Jean Passini (sous la direction de), La ciudad medieval : de la casa al tejido urbano, édition de l’Université de Castilla-La Mancha, Cuenca, 2001,352 pages.
1 Cet ouvrage rassemble les conférences prononcées lors du premier cours d’histoire et d’urbanisme du Moyen  ge organisé par l’Université de Castilla-La Mancha. Il est constitué de 13 articles accompagné d’un index général de 18 pages. Les articles, tous rédigés en espagnol, traitent de l’architecture domestique et de tissu urbain en Méditerranée occidentale et orientale au Moyen  ge. Les sujets traités, les approches conceptuelles adoptées et les méthodes utilisées sont très variés en raison de l’appartenance des auteurs à des champs disciplinaires divers : histoire (Jean Pierre Molénat), archéologie (Manuel Acién Almansa, Julio Navarro Palazó n, etc.), géographie (Jean Claude David), urbanisme (Pierre Pinon) et architecture (Sakina Missoum). Les approches ne sont pas, toutefois, rigoureusement séparées les unes aux autres, mais se croisent et coexistent parfois dans le même article. Ces travaux portent sur trois ères géographiques : al-Andalus (dix articles), la Syrie (deux articles) et l’Algérie (un article).
2 Manuel Acién Almansa (p. 11-32) présente un bilan assez complet des recherches sur l’urbanisme musulman et dégage les caractères généraux des villes d’al-Andalus. Il s’oppose catégoriquement à la vision traditionnelle et réductrice, élaborée par plusieurs orientalistes d’époque coloniale – et maintenant abandonnée – qui considère la ville islamique comme anarchique et productrice de désordre urbain. Cette ville a ses propres principes qui sont déterminés par les règles du droit musulman; son plan s’explique par des raisons d’ordre social, à savoir l’hégémonie de l’espace privé au sein de la ville et la préservation de l’intimité des maisons. Il concentre son intérêt sur trois points essentiels : la naissance de la ville, la planification et les activités économiques exercées dans l’espace urbain.
3 Vicente Salvatierra Cuenca et Juan Antonio Garcia Granados (p. 33-50) s’attachent à étudier l’évolution des villes de la Péninsule ibérique et à reconstituer leur parcellaire à travers l’apport de la documentation contemporaine. Ils repèrent la trame des voies principales, l’articulation entre les grands espaces publics et privés, et les grandes phases d’extension de ces villes, notamment en analysant des photos-satellite. Ils tentent également de reconstituer le parcellaire d’époque musulmane dans les villes actuelles et à restituer, grâce aux données des fouilles archéologiques et à l’analyse stratigraphique des murs, les transformations que subirent les maisons au fil du temps.
4 Antonio Almagro et Antonio Orihuela (p. 51-70) présentent l’évolution architecturale des maisons islamiques de Grenade à partir de plusieurs enquêtes effectuées sur quelques maisons datant de l’époque nasride et sur dix maisons mauresques situées dans le quartier de l’Albaicín. Les deux chercheurs constatent que la maison andalouse évolue peu entre le Xe et le XIVe siècles et qu’il faut attendre le XVIe siècle pour voir la naissance d’un autre type d’habitat domestique, à savoir la maison mauresque. Ce changement de la disposition architecturale des maisons est motivé par l’augmentation de la densité urbaine qui s’est produite à partir du XIIIe siècle dans la majorité des médinas d’Andalousie et en particulier à Grenade.
5 Dans leur article intitulé « L’urbanisme musulman et sa transformation depuis la conquête chrétienne : le cas de Murcie » (p. 71-129), Pedro Jiménez Castillo et Julio Navarro Palazó n tentent d’identifier et d’analyser les règles qui régissent la formation et l’essor de la ville andalouse, et tout particulièrement de Murcie, à partir des données archéologiques et des indications contenues dans les sources textuelles médiévales. Après une analyse des caractéristiques générales de l’urbanisme traditionnel afin de situer Murcie dans le contexte global de la ville islamique, ils présentent les résultats auxquels ils sont parvenus sur la voirie, les installations commerciales et le parcellaire de Murcie musulmane. Ils abordent ensuite la question des transformations urbaines de la ville au lendemain de la reconquête chrétienne au milieu du XIIIe siècle. Les données archéologiques recueillis par les deux auteurs apportent des précisions sur ce que l’on savait déjà, à savoir que le pouvoir castillan restructurait l’espace urbain et essayait de l’adapter aux besoins de la société chrétienne en modifiant quelque peu le tracé des rues et l’ordonnance architecturale des maisons.
6 Sakina Missoum (p. 131-154) étudie les maisons algéroises datant de la période ottomane et propose un essai de typologie. Elle analyse la disposition des édifices et distingue deux types de maisons : les maisons à patio et galeries, et les maisons sans patio et galerie. La conception des maisons répond à des exigences sociales et à des conditions topographiques et climatiques. Le manque d’espace au sein de la médina d’Alger est compensé par la construction d’un ou deux étages, et par l’utilisation de l’espace public à partir d’une certaine hauteur par le biais des passages couverts qui forment des saillies et couvrent totalement les rues. L’auteur montre également l’intérêt des descriptions des voyageurs et des captifs des XVIe -XVIIIe siècles pour l’étude de la disposition des maisons, des matériaux et des techniques mises en œuvre par les maîtres-maçons algérois.
7 Jean-Claude David (p. 155-178) essaie de retracer l’évolution de l’architecture domestique d’Alep du XIIe au XVIe siècle. Il analyse les spécificités architecturales des maisons remontant aux époques ayyoubide (XIIe -XIIIe siècles) et mamelouke (XIIIe -XVIe siècles). Il essaie également d’apporter quelques éclaircissements sur les relations qui s’établissent entre les espaces à ciel ouvert et les espaces couverts, et sur la manière d’occuper et d’utiliser les quartiers résidentiels.
8 Pierre Pinon (p. 179-213) analyse la transition de la ville antique à la ville médiévale dans les parties orientales du bassin méditerranéen, notamment en Syrie. Il tente d’élaborer des reconstitutions hypothétiques des plans des villes. Les villes syriennes représentent le meilleur exemple de survivance des plans antiques, notamment dans le tracé des rues. Les transformations de l’espace urbain et de la morphologie du noyau primitif se manifestent dans l’occupation des espaces libres et la détérioration du bâti. Le changement du statut et de l’usage de l’espace entraînent des modifications morphologiques dans le tracé des voies et les découpages parcellaires.
9 Jean Pierre Van Staëvel (p. 215-239) propose des réflexions nouvelles sur les règles régissant l’urbanisme musulman, en particulier celui du monde andaloumaghrébin, à partir d’un ouvrage spécialement consacré à la propriété immobilière et au bon usage des biens immobiliers, rédigé dans la seconde moitié du Xesiècle par le juriste malikite de Tudèle, Ibn al-Imam. Cette source juridique est consacrée, en grande partie, aux questions relatives aux usages sociaux et à la gestion. Jean Pierre Van Staëvel met en évidence la prééminence de la propriété privée qui permet aux particuliers de contribuer amplement à la formation et à la transformation des paysages urbains. Cette hégémonie du privé est due au fait que le droit musulman est profondément individualiste, et qu’en ce sens il accorde aux habitants de la ville le libre exercice du droit de propriété. Toutefois, cette liberté est sujette à certaines règles communautaires qui visent à bien gérer l’espace entre voisins et à ne pas causer de dommages à autrui.
10 Magdalena Merlos Romero (p. 241-267) analyse avec une extrême minutie le palais de l’archevêque de Tolède et son environnement. Elle tente d’établir une restitution hypothétique de cet édifice en croisant des sources textuelles et des données fournies par une recherche approfondie sur les places, les rues et les ruelles qui se trouvent aux alentours du palais et de l’actuelle place de l’hôtel de ville.
11 Jean-Pierre Molénat (p. 269-280) s’intéresse aux nombreux palais édifiés au XVe siècle par la noblesse tolédane, ceux, encore en partie conservés, de Fuensalida, d’El Taller del Moro, des Diego Garcia ou Corral de San Diego, des Alvarez (la Casa de Mesa), de la duchesse d’Arjona et du marquis de Villena – ces deux derniers situés dans l’antique Juiverie – et ceux, transformés en couvents, de Gomez Pérez, de Fernando Dávalos et du seigneur de Mondéjar. Il fonde son étude uniquement sur un examen approfondi de toutes les sources textuelles existantes.
12 Ricardo Izquierdo Benito (p. 281-301 ) s’intéresse aux matériaux de construction utilisés dans les maisons tolédanes de la fin du Moyen Âge et aux outils employés par les constructeurs. Le corpus de textes du XVe siècle qu’il met en œuvre lui montre que Tolède ne présente aucune originalité par rapport aux autres villes castillanes.
13 Jean Passini (p. 303-316) livre les résultats de ses recherches archéologiques sur une maison médiévale située dans la ruelle de San Pedro. Il étudie les divers aspects architecturaux de cette habitation et retrace les modifications qu’elle a subies tout au long de son histoire. Les relevés, corroborés par les textes, témoignent de l’origine islamique du rez-de-chaussée de cette maison et d’une grande partie des édifices situés dans la même ruelle (San Pedro).
14 Carlos Barrio Aldea et Bienvenido Maquedano Carrasco (p. 317-334) présentent les premiers résultats auxquels ils sont parvenus lors des fouilles archéologiques entreprises sur l’emplacement des Cortes de Castilla-La Mancha qui se situe dans le secteur sud-ouest du centre historique de Tolède. Leur étude se réduit à l’élaboration de six plans qui correspondent à des phases historiques biens distinctes, car faute de moyens et de temps, ils n’ont pu analyser les matériaux récoltés durant ces chantiers de fouilles.
15 Les communications rassemblées dans ce volume sont de valeur très inégale comme dans tout recueil de ce type, mais elle reposent toutes sur les recherches personnelles documentaires ou archéologiques de leurs auteurs et présentent pour la plupart les résultats provisoires d’enquêtes en cours. Les travaux ainsi rassemblés montrent tout l’intérêt d’une approche pluridisciplinaire pour l’étude du bâti et du tissu urbain. Ils constituent donc un bon cours pour des étudiants et des chercheurs en histoire, archéologie, architecture et urbanisme qui s’intéressent à l’habitat domestique et à l’urbanisme des villes médiévales du monde méditerranéen de la Péninsule ibérique jusqu’à la Méditerranée orientale en passant par le Maghreb.