Notes
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[1]
Voir E. d’Alençon, M. Berthumeyrie, M. Chavent, « Les plans d’alignement de BrivelaGaillarde aux XIXe et XXe siècles », Archives en Limousin, article à paraître en décembre 2003.
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[2]
Plan de la route de Paris à Toulouse, traverse de Brive, extrait de l’Atlas des routes du Royaume, dit « Atlas Trudaine », Archives Nationales (AN), F14 8484.
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[3]
A. Young, Voyages en France pendant les années 1787,1788,1789 et 1790, Paris, Buisson, 1793, cité dans Arthur Young en Limousin. Extrait du Voyage en France, publié avec des notes par A. Perrier, Tulle, Imprimerie Juglard, 1939.
-
[4]
Archives communales de Brive-la-Gaillarde (ACB), 1 D 1 /3.
-
[5]
ACB, 1 D 1 /7.
-
[6]
ACB, O 1 216.
-
[7]
A. Demangeon, « Essai d’une classification des maisons rurales », dans Problèmes de géographie humaine, Paris, A. Colin, 1947, p. 281.
-
[8]
Alfred de Foville, Enquêtes sur les conditions de l’habitation en France. Les maisons-types, Paris, E. Leroux, 1894.
-
[9]
Archives départementales de la Corrèze (ADC), C 8.
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[10]
M. Chavent, Brive-la-Gaillarde. Urbanisme et architecture, Inventaire général de monuments et des richesses artistiques de la France, Région Limousin, Images du Patrimoine no 203. 2000. Voir, aussi, le dossier hôtels/maisons/immeubles de Brive-la-Gaillarde, Centre de documentation du Patrimoine, DRAC Limousin.
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[11]
ACB, FF. Voir, également, H. Delsol, Le consulat de Brive-la-Gaillarde. Essai sur l’histoire politique et administrative de la ville avant 1789, Brive, 1936, réédité en 1982 (voir le chapitre intitulé « La voie publique », p. 395-401 ).
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[12]
ACB, O 1 216.
-
[13]
ACB, O 1 216.
-
[14]
ACB, Fonds Leclere, 5 S 1 /2 (pièce 15) : «(...) sommes montés par un degré qui est en appentis endocé au mur de l’ancienne église, lequel degré est composé de quinze marches en pierre de Gramond placé dans ladite ruelle en cul de sac, au bout duquel au palier d’ycelui est une porte qui conduit sur lad. écurie dans le grenier à foin, lequel était l’ancienne église, suivant les vestiges qui nous ont paru (...) ».
1Le cas de Brive-la-Gaillarde aux XVIIIe et XIXe siècles offre un exemple significatif de la pérennité des modes de construire vernaculaire en résistance aux réglementations urbaines. Ce cas de figure, sans doute assez répandu dans la France de l’Ancien Régime, pose en outre la question de l’origine rurale ou urbaine de ces types vernaculaires. Située en bordure sud-ouest du Massif Central, en position privilégiée de carrefour, cette ville d’importance moyenne comprend à la fin de l’Ancien Régime, une population d’à peine 5000 habitants et une seule activité manufacturière notable, en parfaite osmose avec un territoire agricole fertile et diversifié, celui du Bassin de Brive dans l’ancienne Vicomté de Turenne. Les armes de la cité, portant trois gerbes de blé, abondamment reproduites alors sur les bâtiments et les portes de ville, illustrent bien cette vocation première. Devenue sous-préfecture de la Corrèze, la ville connaît à partir du XIXe siècle une formidable expansion démographique (moins de 8000 habitants en 1801, presque 20 000 habitants en 1901, environ 49000 aujourd’hui), ce qui la place au deuxième rang régional derrière Limoges. Dès lors, les municipalités successives vont s’employer à transformer la bourgade médiévale en une ville moderne, effaçant par l’usage méthodique des outils réglementaires mis à la disposition des villes par les nouvelles lois d’urbanisme, les dernières traces de ruralité qu’elle pouvait encore conserver.
2La levée successive de six plans d’alignement entre 1811 et 1931 témoigne de l’attention soutenue portée par les municipalités au « projet urbain » qui concerne autant le remodelage du noyau ancien que la planification des faubourgs sur des parcelles agricoles [1]. A la voirie ancienne se sont progressivement superposées de grandes percées radiales ouvertes sur les faubourgs, favorisant circulation et commerce, tandis que les vieilles rues, particulièrement étroites et tortueuses pour certaines, étaient élargies et rectifiées grâce à la servitude d’alignement. Ces interventions soutenues eurent pour effet d’aérer considérablement le tissu ancien, de renouveler les matériaux et la typologie de ses constructions, de dessiner de nouveaux espaces fortement hiérarchisés. En cela, on peut dire que Brive est un parfait exemple du rôle que peut jouer la réglementation dans la fabrication des villes. Mais si cette dernière est créatrice de structures urbaines nouvelles, elle joue évidemment un rôle non négligeable dans l’effacement des formes anciennes. La consultation des délibérations du conseil municipal, des plans d’alignement successifs, des contraventions de voirie, des autorisations (puis permis) de construire, dévoile les points de résistance à cette modernisation volontariste. Nous développerons ici deux exemples dans lesquels la vigilance réglementaire s’est exercée fortement à l’encontre des édifices ou édicules témoins d’un ancien mode de vivre ou d’habiter. L’un concerne le périmètre très sensible de l’ancienne enceinte, l’autre traite de l’élimination progressive d’un type d’habitation pourvu d’escalier extérieur, qui nous semble aujourd’hui appartenir au monde rural, puisqu’on en rencontre encore de nombreux exemplaires dans les campagnes environnantes.
Les « contours » de la ville
3Grâce à l’action des Intendants qui se succédèrent en Limousin (principalement Tourny, puis Turgot) mais surtout, par l’implication personnelle de Joseph Dubois, frère du cardinal ministre, surintendant des Ponts et Chaussées du royaume et maire perpétuel de sa ville natale, Brive avait pu bénéficier au cours du XVIIIe siècle d’une considérable amélioration des routes la reliant au Haut-Limousin, au Quercy, à l’Aquitaine et à l’Auvergne ainsi que d’amples travaux d’assainissement de son territoire. Les grands travaux d’urbanisme ne touchèrent dans un premier temps que les abords, lointains ou proches, de l’agglomération. L’image que restitue l’Atlas des routes, levé par l’administration des Ponts et Chaussées dans la partie de la traverse de la ville par la route de Paris à Toulouse, vers 1760 [2] (fig. 1), est celle d’une cité contrainte dans les limites d’anciennes fortifications remplacées depuis peu par un boulevard circulaire planté, reliant entre eux les grands axes de circulation. Le cours principal de la rivière Corrèze vient d’être canalisé. Une ceinture de petites parcelles maraîchères entoure la ville, ainsi que des prairies et des vignes, avec quelques domaines bien mis en culture.
Plan de Brive pour la traverse de la route de Paris à Toulouse. Extrait de l’Atlas des routes, levé par Trudaine, vers 1760.
Plan de Brive pour la traverse de la route de Paris à Toulouse. Extrait de l’Atlas des routes, levé par Trudaine, vers 1760.
4Vers la même époque le contraste entre la ville et son terroir est justement souligné par Arthur Young, agronome averti, qui, traversant le Limousin, décrit la descente vers Brive comme « La plus belle route du monde ». Il s’émerveille au spectacle d’un pays aussi bien cultivé : « La vue de Brive du haut de la montagne est si belle qu’elle fait naître l’espoir de voir une charmante petite ville, et la gaîté de ses environs encourage cette idée », mais il ajoute aussitôt : «...en y entrant, le contraste est tel qu’il est absolument dégoûtant : elle est étroite, mal bâtie, a des rues tortueuses, sales et puantes, où le soleil ne vient jamais et où l’air ne peut circuler, excepté quelques maisons un peu passables et à la promenade » [3]. La réglementation s’exerça donc dans un premier temps sur les abords très négligés du tracé récent du boulevard de ceinture. En effet, sous l’Ancien Régime, le droit de garde des remparts et leur entretien incombaient à l’administration consulaire, lourde charge qui pesait sur les finances de la ville. Aussi les Consuls avaient-ils été contraints, sans doute dès le XVIIe siècle, de rentabiliser ces espaces du domaine public en autorisant des percements de portes ou de fenêtres aux maisons adossées aux murailles, ou en cédant à bail à des particuliers les fossés et glacis, pour des petites constructions annexes ou pour le pâturage des animaux.
5Ainsi, lorsque fut décidée vers 1735, sur l’initiative de Joseph Dubois, et, semble-t-il, sur ses propres finances, la création d’une circulation continue appelée promenade, sur les glacis en avant des fossés, les anciennes fortifications avaient perdu toute fonction militaire et tombaient en ruine. Les riverains, qui avaient déjà largement empiété sur le domaine public, reçurent, contre indemnité, l’autorisation d’occuper systématiquement les parterres ainsi dégagés sur l’ancienne escarpe et de les aménager en jardins privés clos de murs. Or, pendant le long procès qui opposa, à partir de 1749, le Consulat à Louis de Noailles, duc d’Ayen, et qui portait principalement sur la possession des emplacements de l’enceinte, puis pendant la période troublée de la Révolution, certains particuliers n’avaient pas hésité à construire sans autorisation et de façon anarchique des bâtiments sur ces espaces acquis : étables, toits à cochons, remises, travails à ferrer les bœufs, latrines...
6Cependant, à partir de 1792, comme en témoignent les délibérations du Conseil de la Commune, l’application d’une législation rigoureuse destinée à assainir et embellir les contours de la ville devient une préoccupation urgente et soutenue. Il est plusieurs fois rappelé que « dorénavant, la ligne de démarquation (sic) pour tous ceux qui à l’avenir feraient bâtir sur les fossés, serait l’ancien mur de la ville, que personne ne pourrait les dépasser sans s’être fait donner un alignement contraire; que toutes les maisons actuelles au-delà des murs de la ville jusqu’aux fossés existants resteraient comme elles étaient, mais que les propriétaires ne pourraient y faire aucune espèce de réparation, et venant à menacer ruine, elles seraient démolies pour reprendre l’alignement uniforme (...), que ceux qui à l’avenir bâtiraient de l’autre côté des arbres de la promenade seraient obligés de laisser 12 pieds d’intervalle au-delà des arbres » [4]. Mais les entorses à la législation se multiplient. Constatant que les propriétaires riverains continuent d’obtenir des dérogations pour la reconstruction de leurs bâtiments, maisons ou dépendances, en dehors de ces limites prescrites, le conseil municipal, sur autorisation préfectorale, se réunit en assemblée extraordinaire le 21 juillet 1810. Après un rappel des délibérations antérieures concernant la législation en vigueur sur ce périmètre, il est proposé que : « Toutes les latrines et étables à cochons absolument quelconques seraient démolies et qu’il serait statué sur le maintien ou la démolition des autres constructions d’après la nature et l’importance de leur utilité particulière » [5].
7Dans un souci d’embellissement de la promenade, il est, de plus, décidé de limiter à un mètre la hauteur des murs de clôture des cours et jardins, avec obligation pour les propriétaires riverains de les surmonter d’une claire-voie, c’est-à-dire de grilles en fer forgé, avec portail également en fer forgé. Ils seront alors autorisés à construire des latrines souterraines dans leur jardin, à condition que le toit ne dépasse pas la hauteur de ces murs, et de les relier au ruisseau qui ceint la ville, vestige de l’ancien système défensif. A tout cela s’ajoute la décision de demander au préfet d’ordonner aux ingénieurs des Ponts et Chaussées la levée d’un plan d’alignement sur ce périmètre, afin de fixer sans contestation possible les limites à ne pas dépasser. Sans doute sur l’incitation préfectorale, car la nouvelle loi de 1807 imposait aux agglomérations de plus de 2000 habitants l’établissement d’un plan général d’alignement du réseau viaire, ce projet se transforma en plan d’alignement pour la totalité de la ville; plan longuement débattu en 1811, mais qui n’est pas parvenu jusqu’à nous.
8Ainsi, peu à peu, l’aspect du boulevard, considéré longtemps comme « le plus bel ornement de la ville », fut régularisé et assaini, sous la surveillance vigilante de l’ingénieur des Ponts et Chaussées et de l’autorité municipale, déléguée en ce domaine, à partir de 1837, aux architectes municipaux successifs. Les maisons se sont construites ou reconstruites sur un alignement très surveillé, les petites constructions parasites qui enlaidissaient les jardins ont été détruites, les « travails à ferrer » interdits ainsi que toute autre construction à usage artisanal, comme les pressoirs à huile de noix par exemple. Les jardins ont été aménagés en parterres et les hauts murs qui les clôturaient ont été les uns après les autres descendus à un mètre du sol et dotés de grilles. Le ruisseau des anciens fossés a été couvert, des trottoirs aménagés le long de la chaussée et les ormeaux progressivement remplacés par des platanes.
9Jusqu’en 1878, les réglementations sont très explicites. On lit par exemple les consignes de l’architecte de la ville à un maréchal-ferrant qui fait faire, sans autorisation écrite, des travaux à sa propriété sur le boulevard. Après lui avoir rappelé la hauteur à ne pas dépasser pour la reconstruction de ses murs de clôture, il précise que « dans le jardin, il ne sera établi aucune construction qui puisse rendre l’aspect du boulevard et des jardins qui l’entourent disgracieux et choquant pour la vue », en conséquence « les latrines, la terrasse appliquée à la maison et servant d’abri pour descendre dans les caves ainsi que le travail à ferrer les bœufs seront supprimés » [6]. Cependant, une tolérance est accordée à condition que les latrines ne soient pas visibles du trottoir et qu’elles soient parfaitement inodores. Il signale en outre deux autres « travails à ferrer » placés en infraction, l’un d’eux situé sur la voie publique, et dont il conviendra de demander la suppression. Dans l’intérieur de la ville, l’application de la réglementation a contribué à faire disparaître en grand nombre certains types d’habitations qui, dans l’une ou l’autre de leur partie, constituaient des « avancements » gênant la circulation. Outre le cas des façades à pans de bois en surplomb, que nous nous limitons à rappeler ici, puisqu’elles sont une forme spécifiquement urbaine, absente du territoire rural limousin, nous nous attacherons à celui des maisons desservies par un escalier extérieur.
Maison rurale, maison urbaine
10Sur le territoire rural, principalement en Basse Corrèze, dans le pays de Brive, et sur les coteaux environnants proches du Quercy, subsistent en nombre important des logis de ferme dont la principale caractéristique architecturale, du point de vue qui nous occupe, est d’être desservis par un escalier extérieur droit, parallèle à la façade d’entrée. Le massif de l’escalier est en maçonnerie, la montée et le perron sont la plupart du temps abrités par un débord de la toiture formant un auvent, appelé bolet dans le département limitrophe du Lot. Certains d’entre eux, les plus anciens, dont on peut voir quelques beaux spécimens dans le village de Nazareth (commune de Jugeals-Nazareth, canton sud-ouest de Brive), ont un perron fermé par un mur plein continué jusqu’au niveau du toit. Dans ce mur est disposé un évier, les eaux usées se déversant directement à l’extérieur par la pierre d’évacuation. Un appentis abrité sous l’emmarchement sert de petite resserre à usages multiples.
11Cette disposition simple, qui n’est ici que rarement guidée par la déclivité du terrain, permet de superposer, sur une emprise au sol relativement réduite, les fonctions de dépendances ou de réserves (remise, écurie, bûcher ou cellier), logées dans les soubassements, et l’étage d’habitation qui se trouve ainsi avantageusement éloigné du sol. De plus, dans un pays au climat plutôt tempéré, l’accès et certaines annexes domestiques, comme l’espace de l’évier, placées extérieurement au logis permettent de désencombrer des intérieurs souvent très exigus. Ce type de construction, qui s’apparente à ce que les géographes appellent la « maison en hauteur » [7] pour le différencier de la structure en « bloc à terre », plus habituelle, est sans doute ici lié à la culture de la vigne, partout présente autrefois sur les coteaux. Elle est dite maison vigneronne ou maison à cuvage ailleurs, en Mâconnais par exemple, car cet étage de soubassement sur lequel est porté le logis sert pour les dépendances telles que cellier, cuvier ou chais.
12Cette façon d’habiter témoigne d’une certaine aisance dans le monde rural, ce que A. de Foville, cité par Demangeon, résume ainsi : « Le paysan monte en grade dans la hiérarchie sociale lorsqu’il met l’intervalle de vingt ou trente marches d’escalier entre son lit et les multiples servitudes d’un rez-de-chaussée ouvert à la poussière, à la boue, aux mauvaises odeurs, aux allées et venues des passants et des bêtes. » [8] Dans le village de Nazareth, trois d’entre elles étaient disposées selon un schéma continu à pignon mitoyen. C’est ce que montre le plan du chemin de Brive à Turenne levé en 1777 pour la traverse du village [9]. Ces logis de ferme existent toujours en bordure de l’ancienne route aujourd’hui déclassée, mais l’un de ces escaliers a été supprimé.
13Notre propos n’est pas d’aborder ici la question délicate de l’apparition de ce type architectural vernaculaire : usage rural adopté par la ville médié-vale, type urbain transporté dans le monde rural, ou plus vraisemblablement simultanéité de sa présence dans l’un et l’autre espace en raison de ses avantages constructifs et de l’économie de place réalisé. L’étude menée sur la demeure urbaine à Brive [10] nous a cependant permis de constater que, dans la ville intra-muros, ce type architectural était présent dès l’époque médiévale et qu’il s’est répandu plus tard dans certains faubourgs. La consultation des sources d’archives utiles pour la connaissance du bâti a montré d’autre part la relative importance numérique de ce type de maisons, antérieurement à l’application rigoureuse de la législation sur les saillies.
14Comme dans d’autres villes du royaume, suite à l’édit de 1607 qui fonde les bases de la législation française en matière d’alignement, les consuls, puis au XVIIIe siècle, le lieutenant général de la police, pour l’intérieur de la ville, ont légiféré par ordonnances contre les multiples entraves à la circulation sur la voirie publique; mais dans les archives consulaires, très lacunaires, ne subsistent plus que quelques papiers épars, assez peu explicites. Ainsi, en 1634, les consuls interdisent les « auvents qui usurpent sur les rues », en 1612 et 1635, ils interdisent de faire devant les maisons des « tabliers ou étalages » qui empêchent les charrettes de foin de passer librement [11]. Le terme d’auvent est suffisamment flou pour recouvrir plusieurs sortes de surplombs qui ne sont pas détaillés : pans de bois en forte saillie, avancée de toiture couvrant un balcon ou un escalier. Le cahier des charges annexé au plan d’alignement de 1821 est un peu plus explicite. S’il indique que : « Toutes espèces de porches et avancements en torchis supportés par des poutres saillantes sur les rues doivent être détruites comme autant d’objets nuisibles à la circulation et à la salubrité de la ville », il ne mentionne toujours pas précisément les escaliers extérieurs. Cependant, la lecture comparée de ce plan avec le suivant, levé en 1839, qui cartographie rigoureusement tous les escaliers extérieurs aux maisons (fig. 2), montre que dès 1821 au moins, ces escaliers sont soumis à la même réglementation de voirie.
15Ainsi sont voués à la démolition les porches enjambant les rues à faible hauteur, les nombreuses maisons construites en pan de bois avec surplomb ainsi que celles dont l’escalier empiète sur la voie publique. Les propriétaires dont les constructions ne sont pas à l’alignement ont l’interdiction d’élever aucun ouvrage confortant les saillies. Les façades doivent être reconstruites en pierre et les escaliers supprimés. Parmi les demandes d’alignement des propriétaires qui souhaitent reconstruire ou consolider leur maison, on trouve aussi quelques dossiers concernant des contraventions de voirie dressées contre certains qui ont consolidé des façades, escaliers ou porches destinés à être démolis. En 1833 une contravention est dressée par le commissaire de police contre un propriétaire de la rue Noire (actuelle rue Charles-Barrat). Le sieur Léret a consolidé l’escalier extérieur en pierre de sa maison, après qu’une « charrette bouvière » chargée de fagots l’ait endommagé. Il est sommé par l’autorité municipale de démolir cet escalier dans un délai d’un mois. Le suppliant demande une contre-expertise. Dépêché sur place, l’adjoint au maire constate effectivement que la consolidation est de peu d’importance, mais qu’elle lui paraît contraire à la loi selon laquelle « toutes réparations qui ont pour résultat soit de conforter ou de conserver des constructions faisant saillie sur la voie publique et qui sont sujettes à reculement, constituent la contravention prévue par cette législation spéciale et doivent être réprimées, sans quoi au moyen de réparations successives et partielles, on prorogerait indéfiniment l’exécution de la loi, interprétation qui rentre exactement dans les termes précis de l’ordonnance royale du 22 octobre 1823 ». Cette ordonnance validait le plan de 1821 levé en exécution de la loi de 1807 [12]. Dans la même année, une affaire identique concernant un autre riverain de la même rue, est portée jusqu’à la cour de cassation.
Position des escaliers extérieurs aux habitations, soumis ou non aux contraintes d’alignement. Extrait du plan d’alignement levé en 1839 par le géomètre Caylac.
Position des escaliers extérieurs aux habitations, soumis ou non aux contraintes d’alignement. Extrait du plan d’alignement levé en 1839 par le géomètre Caylac.
16Mais des incohérences dans la levée des plans sont soulignées. En 1865, la propriétaire d’une maison à escalier extérieur, aujourd’hui détruite, située rue de Frappe, demande l’autorisation de faire des travaux. La réponse de l’architecte municipal est embarrassée car, selon le plan d’alignement de 1839 qui fait alors autorité, l’avancement sur la voie publique formé par l’escalier extérieur de cette maison est à l’alignement voulu; mais, constatant que : « Ce plan est très défectueux en ce sens qu’il réduit la rue en laissant à l’alignement une construction très vieille qui menace ruine, en portant pour être avancées des maisons presque neuves. », il propose, en attendant la levée du nouveau plan, d’autoriser la propriétaire à « refaire la charpente de sa maison, de lui permettre même de faire couvrir l’escalier extérieur par la même charpente, mais qu’il y a lieu aussi d’interdire jusqu’à la réception du plan nouveau, la réparation de cet escalier et de la façade de la maison » [13].
17Ces maisons à escalier extérieur et auvent – à peine une dizaine aujourd’hui – comparables à celles que l’on rencontre dans la périphérie rurale de la ville, sont situées dans des secteurs restés longtemps à l’écart des programmes de remodelage urbain, culs-de-sac ou renfoncements, là où elles n’étaient pas soumises à l’alignement. La maison située dans la petite rue Saint-Grégoire est difficile à dater (vraisemblablement XVIe ou XVIIe siècle), mais sa particularité, pour une maison urbaine, est d’avoir conservé, sur son perron construit en encorbellement sur des consoles, la trace de sa pierre d’évier dont l’évacuation se faisait directement dans le rue. Le cas de la maison située en impasse près de la rue Majour (fig. 3) est plus complexe dans la mesure où on sait par un état des lieux dressé en 1770 qu’elle occupe l’emplacement de l’ancienne chapelle du couvent des Carmélites, installé dans ce secteur au XVIIe siècle et vendu par lots à la Révolution. Des portes charretières encore en place au niveau du soubassement, l’escalier à garde-corps maçonné et les portes de l’étage d’habitation sont bien contemporains de la construction du couvent, ce qui laisserait supposer que ce type de structure était présent aussi dans l’architecture religieuse locale, mais on manque sur ce point et dans ce secteur corrézien d’éléments de comparaison bien identifiés [14]. La maison médiévale signalée plus haut, située dans la rue des Echevins, en rupture complète d’alignement, était vouée à complète disparition par les plans successifs, y compris celui de 1931. Elle a été fortement altérée par des réfections de façade et l’ajout d’un étage supplémentaire. Cependant, sur son élévation la moins dénaturée, elle conserve les traces d’une série de baies jumelées, aujourd’hui obturées, datables du XIVe siècle, ainsi qu’un escalier extérieur d’origine, donnant accès, par une porte en cintre brisé, à l’étage d’habitation. On peut ici supposer qu’une boutique était logée dans l’étage de soubassement, cette maison étant située dans un secteur anciennement commerçant.
Brive-la-Gaillarde, rue Majour. Maison à escalier extérieur, issue de la fragmentation d’un ancien couvent de Carmélites. Le perron est couvert par un auvent en débord de toiture.
Brive-la-Gaillarde, rue Majour. Maison à escalier extérieur, issue de la fragmentation d’un ancien couvent de Carmélites. Le perron est couvert par un auvent en débord de toiture.
18Au XIXe siècle, quand les faubourgs commencent à se construire, ce type de maison est présent mais de façon très sporadique, principalement sur un petit secteur du faubourg de Lissac, à proximité de l’ancienne route de Bordeaux. On y devine encore aujourd’hui la trace du lotissement en profondeur d’anciennes parcelles agricoles de dimensions fort modestes. Ces maisons, à l’origine logements de jardiniers (fig. 4), très exiguës et de qualité inférieure à celle des témoins anciens, ruraux ou citadins, ont leur escalier ouvert sur la rue ou sur le jardin. Elles ont été très rapidement investies, dès la fin du XIXe siècle qui marque les véritables débuts de l’expansion urbaine dans ce secteur, par de nouvelles populations qui les ont remaniées et augmentées, les anciens jardins se trouvant dès lors occupés par les extensions du bâti.
Brive-la-Gaillarde, faubourg de Lissac. Lotissement d’anciennes parcelles agricoles : maison à escalier extérieur, non remaniée.
Brive-la-Gaillarde, faubourg de Lissac. Lotissement d’anciennes parcelles agricoles : maison à escalier extérieur, non remaniée.
19Enfin, ne pourrait-on pas voir dans certaines architectures pavillonnaires très répétitives, caractéristiques des lotissements des années 1930-1950, abondamment représentés à Brive, l’adaptation moderne du modèle de la maison-bloc en hauteur ? Avec son escalier extérieur placé en léger retrait du front de rue, son soubassement étant dès lors occupé principalement par le garage à voiture, avec une petite annexe pour les outils du jardinage et l’entretien de la maison ce type de pavillon représenterait en quelque sorte le dernier avatar de des petites habitations qui ont si bien marquées à Brive-la-Gaillarde la symbiose du milieu rural avec celui de la ville.
Notes
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[1]
Voir E. d’Alençon, M. Berthumeyrie, M. Chavent, « Les plans d’alignement de BrivelaGaillarde aux XIXe et XXe siècles », Archives en Limousin, article à paraître en décembre 2003.
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[2]
Plan de la route de Paris à Toulouse, traverse de Brive, extrait de l’Atlas des routes du Royaume, dit « Atlas Trudaine », Archives Nationales (AN), F14 8484.
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[3]
A. Young, Voyages en France pendant les années 1787,1788,1789 et 1790, Paris, Buisson, 1793, cité dans Arthur Young en Limousin. Extrait du Voyage en France, publié avec des notes par A. Perrier, Tulle, Imprimerie Juglard, 1939.
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[4]
Archives communales de Brive-la-Gaillarde (ACB), 1 D 1 /3.
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[5]
ACB, 1 D 1 /7.
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[6]
ACB, O 1 216.
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[7]
A. Demangeon, « Essai d’une classification des maisons rurales », dans Problèmes de géographie humaine, Paris, A. Colin, 1947, p. 281.
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[8]
Alfred de Foville, Enquêtes sur les conditions de l’habitation en France. Les maisons-types, Paris, E. Leroux, 1894.
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[9]
Archives départementales de la Corrèze (ADC), C 8.
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[10]
M. Chavent, Brive-la-Gaillarde. Urbanisme et architecture, Inventaire général de monuments et des richesses artistiques de la France, Région Limousin, Images du Patrimoine no 203. 2000. Voir, aussi, le dossier hôtels/maisons/immeubles de Brive-la-Gaillarde, Centre de documentation du Patrimoine, DRAC Limousin.
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[11]
ACB, FF. Voir, également, H. Delsol, Le consulat de Brive-la-Gaillarde. Essai sur l’histoire politique et administrative de la ville avant 1789, Brive, 1936, réédité en 1982 (voir le chapitre intitulé « La voie publique », p. 395-401 ).
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[12]
ACB, O 1 216.
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[13]
ACB, O 1 216.
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[14]
ACB, Fonds Leclere, 5 S 1 /2 (pièce 15) : «(...) sommes montés par un degré qui est en appentis endocé au mur de l’ancienne église, lequel degré est composé de quinze marches en pierre de Gramond placé dans ladite ruelle en cul de sac, au bout duquel au palier d’ycelui est une porte qui conduit sur lad. écurie dans le grenier à foin, lequel était l’ancienne église, suivant les vestiges qui nous ont paru (...) ».