Notes
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[1]
Thomas Calvo, « Le manteau de l’urbanisation sur l’Amérique hispanique » dans Perspectivas histó ricas, troisième année, no 5-6, juillet-décembre 1999, p. 11-62.
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[2]
« Hice una informació n en derecho que aunque breve se estimó por erudita, por la cual probé que las costumbres que las iglesias de las Indias tienen recibidas de las de España no se han de reputar ni medir por el tiempo que ha que se fundaron y observan en las Indias, sino por la antigü edad y prescripció n legítima e inmemorial que llevaron de España, y que así son costumbres de prescripción legítima inmemoriable ». Le chanoine Jeró nimo de Cárcamo au chapitre cathédral de México, Madrid, 30 mai, 1611. Archives du chapitre Cathédral de Mexico, Correspondances, vol. 20.
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[3]
Pour le rôle des évêques dans l’Espagne wisigothique, je renvoie à la brillante thèse de Céline Martin, La géographie du pouvoir dans l’Espagne wisigothique, soutenue à l’É cole des Hautes É tudes en Sciences Sociales, Paris, 2000.
-
[4]
AGI, (Archives générales des Indes, Séville), México, 283, lettre de l’évêque au président du Conseil des Indes, 27 janvier 1576, et México 374, lettre du même évêque (frère Juan de Medina Rincó n) au roi, 24 février 1576.
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[5]
Le vice-roi commença par fonder la ville de Celaya en 1571, puis il ordonna la fondation de Zamora en 1574 et celle de Leó n en 1576. L’intention était claire et double : le peuplement de vallées fertiles dans la zone appelée à être le grenier de la Nouvelle-Espagne et, d’autre part, la défense de la route de l’argent et des voies de communication avec la Nouvelle-Galice dans le contexte de la guerre contre les Chichimèques nomades. Cf. Carlos Herrejó n Peredo, Los orígenes de GuayangareoValladolid, México, El Colegio de Michoacán, Gobierno del Estado de Michoacá n, 1991.
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[6]
Il s’agit de la relation du diocèse de Michoacán (1649) écrite par le chanoine Francisco Arnaldo de Ysassy et publiée dans Biblioteca Americana, no 1, septembre 1982. Elle fera l’objet d’une nouvelle édition par Oscar Mazin et Jean-Pierre Berthe dans « Por relació n y noticia... » Cinco relaciones del antiguo Michoacá n, 1619-1649, à paraître.
-
[7]
Adeline Rucquoi, « É tat, ville et Église en Castille à la fin du Moyen  ge », dans La ville, la bourgeoisie et la genèse de l’É tat Moderne (XIIe -XVIIIe siècles), Paris, C.N.R.S., 1988, p. 279-295.
-
[8]
La circulation des membres des audiences et des officiers royaux a été étudié respectivement par Rafael Diego-Fernández, « Una mirada comparativa sobrelas reales audiencias indianas » dans Oscar Mazin (sous la direction de), México en el mundo hispánico, México, El Colegio de Michoacán, 2000, vol. II, p. 517-553 et par Michel Bertrand, Grandeur et misère de l’office. Les officiers de finances de Nouvelle-Espagne XVIIe -XVIIIe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999.
-
[9]
J. H. Elliott, España y su mundo 1500-1700, Madrid, Alianza editorial, 1990 : cf. chapitre 5, « La organizació n del imperio ».
-
[10]
Michel Vovelle, « Un des plus grands chapitres de France à la fin de l’Ancien Régime : le chapitre cathédral de Chartres », Actes du 85e Congrès des Sociétés Savantes, Chambéry-Annecy, 1960, Paris, Imprimerie Nationale, 1961, p. 235-277 ; Hélène Millet, Les chanoines du chapitre cathédral de Laon, 1272-1412, Rome, É cole Française de Rome, 1979.
-
[11]
Oscar Mazin, El cabildo catedral de Valladolid de Michoacá n, México, El Colegio de Michoacán, 1996.
-
[12]
Le vice-roi avait disposé des grains déposés dans les magasins de Puebla par l’évêque Fernández de Santa Cruz. Celui-ci s’opposa alors au vice-roi et le défia en disant qu’avant que les envoyés du comte ne parviennent à leur but, ils verraient « son rochet et ses saints vêtements teints par leur propre sang », cité par Miguel de Torres, biographe du prélat, dans Dechado de Príncipes eclesiásticos que dibujó con su ejemplar, virtuosa y ajustada vida el illmo. Sr. dr. Dn. Manuel Fernández de Santa Cruz y Sahagú n, México, Sociedad Mexicana de Bibliófilos, 1999, (facsimilé).
-
[13]
Je développe ce point dans le cas de la Valladolid de Nouvelle-Espagne dans mon Cabildo catedral de Valladolid de Michoacá n... op. cit.; pour cette question à l’échelle de l’empire espagnol, voir I. A. A. Thompson, « Castile, Spain and the Monarchy : the political community from patria natural to patria nacional » dans Richard L. Kagan et Geoffrey Parker (sous la direction de), Spain, Europe and the Atlantic World. Essays in Honour of John H. Elliott, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 125-159.
-
[14]
Une vertigineuse augmentation peut être constatée avec une incidence particulière sur la partie centrale du diocèse, le futur Bajío, de l’ordre de 73 % entre 1700 et 1726. Cf. David Brading, Miners and Merchants in Bourbon Mexico 1763-1810, Cambridge University Press, 1971, p. 224.
-
[15]
Pour le système de crédit lié à la cathédrale de Valladolid, voir la thèse de doctorat de María Isabel Sánchez Maldonado, El sistema de préstamos de la iglesia catedral de Valladolid de Michoacá n, la ciudad episcopal y su área de influencia, 1700-1804, soutenue au Colegio de Michoacán, 2003.
-
[16]
Cf. Oscar Mazin (édité par), El gran Michoacá n, cuatro informes del obispado de Michoacá n, 1759-1769, México, El Colegio de Michoacá n, Gobierno del estado de Michoacá n, 1986.
-
[17]
Adeline Rucquoi, Valladolid au Moyen Âge, Paris, 1993, p. 15. Cet auteur s’appuie sur le géographe Paul Claval, pour qui la ville se manifeste « à partir d’un certain degré de développement du jeu des rapports sociaux. C’est une organisation destinée à maximiser l’interaction sociale », voir Paul Claval, « La théorie des villes », Revue géographique de l’Est, VIII (janvierjuin 1968) et La logique des villes, Paris 1982. Le sociologue Henri Jaén a donné la définition suivante de la ville : « un ensemble constitué de composantes qui s’ajustent réciproquement, interdépendantes et en interaction », Henri Jaén, Le système social, cité par M. L. Roggemans, La ville est un système social, Institut de Sociologie de l’U.L.B., Bruxelles, 1971.
-
[18]
Oscar Mazin, « Culto y devociones en la catedral de Valladolid » dans Tradición e identidad en la cultura mexicana, Zamora, El Colegio de Michoacán, 1995, p. 305-347.
-
[19]
Il ne semble pas exister de plan de la ville antérieur à 1660 qui nous confirmerait l’existence d’une grande place rectangulaire. Cependant la division des espaces qui devait donner lieu à la nouvelle construction se trouve mentionnée dans divers protocoles notariaux. Voir, par exemple, le contrat de vente effectué par le chanoine magistral José Gó mez de la Parra le 16 août 1684, ANM (Archives Notariales de Morelia), Protocolos, vol. 38, fol. 253-254 vo.
-
[20]
Nelly Sigaut et Oscar Mazin, « El cabildo de la catedral de Valladolid y la construcció n de las torres y fachadas de su iglesia » dans Arte y coerciòn, primer coloquio del comité mexicano de historia del arte, Mexico, UNAM, 1992, p. 109-122.
-
[21]
Le chanoine Diego de Castro y Tafur demanda au chapitre, qui les lui accorda, 21 000 pesos sur ses prébendes pour l’achat d’une maison qu’il hypothéquerait; ACCM (Archives du Chapitre Cathédral de Morelia), actes de délibérations, session du 8 février 1735. Voici une brève description de la résidence du chanoine Diego Peredo en 1751 : «... avec étages, sur la grande place. Trois magasins, deux celliers, vestibule, une pièce vers l’escalier, écurie, verger avec un basin de pierre qui reçoit l’eau des canaux et un autre dans le patio en face du vestibule, une pièce pour les outils et une autre écurie; un escalier de pierre qui mène à l’étage où il y a, face à l’escalier, une petite salle et une chambre avec un balcon qui donne sur la place, une chambre de secours, une chambre pour les domestiques et une grande pièce avec un balcon donnant sur le verger qui sert pour manger et moudre le chocolat, un couloir et une cuisine, une dépense et une cour pour les poules. Vendue pour 8 000 pesos ». Testament du 5 août 1751 ; ANM (Archives Notariales de Morelia), vol. 108, fol. 439-440.
-
[22]
Au lieu de faire payer 20 réaux aux personnes mariées et 12 aux célibataires, José de Gálvez, visiteur général de la Nouvelle-Espagne, exigeait maintenant de tous 5 pesos par an, c’est-à -dire, 40 réaux. Cf. Oscar Mazin, Entre dos majestades, el obispo y la iglesia del Gran Michoacá n ante las reformas borbónicas, 1758-1772. México, El Colegio de Michoacá n, 1987.
-
[23]
Carlos Juárez Nieto, La oligarquía y el poder político en Valladolid de Michoacá n, 1785-1810, Morelia, Universidad Michoácana, 1994, p. 57.
1La fondation des villes fut l’une des principales caractéristiques de la conquête espagnole du Nouveau Monde au début du XVIe siècle. Vingt-six virent le jour entre 1519 et 1543 sur le seul territoire de l’actuel Mexique central, conquis par Hernán Cortés et connu depuis sous le nom de Nouvelle-Espagne. Renforcée par un modèle de gouvernement local hérité des municipalités castillanes, cette entreprise urbaine n’a pas eu d’équivalent dans l’histoire sinon sous l’Empire romain. Vers 1600, environ un demi-millier d’établissements urbains avaient été fondés dans les deux vice-royautés américaines, du Pérou et de la Nouvelle-Espagne, et cela sans compter les huit à neuf mille villages indiens qui devaient être organisés en « pueblos ». L’Église fut alors l’un des agents privilégiés de la « civilisation » ou, si l’on préfère, de la vie « policée », mots dont il faut se rappeler que les racines sont liées à la ville. Sa présence est même devenue obsédante : la chapelle symbolise ainsi, sur les représentations cartographiques, l’emplacement des villages « réduits ». Quatre archevêchés et vingt-quatre diocèses, sur un total de trente-huit pour l’ensemble de la période coloniale, avaient été érigés en Amérique Espagnole aux alentours de 1580 [1]. Dans la correspondance des ecclésiastiques mexicains du début du XVIIe siècle, les cathédrales de la Nouvelle-Espagne apparaissent comme les strictes homologues des églises péninsulaires. Pour eux, le laps de temps très court qui s’est écoulé depuis la fondation des cathé-drales des Indes, qui a commencé autour de 1530, ne devait pas être pris en compte car les « coutumes légitimes et immémoriales » des églises d’Espagne devaient leur être appliquées [2]. Cette vision minorait l’histoire de la fondation des cathédrales américaines au profit d’une légitimité ancienne issue de la Péninsule ibérique et les conséquences d’une telle interprétation ont été importantes à long terme.
2Dans tous les sièges diocésains de la Nouvelle-Espagne – à l’exception peut-être de Mexico, siège du vice-roi depuis 1535 – le principal pouvoir politique est revenu de facto aux évêques et à leurs chapitres surtout à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle. En cela, les prélats ont effectivement hérité d’une tradition millénaire remontant au moins à l’Espagne wisigothique où l’évêque incarnait une figure stable dans la cité. Comme au VIIe siècle, les cités épiscopales du Nouveau Monde ont été le cadre de la fondation de nombreux monastères, de la construction et de la consé-cration d’églises, de l’aménagement d’un hôpital destiné à accueillir les pèlerins mais aussi les pauvres et les malades et, enfin, le lieu de l’établissement d’un système de prêts d’argent sous caution, une sorte de banque avant la lettre [3]. Il ne semble pas que cette situation soit une simple coïncidence historique. L’héritage urbain des évêques a traversé le Moyen Âge et s’est transmis, au fil du temps, aux Indes occidentales. Il est basé, en outre, sur la relation spéciale qui unissait la Couronne à l’Église et dont les origines remontaient au moins à Isidore de Séville (v. 560-636). Les monarques ibériques, vicaires de Dieu dans leur royaume, étaient à la fois les défenseurs de l’Église et les défenseurs de la foi. L’Église, surtout celle des Indes, ne constituait donc pas un « pouvoir » autonome par rapport au roi : les évêques étaient en même temps des pasteurs et des membres du Conseil du roi. L’Église bénéficiait également en permanence d’une grande autonomie face à Rome.
3Je souhaite dans cet article examiner la manière dont un corps ecclé-siastique – le chapitre cathédral, véritable « sénat » des évêques – est intervenu dans la configuration d’une ville, Valladolid du Michoacán. La fondation de Valladolid s’insère dans le processus d’urbanisation que je viens d’évoquer mais aussi dans la rivalité entre les autorités ecclésiastiques et laïques à l’échelle de la Nouvelle-Espagne. S’opposant à Vasco de Quiroga, premier évêque du Michoacán qui avait installé sa cathédrale en 1538 dans la ville indigène de Patzcuaro, le vice-roi Antonio de Mendoza fonda, en 1541, la Nueva ciudad de Michoacá n à 60 kilomètres de là, dans la vallée de Guayangareo, où s’installa une majorité d’Espagnols. Quarante ans plus tard, les successeurs de Quiroga se prononcèrent pour le transfert du siège épiscopal dans cette dernière agglomération qui, désormais, reçu le nom de Valladolid. Ce changement ne fut pas une décision unilatérale des évêques car le chapitre avança en la matière des raisons extrêmement intéressantes du point de vue social : les chanoines estimaient, comme l’évêque, que Patzcuaro était trop petite. Ils rappelaient que, vu les graves préjudices causés par une épidémie chez les Indiens et par le « manque de matériaux », la cathédrale n’avait pu être consolidée. On disait, au contraire, de la vallée de Guayangareo que « c’[était] un site très agréable bien pourvu de tout, de grande ampleur et éloigné des Indiens » [4].
4Ce projet renvoie nécessairement, non seulement à l’épidémie de Cocoliztli de 1576 et 1577 qui devait ravager le centre de la Nouvelle-Espagne, mais aussi aux mesures prises par le vice-roi Martín Enríquez de Almanza, qui, entre 1571 et 1576, planifia et encouragea la fondation d’agglomérations purement hispaniques dans la vallée de Chichimecas dans le même diocèse du Michoacán [5]. Cette zone fertile et proche de riches gisements argentifères représentait non seulement l’endroit le plus propice au financement du siège épiscopal mais aussi l’une des régions les plus peuplées et les plus urbanisées de l’Amérique espagnole. C’est donc dans ce contexte qu’eut lieu le transfert du siège diocésain vers une agglomération plus complexe, dans un lieu d’accès plus facile mais susceptible d’être mieux défendu militairement, et non pas situé entre des montagnes et des lacs comme Patzcuaro (cartes 1 et 2).
5En 1650, Valladolid était gouvernée par un alcalde mayor (gouverneur) appointé par le vice-roi et dont les intérêts le faisaient habiter la plupart du temps à Patzcuaro. De son côté, la municipalité de la ville était composée de quatre échevins, un alférez real (office ayant fonctions militaires), et un alguacil (chargé de la police). Une chronique de l’époque rapporte cependant que la plupart de ces charges étaient vacantes [6]. Sans une audience royale ni un gouverneur au niveau de la province, le pouvoir des autorités laïques était, à Valladolid, sans commune mesure avec celui des évêques et leur chapitre. Toutefois, jusque dans le premier tiers du XVIIe siècle, la cathédrale fut confrontée à une forte concurrence : les ordres religieux qui avaient multiplié, dans la ville, églises, couvents et collèges qui dominaient le paysage urbain. Même si nombreux étaient ceux qui venaient des villages et des haciendas des alentours à l’occasion des principales fêtes comme le Corpus et la Semaine Sainte, ou lors de la publication de bulles ou d’autres événements de grande importance, la ville était en 1650, encore peu peuplée : elle comptait environ deux cents familles espagnoles ainsi que des noirs, mulâtres, métis et d’autres ethnies. Ce fut, en réalité, pendant le siècle « oublié » ou moins connu de l’historiographie en Nouvelle-Espagne, entre 1650 et 1760, que le chapitre cathédral atteignit son plus haut niveau d’influence dans la ville. Les différentes institutions et structures de l’organisation diocésaine avaient été mises en place durant la période précédente : elles formaient une puissante administration ecclé-siastique, désormais capable de résister aux crises agricoles et commerciales. Elle se vit, en outre, renforcée par un accroissement considérable de la dîme à partir des années 1680. L’autre extrémité du siècle « oublié » vit prendre fin, sous l’influence des réformes des Bourbons, la puissante tendance à une totale « créolisation » ou « américanisation » des chapitres. Elle vit aussi poser une série de limites à la relative autonomie de gestion de la part du clergé sur la cathédrale, la ville et la société.
El cabildo catedral de Valladolid de Michoacá n, Mexico, El Colegio de Michoacá n, 1996.
El cabildo catedral de Valladolid de Michoacá n, Mexico, El Colegio de Michoacá n, 1996.
Limites diocésaines de la Nouvelle-Espagne.
Limites diocésaines de la Nouvelle-Espagne.
Les chapitres cathédraux dans l’historiographie européenne
6Il nous faut aborder ici sommairement certains aspects de l’historiographie espagnole et française à propos des chapitres cathédraux car ils sont indispensables pour comprendre la manière d’agir du chapitre de Valladolid au Michoacán pendant le siècle « oublié ».
7Qu’il s’agisse du Moyen Âge ou des XVIe et XVIIe siècles en Espagne, les chercheurs ont insisté, d’une part, sur la profonde intégration sociale et économique des chapitres cathédraux au sein des villes et, d’autre part, sur l’accroissement de leur dépendance par rapport à la Couronne. Le premier trait s’explique par la ferme volonté des chapitres de participer activement à l’organisation du système urbain et à la gestion des ses ressources. Le second fut la conséquence du développement de l’administration royale entre le XIIIe et le XVe siècles. Dès le XIIe siècle, le pouvoir royal choisit comme alliées les oligarchies urbaines d’où étaient issus la majorité des membres des chapitres cathédraux et collégiaux. Ils parvinrent ainsi à faire front à l’aristocratie d’où provenaient de nombreux évêques. En échange de l’accroissement de cette dépendance vis-à-vis du pouvoir royal, les chanoines purent quitter leur dimension purement locale à partir du XIVe siècle et étendre leurs activités à l’ensemble des domaines de la Couronne [7]. Cette évolution commencée dans la Péninsule ibérique semble s’être poursuivie aux Indes de Castille au cours des XVIe et XVIIe siècles. D’abord, et comme cela s’était produit en Espagne, la dizaine de membres du chapitre de Valladolid cherchèrent à étendre leurs activités au-delà du cadre diocésain dès que s’acheva la période de fondation, entre 1540 et 1585. Vint ensuite, entre 1585 et 1660, une période caractérisée par la promotion des chanoines notamment entre les églises de Mexico, Puebla et Valladolid, ce qui rendit possible, à court terme, la concertation politique entre celles-ci. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que la circulation des ecclésiastiques et des hommes au service du roi avait pour cadre une monarchie espagnole dont l’échelle mondiale rendait possible le passage et les échanges des fonctionnaires, des ministres et officiers de la Nouvelle-Espagne avec les royaumes péninsulaires et sud-américains [8]. La stabilité et la prééminence politique du haut clergé de Valladolid tout au long d’un peu plus de deux siècles furent, en outre, le résultat d’une politique d’équilibre à long terme comme celle qui unissait dans la péninsule évêques et membres du chapitre dans un système de contre-poids et de contrôle réciproque. La monarchie espagnole était, en effet, caractérisée par un système de gouvernement à distance fondé sur l’interaction de différents groupes qui passaient leur temps à réajuster leurs rapports mutuels [9]. Vouloir expliquer les mécanismes qui régissaient les chapitres aux XVIIe et XVIIIe siècles exige d’en faire l’étude prosopographique des carrières de ses membres : c’est une direction particulièrement suivie par les historiens français [10]. En examinant à notre tour les quelques trois cents carrières qui ont eu pour cadre le chapitre de Valladolid, nous avons été surpris de voir à quel point les organes centraux de la monarchie, et plus concrètement le Conseil des Indes et la Chambre des Indes, avaient pu suivre la vie de chacun de ces individus à deux mille lieues de distance avec une grande efficacité administrative et cela, non seulement lorsque leur promotion à une prébende les faisaient arriver à la cathédrale, mais aussi jusqu’aux endroits les plus reculés de chaque diocèse où ils remplissaient la fonction de curé [11].
8Il convient enfin de rappeler quelques traits de l’évolution générale des chapitres de la Nouvelle-Espagne à notre période. À une époque de circulation et d’échanges entre les chapitres a succédé, à partir du dernier tiers du XVIIe siècle, une période de repli et d’enracinement local. L’arrivée d’ex-curés du Michoacán dans le chœur de la cathédrale a favorisé un contact toujours plus étroit entre le chapitre et les bénéfices les plus importants du diocèse situés dans les principaux centres de population hispanique. Cet enracinement fut, en outre, renforcé par une augmentation inhabituelle de la dîme, principale source de revenu ecclésiastique. Elle s’explique par le triomphe légal des cathédrales des Indes sur les ordres religieux, qui furent désormais obligés de payer les dîmes sur leurs nombreuses haciendas jusqu’alors exemptées. Il faut également prendre en compte la lente récupération démographique des populations autochtones après les épidémies qui les avaient ravagées.
9Les prélats ont alors dominé la conjoncture politique générale car ils ont accru leur pouvoir et leur influence. En 1696, l’évêque du Michoacán assura ainsi la charge de vice-roi et, entre 1674 et 1680 – une durée tout à fait exceptionnelle – l’archevêque de Mexico gouverna le vice-royaume. Il le fit encore en 1701 et 1702. A l’inverse les vice-rois laïcs virent leurs pouvoirs affaiblis comme jamais auparavant. Dans les moments décisifs, comme la crise agraire de 1692 à 1695, le pouvoir effectif tendit à leur échapper. Quand le comte de Galve, désespéré par les événements de Mexico, tenta d’imposer son autorité à l’évêque de Puebla, la réaction de ce dernier ne se fit pas attendre et fut foudroyante [12]. Il faut dire que les vice-rois de cette période attendaient l’avancement de leurs carrières dans des conditions qui n’étaient guère sûres : dans une Espagne où le problème de la succession au trône occupait toute l’opinion européenne, les affiliations politiques étaient essentiellement mouvantes. C’est ainsi qu’à un gouvernement central faible à Madrid correspondit la consolidation des groupes locaux dans certaines des possessions de la monarchie [13].
Cathédrale et cité
10L’influence du chapitre dans l’organisation sociale de la ville de Valladolid s’appuya sur quatre éléments fondamentaux. Le premier est un excédent financier lié à la politique de recouvrement de la dîme dont l’ampleur reste encore à étudier. Les autres sont l’émergence des membres du chapitre en tant que patrons; l’américanisation croissante du chapitre; la construction de la cathédrale définitive. On note, en effet, l’apparition, vers 1650 environ, au sein de la vingtaine de membres du chapitre d’une sorte de patriciat formé de bienfaiteurs contrôlant de vastes clientèles ainsi qu’un grand nombre de corporations et d’œuvres. Cette situation inédite rendit possible certaines formes d’articulation entre les corps associés au culte de la cathédrale (tout spécialement les chapellenies, les confréries et les patronats d’aumônes) d’une part et, d’autre part, les chapelles et les sanctuaires dont l’église cathédrale favorisa la naissance ainsi que le développement de leurs quartiers d’implantation. Parallèlement s’affirma vers 1660 un processus de « créolisation » qui alla en croissant, de sorte que les capitulaires américains, originaires de la Nouvelle-Espagne dans leur majorité, formaient 87,9 % du total du chapitre en 1690. La plupart venaient de la partie centrale du diocèse, notamment de la vallée du Lerma et ses environs, qui connut à cette époque une expansion démographique, une croissance urbaine et une reprise économique [14]. Le dernier élément fait coïncider les trois premiers avec la construction de l’église définitive (1660-1745). L’établissement tardif du siège à Valladolid avait obligé les évêques et le chapitre à se contenter d’une cathédrale provisoire construite de façon précaire, alors que, dans les autres cathédrales du royaume, les travaux de construction d’une église définitive battaient leur plein ou étaient presque terminés. Le nouveau chantier fit donc de Valladolid un centre d’arts et de métiers attractif pour la population qui, dans le premier tiers du XVIIe siècle, dépassa le nombre de deux mille habitants dans la ville même. Ce chiffre s’éleva à plus de dix mille un siècle plus tard.
11Dès le milieu des années 1670, les membres du chapitre, collectivement ou à titre personnel, avec les revenus de leur institution comme sur leur deniers propres, commencèrent à intervenir dans les affaires de la cité, utilisant leurs ressources afin de renforcer leur rôle public. D’abord isolées, ces initiatives se firent peu à peu plus systématiques et elles finirent par remodeler l’ensemble des rapports sociaux au sein de la ville. Ce processus, parfaitement maîtrisé, se déploya en fonction de sa dynamique interne, selon sa propre chronologie. Alors se mit en place un véritable « régime d’organisation sociale », selon l’expression que nous avons proposée, par lequel la cathédrale est parvenue à créer les conditions régulières et durables qui lui ont permis de contrôler certains secteurs jouant un rôle important au sein de la société urbaine. De manière privilégiée, la puissance du chapitre se manifesta dans les domaines suivants : la célébration du culte dans la cathédrale, les œuvres de bienfaisance publique, le fonctionnement des centres d’enseignement et le prêt d’argent ou « crédit » ecclésiastique.
12Dans une première étape, entre 1675 et 1705, le chapitre soutint et favorisa le développement de l’activité des fondations pieuses, chapellenies, confréries et autres œuvres, qui s’intensifia et se diversifia. Les œuvres pieuses étaient le plus souvent destinés à l’éducation des enfants trouvés et des orphelins et elles visaient à la constitution de dots pour les filles et au financement des études des garçons. La volonté d’organiser et de perpétuer l’existence de ces fondations de la part du clergé, qui était partagée par les commerçants et les grands propriétaires, souvent les débiteurs de la cathédrale, entraîna la création de bourses, de patronages d’aumônes ainsi que la multiplication des legs testamentaires [15].
13Dans un deuxième temps, entre 1705 et 1730, le clergé de la cathédrale consolida l’oligarchie active dans ces fondations par l’intermédiaire d’alliances, surtout familiales, avec la municipalité où étaient déjà présents quelques grands propriétaires et marchands. Il chercha à articuler de façon plus fonctionnelle les dites fondations à travers la création de nouvelles entités et le renforcement ou l’agrandissement de celles qui existaient déjà. À l’intérieur de la nouvelle cathédrale de Valladolid, consacrée en 1705, on réserva des emplacements des nefs à la construction d’autels et à la mise en place de retables, tandis qu’en d’autres endroits de la ville, on aménagea des chapelles et des sanctuaires diocésains comme celle de Cosamaluapan et celui de Saint Joseph. Les œuvres de bienfaisance, de leur côté, lièrent les fondations d’orphelines et d’enfants trouvés avec le nouveau – et seul – couvent féminin de la ville, celui de Sainte-Catherine-de-Sienne, ainsi qu’avec le Collège de Saint Nicolas. Enfin, l’approvisionnement en grains de la municipalité de Valladolid par le clergé de la cathé-drale aboutit au financement de la construction d’un grand grenier public.
14Après 1730, on assista à une véritable floraison d’établissements nouveaux issus des liens que nous venons d’évoquer : ils sont parfaitement repérables en raison de leur architecture homogène puisque, comme nous allons le voir, ils s’associèrent pour définir un style artistique local. É laboré pour les façades et les tours de la cathédrale, celui-ci bénéficia par la suite de leur prestige et fut repris dans toute la ville. On notera que ce mouvement est parallèle à une augmentation des revenus du haut clergé du diocèse. Les revenus des cures et des prébendes semblent s’être accru et les testaments de chanoines qui ont pu être retrouvés montrent qu’ils possédaient davantage de propriétés rurales qu’à d’autres époques même si la superficie et la valeur de ces propriétés ne sont pas systématiquement indiquées. Les sommes prévues pour la dotation et la fondation des œuvres pieuses continuaient cependant à y occuper, et de loin, la première place.
15Certaines agglomérations du diocèse du Michoacán avaient une population supérieure à celle de Valladolid comme San Luis Potosí, qui comptait 18 000 habitants en 1760, ou Guanajuato, qui en avait alors 25 000. La prospérité de ces deux bourgs était liée aux gisements d’argent et aux ressources agricoles des terroirs qui les environnaient [16]. Cependant, ni l’extension de leur territoire municipal, ni leur importance démographique, ni le nombre de leurs paroisses ne constituaient des éléments suffisants pour que l’on puisse parler à leur sujet de véritables « villes ». D’éléments expliquant l’apparition d’une oligarchie dans la ville (excédent financier, apparition d’un patriciat des protecteurs et bienfaiteurs parmi les chanoines, américanisation croissante du chapitre, alliances avec les membres de la municipalité), on passe à des structures plus formelles : la série d’activités régulières et durables associées au culte, à l’assistance publique, à l’enseignement et au prêt d’argent. En d’autres mots, les traits de ce que nous venons de nommer « régime d’organisation sociale » nous permettent d’apprécier un schéma de plus en plus complexe et hié-rarchisé pour la répartition d’une partie de la population dans l’espace.
16Si la juxtaposition des éléments que nous avons mentionnée antérieurement est indispensable pour qu’existe une ville, « celle-ci ne peut exister comme telle qu’à partir du moment où l’interaction sociale de ces éléments l’emporte sur la juxtaposition même » [17]. Cette réflexion sur le phénomène urbain met en relief la diachronie, aspect privilégié par la gestion du chapitre. Ainsi, tout au long d’un peu plus d’un siècle on peut repérer à Valladolid et autour de la cathédrale, les rapports qui unissent entre eux, et à l’intérieur d’une hiérarchie complexe, des éléments interdépendants liés aux conditions historiques telles que des autorités séculières en retrait devant les ecclésiastiques, une démographie en récupération et l’accroissement des revenus de la cathédrale.
17Deux exemples suffisent à illustrer cette interaction hiérarchisée. Jusqu’en 1721, un grand crucifix dit « des religieuses » avait toujours figuré en tête des processions de rogations qui parcouraient la ville mais, cette année-là, le chapitre s’opposa au conseil municipal de Valladolid qui demandait qu’on le transportât jusqu’à la cathédrale en raison de la « peste » qui frappait la ville déjà éprouvée par la sécheresse et les gelées de l’année antérieure. Le chapitre objecta qu’on ne pouvait recevoir ce Christ en raison des « nombreuses occupations » de la cathédrale. Il s’agissait là d’une situation inédite qui reflète à la fois l’alourdissement du cycle cérémoniel qui se déployait dans la cathédrale et l’assurance du chapitre qui refuse de laisser une autre autorité s’immiscer dans ses affaires. Le second exemple, qui nous ramène à l’année 1721, est tout aussi révélateur : le chapitre annonça alors aux ordres religieux qu’à l’avenir, il ne pourrait plus assister à toutes leurs célébrations; c’était là modifier le modus vivendi établi avec le clergé régulier. Surtout qu’en échange, le chapitre exigea du prieur des Carmes déchaussés qu’il se soumît à ses demandes : le menaçant de censure, il l’obligea à assister à la procession du Corpus Christi. Dans toute cette affaire il n’avançait qu’un seul argument : la nécessité de « préserver le droit immémorial de cette église à diriger le culte public » [18]. Jamais auparavant le chapitre n’avait revendiqué si haut le pouvoir d’exercer son contrôle sur l’ensemble des manifestations religieuses qui se déroulaient dans la ville.
L’expression de la supériorité de la cathédrale dans les formes urbaines
18Le clergé de la cathédrale devint progressivement au cours de notre période le principal acteur de l’organisation de l’espace urbain. Durant le premier tiers du XVIIe siècle s’imposait encore à la cathédrale une réalité locale plus importante : les ordres religieux. Franciscains, augustins, carmes, jésuites et un couvent féminin de dominicaines s’étaient installés, en effet, dans la ville entre 1540 et 1604. L’influence de ces ordres était manifeste et variée : elle se traduisit, en particulier, par le prêt d’ornements et d’objets pour le culte à la cathédrale primitive qui en était dépourvue après l’incendie qui l’avait dévastée en 1584. Elle se concrétisa également par les différentes processions et les autres solennités publiques à l’occasion d’épidémies et de catastrophes naturelles : les processions des rogations se déroulaient ainsi entre la cathédrale et les églises des ordres religieux. L’origine et la dénomination des quartiers correspondaient également aux couvents : le quartier des Carmes, le quartier de Saint-François, le quartier de la Merci, le quartier des Religieuses.
19Néanmoins, à partir de 1630, la cathédrale commença à prendre l’ascendant sur les ordres religieux. Son clergé se mit à fonder et à élever des chapelles et des sanctuaires dans la ville. Certains, comme celui de Saint-Joseph, réussirent à se constituer en paroisses pour enseigner la doctrine chrétienne à la population qui était alors en croissance permanente. Le choix de l’emplacement de la cathédrale définitive, en 1660, fut un moment essentiel de cetteévolution. Leséléments dela morphologieurbaine ont, en effet, habituellement une durée de vie plus longue que les caractéristiques des rapports sociaux : l’emplacement de la nouvelle église cathédrale refléta donc les débuts de l’omniprésence du chapitre et de la cathédrale dans le culte de la ville et indiqua la tendance pour les décennies à venir.
20Le terrain choisi pour la construction se trouvait, semble-t-il, sur le site d’une ancienne place dont l’un des côtés était occupé par la cathédrale primitive et les casas reales (les maisons royales), siège du gouvernement, qui s’y alignaient. Ainsi, dès que l’on traça au cordeau les limites de la nouvelle construction et que l’on disposa le terre-plein pour les fondations, on procéda à la dénomination de deux espaces distincts : à l’ouest, fut installée la « place publique » correspondant aux maisons royales et, à l’est, la « place épiscopale » correspondant aux maisons des évêques et à l’hôpital de Valladolid. Cette division de l’espace fut assimilée par la mémoire collective dans le dernier tiers du XVIIe siècle et cela nous laisse supposer que, contrairement à la cathédrale primitive qui respectait l’ancienne place, la nouvelle avait été construite en plein milieu de celle-ci en la coupant en deux. Cette situation faisait ainsi de la cathédrale l’axe organisateur de l’espace urbain et politique à Valladolid du Michoacán [19] (photo 1 ).
Cathédrale et places principales de Morelia, l’ancienne Valladolid
Cathédrale et places principales de Morelia, l’ancienne Valladolid
21La cathédrale attira des fidèles de plus en plus nombreux à mesure qu’augmentaient les fondations pieuses et que s’organisaient les confré-ries. Dès 1675, et jusqu’en 1776 au moins, apparurent de nouvelles églises et de nouveaux sanctuaires qui donnèrent aux places et aux quartiers de leurs emplacements respectifs leur propre dénomination, au détriment de l’ancienne organisation de l’espace commandée par les couvents. L’ancien quartier de Saint-François fut, par exemple, amputé d’une partie de son territoire en raison de l’essor du nouveau sanctuaire de Notre-Dame de Cosamaluapan.
22Les expressions plastiques à l’œuvre dans une ville confirment souvent la dynamique de ses rapports sociaux. C’est particulièrement vrai à Valladolid au moment de la construction des tours et des façades qui marquè-rent, en 1745, l’achèvement de la cathédrale. José Medina, un artisan originaire de la ville de Puebla de los Angeles, en fut le créateur. La monumentalité des tours de la cathédrale de Puebla, les plus hautes du royaume, et le sobre répertoire des formes des nefs de Valladolid ont exercé une grande influence sur l’artiste : elles sont caractérisées, en particulier, par d’énormes piliers d’ordre dorique avec des pilastres adossées dans les fûts desquelles s’inscrivent d’énormes panneaux rectangulaires. La même sobriété se remarque dans les tours exécutées par Medina à Valladolid, qui sont seulement un peu moins hautes que celles de Puebla; on y retrouve trois éléments principaux : des pilastres adossées; des panneaux rectangulaires inscrits dans le fût des premiers; des cantonnières qui posées sur les panneaux donnent l’impression de pendre sur au moins le tiers supérieur de leur trame. Muni de ces mêmes éléments, l’artiste parvint à provoquer un effet selon lequel les façades se retrouvè-rent pratiquement sur un même plan. De cette manière, le jeu de clairobscur utilise les reliefs des panneaux internes qu’accentuent les pilastres, alors que les cantonnières constituent pratiquement le seul luxe ornemental (photos 2 et 3). L’artiste parvint à comprendre à la perfection la volonté de son commanditaire, et son travail cristallisa immédiatement une mode architecturale locale qui se retrouve dans les bâtiments des différentes institutions qui apparurent encore à Valladolid sous les auspices de la cathédrale, selon la dynamique du régime social dont nous avons décrit les diverses étapes [20].
Façade centrale de la cathédrale (détail)
Façade centrale de la cathédrale (détail)
Tour et clocher ouest cathédrale de Valladolid
Tour et clocher ouest cathédrale de Valladolid
23Cette mode est connue sous le nom de baroque tablerado et elle a inspiré, en 1752, le collège de Sainte-Rose-Marie de Valladolid (photo 4), qui concrétise un ancien projet d’école pour orphelines, ainsi que le collège jésuite de Saint François-Xavier en 1761. Pareillement, on s’appuya sur l’ancien collège Saint-Nicolas afin de créer le séminaire Saint-Pierre (1760-1770), indispensable à la formation du clergé telle que l’avait définie le concile de Trente. Les exigences de la traditionnelle formation musicale du chœur de la cathédrale suscitèrent l’établissement du collège des Enfants du Sauveur et des Saints Anges, qui reçut également des enfants orphelins (1765). Enfin, l’ancien sanctuaire et paroisse de Saint-Joseph reçut une nouvelle et somptueuse église, inaugurée en 1776. L’influence de la construction de la cathédrale peut être suivie dans l’architecture de toutes ces institutions ainsi que dans celle des grandes demeures de la ville. Les maisons des chanoines de Valladolid étaient, en effet, devenues plus importantes et étaient, à ce qu’il semble, de meilleure qualité que dans les périodes précédentes. Quant aux surfaces construites, des sources signalent jusqu’à onze pièces dans une seule maison. Dans les résidences des chanoines construites de sable et de chaux on aura privilégié la technique de maçonnerie en morceaux de pierre de taille. Néanmoins, c’est seulement à partir des années 1740 qu’il est précisé s’il s’agit de constructions « en pierre ». Une telle indication pourrait se référer à la fabrique de stalles à base de pierre taillée, technique largement employée à Valladolid à partir de ces années-là [21].
Église du Collège de sainte Rose-Marie
Église du Collège de sainte Rose-Marie
Vers un renversement de tendance
24Valladolid a donc grandi autour de ses autels. C’est là un trait si fort que la principale autorité laïque, l’alcalde mayor, ne put jamais affirmer sa prééminence sur les évêques et le chapitre. L’ingérence du clergé cathédral dans la sphère temporelle ne fut jamais aussi intense que dans les années 1760. Confrontés aux nouvelles mesures imposées par les ministres laïcs de la Couronne, les pauvres des villes de Patzcuaro et de Valladolid cherchèrent, en effet, à partir de 1763, la protection et le soutien de l’évêque Sánchez de Tagle. Les neveux du prélat, membres de la municipalité de Valladolid, l’informèrent non seulement d’une levée forcée et exceptionnelle visant à la formation de milices, mais aussi d’une prochaine levée d’impôts que l’alcalde mayor, Luis Vélez de las Cuevas, souhaitait faire peser sur les populations. Lorsque le peuple annonça ne pas être en mesure de payer les tributs récemment levés, qu’il considérait comme excessifs, l’évêque informa le vice-roi par écrit de la situation qui régnait au Michoacán [22]. Les avertissements du prélat se révélèrent plus prophé-tiques que prévu : les 1er, 2 et 3 septembre 1766 éclatèrent des émeutes menées par des « gens ordinaires et de la plèbe » en plein Valladolid. Outre les protestations contre l’enrôlement forcé, elles révélaient un conflit politique entre l’alcalde mayor et la municipalité. Le premier souhaitait, en effet, la destitution de la seconde qui s’opposait, semble-t-il, à ce que Vélez fut de nouveau nommé alcalde mayor. Dans la nuit du 14 octobre 1766, une nouvelle émeute éclata à Patzcuaro. La plèbe se souleva, parvint jusqu’aux maisons royales et menaça de les incendier si le sergent chargé d’enregistrer les hommes pour un nouvel enrôlement ne quittait pas la ville. Ce fut encore l’évêque Sánchez de Tagle lui-même qui vint à Patzcuaro retenir plus de cinq cents insurgés qui s’étaient emparés de la paroisse. Le prélat écouta les plaintes d’Indiens, des mulâtres et des métis. Il leur proposa d’obtenir une grâce afin que le vice-roi et le visiteur du royaume ne fassent retomber aucun châtiment sur eux. Aux protestations contre l’augmentation des impôts et la formation des milices vinrent s’ajouter les manifestations contre l’expulsion des jésuites décrétée par le roi le 25 juin 1767. Ce fut le visiteur Gálvez, futur ministre des Indes, qui dirigea en personne la campagne de répression dans le diocèse du Michoacán, où avaient donc éclaté de nombreux soulèvements. À diverses occasions il remercia par lettre l’évêque Sánchez de Tagle de sa volonté de résoudre les conflits, mais il en profita aussi pour lui rappeler qu’il ne dépendait que de lui d’y mettre fin définitivement. Durant son mandat (1765-1772), José de Gálvez eut sans cesse confirmation de l’énorme pouvoir politique que détenaient les autorités diocésaines du Michoacán ainsi que son influence morale sur la ville. Le visiteur, comme certains de ses prédécesseurs, entreprit alors de mettre un terme à cette situation, en particulier en inversant l’enracinement local des membres du chapitre. Un autre des projets du visiteur consista à renforcer le gouvernement laïc afin d’affaiblir le gouvernement ecclésiastique. Dès août 1770, la municipalité demanda au roi d’ériger l’alcaldía mayor du Michoacán en gouvernement provincial. Son procureur savait, en outre, que l’on parlait alors d’un « ordre royal pour l’établissement d’intendances générales dans chaque diocèse de ces territoires » [23]. Ce dernier projet semble s’être heurté à une forte résistance qui le retarda mais il est clair que l’énorme pouvoir local de la cathédrale incommoda extrêmement le visiteur.
25En 1775, la ville de Valladolid se trouvait donc encore soumise à un pouvoir politique exercé de facto par l’évêque et son chapitre. Durant le siècle « oublié », le chapitre s’était donc enraciné profondément dans la société locale et avait participé directement à l’organisation sociale et même morphologique de la ville. Cette situation n’était d’ailleurs pas étrangère à la tradition hispanique selon laquelle le roi gouvernait son peuple par l’intermédiaire de ses juges administrateurs aussi bien laïcs qu’ecclésiastiques. Seules de nouvelles recherches pourront nous dire si le cas de Valladolid du Michoacán est représentatif ou non de l’ensemble de la Nouvelle-Espagne où les cathédrales s’étaient enracinées pendant deux siècles. Il semblait l’être suffisamment aux yeux des autorités péninsulaires pour qu’elles décident à la fin des années 1760 de reprendre le pouvoir qu’elles avaient délaissé pendant plus d’un siècle dans les mains des sociétés locales des diverses régions de l’Empire.
Notes
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[1]
Thomas Calvo, « Le manteau de l’urbanisation sur l’Amérique hispanique » dans Perspectivas histó ricas, troisième année, no 5-6, juillet-décembre 1999, p. 11-62.
-
[2]
« Hice una informació n en derecho que aunque breve se estimó por erudita, por la cual probé que las costumbres que las iglesias de las Indias tienen recibidas de las de España no se han de reputar ni medir por el tiempo que ha que se fundaron y observan en las Indias, sino por la antigü edad y prescripció n legítima e inmemorial que llevaron de España, y que así son costumbres de prescripción legítima inmemoriable ». Le chanoine Jeró nimo de Cárcamo au chapitre cathédral de México, Madrid, 30 mai, 1611. Archives du chapitre Cathédral de Mexico, Correspondances, vol. 20.
-
[3]
Pour le rôle des évêques dans l’Espagne wisigothique, je renvoie à la brillante thèse de Céline Martin, La géographie du pouvoir dans l’Espagne wisigothique, soutenue à l’É cole des Hautes É tudes en Sciences Sociales, Paris, 2000.
-
[4]
AGI, (Archives générales des Indes, Séville), México, 283, lettre de l’évêque au président du Conseil des Indes, 27 janvier 1576, et México 374, lettre du même évêque (frère Juan de Medina Rincó n) au roi, 24 février 1576.
-
[5]
Le vice-roi commença par fonder la ville de Celaya en 1571, puis il ordonna la fondation de Zamora en 1574 et celle de Leó n en 1576. L’intention était claire et double : le peuplement de vallées fertiles dans la zone appelée à être le grenier de la Nouvelle-Espagne et, d’autre part, la défense de la route de l’argent et des voies de communication avec la Nouvelle-Galice dans le contexte de la guerre contre les Chichimèques nomades. Cf. Carlos Herrejó n Peredo, Los orígenes de GuayangareoValladolid, México, El Colegio de Michoacán, Gobierno del Estado de Michoacá n, 1991.
-
[6]
Il s’agit de la relation du diocèse de Michoacán (1649) écrite par le chanoine Francisco Arnaldo de Ysassy et publiée dans Biblioteca Americana, no 1, septembre 1982. Elle fera l’objet d’une nouvelle édition par Oscar Mazin et Jean-Pierre Berthe dans « Por relació n y noticia... » Cinco relaciones del antiguo Michoacá n, 1619-1649, à paraître.
-
[7]
Adeline Rucquoi, « É tat, ville et Église en Castille à la fin du Moyen  ge », dans La ville, la bourgeoisie et la genèse de l’É tat Moderne (XIIe -XVIIIe siècles), Paris, C.N.R.S., 1988, p. 279-295.
-
[8]
La circulation des membres des audiences et des officiers royaux a été étudié respectivement par Rafael Diego-Fernández, « Una mirada comparativa sobrelas reales audiencias indianas » dans Oscar Mazin (sous la direction de), México en el mundo hispánico, México, El Colegio de Michoacán, 2000, vol. II, p. 517-553 et par Michel Bertrand, Grandeur et misère de l’office. Les officiers de finances de Nouvelle-Espagne XVIIe -XVIIIe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999.
-
[9]
J. H. Elliott, España y su mundo 1500-1700, Madrid, Alianza editorial, 1990 : cf. chapitre 5, « La organizació n del imperio ».
-
[10]
Michel Vovelle, « Un des plus grands chapitres de France à la fin de l’Ancien Régime : le chapitre cathédral de Chartres », Actes du 85e Congrès des Sociétés Savantes, Chambéry-Annecy, 1960, Paris, Imprimerie Nationale, 1961, p. 235-277 ; Hélène Millet, Les chanoines du chapitre cathédral de Laon, 1272-1412, Rome, É cole Française de Rome, 1979.
-
[11]
Oscar Mazin, El cabildo catedral de Valladolid de Michoacá n, México, El Colegio de Michoacán, 1996.
-
[12]
Le vice-roi avait disposé des grains déposés dans les magasins de Puebla par l’évêque Fernández de Santa Cruz. Celui-ci s’opposa alors au vice-roi et le défia en disant qu’avant que les envoyés du comte ne parviennent à leur but, ils verraient « son rochet et ses saints vêtements teints par leur propre sang », cité par Miguel de Torres, biographe du prélat, dans Dechado de Príncipes eclesiásticos que dibujó con su ejemplar, virtuosa y ajustada vida el illmo. Sr. dr. Dn. Manuel Fernández de Santa Cruz y Sahagú n, México, Sociedad Mexicana de Bibliófilos, 1999, (facsimilé).
-
[13]
Je développe ce point dans le cas de la Valladolid de Nouvelle-Espagne dans mon Cabildo catedral de Valladolid de Michoacá n... op. cit.; pour cette question à l’échelle de l’empire espagnol, voir I. A. A. Thompson, « Castile, Spain and the Monarchy : the political community from patria natural to patria nacional » dans Richard L. Kagan et Geoffrey Parker (sous la direction de), Spain, Europe and the Atlantic World. Essays in Honour of John H. Elliott, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 125-159.
-
[14]
Une vertigineuse augmentation peut être constatée avec une incidence particulière sur la partie centrale du diocèse, le futur Bajío, de l’ordre de 73 % entre 1700 et 1726. Cf. David Brading, Miners and Merchants in Bourbon Mexico 1763-1810, Cambridge University Press, 1971, p. 224.
-
[15]
Pour le système de crédit lié à la cathédrale de Valladolid, voir la thèse de doctorat de María Isabel Sánchez Maldonado, El sistema de préstamos de la iglesia catedral de Valladolid de Michoacá n, la ciudad episcopal y su área de influencia, 1700-1804, soutenue au Colegio de Michoacán, 2003.
-
[16]
Cf. Oscar Mazin (édité par), El gran Michoacá n, cuatro informes del obispado de Michoacá n, 1759-1769, México, El Colegio de Michoacá n, Gobierno del estado de Michoacá n, 1986.
-
[17]
Adeline Rucquoi, Valladolid au Moyen Âge, Paris, 1993, p. 15. Cet auteur s’appuie sur le géographe Paul Claval, pour qui la ville se manifeste « à partir d’un certain degré de développement du jeu des rapports sociaux. C’est une organisation destinée à maximiser l’interaction sociale », voir Paul Claval, « La théorie des villes », Revue géographique de l’Est, VIII (janvierjuin 1968) et La logique des villes, Paris 1982. Le sociologue Henri Jaén a donné la définition suivante de la ville : « un ensemble constitué de composantes qui s’ajustent réciproquement, interdépendantes et en interaction », Henri Jaén, Le système social, cité par M. L. Roggemans, La ville est un système social, Institut de Sociologie de l’U.L.B., Bruxelles, 1971.
-
[18]
Oscar Mazin, « Culto y devociones en la catedral de Valladolid » dans Tradición e identidad en la cultura mexicana, Zamora, El Colegio de Michoacán, 1995, p. 305-347.
-
[19]
Il ne semble pas exister de plan de la ville antérieur à 1660 qui nous confirmerait l’existence d’une grande place rectangulaire. Cependant la division des espaces qui devait donner lieu à la nouvelle construction se trouve mentionnée dans divers protocoles notariaux. Voir, par exemple, le contrat de vente effectué par le chanoine magistral José Gó mez de la Parra le 16 août 1684, ANM (Archives Notariales de Morelia), Protocolos, vol. 38, fol. 253-254 vo.
-
[20]
Nelly Sigaut et Oscar Mazin, « El cabildo de la catedral de Valladolid y la construcció n de las torres y fachadas de su iglesia » dans Arte y coerciòn, primer coloquio del comité mexicano de historia del arte, Mexico, UNAM, 1992, p. 109-122.
-
[21]
Le chanoine Diego de Castro y Tafur demanda au chapitre, qui les lui accorda, 21 000 pesos sur ses prébendes pour l’achat d’une maison qu’il hypothéquerait; ACCM (Archives du Chapitre Cathédral de Morelia), actes de délibérations, session du 8 février 1735. Voici une brève description de la résidence du chanoine Diego Peredo en 1751 : «... avec étages, sur la grande place. Trois magasins, deux celliers, vestibule, une pièce vers l’escalier, écurie, verger avec un basin de pierre qui reçoit l’eau des canaux et un autre dans le patio en face du vestibule, une pièce pour les outils et une autre écurie; un escalier de pierre qui mène à l’étage où il y a, face à l’escalier, une petite salle et une chambre avec un balcon qui donne sur la place, une chambre de secours, une chambre pour les domestiques et une grande pièce avec un balcon donnant sur le verger qui sert pour manger et moudre le chocolat, un couloir et une cuisine, une dépense et une cour pour les poules. Vendue pour 8 000 pesos ». Testament du 5 août 1751 ; ANM (Archives Notariales de Morelia), vol. 108, fol. 439-440.
-
[22]
Au lieu de faire payer 20 réaux aux personnes mariées et 12 aux célibataires, José de Gálvez, visiteur général de la Nouvelle-Espagne, exigeait maintenant de tous 5 pesos par an, c’est-à -dire, 40 réaux. Cf. Oscar Mazin, Entre dos majestades, el obispo y la iglesia del Gran Michoacá n ante las reformas borbónicas, 1758-1772. México, El Colegio de Michoacá n, 1987.
-
[23]
Carlos Juárez Nieto, La oligarquía y el poder político en Valladolid de Michoacá n, 1785-1810, Morelia, Universidad Michoácana, 1994, p. 57.