Couverture de RHU_025

Article de revue

La « crise invisible » des architectes dans les Trente Glorieuses

Pages 127 à 145

Notes

  • [1]
    Guy Tapie, Élisabeth Courdurier, Thérèse Evette, Bernard Haumont, Les Professions de la maîtrise d’œuvre : architectes, ingénierie technique, économistes de la construction, spécialistes de l’ordonnancement, du pilotage et de la coordination, Paris, Ministère de l’Emploi, 2000.
  • [2]
    Les premiers résultats de ces entretiens ont été exploités dans Dominique Raynaud, « La profession d’architecte face à l’égalitarisme contemporain », The Tocqueville Review, no 29-2, 2008, p. 127-150.
  • [3]
    Gilbert Ramus, « Les mauvais choix français », Passion Architecture, no 1 5, 2005, p. 6-9, cité p. 6.
  • [4]
    C’est-à-dire possédant un code de déontologie, Jean Savatier, La Profession libérale. Étude juridique et pratique, Paris, LGDJ, 1947 ; Lucien Karpik, Les Avocats. Entre l’État, le public et le marché, XIIIe-XXe siècles, Paris, Gallimard, 1995, p. 255 ; Marie-Anne Frison-Roche, « Déontologie et discipline dans les professions libérales », Les Professions libérales (IIes Journées de l’Association H. Capitant, Nice, 1997), Paris, LGDJ, 1998, p. 103-118.
  • [5]
    À la suite des manquements fréquents de l’administration, seuls 41% des permis dépassant le seuil de 170 m2 sont en réalité visés par un architecte, CREDOC, Les Coûts de conception et de construction des maisons individuelles. Analyses économique comparée, Paris, DAPA, 1998.
  • [6]
    CERC [Yves Chassard, Philippe Madinier], Les Revenus des non salariés – professions artisanales, commerciales et libérales (Documents du CERC, no 53), Paris, Documentation française, 1980 ; Jean Jouineau et Alain Saison, « Les revenus des professions libérales à travers les déclarations fiscales : une forte dispersion », Économie et Statistique, no 187, 1986, p. 59-64 ; Philippe Ulmann, Olivier Ferrier, François Saint-Cast, L’État de féminisation des professions libérales, Rapport final pour le compte de la Délégation interministérielle aux Professions Libérales, s.l., 2001 .
  • [7]
    Nicolas Nogue et Jean-Michel Jacquet, « L’architecte, acteur économique », dans François Barré (sous la direction de), Être architecte, Paris, Editions du Patrimoine, 2000, p. 56-63, cité p. 59.
  • [8]
    Florent Champy, Sociologie de l’architecture, Paris, La Découverte, 2001, p. 58-59.
  • [9]
    Yves Dauge, Rapport d’information fait au nom de la commission des Affaires culturelles sur les métiers de l’architecture, Sénat, Rapport no 64, 16 novembre 2004, p. 4-6.
  • [10]
    « Repli de la commande » (Nogue et Jacquet) ; « réduction de taille des agences » (Champy) ; « crise du bâtiment... stagnation » (Dauge).
  • [11]
    Cf. Tableau de bord trimestriel de l’Observatoire du BTP, no 36 (2007), p. 3.
  • [12]
    IFOP, Observatoire de la profession d’architecte 2005, Paris, CNOA, 2005, p. 41-42.
  • [13]
    La référence à une crise de légitimité des architectes est peu fréquente, Isabelle Benjamin et François Aballéa, Évolution de la professionnalité des architectes. Diversification des pratiques, actualisation de la qualification, Paris, FORS, 1990.
  • [14]
    Max Weber, Économie et Société, Paris, Plon, 1995, p. 68, 287.
  • [15]
    Sources : Pierre Chevrière, Les Architectes, document polycopié du C16 (4e année), Versailles, École d’architecture de Versailles, 1995 ; Guy Tapie, Les Architectes : mutation d’une profession, Paris, L’Harmattan, 2000 ; EUROSTAT, Entreprises européeenes, Faits et chiffres, Données 1991-2001 , Luxembourg, OPOCE, 2003 ; Yves Dauge, Rapport d’information, op. cit., p. 5-6 ; INSEE, Annuaire statistique de la France, données 2004, Paris, INSEE, 2006. Les données ont été comparées aux statistiques professionnelles fournies par le CNOA, le SYNTEC, l’UNTEC ET l’OGE.
  • [16]
    Andrew Abbott, « Écologies liées », Pierre-Michel Menger (sous la direction de), Les Professions et leurs sociologies, Paris, Éditions de la MSH, 2003, p. 29-50.
  • [17]
    Voir aussi Annie Fourcaut, Danièle Voldman (sous la direction de), « Financer l’habitat. Le rôle de la CDC au XIX-XXe siècle », Histoire Urbaine, no 23, décembre 2008.
  • [18]
    La concurrence entre ingénieurs et architectes est aussi ancienne que le corps des Ponts et Chaussées. Elle est illustrée, entre autres épisodes, par le débat qui opposa l’architecte Poyet aux ingénieurs Prony et Navier en 1821-1822. Poyet, qui venait d’inventer le premier pont haubané, vit son projet refusé par le Conseil des Ponts. Il protesta alors en écrivant : « Les ingénieurs prétendent avoir le droit de faire de l’architecture et ne veulent pas que les architectes fassent des ponts, comme si les ponts n’étaient pas du domaine de l’architecture », Antoine Picon, Architectes et Ingénieurs au siècle des Lumières, Marseille, Parenthèses, 1988. Pour l’évolution des rapports entre ingénieurs et architectes, Catherine Jubelin-Boulmer et al., Hommes et Métiers du bâtiment, 1860- 1940. L’exemple des Hauts-de-Seine, Paris, Cahiers du Patrimoine, 2001 ; Odile Henry, « L’impossible professionalisation du métier d’ingénieur-conseil, 1880-1954 », Le Mouvement social, no 214, 2006, p. 37-54 ; Denyse Rodriguez Tomé, « L’organisation des architectes sous la IIIe République », Le Mouvement social, no 214, 2006, p. 55-76.
  • [19]
    Bernard Hirsch, Oublier Cergy. L’invention d’une ville nouvelle, Cergy-Pontoise 1965-1975. Récit d’un témoin, Paris, Presses de l’ENPC, 1990.
  • [20]
    « Les ingénieurs des Ponts tentent d’obtenir le monopole dans le domaine de l’urbanisme. Car le monopole est la seule situation rentable pour faire de la conquête de la ville un succès pour leur corps. Mais pour que le succès soit plein, ils ne peuvent se contenter du monopole au sein de l’Administration [...] Ils veulent un monopole plus large, s’étendant à l’ensemble de la société », Jean-Claude Thoenig, L’Ère des technocrates. Le cas des Ponts et Chaussées, Paris, Éditions d’Organisation, 1973, rééd. Paris, L’Harmattan, 1987, p. 126-127.
  • [21]
    Florent Champy, « Les architectes, les urbanistes et les paysagistes », Paquot Thierry, Lussault Michel et Body-Gendrot Sophie (sous la direction de), La Ville, l’urbain : l’état des savoirs, Paris, la Découverte, 2000, p. 215-224.
  • [22]
    Voir, sur cette période, Bruno Vayssière, Reconstruction-Déconstruction. Le Hard French ou l’architecture française des Trente Glorieuses, Paris, Picard, 1988 ; Christine Mengin, « La solution des grands ensembles », Vingtième siècle, no 64, 1999, p. 105-111 ; Éric Legendreau, L’État et l’architecture, 1958-1981, Paris, Picard, 2001 ; « Le grand ensemble, histoire et devenir », Urbanisme, no 322, 2002, p. 35-80 ; Annie Fourcaut et Loïc Vadelorge (sous la direction de), « Villes nouvelles et grands ensembles I », Histoire urbaine, no 17, décembre 2006 ; Dominique Hervier (sous la direction de), « Villes nouvelles et grands ensembles II. », Histoire Urbaine, no 20, décembre 2007.
  • [23]
    Sur ses réalisations, voir Christine Desmoulins, Bernard Zehrfuss, Paris, Éditions du Patrimoine, 2008.
  • [24]
    Architectes repères, Repères d’architecture : 1950-1975, Jean Balladur et Bernard Zehrfuss, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 1998, p. 38-40, 50.
  • [25]
    Claude Prelorenzo et Antoine Picon, L’Aventure du balnéaire : la Grande-Motte de Jean Balladur, Marseille, Parenthèses, 1999 ; Marie Roussel, Jean Balladur, architecte urbaniste, 1924- 2002, mémoire d’histoire de l’art, Tours, Université François Rabelais, 2005.
  • [26]
    Architectes repères, op. cit., p. 52-53 (Balladur).
  • [27]
    La direction du corps des Ponts et Chaussées préconisait aussi la fusion des deux ministères dans un dossier présenté en 1965 au président de la République, Thoenig, L’Ère des technocrates, op. cit., p. 99, 118.
  • [28]
    La répartition des ingénieurs des Ponts en 1969 fournit une illustration du pantouflage. Sur 1224, 704 (57%) sont en position dans l’administration centrale, régionale ou départementale, 169 (14%) détachés dans l’administration (coopération, etc.), 351 (29%) détachés sur les entreprises nationalisées ou en disponibilité dans le privé, Thoenig, L’Ère des technocrates, op. cit., p. 260. Un dépouillement systématique reste à faire à partir de l’Annuaire des ingénieurs du corps et des ingénieurs civils des Ponts et Chaussées, Paris, s.n., 1963-1990 et de l’Annuaire des ingénieurs des Travaux publics de l’État, Paris, Association amicale des ingénieurs des TPE, 1970-1976.
  • [29]
    Benoît Pouvreau, « Eugène Claudius-Petit : un ministre bâtisseur », Urbanisme, no 305, 1999, p. 33-40 ; Benoit Pouvreau, Un Politique en architecture : Eugène Claudius-Petit (1907-1989), Paris, Le Moniteur, 2004.
  • [30]
    « Cher Ancien, Tu n’es pas sans ignorer qu’une réforme de l’Enseignement de l’Architecture est imminente [...] Cette réforme de l’enseignement a une incidence directe sur la profession. Tu ne peux donc t’en désintéresser. En quoi la réforme est-elle dangereuse pour la Profession ? Les Écoles d’Architecture seront des écoles d’application ou de spécialisation de certaines grandes écoles d’ingénieurs. Ces ingénieurs rentreront directement en première classe, après un petit examen dont la valeur est très contestable. Conséquence : les simples Architectes devront travailler dans des bureaux d’études, sous la direction des « super-architectes-ingénieurs ». Un salarié peut-il conserver une liberté d’expression ? C’est l’abandon de la responsabilité juridique et morale », Philippe Molle, « Une lettre de la Grande Masse de l’ENSBA aux Anciens de l’École », L’Architecture française, no 261-262, 1964, p. XLVIII.
  • [31]
    Pieter Uyttenhove, Marcel Lods (1891-1978). Une architecture de l’action, thèse, Paris, EHESS, 1999.
  • [32]
    Anne-Charlotte Depondt-De Ruidiaz, La Construction métallique : le parcours de Paul Depondt, architecte, thèse, Paris, Université Panthéon-Sorbonne, 2004.
  • [33]
    Architectes repères, Repères d’architecture : Henri Beauclair et Henry Bernard, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 1999, p. 66-67.
  • [34]
    Julien Guadet, « Les devoirs professionnels de l’architecte », L’Architecture, 10 août 1895, repris dans ses Éléments et Théorie de l’architecture, Paris, La Construction Moderne, 1905, tome IV, p. 504-507.
  • [35]
    Claire Étienne-Steiner, Le Havre. Auguste Perret et la reconstruction, Paris, Images du Patrimoine, 1999 ; Maurice Culot et al., Les Frères Perret, l’œuvre complète, Paris, IFA/Norma, 2000 ; Jean-Louis Cohen et al., Encyclopédie Perret, Paris, Monum/Éditions du Patrimoine, 2002. Voir également Elisabeth Chauvin, Pierre Gencey « L’appartement témoin Perret au Havre. Un idéal moderne et démocratique au service d’une œuvre urbaine globale », Histoire Urbaine no 20, p. 39-54.
  • [36]
    Auguste Perret, « À l’attention des architectes : une nouvelle conception de la profession », L’Architecture française, no 60-61, 1946, p. 79.
  • [37]
    Jean-Lucien Bonillo, Fernand Pouillon, architecte méditerranéen, Marseille, Imbernon, 2001 ; Jacques Lucan (sous la direction de), Fernand Pouillon, architecte. Pantin, Montrouge, Meudon-la-Forêt, Paris, Picard, 2003 ; Danièle Voldman, Fernand Pouillon, architecte, Paris, Payot, 2006.
  • [38]
    Pouillon prétend que ce fut le premier bureau d’études techniques « entièrement dans la main de l’architecte » (à la différence de ceux qui suivirent). L’histoire des bureaux de contrôle est quant à elle plus ancienne, puisque Veritas fut créé en 1828 à Anvers, sur des missions de construction navale, et que Securitas fut fondé sur le même modèle par André Bérard en 1929. Le texte de présentation du bureau Securitas est reproduit par Jean-Pierre Épron (sous la direction de), Architecture, une anthologie, 1 . La Culture architecturale ; 2. Les Architectes et le Projet ; 3. La Commande en architecture, Bruxelles, Mardaga, 1992-1993, p. 259.
  • [39]
    Fernand Pouillon, Indiscutablement les architectes se sont laissés manœuvrer, mais ils étaient contents, Entretiens avec Félix Dubor et Michel Raynaud, Paris, Connivences, 1988.
  • [40]
    Fernand Pouillon, Mémoires d’un architecte, Paris, Seuil, 1968, p. 286-289.
  • [41]
    1943 (Roux-Spitz), 1946 (Perret), après 1958 (Zehrfuss), 1962 [1966] (Balladur), 1965-1968 (Pouillon), avant 1973 (Beauclair).
  • [42]
    Comme le dit Florence Contenay, « L’exercice de la profession », op. cit., p. 17 : « Les orientations des pouvoirs publics ne sont pas étrangères à la crise de la profession ». On ne peut toutefois pas souscrire à l’idée que « la France est sans doute le seul pays à avoir organisé administrativement la désorganisation d’une profession », Gilbert Ramus, « Les mauvais choix français », op. cit., p. 7. Ce diagnostic est opposable. Le décret no 59-1157 du 29 septembre 1959, modifiant le décret no 49-1 65 du 7 février 1949, stipule que « lorsque la complexité des techniques à mettre en œuvre nécessite le concours d’un bureau d’études techniques ou un groupement d’hommes de l’art de diverses disciplines, les honoraires globaux dus par la collectivité pour l’établissement d’un même projet, la direction et leur réception peuvent être portées au taux de 6 p. 100, calculé sur le montant des dépenses totales ». Il est difficile de lire ici une volonté d’accorder plus de pouvoir aux ingénieurs – même si le décret eut effectivement ce résultat.
  • [43]
    Raymonde Moulin, Françoise Dubost, Alain Gras, Jacques Lautman, Jean-Pierre Martinon et Dominique Schnapper, Les Architectes : métamorphoses d’une profession libérale, Paris, Calmann-Lévy, 1973, p. 68 ; Raymonde Moulin et Jacques Lautman, « Les architectes, la profession libérale et son aggiornamento », Cahiers de la Recherche architecturale, no 2, 1978, p. 49-55.
  • [44]
    Yves Dauge, Rapport d’information, op. cit., p. 92.
  • [45]
    Ainsi s’exprime un jeune ingénieur des Travaux publics, exerçant en région parisienne : « La question de la co-conception, de la conception distribuée ou de la conception coopérative est toujours posée d’une façon indirecte qui évite de toucher à la tâche sacrée que l’on confie habituellement aux architectes : celle de la conception initiale des projets. »
  • [46]
    Michel Callon, « Le travail de conception en architecture », Cahiers de la Recherche architecturale, no 37, 1996, p. 25-35 ; Idem, « Concevoir : modèle hiérarchique et modèle négocié », Stoa, no 2, 1997, p. 88-94 ; analyse critique : Dominique Raynaud, « Expertise et compétences professionnelles de l’architecte dans le travail de conception », Sociologie du Travail, no 43, 2001 , p. 451- 470.
  • [47]
    On rappellera que la Caisse des dépôts a, sous la direction de François Bloch-Lainé, initié la création de plusieurs bureaux d’études techniques, dont BETURE et BETEREM.
  • [48]
    François Pelletrat, « Pour une intégration de l’architecte », op. cit., p. 5.
  • [49]
    Les résultats de l’enquête, conduite par Jacques Barda, Pierre Clément, Jean-Paul Gautron et Pierre Lefèvre, seront publiés en septembre 1965 dans Melpomène, la revue de la Grande Masse.
  • [50]
    Ce qu’elle n’était pas, puisque le statut de profession libérale entré en vigueur dans la loi Hautecoeur de 1940, avait été soutenu successivement par Guadet en 1895, Antoine en 1927, Jean Zay en 1938.
  • [51]
    « L’architecte n’a plus de rôle à jouer, car l’architecture n’est pas la création d’un homme, mais une résultante sociale », témoignage recueilli par Christian Gaillard, Philippe Nick, Monique Vidal, Michèle Lévy-Grange, L’Architecte, lui-même et les autres, Grenoble, PUG, 1973, p. 52. « Nous voulons lutter contre la domination de la profession sous la forme du Conseil de l’Ordre ou d’autres organismes corporatifs », « Motion du 15 Mai », Architecture Mouvement Continuité, no 167, 1968, p. 11. Le Livre d’Or de l’architecture, édité par la Grande Masse en 1968, se demande « à quoi sert l’architecte ? ». Un an plus tard, on évoquera « la fin des architectes » (Pierre Riboulet), cf. Jacques Lucan, France Architecture 1965-1980, Paris, Electa Moniteur, 1989, p. 28-32. Dans les années 1968, les principales formations politiques au sein de l’École étaient : l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), le Comité de liaison des étudiants révolutionnaires (CLER), l’Union des jeunes communistes marxistes-léninistes (UJCML), puis Vivre la révolution (VLR). André Gutton, qui cumulait la chaire de Théorie de l’architecture de l’École des Beaux-Arts et la présidence du Conseil régional de Paris de l’Ordre des Architectes, incarnait tout ce que détestait la jeune génération.
  • [52]
    Cette vogue tira partie d’expériences étrangères analogues : le métabolisme au Japon, Archigram en Grande-Bretagne, l’architecture mobile (Friedman, Emmerich, Otto...), réunissant des personnalités internationales qui avaient rompu avec les CIAM. C’est dans le sillage de ces recherches qu’apparurent dans la France d’après 1965 des projets de « ville-pont » (Friedman), de « ville cybernétique » (Schöffer), de « ville totale » (Bernard), d’ « habitat sous-marin » (Rougerie), de « ville lunaire » (Rottier ; Hanémian, Baudet), de « ville cosmique » (Xenakis), mouvement auquel on peut adjoindre l’ « architecture oblique » (Parent) et les « mégastructures » du groupe Miatso. Michel Ragon a personnellement contribué à la diffusion de ces utopies par la publication d’un livre, Où vivrons-nous demain ? Paris, Robert Laffont, 1963. Parallèlement, un disciple de Lefebvre, Hubert Tonka, fondera la revue Utopie où l’on retrouvera les signatures de Baudrillard, Jungmann, Stinco entre 1967 et 1969.

1 L a crise actuelle de la profession d’architecte est généralement décrite par la sociologie des professions comme une crise économique née dans le sillage des deux chocs pétroliers de 1973 et 1979-1980. Des indices discordants incitent à revoir cette interprétation économique. L’article tente de départager les explications de l’externalisation des compétences en termes de crise économique vs. de crise de légitimité. Si l’externalisation des compétences et la dégradation subséquente des conditions ne résultent pas de la récession, les architectes ayant exercé dans la période prospère des Trente Glorieuses doivent pouvoir attester que ces processus d’externalisation et de redéfinition des rôles se sont mis en place indépendamment et en dehors de toute crise économique.

2 Un détour par la sociologie historique des professions pourra, le cas échéant, corriger les résultats de la sociologie des professions qui, en se limitant à la période récente, risque de sous-estimer la construction historique des rapports de concurrence interprofessionnelle.

État des lieux de la profession

3 La conception et la maîtrise d’œuvre d’architecture sont désormais soumises à une organisation du travail répondant à la formule de l’ « externalisation des compétences ». Le travail de conception est divisé entre architectes, urbanistes, paysagistes, économistes de la construction (anciens métreurs-vérificateurs), ingénieurs structure, thermiciens, acousticiens, géotechniciens, etc. La maîtrise d’œuvre est, quant à elle, distribuée entre architectes, bureaux d’études techniques, ingénieurs de contrôle, coordonnateurs SPS (sécurité protection santé), coordonnateurs SSI (système sécurité incendie), spécialistes de l’accessibilité aux handicapés, nouveaux experts HQE (haute qualité environnementale), etc [1]. La maîtrise d’ouvrage n’est pas restée à l’écart de ce processus de différenciation, puisqu’elle est aujourd’hui éclatée entre études prospectives, assistance au montage juridique et financier, économie du projet, programmation, management stratégique, coordination des intervenants, etc.

4 Le problème de la multiplication de ces professionnels ne tient pas à la division du travail, qui a toujours existé, ni à la spécialisation stricto sensu, mais à la modification des rapports de pouvoir que sont à même de réclamer des prestataires indépendants. Ces acteurs étant libérés de l’autorité du maître d’œuvre, ils contribuent à instaurer une nouvelle organisation du travail, marquée par le partenariat concurrentiel. Les entretiens d’architectes libéraux que nous avons réalisés en 2006 [2] témoignent des rapports de plus en plus agressifs entre les acteurs. Voici comment un architecte, exerçant dans la région Rhône-Alpes et sur le point de prendre sa retraite, juge l’évolution des rapports professionnels :

5

« C’est à l’architecte que revient l’obligation de colliger et de fournir les dossiers en temps voulu et de tenir les délais contractuels d’exécution des travaux, mais c’est lui qui est requis au moindre contentieux... Le contentieux devient maintenant une part importante de la vie d’une agence. Moi j’ai vu ça. Ce n’est que dans les dernières années que j’ai eu des problèmes. Avant, je n’en avais pas [...] La façon de construire s’est tellement dégradée que les pépins arrivent. Avant, quand c’était fait dans les règles de l’art, il y avait moins de risques [...] Et puis la juridicisation des choses en ce moment est telle que les clients, eux aussi, sont beaucoup plus agressifs qu’avant. C’est devenu un peu la mode ! Il y a une corrélation entre tout un tas de choses qui fait que les contentieux deviennent plus fréquents. »

6 Ces rapports conflictuels naissent du nombre croissant d’acteurs. Comme le reconnaît un observateur impliqué : « Le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre et les entreprises demeurent les seuls producteurs de l’ouvrage [...] Tout autre intervenant qui interfère dans le processus complique la coordination des acteurs »  [3]. En imposant leur présence, ces acteurs ont rendu l’acte de bâtir polyphonique, sinon cacophonique, et ont rogné sur les missions traditionnelles de l’architecte.

7 Protégé par le statut, rare en France, de « profession libérale réglementée »  [4], assuré d’un recours obligatoire au-dessus du seuil de 170 m2 de surface hors-œuvre nette [5], l’architecte n’attendait pas ces bouleversements et les a généralement fort mal vécus : il y a perdu son pouvoir de décision et une partie de ses honoraires [6].

L’explication de l’externalisation des compétences

EXPLICATION ÉCONOMIQUE

8 L’érosion du pouvoir des architectes dépend mécaniquement de l’externalisation des compétences de conception et de maîtrise d’œuvre. Dans la littérature spécialisée, ce processus a surtout fait l’objet d’interprétations économiques [1-3] :

9

[1] « Depuis la fin des Trente Glorieuses, on assiste à un processus général d’externalisation en raison du repli de la commande qui ne permet plus le maintien de grosses structures et dont le corollaire est la réduction de la part des architectes dans le partage des différentes missions constituant la mission globale de maîtrise d’œuvre. »  [7]
[2] « On a vu depuis le début des années quatre-vingt [deuxième choc pétrolier] une nette réduction de la taille des agences d’architecture [...] Ce changement quantitatif a des conséquences qualitatives à l’intérieur même de la profession. Le faible effectif des agences empêche la présence, en leur sein, de compétences diversifiées. Alors que, jusqu’aux années soixante-dix, des architectes avaient souvent sous leurs ordres ou comme associés des ingénieurs, des urbanistes [...] ils doivent désormais s’associer à d’autres structures où ces compétences sont présentes, ce qui remet en question leur position centrale dans l’équipe de conception du projet. »  [8]
[3] « La complexification du processus de construction et la crise du bâtiment ont conduit les cabinets de maîtrise d’œuvre à externaliser un nombre croissant de fonctions entraînant une multiplication des métiers et un effacement des frontières qui les séparent [...] Dans ce contexte économique en stagnation, le changement des rapports de force entre acteurs et la parcellisation des tâches se traduisent par une exacerbation de la concurrence qui contribue à transformer les partenaires en rivaux. »  [9]

10 Quelles que soient leurs particularités, ces analyses ont pour point commun d’expliquer l’externalisation des compétences par la crise économique [10] qui a frappé le secteur du bâtiment à la suite des deux chocs pétroliers consécutifs de 1973 et de 1979-1980.

11 Cette explication qui était encore acceptable, il y a quelques années, et risque de revenir sur le devant de la scène avec la crise de 2008, a cependant son talon d’Achille : elle ne peut rendre compte des plaintes enregistrées en période de croissance. Le secteur du Bâtiment a connu des fluctuations. Le deuxième choc pétrolier a été suivi par une expansion de la fin des années 1980 à 1991. Le recul de 1992-1997 a été suivi par une forte croissance dans les années 1998-2007, plus encore à partir 2004. Les logements neufs ont été en progression constante, passant de 303 000 mises en chantier en 2002 à 405 000 en 2007 – chiffres qu’on rapprochera des 260 000 logements construits en 1997 [11].

12 Si la crise de la profession d’architecte résultait essentiellement de la crise économique, toute reprise devrait s’accompagner de changements subséquents dans la perception des conditions de travail. Or, les plaintes des architectes y sont rigoureusement identiques à celles qui sont entendues dans les périodes de récession. Lors du 35e Congrès annuel de l’UNSFA, qui s’est tenu en octobre 2004, les architectes ont évoqué une « profession ravagée », une « profession sinistrée », « plus mal que jamais ». Une enquête de 2005 sur la profession indique que l’architecture est « un métier de plus en plus difficile à exercer » (94%), « qui a évolué plutôt en mal au cours des dernières années » (64%) et « qui n’est plus un métier d’avenir » (47%)  [12]. Les mêmes plaintes apparaissent dans les entretiens d’architectes réalisés en 2006. À la tête d’une petite agence de province, un architecte, par ailleurs très critique à l’égard de l’Ordre et des syndicats, déclare :

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« Le fait qu’il n’y ait pas de relais politiques et exécutifs fait qu’on est toujours en retard. On est toujours en train de jérémier, de faire des colloques, de faire des trucs qui n’aboutissent à rien. On a perdu le pouvoir... On a perdu la reconnaissance... Ça se sent aussi sur l’autorité qu’on peut avoir sur un chantier. Tu peux pas savoir ce que c’est... On te traite comme un moins que rien ! Cette autorité, on l’a perdue. »

14 Il s’ensuit que l’explication courante [1-3] (crise économique, repli de la commande, incapacité à maintenir les grandes structures, externalisation des compétences, crise de la profession d’architecte) est inapplicable aux périodes de prospérité.

EXPLICATION ALTERNATIVE

15 Une hypothèse alternative tirera parti de la distinction entre crise économique et crise de légitimité. Une crise professionnelle peut être spécifiée en « crise économique » quand se produit un retournement de conjoncture rendant l’offre de services supérieure à la demande ; en « crise de légitimité » quand les professionnels ont le sentiment d’avoir perdu la confiance qui leur permet d’accomplir leur mission [13]. Cette hypothèse a une conséquence importante : la légitimité étant par nature une croyance [14], il n’y a pas de raison que les crises de légitimité et économiques soient ajustées et concomitantes dans l’histoire d’une profession.

16 Les données sociodémographiques et économiques longitudinales sont un bon indicateur de l’étendue de l’externalisation des missions de conception et de maîtrise d’œuvre [15].

Tableau 1

Démographie et chiffre d’affaires des professions du Bâtiment

Professions Architectes
libéraux
Ingénieurs
BET
Écono
mistes de la
constr.
Spéc. ord.
coord.
Paysagistes Urbanistes Géomètres-
experts
Effectif 2003 25 753 *21 623 env. 6 500 6 1 4 623 1 857
CA 1991 (MF) 16 623 18 830 1 831 3 692 228 580 2 800
Parts de marché
1991 (%)
39,1 44,3 4,3 8,7 0 , 5 1 , 4 6,3
CA 2003 (M) 4 865 *3 673 38 1 300 1 1 4 98 763
Parts de marché
2003 (%)
47,7 36,0 3,7 2,9 1 , 1 1 , 0 7,5
figure im1

Démographie et chiffre d’affaires des professions du Bâtiment



* Données en 2001.

17 Ces données témoignent de fluctuations : parts de marché gagnées par les paysagistes, recul des coordonnateurs, repositionnement des architectes sur la maîtrise d’œuvre. Mais ils témoignent aussi de l’existence de rapports structurels entre l’ancienneté d’une profession et sa captation du marché. C’est que la répartition du marché du travail, loin d’obéir aux seules compétences, est également configurée par les luttes que se livrent les corps professionnels. L’étude d’Andrew Abbott sur les avancées et reculs de la licence d’exercice des médecins dans l’état de New York constitue, à cet égard, une étude paradigmatique [16].

18 L’extension du marché professionnel d’une profession résulte de sa capacité à exploiter les opportunités objectives. Cette généralité n’est pas démentie par la politique du logement des Trente Glorieuses [17]. Les opérations de construction ont été financées par la Caisse des dépôts et consignations. Sous la direction de François Bloch-Lainé (1952-1967), la Caisse donnera naissance à deux filiales immobilières, la SCIC et la SCET en 1954-1955, puis à un réseau de sociétés d’économie mixtes chargées de lever des fonds. La politique des grands ensembles et des villes nouvelles, exigeant de construire en grand, à bas prix et rapidement, sera l’aubaine des techniciens et des économistes. Un architecte salarié, exerçant en Languedoc-Roussillon, décrit ce lien entre les opportunités objectives et l’externalisation :

19

« À mes yeux, c’est l’industrialisation de la construction et sa complexification qui sont à l’origine de cette crise [...] À cela s’ajoute que l’enjeu financier, économique du produit est sans commune mesure [avec celui des autres professions libérales]. Et c’est peut-être là que les architectes ont été mauvais. Ils n’ont pas su, à l’exception de quelques uns, intégrer les disciplines connexes à leur structure, pris dans le mythe du professionnel libéral. L’artiste... L’image est toujours d’actualité ! [...] Mais je pense que même intégrées, ces disciplines se seraient évadées, à moins que les architectes aient verrouillé les accès ».

20 Les ingénieurs, appelés sur les projets de grands ensembles et de villes nouvelles, ont doublement contrarié les intérêts des architectes [18]. Par le haut, avec leur nomination à la tête des projets urbains [19], par le bas, avec la création des bureaux d’études techniques [20]. Les premiers bureaux, créés en 1953 (SOCOTEC), 1956 (SCET), 1959 (BETURE, BETEREM), se multiplieront rapidement dans les décennies suivantes.

21 La taille des projets urbains et les objectifs affichés de maîtrise des coûts ont également accru le rôle des métreurs-vérificateurs : ils en profiteront pour se renommer « économistes de la construction » et se doter d’une organisation professionnelle, l’UNTEC, en 1972. La pauvreté des espaces communs de ces projets a conduit les urbanistes et les paysagistes à se démarquer davantage. Les paysagistes se sont ainsi dotés d’écoles nationales supérieures de paysage et ont institué un organisme de qualification professionnelle en 1998 [21].

22 La démographie professionnelle dépend aussi de l’échelle à laquelle interviennent les acteurs : ceux qui conçoivent les bâtiments sont plus nombreux que ceux qui s’occupent de la ville et du paysage. C’est pourquoi les urbanistes et les paysagistes soumettent les architectes à une concurrence relativement faible (ils ont capté entre 1,9% et 2,1% des parts de marché de la construction entre 1991 et 2003). L’érosion du pouvoir des architectes tient davantage à la coexistence ancienne des ingénieurs et des architectes. Ces professions réalisent des chiffres d’affaires du même ordre (39,1 et 44,3% en 1991 ; 47,7 et 36,0% en 2003).

Témoignages postérieurs à la crise

23 Un premier test peut être réalisé à partir des témoignages rétrospectifs des architectes sur la profession telle qu’elle était exercée dans les années 1950-1970. Il est instructif de mettre en regard les explications savantes [1-3] et les explications spontanées que donnent les praticiens de l’évolution du métier [ci-dessous, 4-6]. Nous choisirons des architectes ayant répondu à des programmes de reconstruction ou de villes nouvelles [22], puisque la taille des projets et le souci d’économie ont été des facteurs d’appel à la collaboration des ingénieurs.

BERNARD ZEHRFUSS

24 Parmi les architectes assez âgés pour avoir suivi les étapes de mutation de la profession, Bernard Zehrfuss (1911-1996) est connu pour ses réponses à des programmes de logements collectifs : le Haut du Lièvre à Nancy (1963), le grand ensemble de Clichy-sous-Bois (1960), les tours d’habitation de Pantin (1967), les immeubles Procession et Falguière du 15e arrondissement de Paris (1976)  [23]. Revenant sur certains épisodes de sa carrière, il observe que, à l’époque de ses collaborations avec Jean Prouvé, il revenait encore à l’architecte d’exercer la maîtrise d’œuvre complète et de choisir les ingénieurs. Ces échanges ayant concerné l’imprimerie Mame de Tours (1950-1953), l’usine Renault de Flins (1950-1958) et le CNIT de la Défense (1954-1958), c’est après 1958 qu’il faut, selon Zehrfuss, rechercher la mutation des conditions de travail de l’architecte :

25

[4] « Nous avons étudié la façade [du CNIT] avec Jean Prouvé. J’avais déjà réalisé avec lui plusieurs bâtiments et, comme je l’ai déjà dit, dans les années où nous avons exécuté ces bâtiments, l’architecte avait encore la possibilité de choisir les ingénieurs-conseils, ce qui est très important. Cette implication dans la recherche de la solution technique a fait que, d’un bout à l’autre, nous avons exercé la maîtrise d’œuvre complète. Évidemment aujourd’hui cela paraît un peu étonnant, mais je veux dire que nous avons réalisé ces bâtiments complètement, depuis A jusqu’à Z, étudiant chaque solution avec les ingénieurs-conseils que nous choisissions (et non pas ceux qui nous sont aujourd’hui imposés) [...] en exerçant pleinement la mission d’architecte : c’est-à-dire en étant chargé de la direction du chantier, du règlement des comptes, des réceptions [...] Nous avons connu une époque dorée parce que l’architecte y avait encore des prérogatives. Il avait encore une véritable responsabilité, dimension qui a depuis lors complètement disparue. Par la faute de qui ? de nos ordres, de nos syndicats et peut-être aussi par la faute de notre génération qui ne s’est pas assez battue pour défendre la maîtrise d’œuvre de l’architecte. »  [24]

JEAN BALLADUR

26 Jean Balladur (1924-2002), ancien élève d’Henri Expert à l’École des Beaux-Arts, puis chef d’agence de Lebeigle, est surtout connu comme architecte en chef de deux opérations d’aménagement du littoral de grande ampleur : la création ex-nihilo de la ville de La Grande-Motte (1963-1968) et la coordination de Port-Camargue (1969-1985)  [25]. L’architecte témoigne lui aussi du recul de la profession, en avançant une datation compatible avec celle de Zehrfuss :

27

[5] « On a commencé à voir apparaître les concours dits conception/ construction, où l’architecte était en fait un peu l’esclave de l’entreprise qui imposait son procédé. Cela a commencé à mon avis à se dégrader à ce moment-là. À partir de la création du ministère de l’Équipement en 1962. La création de ce ministère n’a pas été une bonne chose. L’idée d’Edgar Pisani était de créer un grand ministère pour traiter l’ensemble de l’espace [...] mais ce qu’il n’a pas vu, c’est le poids considérable d’un corps comme celui des Ponts. L’esprit de ce corps d’ingénieurs des Ponts a complètement bousculé l’esprit architecte, qui lui était idéalement complémentaire, mais qui n’a pas su lutter contre et imposer ses vues [...] Et puis il y a eu la création des bureaux d’études qui a commencé à faire vaciller les choses... C’est à partir des années soixante, c’est-à-dire au moment où l’entreprise a commencé à peser très lourd sur la conception architecturale, pour des raisons économiques relayées par l’ampleur des besoins à couvrir, que les choses se sont sérieusement dégradées. »  [26]

28 La date 1962 est une inadvertance. En avril 1962, Jacques Maziol prend la tête d’un ministère qui s’intitule toujours ministère de la Construction. C’est le 8 janvier 1966 que sera opérée la fusion des ministères de la Construction et des Travaux publics en ministère de l’Équipement et du Logement, à l’instigation d’Edgar Pisani, qui en avait fait proposition au général de Gaulle en 1964-1965 [27], et qui prendra la direction du ministère à sa réélection. Les ingénieurs des Ponts prennent alors le contrôle de l’urbanisme. Georges Pébereau, ingénieur des Ponts et Chaussées, directeur de cabinet, est nommé à la tête de la DAFU (Direction de l’aménagement foncier et de l’urbanisme). Au niveau départemental, les ingénieurs des Ponts prennent le contrôle de 72 directions départementales de l’Équipement sur 95, notamment les plus urbanisées. C’est dans ces conditions particulières que l’emprise des ingénieurs s’est exercée sur la chose bâtie.

29 L’une des conséquences de cet assujettissement de l’architecture fut, non pas l’invention des bureaux d’études – qui dataient des années 1950 – mais leur multiplication à partir de la création du ministère de l’Équipement, les principaux débouchés des ingénieurs civils devenant alors le BTP et les BET [28]. Les ambitions de décentralisation et de délégation des responsabilités, promues par Pisani, ont été largement revisitées par des intérêts professionnels. La rupture de 1966 dans la politique ministérielle est, à cet égard, beaucoup plus décisive que celle qui intervint en janvier 1953, avec le départ d’Eugène Claudius-Petit de la Reconstruction et de l’Urbanisme, et la création du ministère de la Reconstruction et du Logement  [29].

30 Dans le témoignage de Jean Balladur, la confusion 1962 s’explique peut-être par référence au décret-cadre du 6 février 1962, qui inspira une réforme (abandonnée) de l’enseignement de l’architecture, témoignant des mêmes orientations que celles qui présideront à la création du grand ministère de l’Équipement en janvier 1966. Le 10 avril 1964, Philippe Molle, « Grand Massier » de l’École des Beaux-Arts, informait les architectes d’un risque de mise à pied des architectes, promis à devenir les salariés des ingénieurs [30].

HENRI BEAUCLAIR

31 L’architecte Henri Beauclair, né en 1932, a été associé à la politique des grands ensembles et à la mise en œuvre des nouvelles techniques constructives. Il fut l’associé de l’architecte-urbaniste Marcel Lods [31]. Lods avait collaboré avec Jean Prouvé pour la Cité de la Muette à Drancy (1931-1934) – le premier « grand ensemble » – et le projet de la Maison du Peuple de Clichy (1936-1939) où furent utilisés les premiers murs-rideaux préfabriqués. Avec Paul Depondt, formé à l’Illinois Institute of Technology sous la direction de Mies van der Rohe [32], ils fondent le GEAI (Groupement d’étude pour une architecture industrialisée), dont les procédés seront appliqués aux immeubles de la ZUP de Fontenay-sous-Bois (1958-1966) et à ceux de Beauval à Meaux (1959- 1969). Dans sa conférence au Pavillon de l’Arsenal, Beauclair décrit l’évolution des pratiques professionnelles et déplore la perte de contrôle des architectes sur la maîtrise d’œuvre au profit des ingénieurs. Ce constat n’est pas sans rapport avec la création d’un atelier d’architecture indépendant en 1973 :

32

[6] « En tant qu’architectes, nous avons perdu la maîtrise de la notion de construction. Cela aboutit dans la pratique à une séparation entre architecture et construction que l’on voit se développer et qui me semble extrêmement dangereuse. On voit partout la maîtrise d’ouvrage restreindre la mission de l’architecte, et commencer à se généraliser les contrats où la part de l’architecte se borne au permis de construire... Quelqu’un vient prendre le projet en route et le réalise ensuite, tout à fait en dehors de l’architecte ! Je suis absolument révolté par cette technique [...] et je pense que la faute est malheureusement aussi du côté des architectes [...] Que l’on se fasse complice d’un tel système, c’est grave, c’est extrêmement grave ! »  [33]

33 L’intérêt de ce texte tient surtout à l’attribution d’une part de responsabilité aux maîtres d’ouvrage, qui ont attisé la concurrence entre ingénieurs et architectes, le plus souvent dans un objectif de réduction des coûts.

34 La mise en regard des explications savantes et des explications spontanées données par les architectes signale à l’observateur extérieur deux différences. Les spécialistes identifient une crise liée aux chocs pétroliers alors que les vieux architectes situent l’origine de la crise bien avant la période de récession. Les spécialistes invoquent des causes systémiques là où les vieux architectes pointent la responsabilité d’acteurs identifiables.

Témoignages antérieurs à la crise

35 Les témoignages précédents incitent à revoir l’explication courante de la crise. Toutefois, le lecteur exigeant est en droit de s’interroger sur le pouvoir probatoire de témoignages rétrospectifs. Ne sont-ils pas des réinterprétations ? La meilleure façon de procéder est de recueillir des témoignages antérieurs au premier choc pétrolier, dans lesquels les architectes s’expriment in vivo sur les rapports de concurrence entre les professions du Bâtiment. Ces témoignages existent. Nous en reproduirons quelques-uns montrant que la crise de légitimité des architectes a été amorcée avant et indépendamment de toute crise économique.

36 On peut enregistrer les signes d’une crise de légitimité dès le XIXe siècle. Le Code des devoirs professionnels de l’architecte de Julien Guadet, adopté par le congrès de la Société centrale des architectes français de Bordeaux (1895), entendait déjà apporter une réponse aux difficultés de la profession [34]. Mais pour des raisons de continuité des pratiques de conception et de maîtrise d’œuvre, nous nous arrêterons ici aux témoignages postérieurs à la Libération.

AUGUSTE PERRET

37 Auguste Perret (1874-1954), précurseur du béton-armé et de la préfabrication, a été associé aux projets urbains de l’immédiat après-guerre. Il sera en charge de la reconstruction du centre-ville du Havre (1945-1954), représentant un ensemble de 10 000 logements, réalisé avec ses collaborateurs Pierre-Édouard Lambert, André Hermant et plusieurs autres architectes. Parallèlement, il s’occupera de la reconstruction du Vieux Port de Marseille (1951-1956), avec André Devin et Fernand Pouillon [35]. Le 10 octobre 1946, sous le ministère de François Billoux, Auguste Perret, alors président du Conseil supérieur de l’Ordre des architectes, adresse un avertissement aux présidents des Conseils régionaux et à l’ensemble de la profession. Il s’y inquiète des intentions de la commission de Modernisation du Bâtiment et des Travaux publics, nommée par Jean Monnet, alors commissaire au Plan :

38

« Ainsi que vous pourrez le constater, si les textes réglementant la profession ne sont pas modifiés, la mission de l’Architecte serait réduite à l’exécution des dessins et la construction sera l’œuvre de l’Ingénieur seul. Le Conseil Supérieur, bien entendu, s’est élevé contre ces dispositions [...] mais il a pensé que son intervention aurait plus de poids si elle était appuyée de la protestation des Conseils régionaux. Étant convaincu que cette manière de voir ne pourra être admise par vous, nous vous demandons de bien vouloir nous adresser votre protestation formelle par retour de courrier. »  [36]

39 On trouve ici une trace des ambitions très anciennes des ingénieurs d’investir le secteur du Bâtiment. Ils proposent de redéfinir les rôles de l’architecte et de l’ingénieur selon un plan de partage qui se réalisera progressivement à partir des années 1960. Mais ce qui caractérise la lettre de Perret, c’est moins l’attaque que la riposte envisagée par Perret : protestations écrites du Conseil supérieur et des conseils régionaux par retour du courrier.

FERNAND POUILLON

40 Fernand Pouillon (1912-1986) est l’un des grands artisans de la reconstruction d’après-guerre. On lui doit notamment la reconstruction du Vieux-Port de Marseille (1944-1953), les Deux Cent Logements d’Aix-en-Provence (1951-1955), les logements de Montrouge (1955-1959) et de Pantin (1957-1963), les résidences du Point du Jour à Boulogne-Billancourt (1957- 1963) et la cité de Meudon-la-Forêt (1957-1962)  [37]. Créateur de la SET [38] en septembre 1949, son jugement sur l’évolution de la profession apparaît clairement dans un livre d’entretiens [39] qu’on ne peut pas exploiter ici, étant postérieur aux chocs pétroliers. Mais des jugements identiques émaillent déjà ses Mémoires, à propos des HLM de La Croix des Oiseaux (1955- 1961) dont le député-maire d’Avignon, Édouard Daladier (1953-1958), lui avait confié l’étude. Daladier choisit de faire suivre le chantier par un bureau d’études techniques indépendant, la SOCOTEC. Pouillon raconte :

41

« Ces jeunes gens [les ingénieurs des bureaux d’études] se montraient tous avides de se comporter en bâtisseurs, et de profiter de la ruée vers l’or que représentait la construction [...] Si nous, architectes, avions été plus nombreux à défendre ces principes, jamais les maudits BET n’auraient vu le jour. Si nous avions été plus unis et soucieux des buts à poursuivre, nous n’aurions pas perdu nos prérogatives. Si nous avions travaillé davantage, c’est nous qui aurions proposé les systèmes permettant de construire mieux, plus rapidement et moins cher. Si nous avions eu le sens de nos responsabilités, c’est l’architecte qui aurait bâti et non l’entrepreneur omnipotent, avec ses fabrications et ses préfabrications, le corps des ingénieurs jaloux, inexperts dans l’art de rendre la vie aimable aux hommes. [...] L’Ordre, depuis sa création, veut à la fois organiser la médiocrité de la profession d’architecte et sauvegarder ‘‘l’artiste éventuel’’, sans l’engager dans les responsabilités techniques ou financières. ‘‘Un architecte surveillant de travaux ? Quelle horreur, Messieurs, il en est le directeur. Un architecte inventant des structures ? Non, Chers Confrères, laissons cela à l’ingénieur’’ [...] J’ai vu le crime commis par Spinetta, SOCOTEC et Daladier [à Avignon]. Le paysage ne s’en remettra pas. Des générations d’hommes et de femmes devront pâtir de l’inexpérience de quelques techniciens et de la frénésie d’un vieillard pour les gratte-ciel. Il existe en France, mille, deux mille ‘‘Croix des Oiseaux’’ : les crimes du secteur industrialisé sont à présent innombrables [...] Le ‘‘sordide’’ commença puis s’établit avec le secteur industrialisé, les BET et la fin de la suprématie des véritables architectes, lesquels étaient majeurs et responsables devant Dieu et les hommes. »  [40]

42 Le témoignage de Pouillon, inséré après une entrevue avec Brenier, patron de la SOCOTEC, et avant la conférence réunissant la SOCOTEC et les représentants du Ministère, se rapporte à l’année 1955. Nous sommes alors sous le ministère de Roger Duchet (1955-1957) et Adrien Spinetta, ingénieur des Ponts et Chaussées, est alors directeur de la Construction.

43 Pouillon a rédigé le manuscrit des Mémoires durant son incarcération, entre 1963 et 1965. À supposer que le texte ait été revu, juste avant sa parution en 1968, les propos de l’auteur ne sont pas postérieurs à la crise économique qui a débuté en 1974 et a touché plus durement le Bâtiment dans les années 1980.

Analyse sociohistorique

44 On trouve dans les séries de textes que nous venons de présenter des réactions diverses : des craintes (Roux-Spitz, Molle), des parades (Perret), de l’amertume (Pouillon), des regrets (Zehrfuss, Balladur, Pelletrat) ou de la colère (Beauclair). Ces réactions visent la perte de contrôle de l’architecte sur la conception et la maîtrise d’œuvre, et l’emprise croissante des ingénieurs sur le secteur du Bâtiment. On peut pousser plus loin la comparaison des analyses savantes et des analyses spontanées des architectes.

45

  1. Les spécialistes identifient une crise postérieure au choc pétrolier de 1974 vs. les vieux architectes font remonter l’origine de la crise bien avant la période de récession [41]. L’interprétation des architectes est appuyée [42] par la suite des textes encadrant la prise de pouvoir des ingénieurs sur le bâtiment. L’externalisation des compétences techniques a en effet débuté par un protocole, signé en 1957, définissant les catégories de projets pour lesquelles les ingénieurs-conseils pouvaient exercer la maîtrise d’œuvre [43]. Le décret no 59-1157 du 29 septembre 1959 a ensuite reconnu que les honoraires pouvaient être portés de 4 % à 6 % du montant des travaux en cas d’intervention d’un bureau d’études extérieur, encourageant ces derniers à conserver leur indépendance. Ces attributions ont été ensuite élargies par le SYNTEC, dans une définition unilatérale des opérations que les ingénieurs pouvaient revendiquer au titre de la maîtrise d’œuvre. Ce fut ensuite le tour de la loi no 67-3 du 3 janvier 1967, relative à l’obligation de garantie face aux vices de construction, qui reconnut l’égalité des constructeurs devant le risque. Le décret no 73-207 du 28 février 1973 sur les missions d’ingénierie a aggravé cette érosion en découpant les projets en missions autonomes, incitant le maître d’ouvrage à confier des parties de la mission de base aux bureaux d’études.
  2. Les spécialistes invoquent des causes systémiques vs. les vieux architectes identifient la responsabilité directe des ingénieurs, impliqués dans cette concurrence. L’interprétation des architectes est appuyée par le fait que les acteurs sont identifiables. Par exemple, les ingénieurs ont exercé une pression constante sur les pouvoirs publics pour augmenter leur marge de manœuvre. Après la publication de la directive européenne no 85-384, portant reconnaissance mutuelle des titres, les gouvernements disposaient d’un délai de deux ans pour proposer une liste de diplômes admis en équivalence : le SYNTEC et le CICF ont fait pression sur le gouvernement pour que les ingénieurs puissent construire librement à l’étranger, et par mesure d’harmonisation, aussi en France. Le projet a échoué parce qu’il impliquait une transgression de la loi sur l’architecture de 1977. La loi MOP de 1985 et ses décrets d’application du 29 novembre 1993 ont été l’occasion d’une nouvelle offensive des ingénieurs et des groupes du BTP : ils ont obtenu que les entreprises industrielles puissent coordonner elles-mêmes les chantiers, et imposé la procédure de construction/réalisation. En 2004, un rapport du Sénat joint une note de l’ancien directeur de l’Architecture et de l’Urbanisme, ingénieur des Ponts de formation, qui recommande de lever la clause de majorité dans les sociétés d’architecture et de doter tous les professionnels de la construction d’un code de déontologie identique à celui des architectes [44]. Ces faits illustrent, on ne peut mieux, les projets sans irénisme que les ingénieurs nourrissent dans le secteur du bâtiment. On observe même, ces dernières années, un déplacement du front de concurrence : après avoir investi le domaine de la maîtrise d’œuvre, les ingénieurs revendiquent de plus en plus ouvertement [45] le droit d’exercer la conception architecturale en invoquant les thèmes – hautement politiques – de la « co-conception » ou de la « conception distribuée »  [46].
  3. Les spécialistes invoquent des causes systémiques vs. les vieux architectes pointent la responsabilité secondaire des politiques, des maîtres d’ouvrages et des architectes eux-mêmes. Il suffit en effet de se reporter aux témoignages cités pour constater que les ingénieurs n’ont pas été les seuls à organiser l’externalisation des compétences. S’ils ont conçu et profité de l’ouverture du marché du Bâtiment, certains acteurs ont relayé leurs ambitions.

46 La responsabilité des politiques, et en particulier des ministres de la Reconstruction et du Logement, puis de l’Équipement, est nette (Pouillon, Balladur).

47 Les maîtres d’ouvrage, publics puis privés, ont exploité – et parfois renforcé [47] – ces rapports de concurrence selon la maxime divide et impera (Beauclair, Pelletrat).

48 Enfin, les architectes sont eux-mêmes partiellement responsables de l’externalisation des compétences de conception et de maîtrise d’œuvre. Leur inaptitude au combat est mentionnée plusieurs fois (Zehrfuss, Balladur, Pouillon, Beauclair). D’autres témoignages in vivo reconnaissent plus directement cette responsabilité :

49

« Essentiellement homme de l’art, créateur, l’architecte s’est transformé au fil des ans en personnage critiqué négativement, dénigré, et jugé trop souvent incompétent face aux techniciens et financiers [...] On doit s’interroger sur l’origine de cet essoufflement de la profession [...] Quelle a été l’attitude de tout ce corps professionnel ? Rien d’autre qu’une position neutre ponctuée de quelques réactions indignées face à un marché qui lui échappait tous les jours davantage. Et quel rôle joue l’architecte, en tout cela ? La plupart du temps, il est ignoré, mal connu, retranché seul, chez lui ou dans son agence, au milieu de ses ‘‘nègres’’... lorsqu’il n’est pas nègre lui-même ! Lié par la loi qui l’étouffe, sans puissance technique et financière, donc sans pouvoir de décision, il ne détient aucune possibilité réelle d’organisation, face à un système technico-économique de plus en plus puissant. »  [48]

50 Cette part de responsabilité qui revient aux architectes mérite approfondissement. Car leur passivité face à la concurrence interprofessionnelle n’est pas étrangère aux courants doctrinaux qui prévalaient, avant et après 1968.

51 Avant 1968, l’École des Beaux-Arts instillait une idéologie de l’ « architecte-artiste » coupé des réalités de ce monde. Une enquête de 1965 observe : « À l’École des Beaux-Arts prévaut encore la croyance en la toute puissance créatrice du sentiment, de la fantaisie, du tempérament »  [49]. Cette idéologie a eu des conséquences sur la façon dont les architectes se représentaient la hiérarchie des disciplines au service de leur art. Tout en haut : la composition, les lavis et les jus ; tout en bas : le calcul des déperditions thermiques, les descentes de charges et les devis. Cela explique en partie pourquoi les architectes ont accepté si facilement de se dessaisir des questions techniques et économiques. C’est à cette époque que les ingénieurs, plus pragmatiques, ont commencé à investir le secteur du Bâtiment.

52 Après 1968, les architectes voudront se débarrasser à la fois de l’École, symbole de la tradition académique, et de l’Ordre que beaucoup assimilaient à une corporation vichyste [50]. En 1966, certains voulaient déjà « jeter le quai Malaquais dans la Seine ». Les architectes se détourneront alors de la profession libérale, décriée au nom de l’idéologie marxiste, et évoqueront volontiers leur propre disparition [51]. Mais les motifs révolutionnaires ne seront pas seuls impliqués dans cette érosion du pouvoir des architectes. Conjoncture improbable, l’époque fut aussi celle de la prolifération de doctrines architecturales dont certaines ont contrarié les intérêts de la profession. Dans ses versions les plus radicales, la subordination de l’architecture à l’urbanisme impliquait la disparition de l’objet architectural – échelle non pertinente de l’acte de bâtir – et, de fait, celle des architectes. La vogue des utopies futuristes [52] appelait les architectes à concevoir des « projets de papier » qui, n’ayant pas pour but d’être construits, les détournaient, par une autre voie, des aspects techniques et économiques du métier et de la direction des chantiers. En devenant urbanistes ou futurologues, les architectes ont facilité l’installation des professions concurrentes.

53 Les deux séries de témoignages que nous venons d’exhumer réfutent l’interprétation courante selon laquelle le malaise de la profession d’architecte résulterait de la crise économique engendrée par les chocs pétroliers de 1973 et 1979-1980. Ils mettent en évidence l’existence d’une crise de légitimité plus profonde et occultée par la première. L’externalisation des compétences architecturales et la redéfinition subséquente du rôle des architectes ont été principalement déterminées par la concurrence exercée par les autres métiers du Bâtiment, et la passivité des architectes face à la captation de leur marché professionnel.

54 Il est à souhaiter que des études historiographiques aident à préciser les conditions d’émergence de cette crise de légitimité restée inaperçue.

Notes

  • [1]
    Guy Tapie, Élisabeth Courdurier, Thérèse Evette, Bernard Haumont, Les Professions de la maîtrise d’œuvre : architectes, ingénierie technique, économistes de la construction, spécialistes de l’ordonnancement, du pilotage et de la coordination, Paris, Ministère de l’Emploi, 2000.
  • [2]
    Les premiers résultats de ces entretiens ont été exploités dans Dominique Raynaud, « La profession d’architecte face à l’égalitarisme contemporain », The Tocqueville Review, no 29-2, 2008, p. 127-150.
  • [3]
    Gilbert Ramus, « Les mauvais choix français », Passion Architecture, no 1 5, 2005, p. 6-9, cité p. 6.
  • [4]
    C’est-à-dire possédant un code de déontologie, Jean Savatier, La Profession libérale. Étude juridique et pratique, Paris, LGDJ, 1947 ; Lucien Karpik, Les Avocats. Entre l’État, le public et le marché, XIIIe-XXe siècles, Paris, Gallimard, 1995, p. 255 ; Marie-Anne Frison-Roche, « Déontologie et discipline dans les professions libérales », Les Professions libérales (IIes Journées de l’Association H. Capitant, Nice, 1997), Paris, LGDJ, 1998, p. 103-118.
  • [5]
    À la suite des manquements fréquents de l’administration, seuls 41% des permis dépassant le seuil de 170 m2 sont en réalité visés par un architecte, CREDOC, Les Coûts de conception et de construction des maisons individuelles. Analyses économique comparée, Paris, DAPA, 1998.
  • [6]
    CERC [Yves Chassard, Philippe Madinier], Les Revenus des non salariés – professions artisanales, commerciales et libérales (Documents du CERC, no 53), Paris, Documentation française, 1980 ; Jean Jouineau et Alain Saison, « Les revenus des professions libérales à travers les déclarations fiscales : une forte dispersion », Économie et Statistique, no 187, 1986, p. 59-64 ; Philippe Ulmann, Olivier Ferrier, François Saint-Cast, L’État de féminisation des professions libérales, Rapport final pour le compte de la Délégation interministérielle aux Professions Libérales, s.l., 2001 .
  • [7]
    Nicolas Nogue et Jean-Michel Jacquet, « L’architecte, acteur économique », dans François Barré (sous la direction de), Être architecte, Paris, Editions du Patrimoine, 2000, p. 56-63, cité p. 59.
  • [8]
    Florent Champy, Sociologie de l’architecture, Paris, La Découverte, 2001, p. 58-59.
  • [9]
    Yves Dauge, Rapport d’information fait au nom de la commission des Affaires culturelles sur les métiers de l’architecture, Sénat, Rapport no 64, 16 novembre 2004, p. 4-6.
  • [10]
    « Repli de la commande » (Nogue et Jacquet) ; « réduction de taille des agences » (Champy) ; « crise du bâtiment... stagnation » (Dauge).
  • [11]
    Cf. Tableau de bord trimestriel de l’Observatoire du BTP, no 36 (2007), p. 3.
  • [12]
    IFOP, Observatoire de la profession d’architecte 2005, Paris, CNOA, 2005, p. 41-42.
  • [13]
    La référence à une crise de légitimité des architectes est peu fréquente, Isabelle Benjamin et François Aballéa, Évolution de la professionnalité des architectes. Diversification des pratiques, actualisation de la qualification, Paris, FORS, 1990.
  • [14]
    Max Weber, Économie et Société, Paris, Plon, 1995, p. 68, 287.
  • [15]
    Sources : Pierre Chevrière, Les Architectes, document polycopié du C16 (4e année), Versailles, École d’architecture de Versailles, 1995 ; Guy Tapie, Les Architectes : mutation d’une profession, Paris, L’Harmattan, 2000 ; EUROSTAT, Entreprises européeenes, Faits et chiffres, Données 1991-2001 , Luxembourg, OPOCE, 2003 ; Yves Dauge, Rapport d’information, op. cit., p. 5-6 ; INSEE, Annuaire statistique de la France, données 2004, Paris, INSEE, 2006. Les données ont été comparées aux statistiques professionnelles fournies par le CNOA, le SYNTEC, l’UNTEC ET l’OGE.
  • [16]
    Andrew Abbott, « Écologies liées », Pierre-Michel Menger (sous la direction de), Les Professions et leurs sociologies, Paris, Éditions de la MSH, 2003, p. 29-50.
  • [17]
    Voir aussi Annie Fourcaut, Danièle Voldman (sous la direction de), « Financer l’habitat. Le rôle de la CDC au XIX-XXe siècle », Histoire Urbaine, no 23, décembre 2008.
  • [18]
    La concurrence entre ingénieurs et architectes est aussi ancienne que le corps des Ponts et Chaussées. Elle est illustrée, entre autres épisodes, par le débat qui opposa l’architecte Poyet aux ingénieurs Prony et Navier en 1821-1822. Poyet, qui venait d’inventer le premier pont haubané, vit son projet refusé par le Conseil des Ponts. Il protesta alors en écrivant : « Les ingénieurs prétendent avoir le droit de faire de l’architecture et ne veulent pas que les architectes fassent des ponts, comme si les ponts n’étaient pas du domaine de l’architecture », Antoine Picon, Architectes et Ingénieurs au siècle des Lumières, Marseille, Parenthèses, 1988. Pour l’évolution des rapports entre ingénieurs et architectes, Catherine Jubelin-Boulmer et al., Hommes et Métiers du bâtiment, 1860- 1940. L’exemple des Hauts-de-Seine, Paris, Cahiers du Patrimoine, 2001 ; Odile Henry, « L’impossible professionalisation du métier d’ingénieur-conseil, 1880-1954 », Le Mouvement social, no 214, 2006, p. 37-54 ; Denyse Rodriguez Tomé, « L’organisation des architectes sous la IIIe République », Le Mouvement social, no 214, 2006, p. 55-76.
  • [19]
    Bernard Hirsch, Oublier Cergy. L’invention d’une ville nouvelle, Cergy-Pontoise 1965-1975. Récit d’un témoin, Paris, Presses de l’ENPC, 1990.
  • [20]
    « Les ingénieurs des Ponts tentent d’obtenir le monopole dans le domaine de l’urbanisme. Car le monopole est la seule situation rentable pour faire de la conquête de la ville un succès pour leur corps. Mais pour que le succès soit plein, ils ne peuvent se contenter du monopole au sein de l’Administration [...] Ils veulent un monopole plus large, s’étendant à l’ensemble de la société », Jean-Claude Thoenig, L’Ère des technocrates. Le cas des Ponts et Chaussées, Paris, Éditions d’Organisation, 1973, rééd. Paris, L’Harmattan, 1987, p. 126-127.
  • [21]
    Florent Champy, « Les architectes, les urbanistes et les paysagistes », Paquot Thierry, Lussault Michel et Body-Gendrot Sophie (sous la direction de), La Ville, l’urbain : l’état des savoirs, Paris, la Découverte, 2000, p. 215-224.
  • [22]
    Voir, sur cette période, Bruno Vayssière, Reconstruction-Déconstruction. Le Hard French ou l’architecture française des Trente Glorieuses, Paris, Picard, 1988 ; Christine Mengin, « La solution des grands ensembles », Vingtième siècle, no 64, 1999, p. 105-111 ; Éric Legendreau, L’État et l’architecture, 1958-1981, Paris, Picard, 2001 ; « Le grand ensemble, histoire et devenir », Urbanisme, no 322, 2002, p. 35-80 ; Annie Fourcaut et Loïc Vadelorge (sous la direction de), « Villes nouvelles et grands ensembles I », Histoire urbaine, no 17, décembre 2006 ; Dominique Hervier (sous la direction de), « Villes nouvelles et grands ensembles II. », Histoire Urbaine, no 20, décembre 2007.
  • [23]
    Sur ses réalisations, voir Christine Desmoulins, Bernard Zehrfuss, Paris, Éditions du Patrimoine, 2008.
  • [24]
    Architectes repères, Repères d’architecture : 1950-1975, Jean Balladur et Bernard Zehrfuss, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 1998, p. 38-40, 50.
  • [25]
    Claude Prelorenzo et Antoine Picon, L’Aventure du balnéaire : la Grande-Motte de Jean Balladur, Marseille, Parenthèses, 1999 ; Marie Roussel, Jean Balladur, architecte urbaniste, 1924- 2002, mémoire d’histoire de l’art, Tours, Université François Rabelais, 2005.
  • [26]
    Architectes repères, op. cit., p. 52-53 (Balladur).
  • [27]
    La direction du corps des Ponts et Chaussées préconisait aussi la fusion des deux ministères dans un dossier présenté en 1965 au président de la République, Thoenig, L’Ère des technocrates, op. cit., p. 99, 118.
  • [28]
    La répartition des ingénieurs des Ponts en 1969 fournit une illustration du pantouflage. Sur 1224, 704 (57%) sont en position dans l’administration centrale, régionale ou départementale, 169 (14%) détachés dans l’administration (coopération, etc.), 351 (29%) détachés sur les entreprises nationalisées ou en disponibilité dans le privé, Thoenig, L’Ère des technocrates, op. cit., p. 260. Un dépouillement systématique reste à faire à partir de l’Annuaire des ingénieurs du corps et des ingénieurs civils des Ponts et Chaussées, Paris, s.n., 1963-1990 et de l’Annuaire des ingénieurs des Travaux publics de l’État, Paris, Association amicale des ingénieurs des TPE, 1970-1976.
  • [29]
    Benoît Pouvreau, « Eugène Claudius-Petit : un ministre bâtisseur », Urbanisme, no 305, 1999, p. 33-40 ; Benoit Pouvreau, Un Politique en architecture : Eugène Claudius-Petit (1907-1989), Paris, Le Moniteur, 2004.
  • [30]
    « Cher Ancien, Tu n’es pas sans ignorer qu’une réforme de l’Enseignement de l’Architecture est imminente [...] Cette réforme de l’enseignement a une incidence directe sur la profession. Tu ne peux donc t’en désintéresser. En quoi la réforme est-elle dangereuse pour la Profession ? Les Écoles d’Architecture seront des écoles d’application ou de spécialisation de certaines grandes écoles d’ingénieurs. Ces ingénieurs rentreront directement en première classe, après un petit examen dont la valeur est très contestable. Conséquence : les simples Architectes devront travailler dans des bureaux d’études, sous la direction des « super-architectes-ingénieurs ». Un salarié peut-il conserver une liberté d’expression ? C’est l’abandon de la responsabilité juridique et morale », Philippe Molle, « Une lettre de la Grande Masse de l’ENSBA aux Anciens de l’École », L’Architecture française, no 261-262, 1964, p. XLVIII.
  • [31]
    Pieter Uyttenhove, Marcel Lods (1891-1978). Une architecture de l’action, thèse, Paris, EHESS, 1999.
  • [32]
    Anne-Charlotte Depondt-De Ruidiaz, La Construction métallique : le parcours de Paul Depondt, architecte, thèse, Paris, Université Panthéon-Sorbonne, 2004.
  • [33]
    Architectes repères, Repères d’architecture : Henri Beauclair et Henry Bernard, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 1999, p. 66-67.
  • [34]
    Julien Guadet, « Les devoirs professionnels de l’architecte », L’Architecture, 10 août 1895, repris dans ses Éléments et Théorie de l’architecture, Paris, La Construction Moderne, 1905, tome IV, p. 504-507.
  • [35]
    Claire Étienne-Steiner, Le Havre. Auguste Perret et la reconstruction, Paris, Images du Patrimoine, 1999 ; Maurice Culot et al., Les Frères Perret, l’œuvre complète, Paris, IFA/Norma, 2000 ; Jean-Louis Cohen et al., Encyclopédie Perret, Paris, Monum/Éditions du Patrimoine, 2002. Voir également Elisabeth Chauvin, Pierre Gencey « L’appartement témoin Perret au Havre. Un idéal moderne et démocratique au service d’une œuvre urbaine globale », Histoire Urbaine no 20, p. 39-54.
  • [36]
    Auguste Perret, « À l’attention des architectes : une nouvelle conception de la profession », L’Architecture française, no 60-61, 1946, p. 79.
  • [37]
    Jean-Lucien Bonillo, Fernand Pouillon, architecte méditerranéen, Marseille, Imbernon, 2001 ; Jacques Lucan (sous la direction de), Fernand Pouillon, architecte. Pantin, Montrouge, Meudon-la-Forêt, Paris, Picard, 2003 ; Danièle Voldman, Fernand Pouillon, architecte, Paris, Payot, 2006.
  • [38]
    Pouillon prétend que ce fut le premier bureau d’études techniques « entièrement dans la main de l’architecte » (à la différence de ceux qui suivirent). L’histoire des bureaux de contrôle est quant à elle plus ancienne, puisque Veritas fut créé en 1828 à Anvers, sur des missions de construction navale, et que Securitas fut fondé sur le même modèle par André Bérard en 1929. Le texte de présentation du bureau Securitas est reproduit par Jean-Pierre Épron (sous la direction de), Architecture, une anthologie, 1 . La Culture architecturale ; 2. Les Architectes et le Projet ; 3. La Commande en architecture, Bruxelles, Mardaga, 1992-1993, p. 259.
  • [39]
    Fernand Pouillon, Indiscutablement les architectes se sont laissés manœuvrer, mais ils étaient contents, Entretiens avec Félix Dubor et Michel Raynaud, Paris, Connivences, 1988.
  • [40]
    Fernand Pouillon, Mémoires d’un architecte, Paris, Seuil, 1968, p. 286-289.
  • [41]
    1943 (Roux-Spitz), 1946 (Perret), après 1958 (Zehrfuss), 1962 [1966] (Balladur), 1965-1968 (Pouillon), avant 1973 (Beauclair).
  • [42]
    Comme le dit Florence Contenay, « L’exercice de la profession », op. cit., p. 17 : « Les orientations des pouvoirs publics ne sont pas étrangères à la crise de la profession ». On ne peut toutefois pas souscrire à l’idée que « la France est sans doute le seul pays à avoir organisé administrativement la désorganisation d’une profession », Gilbert Ramus, « Les mauvais choix français », op. cit., p. 7. Ce diagnostic est opposable. Le décret no 59-1157 du 29 septembre 1959, modifiant le décret no 49-1 65 du 7 février 1949, stipule que « lorsque la complexité des techniques à mettre en œuvre nécessite le concours d’un bureau d’études techniques ou un groupement d’hommes de l’art de diverses disciplines, les honoraires globaux dus par la collectivité pour l’établissement d’un même projet, la direction et leur réception peuvent être portées au taux de 6 p. 100, calculé sur le montant des dépenses totales ». Il est difficile de lire ici une volonté d’accorder plus de pouvoir aux ingénieurs – même si le décret eut effectivement ce résultat.
  • [43]
    Raymonde Moulin, Françoise Dubost, Alain Gras, Jacques Lautman, Jean-Pierre Martinon et Dominique Schnapper, Les Architectes : métamorphoses d’une profession libérale, Paris, Calmann-Lévy, 1973, p. 68 ; Raymonde Moulin et Jacques Lautman, « Les architectes, la profession libérale et son aggiornamento », Cahiers de la Recherche architecturale, no 2, 1978, p. 49-55.
  • [44]
    Yves Dauge, Rapport d’information, op. cit., p. 92.
  • [45]
    Ainsi s’exprime un jeune ingénieur des Travaux publics, exerçant en région parisienne : « La question de la co-conception, de la conception distribuée ou de la conception coopérative est toujours posée d’une façon indirecte qui évite de toucher à la tâche sacrée que l’on confie habituellement aux architectes : celle de la conception initiale des projets. »
  • [46]
    Michel Callon, « Le travail de conception en architecture », Cahiers de la Recherche architecturale, no 37, 1996, p. 25-35 ; Idem, « Concevoir : modèle hiérarchique et modèle négocié », Stoa, no 2, 1997, p. 88-94 ; analyse critique : Dominique Raynaud, « Expertise et compétences professionnelles de l’architecte dans le travail de conception », Sociologie du Travail, no 43, 2001 , p. 451- 470.
  • [47]
    On rappellera que la Caisse des dépôts a, sous la direction de François Bloch-Lainé, initié la création de plusieurs bureaux d’études techniques, dont BETURE et BETEREM.
  • [48]
    François Pelletrat, « Pour une intégration de l’architecte », op. cit., p. 5.
  • [49]
    Les résultats de l’enquête, conduite par Jacques Barda, Pierre Clément, Jean-Paul Gautron et Pierre Lefèvre, seront publiés en septembre 1965 dans Melpomène, la revue de la Grande Masse.
  • [50]
    Ce qu’elle n’était pas, puisque le statut de profession libérale entré en vigueur dans la loi Hautecoeur de 1940, avait été soutenu successivement par Guadet en 1895, Antoine en 1927, Jean Zay en 1938.
  • [51]
    « L’architecte n’a plus de rôle à jouer, car l’architecture n’est pas la création d’un homme, mais une résultante sociale », témoignage recueilli par Christian Gaillard, Philippe Nick, Monique Vidal, Michèle Lévy-Grange, L’Architecte, lui-même et les autres, Grenoble, PUG, 1973, p. 52. « Nous voulons lutter contre la domination de la profession sous la forme du Conseil de l’Ordre ou d’autres organismes corporatifs », « Motion du 15 Mai », Architecture Mouvement Continuité, no 167, 1968, p. 11. Le Livre d’Or de l’architecture, édité par la Grande Masse en 1968, se demande « à quoi sert l’architecte ? ». Un an plus tard, on évoquera « la fin des architectes » (Pierre Riboulet), cf. Jacques Lucan, France Architecture 1965-1980, Paris, Electa Moniteur, 1989, p. 28-32. Dans les années 1968, les principales formations politiques au sein de l’École étaient : l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), le Comité de liaison des étudiants révolutionnaires (CLER), l’Union des jeunes communistes marxistes-léninistes (UJCML), puis Vivre la révolution (VLR). André Gutton, qui cumulait la chaire de Théorie de l’architecture de l’École des Beaux-Arts et la présidence du Conseil régional de Paris de l’Ordre des Architectes, incarnait tout ce que détestait la jeune génération.
  • [52]
    Cette vogue tira partie d’expériences étrangères analogues : le métabolisme au Japon, Archigram en Grande-Bretagne, l’architecture mobile (Friedman, Emmerich, Otto...), réunissant des personnalités internationales qui avaient rompu avec les CIAM. C’est dans le sillage de ces recherches qu’apparurent dans la France d’après 1965 des projets de « ville-pont » (Friedman), de « ville cybernétique » (Schöffer), de « ville totale » (Bernard), d’ « habitat sous-marin » (Rougerie), de « ville lunaire » (Rottier ; Hanémian, Baudet), de « ville cosmique » (Xenakis), mouvement auquel on peut adjoindre l’ « architecture oblique » (Parent) et les « mégastructures » du groupe Miatso. Michel Ragon a personnellement contribué à la diffusion de ces utopies par la publication d’un livre, Où vivrons-nous demain ? Paris, Robert Laffont, 1963. Parallèlement, un disciple de Lefebvre, Hubert Tonka, fondera la revue Utopie où l’on retrouvera les signatures de Baudrillard, Jungmann, Stinco entre 1967 et 1969.
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