Notes
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[1]
INSEE 1990.
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[2]
Denis Peaucelle, Mourenx bâtiment A, rue des pionniers, Lacq Odyssée, 1997, p. 16; Karin Bordenave, « Mourenx, une ville nouvelle », Le Festin, no 26, juin 1998.
-
[3]
Jean-Benjamin Maneval (1923-1986), Architecte diplômé de l’École nationale supérieure des Beaux Arts. Il se singularise par l’expérimentation de matières plastiques en architecture; membre de l’Urban Land Institut.
-
[4]
Marie-Christine Kessler et Jean-Luc Bodiguel (sous la direction de), L’expérience française des villes nouvelles, actes de la journée d’études du 19 avril 1969 à la FNSP, Paris, Armand Colin, 1970.
-
[5]
Denis Peaucelle, Mourenx bâtiment A..., op. cit.
-
[6]
Max Weber, La ville, Paris, Aubier Montaigne, 1982.
-
[7]
Marie-Christine Kessler et Jean-Luc Bodiguel (sous la direction de), L’expérience française des villes nouvelles..., op. cit., p. 28.
-
[8]
http :// www. ville-de-mourenx. fr.
-
[9]
Marie-Christine Kessler et Jean-Luc Bodiguel (sous la direction de), L’expérience française des villes nouvelles..., op. cit., p. 29.
-
[10]
Henri Lefebvre, Introduction à la modernité, Paris, Minuit, 1962, p. 123.
-
[11]
INSEE 1990.
-
[12]
Certains, comme Roland Castro ou Bruno Vayssière, considèrent que les réalisations des Trente Glorieuses possèdent des qualités esthétiques, plastiques et spatiales et par conséquent œuvrant pour des réhabilitations qui sans les détruire soulignent au contraire leurs caractères originels.
-
[13]
Denis Camborde, Mourenx : la quête d’une nouvelle identité, École d’architecture de Paris-Belleville, 1998.
-
[14]
Cabinet ARCUS, Mourenx : projet de renouvellement urbain, 2002.
-
[15]
Henri Lefebvre, Introduction à la modernité..., op. cit., p. 125.
1La ville de Mourenx, située à 25 km de Pau, est une ville créée ex nihilo en 1957. Son évolution a été dans un premier temps liée au développement économique du complexe industriel de Lacq. Aujourd’hui, elle prend sa place dans une configuration territoriale post-industrielle. Au dernier recensement, Mourenx est une petite ville de 7 576 habitants [1], qui après avoir connu un déclin démographique, voit sa population se stabiliser.
Une « ville industrielle » dont la création associe un acteur économique public au ministère de la Construction
2En 1941, est créée la Société Nationale des Pétroles d’Aquitaine (SNPA) qui aura en charge l’exploitation et le développement du site de Lacq et en 1949, lors de premiers forages, est découvert le gisement de gaz naturel autour duquel plusieurs usines pétrochimiques vont s’installer. En 1957, lors de la création du complexe industriel, la SNPA est au cœur du dispositif. C’est une période d’euphorie, on peut relever dans la presse de l’époque des expressions comme « le Bakou pyrénéen » (dans la République des Pyrénées), « l’ère du Texas béarnais est arrivée » [2]. De fait, plusieurs usines vont s’implanter : outre la centrale thermique d’Artix qui traite le gaz de Lacq, Pechiney crée une usine d’aluminium, Aquitaine Chimie installe une unité de production de méthanol et de chlorure de vinyle, enfin Aquitaine plastique, filiale de la SNPA, construit une usine de fabrication de polyéthylène puis de polystyrène. En 1960, le complexe industriel est une réalité : 7 000 emplois sont créés, jeunes couples et familles arrivent de toute la France et d’Afrique du Nord. Pour l’arrivée de 15 000 personnes prévues, un programme de logements va être mis en place. La SNPA qui doit loger ses employés, va accélérer le projet et fait appel à Jean-Benjamin Maneval [3] qui travaille avec Jacques-Henri Labourdette sur le chantier de Sarcelles; associé à René-André CoulonetPhilippeDouillet, ilseralemaître d’œuvre de la ville nouvelle, en particulier il sera l’auteur du plan-masse, après que dans un premier temps, d’autres solutions ont été envisagées.
3En effet, dans un premier temps, la construction de nouveaux quartiers est prévue dans les deux villes avoisinantes du site industriel, Pau et Orthez, mais les municipalités de ces deux villes refusent la construction de nouveaux quartiers pour accueillir les nouveaux arrivants, par la crainte politique de voir arriver « un clan de communistes », ou la crainte sociale de voir arriver « la racaille ». Ces refus vont amener les architectes à proposer une solution sur le site ou proche du complexe. En 1956, est élaboré un plan d’urbanisme disséminant la population ouvrière dans les villages alentours, Lagor, Artix et Abidos. Chaque village devait accueillir une partie des 3 000 logements prévus, mais le coût en termes d’équipements et de réseaux, les problèmes d’assainissement et les difficultés pour le maître d’ouvrage étaient tels que cette solution fut abandonnée; seul sera construit un lotissement pour cadres à Lagor.
4C’est donc, in fine, une ville nouvelle prévue pour 12 000 habitants que va créer la SNPA associée à la Caisse des Dépôts et Consignations et à sa filiale opérationnelle, la SCIC.
5La SCIL – Société Civile Immobilière de Lacq – voit en effet le jour : 20% appartiennent à la SCIC, 20% à la SNPA et 60% à la CDC, mais c’est la SCIC qui acquiert directement les terrains et qui est maître d’ouvrage. La SAE, Société Auxiliaire d’Entreprises est chargée de la construction.
6Le montage de l’opération est réalisé totalement hors du champ local. Aucune municipalité n’y est associée. Il a, de plus, un caractère privé même si les capitaux sont publics (CDC). Les terrains sont choisis sur la commune rurale de Mourenx. Ce sont des terrains marécageux appartenant à seulement trois propriétaires ce qui va faciliter leur acquisition. Le village de Mourenx n’est pas inclus dans l’opération : il est considéré comme territoire rural et reste en marge de l’opération. La ville nouvelle s’implante à l’écart, liée à la nature par ses multiples espaces verts : hors les bâtiments et les places tout est planté et aménagé mais ce n’est plus un territoire rural, c’est celui de la ville nouvelle. L’exclusion des acteurs locaux ira jusqu’aux offices HLM qui ne seront jamais sollicités. C’est au fond une « ville patronale » et une ville résolument « moderne », créée ex nihilo.
7Une fondation d’origine privée, la toute puissance de la SCIC et l’inexistence du pouvoir communal local caractérisent la création de la ville nouvelle de Mourenx. La loi Boscher en tiendra-t-elle compte ? On peut le penser : les leçons des difficultés rencontrées dans les rapports avec les acteurs locaux pour établir la ville de Mourenx, seront retenues. Lors du colloque de la Fondation nationale de sciences politiques en 1970 sur l’expérience des villes nouvelles [4], Mourenx sera présentée comme un laboratoire précurseur très utile pour la politique future des villes nouvelles. Notons d’ailleurs que contrairement à Toulouse-le-Mirail, elle n’est pas créée dans le cadre de la loi sur les ZUP, votée un an plus tard.
La question du plan du « Civic Center »: une modernité à la française ?
8En effet, Mourenx est conçue comme une ville autonome, bien différente de celle des grands ensembles « traditionnels », si tant est que puisse être utilisé ce qualificatif pour ces réalisations : « cette ville doit assurer à ses habitants le maximum de confort que peut apporter la technique moderne. Un groupement d’habitation de 12 000 âmes est une véritable cité, pas un bourg ou un gros village; pour qu’une ville existe, elle a besoin d’un cœur, pour que le cœur vive, il lui faut une certaine densité de population que l’on peut obtenir que par les immeubles. » [5] C’est ainsi que l’architecte Jean-Benjamin Maneval, définit les principes de construction de la ville nouvelle.
9Contrairement à une idée couramment entretenue, on est relativement éloignée des principes de la Charte d’Athènes. Celle-ci, en effet, avait évacué la question du statut politique de la ville : livrée à l’approche fonctionnaliste, elle devient un territoire analogue à l’usine, rompant ainsi avec la fabrication urbaine traditionnelle. Max Weber [6] avait bien montré le caractère particulier de la commune européenne, rupture effectuée avec le lignage, création de l’espace public comme support ou médiateur de la démocratie, dont une des conséquences matérielle est l’existence d’un patrimoine communal géré directement par la commune, représentante d’un intérêt public et garantissant son autonomie. Avec Le Corbusier et la Charte, la pensée technocratique est à l’œuvre; la cité perd tout statut politique particulier. L’État tout-puissant prend le relais de la politique urbaine, ce qui sera le cas, en France où l’après-guerre se caractérise par « le tout-État ». Concernant la politique des grands ensembles, le rôle de l’État tend à prévaloir sur le territoire des communes, certes souvent dans un consensus général, mais la politique des villes, en particulier du logement, se décide de plus en plus à Paris loin des acteurs locaux.
La mairie de Mourenx, collection particulière.
La mairie de Mourenx, collection particulière.
10Alors comment expliquer que la ville nouvelle de Mourenx, tout en étant caractérisée par la rationalité de son organisation spatiale, est définie dès sa création comme une entité locale avec sa mairie, ses services et ses élus ? Peut-être faut-il y voir une influence des débats en cours aux CIAM (Congrès Internationaux d’Architecture Moderne) dont un des derniers congrès traitera de la question du « civic center », de la nécessité de créer un cœur, métaphore anthropomorphe à la mode; peut être faut-il y voir également, l’influence de la période de la Reconstruction et des débats sur la ville qu’elle a occasionnés (Lorient...), et sûrement une influence venue de l’expérience des « news towns » anglo-saxonnes.
11Dans le plan de création de Mourenx, l’existence d’un centre comprenant la nouvelle mairie avec sa place, les quartiers étant structurés par diverses autres places, vont à l’encontre de l’urbanisme fonctionnaliste défini par la Charte d’Athènes. Celle-ci proscrit tout espace public urbain au profit de l’espace de la mobilité et de la nature, ce qui est loin d’être le cas à Mourenx. Comment a été prise la décision de cet espace symbolique de représentation ? Nous savons que le plan a été établi très rapidement par Jean-Benjamin Maneval dont on peut penser que le rôle a été décisif dans la conception; en revanche, le rôle de la SCIC et des autres partenaires semble avoir été négligeable. De toute façon, c’est dans un temps très court que le plan a été préparé et les décisions prises. Il est à noter que l’importance de l’existence du centre-ville est souligné dés 1969 lors de la journée d’étude sur les villes nouvelles par Marie-Christine Kessler : « L’expérience de Mourenx devrait permettre d’approfondir la nature des conditions que doivent remplir des centres urbains nouveaux pour être des créations équilibrées. » [7]
12La ville nouvelle de Mourenx est composée à partir d’un plan-masse organisé « autour d’une place centrale et de deux voies perpendiculaires » [8]. Le centre est matérialisé par plusieurs places : place de la Mairie, du marché. L’ensemble joue avec le relief, en particulier la pente : la place de la mairie est associée à la tour la plus haute, la tour des célibataires, avec un rappel des couverts de bastide, auxquelles l’architecte Jean-Benjamin Maneval fera explicitement référence. De façon générale, les espaces centraux sont piétonniers, la voiture étant cantonnée dans des parkings à l’arrière des espaces publics. Cinq ensembles de 300 logements dont trois autour du centre, comportant chacun une tour et composés de barres, forment un îlot ouvert, relié chacun à un groupement de logements individuels et disposant d’une école élémentaire. Le sol est pour l’essentiel « communautaire » sauf au pied des immeubles où semble-t-il, depuis le début existent des jardins privatifs. Ce détail démontre les influences très diverses qui ont orienté ce projet. Enfin, pelouses et plantations structurent des espaces interstitiels.
13Les équipements forment un ensemble, regroupés dans la partie est de la ville, « Cité Scolaire » dans laquelle sont rassemblés les établissements de l’enseignement secondaire, équipements sportifs très diversifiés; c’est également une différence essentielle avec les grands ensembles : « cette opé-ration se différencie de celle des grands ensembles car elle a fait l’objet d’un plan d’urbanisme et en ce que ce plan comportait une gamme complète d’équipements collectifs » [9].
14Les types de bâtiments sont ceux déjà mis au point dans les opérations parisiennes : barres et tours avec un système constructif permettant la rapidité de construction. Les constructions pavillonnaires réservées à la maîtrise et aux cadres sont éloignées du centre, bénéficiant du paysage et du cadre végétal du site. Le rendement était de 270 à 280 appartements par mois. 2 300 logements furent construits; la conception en est simple : dans les barres, chaque cage d’escalier dessert deux appartements par pallier; les cellules sont traversantes, la plupart avec loggia; les logements vont du F1 au F5; les pièces d’eau et la pièce principale, le living-room, sont pour tous les mêmes : une cuisine de 6,5 m avec évier, une salle de bain de moins de 4 m possédant douche, lavabo et toilettes. Elles sont organisées en « bloc-eau » autour des cages d’escaliers. Le living fait 18 m et donne sur une loggia. Les appartements les plus grands sont « en bout » de bâtiment. Les surfaces de logements sont minimales et en dessous des normes actuelles : un T3 fait 52 m, un T4,63. Cela étant, ils possèdent tous le chauffage par le sol, signe de modernité évidente. Associée à la place centrale, la tour des célibataires est atypique : elle ne comporte que des F1 et un restaurant panoramique au dernier étage.
15La conception de Mourenx est très proche de celle des grands ensembles, en particulier par l’utilisation des deux formes architecturales qui les caractérisent : tours et barres. Ces deux types modernes d’habitat collectif et sériel rendent difficiles l’individuation et l’appropriation de l’espace. Comme l’écrivait H. Lefebvre, « la Ville Nouvelle ne se présente pas mal. Le plan d’ensemble (le plan-masse), ne manque pas d’allure... Pourtant, chaque fois, je m’effraie devant ces machines à habiter » [10]. De plus, l’essentiel du parc immobilier appartient à la SCIC. Encore aujourd’hui la statut de locataire est majoritaire dans la ville de Mourenx : 1 040 propriétaires, 2 174 locataires et 2 131 logements sociaux.
16Même si l’organisation spatiale est ségrégative, l’existence d’une centralité très affirmée a permis le développement d’une vie locale autour de la municipalité qui après les manifestations de 1962 contre la SCIC, va constituer une tribune pour les locataires : pendant plusieurs années, la SCIC éponge les déficits et les reporte sur les charges. Longtemps municipalité « rouge », Mourenx était bien ce repère de communistes pressenti par Pau la bourgeoise.
De réhabilitation en démolition : la fin de la « ville industrielle »
17En 1973, les industries de Lacq subissent la première crise pétrolière de plein fouet. En 1980, l’usine Péchiney qui employait 5 000 personnes, ferme ses portes. Mourenx va perdre 3 000 habitants et n’en comptera plus que 9 000 en 1980.
18Cette situation économique s’accompagne d’une dégradation du domaine bâti qui avait été construit très rapidement puis peu entretenu. Surtout, il présentait des pathologies constructives sérieuses : étanchéité des toitures terrasses, fissures des murs extérieurs, menuiseries bois en très mauvais état... Ces problèmes sont communs à de nombreuses réalisations des années 1950-1960, en particulier les grands ensembles.
19Dans les années 1980, un nombre important de logements est vacant. La SCIC va mener une campagne de réhabilitation des immeubles, commençant par les bâtiments les plus dégradés : isolation par l’extérieur des bâtiments, remplacements des tuyaux de réseaux d’eau et de gaz, remplacements des menuiseries... La réhabilitation est largement soutenue par les élus locaux et la municipalité; malgré cela, la ville continue à se vider de ses habitants : elle passe à 7 500 habitants en 1990 [11] et voit sa population vieillir.
20Une simple réhabilitation ne suffit pas. Le maire de Mourenx va développer une politique attractive pour inciter de nouveaux habitants à venir s’installer : dès 1992, des travaux d’embellissement vont être effectués en particulier en centre-ville; en même temps, seront construits trois lotissements et une seconde campagne de réhabilitation va avoir lieu concernant cette fois-ci l’aspect des bâtiments.
21Comme les grands ensembles, Mourenx souffre de l’image dévalorisée d’une modernité qui n’est plus hors du temps et des contingences mais atteinte par les divers déboires des constructions : revêtement sale, fissures, manque d’entretiens des espaces extérieurs, et par le caractère désuet des éléments de confort, l’allure répétitive et l’aspect monotone des bâtiments. Autour des réhabilitations, le débat entre architectes et maîtres d’ouvrages a été difficile [12]. À Mourenx, c’est la transformation des bâtiments qui a été choisie dans leur aspect extérieur, plus que dans leur conception intérieure. C’est l’image de la « ville industrielle » qui est en question et l’enjeu est la transformation de cette image. Deux réhabilitations éclairent bien ces questions : la transformation de la tour « des célibataires » et la cassure effectuée dans la barre S, rompant ainsi avec l’organisation d’origine.
22La « tour des célibataires, C2 » située face à la mairie était un des signaux de la « ville industrielle ». Construite pour accueillir les nouveaux ouvriers, elle domine la ville de ses dix-huit étages. Essentiellement composée de studios, elle va subir quatre types d’interventions : une restructuration pour obtenir des appartements plus grands, l’amélioration de l’habitabilité en terme d’étanchéité, d’insonorisation, d’isolation... la réfection des parties communes, la mise aux normes pour la sécurité incendie, le traitement des façades [13], variations des percements, des couleurs, adjonctions de balcons. Concernant les « barres », l’intervention sur la barre S consiste à casser la linéarité de 130 mètres de long en fracturant la barre en son milieu par la suppression de trois appartements et la restructuration des pignons par des terrasses. Des balcons sont ajoutés pour enrichir la façade et améliorer les logements; enfin des entrées visibles sont créées.
23Toutes ces interventions qui ont lieu entre 1990 et 1996 ont permis, en partie, de revaloriser le centre ville de Mourenx; elles sont faites en accord avec la population habitant le centre, avec la municipalité et la SCIC comme maître d’ouvrage. La ville de Mourenx inscrit le renouvellement urbain – version loi Solidarité et Renouvellement Urbain – dans un système décisionnel que nous qualifierons « d’interne »: les décisions prises, certes négociées avec la SCIC, tiennent compte du point de vue des habitants des tours et des barres, qui restent largement majoritaires. À Mourenx, le centre c’est la ville moderne et non pas le village ancien. Dans le projet de renouvellement urbain de novembre 2002, document préparatoire au contrat de ville, il est noté que « la ville nouvelle de Mourenx correspond à ce que l’on désigne aujourd’hui comme le centre-ville de la commune ». Mais un peu plus loin, il est écrit « sa conception, ses composantes et sa morphologie l’apparente plus sûrement à un grand ensemble, en dépit d’une réelle identité et d’un caractère qui reste avenant... Alors que la forme urbaine est de plus en plus en décalage avec les critères actuels d’attractivité, la ville rencontre maintenant des symptômes caractéristiques de la banlieue [14] ».
24Mourenx peut être considérée comme une ville de banlieue : « la population récente est arrivée plus pour le logement social que pour l’emploi local ». Pau et Orthez avaient refusé d’accueillir la population ouvrière; et c’est aujourd’hui, une population captive, en difficulté, qui est logée à Mourenx, soit des personnes âgées, anciennement salariées des usines du complexe, soit des nouveaux venus, en particulier de jeunes ménages, n’ayant pas trouvé de logements décents ailleurs dans la région. Nous retrouvons certaines caractéristiques d’un grand ensemble de banlieue mais dans un contexte de centralité urbaine favorable : les 2 174 logements sociaux de la ville ont permis le redressement du chiffre de la population observée dans ces dernières années. Si durant quelques décennies, l’ancien village de Mourenx, devenu en quelque sorte, un bourg de la ville nouvelle, voyait sa population augmenter, la « ville industrielle » est aujourd’hui, réinvestie par une population diversifiée et conserve le « leadership » sur un territoire vaste mais peu homogène puisque au-delà du noyau moderne et du village, les lotissements s’établissent de plus en plus loin.
Deux réhabilitations, collection particulière.
Deux réhabilitations, collection particulière.
25Une différence essentielle avec un de ces grands ensembles qui couvre le territoire après-guerre porte, plus particulièrement, sur le statut communal qu’a acquis la ville nouvelle; il permet une politique locale définie par et avec les habitants de celle-ci et non pas une politique définie « de l’extérieur » comme c’est le cas pour de nombreux grands ensembles. Les attendus du projet de renouvellement en sont une démonstration. Si la mixité sociale, la diversité de l’offre résidentielle sont affirmées comme objectifs, l’ancienne ville nouvelle continue à être l’objet d’améliorations. La démolition de la tour de l’Aubisque, une des dernières opérations est significative. Construite en 1958, elle dominait un des grands îlots de ses douze étages. À la demande des habitants de l’îlot, elle a été démolie en 2002 avec une subvention européenne FEDER pour créer un parc à l’intérieur de l’îlot. Cet allégement de densité du centreville participe plus d’une amélioration du centre moderne que de sa disparition, c’est un renouvellement « en douceur ». Il ne s’agit plus de remettre en état la ville moderne telle qu’elle avait été projetée, mais de la qualifier comme centre d’un territoire hétérogène, tant du point de vue spatial que social en abandonnant l’homogénéité d’origine.
26Aujourd’hui, il n’y a plus de vacances de logement, mais se pose la question de l’intégration d’une population au chômage et de jeunes inactifs; les diverses réhabilitations ont justement permis de voir arriver de jeunes couples de Pau ou des villes avoisinantes, attirés par les logements neufs, les équipements et le caractère très vert de la ville.
27Henri Lefebvre [15], qui était originaire d’un village voisin de Mourenx, écrivait : « À Mourenx, je ne lis pas les siècles, ni le temps, ni le passé, ni le possible... je parcours la modernité; je lis surtout les craintes qu’elle peut inspirer : l’abstrait qui entre dans le vécu, l’analyse qui divise, sépare... Ailleurs, autrefois, la quotidienneté existait. Elle vivait... Ton village ne fût-il pas lui aussi, en son temps une ville nouvelle ?... La ville nouvelle met l’homme au défide créer la vie humaine. » Ces questions soulevées par le sociologue nous semblent toujours fondées par la réalité et l’évolution de Mourenx; le retour au local, caractéristique de notre temps, peut accompagner cette invention de la quotidienneté qu’il appelait de ses vœux.
Notes
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[1]
INSEE 1990.
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[2]
Denis Peaucelle, Mourenx bâtiment A, rue des pionniers, Lacq Odyssée, 1997, p. 16; Karin Bordenave, « Mourenx, une ville nouvelle », Le Festin, no 26, juin 1998.
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[3]
Jean-Benjamin Maneval (1923-1986), Architecte diplômé de l’École nationale supérieure des Beaux Arts. Il se singularise par l’expérimentation de matières plastiques en architecture; membre de l’Urban Land Institut.
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[4]
Marie-Christine Kessler et Jean-Luc Bodiguel (sous la direction de), L’expérience française des villes nouvelles, actes de la journée d’études du 19 avril 1969 à la FNSP, Paris, Armand Colin, 1970.
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[5]
Denis Peaucelle, Mourenx bâtiment A..., op. cit.
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[6]
Max Weber, La ville, Paris, Aubier Montaigne, 1982.
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[7]
Marie-Christine Kessler et Jean-Luc Bodiguel (sous la direction de), L’expérience française des villes nouvelles..., op. cit., p. 28.
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[8]
http :// www. ville-de-mourenx. fr.
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[9]
Marie-Christine Kessler et Jean-Luc Bodiguel (sous la direction de), L’expérience française des villes nouvelles..., op. cit., p. 29.
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[10]
Henri Lefebvre, Introduction à la modernité, Paris, Minuit, 1962, p. 123.
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[11]
INSEE 1990.
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[12]
Certains, comme Roland Castro ou Bruno Vayssière, considèrent que les réalisations des Trente Glorieuses possèdent des qualités esthétiques, plastiques et spatiales et par conséquent œuvrant pour des réhabilitations qui sans les détruire soulignent au contraire leurs caractères originels.
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[13]
Denis Camborde, Mourenx : la quête d’une nouvelle identité, École d’architecture de Paris-Belleville, 1998.
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[14]
Cabinet ARCUS, Mourenx : projet de renouvellement urbain, 2002.
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[15]
Henri Lefebvre, Introduction à la modernité..., op. cit., p. 125.