
[2e journal, 3e journal]
7 1 0 98 6 12 132 (43) 480 1 82 262
D 1853 (Kaei 6)/
5e lune/27e jour ~ 1 854
(Kaei 7)/4e lune/9e
jour – 5e lune/13e jour
~ 7e lune supplémen
taire/23e jour
[4e journal]
407 59 348 50 (13) 298 1 40 1 4 1
Total 1 879 343 1 536 280 (109) 1 256 608 622
figure im1

Séjours à Edo et jours de sortie de Kanai Kuninosuke d’après son journal

10 C’était là l’essentiel des terrains dépendant du fief de Shônai à Edo ; mais la résidence de Yanagihara fut reprise par le shogounat entre 1843 et 1845, sans doute pour cause d’affrontement politique, et on attribua en échange à Shônai durant cette période une autre résidence annexe à Honjo, sur la rive gauche de la Sumida. Kuninosuke, pour sa part, demeurait dans la résidence principale.

LE SERVICE

11 La charge de chef d’escorte que remplissait Kuninosuke consistait à commander les hommes qui accompagnait en cortège le seigneur lors de ses sorties. Il y en avait trois ou quatre comme lui à Edo pendant les séjours du daimyô, dont l’un était en permanence en poste dans la cité shogounale et ne retournait pas dans sa province. Le chef d’escorte marchait aux côtés du palanquin seigneurial [18], devait tenir à jour un programme des sorties du daimyô hors de la résidence et le faire connaître aux personnes concernées, décider de l’ordonnancement des cortèges, veiller à la préparation et à l’entretien des vêtements et accessoires nécessaires, et enfin entraîner quotidiennement ses hommes pour qu’ils accomplissent correctement leur mission.

Tableau 2

Services accomplis par Kanai Kuninosuke d’après son journal

Période
de séjour
à Edo
Jours
de
service
Service
d’escorte
principal
(tomo-honban)
Service
d’escorte
adjoint
(tomo soe-ban)
Service
d’escorte
(sans
précision)
Autres
A 172 39 35 86 10
B 114 43 43 3 25
C 182 78 79 2 23
D 140 39 27 6 68
Total 608 199 184 97 126
figure im2

Services accomplis par Kanai Kuninosuke d’après son journal

12 Comme reporté sur le tableau 2, parmi les 1 536 journées consignées dans le journal, 608 font mention d’obligations de service. Celles-ci consistaient essentiellement dans l’escorte du daimyô, et dans des tâches à l’intérieur du pavillon seigneurial (goten), dans la résidence principale. Concernant l’escorte, ce service se déclinait en deux modes, le « principal » (honban) et « l’adjoint » (soeban). Durant ses quatre séjours Kuninosuke exerça les deux à peu près un nombre équivalent de fois, ce qui laisse supposer qu’ils étaient accomplis à tour de rôle, mais les différences entre ces différentes formes demeurent inconnues. Lors du premier séjour, entre 1843 et 1844, 162 jours portent la mention d’un service d’escorte (39 jours sous sa forme « principale, 35 sous sa forme adjointe, le reste n’est pas précisé) ; les sorties avaient pour destinations le château d’Edo, pour présenter des salutations au shogoun (28 jours), des visites à la résidence de Shitaya (16 jours), d’autres au Seikôji, le temple où reposait les ancêtres de la maison seigneuriale (12 jours), des déplacements à la résidence annexe de Honjo, à Kinshibori (7 jours), et enfin chez divers autres daimyô (8 jours). Les hommes d’escorte ne pouvaient retourner à la résidence que quand leur seigneur l’avait décidé, mais se joindre à de telles sorties signifiait le plus souvent être d’astreinte pendant au moins quatre heures [19].

13 Le service au pavillon seigneurial (gotenban) ne semble pas avoir été considéré par l’auteur aussi digne de mention dans son journal que l’escorte, aussi y fait-il rarement allusion. On trouve des notes du type « service du matin », « service du soir », « pas de service » qui laisse penser qu’il devait être assumé à tour de rôle. Le service du matin par exemple, en été, durait de six à onze heures du matin environ, selon le comput horaire actuel.

14 D’autre part, lors de son troisième séjour à Edo, Kuninosuke, comme le titulaire était défaillant, remplit la charge de Maître des cérémonies (gosôsha). Il n’en fait mention que pour 26 journées, mais il dût accomplir cette tâche bien plus longtemps [20]. Celle-ci consistait à réceptionner les cadeaux ou les documents officiels portés par des émissaires du shogoun, à accueillir les daimyô en visite, à tenir le registre des vœux ou compliments envoyés par les autres maisons seigneuriales à l’occasion de fêtes ou de cérémonies, et à prévenir le seigneur de la venue d’envoyés du shogoun ou des daimyô, voire des daimyô eux-mêmes.

15 Enfin, lors du quatrième séjour, on sait que Kuninosuke, en tant que savant, participa à l’élaboration de la signature officielle (kaô [21]) de l’héritier du fief de Shônai.

16 Comme je l’ai rappelé au début de cet article, on prétend souvent que les guerriers obligés de résider à Edo pour les besoins de la résidence alternée avaient du temps libre à revendre, et qu’ils en profitaient pour s’abandonner aux délices de la capitale shogounale ou aux joies des excursions touristiques. En tout cas, cela ne cadre pas avec Kuninosuke. Celui-ci, à la 6e lune de 1845 et à nouveau à la 7e lune de 1850, fut cité en exemple par le fief pour avoir travaillé deux fois pendant trois années consécutives sans prendre de congés, et en fut récompensé par des gratifications en or. Il s’agissait donc peut-être d’un personnage particulièrement sérieux dans son travail, mais on ne peut pour autant considérer qu’il constituait une exception parmi les guerriers en poste à Edo. Certes, le temps de service de l’escorte consistait pour beaucoup à attendre que le seigneur daigne bien vouloir rentrer, et pendant ses heures passées au pavillon seigneurial, Kuninosuke pouvait disputer des parties d’échecs japonais (shôgi) avec un collègue ; de notre point de vue, il ne s’agissait donc peut-être pas de tâches particulièrement harassantes, mais il n’en reste pas moins vrai que les heures d’astreintes qu’elles entraînaient était assez nombreuses.

Les sorties

DESTINATIONS ET FRÉQUENCE

17 Voyons à présent ce qu’il en était des sorties en ville de Kuninosuke. On en trouve des mentions pour seulement 280 journées, soit en gros une fois par semaine. Même quand on prend en compte le fait qu’il lui est arrivé de sortir à plusieurs reprises dans la même journée, le total ne se monte qu’à 542 fois. Toutefois, il y a très peu de mentions de sorties très brèves du genre « allé aux bains publics » : quand l’auteur du journal le note, c’est qu’il lui était difficile de se rendre dans un tel établissement pour se laver, parce qu’il se trouvait loin de la résidence seigneuriale, c’est-à-dire en gros à plus de deux kilomètres.

18 Sur les cartes 1 et 1 bis sont reportés les lieux d’Edo où s’est rendu Kuninosuke, leur distance par rapport à la résidence principale du fief de Shônai, ainsi que les buts de ces sorties. Les endroits se trouvant à moins de 2 km sont mentionnés 317 fois (59 % de l’ensemble) [22], ceux entre 2 et 4 km 126 fois (23%), à plus de 4 km 99 fois (18%). Quant aux sorties supérieures à 8 km, on ne trouve guère que celle au Shindaiji (n5), lors du premier séjour, à Kônodai (n105), à Funabashi (n106) et à Gyôtoku (n107) lors du quatrième. Sur les cartes 1 et 1 bis, on voit bien que la zone I (Nihonbashi, Kyôbashi, Uchi-Kanda), la plus proche de la résidence principale de Shônai, concentre près de la moitié des destinations (44 %) ; viennent ensuite les zones III (nord) et II (ouest et sud), avec à peu près le même nombre, la moins fréquentée étant la zone IV (est). La raison de la fréquence des visites aux autres résidences du fief de Shônai lors des troisième et quatrième séjours, tient en particulier au fait que le frère aîné de Kuninosuke, Kanai Danshirô, résidait alors dans celle de Shitaya où il exerçait sa charge.

Carte 1
figure im3
figure im4

19 Je voudrais attirer l’attention sur deux éléments des sorties de Kuninosuke : le nombre de jours qui y sont consacrés, et la fréquence réduite des déplacements sur de longues distances. Il est peu probable que l’auteur du journal aurait omis de mentionner ses sorties lointaines, et donc cette rareté reflète sans doute une réalité de son existence. On peut alléguer comme raison pour expliquer cette relative faiblesse du nombre de sorties, les contraintes liées au service exposées plus haut, qui pesaient sur ses possibilités d’aller se distraire à l’extérieur de la résidence seigneuriale. Nous ne connaissons pas de règlements précis sur point pour le fief de Shônai, mais selon ceux des fiefs de Hachinohe dans la province de Mutsu, ou de Matsuyama dans la province d’Iyo, les guerriers ne pouvaient sortir pour toute une journée que trois à quatre fois par mois, avec une obligation de rentrer le soir entre 19h et 20h environ selon les cas [23]. En outre, un certain Ishihara Tajima, un autre vassal du fief de Shônai doté à 400 koku et qui séjourna lui aussi à Edo en 1862 (Bunkyû 2), sortit 49 journées sur les 114 qu’il passa dans la capitale shogounale [24] ; mais seulement 6 de ces sorties dépassèrent une durée de cinq heures, et dans tous les cas, le retour à la résidence s’effectuait en début de soirée, entre 4 et 6 heures. Les sorties des guerriers du fief de Shônai devaient donc être soumises elles aussi à des restrictions réglementaires du même ordre qui limitaient le rayon d’action des vassaux dans la cité du shogoun. Enfin, un dernier facteur important ne doit pas être négligé : les déplacements à Edo s’effectuaient surtout à pied, et éventuellement en palanquin de louage, mais à condition d’en payer le prix. Il n’y avait en effet pas de voitures à cheval, et même un guerrier ne pouvait se déplacer sur une monture sans raisons valables, ni que son rang ne le justifie. Des contraintes physiques pesaient donc aussi sur les distances et les temps de parcours.

20 Si l’on fait un décompte des buts et destinations des sorties de Kanai Kuninosuke, les mentions les plus fréquentes sont celles de « déambulations » (haikai) ou d’« achats » (kaimono), les « déambulations » en question étant des promenades, faites sans but précis ou à l’occasion d’un déplacement dans un endroit donné [25]. Viennent ensuite les visites aux « lieux célèbres » [26] ou « curiosités » (meibutsu), c’est-à-dire des visites touristiques, des repas pris à l’extérieur, des pèlerinages, des visites à d’autres résidences seigneuriales, ou des parties de pêche. Si l’on excepte le fait que lors du premier séjour, les visites touristiques de Kuninosuke ont été plus nombreuses, et en tenant compte de la présence de son frère à Edo lors des troisième et quatrième séjours qui explique sans doute la hausse de ses fréquentations de sociabilité (plus de 20 % du total des sorties lors du 4e séjour, contre moins de 10% lors des premier et second), il n’y a pas de grande différence entre les quatre temps de service accomplis à Edo.

21 Concernant les secteurs où il se rendait à présent, on constate qu’il « déambulait » peu dans l’est de la cité, ni n’y achetait grand-chose, mais allait surtout faire du tourisme ou pêcher (rivière Tatekawa, n96). En revanche, dans le reste de la ville, les promenades et les courses occupaient le gros de ses sorties, avec des visites à des personnes ou des endroits bien précis. Dans la zone centrale II, celle de Nihonbashi, Kyôbashi, Uchi-Kanda, qui était la plus proche de la résidence principale du fief de Shônai, la proportion des promenades et des achats est particulièrement importante, mais il y assiste aussi à des spectacles dans les « lieux animés » (sakariba), ou encore s’y restaure dans des établissements spécialisés. Dans la zone sud-ouest (zone II), le secteur de Hikagechô et de Shinmei-mae (n11) est la destination principale de Kuninosuke pour ses courses et ses promenades, et dans le même mouvement, il va faire ses dévotions au sanctuaire shintô d’Atago et sacrifie parfois à quelques visites de célèbres lieux touristiques, comme le monastère du Sengyokuji (n17) ou celui du Kaianji (n22), fameux pour ses paysages d’automne. Dans le nord de la cité, il déambule ou va faire des courses à Asakusa (n76) ou Ueno-Yamashita (n70), mais en réalité, il y achète peu de choses. En revanche, il y effectue des pèlerinages au Jizô d’Asakusa, patron de l’éducation des enfants [27], et y assiste à plusieurs reprises à des spectacles, comme un tournoi de sumô ou du rakugo [28] au sanctuaire de Yushima (n69), ou du théâtre à Sarugakuchô (n77) ; il y effectue aussi quelques visites touristiques.

TYPES DE SORTIES ET REPRÉSENTATIONS

Déambulations et achats

22 La plupart des promenades et des courses qui motivaient les sorties de Kanai Kuninosuke se concentrait donc dans la zone I de Nihonbashi, Kyôbashi et Uchikanda ; ce n’est en fait guère étonnant, puisque celle-ci se trouvait à proximité immédiate du séjour de l’auteur du journal. Il fréquentait surtout Uchi-Kanda et son grand boulevard qui débouchait directement sur la route du Tôkaidô [29]. Kuninosuke effectuait des achats dans les « super-boutiques » [30] du secteur (Echigoya, n50 , Shirokiya, n59, Ebisuya de Kyôbashi, n65, tous marchands de vêtements et tissus d’habillement, ou Yamamotoyama, n61 , marchand de thé). Lors de ses visites, on lui offrait parfois une collation au premier étage, preuve qu’il était familier des lieux. Mais il semble avoir surtout entretenu des liens avec un autre marchand de tissus d’habillement, un certain Yorozuya, à qui il pouvait demander par exemple de lui tailler une étoffe acquise ailleurs ; ce marchand lui prenait aussi des réservations pour les matchs de sumô, et régalait Kuninosuke lors des banquets sous les cerisiers en fleur (hanami) [31] . Cette boutique n’a pas pu être localisée, mais on pense qu’elle devait se trouver près de la résidence de Shônai, dans les secteurs II ou I, vers Uchi-Kanda ou Soto-Kanda.

23 Ensuite, Hikagechô (n11) [32], dans le sud-ouest de la cité, était aussi un autre lieu privilégié des achats de Kuninosuke. Hikagechô était le nom donné à une enfilade de rues courant parallèlement à la grande artère du Tôkaidô, et qui constituait une zone commerçante particulièrement animée. Elle abritait des marchands de fripes ou d’accessoires d’occasion pour le thé, le tout vendu à petit prix ; ce secteur était voisin de celui de Shinmei-mae où l’on trouvait des marchands d’estampes, de livres illustrés, d’articles de mercerie ou de jouets [33]. Il semble bien que Kuninosuke se soit plusieurs fois promené au milieu de ces boutiques, et à six reprises au moins, il y a acquis des éventails et des estampes pour faire des cadeaux, ainsi que des jouets. L’auteur du journal était aussi un bon client d’un « grossiste en livres » (un libraire), Okadaya Kashichi (n12) qui habitait à proximité. Toutefois, si l’on se fie au journal, il n’y achetait pas de livres destinés à la distraction, mais des écrits confucéens. Okadaya Kashichi lui apportait aussi des ouvrages, ou bien Kuninosuke les lui empruntait pour les recopier, et il lui demandait également parfois de relier de vieux volumes [34].

24 La zone III en revanche, celle de Soto-Kanda au nord de la ville, ou les quartiers sur la rive gauche de la Sumida, Fukagawa et Honjo dans la zone IV, n’apparaissent pas spécialement dans le journal comme des endroits où l’auteur faisait des achats. Il est vrai que la zone IV est située assez loin de la résidence principale du fief de Shônai. Mais il n’en va pas de même pour la zone III qui, d’autre part, possédait elle aussi des lieux similaires à Hikagechô, comme Ikenohata-Nakachô, où étaient rassemblés des marchands de mercerie ou de jouets. Toutefois, Ishihara Tajima auquel nous avons précédemment fait allusion, mentionne lui aussi dans son journal trois visites à Hikagechô. Cette préférence pour cet endroit alors que les mêmes achats étaient possibles à Ikenohata-Nakachô, est sans doute due aux dévotions au sanctuaire d’Atago (voir infra), ainsi qu’à la proximité du secteur avec toute la zone très animée et passante de Kyôbashi.

25 Toutes ces courses, peut-être parce que Kuninosuke ne mentionne pas ses achats alimentaires, concernent surtout des articles qu’on peut caractériser comme des produits plus ou moins de luxe ou d’agrément. En outre, Kuninosuke ne les acquérait le plus souvent pas pour lui-même, mais sur la demande de parents ou de collègues demeurés dans sa province d’origine. Par exemple, l’achat d’une étoffe au 7e jour de la 8e lune de 1843 chez Yorozuya, ou de celle acquise le 27e jour de cette même lunaison chez Ebisuya, étaient motivés par une commande de la maison Yoshii (celle du mari de la sœur aînée de Kuninosuke), parvenue par lettre avec l’argent nécessaire le 2 de ce mois ; les articles furent confiés à un guerrier qui rentrait au pays. C’est toujours sur la demande de cette famille Yoshii que Kanai Kuninosuke acheta le 20e jour de la 1re lunaison des poupées représentant la cour impériale [35], et qu’il les expédia le lendemain, grâce à un transporteur du fief, soigneusement emballées dans une boite. Parmi ces produits, s’en trouvent certains qui s’avéraient indispensables pour des fêtes et cérémonies dans le fief de Shônai. C’est le cas de cette pleine hotte de 321 mandarines achetée pour 7 monme d’argent [36] au marché aux primeurs de Tamachi à Uchi-Kanda le 28e jour de la 11e lune de 1849. Le paiement fut partagé en cinq parts avec des collègues, et le tout fut expédié dès le lendemain dans le fief grâce au responsable des envois de marchandises. À cause du climat trop froid du nord de Honshû, on ne pouvait produire de mandarines à Shônai, mais malgré cela elles étaient présentes lors des festivités du Nouvel An dans les maisons des vassaux, grâce aux guerriers en poste à Edo. Signalons que dans le cas de la maison Tôyama du fief de Hachinohe, nous constatons là aussi des achats de mandarines, mais également d’étoffes de coton blanc bon marché, de papier recyclé, de balais, destinés au fief d’où partaient les commandes. Or sur les lettres portant les instructions des acquéreurs, figurent également des indications sur les boutiques où réaliser les achats, et à quel prix : ce genre d’informations circulait donc parmi les guerriers du fief de Hachinohe, et il devait en aller de même pour Shônai.

26 Ainsi, les courses de Kuninosuke n’étaient pas tant destinées à acheter des cadeaux ou des souvenirs qu’à répondre à des commandes régulières qui lui parvenaient de sa patrie ; et une partie de la consommation des familles guerrières du fief de Shônai reposait donc sur les bons services de ces vassaux en poste à Edo. Ces acquisitions fréquentes amenaient même une certaine familiarité entre un bon client tel que Kuninosuke, et des maisons de commerce comme Daimaruya ou Okadaya. Or ces marchands n’étaient pas les mêmes que les fournisseurs attitrés de la résidence seigneuriale : il existait donc à Edo des commerçants dont la clientèle régulière comprenait des guerriers en poste à Edo, et qui étaient distincts de ceux qui entretenaient des liens privilégiés avec un fief et qui assuraient l’approvisionnement de la résidence du seigneur et de sa famille.

Les repas pris à l’extérieur

27 Parmi les autres frais qu’occasionnaient les sorties, il y avait aussi les repas pris à l’extérieur. On en compte 46 dans le journal de Kuninosuke, qu’on peut répartir en deux catégories principales : les repas pris avec des amis, surtout le soir, et qui nécessitaient un départ de la résidence vers 4 ou 5 heures (22 mentions) ; et ceux consommés à l’occasion d’une sortie, sur les lieux de la promenade, à son retour, ou en regardant un spectacle (14 mentions).

28 Les repas pris avec des commensaux avaient lieu dans des établissements comme le restaurant Tokiwaya (n51, 3 mentions), ou d’autres spécialisés dans les anguilles (17 mentions, chez Ôwada, n52, ou Ôkin, n49). Tokiwaya était un restaurant-maison de thé localisé près du pont de Tokiwabashi ; lors d’une des visites de Kuninosuke, il n’y avait déjà plus de places, preuve de la popularité de l’endroit. Il y participa en particulier à un banquet donné pour fêter le renvoi du Doyen shogounal Mizuno Tadakuni, contre lequel Shônai avait accumulé les griefs (la note fut d’ailleurs réglée par le fief) [37]. C’était semble-t-il un endroit souvent fréquenté par les officiers de la Lieutenance générale (rusui) [38] du fief de Shônai à Edo, ce qu’on appelait un jôyado (« l’auberge habituelle »), et pour cette raison Kuninosuke et ses collègues y avaient droit à un traitement spécial. Ce restaurant ne figure pas sur les classements contemporains [39], mais comme le journal nous apprend que lors d’une des visites de Kuninosuke, des vassaux de la Maison Ii se trouvaient dans la salle d’à côté, il semble bien que nous ayons affaire à un établissement qui accueillait principalement une clientèle guerrière. Kuninosuke appréciait particulièrement les « soupes à la daurade et à la baudroie » ; il trouvait l’endroit « vraiment merveilleux », et il note même : « l’ambiance du repas aidant, j’allais oublier de rentrer ». Il nous apprend aussi que c’est à cet endroit qu’il a mangé pour la première fois « de la cuisine d’Edo », c’est-à-dire des plats à la mode dans la capitale à son époque. Et en effet, il signale dans son journal seulement deux fois des grandes agapes dans d’autres endroits (à Surugaya de Mikawachô, n35, et Orizuru, lieu inconnu) : pour un guerrier de rang moyen comme Kuninosuke, ce genre de réjouissances dans un restaurant d’Edo n’avait donc rien d’habituel ; mais pour le commun des habitants de la capitale shogounale les occasions de goûter les délices de la « cuisine d’Edo » dans des établissements culinaires de renom, devaient être encore plus exceptionnelles.

29 En fait, lorsqu’il sortait avec des collègues, il fréquentait plutôt les restaurants qui servaient des anguilles. Celui dans lequel il s’est le plus souvent rendu s’appelait Ôwada (n52), à Ryôgaechô. L’endroit a l’air de lui avoir plu, puisqu’il retient de sa première visite qu’il y a « passé un très agréable moment » ; aussi y est-il allé treize fois avec d’autres guerriers de Shônai. Et quand Ôwada était fermé, il a aussi déjeuné à trois reprises chez Ôkin (n49). Kuninosuke a été également « dans le restaurant d’anguilles de Yoshichô » (n54) où il a mangé « du donburi [40] d’anguille pour 250 mon [41] » (sans doute la note pour plusieurs convives). Ses notes journalières précisent bien qu’il a été manger de l’anguille « comme d’habitude », ce qui montre qu’il s’agissait du type de repas qu’il prenait principalement lorsqu’il sortait se restaurer avec ses collègues. Ôwada est répertorié dans le classement de 1852 des « meilleures grillades au feu de bois d’Edo » [42]. C’était une sorte de chaîne de restaurants avec un établissement principal sis à Owarichô, et onze autres dispersés en ville sont aussi signalés : cette enseigne et ses plats d’anguilles jouissaient donc d’une grande popularité à Edo. Quant à Ôkin, il figure aussi sur le classement sous le nom d’Ôkin’ya Kinzô. Dans la ville d’origine de Kuninosuke, Tsuruoka, c’est à l’ère Bunsei (1818-1830) que fut ouvert pour la première fois un restaurant d’anguilles. Mais ce commerce fut interdit en 1830, et l’anguille autorisée seulement pour les enfants ou comme remède [43], avant d’être interdite à nouveau en 1841 , et enfin autorisée en 1845, à la suite d’une maladie contractée par un enfant du seigneur [44] : bref, il fallut pas mal de temps avant que dans la capitale de Shônai, on puisse déguster des anguilles avec le plein assentiment des autorités. Et pour Kuninosuke par conséquent, l’anguilla japonica n’était pas un met qu’il pouvait apprécier à sa guise dans son fief d’origine.

30 Les autres repas que Kuninosuke a pris à l’extérieur ont été consommés principalement dans la zone II, lorsqu’à l’occasion de promenades ou de courses, « n’y tenant plus tellement (il) avait faim », il s’est rassasié d’une légère collation, gâteaux, anguille, chazuke [45], ou nouilles de sarrasin (soba) ; mais il y eut aussi des repas pris sur des lieux situés loin de son logis. Dans ce dernier cas, il s’agissait apparemment toujours de restaurants, pour lesquels Kuninosuke soignait sa tenue. Les noms d’établissement qu’il nous a laissé sont en effet connus pour plusieurs d’entre eux grâce aux estampes ou aux classements professionnels [46]. C’étaient donc des restaurants réputés, et parfois on sait comment Kuninosuke a obtenu des informations à leur sujet. Par exemple, lors de son premier séjour, au 21e jour de la 1re lune de 1844, au retour d’une excursion faite aux environs du monastère du Shindaiji pour aller y couper des bambous destinés à faire des cannes à pêche, il s’est restauré dans le restaurant de soba Hyôtan’ya. Celui-ci n’était autre que l’établissement de Hyôtan’ya Saemon, un restaurant de nouilles très connu qui figure dans le Guide pour faire ses courses tout seul à Edo (Edo kaimono hitori annai), édité en 1824. On retiendra que Kuninosuke a voulu connaître cet endroit parce que son collègue de la résidence de Shônai, Nozawa Yokichi, lui aussi chef d’escorte, doté à 190 koku et en poste à Edo, l’avait particulièrement apprécié. Kuninosuke ne s’est pas rendu souvent chez Hyôtan’ya, mais il été au moins trois fois dans la même maison de thé de Shinagawa (Kamaya, n21), juste à la sortie d’Edo, preuve que les guerriers de Shônai avaient aussi leurs habitudes dans des établissements des faubourgs.

Les spectacles

31 Kuninosuke a été voir quatre fois du kabuki dans le quartier des théâtres de Saruwakachô (n77). Pendant son premier séjour à Edo, le 22e jour de la 9e lune de 1843, il relate ainsi sa toute première visite :

32

« Je me suis apprêté de bon matin pour aller à Saruwakachô. Nous nous y sommes rendus à cinq avec Kuroda Tasaburô, Nagasaka, Ônuma et le second fils d’Ôno. On jouait la vengeance de la passe d’Iga, avec en vedette Danjûrô, et d’autres comme Kyûzô, Hikosaburô, Eizaburô, Kouemon, Shibajurô, etc. Danjûrô manque de maturité et son jeu aussi : j’ai entendu dire qu’il avait 20 ans. C’est Kyûzô qui jouait le mieux, ensuite Hikosaburô ; quant à Eizaburô, il ne m’a pas semblé bien terrible. Cela m’a coûté 9 monme d’argent. Nous sommes rentrés à la résidence du fief avant le soir. »

33 1843, l’année où pour la première fois Kuninosuke a séjourné à Edo, correspond à la fin des réformes de l’ère Tenpô [47], marquées par un sévère tour de vis sur les activités culturelles et sur les mœurs. Les trois troupes de théâtre officiellement autorisées par le pouvoir avaient été déménagées l’année précédente du centre-ville aux confins nord de la cité, dans ce nouveau quartier fermé de Saruwakachô, et l’acteur-vedette de l’époque Ichikawa Ebizô (alias Danjûrô 7e du nom), avait été banni d’Edo. La première représentation qu’a vue Kuninosuke fut donnée au théâtre Kawarasaki à partir du 26e jour de la 8e lune, et le titre exact de la pièce était Le jeu de l’oie [48] de la route d’Iga (Iga-kaidô dôchû sugoroku). Il s’agit d’une œuvre qui, avec Les frères Soga et Les ronins d’Akô (dite aussi Le trésor des vassaux fidèles), constitue les « trois grandes vengeances » du kabuki. Comme c’était la première pièce donnée après son déménagement, le théâtre ne désemplissait pas et sa direction avait gratifié les spectateurs d’une réduction de 5 monme sur le prix d’entrée. Il est intéressant de relever les impressions sur cette représentation que Kuninosuke note dans son journal. Danjûro, qu’il a trouvé encore un peu jeune, était un acteur populaire à l’époque, qui avait hérité du nom de son père à l’âge de 9 ans. On ne sait trop s’il faut attribuer cette déception de Kuninosuke à l’effet psychologique qu’aurait pu avoir sur Danjûro l’exil de son père, ou sur la comparaison que l’auteur du journal faisait entre ce qu’il avait entendu dire d’Ebizô et ce qu’il voyait réellement sur scène. Il est également possible qu’il ait été influencé par le Palmarès critique des acteurs (Yakusha hyôbanki) imprimé à cette époque.

34 Kuninosuke s’est rendu une seconde fois au théâtre lors de son troisième séjour à Edo, le 4e jour de la 8e lune de 1849. Il y est entré au cours d’une de ses déambulations dans le quartier d’Asakusa (n76), proche de Saruwakachô. La troupe du théâtre Nakamura y donnait alors Le trésor des vassaux fidèles, et quand Kuninosuke a pris sa place, la pièce en était rendue au 10e tableau, celui qui précède juste le point d’orgue de l’intrigue, à savoir l’assaut donné par les rônin désireux de venger leur maître disparu, à la demeure du méchant de l’histoire, Kô no Moronao [49]. Kuninosuke dut goûter le spectacle, puisqu’il prit immédiatement une place pour revenir deux jours plus tard voir la pièce depuis le début. L’établissement dans lequel il acheta son billet était la maison de thé Ebiya, situé juste en face du théâtre Nakamura, et on pense que les deux établissements étaient liés l’un à l’autre [50]. Kuninosuke était très content de sa place, mais même en quittant la résidence de Shônai de bon matin, parvenu au 10e tableau, le soir tombait déjà et il fallut rentrer : sans doute Kuninosuke ne voulait pas trouver portes closes à son retour à la résidence seigneuriale. Il retourna à nouveau voir du théâtre au cours de son quatrième séjour, le 23e jour de la 5e lune de 1854, et c’était encore pour voir Les vassaux fidèles au théâtre Nakamura. Kuninosuke note qu’il « s’agissait des mêmes acteurs que ceux qu’il avait déjà vus », et sans doute souhaitait-il assister à la fin de la pièce qu’il avait manquée cinq ans avant. Cette fois-ci, peut-être à la suite de coupes dans le texte, la représentation prit fin avant le soir, et Kuninosuke put enfin en profiter jusqu’au bout. Ce que nous apprend le journal, c’est donc que les guerriers en poste à Edo, à cause des contraintes qui pesaient sur leur présence à la résidence seigneuriale, ne pouvaient pas toujours assister aux pièces de kabuki jusqu’à la fin, et cela est confirmé par les souvenirs de vassaux d’autres fiefs [51] .

35 Mais les représentations auxquelles a assisté Kuninosuke ne se limitaient pas au kabuki de Saruwakachô. Il alla aussi voir au sanctuaire de Tenjin à Yushima (n69) et sur l’esplanade de Ryôgokubashi (n27), des spectacles tolérés par le shogounat et qu’on appelait le « théâtre odedeko » [52]. Au 3e jour de la 4e lune de 1849, pendant son troisième séjour donc, alors qu’il s’était rendu au sanctuaire de Yushima, les baraques foraines étaient closes et il ne put assister aux spectacles. Mais il revint treize jours plus tard avec trois collègues. Ce qu’il a vu alors était une adaptation d’une pièce de kabuki, Seigen et la princesse Sakura (Seigen Sakurahime), dans laquelle paraît-il, on avait inséré des passages d’un autre œuvre théâtrale, les Lettres du quartier de plaisir (kuruwa bunshô). Il devait donc s’agir d’arrangements privilégiant morceaux de bravoure et scènes célèbres. Mais Kuninosuke semble avoir apprécié le spectacle qu’il qualifie d’« extrêmement intéressant » dans son journal. Le prix pour y assister était de 300 mon de cuivre, petits gâteaux compris, alors qu’une place pour le kabuki était d’environ 9 ou 10 monme d’argent par personne (équivalant à 900 à 1 100 pièces de cuivre), soit plus du triple [53].

36 L’esplanade de Ryôgokubashi (n27) était célèbre pour ses spectacles et ses baraques foraines ; il y régnait toujours une grande animation qui en faisait un des quartiers de divertissement les plus connus de la capitale shogounale. Kuninosuke y a vu du « théâtre » et du « théâtre d’enfant » (premier séjour, 5e jour de la 8e lune de 1843, troisième séjour, 26e jour de la 4e lune intercalaire [54] et 27e jour de la 5e lune de 1849). Il n’a déboursé pour voir le « théâtre d’enfant » (c’est-à-dire joué par des enfants) que la modique somme de 32 mon, 30 fois moins que pour du kabuki. Il put aussi y voir des acrobates, des danses (premier séjour, 5e jour de la 8e lune de 1843, troisième séjour, 20e jour de la 8e lune de 1849) [55], et y écouter des conteurs de rakugo [56] (quatre fois en tout). Mais ce qu’a surtout admiré Kuninosuke, ce sont les tours de Takezawa Tôji, le « tourneur de toupies » (koma-mawashi). Celui-ci se produisit à Ryôgokubashi de la 2e à la 8e lune de 1844, et à nouveau à la 9e lune près de Shinmei-mae, tant ses représentations étaient populaires : ses tours d’adresse inspirèrent d’ailleurs des motifs pour des estampes ou pour des serviettes. Le secret de son succès résidait dans l’introduction d’automates et de musique dans son spectacle [57]. Kuninosuke relate ainsi dans son journal l’engouement pour cet artiste : « La foule se pressait à l’entrée. Je ne pense pas que je pourrai le voir une seconde fois. Il doit sûrement y avoir des blessés. » Et il ajoute : « c’est vraiment un grand artiste. Je n’ai jamais rien vu d’aussi amusant. Les automates de Takeda également étaient merveilleux. Mais la musique m’a semblée un peu faible comparée aux tours avec la toupie. » Ici comme pour le kabuki, Kuninosuke nous donne donc dans son journal son appréciation sur les spectacles auxquels il a assisté.

37 Kuninosuke a aussi été écouter dans la zone de divertissements de Yokkaichi (n57), les contes historiques [58] d’un artiste en vogue à l’époque, Itô Enryô (1801-1855), pour seulement 32 mon de cuivre (second séjour, 16e jour de la 1re lune de 1846). Il note : « on racontait qu’Enryô allait sûrement paraître aujourd’hui et c’était vrai. Il est vraiment très bon. »

38 Quant au sumo, il s’y est rendu à neuf reprises, et a assisté sept fois à des combats. Il s’agissait, dans quatre cas, de rencontres organisées pendant 10 jours (de beau temps) par le temple du Kaikôin pour récolter des fonds (kanjin-zumô), et pour les autres occasions, de prétendus « entraînements » qui se tenaient au sein des temples et des sanctuaires (hanazumô). On pouvait assister au premier type de tournoi cette année là pour 11 à 12 monme d’argent (de 1 200 à 1 300 mon de cuivre), et au second pour seulement 132 mon de cuivre. Kuninosuke nous fait part dans son journal des impressions que lui ont laissées les combats. Au 16e jour la 9e lune intermédiaire de 1843, lors de son premier séjour, il écrit sur la rencontre des champions d’un tournoi de hanazumô qu’ils « étaient mal assortis et que leur combat était sans intérêt », alors que celui des lutteurs de la catégorie suivante fut jugé par lui « passionnant ». Et en effet il semble bien que le champion de l’époque Shiranui n’était plus très en forme, puisqu’on le railla pour avoir perdu trois jours de suite dans un tournoi de kanjin-zumô à la 11e lune [59], et qu’il se retira de la compétition deux ans plus tard. Kuninosuke devait donc s’y connaître dans ce domaine. Le 2e jour de la 11e lune de 1843, il loue d’ailleurs les prouesses des champions, et se félicite aussi des victoires de trois lutteurs originaires de sa province. Et quand il rentrait à la résidence principale de Shônai, ses collègues lui demandaient les résultats des matchs, preuve que le sumo comptait de nombreux amateurs parmi ces guerriers. À Shônai, c’était d’ailleurs le cas des daimyô eux-mêmes : depuis le 3e seigneur, Sakai Tadayoshi (1644-1681), nombre de ses successeurs furent des passionnés de sumo. Des tournois étaient fréquemment organisés dans leur capitale de Tsuruoka, avec parfois des participants venus spécialement d’Edo, et des lutteurs originaires de Shônai, nous l’avons vu, montaient aussi à la capitale shogounale [60]. Voilà donc sans doute l’une des raisons pour lesquelles Kuninosuke et ses collègues aimaient tant le sumo, et l’appréciaient en connaisseurs.

39 Une autre distraction que Kuninosuke semble avoir goûtée est la compétition de tir à l’arc du Sanjûsankendô de Fukagawa (n93) [61]. Il s’y est rendu à quatre reprises, principalement pendant son premier séjour (3e et 26e jours de la 9e lune intercalaire, et 6e jour de la 10e lune de 1843, 4e jour de la 3e lune de 1854). La veille de sa première visite, un violent coup de vent avait endommagé le bâtiment et il n’y avait pas de compétiteurs, mais Kuninosuke a décrit dans son journal l’endroit et y a noté avec précision les résultats des rencontres qui y étaient affichés. Une vingtaine de jours plus tard, il y retournait pour encourager des guerriers de sa province. Les autorités de Shônai soutenaient en effet la pratique de l’archerie parmi les vassaux, et, en 1816, des guerriers de ce fief avaient établi un record de tirs dans ce même Sanjûsankendô de Fukagawa. On avait d’ailleurs construit en 1830 une réplique de ce bâtiment dans l’école du fief où enseignait alors Kuninosuke et qu’il dirigea par la suite [62] : aussi assista-t-il également dans son fief d’origine à ce genre de compétition d’archerie. Et à Edo aussi, on observe que Kuninosuke s’adonnait avec sérieux à cette activité, dans les champs de tir des espaces de divertissement de Yokkaichi (n57) et Shinmei-mae (n11) [63].

40 Il a également assisté au moins une fois à une cérémonie pour des raisons apparemment professionnelles, au 25e jour de la 9e lune de 1853, lors de son quatrième séjour. Il s’agit de la fête de Confucius appelée sekiten et qui se déroulait au mémorial qui lui était dédié à Yushima (Yushima-seidô, n25). Cette cérémonie n’était pourtant pas ouverte au public, et on ignore par quels moyens Kuninosuke a été admis à y participer. Toujours est-il qu’il y vérifia l’exactitude des rites observés dans l’école du fief : il s’agissait donc surtout d’un intérêt motivé par ses activités de savant confucéen.

Les visites religieuses

41 Les notes du journal consacrées par Kuninosuke à des visites à des établissements religieux pour aller y faire ses dévotions concernent surtout le sanctuaire d’Atago (n10) et le Jizô patron de l’éducation des enfants d’Asakusa (n75). Il s’est rendu à 16 reprises au sanctuaire d’Atago, soit une moyenne d’une fois tous les trois mois. Dans 12 cas, il s’agissait du 24e jour du mois, et le reste du temps de la veille ou du lendemain de ce jour. Le 24e jour de chaque lunaison était dédié aussi bien à Jizô qu’au sanctuaire d’Atago, et à cette occasion se tenait le plus grand « marché aux arbres » d’Edo, qui peut-être, comme nous verrons plus bas, intéressait aussi Kuninosuke. Les pèlerinages effectués en particulier le 24e jour de la 6e lune étaient censés valoir 1 000 dévotions du même genre, et Kuninosuke, au cours de ses sept années de séjour, s’est rendu à quatre occasions au sanctuaire d’Atago à cette date : du matin au soir, la foule s’y pressait alors, et c’était le moment de l’année où l’endroit était le plus animé [64]. Quant au Jizô d’Asakusa, il se trouvait dans le temple du Jûshôin. On faisait sa prière à cette divinité en lui offrant du sel, d’où son sobriquet de « Jizô salé » [65] ; mais ce n’était pas à l’époque une divinité particulièrement en vogue. Kuninosuke n’y effectuait pas vraiment de visites régulières, mais il y a fait ses dévotions à cinq reprises.

42 À part ces deux établissements religieux, on n’en repère pas d’autre dans le journal que Kuninosuke ait plus ou moins assidûment fréquenté, et il est donc possible qu’il leur ait été lié par des sentiments de foi particuliers, et non simplement à cause des divertissements qu’ils pouvaient offrir. Or, on relève aussi une mention isolée de sa participation à une « confrérie d’Atago » à Tsuruoka ; ce genre d’association avait en général des buts aussi bien cultuels que de sociabilité, et servait même souvent à la constitution de systèmes d’épargne et de tontines. Il est donc possible que les liens qui reliaient Kuninosuke à la divinité du sanctuaire d’Atago aient été communs à d’autres résidents de Tsuruoka et du fief de Shônai.

La pêche

43 Les guerriers du fief de Shônai étaient connus pour leur goût des parties de pêche, et aussi pour fabriquer à leur domicile des cannes à pêches, afin d’en tirer quelques compléments de revenus. Le 8e seigneur de Shônai, Sakai Tadataka (1790-1854) appréciait lui-même cette activité, et l’empreinte sur papier [66] du carassin qu’attrapa son fils, Tadaaki (1812-1876), dans la résidence annexe de Honjo, passe pour la plus ancienne conservée au Japon [67]. Quand Kuninosuke se rendit pour escorter son seigneur dans cette même résidence de Honjo, celui-ci lui ordonna d’aller pêcher en attendant : Kuninosuke prit alors deux carassins, ce qui lui valut les félicitations de son maître (troisième séjour, 4e jour de la 10e lune de 1848) ; auparavant, toujours sur l’ordre du seigneur, il avait jeté des filets dans les douves de cette résidence, et en avait sorti carassins, gobies, vandoises, dont le seigneur lui avait fait cadeau, et qu’il avait ensuite dégustés au court-bouillon (1er séjour, 11e jour de la 9e lune intercalaire de 1843).

44 Mais Kanai Kuninosuke est aussi allé pêcher en dehors de son temps de service. À 17 reprises, il effectua des sorties liées à cette activité, 3 fois pour aller récolter des bambous servant pour la fabrication de cannes, et 10 fois avec, dès le départ, l’intention d’aller prendre du poisson. Toutefois, la plupart du temps, il s’agissait de pêche au filet, et il n’a utilisé sa canne que deux fois seulement. Et même alors, quand il n’attrapait pas de poisson, il laissait la canne pour prendre en fin de compte son filet. L’endroit privilégié pour ces parties de pêche était la rivière Tatekawa à Honjo, où il capturait des tanago [68]. Les poissons pêchés étaient préparés en soupe le jour même dans les casernements des guerriers du fief. L’habitude de cette activité était si bien ancrée chez l’auteur du journal qu’il arrivait aussi qu’il prenne son filet lors de sorties qui n’avaient pas la pêche comme objectif premier. On remarque également qu’il achetait parfois des poissons lorsqu’il n’avait rien pris. C’est que pour les guerriers du fief de Shônai en poste à Edo, la pêche était en réalité plus qu’une distraction : c’était aussi l’occasion de varier l’ordinaire des repas dans la résidence seigneuriale, puisque dans le journal, on relève pas moins de 30 mentions faites par Kuninosuke de consommation de tels poissons, pêchés par des collègues ou des domestiques qu’il avait envoyés en prendre. Dans sa province d’origine, les parties de pêche à la campagne étaient quasi-quotidiennes, particulièrement en vogue chez les vassaux depuis les années 1780 [69] : cette activité de Kuninosuke à Edo devait donc se situer dans le prolongement de sa vie dans le fief de Shônai [70].

Curiosités et lieux célèbres

45 Kuninosuke a effectué plusieurs visites touristiques lors de ses séjours à Edo, comme celle du fameux quartier de plaisir d’Edo, Yoshiwara (dit le « nouveau Yoshiwara » [71] n78), seul endroit de la ville où la prostitution était légale. Il s’y rend dès son premier séjour, le 20e jour de la 8e lune de 1843, puis pour assister aux fêtes de la « décoration de pins » (matsukazari) et au « défilé des courtisanes » (oiran-dôchû) [72], au 2e jour de la 1re lune de 1844, et enfin à la fête des cerisiers [73] le 7e jour de la 3e lune de 1854. Si l’on se fie au journal de Kuninosuke, il ne s’est rendu à Yoshiwara que de jour, et seulement comme spectateur. Bien entendu, on peut toujours supposer qu’il n’écrit pas tout dans son journal, mais selon les mémoires des guerriers en poste à Edo, les visites à Yoshiwara étaient effectivement en principe limitées à la journée, toujours à cause de la fermeture la nuit des portes des résidences seigneuriales [74]. Ceci n’empêchait d’ailleurs pas la fréquentation des prostituées qui pouvaient œuvrer dans d’autres secteurs de la ville, sans autorisation mais avec l’assentiment tacite des autorités. Voici en tout cas comment Kuninosuke relate de sa première visite :

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« Quand je suis arrivé à Yoshiwara il était assez tôt, et les jeunes catins (jorô) n’étaient pas encore de sortie. Toutefois, à l’intérieur des établissements, derrière les grillages [75], des plateaux étaient alignés avec le nécessaire pour fumer [76], et quelques unes fumaient ou étaient en train de se coiffer. À cause des lois sur les mœurs de Tenpô [77], je n’ai pas trouvé leurs vêtements particulièrement beaux. En revanche, elles se mettaient bien dans leurs chevelures ces accessoires énormes et extravagants qu’on voit dans les images : cela doit leur peser sur la tête ! Les plateaux pour fumer étaient en laque dorée et décorés de motifs en arabesque avec le blason de l’établissement, exactement comme dans les images. »

47 La seconde fois qu’il se rend à Yoshiwara, Kuninosuke note à nouveau à propos de la procession des courtisanes que « c’était un spectacle semblable en tous points à ce qu’on voit sur les images ». Il a donc visité Yoshiwara avec en tête les descriptions colorées des estampes, et ses impressions heureuses ou déçues reflètent les attentes qu’il en avait conçues.

48 Une des nombreuses curiosités d’Edo consistait aussi dans le cortège emmené par le responsable du comptoir hollandais de Nagasaki (le « capitan ») lorsqu’il allait présenter ses respects au shogoun. Comme le régime interdisait aux Japonais de se rendre à l’étranger et contrôlait sévèrement les relations avec l’extérieur, la plupart des gens n’avaient pas d’expérience de rencontre avec des ressortissants d’autres nations, ce qui explique que ce genre d’évènement ait fait sensation. Pourtant, à cette époque, juste avant l’ouverture du pays, les contacts se multipliaient entre Japonais et navires étrangers, mais pour notre guerrier de Shônai, il semble bien que c’était la première occasion de voir des Occidentaux. Kuninosuke fut témoin de la dernière venue à Edo d’un responsable du comptoir de Nagasaki, celle de Levyssohn en 1850. Le 3e jour de la 3e lune, ayant donné rendez-vous après le déjeuner à trois de ses collègues, lui et ses compagnons allèrent à l’auberge que le shogounat avait désignée pour loger les Hollandais (chez Nagasakiya Gen’emon, n47), et ils purent les apercevoir à la fenêtre du premier étage. Cela ne dut pas lui suffire, puisque 13 jours plus tard, il assista avec un collègue au cortège des Hollandais qui allaient saluer les Doyens et les Préfets des temples et sanctuaires. On ressent bien l’excitation d’un Kuninosuke qui cherchait à voir quelque chose en suivant le défilé au milieu d’une foule venue contempler l’événement ; il ne put finalement apercevoir que le haut du corps des Européens, mais il fut quand même étonné par leur grande taille, et il observa bien leurs vêtements et leurs chapeaux. Et comme il remarque justement dans ses notes que ces couvre-chefs étaient différents de ceux de la veille, cela laisse penser qu’il avait recueilli des informations avant de venir.

49 Juste au voisinage de la résidence seigneuriale de Shônai, la fête de Kanda lui offrait un autre spectacle. Il s’agissait d’une des deux grandes fêtes d’Edo [78], et comme les quartiers des environs de la résidence faisaient partie de la fraternité (ujiko) [79] qui organisait ces réjouissances, Kuninosuke y assistait chaque année au sanctuaire de Kanda (n24) ou depuis les rues d’Uchi-Kanda. La fête n’avait officiellement lieu qu’une fois tous les deux ans, et Kuninosuke en a été spectateur à quatre reprises ; mais en réalité, les autres années, les quartiers de la fraternité en donnaient une autre officieuse, dite « fête clandestine » (kage-matsuri), à laquelle Kuninosuke a également assisté une fois. Toutefois, lors de la fête officielle, il ne sortait que la veille pour assister à la « fête du soir » (yoi-matsuri), la veille des réjouissances, puis le lendemain de la grande parade, pour les dernières cérémonies de clôture, mais jamais il ne quitta la résidence le jour le plus important, le 15e de la 9e lune : il se contentait alors de contempler le défilé des chars des quartiers depuis le premier étage du casernement de ses collègues. De même, s’agissant de l’autre grande fête de la cité, celle de Sannô, il ne faisait que se promener en ville la veille du défilé (troisième séjour, 15e jour de la 6e lune de 1850). Ces fêtes étaient en effet l’occasion de débordements fréquents dans la foule ou entre les habitants des quartiers, et il est fort probable que le fief de Shônai ait interdit de sortie ses guerriers ce jour-là, afin qu’ils ne se trouvassent pas mêlés à des désordres.

50 Kuninosuke s’est aussi rendu dans des hauts-lieux touristiques comme des foires, à certaines kermesses et fêtes religieuses, ainsi qu’à des expositions publiques de statues de divinités [80]. Il a ainsi été cinq fois au marché de poupées [81] des « dix boutiques de Hongokuchô » (n47), le plus important de ce genre à Edo, et qui se tenait du 25e jour de la seconde lune au 4e ou 5e jour de la 3e : Kuninosuke note d’ailleurs ses « grandes dimensions » dans son journal après sa première visite [82]. Il a aussi vu le « marché annuel » (toshi-ichi) d’Asakusa (n76, 17e jour de la 12e lune de 1843), assisté à l’exposition de la divinité du sanctuaire de Kameido (n100, 24e jour de la 2e lune), à la fête du mont Myôgi [83] dans ce même endroit (12e jour du 1er mois de 1844), à l’exposition de la statue du Bouddha du Ekôin (n88, 20e jour de la 8e lune de 1848), et à celle du Enma [84] du temple Yakushi-in de Kayabachô (n62, 16e jour du 1er mois de 1844), et il a voulu écouter les récitations du Dit des Heike [85] qui étaient données deux fois par an au sanctuaire de Benten [86] de Honjo (n90, 16e jour du 2e mois de 1846). D’après les impressions qu’on relève dans son journal, il semble bien que Kuninosuke ait été plus intéressé par l’animation qui régnait alors et par la foule que par les objets cultuels eux-mêmes. Peut-être cette faible sensibilité bouddhiste est-elle à mettre au compte de sa formation de confucéen rationaliste. En tout cas, lors de sa visite à Kameido, le peu de monde qu’il y a rencontré l’a peut-être un peu déçu, puisqu’il s’en est retourné rapidement après avoir dégusté une « soupe à la carpe ».

51 Quelques monuments ont aussi été l’objet de ses visites, comme le Sazaedô du temple Rakanji (n98). Ce bâtiment tirait son nom de sa structure sur trois niveaux en colimaçon, qui évoquait celle d’un coquillage, comme un bulot (« sazae » en japonais). Il put voir à l’intérieur les statues de Kannon au vêtement blanc, de Kannon à la corbeille de poissons [87], et les copies des cent figures de Kannon de Saigoku, Bandô et de Chichibu [88] ; la vue depuis le haut de ce bâtiment était aussi très réputée. Et pourtant, là encore, Kuninosuke ne nous dit rien sur les divinités bouddhiques, et note simplement qu’il a trouvé ce bâtiment « très curieux ». Il a aussi visité un autre endroit très connu, au point de figurer comme passage obligé des périples touristiques de la ville : le monastère du Sengyokuji où reposent les rônin d’Akô. Kuninosuke relate son émotion lorsqu’il pu voir la fontaine où fut lavée la tête de Kira Yoshinaka après son exécution, ainsi que les tombes des vassaux fidèles ; et devant les statues du chef de la conjuration, Ôishi Kuranosuke, celle de son fils et celle d’un autre des 47 rônin, Takebayashi Chûshichi, « on aurait dit qu’elles étaient vivantes, c’en était vraiment étrange », se rappelle-t-il. Mais en dépit de sa passion pour la pièce des « vassaux fidèles », il ne se livre à cette occasion dans son journal à aucune réflexion spéciale concernant la vengeance exercée par ces hommes, ou sur ce thème en général.

52 Les incendies étaient aussi des spectacles qui faisaient courir les badauds de la cité [89], mais assez peu Kuninosuke ; d’ailleurs comme les attroupements à cette occasion gênaient la lutte contre le feu et pouvaient être l’occasion de désordres, le shogounat les interdisait formellement. Kuninosuke a été voir au 6e jour de la 2e lune de 1850 les décombres d’un incendie qui ravagea la zone comprise entre Kôjimachi (n7) et Shiba (n11). Il a aussi contemplé depuis les alentours de Ryôgoku (n27) une inondation sur l’autre rive de la Sumida, dans les secteurs de Honjo et de Fukagawa.

53 À Edo ou dans ses environs, Kuninosuke a parfois effectué des visites à des lieux célèbres en fonction de la saison, pour y admirer plantes ou paysages renommés : à Mukôjima (cerisiers, n103), au sanctuaire de Tenjin de Kameido (glycines, n99), à la villa des pruniers de Yotsuya (n6), à celle de Tabata (pruniers, n81), au monastère Kan’eiji d’Ueno (cerisiers, n74), à Ôkubo (azalées, n2), Nezu (chrysanthèmes, n79), la villa des fleurs d’Asakusa (chrysanthèmes, n76), le temple du Hagidera (lespédèzes, n101), monastère du Kaianji (feuillages d’automnes, n22). Il a aussi été deux fois contempler un site naturel célèbre, celui de Suzaki (n94). Kuninosuke ne s’y est pas rendu à la pleine saison, vers la 3e ou la 4e lune, mais à l’automne ; assis à la devanture d’une maison de thé, il a profité des paysages marins, avec leurs oies survolant les vagues, et la laisse de mer où courraient les crabes.

54 Lors de la fête des cerisiers, Kuninosuke faisait aussi quelques courses. Ceci n’est en rien une particularité du fief de Shônai [90], mais beaucoup de guerriers comme lui étaient férus de jardinage. À la villa des fleurs d’Asakusa (n76), il a ainsi acquis un pot de chrysanthèmes. Et quand il a été voir les azalées d’Ôkubo, il en a achetées en tout 16 plants (12e jour de la 3e lune de 1844) [91] , et avec les deux plants de pruniers qu’il s’était procuré le lendemain, il les a fait envoyer grâce à un fantassin (ashigaru [92]) jusqu’à sa province d’origine. Les plantes acquises à Edo décoraient donc les jardins des guerriers dans leur fief.

55 Tous les endroits que nous venons de voir sont extrêmement connus et figuraient dans les guides de l’époque ; mais la villa des pruniers de Yotsuya (n6) et la villa des pruniers de Tabata (n81), tout comme la villa des fleurs d’Asakusa (n76) étaient des « lieux célèbres » d’un nouveau type, puisqu’ils avaient été conçus dans les années 1834-1836 par des paysagistes et des pépiniéristes qui les géraient également comme des espaces de vente de leurs productions [93]. Kuninosuke a été les voir dés son premier séjour. Quand aux chrysanthèmes de Nezu (n79), il s’agissait de sculptures florales arrangées par des pépiniéristes : l’évènement n’était pas permanent, et là encore, Kuninosuke a dû bénéficier d’informations qui circulaient en ville avant de décider de s’y rendre. À propos des cerisiers de Mukôjima, l’auteur du journal note que « la foule était plus impressionnante que les fleurs » ; il faut dire qu’il s’y était rendu avant la pleine floraison, mais il estime quand même que « les cerisiers de la Sumida ne valent pas leur réputation ». On voit que là encore, Kuninosuke considérait ces lieux célèbres et les évaluait d’après une image qu’il s’en était faite avant d’aller les contempler, sans doute en partie grâce à des estampes ou des échos recueillis dans des ouvrages de tout type.

56 Les seuls endroits qu’il a visité chaque année à la saison où leurs paysages était les plus réputés, sont le monastère Kan’eiji d’Ueno (n74), pour ses cerisiers, à la seconde ou à la 3e lune du printemps, et le Kaianji (n22), connu pour ses feuillages d’automne. Sans doute a-t-il choisi ces deux monastères parce qu’ils étaient les plus proches de la résidence de Shônai. La première fois qu’il y a été admirer les cerisiers, ce fut un échec car « le meilleur moment pour voir les fleurs était déjà passé, et peut-être à cause du vent qui avait soufflé depuis le matin, il n’y avait personne ». Mais les fois suivantes, il put à loisir admirer les arbres en pleine floraison, et même s’il note qu’« il a horreur de ces ivrognes qui traînent dans la foule », il se souvient d’une de ses visites en ces termes : « c’était le bon moment pour voir les fleurs, le nombre de spectateurs et les fleurs elles-mêmes étaient tout les deux fantastiques » (troisième séjour, 20e jour du 2e mois de 1850). Il remarque aussi la foule « énorme » en 1854. Toutefois, Kuninosuke n’appréciait peut-être pas trop cette ambiance car il se contentait de regarder les cerisiers puis de repartir. Quant au Kaianji, c’était le plus réputé des paysages d’automne à l’intérieur d’Edo. Là encore à sa première visite, Kuninosuke rata le meilleur moment car il s’y rendit quand les feuilles des arbres étaient déjà à moitié tombées, mais en dépit de cela l’endroit était encore assez animé, et il put jouir de la vue de la baie d’Edo et du mont Fuji entre les feuillages d’automne. Ces paysages lui ont laissé un souvenir ému, puisqu’il qualifie l’endroit de « merveilleux » et de « superbe ». Il en profité pour passer dans deux maisons de thé, et acheté des cadeaux en paille tressée [94]. Le Kaianji dut décidément lui plaire, puisqu’il y retourna encore trois fois admirer les paysages d’automne (en 1846, 1849, 1853, toujours à la 10e lune), et qu’il nota encore à plusieurs reprises le plaisir qu’il y a pris. À chaque fois, visiblement soucieux de sa mise, il s’est apprêté avant de se rendre au monastère dans la maison de thé Kamaya, à Minami-Shinagawa (voir supra, p. 48).

57 Le fait que certains endroits n’ait été visité qu’une fois est dû sans doute à la distance par rapport à la résidence, et aux restrictions de durée qui pesaient sur les sorties des vassaux de Shônai (il note ainsi que la villa des pruniers de Tabata était « un peu loin ») ; mais les choix de Kuninosuke y sont aussi pour quelque chose. Outre sa déception déjà signalé pour Mukôjima, on relève qu’après sa visite à la villa des pruniers de Yotsuya que l’endroit « est merveilleux, et que ni Mukôjima ni Kameido ne le valent » (21e jour de la 1re lune de 1844), et à propos du Hagidera, il trouvait qu’il y avait « trop de lesdépèzes ».

Curiosités personnelles

58 Deux destinations de sorties de Kuninosuke reflètent une curiosité plus personnelle. Tout d’abord, il s’est rendu à 17 reprises au château d’Edo (n38). Les portes Sakurada, Ôte et Nishinomaru-Ôte, étaient celles par lesquelles les daimyô étaient autorisés à entrer dans le château ou à en sortir. Une pancarte à l’entrée ordonnait de mettre pied à terre, et de descendre de palanquin ou de cheval : les daimyô devaient donc s’exécuter, et laisser leur escorte aux portes du château avant d’y pénétrer. À cet endroit, on pouvait venir regarder les suites seigneuriales, et c’était devenu un passage touristique obligé pour les voyageurs venus de province. Les esplanades devant les entrées du château d’Edo étaient donc toujours encombrées non seulement par les escortes qui attendaient leurs maîtres et la foule venue les contempler, mais aussi par des vendeurs de guides qui permettaient de reconnaître les différentes maisons guerrières (bukan), des baraques en plein air où l’on prenait collations ou rafraîchissements, et autre petits marchands et camelots en tous genres. À sa première visite, Kuninosuke, qui avait sauté son petit-déjeuner, avait tellement faim qu’il a d’ailleurs acheté sur place une petite pâtisserie (premier séjour, 1er jour de la 7e lune). Les documents iconographiques qui nous dépeignent le public dans ces endroits y représentent des guerriers, ce qui montre que les vassaux manifestaient apparemment un intérêt tout particulier pour ce spectacle. On ne s’étonne donc pas que Kuninosuke l’ait lui aussi apparemment apprécié, et qu’il s’y soit rendu fréquemment avec des compagnons. D’ailleurs, les membres de la maison Tôyama, des guerriers de haut-rang du fief de Hachinohe dont il a été question plus haut, en 10 années passés à Edo, n’y ont manqué que pour un seul de leurs tours de service. On peut donc en conclure que la curiosité de Kuninosuke pour la « descente de cheval » (en fait le plus souvent de palanquins) des daimyô avait un lien avec sa charge de chef d’escorte [95]. Il eut lui-même l’occasion d’accompagner son seigneur lorsque ce dernier allait présenter ses hommages au château, et dût donc se trouver dans la même situation que les suites de daimyô qu’il contempla en spectateur. Signalons que Kanai Kuninosuke a assisté également à trois reprises aux cortèges shogounaux qui se rendaient au Kan’eiji, le temple familial de la branche aînée des Tokugawa.

59 D’autre part, au 9e jour de la 4e lune de 1844 (premier séjour), avec quatre collègues, il a été visiter les temples du Chôshôji de Mita (n16) et du Tôkaiji (n20). Leur but était en fait de rendre hommage au célèbre confucianiste Ogyû Sorai, un sentiment bien digne de l’ancien directeur de l’école seigneuriale de Shônai, dont les enseignements reposaient sur ceux de Sorai et de ses disciples. La tombe de Sorai se trouvait au Chôshôji, voisine de celles de son gendre Ogyû Kinkoku, du fils de ce dernier Ôgyu Hômei, et d’un disciple, Andô Tôya, dont Kuninosuke a pu admirer les inscriptions funéraires. Quant au Tôkaiji, il y est passé après une sortie d’agrément à Goten’yama (n19), pour y voir la tombe du disciple préféré de Sorai, Hattori Nankaku. À cette occasion, Kuninosuke trouva également les tombes d’un des fils de Nankaku, Hattori Genkei, et une pierre tombale gravée par le savant et poëte Katô Chikage, celle de Kamo no Mabuchi, lui aussi poëte, mais surtout fondateur des « études nationales » (kokugaku) [96].

60 Comme on le voit, Kanai Kuninosuke, en dépit des restrictions qui pesaient sur ses sorties, n’a pas répugné quand l’occasion se présentait, aux excursions touristiques pendant son séjour à Edo ; et avant même ses premières visites, il s’était déjà formé une idée plus ou moins exacte des endroits célèbres de la ville, en particulier grâce aux estampes semble-t-il. Mais il serait plutôt oiseux de déterminer s’il s’agissait là d’un comportement de « provincial », ou tout au contraire, s’il faut y voir un signe d’inclusion dans une culture populaire de la cité. D’ailleurs, par certains côtés, sa position de guerrier lui permettait même de profiter de loisirs typiques de la cité, culinaires par exemple, que le petit peuple d’Edo devait avoir du mal à s’offrir. Cependant, outre le fait que Kuninosuke avait lui-même ses propres préférences, son rang à tenir, les contraintes de service, et sans doute surtout, le souci de sa réputation, ses moyens financiers aussi, l’empêchaient vraisemblablement de se transformer en habitué des lieux de plaisirs, à supposer qu’un confucéen aussi sérieux en ait seulement eu la tentation. Un autre point intéressant est que le séjour à Edo n’entraînait pas pour lui la renonciation à certaines habitudes auxquelles il s’adonnait dans son fief d’origine, comme la pêche, ou comme nous allons le voir, la dégustation de gibier à plumes.

Divertissements et sociabilités au sein de la résidence seigneuriale

61 Comme les guerriers en poste à Edo ne pouvaient pas sortir très fréquemment ni pour très longtemps, leur vie au sein de la résidence de leur fief prenait d’autant plus d’importance. Voyons un peu ce qu’il en était pour Kuninosuke lors de son premier séjour. Durant les 305 journées répertoriées dans le journal, il a visité 74 fois des collègues, et des collègues se sont rendus 21 fois chez lui, ce qui représente en gros une rencontre tous les trois jours. Ces visites avaient lieu souvent le soir, et étaient en général l’occasion d’un repas. Le plat consommé consistait fréquemment dans des « soupes » (shiru), agrémentées de poissons (16 fois), de tofu (une fois) ou de volatiles (12 fois), frais ou salés. Il est courant de dire que les Japonais de l’époque d’Edo ne consommaient pas de viande, mais en réalité, dans sa province d’origine, Kuninosuke prenait part à des parties de chasse, dont le gibier était préparé de la même manière, en soupe : la viande de volatiles n’était donc en rien une rareté pour lui. Celle qu’il consommait à Edo lui était fournie par des connaissances qui arrivaient de Shônai, ce qui pour tous ces guerriers devait donner à ces repas un petit goût de leur terroir d’origine [97]. Mais c’est à Edo que pour la première fois Kuninosuke a consommé de la viande de porc, le 25e jour de la 8e lune de 1849.

62 Dans la résidence, pour se distraire, il disputait des parties d’échecs japonais et de go. Il le note cette année-là pour 4 jours concernant les échecs, et 9 jours pour le go. Certaines parties d’échecs se disputaient en tournois par équipes de quatre compétiteurs, d’autres donnaient lieu à des paris, raisonnables cependant, puisque l’enjeu était des « patates douces et des mandarines » (23e jour de la 11e lune de 1843) : on prenait donc soin que ces jeux servent bien à entretenir les relations humaines, et non à les perturber. D’ailleurs les lois du pays prohibaient les jeux d’argent, à plus forte raison encore pour les guerriers. Kuninosuke et ses partenaires disputaient des parties passionnées jusque tard dans la nuit ; mais comme les partenaires étaient toujours les mêmes, chacun finissait par connaître parfaitement les tactiques de son adversaire, et il semble bien qu’il ait été difficile de jouer des coups décisifs.

63 La résidence connaissait également des occasions régulières de se rassembler : la « réunion des collègues » qui avait lieu environ trois fois par mois, et qui permettaient aux guerriers en poste à Edo d’entretenir des relations de familiarité (5 mentions dans le journal), et une sorte de cercle d’études du Canon de la poësie, un des classiques chinois sur lequel le confucianisme basait son enseignement (10 mentions). Ces réunions avaient lieu régulièrement dans la chambre d’un des membres, à tours de rôle. Le cercle d’études sur le Canon de la poësie débuta après l’achat d’un exemplaire de cet ouvrage par Kuninosuke chez son libraire de Hikagechô, Okadaya : il débuta à trois personnes (25e jour de la 7e lune de 1843), auxquelles vint s’adjoindre une quatrième un peu plus tard. Les membres de ce cercle, en dehors de la lecture du texte, entretenaient aussi leurs relations mutuelles par des repas ou d’autres occasions de rencontre. Ce cercle d’études sur le Canon de la poësie se poursuivit pendant le second séjour de Kuninosuke ; mais on trouve également dans son journal, suivant les années, mention d’autres cercles du même genre, pour la lecture du Livre des mutations (premier séjour), du Livre des documents (3e séjour, 1848), de la Relation de Zuo des Printemps et des Automnes (3e séjour, 1849-1850), ou du Mencius. Il s’agissait de classiques confucéens qui en outre, pour le Canon de la poësie, les Printemps et les automnes et le Mencius, servaient de manuels dans l’école du fief de Shônai [98].

64 Ces liens de sociabilité à l’intérieur de la résidence seigneuriale se limitaient cependant à des guerriers du même fief. À la 4e lune de 1849 (3e séjour), Kuninosuke demanda bien à un célèbre calligraphe d’Edo, Ichikawa Beian, de lui confectionner une œuvre qu’il fit monter en kakejiku [99], et expédier à Shônai. Mais comme il paya Beian par l’intermédiaire d’un de ses collègues de la résidence, un certain Katô, il semble bien que Kuninosuke n’a pas rencontré personnellement cet artiste. De même en 1850, c’est encore par l’entremise d’un de ses collègues qu’il a demandé à Suzuki Rangai, un guerrier du fief de Yonezawa, de lui dessiner un tableau. Et même s’il arrivait parfois que soit invité à la résidence seigneuriale un artiste pour des performances consistant à dessiner le plus rapidement possible (sekiga), il s’agissait soit d’un individu au service du fief de Shônai, soit de quelqu’un qui en était originaire. En fin de compte, dans le journal de Kuninosuke, la seule fois qu’un guerrier d’un autre fief est signalé être venu à la résidence de Shônai pour prendre part à des distractions, concerne un champion de go, invité à disputer des parties.

65 On remarque aussi que les relations de familiarité qu’entretenait Kuninosuke au sein de la résidence du fief s’établissaient surtout avec des guerriers de rang et de revenus similaires aux siens, et qu’en outre il ne s’agissait pas du personnel permanent du fief à Edo (jôzume), mais de vassaux en poste comme lui pour des durées déterminées (kinban-bushi). Il en allait de même pour les compagnons de ses sorties. Lors de son premier séjour, on relève 56 noms d’autres vassaux dans son journal, mais parmi eux, seuls 7 faisaient partie du personnel permanent, et encore ne les a-t-il rencontrés qu’une ou deux fois. Et il semble n’avoir même pas entretenu de relations particulières avec les membres du personnel permanent qui occupaient les mêmes fonctions que lui.

66 On peut donc dire que l’ampleur des relations qu’entretenait Kuninosuke au sein de la résidence seigneuriale était assez limitée. Pour un savant comme lui, on s’attendrait à ce qu’Edo ait offert de multiples occasions de rencontres enrichissantes, mais en fait, même dans la capitale shogounale, ses échanges culturels demeuraient dans le cadre du fief. Dans le journal qu’il tenait quand il était dans sa province, on retrouve les mêmes cercles d’études ou parties de go jusqu’à des heures indues, et on peut donc dire de la vie de Kuninosuke dans la résidence d’Edo, qu’elle se situait dans le prolongement de celle qu’il menait dans le fief de Shônai. Il n’y a même pas de différences dans la fréquence des visites effectuées par ou chez des particuliers, mis à part le fait que, bien entendu, à Shônai, les parents et quelques individus sont plus présents ; mais surtout, les réunions entre collègues semblent avoir été plus rares [100]. On conçoit d’ailleurs aisément que la vie de célibataire et les contraintes de service qui s’imposaient à Kuninosuke et à ses collègues, aient renforcé leurs liens lors de leurs séjours à Edo.

67 Je souhaiterais pour conclure, réfléchir sur les relations qu’entretenaient avec la société urbaine d’Edo, les guerriers qui résidaient temporairement à Edo, en gardant en tête également les renseignements concordants tirés des journaux qu’ont tenu pendant 10 ans les Tôyama père (Tamuro) et fils (Shôshichi), deux vassaux de haut rang du fief de Hachinohe.

68 On raconte souvent que ces guerriers prenaient du bon temps à Edo, mais en réalité, les contraintes de service ne leur permettaient de disposer librement d’une bonne partie de leur journées ; et leurs sorties devaient par conséquent se restreindre souvent à des distances limitées de moins de deux kilomètres. Toutefois, une fois arrivés à la capitale shogounale, ces guerriers sacrifiaient quand même aux visites touristiques de ses curiosités, qu’il s’agisse de monuments, de spectacles ou de fêtes saisonnières auxquelles d’ailleurs le reste de la population d’Edo prenait aussi part. Ils les choisissaient en fonction d’informations que leur dispensaient guides et ouvrages littéraires, ou encore les estampes, mais aussi de celles que leur communiquaient leurs camarades. Comme le montre les remarques plus ou moins enthousiastes ou critiques de Kuninosuke, les livres et représentations imprimées façonnaient chez ces provinciaux des images stéréotypées d’Edo, alors même qu’ils ne connaissaient pas encore la cité, mais ils n’en restaient pas prisonniers, et ils pouvaient prendre ensuite leurs distances avec les réputations qui se forgeaient dans la cité des Tokugawa. Aussi l’offre pléthorique de « lieux célèbres » de la capitale shogounale, source de nombreuses activités commerciales, faisait qu’innovations et inventivité s’avéraient parfois nécessaire pour maintenir leur popularité et leur attractivité. Et Kuninosuke participait lui aussi à cette construction perpétuelle des vogues et des réputations qui formaient le socle de la culture de la capitale shogounale, au même titre que les autres habitants de la cité.

69 Si l’on considère l’activité d’un Kuninosuke à Edo, on s’aperçoit qu’elle se concentrait dans un périmètre constitué par les quartiers environnant la résidence de Shônai où il pouvait trouver les services de la vie quotidienne, comme les bains publics ou le coiffeur, les restaurants, les boutiques pour acquérir des objets communs ou coûteux, et même des distractions. Ceci n’a en soi rien de surprenant, mais la connaissance que les guerriers avaient de cet espace était commune non seulement aux collègues de service à Edo, mais également à leurs familles demeurées en province. Bref, avant même que ces vassaux ne montent de leur province à Edo, ils y avaient déjà « leur » quartier dont ils pouvaient connaître rapidement toutes les commodités. De ce point de vue, les vassaux envoyés pour des durées déterminées accomplir un service dans la capitale shogounale ne nous apparaissent pas spécialement comme des provinciaux un peu niais et tout désorientés par la grande ville.

70 Toutefois, on remarque que les liens avec le reste de la population du quartier paraissent s’être limités aux échanges économiques avec les commerçants, et on ne repère pas chez un guerrier comme Kuninosuke de relations de sociabilité ou de loisirs, non plus qu’une participation à des activités culturelles le mettant en rapport personnel avec des habitants de la cité. Même à l’intérieur de la résidence, les amitiés se nouaient apparemment plus facilement entre guerriers provisoirement affectés à Edo, qu’avec les vassaux qui y résidaient en permanence. Par certains côté, la résidence seigneuriale fait penser à une caserne militaire, à la fois au centre d’un espace urbain, mais aussi à part de son environnement immédiat, et isolant quelque peu ses membres par rapport au reste de la société citadine. Cette insertion bien réelle, mais malgré tout particulière, dans la vie du quartier, le fait que beaucoup de sorties se soient effectuées entre collègues venus du même fief, et que certains de leurs loisirs ou modes de consommation se soient situés dans la droite ligne des habitudes qu’ils avaient prises au pays, devaient faire de ces samouraïs un type particulier et assez aisément repérable à Edo, que les habitants de la cité ont finit par ranger dans la catégorie dévalorisante à leurs yeux des « provinciaux » (inakamono).

71 Mais les guerriers en résidence temporaire à Edo étaient en réalité un des éléments constitutifs et caractéristiques de la société de cette métropole, à la vie et à l’activité de laquelle ils participaient, et qui jouaient de surcroît un rôle très important dans la construction et la diffusion de ses représentations. Les relations que ces guerriers entretenaient avec l’environnement urbain, en particulier concernant la vie économique et l’offre de services, diffèrent de celles que Yoshida Nobuyuki a mises en évidence concernant les résidences seigneuriales ou les maisons de daimyô, en tant qu’institutions, et il y a sur ce sujet encore bien des points à éclaircir. Quant à des liens plus profonds qui pouvaient s’établir entre population guerrière des résidences seigneuriales, et population civile des quartiers bourgeois, ou même, au sein des palais des daimyô, entre vassaux de rangs différents, peut-être vaudrait-il mieux les chercher parmi le personnel des officiers qui demeuraient à Edo, souvent plusieurs générations de suite, pour servir leur fief (les « permanents », jôzume) [101] , ou encore parmi les catégories de rang inférieur, comme les fantassins ashigaru, ou les valets d’armes, à propos desquels d’ailleurs la recherche historique fait en ce moment de grands progrès. Ce sont là des hypothèses qui devraient nourrir mes futurs travaux [102].

72 Texte traduit du japonais par Guillaume Carré


Date de mise en ligne : 01/02/2011

https://doi.org/10.3917/rhu.029.0027

Notes

  • [*]
    Les noms de personnages japonais, dans le corps du texte et les références bibliographiques, sont donnés dans l’ordre japonais, c’est-à-dire le nom de famille en premier, et le nom personnel (équivalent du prénom) ensuite. (Ndt)
  • [1]
    . Les « villes seigneuriales » (en japonais « villes sous le château », jôkamachi), sont un modèle urbain développé au tournant des XVIe et XVIIe siècles, et qui structura l’urbanisation accélérée du pays durant cette période. La ville était conçue autour du château seigneurial, auprès duquel étaient installés les vassaux, avec une population de marchands et d’artisans chargés d’entretenir l’ensemble. En tant que capitale shogounale, Edo était la plus grande ville seigneuriale de l’archipel (Ndt).
  • [2]
    Les hatamoto (litt : les hommes « au pied de la bannière ») étaient des vassaux directs du shogoun, dotés d’un fief ou de revenus féodaux, et qui jouissaient d’un droit d’audience auprès du shogoun. Les gokenin ou « hommes-lige » (litt : « les hommes de la maison [shogounale]) appartenaient à une catégorie inférieure, dépourvue du droit d’audience, et qui couvrait des catégories assez diverses, depuis des petits guerriers, jusqu’à des sortes de domestiques (Ndt).
  • [3]
    Les daimyô étaient les grands seigneurs du pays, pourvus d’un fief dont les revenus nominaux estimés étaient égaux ou supérieurs à 10 000 koku de riz (1 koku = environ 180 L). Ils entretenaient leur propre vasselage, et géraient leurs territoires sur un mode autonome (Ndt).
  • [4]
    Yoshida Nobuyuki, Kyodai jôkamachi Edo no bunsetsu kôzô [La structure modulaire de la ville seigneuriale géante d’Edo], Tokyo, Yamakawa shuppansha, 1999.
  • [5]
    Voir, notamment, Iwabuchi Reiji, Edo buke-chi no kenkyû [Recherches sur les terrains guerriers d’Edo], Tokyo, Hanawa shobô, 2004.
  • [6]
    « Edokko » (« le p’tit gars d’Edo ») est le nom familier donné encore maintenant aux habitants de Tokyo, et qui renvoie à certaines images de la vie et de la mentalité des quartiers populaires (shitamachi). On prétend toutefois qu’il faut trois générations de résidence continue pour faire un vrai edokko. (Ndt).
  • [7]
    Voir Yamamoto Hirobumi, Edo kinban bushi no seikatsu [La vie d’un guerrier en poste à Edo], Tokyo, Chûôkôronsha, 1997. Voir aussi Hara Fumihiko, « Edo ni okeru bushi no shôhi seikatsu » [Vie quotidienne et consommation des guerriers à Edo], Rekihaku n94, 1999.
  • [8]
    Les guerriers étaient titulaires de revenus féodaux tirés de la production agricole (chigyô) ou de pensions ; leur montant exprimé en volume de riz était l’une des manifestations de leur rang dans la hiérarchie de leur ordre (Ndt).
  • [9]
    Lorsque nous donnons les dates suivant le système de noms d’ères en usage à l’époque d’Edo, nous indiquons d’abord le nom d’ère, puis le numéro de l’année (Ndt).
  • [10]
    En 1840, le fief de Shônai comptait 600 vassaux (dont 80 en poste permanent à Edo) et 2 235 hommes dans son vasselage (c’est-à-dire y compris des personnages comme les fantassins ashigaru, embauchés par le fief et non pourvus de dotations féodales) ; ceci correspondait, en comprenant leurs familles, à un total de 3 066 personnes pour les vassaux et de 8 397 pour le reste du vasselage (chiffres de 1841). À la fin du shôgunat, cela représentait une part du vasselage (familles comprises) par rapport à la population totale du fief d’un peu plus de 6 %, mais seulement 1 , 7 % en ne prenant en compte que les seuls vassaux.
  • [11]
    . Voir Tsuruoka-shi shi [Histoire de la ville de Tsuruoka], vol. 1 (1962), Saitô Seiichi, Shônai-han [Le fief de Shônai], Tokyo, Yoshikawa kôbunkan, 1990, p. 23-24. Deux tiers des guerriers de Shônai avaient des dotations inférieures aux 100 ou 130 koku de l’auteur du journal. D’autre part, les chefs d’escortes jouissaient d’avantages protocolaires spéciaux au château seigneurial : on peut donc dire que Kanai Kuninosuke était un guerrier de rang moyen.
  • [12]
    O-azukarichi-daikan : cet intendant était chargé d’administrer les affaires civiles sur des territoires que le shôgunat avait confiées provisoirement à une autre autorité.
  • [13]
    Rappelons que les dates à l’époque d’Edo étaient déterminées en fonction d’un calendrier lunaire : la douzième lunaison d’une année se trouve donc au début de l’année du calendrier grégorien (soit ici 1843). Nous garderons cependant l’expression « 12e lune de 1842 » pour des raisons de commodité. (Ndt)
  • [14]
    Kanai-ke ryakukeizu, senzô « tsutomegaki », « o-bungenchô » (Bibliothèque municipale de Tsuruoka).
  • [15]
    Conservés à la Bibliothèque municipale de Tsuruoka. Les sept cahiers, tous du même type, sont écrits d’une écriture uniforme, avec un texte qui se poursuit là où il devrait y avoir des sauts de lignes. Certains passages indiquent d’autre part clairement qu’il ne s’agit pas là du document original, mais d’une copie, datant sans doute de l’ère Meiji. Après 1863, l’année 1865 manque et l’année 1866 ne figure que sous forme fragmentaire, mais la durée exacte de la tenue du journal est inconnue. Kuninosuke a pris sa retraite en 1868, et son frère aîné Danshirô avait fait de même dès 1866 (Shônai jinmei jiten [Dictionnaire des personnalités de Shônai], Shônai jinmei kankôkai, Tsuruoka, 1986). C’est chez ce dernier que furent rassemblés les papiers de famille, et il est possible que la copie ait été effectuée par un des membres de la maison de Danshirô.
  • [16]
    Le motif d’une autre absence lors du troisième séjour était une mission effectuée par le seigneur de Shônai, envoyé à Kyôto auprès de Hideko, fille du défunt Grand Chancelier (kanpaku) Ichijô Tadayoshi et promise du shogoun Iesada ; lors du quatrième séjour, Kuninosuke dut rentrer dans son fief d’origine pour y escorter les restes du précédent seigneur décédé.
  • [17]
    Les terrains détenus par les fiefs à Edo se répartissaient entre trois catégories : la résidence principale où résidait le seigneur ; la résidence intermédiaire où logeait une partie de la famille du daimyô, et qui pouvaient également servir de refuge en cas de destruction de la résidence principale par le feu ; les « résidences annexes » servaient pour diverses installations de maintenance, ou encore des jardins ou villas d’agrément. Tout ces terrains étaient des dons du shogounat qui pouvait en disposer à tout moment, et ils n’étaient pas cessibles ni ne pouvaient, en principe, faire l’objet d’une transaction. Quand le besoin s’en faisait sentir, les fiefs achetaient ou louaient aussi des parcelles (kakae-yashiki), souvent en bordure de la cité, pour remplir des fonctions analogues à celles des « résidences annexes ». (Ndt).
  • [18]
    Nous tirons ce renseignement d’un document (O-tomogashira tehikae, Bibliothèque municipale de Tsuruoka) concernant le fief de Shônai entre 1830 et 1844, mais on pense qu’il devait en être de même à Edo. Les autres informations viennent du journal de Kuninosuke.
  • [19]
    Nous avons des renseignements sur ce point pour 55 journées : cinq mentionnent des temps de service de deux heures, neuf de trois heures, et le reste, soit les trois-quarts, est supérieur à quatre heures.
  • [20]
    Par exemple, le journal ne retient qu’onze journées mentionnées pour cette mission jusqu’à la 6e lune de 1850, mais si l’on s’en tient à la citation qui récompensa Kuninosuke, il avait rempli cette charge de maître des cérémonies pendant 70 jours jusqu’à cette date.
  • [21]
    . Le kaô était une sorte de monogramme qui remplissait le rôle d’une signature pour les documents importants. (Ndt)
  • [22]
    Sont compris dans ce rayon de deux kilomètres Ryôgoku (n27) et Kyôbashi (n65). Mais bien que Kôjimachi (n7) soit aussi situé à vol d’oiseau à une distance de moins de deux kilomètres de la résidence principale de Shônai, puisqu’il fallait pour s’y rendre contourner le château d’Edo, le trajet était considérablement rallongé et je ne l’inclus donc pas dans la zone des 2 km.
  • [23]
    Voir Iwabuchi Reiji, « Hachinohe-han Edo kinban bushi no nichijô seikatsu to kôdô » [Vie quotidienne et activité d’un guerrier du fief de Hachinohe en poste à Edo] dans Kokuritsu rekishi hakubutsukan kenkyû hôkoku, 138, 2007.
  • [24]
    Nikki tôto zaikinchû, Bibliothèque municipale de Tsuruoka, fond Ishihara Shigetoshi. Ce personnage avait atteint le rang de Chef de la garde (bangashira) en 1868.
  • [25]
    Il est fréquent que les « déambulations » de Kuninosuke aient amené des « achats » ; il est arrivé aussi que pour une raison ou pour une autre, il fasse une mention spéciale dans son journal pour un endroit où il n’avait fait que passer.
  • [26]
    Les « lieux célèbres » (meisho) étaient les endroits réputés pour leur beauté ou leur pittoresque, et dont la popularité était assurée par leur diffusion de toute une littérature ou iconographie. Il pouvait s’agir d’édifices religieux ou de paysages à telle ou telle saison, de secteurs dévolus aux divertissements (quartier de plaisir ou des théâtres) mais aussi de commerces célèbres (le marchand de tissus d’habillement Echigoya à Edo), de quartiers animés (un marché par exemple), d’emplacements de spectacles forains, voire de lieux où se déroulaient des évènements particuliers, comme les cortèges de daimyô. (Ndt)
  • [27]
    Jizô (sanskrit : K?itigarbha) est une divinité du panthéon bouddhique particulièrement populaire au Japon. Fréquemment représenté sous la forme d’un jeune moine, il est devenu de ce fait un protecteur des enfants (Ndt).
  • [28]
    Le rakugo est un spectacle de conteur, prenant souvent pour thème la vie quotidienne des citadins et des marchands. (Ndt)
  • [29]
    Le Tôkaidô était la grande voie qui reliait Edo au Kansai, en suivant en partie la côte Pacifique. Le point de départ des principales routes shogounales était le pont de Nihonbashi, au cœur de la capitale shogounale, et le grand boulevard qui partait de cet endroit jusqu’à la sortie sud d’Edo (secteur de Shinagawa) constituait donc une partie du Tôkaidô. (Ndt)
  • [30]
    Nous traduisons ainsi le terme de « chô-ôdana » forgé par Yoshida Nobuyuki (rendu en anglais par « monster-shop »). Les grandes maisons de commerce (ôdana), entreprises familiales comptant en général plus d’une dizaine d’employés, formaient l’ossature de la société marchande des villes japonaises sous le régime des Tokugawa. Par le concept de « super-boutique » Yoshida Nobuyuki désigne des établissements d’une taille exceptionnelle, pouvant compter plusieurs dizaines, voire centaines d’employés, avec une grosse surface pour la vente et le stockage des marchandises, qui sont apparus dans le Japon de la seconde moitié du XVIIe siècle. (Ndt)
  • [31]
    . Le hanami (« contemplation des fleurs ») est une fête familiale ou entre amis, organisée à l’occasion de la floraison des cerisiers. (Ndt)
  • [32]
    Voir Iwabuchi Reiji, « Hachinohe-han Edo kinban bushi no nichijô seikatsu to kôdô », op. cit.
  • [33]
    Voir Kitagawa Morisada, Kinsei fûzoku-shi, [Monographie sur les mœurs des temps récents], Iwanami shoten, Tokyo, 1996, p. 176.
  • [34]
    En dehors d’Okadaya, Kuninosuke a également acheté au moins 6 fois des livres chez des libraires d’Ueno-Yamashita, Asakusa-mae ou Toyoshimachô, tous situés dans la zone 3. Là encore, il n’est question que d’ouvrages confucéens. Mais il ne devait pas s’agir de boutiques où il avait ses habitudes, et d’autre part, il n’est signalé nulle part que leur personnel se soit rendu à la résidence de Shônai pour affaires : Okadaya devait donc bien être le centre d’achat privilégié de l’auteur du journal.
  • [35]
    Il s’agit de poupées qui servent de décorations lors de la fête calendaire des petites filles (hina-matsuri), le 3e jour de la 3e lune. (Ndt)
  • [36]
    Le monme était une unité pondérale et une unité monétaire pour l’argent (monnaie pesée) valant 3,75 g. À Edo, contrairement aux grandes cités du Kansai, le métal monétaire de référence était d’habitude l’or et non l’argent, mais le journal nous montre que les sommes moyennes, trop faibles pour les règlements en or, trop élevées pour les pièces de cuivre, pouvait être payés en argent (Ndt).
  • [37]
    Mizuno Tadakuni (1794-1851), seigneur des fiefs de Karatsu, puis de Hamamatsu, fut l’homme fort du gouvernement shogounal de 1841 à 1844. Parvenu au pouvoir à la suite de la grave crise sociale et politique provoquée par la famine de l’ère Tenpô, il entreprit de mettre en place un train de réformes réactionnaires et visant à réaffirmer l’autorité shogounale et sa puissance. Il chercha en particulier à renforcer la cohérence des possessions du shôgunat, et tenta d’imposer des échanges de territoires entre plusieurs fiefs, dont celui de Shônai. Cette politique suscita une opposition violente même au sein du vasselage Tokugawa, et sa politique rigoriste le rendit très impopulaire : aussi sa chute en 1843 fut-elle accueillie comme un soulagement, en particulier à Edo. L’échec des réformes de Mizuno Tadakuni signait l’incapacité du régime shogounal à surmonter ses contradictions pour mettre fin à la crise de régime, alors même que la pression occidentale se faisait de plus en plus menaçante. La reprise par le shôgunat des terrains de la résidence annexe du fief de Shônai à Yanagihara était apparemment la conséquence de l’affrontement entre Misuno Tadakuni et la maison Sakai. (Ndt)
  • [38]
    Les lieutenants généraux en poste à Edo étaient, en l’absence du seigneur, chargés de la direction de l’administration de leur fief d’origine installée dans la capitale. (Ndt)
  • [39]
    Ces palmarès (banzuke), souvent conçus sur les modèles des classements des championnats de sumo, étaient des imprimés qui dressaient les listes des réputations dans une catégorie précise, professionnelle par exemple. (Ndt)
  • [40]
    Le donburi est un grand bol de riz sur lequel on pose d’autres aliments. (Ndt)
  • [41]
    . Le mon est l’unité monétaire pour les pièces de cuivre (sapèques), monnaie qui servait aux dépenses quotidiennes. (Ndt)
  • [42]
    « Edo mae ôkabayaki », Edo fûryû kamikusuro, sono ichi, Musée du théâtre, Université de Waseda.
  • [43]
    L’anguille est censée avoir des vertus fortifiantes. (Ndt)
  • [44]
    Voir Saitô Seiichi, Shônai-han [Le fief de Shônai], op. cit., p. 222.
  • [45]
    Le chazuke est une préparation à base de riz et de condiments sur lesquels est versé du thé vert chaud. (Ndt)
  • [46]
    Comme exemple de classements on peut citer celui de la « Restauration rapide ou de réception » (Sokuseki kaiseki o-ryôri), et pour les estampes, la série de Hiroshige intitulée « Les restaurants célèbres d’Edo » (Edo kômei kaitei-zuskushi).
  • [47]
    Les réformes de l’ère Tenpô sont celles entreprises par le gouvernement de Mizuno Tadakuni. Voir supra note 37 (Ndt).
  • [48]
    Le sugoroku est à l’origine une sorte de tric-trac (ou backgammon). À l’époque d’Edo ont se mit à imprimer des jeux appelés « sugoroku illustrés » dont les principes s’apparentent au jeu de l’oie (Ndt).
  • [49]
    Cette pièce, une des plus fameuses du répertoire, s’inspire d’un célèbre fait divers, l’affaire des 47 ronins d’Akô. Ceux-ci exécutèrent en 1702 Kira Yoshinaka qu’ils considéraient responsable de la mort de leur maître, Asano Naganori, et de la suppression de son fief. Comme les lois de l’époque prohibait la représentation sur scène d’évènements politiques contemporains, les adaptations théâtrales ont transposé l’affaire au Moyen Âge et changé les noms des protagonistes : Kô no Moranao est en réalité Kira Yoshinaka. (Ndt)
  • [50]
    Voir la carte du quartier de Saruwakachô de 1847, dans Kinsei fûzoku-shi, op. cit., vol. 4, p. 67.
  • [51]
    . Naitô Meisetsu, fils d’un guerrier du fief de Matsuyama dans la province d’Iyo, relate que « le théâtre se terminait en soirée, et on devait souvent rentrer sans avoir vu la fin. Les habitués regardaient jusqu’au bout, mais comme ils risquaient de trouver portes closes, il leur fallait soit louer très cher un palanquin, soit courir à toute vitesse depuis Saruwakachô. Et même s’ils perdaient une sandale en chemin, ils n’avaient pas le temps de s’en préoccuper ». (Naitô Meisetsu, Meisetsu jijoden, [Autobiographie] Iwanami shoten, Tokyo, 2001 , p. 37-38).
  • [52]
    Ce théâtre prenait comme prétexte des spectacles publicitaires pour la vente de remèdes. Voir Yoshida Nobuyuki, Mibunteki shûen to shakai = shakai kôzô [Les marges statutaires et les structures socio-spatiales], Buraku mondai kenkyûjo, Kyôto, 2003, Kitagawa Morisada, op. cit., vol. 5, p. 191 . Le terme « odedeko » désignait à l’origine des sortes de poupées ou figurines utilisées par des artistes ambulants.
  • [53]
    Même si l’on prend les valeurs de change la plus élevée pour l’argent et la plus faible pour le cuivre (1841 et 1854), un monme d’argent équivalait à 102 mon en pièces de cuivre (Nihonshi sôkan [Répertoire général de l’histoire japonaise], vol. 4, Shinjinbutsu ôraisha, Tokyo, 1984).
  • [54]
    Le calendrier lunaire en usage au Japon provoquait un décalage avec l’année solaire que l’on comblait périodiquement par l’ajout de mois supplémentaires. (Ndt).
  • [55]
    Voir Kawazoe Yû, Edo no misemono [Les spectacles d’Edo], Iwanami shoten, Tokyo, 2000.
  • [56]
    Le rakugo est un spectacle durant lequel un conteur raconte des histoires généralement centrées autour de la vie des quartiers bourgeois et populaires. (Ndt).
  • [57]
    Voir Saitô Gesshin, Bukô nenpyô [Chronologie d’Edo], coll. Tôyô Bunko, Heibonsha, Tokyo, 1968, vol. 2, p. 103 et 117, Fujiokaya nikki [Journal de Fujiokaya], San’ichi shobô, Tokyo, 1983, vol. 2, p. 417.
  • [58]
    Le kôdan est un autre type de spectacle de conteur, prenant pour sujet des évènements historiques et des personnages célèbres du passé, avec des thématiques politiques ou militaires. (Ndt)
  • [59]
    Fujiokaya nikki, op. cit., vol. 2, p. 405.
  • [60]
    Voir Tsuruokashi-shi, op. cit., p. 812-817.
  • [61]
    . Le Sanjûsankendô était un édifice bouddhique de 121 m (longueur dont il tirait son nom), construit sur le modèle d’un bâtiment de Kyôto. Sa galerie extérieure servait pour le tir à l’arc. (Ndt).
  • [62]
    Voir Tsuruokashi-shi, op. cit., p. 527-529.
  • [63]
    D’après Kitagawa Morisada, dans Kitagawa Morisada, op. cit., l’arrière-cour du monastère d’Asakusa (Sensôji-okuyama, n76), Yokkaichi (n57), l’esplanade ouest de Ryôgokubashi (n27), Atagoyama (n10), le sanctuaire de Myôjin à Kanda (n24), et celui de Kanda-Shinmeigû (n11), étaient des endroits où l’on pouvait pratiquer l’archerie pour ses loisirs, en payant 6 mon de cuivre pour 30 flèches.
  • [64]
    Tôto saiji-ki, vol. 2, Heibonsha, Tôkyô, 1970, p. 130.
  • [65]
    Ibidem, vol. 3, p. 160-165.
  • [66]
    Il s’agissait d’empreintes des plus belles prises, faites à l’encre par les pêcheurs en guise de souvenir. (Ndt).
  • [67]
    Conservées aux archives locales (gyôdo-shiryôkan) de la ville de Tsuruoka. Voir Sankinkôtai [La résidence alternée], Tôkyô-to Edo Tôkyô hakubutsukan, Tôkyô, 1997.
  • [68]
    Le tanago (Tanakia tanago) est un petit poisson d’eau douce de la famille des cyprinidés (qui compte aussi les carpes, carassins, vandoises), que l’on trouve dans les rivières du Kantô. (Ndt)
  • [69]
    Voir Satô Shichirô (éd.), Shônai no tsuri suichôsen [La pêche à Shônai], Honma bijutsukan, Sakata, 1976, Nagatsuji Zôhei, Edo chôgyo daizen [Encyclopédie de la pêche à Edo], Heibonsha, Tôkyô, 1996.
  • [70]
    Entre 1844 et 1845, alors qu’il se trouvait à Shônai, Kuninosuke a noté des parties de pêche pour huit journées, et fait mention quatre fois de dégustation de soupes de poissons à son domicile.
  • [71]
    . Yoshiwara qui se trouvait au cœur de la cité, à côté du quartier des théâtres, jusqu’en 1657, fut déménagé cette année-là à la périphérie de la ville. On l’appela dès lors le « nouveau Yoshiwara ». (Ndt)
  • [72]
    La « décoration de pins » est une cérémonie traditionnelle du nouvel an. Quant aux oiran, elles constituaient la catégorie supérieure des courtisanes de Yoshiwara. On les faisait parader dans des cortèges avec leur suite, comme une sorte d’attraction touristique. (Ndt).
  • [73]
    Voir supra, note 31.
  • [74]
    Voir Naitô Meisetsu, Meisetsu jijoden, [Autobiographie], op. cit., p. 37.
  • [75]
    Les maisons de tolérance exposaient leurs filles derrière des grilles de bois. (Ndt).
  • [76]
    On fumait à l’époque d’Edo à l’aide d’une longue pipe (kiseru), que l’on présentait sur un plateau. (Ndt)
  • [77]
    Voir supra, note 47 (Ndt).
  • [78]
    Les fêtes de Kanda et de Sannô était les deux plus célèbres de la cité, tant à cause de leurs dimensions que du fait qu’elles se déroulaient en présence du shogoun. Les communautés des quartiers bourgeois y formaient un long cortège, où chacune d’entre elles conduisait un char, sur le modèle de la fête de Gion à Kyôto. (Ndt)
  • [79]
    Les ujiko étaient des associations de fidèles d’un sanctuaire shintô, lui-même très lié en général à des communautés de quartiers ou villageoises. (Ndt)
  • [80]
    Les kaichô consistaient dans l’exposition dans un établissement religieux d’une statue ou d’une relique précieuse. C’était un prétexte à l’organisation de kermesses, dont les temples ou les sanctuaires tiraient des revenus (Ndt).
  • [81]
    . Voir supra, note 35.
  • [82]
    Sur ce marché des poupées, voir Iwabuchi Reiji, « Toiya nakama no kinô, kôzô to monjo sakusei, kanri » [Fonctions et structures des corporations de grossistes ; rédaction et gestion de leurs documents], Rekishi hyôron, n561 , 1997.
  • [83]
    Le mont Myôgi, situé dans la province de Kôzuke (actuel département de Gunma), était un site lié au culte syncrétique des montagnes (shugendô) ; sa divinité était à l’époque prémoderne censée protéger des incendies et des orages. (Ndt)
  • [84]
    Enma (sanskrit : Yama) est une divinité d’origine védique, passée comme juge des enfers dans le panthéon bouddhique. (Ndt)
  • [85]
    Il s’agissait de la célèbre épopée, que le récitant déclamait en jouant du biwa (luth japonais). Mais lorsque Kuninosuke s’est rendu à ce spectacle, celui-ci était annulé à cause de la mort de l’Empereur Ninkô, et notre auteur n’a finalement pu rien écouter.
  • [86]
    Benten, abréviation de Benzaiten (sanskrit : Sarasvatî), est une divinité d’origine védique passée dans le bouddhisme, devenu au Japon l’un des sept dieux du bonheur. (Ndt)
  • [87]
    Il s’agit de deux des représentations les plus populaires des « 33 Kannon », c’est-à-dire 33 hypostases différentes du bodhisattva Kannon (skt. Avalokite?vara), une divinité miséricordieuse particulièrement vénérée au Japon, en Corée et en Chine. (Ndt)
  • [88]
    Ces trois endroits étaient parcourus par des itinéraires de pèlerinages dans des temples dédiés à Kannon, avec chacun une statue, ce qui en faisait 100 au total ; en assemblant en un seul endroit leurs répliques, on était censé offrir aux fidèles la possibilité de cumuler en une seule visite les mérites des dévotions dans chacun de leurs temples d’origine (Ndt).
  • [89]
    Un proverbe célèbre dit que « bagarres et incendies sont les fleurs d’Edo ». (Ndt)
  • [90]
    On trouve par exemple aussi des notes concernant l’achat de plantes dans les journaux des Tôyama de Hachinohe. Voir Iwabuchi Reiji, « Hachinohe-han Edo kinban bushi no nichijô seikatsu to kôdô », op. cit.
  • [91]
    Le jardin des azalées de Hyakuninchô à Ôkubo avait été conçu par un vassal de bas rang (gokenin) du shogounat, pour en tirer des revenus ; voir Hirano Kei, Jû-kyû seiki nihon no engei bunka [La culture de l’art des jardins dans le Japon du XIXe siècle], Shibunkaku shuppan, Kyôto, 2006, p. 325. C’est d’ailleurs aussi un gokenin qui a vendu les azalées à Kuninosuke.
  • [92]
    Les ashigaru étaient à l’origine les fantassins qui formaient le gros des armées seigneuriales (piquiers ou arquebusiers). À l’époque d’Edo, ils demeurent aux marges de la condition guerrière, tenant à la fois du militaire, et du valet d’armes. (Ndt).
  • [93]
    Hirano Kei, Jû-kyû seiki nihon no engei bunka [La culture de l’art des jardins dans le Japon du XIXe siècle], op. cit.
  • [94]
    Il s’agit d’objets toujours produits actuellement à Tôkyô et appelés Ômori zaiku : les motifs en paille rehaussée de couleurs servent de décoration pour divers objets. (Ndt)
  • [95]
    Sur les Tôyama, voir Iwabuchi, « Hachinohe-han Edo kinban bushi no nichijô seikatsu to kôdô », op. cit. ; sur le spectacle offert par la « descente de cheval » et sa signification politique pour le shogounat, voir Iwabuchi Reiji, « Edo-jô tôjô fukei wo meguru futatsu no hyôshô. Meishoe to rekishiga no aida » [Deux types de représentations de la visite au château d’Edo : entre lieux célèbres illustrés et peinture historique], Nenpô toshi-shi kenkyû bessatsu, Edo to London [Numéro spécial du Bulletin annuel d’études urbaines : Edo et Londres], Tokyo, Yamakawa shuppansha, 2007.
  • [96]
    Les « études nationales », sont un mouvement à l’origine surtout littéraire, de réévaluation de la culture japonaise, en réaction contre l’hégémonie des modèles chinois. Au XIXe siècle, les courants issus de cette école engendrèrent des écoles de pensée religieuses et politiques nationalistes. (Ndt)
  • [97]
    Durant l’année qui suivit son retour au pays (1844-1845), Kuninosuke note une journée consacrée à la chasse aux oiseaux, et on trouve dans son journal d’autres mentions de chasses destinées à garnir ses soupes. À Edo, il lui est arrivé de se faire expédier de la viande de volatile salée (premier séjour, 17e jour de la 11e lune de 1843) ; il dégustait cette viande avec des camarades de la résidence seigneuriale (3e séjour, 28e jour de la 11e lune de 1849). La soupe à la volaille était aussi de mise à l’occasion de fêtes (second séjour, 16e jour de la 1re lune de 1846).
  • [98]
    Tsuruokashi-shi, op. cit., vol. 1 , p. 367.
  • [99]
    Le kakejiku est une manière d’exposer des calligraphies ou des peintures, collées sur un rouleau de tissu suspendu verticalement (Ndt).
  • [100]
    De retour dans son fief, entre 1844 et 1845, Kuninosuke a noté les évènements de 189 jours dans son journal. Parmi ceux-ci, 70 jours (37%) font mention de visites reçues ou effectuées : 13 fois pour des parties de go, 1 fois pour le cercle d’études sur le Canon de la poësie, une autre fois pour celui sur le Livre des mutations ; les réunions amicales entre collègues avaient lieu en principe le 17e jour de chaque mois (mais pas de mention pour les 9e et 1re lune, et annulation pour la 4e). Il était fréquent que les parties de go se prolongent tard dans la nuit (9e jour de la 11e lune de 1844). On relève aussi des allusions à des communautés de fidèles d’un sanctuaire shintô (2 jours), d’une « confrérie d’Atago » (1 jour), à une possible réunion de quartier (1 jour), et à celle des participants à une tontine, mais on n’en sait pas plus sur ces activités.
  • [101]
    . Voir Iwabuchi Reiji, « Edo no buke shakai to Edo jôfu hanshi. Mô hitotsu no kashindan » [La société guerrière d’Edo et les vassaux affectés permanents dans la capitale shogounale : un autre vasselage], Nenpô toshi-shi kenkyû bessatsu, Edo to Pari, Yamakawa shuppansha, Tôkyô, 2009.
  • [102]
    Cet article est basé en partie sur un texte publié précédemment en japonais : Iwabuchi Reiji, « Edo no buke yashiki. Edo kinban bushi no kôdô to kôsai » [Les demeures guerrières d’Edo. Activité et fréquentations des guerriers en poste à Edo], Nenpô toshishi-kenkyû, n15, Yamakawa shuppansha, Tôkyô, 2007. Je voudrais pour finir exprimer mes remerciements pour toutes les personnes qui m’ont fait bénéficier de leurs avis précieux lors de la rédaction de cet article, à commencer par M. Guillaume Carré et les autres auditeurs de la conférence que j’ai donnée à l’université Paris 7 en mai 2009.

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