Notes
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[1]
L’étude sur la demeure urbaine bisontine que mène actuellement le service régional de l’Inventaire général de Franche-Comté est issue d’une enquête réalisée dans le cadre d’une opération-pilote sur l’extension du secteur sauvegardé de la ville de Besançon en partenariat avec le chargé d’étude. Créé en 1994, ce second secteur sauvegardé de 231 hectares comprend le cœur historique de la cité et d’importantes zones d’accompagnement à dominante végétale (flancs de la Citadelle, couronne des parcs, glacis des fortifications, rives du Doubs), lesquelles enveloppent presque entièrement le premier secteur sauvegardé, celui du quartier de Battant comprenant 31 hectares, créé en 1964 et approuvé en 1992. La superficie cumulée de ces deux emprises fait actuellement de Besançon le plus grand secteur sauvegardé de France.
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[2]
L. Estavoyer, Besançon au siècle des Lumières, Besançon, Cêtre, 1978, p. 15.
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[3]
Les archives de la ville conservent en série DD la presque intégralité des requêtes en voirie du XVIIIe siècle, presque toutes encore accompagnées des élévations de façades à rénover, permettant sur l’ensemble du siècle de se rendre compte de l’évolution des goûts en matière d’architecture.
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[4]
H. Walpole, Essai sur l’art des jardins modernes, Paris, Mercure de France, 2002, p. 15. Le jardin d’Alcinous, décrit par Homère dans L’Odyssée était d’après Walpole le plus renommé des « temps héroïques » bien qu’il ne contienne que quatre arpents plantés d’arbres, de vignes et de légumes.
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[5]
Ordre avait été donné à la troupe de détruire les maisons situées hors du rempart dans un rayon de 250 toises pour qu’elles ne puissent pas servir de poste avancé aux Autrichiens : c’est ainsi, que disparut, comme tant d’autres, celle de Claude-Antoine Colombot.
-
[6]
Hebdomadaire à caractère économique, créé sous la protection de l’Intendant Charles-André Lacoré et qui parut entre 1766 et 1775. Bibliothèque Municipale de Besançon, Per. 6210.
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[7]
M. Gresset, Gens de justice à Besançon, 1674-1789, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 1978, t. I, p. 408.
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[8]
Par exemple : Journal de ce qui s’est passé en Franche-Comté (1752-1789) par J. Dunand, publié par l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Besançon en 1896.
-
[9]
Voir la série AA des archives municipales de Besançon conservées à la Bibliothèque Municipale de Besançon.
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[10]
J. Guyot, É tude des vignobles de France, région de l’Est, Paris, Imprimerie Nationale, 1876.
-
[11]
Joseph Nodier, entrepreneur en maçonnerie, était le grand-père de l’écrivain Charles Nodier. Sa maison, construite sur une portion du jardin du couvent situé le long de la rue « Neuve » nouvellement tracée, existe toujours au no 11 de l’actuelle rue Charles Nodier.
-
[12]
Archives départementales du Doubs, H 204.
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[13]
On en signalait, par exemple, une dans l’hôtel Chifflet (situé 23, rue des Granges) dans l’inventaire de la maison de l’émigré Chifflet du 26 août 1793 : « dans le fond de la dite cour..., il y a à droite une chambre à lessive, à gauche une cuverie et des bûchers » (AD Doubs, Q 131 ).
-
[14]
Annonce parue dans le « Commissionnaire », BM Besançon, Per 6210.
-
[15]
AM Besançon, DD, 158 (72).
-
[16]
Nous pensons, par exemple, au mémoire du brigadier d’infanterie Bonaston proposant la suppression des trappes en bois des caves en 1782 (AM Besançon, DD 138).
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[17]
Gauthier, Voyage d’une Française en Suisse et en Franche-Comté depuis la Révolution, Londres, 1790, t. II, p. 217.
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[18]
Observations tirées d’un mémoire anonyme sur « Les embellissements de Besançon », sujet de concours donné par l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Besançon, en 1769-1770 (BM Besançon, MS 33). Par « place vide », il faut entendre « non construite ». Derrière les « mauvaises murailles » étaient abrités des jardins ou de la vigne.
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[19]
La relation de ce voyage a été publié par G. Perrenet, « Les députés suisses en Franche-Comté », Annales franc-comtoises, 1863, p. 174-175.
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[20]
Le jardin des Granvelle fut aménagé à partir de 1778 en promenade publique par l’architecte Claude-Joseph-Alexandre Bertrand. Sur l’aménagement de ce jardin, voir L. Estavoyer, Besançon au siècle des Lumières, op. cit., p. 103-111.
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[21]
Ces visions journalières sont aussi tirées de deux mémoires anonymes sur « Les embellissements de Besançon ». Celui de l’architecte Nicolas Nicole suggérait le projet de transformer la colline de Chaudanne toute proche de la ville, qui était alors selon l’architecte « agreste, inculte, triste », n’offrant aux yeux « qu’un spectacle sombre et sauvage », en promenade grecque grâce à des rampes en zig-zag en buis taillé montant à l’assaut de la montagne.
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[22]
Voyage d’une Française..., op. cit., p. 239-240.
-
[23]
D’après M. Gresset, Gens de justice à Besançon..., op. cit., t. I, p. 318.
-
[24]
D’après le journal de l’abbé Baverel (1744-1822) (BM Besançon, collection Baverel, 71-85).
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[25]
Cité par Madame Gauthier, op. cit., p. 239-240.
-
[26]
Histoire de Besançon, Paris, Nouvelle Librairie de France, 1965, t. II, p. 87.
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[27]
L’hôtel de Montmartin, intégré actuellement dans le périmètre de l’hôpital Saint-Jacques, avait été bâti pour le cardinal Antoine de Granvelle, à la fin du XVIe siècle.
-
[28]
Le surplus de l’héritage était en jardin.
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[29]
L’abricotier ne supportant pas un climat rude, on ne le trouve plus à Besançon et dans la région. Il faut croire qu’il existait à l’époque une race résistante au gel, qui a disparu depuis.
-
[30]
AM Besançon, DD 37, « visite d’un héritage appartenant à Luc Morel au joignant de la maison de la Tour de Montmartin le 17 janvier 1685 ».
-
[31]
AM Besançon, DD 158, fol. 72, article 13.
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[32]
Les archives publiques ne conservent aucun devis de construction des nombreux hôtels bâtis au XVIIIe siècle. Les contrats, se passant sous seing privé, restaient en possession des propriétaires. Certains d’entre eux subsistent encore dans les archives privées de certains châteaux comtois, mais sont évidemment difficiles d’accès.
-
[33]
Reconnaissance de la maison de l’émigré Droz, 7 septembre 1793, AD Doubs, Q 131.
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[34]
Reconnaissance de la maison de l’émigré Chifflet, 26 août 1793, AD Doubs, Q 131.
-
[35]
Ce plan du rez-de-chaussée de l’intendance avait été réalisé le 7 septembre 1754 par l’architecte voyer Charles-François Longin à l’occasion d’un réaménagement des combles pour y conserver des archives. AD Doubs, C (plan) 47,1.
-
[36]
Deux hôtels au moins sont attribués à des architectes parisiens : l’hôtel Petit de Marivat, construit en 1732 pour François Petit de Marivat, commissaire ordonnateur des guerres de la province, et attribué à Jean-François Blondel, et l’hôtel élevé pour le chanoine François Boitouset dans le deuxième quart du XVIIIe siècle (5, rue de la Convention) attribué à Germain Boffrand qui travaillait alors au projet de décoration de l’abside du Saint-Suaire à la cathédrale Saint-Jean.
-
[37]
D’après la reconnaissance de la maison de l’émigré Le Bas, 3 thermidor an II, AD Doubs, Q 131.
-
[38]
À l’hôtel d’Emskerque (44, Grande-rue) le pigeonnier était en pans-de-bois (AD Doubs, Q 540), tandis que le poulailler de l’hôtel de Grosbois (7, rue Girod-de-Chantrans) était bâti en brique (AD Doubs, 4 E, 108/28).
-
[39]
On peut citer, par exemple, l’immeuble bâti, en 1820, par l’architecte Pierre Marnotte pour l’avocat Grillet, 27, rue Mégevand, dont un plan conservé dans des archives privées montre au fond de la deuxième cour « des lieux » pour les domestiques, un creux à fumier, quatre bûchers et une chambre à lessive, remise et écurie étant situées dans la première cour.
-
[40]
Histoire de Besançon..., op. cit., p. 132.
-
[41]
J. E. Laviron (1764-1854) rédigea ses « annales » de 1788 à 1851, d’après M. Gresset, « Mémorialistes et Annalistes bisontins de la seconde moitié du XVIIIe siècle », Mémoires de la Société d’Emulation du Doubs, 2000, p. 29-46.
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[42]
Nicolas Appert (1749-1841 ) était à l’origine cuisinier. Il travailla notamment pour le duc de Deux-Ponts et la princesse de Forbach. Vers 1780, il s’installa comme confiseur à Paris et commença à s’intéresser au problème de la conservation des aliments. À partir de 1790, grâce aux fruits de ses expériences, il mit sur pied un nouveau commerce d’aliments conservés dans des récipients en verre et plus tard en fer-blanc. Il obtint en 1810 un prix de 12 000 francs par le ministre de l’intérieur, à condition de révéler son procédé.
-
[43]
Voir note 21.
-
[44]
Cette étude, appelée Nature en ville, commandée par la Direction régionale de l’Environnement, a été réalisée par des spécialistes de la flore et de la faune. Elle devrait permettre, à terme, d’introduire des règles de gestion destinées à préserver ce patrimoine fragile mais néanmoins très présent à Besançon. Notons que cette étude constitue, dans la mise en œuvre d’un secteur sauvegardé, une première en France. Pour le périmètre de l’extension du secteur sauvegardé, voir note 1.
1Au siècle des Lumières, Besançon connut « une expansion urbaine remarquable, remarquable par son intensité, par l’organisation parfaite des travaux menés, par la richesse des idées proposées et par la qualité des résultats obtenus » [2]. Cette opinion est partagée aujourd’hui par les historiens de la ville. C’était déjà le sentiment de beaucoup de bisontins du XVIIIe siècle, car la grande question était alors de participer au mouvement général d’embellissement, depuis les particuliers qui demandaient la permission de reconstruire les façades de leurs maisons pour les mettre au goût du jour [3], jusqu’à l’administration civile et le clergé. Mais il est d’autres domaines dont on ne parlait qu’incidemment, qui allaient même de soi, notamment celui relevant de la stricte économie familiale, de ses pratiques, de ses approvisionnements quotidiens. Aujourd’hui, il est intéressant de rassembler les témoignages de cette osmose économique avec l’environnement rural même s’il n’est pas aisé de s’attacher à montrer cette autre face de la vie urbaine, imprégnée d’influences rurales, tissée de relations d’habitude avec ce milieu. Si dans les promenades publiques, créées au cours du siècle, l’habitant goûtait les avantages et les plaisirs esthétiques des jardins d’agrément, son espace privé trahissait une autre préoccupation : celle d’avoir à portée de main de quoi se nourrir, car l’ancestrale peur de manquer était encore vivace au XVIIIe siècle.
2Le cas de Besançon, en croisant la lecture des archives avec celle du terrain, met ainsi en lumière un phénomène, sans doute répandu dans les villes d’Ancien Régime, mais particulièrement éloquent au regard du thème choisi pour ce numéro de la revue. Pourquoi la campagne entrait-elle dans la ville, de quelle manière imprégnait-elle les mentalités, appa-raissait-elle dans les cœurs des îlots, dans les cours intérieures où elle avait ses quartiers, ses dépendances, ses espèces végétales jusqu’à déborder aussi dans la rue. Quelles traces de la ruralité urbaine Besançon nous a-t-elle donc laissées ?
Une ville au cœur de sa campagne
3Au XVIIIe siècle, la ville possédait deux quartiers intra-muros : « la Boucle », ainsi dénommé car il s’inscrit dans un méandre du Doubs, barré par l’éperon rocheux que domine la citadelle de Vauban, et Battant sur la rive droite de la rivière (fig. 1). Mais on ne peut évoquer la ruralité du XVIIIe siècle bisontin sans y associer sa banlieue verte, avec laquelle la ville vivait encore en étroite symbiose : les liens, pour des raisons historiques, y étaient en effet plus étroits qu’ailleurs. Ville libre d’Empire du XIIIe siècle au troisième quart du XVIIe, Besançon n’avait dû compter longtemps que sur elle-même, ses 6000 hectares formant à l’intérieur de la province un minuscule É tat dont les frontières étaient jalousement gardées et disputées.
4La banlieue, sur une grande échelle, s’apparentait au jardin d’Alcinous vu par Horace Walpole : « Dépouillée de l’illusion harmonieuse de la poésie grecque, ce n’était qu’un verger et qu’un vignoble avec quelques carreaux de légumes » [4]. Il faut ajouter ici quelques hameaux, quelques fermes, et quelques retraites, que le bourgeois ou l’homme du peuple pouvait aisément gagner à pied pour y jouir du bon air : « cabordes » en pierres sèches disséminées dans les vignes, simples pavillons de jardin ou vraies maisons de campagne, telle celle que l’architecte Claude-Antoine Colombot avait construit dans le dernier tiers du XVIIIe siècle aux Chaprais. Elles ont presque toutes disparu, les premières démolies lors du siège autrichien en 1814 [5], les autres englouties par l’extension de la ville au XXe siècle. On peut toutefois en connaître les caractéristiques en parcourant les petites annonces de l’hebdomadaire le « Commissionnaire, Affiches et Annonces de Franche-Comté » de l’année 1766 [6]. Ainsi était à vendre, le 29 janvier, un archétype de la « campagne » d’un bisontin du XVIIIe siècle : une « Belle et grande maison sur le territoire de Besançon... entourée d’un vaste clos, dans lequel sont enfermés une vigne, verger, potager, charmille en labyrinthe et bonne cyterne ».
Plan de la ville et citadelle de Besançon... dessiné en 1786 par un ingénieurgéographe dont on a perdu le nom, connu seulement par ses initiales M.G.H.J.
Plan de la ville et citadelle de Besançon... dessiné en 1786 par un ingénieurgéographe dont on a perdu le nom, connu seulement par ses initiales M.G.H.J.
5Ces mêmes annonces montrent aussi, semaine après semaine, les pré-occupations des citadins. Nombreux étaient ceux qui recherchaient des jardiniers, comme le 15 janvier 1766, où un particulier publiait l’offre suivante : « Si quelque jardinier habile veut se charger, en lui fournissant des graines et du fumier, de l’entretien d’un jardin tout près de la ville de Besançon composé de parterre, jardin, potager, arbres, charmilles, le tout d’une contenance d’environ 2 journaux en culture, on lui promet pour rétribution la jouissance d’un autre jardin... avec 10 voitures de fumier, franc sur les lieux, un logement, cave, grenier et écurie ». Certains avaient des vignes à vendre, un autre avait besoin d’un laquais « qui ne soit pas de la première jeunesse et qui sçache servir », auquel on demandait aussi « qu’il eut de la connaissance sur la culture des vignes pour visiter celles de son maître dans les tems nécessaires et lui en rendre un compte exact ».
6En effet, la grande affaire ici était encore, comme depuis le Moyen Âge, la culture de la vigne, parce qu’elle constituait toujours l’essentiel des revenus du Bisontin moyen et de ce fait représentait la vraie richesse de la ville. Maurice Gresset, dans son étude sur le monde judiciaire à Besançon au XVIIIe siècle, souligne ainsi que « l’originalité la plus grande des bisontins résid(ait) sans doute dans l’attachement qu’ils port(aient) à leurs vignes : du notaire au président à mortier, tous (avaient) à cœur d’en posséder ». Aux uns comme aux autres, ajoute-t-il, elle pouvait « apporter, en plus des quantités de vin nécessaire à la consommation familiale, le surplus négociable précieux en ce siècle où le numéraire fait souvent défaut » [7].
7La culture de la vigne renforçait les liens entre la cité et le milieu agreste, mais non moins policé, de la banlieue, car si on la cultivait alors en dehors des murs, c’est bien en son sein qu’on y fabriquait le vin, ce qui occasionnait un va et vient continuel, un perpétuel dialogue entre ces deux pôles complémentaires. Pas étonnant non plus que dans les chroniques de l’époque [8] ou les mémoires des magistrats [9] une grande place fût dévolue à la fixation des dates des vendanges, à des considérations météorologiques ou aux moyens de lutter contre les revers climatiques, en exposant éventuellement les reliques de saint Prothade en cas de sécheresse.
8Considéré comme le plus étendu de Franche-Comté – il occupait 1 300 hectares au début du XIXe siècle –, ce vignoble, dont les meilleurs cépages approchaient ceux d’Arbois et de Château-Chalon dans le Jura [10], a fortement régressé au milieu du XIXe, pour disparaître au XXe siècle. Dans le courant du XVIIIe, il s’était déjà progressivement retiré du centre de la ville. Depuis qu’elle avait acquis le statut de capitale régionale en 1681, suite au rattachement de la Franche-Comté à la France, Besançon était en effet passée de 16 929 habitants au début du siècle à 32 181 en 1791. Un plan de la fin du XVIIe (fig. 2) nous montre la partie sud de la ville, encore largement occupée par des vignobles. À la fin du siècle suivant, elle était totalement urbanisée, phénomène qui s’accéléra lorsqu’on choisit d’y construire la nouvelle intendance. Le couvent Saint-Vincent et le grand séminaire, propriétaires de la plupart des terrains, s’étaient progressivement délestés de leurs immenses clos plantés de vignes en réalisant de judicieuses opérations immobilières. En 1768, par exemple, de nombreuses parcelles occupant le pourtour du clos du couvent ayant été vendues et construites, les moines avaient été obligés, pour désenclaver ce qui restait de leur propriété, de demander à Joseph Nodier, l’un des acquéreurs [11], « de faire à ses frais une porte cochère en pierre de taille... pour pouvoir y passer commodément une voiture de foin... allée qui se continuera jusqu’à l’enclos des religieux afin qu’ils puissent passer librement ainsi que leurs gens et leurs domestiques » [12].
Dessiné par les ingénieurs du Roi à la fin du XVIIe siècle, ce plan de la partie sud de la Boucle avait été effectué pour matérialiser les projets de nouvelles rues, afin de jeter les bases de l’urbanisation de ce quartier. La «rue Neuve» en diagonale, qui devait traverser le clos du couvent Saint-Vincent, n’a pas été réalisée, après une vigoureuse protestation des religieux. La «rue Neuve» parallèle au dessin (actuelle rue Charles-Nodier) a été effectivement tracée dans les années 1730
Dessiné par les ingénieurs du Roi à la fin du XVIIe siècle, ce plan de la partie sud de la Boucle avait été effectué pour matérialiser les projets de nouvelles rues, afin de jeter les bases de l’urbanisation de ce quartier. La «rue Neuve» en diagonale, qui devait traverser le clos du couvent Saint-Vincent, n’a pas été réalisée, après une vigoureuse protestation des religieux. La «rue Neuve» parallèle au dessin (actuelle rue Charles-Nodier) a été effectivement tracée dans les années 1730
9Le signe évident de l’importance passée de cette activité subsiste dans le sous-sol de la ville. De fait, toutes les maisons possèdent encore aujourd’hui des caves voûtées de berceaux ou d’ogives pour les plus anciennes (fig. 3) et d’arêtes pour celles du XVIIIe siècle – qui exhalent par leurs soupiraux un souffle frais au ras des trottoirs dans la canicule de l’été. Il n’est pas une demeure, grande ou petite, qui n’en possède une ou plusieurs, s’étendant jusque sous les cours ou la rue. Il faudra en faire un relevé précis lorsqu’on voudra mesurer l’évolution de ce centre urbain depuis le Moyen Âge.
10Les sources indiquent que certaines maisons étaient pourvues d’une cuverie au rez-de-chaussée [13], mais le plus souvent, le pressoir était installé dans le sous-sol, vendu avec le reste du matériel, lorsqu’on se dessaisissait de son bien, à l’instar de cette demeure de la rue des Jacobins mise en vente le 27 décembre 1766 et consistant « en 8 grandes chambres... boisées et ornées de belle cheminées... écurie, remise, cuverie assortie d’un très beau pressoir et de plusieurs caves, greniers, bûchers et autres aisances » [14].
11Les ordonnances municipales nous font saisir les désagréments qu’une si prenante occupation provoquait dans les rues de la ville, surtout au moment des vendanges. Ainsi, le 1er décembre 1784, la municipalité faisait défense de « jeter dans les rues, ruelles, cul de sac, sur les quais et places, aux angles des rues et des bâtimens, des marcs de raisin et tonneaux », mais aussi « des cendres, des eaux sales, des animaux morts » sous peine de 20 livres d’amende [15]. Lorsque la maison ne possé-dait pas de cour, existait aussi d’ailleurs comme partout le problème des entrées de cave sur la rue qui pouvaient occasionner la nuit des accidents mortels, et firent aussi l’objet de nombreux règlements et mémoires, il est vrai, pas toujours suivis d’effet [16].
Vue d’ensemble de la cave, datée fin XVe-début XVIe siècle, située sous l’aile droite de l’hôtel de Rosières remanié au XVIIIe siècle (6, rue Pasteur).
Vue d’ensemble de la cave, datée fin XVe-début XVIe siècle, située sous l’aile droite de l’hôtel de Rosières remanié au XVIIIe siècle (6, rue Pasteur).
Une ville et ses habitants sous influences rurales
12Avec ce « ventre » sécurisant et à portée de main que représentait la banlieue et avec l’urbanisation galopante de la ville, on pourrait croire que la ruralité, mis à part la fabrication du vin, avaient été évacuée du centre.
13Passant par Besançon en 1790, Madame Gauthier indiquait effectivement que « les maisons occupent en profondeur un terrain considérable, mais comme il est précieux, on y construit plusieurs corps de logis ce qui rend les jardins rares et petits » [17]. Elle observait du reste que l’emprise des couvents était encore très forte. C’était sans compter la place de nombreux hôtels, plus d’une soixantaine construits pour le seul XVIIIe siècle, en grande majorité par les membres du parlement qui étaient venus de toute la Franche-Comté occuper diverses fonctions au sein de cette institution mise en place par l’administration française.
14Cependant, si à la fin du siècle, la vie bisontine présentait quelque lustre et s’était laissée peu à peu gagner, pour les plus riches, par les modes parisiennes, la ville, d’une manière générale, avait encore du mal à se défaire de la configuration d’un gros bourg rural, aspect qu’elle présentait aux siècles antérieurs.
15Malgré l’effort accompli en matière d’équipements urbains, les entrées de la cité étaient encore perçues en 1770 par l’un de ses habitants comme « peu flatteuses aux étrangers qui y arrivent, dénuées qu’elles sont des ornemens frappans que l’on voit d’abord en rentrant dans les autres villes bien bâties », et qui apercevaient « au premier coup d’œil des places vides, des bâtimens informes et irréguliers et de mauvaises murailles de clôture ». C’est ainsi qu’ils avaient l’impression « d’entrer dans un honnête village » [18]. Même au centre de la ville, le prestigieux jardin du palais Granvelle qui avait fait l’admiration des ambassadeurs suisses en 1575 [19], était loué par la municipalité à un maraîcher pour y pratiquer la culture des légumes [20].
16D’autres visiteurs se plaignaient que dans l’espace public « on aborde journellement quantité de voitures, de bestiaux, et de peuples » ou que « le marché aux porcs qui se tient indifférament dans tous les carrefours et rues de la ville, y répend une infection, la salubrité, la décoration et la propreté même, exigeant que l’on fixe ce marché dans un lieu aportée de la rivière » [21]. La même madame Gauthier soulignait aussi combien était récente, en 1790, l’introduction de certains raffinements dans la vie quotidienne des élites de la ville : « J’ai entendu conter par une vieille demoiselle, dont le père était conseiller au parlement, qu’elle avait mangé à la table de ses parents sur des assiettes en bois, qui servent encore dans quelques cuisines pour hacher les herbes ». Elle rapportait encore que « quand le maréchal de Lorge vint commander dans la province, ç’étoit je crois, en 1740, on citait comme une chose curieuse, une glace placée sur la cheminée du sallon du trésorier des troupes » [22].
17Les historiens s’accordent aussi pour dire qu’au XVIIIe siècle la vie à Besançon restait « marquée du coin de la modération, d’aucuns diront de la parcimonie » et que même les plus aisés possédaient « un style de vie dont les attaches rurales (étaient) un trait caractéristique » se trouvant « aussi bien chez le procureur ou le notaire que chez le conseiller au parlement », et qui se manifestait notamment « par la possession d’une résidence et d’un domaine à la campagne » [23]. Ceux qui n’avaient pas la chance de trouver leur nourriture dans la ceinture verte de la ville et dont les domaines familiaux étaient disséminés dans la province, recréèrent ces attaches rurales dans leurs résidences urbaines. De fait, beaucoup d’entre eux étaient loin d’être fortunés : « L’argent est rare et cher à Besançon », disait encore un mémorialiste au début du XIXe siècle [24]. Et beaucoup tentaient d’éviter de s’approvisionner sur les marchés de la ville, pas toujours bien fournis d’ailleurs en raison des mauvaises conditions de circulation, ainsi que des « droits d’entrée et de sortie du royaume dont la Province, regardée comme étrangère (était) toujours chargée, empêchant les habitants de faire venir du dehors les productions que son sol ne fournit pas » [25].
18Lorsqu’on ne pouvait pas faire autrement, le personnel était prié de ne pas faire « valser l’anse du panier » : « On désirerait trouver un bon cuisinier qui veuille faire le marché et qu’il puisse s’en acquitter avec économie et entendement et en outre qu’il serve de valet de chambre en campagne, qui scache bien raser et friser ». Tout est dit, dans cette annonce parue le 23 juillet 1766 dans le Commissionnaire : on y évoque le lointain domaine familial, y apparaissent le manque d’aisance financière, la crainte du gaspillage, et jusqu’à ce soupçon de suspicion lorsqu’on devait se fournir en aliments en dehors du cadre familial.
La résidence urbaine : lieu de vie autarcique ?
19Ainsi, derrière les façades en pierre de taille de leurs demeures, dont la moitié avait été renouvelée sinon construite au cours du siècle, les habitants abritaient « veaux, vaches, cochons, couvées ». Un dénombrement de la fin du XVIIe siècle indique que les bisontins possédaient : 316 chevaux, 33 mulets, 5 bœufs (257 avec la banlieue), 65 vaches (234 avec la banlieue), 139 chèvres, et 39 cochons [26], ce qui donne une idée de la variété de la faune domestique de grosse taille qu’abritait la ville au XVIIIe siècle.
20Chaque demeure pourvue d’assez d’espace avait aussi son jardin potager et son verger. Celui appartenant à Luc Morel, situé à côté de l’hôtel de Montmartin [27], décrit en 1685, permet de se figurer quelle pouvait être la teneur de ceux que mentionnent les inventaires après-décès du XVIIIe siècle, mais dont on ne prenait pas la peine de décrire les espèces végétales : « Le verger représentant un demi dudit héritage [28] se trouve emplanté de 14 piedsde poiriers, 12 pommiers, 13 pruniers, 26 piedsd’abricots [29], plus 12 pieds de petits arbres nains (...) il y a quantité de rosiers emplantés tant contre la muraille séparant ledit héritage de la maison de Montmartin, que del’autre côté de l’allée reignantle long de la muraille (...) comm’encor une treille au-dessus dudit héritage et de la largeur d’iceluy, s’estant encore trouvé dans ledit héritage 2 noyers et 6 cerisiers » [30].
21Actuellement, il n’est plus possible de reconstituer les dépendances agricoles des plus petites maisons du centre ville, telles celles occupées par les artisans du quartier Saint-Paul, ou celles des vignerons de Battant, ceux-ci ayant d’ailleurs, comme le bourgeois de la ville, leurs « aisances » en banlieue (soit par héritage, soit en location). Les sources sont muettes sur le sujet et les fragiles constructions qui devaient probablement abriter, au fond des parcelles, quelques poules et peut-être un cochon (seul animal d’importance à pouvoir franchir sans dommage les étroits couloirs donnant accès aux cours) ont disparu depuis longtemps. Ces animaux devaient être pourtant nombreux, puisqu’ils firent l’objet d’une ordonnance en 1784, les magistrats défendant, en effet, non seulement de mettre du fumier en tas dans les rues et les ruelles, mais aussi de nourrir des porcs à l’intérieur des maisons [31].
22Pour les hôtels, la matière est plus abondante. Bien que la documentation soit des plus disparates [32], elle reste suffisamment explicite pour en tirer quelques conclusions sur les manières de vivre de leurs occupants. Quelques rares plans aussi permettent d’en apprécier la configuration, avant que leurs fonds ne soient amputés, aux XIXe et XXe siècles, de ce qui nous intéresse, c’est-à-dire de leurs jardins, vergers, aisances et dépendances.
23Restent aussi quelques vestiges de communs et de dépendances bâtis en pierre, dont il n’est cependant pas toujours facile de restituer la destination d’origine parce qu’ils ont changé plusieurs fois d’affectation.
24La demeure située 86, rue des Granges, qu’occupait au XVIIIe siècle M. de Falletans, possède encore au fond de sa cour une vaste remise à carrosses et une écurie attenante encore pourvue de ses stalles. Mais que pouvait contenir la petite étable située à sa suite (fig. 4) qui a conservé son râtelier ? (fig. 5). La porte, d’environ 1,20 m de large, en est trop étroite pour y faire raisonnablement entrer une vache. É tait-elle destinée à abriter des mulets ? des moutons ? ou des chèvres ?
25Même difficulté pour cet édicule encadré de deux bûchers, élevé dans la deuxième cour d’une demeure au numéro 103 de la même rue : on peut hésiter entre un poulailler, une porcherie, une resserre à outils, ou les trois à la fois.
26Et même hésitation à la lecture des textes ou des plans, le terme géné-rique « d’écurie » pouvant concerner toute catégorie de bétail. Ainsi, « l’écurie » qui figure sur le plan d’un immeuble bâti en 1773 le long de la rue de la Traverse, dans le nouveau quartier de l’intendance, n’est pas associée à une remise, mais n’est pas forcément destinée à des chevaux de selle. Elle aurait pu, vu l’étroitesse du couloir tout aussi bien abriter des mulets utilisés à Besançon pour le travail dans les vignes de la banlieue. Le terme de « basse-cour » est tout aussi confus, il est employé aussi bien pour la cour des volailles, que celles des communs ou des étables. Les énigmatiques « bâtiments en aile » qualifiant d’une manière générale des dépendances basses perpendiculaires aux logis nous laissent aussi sur notre faim : nous savons qu’ils pouvaient contenir des cuisines, comme dans l’aile de la première cour de l’hôtel de Thurey, mais on ignore la fonction de celle qui apparaît dans la deuxième cour.
Vue d’ensemble actuelle de l’étable conservée au 86, rue des Granges.
Vue d’ensemble actuelle de l’étable conservée au 86, rue des Granges.
27Destinés à l’estimation des biens des émigrés, les inventaires révolutionnaires constituent de loin les meilleures sources de renseignements sur la composition des hôtels bisontins : leur rédaction, effectuée par des architectes, est claire et précise, l’essentiel étant dit pour attirer l’éventuel acheteur.
28La description de l’hôtel du Châtelet que nous a laissée l’architecte Claude-Antoine Colombot, hôtel bâti en 1740 par Jean-Pierre Galezot pour Ferdinand-François du Chatelet, procureur au parlement, est l’exemple parfait de ces dizaines de petits hôtels sur rue construits pour les parlementaires bisontins.
Intérieur de l’étable (86, rue des Granges).
Intérieur de l’étable (86, rue des Granges).
29Dans l’aile droite sur cour était situées remises et écuries. À noter qu’il n’était effectivement pas rare, dans la cour d’honneur, d’abriter à la fois les chevaux, même si cela présentait des aspects salissants, et les carrosses. Lorsqu’on ne pouvait pas faire autrement, personne ne s’en formalisait. À côté, une courette désignée sous l’appellation de « cour des écuries à vaches » ou « cour des fumiers » et qui possédait son entrée dans une ruelle latérale, était « environnée de mauvais bâtiments en bois », constitués d’un poulailler, de bûchers, de remises, d’écuries à vaches et d’un « creux à fumier ». Le jardin, séparé de la cour d’honneur par « une grille à hauteur d’apuis », était terminé par des bosquets de charmille. Il comprenait trois allées et deux carreaux plantés d’arbres à fruits. Les allées étaient ponctuées de cinq statues sur des piédestaux et de deux vases. N’était pas décrit – parce que cela allait de soi – la partie réservée à la culture des légumes. Dans le verger, à droite du jardin, se trouvaient une serre et un pavillon où l’on conservait les archives familiales [33].
30Dans ce jardin, se mêlaient délicieusement l’utile et l’agrément. Rares, d’ailleurs, étaient les espaces où les deux fonctions étaient rigoureusement séparées. Il est vrai que, dans beaucoup de cas, la place était comptée. On observe ainsi qu’il y avait peu de différence entre jardin de ville et jardin de banlieue.
31À la fin du siècle, la vie devenant plus facile, on note la présence de jardins à l’anglaise, comme celui de l’hôtel Belin (47, rue Mégevand) qui disparut lors de l’agrandissement de la promenade Granvelle, ou celui de l’hôtel Chifflet (23, rue des Granges), ancien potager réorganisé dans le troisième quart du XVIIIe siècle, en même temps que l’on y construisait une serre noyée actuellement dans des constructions plus récentes, mais qui faisait l’admiration des contemporains. Néanmoins la basse-cour de l’hôtel comprenait toujours en 1793 « les écuries pour chevaux et vaches, loge à cochons et pour volaille » [34].
32Auparavant, deux parterres à la française avaient été aménagés dans le jardin de l’hôtel Mignot de la Balme. Ils avaient été conçus entre 1717 et 1778, durant l’occupation des lieux par les intendants, avant qu’ils n’intègrent leur nouvel hôtel au sud de la ville [35]. Une cour à volailles, à droite du jardin régulier, avait été cependant conservée. Dans la zone des communs situés à l’extrémité de la parcelle, il n’y avait pas d’étable, composante rustique qui ne cadrait pas avec l’éminente fonction du premier serviteur de l’É tat, mais seulement un pigeonnier, situé à l’extré-mité de deux écuries contenant respectivement 15 chevaux de carrosses et 8 chevaux de selle.
33Les mêmes constatations s’imposent dans les hôtels de l’aristocratie ecclésiastique ou ceux des grands personnages, souvent parisiens, venus occuper de hautes fonctions civiles à Besançon, ceux-là même qui avaient introduit, dans les années 1730 et à l’aide d’architectes également étrangers à la région, l’hôtel à la française dit « à la parisienne » résolument plus moderne que l’hôtel sur rue hérité du XVIe siècle bisontin [36].
34Dans l’hôtel Le Bas de Clévans, demeure entre cour et jardin construite en 1739 non loin de la future intendance, si les remises encadrent la cour d’honneur, les écuries et les bûchers partagent une autre cour qui ne comporte ni étable ni poulailler. La façade postérieure du logis donne sur un jardin d’agrément séparé du potager et du verger par un bosquet de tilleuls et des charmilles [37].
35Notons pourtant que pour les hôtels sur rue était aussi introduite une hiérarchie des espaces libres. Selon un principe adopté par les architectes bisontins dans la première moitié du XVIIIe siècle qui se perpétue, on empruntait depuis la rue un passage cocher débouchant dans la cour, laquelle donnait de plein pied sur le jardin qui lui faisait suite au fond duquel des bosquets de charmille, un salon de musique ou un pavillon de rafraîchissement étaient appuyés contre le mur de séparation de la propriété voisine; à moins qu’un second corps de logis, parallèle au premier, ne reporte à plus loin la vision de ce petit paradis de verdure qu’on pouvait, sinon, apercevoir de la rue. Dans tous les cas, on implante dans les marges ce qui constituait les fonctions les plus prosaïques, les plus sonores et les plus sales de la maison, souvent à la faveur d’une irrégularité de la parcelle, la « basse-cour » possédant souvent aussi sa propre entrée dans une ruelle ou une rue peu fréquentée.
36Une même hiérarchie s’observe dans l’emploi des matériaux de construction : la pierre de taille était en priorité réservée aux parties les plus nobles des dépendances, c’est-à-dire, aux remises et écuries. C’est la raison pour laquelle ces dernières ont été souvent conservées.
37En revanche, les parties possédant un caractère rural plus marqué étaient plutôt traitées dans des matériaux moins nobles : brique ou pans de bois pour les pigeonniers et les poulaillers [38], planches pour les étables, bois et pierre pour les bûchers. C’est pourquoi ces édicules ont assez vite disparus après la Révolution, à l’exception des bûchers, car ces petites constructions rustiques, d’aspect souvent soigné (fig. 6), ont été utilisées jusqu’au XXe siècle. Dans certains hôtels, les bûchers faisaient défaut, car on préférait protéger la réserve de bois dans le sous-sol du logis, comme à l’hôtel de Ligniville, ce qui évitait d’ailleurs aux domestiques de sortir dans le froid de l’hiver pour recharger cheminées et poêles.
Vue d’ensemble actuelle du bûcher situé dans la deuxième cour de l’hôtel Foraisse (64, Grande-Rue) lequel avait été construit entre 1751 et 1756 par l’architecte Jean-Charles Colombot.
Vue d’ensemble actuelle du bûcher situé dans la deuxième cour de l’hôtel Foraisse (64, Grande-Rue) lequel avait été construit entre 1751 et 1756 par l’architecte Jean-Charles Colombot.
38Cependant, mis à part les bûchers, la question des formes que pouvaient revêtir ces annexes reste entière : étaient-elles bâties à la hâte comme le laisse supposer la description de l’hôtel du Châtelet ? à moins que le terme de « mauvais bâtiments », employé ici, ne fasse référence à un état médiocre. Empruntait-on certains modèles à l’architecture paysanne, aux laiteries et fermes de certains châteaux, ou éventuellement aux chalets d’alpage dont on trouvait des exemples dans le haut Jura proche ?
39Nul ne le sait, mais connaissant la proverbiale simplicité des habitants du lieu, il est vraisemblable qu’on apportait peu de recherche à ces constructions purement utilitaires.
Épilogue
40Entre 1833 et 1845, la création de certaines rues, la densification des cœurs d’îlots, le lotissement dans la deuxième moitié du siècle de la zone nord de la Boucle en même temps qu’une attention accrue était portée sur les questions d’hygiène et de salubrité, accéléra la disparition des animaux domestiques dans les maisons de la ville de Besançon. Déjà dans les années 1820, les dépendances des immeubles se limitaient aux remises, écuries et bûchers répondant strictement aux besoins de déplacement des citadins en dehors de la ville et au chauffage de leurs appartements [39].
41Dans le même temps, les efforts se portèrent sur l’élargissement des voies de communication et le développement des moyens de transport : les routes reliant Besançon à la région, détestables au XVIIIe siècle, s’améliorèrent en effet dés la première moitié du siècle notamment l’accès aux premiers plateaux du Jura qui avaient constitué jusque là une barrière quasi infranchissable [40]. Achevée en 1833, la construction du canal Monsieur, reliant le Rhône au Rhin, rendit le Doubs navigable mais porta un coup terrible au vignoble bisontin en raison de l’arrivée, à bas prix, des vins du Midi. Le vigneron Jean-É tienne Laviron, né au siècle précédent, se désolait de ces changements lorsqu’il confiait à son journal « qu’il est passé le temps de Besançon rural et viticole » [41]. En 1856, l’arrivée du rail accentua encore le désenclavement de l’agglomération et favorisa d’autant l’approvisionnement des marchés. L’horlogerie et ses industries dérivées apportèrent aussi un changement des mentalités. Dans une ville qui n’avait guère connu auparavant qu’un artisanat orienté vers la filature et le tissage, les racines rurales furent affaiblies par l’installation d’une population ouvrière porteuse d’une autre culture.
42Dans un cadre plus général, un notable progrès, à l’échelon familial cette fois, détendit probablement les rapports que l’homme du XVIIIe siècle pouvait entretenir avec la gestion de ses stocks alimentaires, une bonne récolte – souvent d’ailleurs intransportable de son lieu de production à la maison urbaine en raison de sa fragilité – étant aussi impossible à conserver pour l’hiver. La découverte de Nicolas Appert, permettant de garder à long terme la viande, les légumes, les fruits et même du lait, arriva donc à point nommé. Si la marine française fut particulièrement intéressée par la trouvaille d’Appert – le procédé consistait à mettre les denrées dans des bocaux ou des bouteilles en verre hermétiquement fermés, et à stériliser l’ensemble au bain-marie –, cette découverte ouvrit également à l’économie des ménages de larges perspectives, comme le montre le titre de son ouvrage publié à Paris en 1810, intitulé Le livre de tous les ménages, ou l’art de conserver pendant plusieurs années toutes les substances végétales ou animales [42], dans lequel il décrivait le mode d’emploi complet du procédé ainsi que les avantages qu’il apportait par rapport aux méthodes anciennes. Il faut remarquer de plus, qu’à quelques améliorations près, l’appertisation a remporté un immense succès puisqu’elle fut, jusqu’à l’arrivée du congélateur, utilisée dans tous les ménages pour la fabrication des conserves familiales.
43Au début du XXIe siècle, Besançon n’a pas totalement perdu cet étroit rapport avec la campagne qu’elle a entretenu durant des siècles : elle est l’une des capitales régionales les plus vertes de France, et quelques jardins familiaux subsistent encore jusqu’au cœur de la ville. La présence de la nature est en effet très forte, mais il s’agit d’une nature sauvage qui se développe le long des berges du Doubs, sur les flancs de la Citadelle, les collines abruptes de Bregille et de Chaudanne, celle-là même qui avait fait l’objet d’un grandiose projet d’aménagement par l’architecte Nicolas Nicole au XVIIIe siècle [43]. Pour toutes ces raisons, il a été jugé à propos, en 1994, d’inclure dans l’extension du périmètre du secteur sauvegardé le territoire de la Boucle, et d’y introduire un inventaire des richesses écologiques et paysagères en même temps que l’inventaire des édifices [44].
Notes
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[1]
L’étude sur la demeure urbaine bisontine que mène actuellement le service régional de l’Inventaire général de Franche-Comté est issue d’une enquête réalisée dans le cadre d’une opération-pilote sur l’extension du secteur sauvegardé de la ville de Besançon en partenariat avec le chargé d’étude. Créé en 1994, ce second secteur sauvegardé de 231 hectares comprend le cœur historique de la cité et d’importantes zones d’accompagnement à dominante végétale (flancs de la Citadelle, couronne des parcs, glacis des fortifications, rives du Doubs), lesquelles enveloppent presque entièrement le premier secteur sauvegardé, celui du quartier de Battant comprenant 31 hectares, créé en 1964 et approuvé en 1992. La superficie cumulée de ces deux emprises fait actuellement de Besançon le plus grand secteur sauvegardé de France.
-
[2]
L. Estavoyer, Besançon au siècle des Lumières, Besançon, Cêtre, 1978, p. 15.
-
[3]
Les archives de la ville conservent en série DD la presque intégralité des requêtes en voirie du XVIIIe siècle, presque toutes encore accompagnées des élévations de façades à rénover, permettant sur l’ensemble du siècle de se rendre compte de l’évolution des goûts en matière d’architecture.
-
[4]
H. Walpole, Essai sur l’art des jardins modernes, Paris, Mercure de France, 2002, p. 15. Le jardin d’Alcinous, décrit par Homère dans L’Odyssée était d’après Walpole le plus renommé des « temps héroïques » bien qu’il ne contienne que quatre arpents plantés d’arbres, de vignes et de légumes.
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[5]
Ordre avait été donné à la troupe de détruire les maisons situées hors du rempart dans un rayon de 250 toises pour qu’elles ne puissent pas servir de poste avancé aux Autrichiens : c’est ainsi, que disparut, comme tant d’autres, celle de Claude-Antoine Colombot.
-
[6]
Hebdomadaire à caractère économique, créé sous la protection de l’Intendant Charles-André Lacoré et qui parut entre 1766 et 1775. Bibliothèque Municipale de Besançon, Per. 6210.
-
[7]
M. Gresset, Gens de justice à Besançon, 1674-1789, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 1978, t. I, p. 408.
-
[8]
Par exemple : Journal de ce qui s’est passé en Franche-Comté (1752-1789) par J. Dunand, publié par l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Besançon en 1896.
-
[9]
Voir la série AA des archives municipales de Besançon conservées à la Bibliothèque Municipale de Besançon.
-
[10]
J. Guyot, É tude des vignobles de France, région de l’Est, Paris, Imprimerie Nationale, 1876.
-
[11]
Joseph Nodier, entrepreneur en maçonnerie, était le grand-père de l’écrivain Charles Nodier. Sa maison, construite sur une portion du jardin du couvent situé le long de la rue « Neuve » nouvellement tracée, existe toujours au no 11 de l’actuelle rue Charles Nodier.
-
[12]
Archives départementales du Doubs, H 204.
-
[13]
On en signalait, par exemple, une dans l’hôtel Chifflet (situé 23, rue des Granges) dans l’inventaire de la maison de l’émigré Chifflet du 26 août 1793 : « dans le fond de la dite cour..., il y a à droite une chambre à lessive, à gauche une cuverie et des bûchers » (AD Doubs, Q 131 ).
-
[14]
Annonce parue dans le « Commissionnaire », BM Besançon, Per 6210.
-
[15]
AM Besançon, DD, 158 (72).
-
[16]
Nous pensons, par exemple, au mémoire du brigadier d’infanterie Bonaston proposant la suppression des trappes en bois des caves en 1782 (AM Besançon, DD 138).
-
[17]
Gauthier, Voyage d’une Française en Suisse et en Franche-Comté depuis la Révolution, Londres, 1790, t. II, p. 217.
-
[18]
Observations tirées d’un mémoire anonyme sur « Les embellissements de Besançon », sujet de concours donné par l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Besançon, en 1769-1770 (BM Besançon, MS 33). Par « place vide », il faut entendre « non construite ». Derrière les « mauvaises murailles » étaient abrités des jardins ou de la vigne.
-
[19]
La relation de ce voyage a été publié par G. Perrenet, « Les députés suisses en Franche-Comté », Annales franc-comtoises, 1863, p. 174-175.
-
[20]
Le jardin des Granvelle fut aménagé à partir de 1778 en promenade publique par l’architecte Claude-Joseph-Alexandre Bertrand. Sur l’aménagement de ce jardin, voir L. Estavoyer, Besançon au siècle des Lumières, op. cit., p. 103-111.
-
[21]
Ces visions journalières sont aussi tirées de deux mémoires anonymes sur « Les embellissements de Besançon ». Celui de l’architecte Nicolas Nicole suggérait le projet de transformer la colline de Chaudanne toute proche de la ville, qui était alors selon l’architecte « agreste, inculte, triste », n’offrant aux yeux « qu’un spectacle sombre et sauvage », en promenade grecque grâce à des rampes en zig-zag en buis taillé montant à l’assaut de la montagne.
-
[22]
Voyage d’une Française..., op. cit., p. 239-240.
-
[23]
D’après M. Gresset, Gens de justice à Besançon..., op. cit., t. I, p. 318.
-
[24]
D’après le journal de l’abbé Baverel (1744-1822) (BM Besançon, collection Baverel, 71-85).
-
[25]
Cité par Madame Gauthier, op. cit., p. 239-240.
-
[26]
Histoire de Besançon, Paris, Nouvelle Librairie de France, 1965, t. II, p. 87.
-
[27]
L’hôtel de Montmartin, intégré actuellement dans le périmètre de l’hôpital Saint-Jacques, avait été bâti pour le cardinal Antoine de Granvelle, à la fin du XVIe siècle.
-
[28]
Le surplus de l’héritage était en jardin.
-
[29]
L’abricotier ne supportant pas un climat rude, on ne le trouve plus à Besançon et dans la région. Il faut croire qu’il existait à l’époque une race résistante au gel, qui a disparu depuis.
-
[30]
AM Besançon, DD 37, « visite d’un héritage appartenant à Luc Morel au joignant de la maison de la Tour de Montmartin le 17 janvier 1685 ».
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[31]
AM Besançon, DD 158, fol. 72, article 13.
-
[32]
Les archives publiques ne conservent aucun devis de construction des nombreux hôtels bâtis au XVIIIe siècle. Les contrats, se passant sous seing privé, restaient en possession des propriétaires. Certains d’entre eux subsistent encore dans les archives privées de certains châteaux comtois, mais sont évidemment difficiles d’accès.
-
[33]
Reconnaissance de la maison de l’émigré Droz, 7 septembre 1793, AD Doubs, Q 131.
-
[34]
Reconnaissance de la maison de l’émigré Chifflet, 26 août 1793, AD Doubs, Q 131.
-
[35]
Ce plan du rez-de-chaussée de l’intendance avait été réalisé le 7 septembre 1754 par l’architecte voyer Charles-François Longin à l’occasion d’un réaménagement des combles pour y conserver des archives. AD Doubs, C (plan) 47,1.
-
[36]
Deux hôtels au moins sont attribués à des architectes parisiens : l’hôtel Petit de Marivat, construit en 1732 pour François Petit de Marivat, commissaire ordonnateur des guerres de la province, et attribué à Jean-François Blondel, et l’hôtel élevé pour le chanoine François Boitouset dans le deuxième quart du XVIIIe siècle (5, rue de la Convention) attribué à Germain Boffrand qui travaillait alors au projet de décoration de l’abside du Saint-Suaire à la cathédrale Saint-Jean.
-
[37]
D’après la reconnaissance de la maison de l’émigré Le Bas, 3 thermidor an II, AD Doubs, Q 131.
-
[38]
À l’hôtel d’Emskerque (44, Grande-rue) le pigeonnier était en pans-de-bois (AD Doubs, Q 540), tandis que le poulailler de l’hôtel de Grosbois (7, rue Girod-de-Chantrans) était bâti en brique (AD Doubs, 4 E, 108/28).
-
[39]
On peut citer, par exemple, l’immeuble bâti, en 1820, par l’architecte Pierre Marnotte pour l’avocat Grillet, 27, rue Mégevand, dont un plan conservé dans des archives privées montre au fond de la deuxième cour « des lieux » pour les domestiques, un creux à fumier, quatre bûchers et une chambre à lessive, remise et écurie étant situées dans la première cour.
-
[40]
Histoire de Besançon..., op. cit., p. 132.
-
[41]
J. E. Laviron (1764-1854) rédigea ses « annales » de 1788 à 1851, d’après M. Gresset, « Mémorialistes et Annalistes bisontins de la seconde moitié du XVIIIe siècle », Mémoires de la Société d’Emulation du Doubs, 2000, p. 29-46.
-
[42]
Nicolas Appert (1749-1841 ) était à l’origine cuisinier. Il travailla notamment pour le duc de Deux-Ponts et la princesse de Forbach. Vers 1780, il s’installa comme confiseur à Paris et commença à s’intéresser au problème de la conservation des aliments. À partir de 1790, grâce aux fruits de ses expériences, il mit sur pied un nouveau commerce d’aliments conservés dans des récipients en verre et plus tard en fer-blanc. Il obtint en 1810 un prix de 12 000 francs par le ministre de l’intérieur, à condition de révéler son procédé.
-
[43]
Voir note 21.
-
[44]
Cette étude, appelée Nature en ville, commandée par la Direction régionale de l’Environnement, a été réalisée par des spécialistes de la flore et de la faune. Elle devrait permettre, à terme, d’introduire des règles de gestion destinées à préserver ce patrimoine fragile mais néanmoins très présent à Besançon. Notons que cette étude constitue, dans la mise en œuvre d’un secteur sauvegardé, une première en France. Pour le périmètre de l’extension du secteur sauvegardé, voir note 1.