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Article de revue

Jean Gayon (1949-2018) : itinéraire d’un darwinien

Pages 349 à 380

Notes

  • [1]
    Citons notamment, le Dictionnaire encyclopédique de l’identité, projet phare du Labex « Who am I », initialement dirigé par Jean Gayon.
  • [2]
    Parmi les œuvres en cours de publication (ici chez Vrin), citons les deux volumes qu’il a co-dirigés avec Thomas Pradeu, Textes clés de la philosophie de la biologie.
  • [3]
    Après une réédition anglaise (1998), une réédition française vient de voir le jour : Gayon, Darwin et l’après-Darwin : Une histoire de l’hypothèse de sélection naturelle (Paris : Éd. Matériologiques, 2019).
  • [4]
    Gayon, op. cit. in n. 3, 13.
  • [5]
    Ibid., 15.
  • [6]
    Dans un chapitre sur l’histoire de la génétique en France, il écrit : « Tout dans la science peut être vu comme du “social”, les institutions, les traditions, les théories, les instruments. Je préfère donc parler, comme le font couramment les historiens des sciences de “facteurs externes” : l’environnement politique, les institutions, les valeurs et les idéologies dans lesquelles sont immergés les savants. » (Jean Gayon, La Connaissance de la vie aujourd’hui, avec Victor Petit (Londres : ISTE Edition, 2018), 339 [désormais noté CVA]). Ce livre, sans ses deux premiers chapitres, a été traduit en anglais sous le titre Knowledge of life today : Conversations on biology (LondresHoboken : ISTE-Willey, 2019).
  • [7]
    CVA, 17, 26, 29.
  • [8]
    CVA, 30.
  • [9]
    Comme le note Richard Burian : « L’ISHPSSB a été créé à la suite de trois réunions informelles d’été sur l’histoire, la philosophie et les sciences sociales de la biologie, tenues en 1983, 1985 et 1987. Gayon a assisté à la deuxième et à la troisième de ces réunions. » (Richard Burian, On Jean Gayon and his importance to ISHPSSB, International Society for the History, Philosophy and Social Studies of Biology, Newsletter, vol. 29, n° 1, Issue 54 (2018).)
  • [10]
    CVA, 34-35.
  • [11]
    Il est maître de conférences (1985-1990), puis professeur (1990-1997) à l’université de Bourgogne, puis professeur à l’université Paris-7 – Diderot (1997-2001), puis professeur à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne (2001-2016), jusqu’à son éméritat (2016).
  • [12]
    CVA, 73, 75.
  • [13]
    CVA, 95-96.
  • [14]
    CVA, 85, 94-97.
  • [15]
    CVA, 30.
  • [16]
    CVA, 474.
  • [17]
    CVA, 481.
  • [18]
    Jean Gayon énumère six ouvrages et quatorze articles.
  • [19]
    CVA, 67-68.
  • [20]
    CVA, 365-368. Cf. Gayon, Code, information et autres figures de style en biologie moléculaire : seulement des métaphores ?, colloque « Le logique et le biologique », Jean-Baptiste Joinet (org.), université Paris-1, 22 avril 2005 [non publié].
  • [21]
    Gayon, De l’usage de la notion de style en histoire des sciences, in Jean Gayon, Jean-Claude Gens et Jean Poirier (dir.), La Rhétorique : Enjeux d’une résurgence (Bruxelles : Ousia, 1998), 162-181, 173.
  • [22]
    Anne Fagot-Largeault, Coopérer, en philosophie, in Francesca Merlin & Philippe Huneman (dir.), Philosophie, histoire, biologie : Mélanges offerts à Jean Gayon (Paris : Éd. Matériologiques, 2018), 323-329. Au total, Jean Gayon a publié conjointement avec près de quarante collègues.
  • [23]
    CVA, 65.
  • [24]
    Cette collaboration avec Richard Burian, qui porte sur l’histoire de la génétique en France, constitue, dit-il, « le travail historique qui m’est le plus cher, de très loin » (CVA, 67). C’est avec Burian qu’il a appris à devenir historien des sciences (CVA, 54).
  • [25]
    Philippe Huneman, Jean Gayon (1949-2018), Revue d’histoire des sciences, 71/2 (2018), 311-317.
  • [26]
    Gayon, De l’usage de la notion de style en histoire des sciences, in Gayon, Gens et Poirier (dir.), op. cit. in n. 21, 181.
  • [27]
    CVA, 91.
  • [28]
    « Mais en philosophe de terrain, très précisément en philosophe praticien de l’histoire des sciences, je préfère aller de l’usage à la définition, plutôt que l’inverse. » (Ibid, 165.)
  • [29]
    CVA, 77-78.
  • [30]
    L’expression est de Pascal Engel – communication orale.
  • [31]
    CVA, chap. 6.2.1, 413-422.
  • [32]
    CVA, 69.
  • [33]
    CVA, 253
  • [34]
    CVA, 69, 253.
  • [35]
    Richard M. Burian, Jean Gayon, Doris Zallen, D’un possible style français de recherche en matière d’hérédité (1867-1950), document inédit.
  • [36]
    Burian, Gayon, Zallen, op. cit. in n. 35.
  • [37]
    Ibid.
  • [38]
    Rappelons que le premier à avoir parlé de « style français » en philosophie des sciences fut Canguilhem à propos de Comte (Georges Canguilhem, La philosophie biologique d’Auguste Comte et son influence en France au xixe siècle, in Id., Études d’histoire et de philosophie des sciences (Paris : Vrin, 1994), 63).
  • [39]
    CVA, 89.
  • [40]
    Gayon, The concept of individuality in Canguilhem’s philosophy of biology, Journal of the history of biology, 31 (1998), 305-325. Deux publications de la traduction française suivirent.
  • [41]
    Gayon, Uexküll and Canguilhem. Abstract of a chapter to be published [document inédit].
  • [42]
    CVA, 166.
  • [43]
    CVA, 409-410.
  • [44]
    CVA, 1.
  • [45]
    Gayon, The concept of the gene in contemporary biology : Continuity or dissolution, in Anne Fagot-Largeault, Juan Manuel Torres et Shahid Rahman (éd.), The Influence of genetics on contemporary thinking (Dordrecht : Springer, 2017), 81-95.
  • [46]
    Gayon, La philosophie et la biologie, in Jean-François Mattéi (dir.), Encyclopédie philosophique universelle, vol. IV (Paris : Presses univ. de France, 1998), 2152-2171, 2154.
  • [47]
    « J’espère ne pas avoir pour autant été moins philosophe que mon maître, mais ce n’est pas à moi d’en juger. » (CVA, 1.)
  • [48]
    Anastasios Brenner, Porter l’épistémologie française sur la scène internationale, in Merlin et Huneman (dir.), op. cit. in n. 22, 65-80, 65 et 79.
  • [49]
    CVA, 48-49.
  • [50]
    Dans un entretien récent, Jean Gayon donnait un certain nombre d’exemples de philosophes de la biologie qui accordent une place à l’histoire de la biologie : David Hull, Michael Ruse, John Beatty, James G. Lennox, et lui-même (Gayon, Histoire et philosophie de la biologie, Acta philosophica, 26/1 (2017), 19-32, 23). Cette liste est étonnante car Jean Gayon s’en distingue en ce sens qu’il ne fait pas de la philosophie de la biologie et de l’histoire de la biologie (comme Hull ou Ruse par exemple), mais de la philosophie avec et par l’histoire de la biologie. Cette liste est corrigée dans l’introduction générale rédigée dans les Textes clés de philosophie de la biologie (op. cit. in n. 2), et il se compare désormais à : John Beatty, Jonathan Hodge, James Lennox, Phillip Sloan, Hans-Jörg Rheinberger, François Duchesneau et Jane Maienschein.
  • [51]
    CVA, 53.
  • [52]
    Pierre-Olivier Méthot, Georges Canguilhem et le « problème de l’évolution » dans Le Normal et le pathologique, Revue d’histoire des sciences, 71/2 (2018), 205-241.
  • [53]
    CVA, 459-460. Gayon, Épistémologie de la médecine, in Dominique Lecourt (éd.), Dictionnaire de la pensée médicale (Paris : Presses univ. de France, 2004), 430-439.
  • [54]
    Gayon, Vitalisme et philosophie de la biologie, in Pascal Nouvel (dir.), Repenser le vitalisme (Paris : Presses univ. de France, 2011), 15-31, 30. Dans un autre texte, Jean Gayon au contraire relativise l’autonomie de la biologie : « Il n’y a sans doute pas de différence en nature entre les théories physiques et les théories biologiques. La différence est de degré. » (Gayon, De la portée des théories biologiques, in Thierry Martin (dir.), Problèmes théoriques et pratiques en biologie évolutionnaire – Conférences Duhem (Besançon : Presses univ. de Franche-Comté, 2014), 13-52, 41.)
  • [55]
    « Bref, c’est au nom de sa fécondité heuristique, non de sa vérité ontologique, que la thèse de l’autonomie de la biologie semble aujourd’hui l’emporter. Cette affirmation est sans doute justifiée d’un strict point de vue historique. Nous y ajouterons pour notre part, avec Georges Canguilhem, dont la leçon demeure sur ce point indépassée, que la question centrale de la philosophie biologique (osons ce terme désuet) n’est peut-être pas celle de l’autonomie méthodologique des sciences de la vie, mais celle de la relativité de toute science – et point seulement la science de la vie – par rapport à une “humanité enracinée dans la vie avant que d’être éclairée par la connaissance”. » (Gayon, art. cit. in n. 46, 2163, citant Canguilhem, Le vivant et son milieu, in Id., La Connaissance de la vie, 2eéd. (Paris : Vrin, 1992), 154.)
  • [56]
    Camille Limoges, Introduction, in Georges Canguilhem, Œuvres complètes, t. IV (Paris : Vrin, 2015), 39.
  • [57]
    Il est revenu sur cette question dans de nombreux articles tout au long de sa carrière. Dans son dernier livre, il démontre que ni les lois de Mendel, ni le code génétique, ni le principe de sélection naturelle ne sont des lois (CVA, chap. 3.1.1, 116-127).
  • [58]
    Cf. Gayon, Les biologistes ont-ils besoin du concept de fonction ? Perspectives philosophiques, C. R. Palevol., 5/3-4 (2006), 479-487.
  • [59]
    CVA, 172.
  • [60]
    Gayon, De la mesure à l’ordre : Histoire philosophique du concept d’hérédité, in Gayon, Pradeu (dir.), op. cit. in n. 2, t. 1 [à paraître].
  • [61]
    CVA, 38-47.
  • [62]
    Gayon, Actualité du darwinisme, Bulletin de la Société française de philosophie, CIII (2009), 22.
  • [63]
    Rappelons que si le mot date d’Abel Rey, il n’a été popularisé qu’avec la publication du mémoire de maîtrise de Dominique Lecourt (L’Épistémologie historique de Gaston Bachelard [Paris : Vrin, 1968]), celui-ci précisant qu’il doit cette locution à Georges Canguilhem lui-même (cf. Dominique Lecourt, Georges Canguilhem (Paris : Presses univ. de France, 2008), 51, n. 2).
    Sur l’ambivalence du rapport de Jean Gayon à l’épistémologie historique : cf. PierreOlivier Méthot, De l’épistémologie historique à la philosophie de la biologie : Le double héritage philosophique de Jean Gayon, in Merlin et Huneman (dir.), op. cit. in n. 22, 15-50.
  • [64]
    CVA, 77.
  • [65]
    CVA, 75-77.
  • [66]
    CVA, 100.
  • [67]
    CVA, 102.
  • [68]
    Lucie Laplane et al., Why science needs philosophy, Proceedings of the National Academy of Sciences, 116/10 (2019), 3948-3952.
  • [69]
    CVA, 83, 89.
  • [70]
    CVA, 90. Cf. aussi Michel Bitbol et Jean Gayon, L’Épistémologie française 1830-1940 (Paris : Presses univ. de France, 2006), 12.
  • [71]
    Victor Petit, Bertrand Guillaume, We have never been wild : Towards an ecology of technical milieu, in Bernadette Bensaude-Vincent, Xavier Guchet, Sacha Loeve (dir.), French philosophy of technology (Springer, 2018), 81-100, 82.
  • [72]
    CVA, 108-109.
  • [73]
    CVA, 456.
  • [74]
    CVA, 174.
  • [75]
    Gayon, Hérédité des caractères acquis, in Pietro Corsi, Jean Gayon, Gabriel Gohau et Stépahne Tirard, Lamarck, philosophe de la nature (Paris : Presses univ. de France, 2006), 105-163. Outre ce texte, on peut citer : Gayon, The contributions – and collapse – of Lamarckian heredity in Pasteurian molecular biology : 1. Lysogeny, 1900-1960 (en collab. avec Laurent Loison et Richard M. Burian), Journal of history of biology, 50 (2017), 5-52.
  • [76]
    Burian, Gayon, Zallen, art. cit. in n. 35, citant Peter J. Bowler, The Eclipse of Darwinism (Baltimore : Johns Hopkins Univ. Press, 1983).
  • [77]
    CVA, 273.
  • [78]
    Gayon, « Histoire et épistémologie de la théorie synthétique de l’évolution (19301950) : Projet et programme de travail présenté à la commission de philosophie, d’épistémologie et d’histoire des sciences du CNRS (1984) », inédit, 50.
  • [79]
    Gayon, From Darwin to today in evolutionary biology, in Jonathan Hodge & Gregory Radick (éd.), The Cambridge Companion to Darwin (Cambridge : Cambridge Univ. Press, 2003), 240-264, 240.
  • [80]
    CVA, 77.
  • [81]
    Cf. notamment Gayon, Sélection naturelle ou survie des plus aptes ? Éléments pour une histoire du concept de fitness dans la théorie évolutionniste, in Claude Blanckaert, Jean-Louis Fischer, Roselyne Rey (éd.), Hommage à Jacques Roger (Paris : Klincksieck, 1995), 263-287.
  • [82]
    CVA, 292.
  • [83]
    Gayon, op. cit. in n. 3, 24.
  • [84]
    Elliott Sober, Two outbreaks of lawlessness in recent philosophy of biology, Philosophy of science, 64 (1996) (Proceedings), S458-S467, en particulier S458-459.
  • [85]
    Gayon, art. cit. in n. 54 (2014).
  • [86]
    CVA, 295.
  • [87]
    CVA, 123, 290-297.
  • [88]
    Jean Gayon s’inspire de la notion de contrainte proposée par : Giuseppe Longo & Maël Montévil, Perspectives on organisms : Biological time, symmetries and singularities (Springer, 2014), et Maël Montévil & Matteo Mossio, Biological organisation as closure of constraints, Journal of theoretical biology, 372 (2015), 179-191.
  • [89]
    Cf. Maël Montévil, De l’œuvre de Turing aux défis contemporains pour la compréhension mathématique du vivant, Intellectica [à paraître]. Nous remercions l’auteur de nous avoir communiqué ce texte.
  • [90]
    Gayon, Réflexions sur l’individualité biologique, in Joseph Kouneiher (dir.), Vers une nouvelle philosophie de la nature : Actualités mathématiques, physiques et biologiques (Paris : Hermann, 2010), 215-222, 220.
  • [91]
    Gayon, De l’économie à la biologie et retour : La sélection naturelle, in Thierry Martin (dir.), L’Unité des sciences aujourd’hui (Paris : Vuibert, 2009), 13-25.
  • [92]
    Gayon, L’espace et le temps de l’évolution : Une philosophie du devenir ?, Transversalités, n° 114 (2010), 163-189, 179.
  • [93]
    Gayon, Biologie et philosophie de la biologie : Paradigmes, in Thierry Hoquet et Francesca Merlin (dir.), Précis de philosophie de la biologie (Paris : Éditions Vuibert, 2014), 11-24, 19-21.
  • [94]
    Cf. Gayon, La biologie entre loi et histoire, Philosophie, 38 (1993), 30-57 ; Id., De la biologie comme science historique, Les Temps modernes, n° 630-631 (2005), 55-67.
  • [95]
    Gayon, De la biologie comme science historique : Cournot, in Thierry Martin (dir.), Actualité de Cournot (Paris : Vrin, 2005).
  • [96]
    CVA, 122.
  • [97]
    Jean Gayon & Maël Montévil, Repetition and reversibility in evolution : Theoretical population genetics, in Christophe Bouton et Philippe Huneman (éd.), Time of nature and the nature of time (Boston : Springer, 2017), 275-314.
  • [98]
    CVA, 79.
  • [99]
    CVA, 79-80.
  • [100]
    CVA, 283, souligné par l’auteur.
  • [101]
    Sa thèse se terminait par ces mots : « La théorie neutraliste de l’évolution moléculaire, qui n’est aucunement une théorie neutraliste de l’évolution tout court, est la dernière en date des réhabilitations de Darwin. » (Gayon, op. cit. in n. 3, 508).
  • [102]
    Précisons que le scepticisme de Jean Gayon concerne plus généralement l’idée que l’épigénétique puisse constituer un nouveau paradigme : « Je suis assez sceptique lorsque je vois certains de mes collègues et de mes étudiants qui s’enthousiasment pour des modes de pensée “néo-lamarckiens” qu’on pensait disparus. » (CVA, 365.)
  • [103]
    Il semble aborder la crise écologique avec la distance de l’évolutionniste, sans égard aux conditions économico-politiques de son énonciation et de sa résolution (CVA, 469-472).
  • [104]
    Gayon, Philosophy of biology : An historico-critical characterization, in Anastasios Brenner et Jean Gayon (éd.), French studies in philosophy of science : Contemporary research in France (Springer, 2009), 201-212 ; Thomas Pradeu, Thirty years of biology & philosophy : Philosophy of which biology ?, Biology and philosophy, 32/2 (2017), 149-167.
  • [105]
    Gayon, art. cit. in n. 93, 23.
  • [106]
    Gayon, Psychologie et idéologie : Histoire d’une interférence, in Paul Mengal et Françoise Parot (éd.), La Fabrique, la figure et la feinte : Fictions et statut des fictions en psychologie (Paris : Vrin, 1989), 147-174.
  • [107]
    Gayon, Agriculture et agronomie dans Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert, Littérature, n° 109 (1998), 59-73.
  • [108]
    Gayon, L’Institut d’histoire des sciences, Cahiers Gaston Bachelard, n° 14 (2016), 15-63.
  • [109]
    Cf. Gayon, « Du lycée comme structure républicaine » (1993), inédit ; Id., Épilogue, in Hubert Hannoun et Anne-Marie Drouin-Hans (dir.), Pour une philosophie de l’éducation (Dijon : CRDP de Bourgogne, 1994), 361-366 ; Id., L’enseignement de la philosophie dans les universités américaines, in Claude Debru et Jean-Jacques Wunenburger (dir.), La Recherche philosophique et l’organisation des masters en France et en Europe (Paris : L’Harmattan, 2005), 113-127.
  • [110]
    Gayon, De la liberté de l’information scientifique, in Éveline Pinto (dir.), Pour une analyse critique des médias : Le débat public en danger (Paris : Éd. du Croquant, 2007), 159-173.
  • [111]
    CVA, 302.
  • [112]
    Jean Gayon a fait un exposé sur « Idéologie et vérité » le 2 décembre 1971, à la Sorbonne, dans le cadre de la préparation à la grande leçon d’agrégation, devant Canguilhem qui était en charge d’une partie de cette préparation. Jean Gayon s’était porté volontaire. Le texte de son exposé, comme l’ensemble de son œuvre, est consultable aux archives rassemblées par l’Institut Pasteur.
  • [113]
    CVA, 418.
  • [114]
    « Non seulement Darwin et Wallace ont illustré des potentialités théoriques différentes du darwinisme, non seulement ils ont pris des positions opposées sur la question de l’évolution de l’homme, mais encore ils ont montré par l’exemple que le darwinisme n’était pas intrinsèquement lié à une vision politique homogène. » (CVA, 268.)
  • [115]
    CVA, 402.
  • [116]
    « Les notions usuelles d’idéologie et d’utopie me paraissent beaucoup plus utiles que celle d’idéologie scientifique pour comprendre l’eugénisme. » (CVA, 381.)
  • [117]
    CVA, 392.
  • [118]
    CVA, 376.
  • [119]
    Gayon, Darwinisme et philosophie, in Michel Meulders, Marc Crommelinck et Bernard Feltz (éd.), Pourquoi la science ? : Impact et limites de la recherche (Seyssel : Champ Vallon, 1996), 27-39, 39.
  • [120]
    Gayon, Darwinisme et métaphysique, in Maryvonne Perrot et Jean-Jacques Wunenburger (dir.), Une philosophie cosmopolite : Hommage à Jean Ferrari (Dijon : Centre Gaston Bachelard de recherches sur l’imaginaire et la rationalité, université de Bourgogne, 2001), 161-177, 177.
  • [121]
    Ibid.
  • [122]
    David Hull, A matter of individuality, Philosophy of science, 45 (1978), 335-360.
  • [123]
    Gayon, Présentation de la section « Concept d’espèce », in Gayon, Pradeu (dir.), op. cit. in n. 2, t. 2.
  • [124]
    Ce sont les derniers mots de l’article de David Hull, art. cit. in n. 122.
  • [125]
    Gayon, Les espèces et les taxons monophylétiques sont-ils des individus ?, in Pascal Ludwig et Thomas Pradeu (dir.), L’Individu : Perspectives contemporaines (Paris : Vrin, 2008), 128-150, 149-150.
  • [126]
    Gayon, Biologie et humanité de l’homme, in Dominique Lecourt (dir.), La Biologie est-elle un humanisme ? (Paris : Presses univ. de France, 1999), 23-36.
  • [127]
    Gayon, Le philosophe et la notion de race, L’Aventure humaine, n° 8 (1997), 19-43, 42.
  • [128]
    Ibid., 43.
  • [129]
    CVA, 213-214, 217.
À Élisabeth Gayon

Introduction

1Jean Gayon est mort prématurément, en avril 2018, peu avant son soixante-neuvième anniversaire, laissant derrière lui des projets ambitieux [1] et une abondante œuvre inachevée, encore en cours de publication [2].

2Jean Gayon est l’homme de deux livres en son nom propre. Le premier (1992), tiré de sa thèse de doctorat (1989), est devenu un classique : il s’agit d’un livre d’histoire et de philosophie des sciences qui se présente comme une reconstruction rationnelle de l’histoire de l’hypothèse de sélection naturelle dans la théorie de l’évolution, sensible au destin expérimental des hypothèses formulées par Darwin, qui retrace, sur près d’un siècle, le rapport entre l’hérédité et la sélection [3]. Dans l’introduction, on trouve sa profession de foi concernant la méthode qu’il ne quittera jamais, celle de l’histoire épistémologique[4]. La reconstruction rationnelle n’exclut pas la reconstruction sociale des idéologies, telles que l’eugénisme, « mais précisément, dans cette littérature parfois si tristement ancrée dans l’idéologie, nous avons cherché les indices d’une rationalité susceptible de dépasser l’idéologie [5] ». Ce geste semble une constante de l’œuvre de Jean Gayon : même quand il analyse les facteurs sociaux de la science, ou plutôt les facteurs externes [6], c’est pour en dégager une rationalité interne à l’œuvre.

3Le second livre, posthume (2018), est formellement différent puisqu’il s’agit d’une série d’entretiens qui reviennent sur ses grands thèmes, notamment le darwinisme et la génétique.

4Cet article, qui s’appuiera largement sur ce dernier livre que nous sommes honoré d’avoir suscité, est une perspective sur l’œuvre ouverte de Jean Gayon, qui aborde celle-ci par son objet (le darwinisme) et par son style, marqué par l’héritage de Georges Canguilhem.

De l’homme à l’œuvre, et retour

5De sa vie, son dernier livre nous apprend certains détails de son parcours scolaire et son goût pour les sports d’endurance, Jean Gayon définissant lui-même son parcours comme celui d’un « marathonien » [7] : après six ans de philosophie à l’Institut catholique de Paris puis à la Sorbonne (où il découvre la philosophie des sciences grâce aux enseignements de Bertrand Saint-Sernin et de Claude Trestmontant), une fois l’agrégation passée, et sur les conseils de Georges Canguilhem, dont il suivit le cours sur « l’idéologie médicale au xixe siècle » durant l’année scolaire 1968-1969, il s’engage pour neuf ans d’études en biologie à l’université Paris-VI, puis à Paris-VII pour le DEA, et cela tout en étant professeur de philosophie à plein temps dans un lycée des Yvelines (entre 1974 et 1985). À la fin de ses études de biologie, il hésite à faire une thèse de génétique des populations avec Claudine Petit [8], mais se tourne finalement, comme prévu, vers une thèse de philosophie des sciences avec François Dagognet, qui lui a été recommandé par Canguilhem. L’été 1984 constitue probablement une rupture, en raison de son séjour décisif au département d’histoire des sciences de l’université d’Harvard. C’est le début de sa carrière internationale, qui précède ses publications académiques, avec notamment sa contribution à la naissance et au développement de l’International Society for the History, Philosophy and Social Studies of Biology (ISHPSSB) [9].

6De retour, il soumet, pour la deuxième année consécutive, une candidature pour un poste de chargé de recherche au CNRS intitulé « Histoire et épistémologie de la théorie synthétique de l’évolution (1930-1950) » ; mais c’est finalement l’université de Bourgogne qui l’accueillera, comme assistant, en 1985, avant même qu’il ait commencé à écrire son doctorat. Sa thèse a été rédigée entre le 5 octobre 1988 et le 5 mai 1989, date à laquelle il remet à François Dagognet trois tomes totalisant 1 050 pages [10]. Sa carrière universitaire était lancée [11]. Comme il l’affirme lui-même, son rôle académique fut de rassembler l’histoire des sciences et la philosophie des sciences ; et il le fit notamment à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques (IHPST), qu’il dirigea de 2010 à 2016, comme dans son investissement pour l’Union internationale d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques, où il œuvra en faveur de relations plus étroites entre ses deux divisions (« Histoire des sciences et des techniques » et « Logique, méthodologie et philosophie des sciences ») [12]. Il fut un membre actif du jeune Committee for Integrated HPS (&HPS), qui prônait l’intégration de l’histoire dans la philosophie des sciences, ce qui suppose d’admettre leur complémentarité bien sûr, mais aussi leurs différences [13]. Il fut le premier, en France, à introduire un cours de philosophie de la biologie telle qu’elle pouvait s’enseigner outre-Atlantique. Ce que le vocable « philosophie de la biologie » dit, et que ne dit pas celui de « philosophie biologique », c’est d’abord l’idée qu’il n’y a pas de philosophie de la biologie sans biologie. Jean Gayon participe pleinement du tournant historique et du tournant régionaliste qu’a connus la philosophie des sciences à partir des années 1970, en réaction à la philosophie néopositiviste ; mais alors que ces deux tournants se sont largement découplés, il a su les marier [14].

7Mais de sa vie, son dernier livre nous apprend aussi ce que la biographie académique ne dit pas. On y apprend, par exemple, que ce travail assidu s’est accompagné d’une médicamentation dangereuse et de crises dépressives ; que l’arrivée du Normand à Paris ne s’est pas faite sans vexation et on découvre son abandon face au mépris et à la condescendance d’un professeur, en classe d’hypokhâgne, au lycée Henri-IV – qui fut probablement le contre-modèle de celui qui devint plus tard le professeur Jean Gayon. On y apprend qu’avant d’être l’universitaire reconnu, il connut de longues années d’isolement académique (isolement qui ne fut brisé que par sa participation à un groupe de recherches informelles sur l’histoire et l’épistémologie de la psychologie). On y apprend sa crise de foi religieuse et l’abandon de sa pratique de l’orgue, qui est son seul regret ; mais aussi son intérêt épistémologique précoce pour le cancer [15], cette maladie qui l’emporta. On y apprend enfin le sens de l’amitié, « cette vertu personnelle qui ne s’éprouve qu’à plusieurs [16] » et celui du courage, qui s’accompagne de modestie et de fragilité et qui n’a de sens « que sur un arrière-fond d’amitié [17] ».

8Laissons à Jean Gayon le soin de résumer son œuvre prolifique, en l’occurrence ses si nombreux articles :

9

« Mis à part quelques études généralistes sur la philosophie et l’histoire des sciences [18]– un sujet que je n’ai jamais abandonné, et qui signe mon appartenance jamais démentie à la maison philosophique –, tous mes travaux ont porté sur la biologie. Partant du terrain (les sciences de la vie), mes travaux se sont tous situés dans un triangle philosophie/histoire/biologie, rayonnant plus ou moins, selon les contextes de publication, vers l’un ou l’autre de ces trois pôles. Ils ont été principalement historiques au début et ont, peu à peu, laissé place à des interrogations philosophiques de nature plus systématique. […]j’espère avoir développé des points de vue originaux sur certaines questions de philosophie de la biologie, notamment : sur les concepts d’hérédité et de gène ; sur la structure de la théorie de l’évolution ; sur les organismes modèles ; sur l’unité de la biologie en tant que science ; sur la question de la réversibilité de l’évolution ; sur la définition de la vie ; sur le rapport entre hasard et évolution ; sur le concept de fitness ; sur la notion de fonction dans les sciences de la vie ; sur la nature – nomologique ou non – des théories biologiques ; sur les rapports entre théorie économique et théorie de l’évolution.
Je pense aussi avoir contribué à éclairer la question de savoir si le paradigme darwinien est mort ou s’il continue ou non à structurer le champ de la théorie de l’évolution. Je me suis aussi beaucoup intéressé à la question corrélative, mais différente, de la persistance du paradigme synthétiste (théorie synthétique de l’évolution). […]. Enfin, je ne suis pas mécontent d’avoir contribué à éclairer, une fois de plus sous la pression, les rapports entre biologie et société : questions soulevées par le concept de race, par l’eugénisme, par l’amélioration de l’humain, et par l’enseignement à l’école de l’évolution [19]. »

10Cette liste ne dit rien des travaux collectifs, qui furent tout aussi importants à ses yeux et qui aboutirent à des livres de référence. Certains dressent le bilan d’un domaine, comme celui sur la redécouverte des lois de Mendel, ceux sur la philosophie des sciences française ancienne d’une part et présente d’autre part, ou celui sur le retour de l’eugénisme ; d’autres se concentrent sur un auteur, comme celui sur Buffon, celui sur la réception de Gaston Bachelard, et celui, posthume, sur François Dagognet. D’autres livres ou numéros spéciaux de revues ouvrent de nouvelles voies de recherche, comme celui sur les fonctions, celui sur les facettes « non darwiniennes de Darwin », celui sur Jacques Monod théoricien, ceux sur l’amélioration humaine, sans oublier celui sur la rhétorique. Contrairement aux apparences, ce dernier thème – la rhétorique –, n’est pas sans lien avec ses autres sources privilégiées d’investigation : il permet notamment de comprendre que le concept même d’information génétique, loin d’être une métaphore linguistique, est une catachrèse [20].

11« La science est sans doute devenue à notre époque l’une des manifestations les plus complexes de la sociabilité de l’homme [21]. » Ce qui est dit ici de la science incarne parfaitement le style d’écriture et de recherche qu’incarnait Jean Gayon. Anne Fagot-Largeault a justement insisté sur son éthique de la coopération et sur ce « philosophe collectif » qu’il était [22]. Lui-même le reconnaît : contrairement à ses articles solitaires, qui sont sollicités par une commande extérieure, l’ensemble des travaux collectifs qu’il a menés s’ancre dans des questions personnelles qui ont besoin d’un long travail collaboratif pour se préciser [23]. Toutes ses recherches en histoire de la génétique, par exemple, ont été collaboratives, avec l’historien des sciences Richard Burian bien sûr, qui fut sa principale collaboration intellectuelle, fondatrice et durable [24], mais aussi avec Doris Zallen et Michel Veuille notamment.

Du style de Jean Gayon

12Jean Gayon, ni impérieux ni impétueux, fut un homme de passage et de partage, un médiateur. Comme l’a exprimé Philippe Huneman, son « style » pourrait se définir par le constant souci de créer des ponts entre les éléments distincts de sa propre trajectoire : entre philosophie et science ; entre épistémologie historique et philosophie de la biologie ; entre histoire des sciences et philosophie des sciences [25]. Ces ponts ne sont pas seulement transatlantiques, ils sont aussi pacificateurs, comme en témoigne sa volonté de réconcilier Marjorie Grene et Michael Ruse (CVA, 62-64).

13Parmi les nombreuses recherches de Jean Gayon, il y a celles sur l’usage de la notion de « style » en histoire des sciences. Selon lui, le style en histoire des sciences, conformément à l’étymologie du mot, conjugue à la fois une fonction individuante et une fonction universalisante et permet de relier la singularité propre à un individu, à un contexte ou à une école de recherche et l’objectivité propre à la connaissance scientifique [26]. « L’histoire [comme le contexte] nous borne, mais elle est toujours ouverte. Si l’histoire des styles scientifiques m’a tant intéressé, c’est peut-être parce que la science nous offre le meilleur exemple d’un bornage ouvert [27]. » Ce qui fascine Jean Gayon, c’est bien la pluralité historique des styles de pensée scientifique, pluralité qui ne contredit pas l’ouverture vers l’universalité qu’ils portent.

14S’il existe un style Gayon, c’est indéniablement au sens de « méthode » ou de « style de raisonnement », car il n’y a pas à choisir entre le style et la méthode. Son style de raisonnement le plus fréquent, en tant que philosophe, est aisément identifiable : il va de l’usage (historique) au concept (philosophique) [28]. De ce point de vue-là, Jean Gayon choisit Aristote contre Platon. Et d’une manière générale, c’est vers Aristote, le père de la biologie avant la biologie, plutôt que vers Platon, que sa philosophie se tourne. Si Jean Gayon nous semble profondément aristotélicien, c’est aussi parce qu’il est un homme du juste milieu. La mésotès aristotélicienne semble son milieu de vie comme de pensée.

15Il savait, à ce titre, qu’on pouvait lui reprocher d’avoir l’air extérieur aux débats qu’il a contribué à clarifier ; et il savait cette posture étrangère à la philosophie (analytique) de la biologie, dont par ailleurs il se revendiquait [29]. Pourtant, nous savons qu’il ne se contentait pas d’étudier les débats mais qu’il y prenait part, avec cette nuance cependant qu’il faisait sentir mieux que quiconque la différence entre débat et combat. Car finalement, nous savons tous que le juste milieu tranche, que les silences sont des mots et que Jean Gayon prenait position à sa manière « elliptiquement explicite [30] ». Homme de mesure, sa prudence (vertu aristotélicienne, dit-on) lui interdisait de rejeter en bloc et par principe tel ou tel champ de recherche : par exemple, il ne condamnait pas, à l’instar de Richard Lewontin, le couplage de l’évolution biologique et de l’évolution culturelle ; mais il ne retenait de ces recherches que celles qui lui semblaient scientifiques, comme par exemple ici, l’évolution de la tolérance au lactose [31]. Le naturalisme méthodologique, pensait-il, n’est ni bon ni mauvais par lui-même, mais doit être jugé en fonction de ses succès.

16La dimension polémique de la science est essentielle chez Jean Gayon : « Ce qui toujours m’intéresse, c’est la structure d’un débat, surtout si celle-ci se perpétue sur de longues périodes [32] », qu’il s’agisse de contraintes théoriques, quasi indépendantes des circonstances historiques d’émergence, comme dans le cas de la théorie darwinienne de la sélection et du débat originaire qui la constitue entre Alfred Wallace et Darwin, ou bien qu’il s’agisse de contraintes étroitement liées à un contexte historique local (institutions, traditions intellectuelles, compétences techniques), comme dans le cas de la génétique en France. Son travail sur l’enhancement relève de la même méthode, puisqu’il s’agit là aussi de mettre au jour la structure et les termes d’un débat. La méthode de Jean Gayon consiste donc bien souvent à identifier « un cadre dans lequel on débat indéfiniment des mêmes questions, avec d’innombrables variations et dans des contextes changeants [33] ». Cette approche de l’histoire des sciences, Jean Gayon la qualifie lui-même de « structuraliste [34] », en ce sens qu’elle vise à identifier des contraintes structurales qui canalisent l’histoire des sciences. Il a ainsi montré que si le darwinisme n’est pas mort, ce n’est pas au sens où la théorie de Darwin a persisté, c’est au sens où le modèle darwinien continue à contraindre la structure de la recherche évolutionniste et de ses débats.

17Cette catégorie de style, il l’a appliquée à ce qu’il juge être sa principale contribution à l’histoire des sciences, à savoir le style français de recherche en matière d’hérédité. Plutôt que de style au sens de spécificité, de particularité, ou de manière, il préfère s’inspirer de la notion opératoire telle qu’elle est employée par la linguistique structurale, qui définit le style d’un texte comme « le choix que tout texte doit opérer dans un certain nombre de disponibilités contenues dans la langue [35] ». Appliqué à son objet, le style scientifique devient « le choix que tout travail scientifique doit opérer dans un certain nombre de disponibilités contenues dans le mode de production scientifique. Parmi ces disponibilités, il en est trois qui nous semblent avoir une grande inertie, et être particulièrement sensibles aux contextes nationaux : tout travail de recherche scientifique implique un choix dans un espace défini par des thèmes, des phénoméno-techniques, et une certaine division du travail [36] ». Et la conclusion est alors aussi précise qu’espérée : parmi les quatre caractéristiques de la science française de l’hérédité (l’hérédité morbide ou l’hérédo-contagion, l’hérédité des caractères acquis, l’exigence d’une théorie « physiologique » de l’hérédité, et l’idée que l’hérédité doit être pensée en référence à la nutrition), seule la première relève pleinement d’un « style local de recherche scientifique » car elle répond parfaitement aux trois contraintes ci-dessus évoquées, à tel point qu’on peut parler, exceptionnellement, de « phénomène national-scientifique total » [37].

18Ce qui vient d’être dit de la science de l’hérédité n’est pas valable pour la philosophie des sciences : « Je ne sais pas s’il y a sens à parler d’une “tradition française”, encore moins d’un “style français [38]” de philosophie des sciences [39]. » Cette remarque nous amène à discuter de son héritage.

Jean Gayon, un canguilhémien ?

19Jean Gayon ne semble avoir rencontré Georges Canguilhem qu’à trois occasions : la première lorsque, jeune étudiant, il fut fasciné par le professeur (1969) ; la seconde, après ses études scientifiques, lorsqu’il lui téléphona à la recherche d’un directeur de thèse (1983) ; la troisième, alors qu’il était jeune enseignant, mais pas encore docteur, lors d’un symposium sur Buffon à Dijon (1988). Ceci nous montre qu’une rencontre, même ponctuelle, peut-être absolument déterminante.

20La seule publication académique de Jean Gayon à propos de Canguilhem est née à l’occasion du « Boston colloquium for philosophy of science » de 1996 [40]. Elle porte sur le concept canguilhémien d’individualité, très largement inspiré par Kurt Goldstein, pour souligner le contraste entre celui-ci et la manière dont la philosophy of biology l’aborde. Jean Gayon avait prévu, en réponse à une commande, de publier un autre article sur Canguilhem, qui portait sur l’autre grande source d’inspiration de ce dernier quand il s’agissait de penser les relations de l’organisme à son milieu, à savoir Jakob von Uexküll [41]. Jean Gayon est d’abord un grand lecteur de Francis Galton, de Karl Pearson ou de Ronald A. Fisher ; et il va de soi que les questions philosophiques qui en découlent sont étrangères à celles posées par Uexküll ou Goldstein. Mais quoique sensible aux modèles mathématiques en biologie de l’évolution, Jean Gayon ne s’est jamais opposé à la thèse de la normativité vitale [42] et c’est d’ailleurs dans sa continuité qu’il affirme les limites d’une représentation exclusivement génétique de l’infirmité et d’une représentation exclusivement médicale du soin, qui ne prendraient pas en compte la totalité de l’environnement matériel et social [43].

21Jean Gayon affirme que Georges Canguilhem fut son « seul maître », au sens d’exemple intellectuel. Il voit cependant trois distinctions avec celui-ci :

22

« L’ensemble de mes travaux s’est développé au sein d’un triangle dont la philosophie, les sciences (notamment la biologie) et l’histoire des sciences constituent les sommets. Peut-être davantage que mon maître, j’ai voisiné avec la science contemporaine ; davantage que lui aussi, j’ai pratiqué une histoire des sciences “professionnelle”, avec ce que cela représente de travail sur archives, écrites et orales ; davantage que lui enfin je me suis ouvert à la philosophie des sciences internationale [44]. »

23Sur le premier point, on peut remarquer que Georges Canguilhem s’est intéressé de près à la biologie moléculaire, mais il faudrait alors ajouter avec Jean Gayon que tandis que « Georges Canguilhem se demandait si la biologie moléculaire était porteuse d’un “nouveau concept de la vie”, la “philosophie de la biologie” américaine [avec Jean Gayon [45]] se demandait si la génétique mendélienne était réductible à la génétique moléculaire [46] ». Sur le second point, on peut remarquer que Georges Canguilhem lui-même ne se considérait pas comme historien, et que Jean Gayon, l’historien, a probablement souffert, à l’inverse, de ne pas être considéré comme philosophe à part entière [47]. Le troisième point nous semble indéniable, et évoque les mots d’Anastasios Brenner qui, remarquant que si Jean Gayon était bien celui qui a « porté l’épistémologie française sur la scène internationale » et qui « à la différence de ses maîtres […] a voulu confronter cette tradition à d’autres », se demandait s’il était responsable de ce fait incontestable que « la spécificité de l’épistémologie française s’atténue progressivement » [48].

24

« Canguilhem avait avant tout un agenda philosophique. Il s’intéressait à ce qui, en philosophie des sciences, échappe à l’analyse logique des termes métascientifiques et du raisonnement scientifique, à savoir la genèse tortueuse des concepts scientifiques, qu’il considérait comme les unités d’analyse les plus pertinentes pour l’historien des sciences. Pour Canguilhem, les “problèmes conceptuels” ne sont pas simplement des problèmes “non empiriques” ; ce ne sont pas seulement des énigmes qu’un travail attentif de définition peut résoudre, ce sont des problèmes qui ne peuvent être compris qu’en reconstituant le cheminement qui y a conduit, au prix de transferts de notions, de méthodes, d’images, d’un domaine scientifique à un autre, et d’interactions avec l’histoire des techniques et, parfois, avec l’histoire en grand. Là où la philosophie analytique des sciences invite à disséquer le sens d’un mot et à le clarifier en le fixant relativement à un contexte scientifique donné, la méthode canguilhémienne consiste à prendre conscience des contraintes historiques qui pèsent sur les concepts et les mots ; elle s’appuie sur la conviction que ce travail est philosophiquement pertinent et scientifiquement utile [49]. »

25C’est par la méthode et non par les centres d’intérêt que Jean Gayon hérite de Canguilhem ; une méthode qui fait de l’histoire, et de ses contraintes, la raison du concept. C’est parce qu’il était convaincu que profondeur conceptuelle et profondeur historique vont de pair, qu’il se disait canguilhémien ; mais un canguilhémien qui s’inscrit dans un contexte anglophone [50]. Il n’a cessé de lutter, avec encore plus de zèle que son maître, contre l’alternative entre l’histoire des sciences et la philosophie des sciences, ses travaux étant parfois plus historiques, parfois plus théoriques [51].

26Si Jean Gayon est canguilhémien, c’est aussi dans sa volonté de lier philosophie de la biologie et philosophie de la médecine. Non seulement il est un des premiers à avoir vu dans l’Essai sur le normal et le pathologique (1943) une philosophie de l’évolution biologique [52], mais il a aussi lui-même grandement contribué à leur articulation, en se concentrant sur des thèmes tels que la monstruosité, l’eugénisme et l’enhancement[53]. Mais le lien entre philosophie de la biologie et philosophie de la médecine conduit Canguilhem à un certain vitalisme rationaliste, par rapport auquel Jean Gayon prend du recul. Il n’y a nulle trace chez lui d’une critique du mécanisme, et le réductionnisme fut une interrogation, non un ennemi ; il ne retient du vitalisme canguilhémien que « l’attitude d’une biologie attentive à la spécificité de son objet [54] », ce qui est à notre avis une erreur, car, comme il l’a noté lui-même ailleurs (et étonnamment approuvé [55]), le vitalisme canguilhémien participe de l’idée que cet objet spécifique est aussi le sujet de la biologie (ce qui subordonne, in fine, l’ontologie à l’axiologie – ce que ne saurait concéder Jean Gayon). Pour le dire vite, tandis que pour Canguilhem et la philosophie biologique, il y a primauté de la vie sur la connaissance (y compris la biologie), pour Gayon et la philosophie de la biologie, il y a primauté de la connaissance (de la biologie) sur la vie.

27L’œuvre de Jean Gayon, comme celle de Canguilhem, se partage entre philosophie, histoire et épistémologie. L’œuvre épistémologique de Canguilhem ne commence véritablement qu’avec ses études sur Bachelard [56]. L’œuvre épistémologique de Jean Gayon est plus difficile à isoler, puisqu’il s’est opposé toute sa vie à une telle tripartition. Cependant, on pourrait ranger comme écrits épistémologiques tous ceux qui engagent le sens même des concepts métascientifiques, à commencer par celui de théorie de l’évolution [57]. La distinction classique entre concepts scientifiques et concepts métascientifiques est cependant difficile à faire dans un certain nombre de concepts qui semblent participer des deux, comme celui de fonction. Les analyses que Jean Gayon a proposées de la notion de fonction participent de sa méthode, qui consiste à identifier la structure des débats fondamentaux derrière l’effervescence des débats contemporains propres à la philosophie (analytique) de la biologie. Ainsi a-t-il montré que les deux conceptions de la fonction débattues rejoignent les deux régimes de scientificité de la biologie (tandis que la théorie systémique de la fonction répond à une vision nomologique de la causalité scientifique, la théorie étiologique de la fonction se fonde sur la causalité historique) [58]. Au-delà de tels ou tels travaux, son épistémologie générale, comme il l’assume lui-même, peut être qualifiée de « positiviste » au sens de Pierre Duhem, pour qui les théories n’ont pas pour but d’expliquer la réalité ou de saisir la nature des choses, mais seulement de représenter les phénomènes [59]. Si Jean Gayon a porté plus d’intérêt à l’histoire des concepts biologiques qu’à l’épistémologie des biologistes, il ne néglige jamais cette dernière. Ainsi a-t-il montré qu’il y avait une connivence historique frappante entre la science de l’hérédité et son épistémologie, si bien qu’il est possible de distinguer trois phases : une phase phénoménaliste (correspondant aux approches biométriques de l’hérédité), une phase opérationnaliste ou plus généralement instrumentaliste (correspondant au mendélisme), et une phase réaliste (correspondant à la biologie moléculaire) [60].

28Par contraste avec Canguilhem, Jean Gayon ne retient que peu de choses de Bachelard qu’il juge plutôt sévèrement [61]. Pourtant, il a étudié Bachelard bien plus que Canguilhem, et dans son dernier livre, c’est bien le premier qui revient le plus souvent dans sa bouche, au point qu’il s’excuse presque de faire encore référence à Bachelard. Sa distance vis-à-vis de Bachelard peut étonner car, si l’historien et le philosophe doivent beaucoup à Canguilhem, l’épistémologue n’est pas sans lien avec Bachelard. « Pour exprimer la manière dont le darwinisme s’est conservé en se transformant, écrit-il dans une discussion devant la Société française de philosophie, j’ai utilisé le terme d’“expansion théorique”, que j’emprunte à Stephen Jay Gould. Elle me fait penser à ce que Bachelard appelait “rectification”, les rectifications pouvant prendre parfois l’allure de “refondations” [62]. »

Jean Gayon et l’épistémologie historique

29Jean Gayon se réclame de Canguilhem tout en refusant clairement l’héritage de la dénommée « épistémologie historique », dont le nom même provient indirectement de Canguilhem [63]. Non pas qu’il refuse la position de tertium quid, entre histoire et philosophie des sciences, qu’il revendique au contraire, mais il « répugne à [l’] appeler épistémologie historique [64] ». Si la tradition dualiste en philosophie des sciences (qui sépare la connaissance scientifique et la connaissance philosophique) accorde généralement une grande part à l’histoire des sciences contrairement à la tradition unitarienne (qui réunit la connaissance philosophique et la connaissance scientifique, au point d’admettre que la première peut contribuer à la seconde), Jean Gayon n’a jamais choisi entre les deux traditions [65]. Selon lui, l’époque dominée par les écoles de pensée, comme la philosophie analytique ou la phénoménologie, convaincues que la philosophie pouvait se passer de science empirique, est révolue. Un très bon exemple en est donné par la question philosophique de l’identité, qui ne saurait se déployer en ignorant les sciences [66]. Le continuum entre science et philosophie est d’ailleurs la marque du rationaliste qu’il assume être et implique qu’il ne faut pas essentialiser l’une ou l’autre de ces connaissances, car l’une et l’autre comportent à la fois des aspects empiriques et des aspects conceptuels. « C’est [donc] une affaire de degré, non de nature. […] C’est le travail social qui est divisé, pas la connaissance elle-même [67]. » C’est parce qu’il participe de cette tradition unitarienne (qu’il importa en France) qu’il refuse notamment de se dire appartenant à « l’épistémologie historique ». Non seulement la philosophie a besoin des sciences, mais la science elle-même a besoin de philosophie [68].

30Pourtant, Jean Gayon n’a pas seulement croisé les traditions, il a su les éclairer. Avec Anastasios Brenner, il s’accorde à dire que l’épistémologie historique (française) prend racine dans la conception conventionnaliste des théories scientifiques (illustrée par Gaston Milhaud, Henri Poincaré et Pierre Duhem) ; tradition pour laquelle l’étude de la raison historiquement constituée est plus importante que l’étude a priori de la raison constituante (et la liste se prolonge avec Émile Meyerson, Léon Brunschvicg, Bachelard, Alexandre Koyré, Canguilhem, Dagognet, Saint-Sernin). L’idée générale est que le choix des hypothèses dans une théorie scientifique échappe à l’analyse logique, si bien que pour comprendre l’activité scientifique, il faut prendre en compte l’histoire et les motivations intellectuelles complexes des savants [69].

31« L’épistémologie française est le nom d’une tradition de pensée hétéroclite qui a toujours affirmé la solidarité de problèmes que d’autres traditions dissocient : logique, théorie de la connaissance, philosophie générale des sciences, philosophie de sciences particulières, histoire des sciences, et même anthropologie de la science [70]. » Ce qui est dit ici de la tradition française en philosophie des sciences peut aussi être affirmé de la tradition française en philosophie des techniques [71]. Et d’ailleurs, l’histoire et la philosophie des sciences mériteraient de tisser plus de liens avec l’histoire et la philosophie des techniques, comme Jean Gayon le remarque lui-même, tout en reconnaissant qu’il a peu fait dans ce sens, si ce n’est peut-être lors de son étude sur les « organismes modèles » [72]. La technique n’est pas directement questionnée par Jean Gayon, ou rarement ; pourtant, il fait cette remarque audacieuse à propos du futur de la biologie, comprise comme ingénierie :

32

« Pour ma part, en tant que philosophe, je voudrais souligner les conséquences importantes de l’affirmation selon laquelle la biologie de synthèse est de la technoscience. La biologie de synthèse est éventuellement susceptible de nous libérer de deux idées communes que François Dagognet aurait peut-être appelées des pesanteurs de pensée : d’une part, l’idée selon laquelle il y a une naissance générique et fermée de la vie ; d’autre part, la conception selon laquelle les êtres vivants et leurs caractéristiques sont nécessairement un produit de l’évolution [73]. »

33Cette citation nous montre que l’héritage de Canguilhem s’est effectué à travers celui de Dagognet qui critiqua son vitalisme ou sa tendance à hypostasier le vivant.

Jean Gayon, un grand darwinien

34Jean Gayon est réputé comme grand darwinien, mais il fut aussi un historien du lamarckisme. D’ailleurs, il a commencé par cela : son intérêt pour Jean Piaget avait d’abord pour but « de comprendre dans le détail ce que pouvait être un lamarckien dans les années 1920 [74] ». Ensuite, il est possible de lire sa contribution à l’histoire de la génétique française comme celle qui met à mal ce supposé lamarckisme français qui aurait soudainement pris fin avec le triomphe de François Jacob, Jacques Monod et André Lwoff (en réalité, c’est la tradition de physiologie expérimentale bernardienne et pastorienne qui anime la recherche génétique française). Enfin, il revient dans un remarquable article sur l’histoire de l’« hérédité des caractères acquis » – expression qui nous vient, comme on sait, de Prosper Lucas, et non de Lamarck [75]. Ailleurs, et dès les premiers écrits, il fait converger toutes ces questions : « Comme l’a très justement souligné P. J. Bowler, l’enjeu du lamarckisme n’est pas correctement défini en référence au laboratoire, mais dans le cadre d’une philosophie de la nature soucieuse de rendre l’organisme individuel “responsable” de l’évolution de l’espèce. De ce point de vue, il y a sans doute davantage à comprendre sur le lamarckisme français dans la lecture de Jean Piaget que dans la lecture désespérément répétitive de la littérature biologique [76]. »

35Pour Jean Gayon, tout commence véritablement avec sa thèse, devenue un livre, devenu un classique. Comme nous l’avons déjà dit, l’essentiel de sa méthode y est à l’œuvre. On comprend notamment qu’étudier le darwinisme, c’est étudier Darwin et/ou Wallace. Ce « et/ou » est essentiel à la structure polémique de la théorie de l’évolution par sélection. La « reconstruction rationnelle » à laquelle se livre Jean Gayon, que nous avons évoquée en introduction, démontre que la théorie darwinienne de l’évolution n’a pu devenir darwinienne qu’au prix d’une modification radicale du contexte théorique et expérimental de Darwin. Pour en rendre compte, il propose de distinguer le principe de sélection naturelle, qui illustre le génie de la méthode de Darwin qu’il a si profondément analysée et exploitée, de l’hypothèse de la sélection naturelle, qui était limitée chez Darwin qui n’a établi aucun fait de sélection naturelle et dont la preuve par les effets était insuffisante. Tout le travail de Jean Gayon consistant alors à montrer la très longue et difficile démonstration de l’hypothèse de sélection naturelle, avec tout d’abord l’école statistique et biométrique anglaise de la fin du xixe siècle (1870-1900), et ensuite la synthèse du darwinisme et de la science expérimentale de l’hérédité dans les premières décennies du xxe siècle.

36

« À mon avis, le grand mérite de la génétique des populations a été de mettre un terme aux querelles interminables sur les “facteurs d’évolution”. La génétique des populations a rendu désuète la question de savoir si l’évolution s’expliquait par un facteur ou par un autre. Elle a mis en place un espace paramétrique homogène dans lequel les effets de facteurs biologiques ou écologiques extrêmement différents se trouvaient exprimés dans une même “monnaie”. Ces facteurs [de nature différente] sont principalement : mutation, sélection (naturelle ou sexuelle), migration, système de croisement (homogamie, hétérogamie), et phénomènes stochastiques [77]. »

37Une telle citation pourrait laisser croire que la théorie synthétique de l’évolution repose sur la génétique des populations. Pourtant, déjà en 1984, Jean Gayon s’opposait à Michael Ruse, qui présentait dans son livre Philosophy of biology (1973) une interprétation de la théorie synthétique comme théorie unifiée par la génétique des populations. « Cette interprétation séduisante a malheureusement contre elle des faits rédhibitoires. Elle néglige par exemple que le plus grand titre de gloire de la théorie synthétique est la résolution du problème de la spéciation, pour lequel la génétique des populations n’est d’aucune aide, ou presque [78]. » Sans discuter de ces questions, chaque lecteur comprendra ici que s’il est bien une thématique qui parcourt l’ensemble de l’œuvre, c’est une longue réponse à cette interrogation : de quoi la synthèse évolutive moderne est-elle le nom, et quel est son effet sur la science aujourd’hui ? Derrière cette idée de « synthèse », il y a bien évidemment une profession de foi pour l’interdisciplinarité, qu’il fit sienne.

38« Le darwinisme n’appartient pas seulement à l’histoire de la science ; il appartient aussi à l’histoire culturelle et politique [79]. » Rattacher la science à son passé, comme le fait Jean Gayon, cela signifie bien souvent rappeler son socle préscientifique [80]. Un très bon exemple, se trouve d’ailleurs dans le concept de fitness, si débattu aujourd’hui dans le cadre de la biologie darwinienne et dont Jean Gayon a montré que les équivoques provenaient de l’histoire culturelle de ce mot [81]. Pour Jean Gayon, la formule spencérienne (survival of the fittest) est d’ailleurs un « obstacle épistémologique [82] ».

39Profitons de cette évocation de Herbert Spencer pour pointer une des principales évolutions de l’analyse de Jean Gayon. Dans sa thèse, il écrivait : « Cet aspect de la pensée darwinienne est d’une grande importance pour une histoire épistémologique. Loin d’être une vérité certaine a priori (comme l’était la réinterprétation spencérienne de la sélection naturelle comme principe de la survie des plus aptes), l’hypothèse précise construite par Darwin était assujettie à des conditions qui l’exposaient à réfutation [83]. » Ces dernières années, en particulier sous l’influence d’Elliott Sober [84], Jean Gayon réfutait cette première idée, comme il l’a exprimé dans un article de 2014 [85], et dans les lignes ci-dessous :

40

« Les modèles mathématiques de la génétique des populations sont des vérités a priori : elles sont vraies en tant que déductions réalisées à partir des prémices que l’on se donne. Il ne faut donc pas chercher, comme je l’ai fait pendant trente ans, à comprendre la sélection naturelle comme une loi de la nature ou un groupe de lois de la nature. Les modèles de la génétique des populations fonctionnant comme des tautologies mathématiques, la question pertinente est de savoir si ces modèles s’appliquent et à quoi ils s’appliquent. Si on les considère du point de vue de leur instanciation effective dans la nature, il n’est pas raisonnable de dire que ce sont des lois au sens d’énoncés de portée universelle illimitée, car ils n’ont de sens que pour des populations d’organismes situés dans l’espace spatio-temporel de l’évolution. On peut les considérer comme des contraintes formelles qui définissent des relations d’invariance limitée dans un contexte d’historicité biologique [86]. »

41Cette citation appelle au moins deux remarques. La première est que Jean Gayon admet désormais une certaine circularité du principe de sélection naturelle, circularité qui peut d’ailleurs se trouver énoncée chez Darwin, plus encore chez Spencer, et plus encore dans ses formulations contemporaines qui réduisent considérablement son squelette logique ; ce qui signifie que le principe de sélection naturelle n’est pas une généralisation empirique, et donc pas une loi au sens des philosophes des sciences néopositivistes [87]. La seconde consiste à remarquer l’extension qu’il donne au concept de contrainte, ou d’invariance limitée, tel qu’il est utilisé dans la biologie théorique et qu’il étend ici au principe de sélection naturelle [88]. Or, un des objectifs essentiels de cette biologie théorique, du moins telle qu’elle est théorisée par Maël Montévil [89], est d’articuler les aspects synchroniques et les aspects diachroniques de la biologie, ce qui vient contrarier une philosophie de la sélection naturelle qui nous a habitués à « dissocier, jusqu’à un certain point, la cohésion spatiale de la cohésion temporelle des entités [90] ». Jean Gayon soulève donc des questions hautement théoriques, plus larges encore que l’épistémologie de la sélection naturelle. D’une manière générale, on constate qu’il abandonne les débats sur la conception nomologique des théories scientifiques, pour se concentrer sur les « modèles » et leur transfert, plus ou moins heureux. C’est d’ailleurs un cas de « transfert partiel de modèle » qui l’a intéressé dans le rapport entre biologie et économie [91].

42Il fait preuve d’une minutie d’analyse, mais celle-ci est toujours accompagnée d’une remarquable capacité de synthèse, comme l’illustre la citation suivante :

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« Darwin a laissé un double legs théorique. Le cadre descriptif qu’il a mis en place est dominé par un schématisme arborescent qui s’est admirablement prêté à faire valoir une histoire ouverte et diversifiante. Quant à l’hypothèse qu’il a mise au centre de son dispositif explicatif – la sélection naturelle – elle suggère une vision de l’histoire de la nature qui est tout autant parménidienne qu’héraclitéenne. Dans une nature darwinienne, le mobilisme des entités (gènes, organismes, espèces) est poussé plus loin qu’aucune théorie scientifique ne l’a jamais fait. Mais dans le même temps, ce mobilisme universel est porté par un principe de mouvement dont la simplicité et l’universalité sont confondantes ; il n’existe sans doute aucun autre exemple de science naturelle ou humaine qui ait conjugué de manière aussi extrême ces deux genres de connaissance qu’on appelle traditionnellement depuis l’Antiquité l’histoire et la science, le singulier et l’universel [92]. »

44Cette citation éclaire aussi l’œuvre de celui qui l’énonce, et montre clairement que Jean Gayon était darwinien non par l’objet seulement (la théorie de l’évolution par sélection naturelle), mais plus encore par la méthode, et pour être précis par le « style », en donnant à ce terme le sens qu’il lui a donné lui-même et qui concilie le singulier et l’universel.

La théorie de la biologie

45Des quatre théories unificatrices qui définissent, selon Jean Gayon, la biologie, à savoir la théorie cellulaire, la théorie de l’évolution, la théorie de l’hérédité, et la « théorie matérielle de la vie » (qui ne sont précisément pas réductibles), les trois dernières furent son objet privilégié d’études [93]. Mais il a aussi, nous l’avons dit, abordé les questions classiques de l’épistémologie, dont celle du statut de la « théorie », qui n’a pas le même sens en biologie que dans la science physique, et cela parce que la biologie est une science sans loi, une science historique [94], comme Augustin Cournot fut l’un des premiers à le remarquer en France [95]. « Les théories biologiques ont pour la plupart la forme d’une famille de modèles apparentés [96]. » Il ne s’agit pas de théorie hypothético-déductive, mais de modèles heuristiques puissants, associés à des généralisations empiriques non déductibles. Mais comme nous venons de le voir, Jean Gayon en est venu à douter que la sélection naturelle soit une généralisation empirique. La biologie est historique, mais plutôt que d’« accidents congelés », Jean Gayon parle de « contraintes formelles qui définissent des relations d’invariance limitée dans un contexte d’historicité biologique », en se rapportant notamment à ses propres travaux avec Maël Montévil [97].

46Dans ses travaux avec Maël Montévil sur la question de la réversibilité par rapport au temps des modèles de génétique des populations théoriques, Jean Gayon dit s’engager dans des « problèmes théoriques [98] », c’est-à-dire qu’il ne se contente pas de se situer dans une controverse débattue en philosophie de la biologie, mais qu’il ouvre un problème théorique nouveau, que l’on pourrait résumer comme suit : le darwinisme n’a pas tant été hanté par le progrès que par la réversibilité.

47

« J’ai montré avec Montévil que les modèles “déterministes” (mutation, sélection) de la génétique théorique des populations ne satisfont pas l’idéal de la réversibilité par rapport au temps cher aux physiciens, quoiqu’ils permettent la rétrodiction (c’est-à-dire la “prédiction du passé” à partir de l’état présent d’un système, et d’un ensemble approprié de lois). La réversibilité par rapport au temps n’est pas non plus la rétrodictibilité (c’est-à-dire la possibilité de prédire, ou déduire l’état passé d’un système). Simultanément, de nombreux modèles stochastiques (dérive génétique aléatoire) sont réversibles par rapport au temps, à condition d’étendre la définition de la réversibilité de manière à inclure les distributions de probabilité[s]. J’ai beaucoup discuté avec des généticiens des populations professionnels de ces questions ; sur les deux conclusions que j’ai établies avec Maël Montévil, ils pensaient a priori exactement le contraire, mais ils se sont finalement laissé convaincre, une fois les démonstrations rédigées, au besoin avec l’appareil mathématique nécessaire. Mes réflexions sur les rapports entre la théorie économique et la théorie de l’évolution relèvent de la même inspiration. La théorie biologique, au fond, m’importe davantage que la philosophie de la biologie. C’est bien ce qui m’a toujours intéressé dans mes travaux historico-critiques autant qu’analytiques (sensu lato) [99]. »

48Comment comprendre cette idée que la théorie biologique importe plus que la philosophie de la biologie ? Précisément, en n’accordant pas le statut de théorie à toutes les écoles propres à la philosophie de la biologie. Et c’est cela qui explique le peu d’engouement de Jean Gayon pour toutes les alternatives au paradigme darwinien :

49

« Je ne doute pas que ces nouveaux champs scientifiques [il vient d’évoquer la paléontologie de Gould ou ses équilibres ponctués et l’évo-dévo ou la théorie développementale de l’évolution] nous éclaireront sur des régularités phénoménales à un niveau supraspécifique. Toutefois, je doute que cela change profondément la structure de la théorie de l’évolution [100]. »

50Pour Jean Gayon, de même que la théorie de Motoo Kimura n’était pas une invalidation de la théorie de la sélection, mais plutôt, en intégrant les variations moléculaires stochastiques [101], un complément à celle-ci, de même, les tentatives récentes qui tentent d’intégrer les deux grands oubliés de la génétique des populations (l’environnement et le développement), ne sont pas des menaces pour le cadre théorique darwinien [102].

51Jean Gayon semblait avoir, vis-à-vis des grandes alternatives de son temps et de son champ, le recul de l’historien des paradigmes – le paradigme étant ce qui contraint les structures d’un débat. On peut lui reprocher ce recul (comme nous serions prêts à le faire dans le cas de son appréhension de la crise écologique [103]), mais ce serait dommage car si nous ne manquons pas d’intellectuels engagés, nous manquons probablement d’engagement pour l’intelligence, ni militante et partiale, ni étriquée et fermée, mais ouverte et soigneuse comme celle de Jean Gayon.

Philosophe avant tout

52Le dialogue entre l’histoire et la philosophie des sciences suppose le dialogue entre humanities et sciences, entre logos et techné. Jean Gayon ne s’assumait pas interdisciplinaire, et préférait se dire pluridisciplinaire (respectant ainsi la différence essentielle, ou la tension pour parler comme Thomas Kuhn, entre les disciplines). Or, précisément, il semblerait que ce soit là toute la question : dans « HPS », la science n’est pas seulement l’objet de la discipline, mais peut-être aussi le sujet ou du moins sa finalité. Que science et philosophie soient à comprendre dans une solution de continuité ne signifie pas que science et philosophie se confondent. Et le dialogue se joue en réalité toujours à trois, si bien qu’on pourrait se demander si la philosophie n’est pas ce fil tendu entre la science et l’histoire – les deux continents du savoir depuis l’Antiquité. Mais une telle assertion est problématique car c’est plutôt l’histoire qui permet de dissocier ce qui était mélangé, la science et la philosophie. Est-ce que l’histoire et la philosophie des sciences participent à la science ou de la science ? Et si oui, en quel sens ? Toutes ces questions sont importantes, mais ce sont des questions philosophiques.

53On pense connaître Jean Gayon lorsqu’on affirme qu’il a fondé la philosophie de la biologie en France. Mais ce serait réducteur, car son œuvre recèle des richesses inattendues. On pourrait d’abord remarquer qu’il a su garder une certaine distance critique vis-à-vis de la philosophie de la biologie. Il a montré par exemple comment la philosophie de la biologie s’est cristallisée autour d’un ensemble de concepts de base liés à la biologie de l’évolution et ce que cela a de problématique dans la façon dont elle ne reflète pas la richesse et la diversité des problèmes philosophiques contenus dans la biologie [104]. De même que la philosophie des sciences en France hier, la philosophy of biology semble souffrir d’un certain enfermement sur elle-même : « Les philosophes contemporains de la biologie n’ont rien à gagner à entretenir un mythe de totale innovation [105]. » L’esprit d’ouverture de Jean Gayon n’a jamais succombé à un tel enfermement. Ce pourquoi on pourrait ensuite remarquer qu’une partie importante de son œuvre ne relève pas de la « philosophie de la biologie » stricto sensu, mais plutôt de la « philosophie biologique » lato sensu, si ce terme convient pour tous ses travaux qui portent sur les philosophes qui se sont intéressés à la biologie de leur temps (Nietzsche, Cournot, Bergson, Canguilhem, Dagognet), tout en maintenant l’autonomie ou la normativité de la philosophie, que Jean Gayon quant à lui refuse. Mais tout en étant immergé dans la science, il n’a jamais renoncé à la philosophie générale et c’est peut-être par sa culture « classique », toujours entretenue, qu’il se distinguait le plus parmi les spécialistes.

54Et l’on pourrait enfin remarquer que Jean Gayon, loin de n’être que philosophe et historien de la biologie, a commencé la recherche collaborative en réfléchissant à la psychologie et non à la biologie. C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’il a écrit son premier article, dans lequel il proposait une « archéologie du concept marxiste d’idéologie [106] ». En outre, son intérêt pour la biologie dépasse le strict cadre de la biologie, et peut l’amener, par exemple, à rencontrer l’agronomie ou l’histoire de la littérature [107]. S’il excelle dans l’histoire conceptuelle des sciences, son œuvre laisse place à d’autres approches, comme l’histoire institutionnelle [108], et notamment celle de l’enseignement, dont il aimait comparer la manière dont elle se pose dans les deux pays qu’il connaissait le mieux, la France et les États-Unis [109]. Son intérêt pour les questions institutionnelles se retrouve dans son histoire des sciences, quoiqu’il ait été convaincu que la science, et donc son histoire, ne s’y limite pas et ne peut plus ignorer ni le marché, ni le public [110].

55L’histoire des sciences de Jean Gayon n’est pas une sociologie historique des sciences, c’est une histoire qui est d’abord conceptuelle mais est aussi une histoire culturelle et politique : ainsi a-t-il montré, par exemple, que la « naturalisation du concept d’hérédité avait un aspect politique non négligeable [111] ». La dimension politique de l’œuvre de Jean Gayon n’est peut-être pas la plus évidente, sauf pour ceux qui ne confondent pas la politique et le politique. Car comment ne pas voir que, outre son engagement académique, il a systématiquement étudié des questions scientifiques politiquement épineuses, comme l’eugénisme, la race, le rapport entre religion et science ? Ce qui l’intéresse, ce n’est pas tant la science que son rapport négatif à l’idéologie. Son travail d’histoire des sciences semble ne jamais abandonner cette question première qui lui fut posée lors de la préparation à l’agrégation, et à laquelle il répondit devant son maître Canguilhem, celle du rapport entre idéologie et vérité, qu’il tenta à sa manière de détricoter [112]. Il se méfie des personnes qui semblent défendre une « philosophie du soupçon » pour laquelle les travaux scientifiques ne sont pas étanches aux convictions politiques [113]. En effet, il a su montrer que le rapport entre science et politique n’est pas causal : de même que le darwinisme a pu inspirer des politiques différentes, à commencer par celles de Darwin et Wallace [114], de même « l’eugénisme classique n’a pas été préférentiellement associé à telle ou telle option politique [115] ». Jean Gayon n’a jamais minimisé les dérives idéologiques des savants, mais sa critique de l’idéologie semble de même nature, qu’il s’agisse des savants ou des non-savants et cela notamment parce que le concept d’idéologie scientifique, développé par Canguilhem, ne lui semble pas pertinent [116]. « Je suis toujours réticent à l’idée de purifier la science au nom de considérations politiques. La vraie question dans ce domaine comme dans bien d’autres est de garantir un dialogue et une interaction véritable entre les scientifiques, les politiques, et le public [117]. » Entre l’idéologie de l’eugénisme et celle de l’enhancement, il y a bien une continuité de façade, mais ce qui intéresse Jean Gayon, là encore, ce sont leurs différences, qui permettent d’éclairer les structures du débat sur l’amélioration, biologique ou médicale, de l’humain, et par là-même les déplacements de l’idéologie, qui, d’un préjugé de classe ou de race, s’est transformée en idéologie du « progrès technique au service des individus [118] ».

56Nous ne rentrerons pas dans le détail d’un débat, l’important étant de comprendre que, si Jean Gayon est indéniablement un philosophe des sciences, une bonne partie de ses réflexions croise et nourrit la philosophie morale et politique. Et comment peut-il en être autrement quand on s’intéresse à l’histoire de la mesure de l’intelligence ou à celle de l’amélioration humaine ?

Conclusion

57Nous nous demandions si Jean Gayon était un darwinien. Dans un article intitulé « Darwinisme et philosophie », il dit ne pas admettre qu’il y aurait une « philosophie darwinienne », ou des questions philosophiques « spécifiquement darwiniennes », ce pourquoi il ne prend pas le chemin qui va du darwinisme à la philosophie, mais celui qui va de la philosophie au darwinisme. Dans la conclusion de cet article qui revient sur l’importance de l’éthique et de l’épistémologie évolutionnistes, il conclut par ces mots, qui donnent le sens de la philosophie plutôt que celui du darwinisme :

58

« Point de philosophie, discipline tout à la fois normative et critique, s’il n’existe pour les êtres rationnels que nous sommes, des représentations incompatibles des biens et des vérités possibles. Si nous n’étions que ces animaux cognitivement et moralement incorrigibles dont le naturalisme darwinien nous renvoie l’image, il nous serait bien difficile d’avoir ne serait-ce que la présomption d’une incommensurabilité des vérités et des biens possibles. D’où je tirerai, en conclusion, l’adage suivant : – même si notre pouvoir de connaissance et notre pouvoir d’agir sont biologiquement limités, nous ne sommes pas pour autant contraints d’en inférer que ces limites devraient être les normes du vrai et du bien [119]. »

59Dans un article intitulé « Darwinisme et métaphysique », Jean Gayon rappelle que la plupart des grandes philosophies du xxe siècle (la philosophie analytique, la phénoménologie, l’existentialisme) ont rejeté aussi bien la métaphysique que le darwinisme. Cet article se conclut par ces mots : « Si la question centrale de la philosophie est “Qu’est-ce que l’homme ?”, pour reprendre la remarque de Kant dans son cours de logique, alors il est bien difficile pour la philosophie d’ignorer le darwinisme [120]. » Ce qui est certain donc, c’est que « le darwinisme met la philosophie au défi lorsqu’elle se concentre sur la condition humaine [121] ».

60La philosophie de Jean Gayon est un naturalisme darwinien. Lorsqu’il commente le célèbre article de David Hull affirmant que les espèces ne sont pas des classes logiques mais des choses singulières, des individus, au sens d’entités spatio-temporellement limitées [122], Jean Gayon rappelle que la thèse de l’espèce humaine comprise comme lignage unique plutôt que comme classe logique (celle de la nature humaine) argumente « en faveur de la solidarité de ses membres et de leurs responsabilités réciproques [123] ». « L’interprétation biologique [de l’espèce humaine], écrivait David Hull, a beaucoup à dire en sa faveur, même d’un point de vue humaniste [124]. »

61Nous nous demandions aussi si Jean Gayon était canguilhémien. Il y a une manière de répondre à cette question, c’est de se demander ce que l’un et l’autre retiennent d’Auguste Comte. Notre hypothèse est que Jean Gayon en retient plus qu’il ne le dit. Si nous devions prendre beaucoup de recul (la philosophie étant passée, entretemps, du système à l’arbre), nous dirions que leur philosophie historique des sciences est tendue vers l’idée d’« humanité ». Le concept n’est bien sûr plus le même ; et il ne serait pas absurde de dire que la principale différence entre la philosophie des sciences de Comte et celle de ses successeurs demeure Darwin. Citons Jean Gayon pour illustrer le chemin parcouru, depuis le fixisme de Comte et sa religion de l’humanité :

62

« Nous avons dit plus haut que les espèces étaient des entités exclusivement “généalogiques”, et non des entités “écologiques”. Autrement dit, les espèces biologiques, en règle générale, n’ont pas d’organisation propre (qua espèces), car leurs parties n’interagissent pas synchroniquement dans l’espace qu’elles occupent (sauf, cas extrême, dans le cas d’espèces en voie d’extinction, réduites à une petite population locale). Toutefois ceci est de plus en plus démenti par une espèce (et une seule, à notre connaissance) – l’espèce humaine. Espèce cosmopolite et planétaire, l’espèce humaine est sans doute aujourd’hui, et sera selon toute vraisemblance de plus en plus dans l’avenir, la première espèce ayant jamais existé dont l’intégration est écologique et pas seulement généalogique. Virtuellement, les membres de cette espèce influencent de manière quasi instantanée, et sous des formes de plus en plus organisées, partie ou totalité des autres membres de l’espèce. L’espèce humaine est et sera de plus en plus un ensemble dont les parties interagissent de manière quasi instantanée, et dont le destin possible et souhaitable est de s’organiser [125]. »

63En réalité, on l’aura compris, la comparaison avec l’« humanité » de Comte est d’abord une provocation, car la première chose à remarquer est probablement qu’il n’y a pas le mot « humanité » dans la citation précédente, et il est d’ailleurs quasiment absent de son œuvre. Il est absent de La Connaissance de la vie aujourd’hui, mais on y trouve par contre plus de deux cent trente utilisations du mot « humaine(s) » et un chapitre entier sur le genre Homo, son histoire, son arbre. Dans son œuvre, le concept d’humanité, qui demeure théologique ou métaphysique, s’efface derrière celui d’espèce (humaine). Donc, corrigeons : la philosophie historique des sciences de Jean Gayon a pour horizon l’évolution biologique, sans laquelle le genre humain demeure abstrait.

64Lorsque, le xxe siècle finissant, on a demandé à Jean Gayon si la biologie était un humanisme, il reformula ainsi la question : « La connaissance de la vie peut-elle nous éclairer sur l’humanité de l’homme ? » Or, explique-t-il, deux réponses bien différentes furent données en 1946, deux réponses « non-humanistes », l’une négative, qui ouvre l’humanité sur l’Être (Heidegger, Lettre sur l’humanisme), l’autre positive, qui enracine l’humanité dans le vivant (Canguilhem, Le Vivant et son milieu) [126]. Jean Gayon, comme Canguilhem, donne une réponse positive, mais non-humaniste, à la question. Pourtant, pour le naturaliste darwinien qu’il est, condamner la coupure anthropologique, cela ne signifie pas pour autant se couper de tout l’héritage humaniste. Lorsqu’il critique la notion biologique de race, ce n’est pas sans rappeler ceci qu’ « entre les notions de race et d’humanité, il y a une solidarité historique [127] ». Pour lutter contre le racisme, il ne suffit pas de lutter contre la race, et cela notamment car « [l]’humanité ne doit pas être seulement pensée, il faut l’instituer [128] ». Sur cette institution, Comte serait d’accord.

65Si Jean Gayon insiste sur l’influence méthodologique de Comte sur Darwin [129], ce n’est pas par hasard. Si Comte, le philosophe, et Darwin, le scientifique, sont bien irréconciliables, il y a pourtant quelque chose comme un dialogue possible, ce type de dialogue dont Jean Gayon s’était fait l’expert. C’est ce même type de dialogue qui permet de dire la similitude entre Comte, Canguilhem, et Gayon : dans les trois cas, il s’agit d’une philosophie historique des sciences, une épistémologie du concept, loin de toute philosophie (ou psychologie) du sujet, mais tendue vers une philosophie (politique) de l’humain fondée sur la biologie.


Mots-clés éditeurs : Jean Gayon, histoire et philosophie des sciences, Georges Canguilhem

Mise en ligne 14/01/2020

https://doi.org/10.3917/rhs.722.0349

Notes

  • [1]
    Citons notamment, le Dictionnaire encyclopédique de l’identité, projet phare du Labex « Who am I », initialement dirigé par Jean Gayon.
  • [2]
    Parmi les œuvres en cours de publication (ici chez Vrin), citons les deux volumes qu’il a co-dirigés avec Thomas Pradeu, Textes clés de la philosophie de la biologie.
  • [3]
    Après une réédition anglaise (1998), une réédition française vient de voir le jour : Gayon, Darwin et l’après-Darwin : Une histoire de l’hypothèse de sélection naturelle (Paris : Éd. Matériologiques, 2019).
  • [4]
    Gayon, op. cit. in n. 3, 13.
  • [5]
    Ibid., 15.
  • [6]
    Dans un chapitre sur l’histoire de la génétique en France, il écrit : « Tout dans la science peut être vu comme du “social”, les institutions, les traditions, les théories, les instruments. Je préfère donc parler, comme le font couramment les historiens des sciences de “facteurs externes” : l’environnement politique, les institutions, les valeurs et les idéologies dans lesquelles sont immergés les savants. » (Jean Gayon, La Connaissance de la vie aujourd’hui, avec Victor Petit (Londres : ISTE Edition, 2018), 339 [désormais noté CVA]). Ce livre, sans ses deux premiers chapitres, a été traduit en anglais sous le titre Knowledge of life today : Conversations on biology (LondresHoboken : ISTE-Willey, 2019).
  • [7]
    CVA, 17, 26, 29.
  • [8]
    CVA, 30.
  • [9]
    Comme le note Richard Burian : « L’ISHPSSB a été créé à la suite de trois réunions informelles d’été sur l’histoire, la philosophie et les sciences sociales de la biologie, tenues en 1983, 1985 et 1987. Gayon a assisté à la deuxième et à la troisième de ces réunions. » (Richard Burian, On Jean Gayon and his importance to ISHPSSB, International Society for the History, Philosophy and Social Studies of Biology, Newsletter, vol. 29, n° 1, Issue 54 (2018).)
  • [10]
    CVA, 34-35.
  • [11]
    Il est maître de conférences (1985-1990), puis professeur (1990-1997) à l’université de Bourgogne, puis professeur à l’université Paris-7 – Diderot (1997-2001), puis professeur à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne (2001-2016), jusqu’à son éméritat (2016).
  • [12]
    CVA, 73, 75.
  • [13]
    CVA, 95-96.
  • [14]
    CVA, 85, 94-97.
  • [15]
    CVA, 30.
  • [16]
    CVA, 474.
  • [17]
    CVA, 481.
  • [18]
    Jean Gayon énumère six ouvrages et quatorze articles.
  • [19]
    CVA, 67-68.
  • [20]
    CVA, 365-368. Cf. Gayon, Code, information et autres figures de style en biologie moléculaire : seulement des métaphores ?, colloque « Le logique et le biologique », Jean-Baptiste Joinet (org.), université Paris-1, 22 avril 2005 [non publié].
  • [21]
    Gayon, De l’usage de la notion de style en histoire des sciences, in Jean Gayon, Jean-Claude Gens et Jean Poirier (dir.), La Rhétorique : Enjeux d’une résurgence (Bruxelles : Ousia, 1998), 162-181, 173.
  • [22]
    Anne Fagot-Largeault, Coopérer, en philosophie, in Francesca Merlin & Philippe Huneman (dir.), Philosophie, histoire, biologie : Mélanges offerts à Jean Gayon (Paris : Éd. Matériologiques, 2018), 323-329. Au total, Jean Gayon a publié conjointement avec près de quarante collègues.
  • [23]
    CVA, 65.
  • [24]
    Cette collaboration avec Richard Burian, qui porte sur l’histoire de la génétique en France, constitue, dit-il, « le travail historique qui m’est le plus cher, de très loin » (CVA, 67). C’est avec Burian qu’il a appris à devenir historien des sciences (CVA, 54).
  • [25]
    Philippe Huneman, Jean Gayon (1949-2018), Revue d’histoire des sciences, 71/2 (2018), 311-317.
  • [26]
    Gayon, De l’usage de la notion de style en histoire des sciences, in Gayon, Gens et Poirier (dir.), op. cit. in n. 21, 181.
  • [27]
    CVA, 91.
  • [28]
    « Mais en philosophe de terrain, très précisément en philosophe praticien de l’histoire des sciences, je préfère aller de l’usage à la définition, plutôt que l’inverse. » (Ibid, 165.)
  • [29]
    CVA, 77-78.
  • [30]
    L’expression est de Pascal Engel – communication orale.
  • [31]
    CVA, chap. 6.2.1, 413-422.
  • [32]
    CVA, 69.
  • [33]
    CVA, 253
  • [34]
    CVA, 69, 253.
  • [35]
    Richard M. Burian, Jean Gayon, Doris Zallen, D’un possible style français de recherche en matière d’hérédité (1867-1950), document inédit.
  • [36]
    Burian, Gayon, Zallen, op. cit. in n. 35.
  • [37]
    Ibid.
  • [38]
    Rappelons que le premier à avoir parlé de « style français » en philosophie des sciences fut Canguilhem à propos de Comte (Georges Canguilhem, La philosophie biologique d’Auguste Comte et son influence en France au xixe siècle, in Id., Études d’histoire et de philosophie des sciences (Paris : Vrin, 1994), 63).
  • [39]
    CVA, 89.
  • [40]
    Gayon, The concept of individuality in Canguilhem’s philosophy of biology, Journal of the history of biology, 31 (1998), 305-325. Deux publications de la traduction française suivirent.
  • [41]
    Gayon, Uexküll and Canguilhem. Abstract of a chapter to be published [document inédit].
  • [42]
    CVA, 166.
  • [43]
    CVA, 409-410.
  • [44]
    CVA, 1.
  • [45]
    Gayon, The concept of the gene in contemporary biology : Continuity or dissolution, in Anne Fagot-Largeault, Juan Manuel Torres et Shahid Rahman (éd.), The Influence of genetics on contemporary thinking (Dordrecht : Springer, 2017), 81-95.
  • [46]
    Gayon, La philosophie et la biologie, in Jean-François Mattéi (dir.), Encyclopédie philosophique universelle, vol. IV (Paris : Presses univ. de France, 1998), 2152-2171, 2154.
  • [47]
    « J’espère ne pas avoir pour autant été moins philosophe que mon maître, mais ce n’est pas à moi d’en juger. » (CVA, 1.)
  • [48]
    Anastasios Brenner, Porter l’épistémologie française sur la scène internationale, in Merlin et Huneman (dir.), op. cit. in n. 22, 65-80, 65 et 79.
  • [49]
    CVA, 48-49.
  • [50]
    Dans un entretien récent, Jean Gayon donnait un certain nombre d’exemples de philosophes de la biologie qui accordent une place à l’histoire de la biologie : David Hull, Michael Ruse, John Beatty, James G. Lennox, et lui-même (Gayon, Histoire et philosophie de la biologie, Acta philosophica, 26/1 (2017), 19-32, 23). Cette liste est étonnante car Jean Gayon s’en distingue en ce sens qu’il ne fait pas de la philosophie de la biologie et de l’histoire de la biologie (comme Hull ou Ruse par exemple), mais de la philosophie avec et par l’histoire de la biologie. Cette liste est corrigée dans l’introduction générale rédigée dans les Textes clés de philosophie de la biologie (op. cit. in n. 2), et il se compare désormais à : John Beatty, Jonathan Hodge, James Lennox, Phillip Sloan, Hans-Jörg Rheinberger, François Duchesneau et Jane Maienschein.
  • [51]
    CVA, 53.
  • [52]
    Pierre-Olivier Méthot, Georges Canguilhem et le « problème de l’évolution » dans Le Normal et le pathologique, Revue d’histoire des sciences, 71/2 (2018), 205-241.
  • [53]
    CVA, 459-460. Gayon, Épistémologie de la médecine, in Dominique Lecourt (éd.), Dictionnaire de la pensée médicale (Paris : Presses univ. de France, 2004), 430-439.
  • [54]
    Gayon, Vitalisme et philosophie de la biologie, in Pascal Nouvel (dir.), Repenser le vitalisme (Paris : Presses univ. de France, 2011), 15-31, 30. Dans un autre texte, Jean Gayon au contraire relativise l’autonomie de la biologie : « Il n’y a sans doute pas de différence en nature entre les théories physiques et les théories biologiques. La différence est de degré. » (Gayon, De la portée des théories biologiques, in Thierry Martin (dir.), Problèmes théoriques et pratiques en biologie évolutionnaire – Conférences Duhem (Besançon : Presses univ. de Franche-Comté, 2014), 13-52, 41.)
  • [55]
    « Bref, c’est au nom de sa fécondité heuristique, non de sa vérité ontologique, que la thèse de l’autonomie de la biologie semble aujourd’hui l’emporter. Cette affirmation est sans doute justifiée d’un strict point de vue historique. Nous y ajouterons pour notre part, avec Georges Canguilhem, dont la leçon demeure sur ce point indépassée, que la question centrale de la philosophie biologique (osons ce terme désuet) n’est peut-être pas celle de l’autonomie méthodologique des sciences de la vie, mais celle de la relativité de toute science – et point seulement la science de la vie – par rapport à une “humanité enracinée dans la vie avant que d’être éclairée par la connaissance”. » (Gayon, art. cit. in n. 46, 2163, citant Canguilhem, Le vivant et son milieu, in Id., La Connaissance de la vie, 2eéd. (Paris : Vrin, 1992), 154.)
  • [56]
    Camille Limoges, Introduction, in Georges Canguilhem, Œuvres complètes, t. IV (Paris : Vrin, 2015), 39.
  • [57]
    Il est revenu sur cette question dans de nombreux articles tout au long de sa carrière. Dans son dernier livre, il démontre que ni les lois de Mendel, ni le code génétique, ni le principe de sélection naturelle ne sont des lois (CVA, chap. 3.1.1, 116-127).
  • [58]
    Cf. Gayon, Les biologistes ont-ils besoin du concept de fonction ? Perspectives philosophiques, C. R. Palevol., 5/3-4 (2006), 479-487.
  • [59]
    CVA, 172.
  • [60]
    Gayon, De la mesure à l’ordre : Histoire philosophique du concept d’hérédité, in Gayon, Pradeu (dir.), op. cit. in n. 2, t. 1 [à paraître].
  • [61]
    CVA, 38-47.
  • [62]
    Gayon, Actualité du darwinisme, Bulletin de la Société française de philosophie, CIII (2009), 22.
  • [63]
    Rappelons que si le mot date d’Abel Rey, il n’a été popularisé qu’avec la publication du mémoire de maîtrise de Dominique Lecourt (L’Épistémologie historique de Gaston Bachelard [Paris : Vrin, 1968]), celui-ci précisant qu’il doit cette locution à Georges Canguilhem lui-même (cf. Dominique Lecourt, Georges Canguilhem (Paris : Presses univ. de France, 2008), 51, n. 2).
    Sur l’ambivalence du rapport de Jean Gayon à l’épistémologie historique : cf. PierreOlivier Méthot, De l’épistémologie historique à la philosophie de la biologie : Le double héritage philosophique de Jean Gayon, in Merlin et Huneman (dir.), op. cit. in n. 22, 15-50.
  • [64]
    CVA, 77.
  • [65]
    CVA, 75-77.
  • [66]
    CVA, 100.
  • [67]
    CVA, 102.
  • [68]
    Lucie Laplane et al., Why science needs philosophy, Proceedings of the National Academy of Sciences, 116/10 (2019), 3948-3952.
  • [69]
    CVA, 83, 89.
  • [70]
    CVA, 90. Cf. aussi Michel Bitbol et Jean Gayon, L’Épistémologie française 1830-1940 (Paris : Presses univ. de France, 2006), 12.
  • [71]
    Victor Petit, Bertrand Guillaume, We have never been wild : Towards an ecology of technical milieu, in Bernadette Bensaude-Vincent, Xavier Guchet, Sacha Loeve (dir.), French philosophy of technology (Springer, 2018), 81-100, 82.
  • [72]
    CVA, 108-109.
  • [73]
    CVA, 456.
  • [74]
    CVA, 174.
  • [75]
    Gayon, Hérédité des caractères acquis, in Pietro Corsi, Jean Gayon, Gabriel Gohau et Stépahne Tirard, Lamarck, philosophe de la nature (Paris : Presses univ. de France, 2006), 105-163. Outre ce texte, on peut citer : Gayon, The contributions – and collapse – of Lamarckian heredity in Pasteurian molecular biology : 1. Lysogeny, 1900-1960 (en collab. avec Laurent Loison et Richard M. Burian), Journal of history of biology, 50 (2017), 5-52.
  • [76]
    Burian, Gayon, Zallen, art. cit. in n. 35, citant Peter J. Bowler, The Eclipse of Darwinism (Baltimore : Johns Hopkins Univ. Press, 1983).
  • [77]
    CVA, 273.
  • [78]
    Gayon, « Histoire et épistémologie de la théorie synthétique de l’évolution (19301950) : Projet et programme de travail présenté à la commission de philosophie, d’épistémologie et d’histoire des sciences du CNRS (1984) », inédit, 50.
  • [79]
    Gayon, From Darwin to today in evolutionary biology, in Jonathan Hodge & Gregory Radick (éd.), The Cambridge Companion to Darwin (Cambridge : Cambridge Univ. Press, 2003), 240-264, 240.
  • [80]
    CVA, 77.
  • [81]
    Cf. notamment Gayon, Sélection naturelle ou survie des plus aptes ? Éléments pour une histoire du concept de fitness dans la théorie évolutionniste, in Claude Blanckaert, Jean-Louis Fischer, Roselyne Rey (éd.), Hommage à Jacques Roger (Paris : Klincksieck, 1995), 263-287.
  • [82]
    CVA, 292.
  • [83]
    Gayon, op. cit. in n. 3, 24.
  • [84]
    Elliott Sober, Two outbreaks of lawlessness in recent philosophy of biology, Philosophy of science, 64 (1996) (Proceedings), S458-S467, en particulier S458-459.
  • [85]
    Gayon, art. cit. in n. 54 (2014).
  • [86]
    CVA, 295.
  • [87]
    CVA, 123, 290-297.
  • [88]
    Jean Gayon s’inspire de la notion de contrainte proposée par : Giuseppe Longo & Maël Montévil, Perspectives on organisms : Biological time, symmetries and singularities (Springer, 2014), et Maël Montévil & Matteo Mossio, Biological organisation as closure of constraints, Journal of theoretical biology, 372 (2015), 179-191.
  • [89]
    Cf. Maël Montévil, De l’œuvre de Turing aux défis contemporains pour la compréhension mathématique du vivant, Intellectica [à paraître]. Nous remercions l’auteur de nous avoir communiqué ce texte.
  • [90]
    Gayon, Réflexions sur l’individualité biologique, in Joseph Kouneiher (dir.), Vers une nouvelle philosophie de la nature : Actualités mathématiques, physiques et biologiques (Paris : Hermann, 2010), 215-222, 220.
  • [91]
    Gayon, De l’économie à la biologie et retour : La sélection naturelle, in Thierry Martin (dir.), L’Unité des sciences aujourd’hui (Paris : Vuibert, 2009), 13-25.
  • [92]
    Gayon, L’espace et le temps de l’évolution : Une philosophie du devenir ?, Transversalités, n° 114 (2010), 163-189, 179.
  • [93]
    Gayon, Biologie et philosophie de la biologie : Paradigmes, in Thierry Hoquet et Francesca Merlin (dir.), Précis de philosophie de la biologie (Paris : Éditions Vuibert, 2014), 11-24, 19-21.
  • [94]
    Cf. Gayon, La biologie entre loi et histoire, Philosophie, 38 (1993), 30-57 ; Id., De la biologie comme science historique, Les Temps modernes, n° 630-631 (2005), 55-67.
  • [95]
    Gayon, De la biologie comme science historique : Cournot, in Thierry Martin (dir.), Actualité de Cournot (Paris : Vrin, 2005).
  • [96]
    CVA, 122.
  • [97]
    Jean Gayon & Maël Montévil, Repetition and reversibility in evolution : Theoretical population genetics, in Christophe Bouton et Philippe Huneman (éd.), Time of nature and the nature of time (Boston : Springer, 2017), 275-314.
  • [98]
    CVA, 79.
  • [99]
    CVA, 79-80.
  • [100]
    CVA, 283, souligné par l’auteur.
  • [101]
    Sa thèse se terminait par ces mots : « La théorie neutraliste de l’évolution moléculaire, qui n’est aucunement une théorie neutraliste de l’évolution tout court, est la dernière en date des réhabilitations de Darwin. » (Gayon, op. cit. in n. 3, 508).
  • [102]
    Précisons que le scepticisme de Jean Gayon concerne plus généralement l’idée que l’épigénétique puisse constituer un nouveau paradigme : « Je suis assez sceptique lorsque je vois certains de mes collègues et de mes étudiants qui s’enthousiasment pour des modes de pensée “néo-lamarckiens” qu’on pensait disparus. » (CVA, 365.)
  • [103]
    Il semble aborder la crise écologique avec la distance de l’évolutionniste, sans égard aux conditions économico-politiques de son énonciation et de sa résolution (CVA, 469-472).
  • [104]
    Gayon, Philosophy of biology : An historico-critical characterization, in Anastasios Brenner et Jean Gayon (éd.), French studies in philosophy of science : Contemporary research in France (Springer, 2009), 201-212 ; Thomas Pradeu, Thirty years of biology & philosophy : Philosophy of which biology ?, Biology and philosophy, 32/2 (2017), 149-167.
  • [105]
    Gayon, art. cit. in n. 93, 23.
  • [106]
    Gayon, Psychologie et idéologie : Histoire d’une interférence, in Paul Mengal et Françoise Parot (éd.), La Fabrique, la figure et la feinte : Fictions et statut des fictions en psychologie (Paris : Vrin, 1989), 147-174.
  • [107]
    Gayon, Agriculture et agronomie dans Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert, Littérature, n° 109 (1998), 59-73.
  • [108]
    Gayon, L’Institut d’histoire des sciences, Cahiers Gaston Bachelard, n° 14 (2016), 15-63.
  • [109]
    Cf. Gayon, « Du lycée comme structure républicaine » (1993), inédit ; Id., Épilogue, in Hubert Hannoun et Anne-Marie Drouin-Hans (dir.), Pour une philosophie de l’éducation (Dijon : CRDP de Bourgogne, 1994), 361-366 ; Id., L’enseignement de la philosophie dans les universités américaines, in Claude Debru et Jean-Jacques Wunenburger (dir.), La Recherche philosophique et l’organisation des masters en France et en Europe (Paris : L’Harmattan, 2005), 113-127.
  • [110]
    Gayon, De la liberté de l’information scientifique, in Éveline Pinto (dir.), Pour une analyse critique des médias : Le débat public en danger (Paris : Éd. du Croquant, 2007), 159-173.
  • [111]
    CVA, 302.
  • [112]
    Jean Gayon a fait un exposé sur « Idéologie et vérité » le 2 décembre 1971, à la Sorbonne, dans le cadre de la préparation à la grande leçon d’agrégation, devant Canguilhem qui était en charge d’une partie de cette préparation. Jean Gayon s’était porté volontaire. Le texte de son exposé, comme l’ensemble de son œuvre, est consultable aux archives rassemblées par l’Institut Pasteur.
  • [113]
    CVA, 418.
  • [114]
    « Non seulement Darwin et Wallace ont illustré des potentialités théoriques différentes du darwinisme, non seulement ils ont pris des positions opposées sur la question de l’évolution de l’homme, mais encore ils ont montré par l’exemple que le darwinisme n’était pas intrinsèquement lié à une vision politique homogène. » (CVA, 268.)
  • [115]
    CVA, 402.
  • [116]
    « Les notions usuelles d’idéologie et d’utopie me paraissent beaucoup plus utiles que celle d’idéologie scientifique pour comprendre l’eugénisme. » (CVA, 381.)
  • [117]
    CVA, 392.
  • [118]
    CVA, 376.
  • [119]
    Gayon, Darwinisme et philosophie, in Michel Meulders, Marc Crommelinck et Bernard Feltz (éd.), Pourquoi la science ? : Impact et limites de la recherche (Seyssel : Champ Vallon, 1996), 27-39, 39.
  • [120]
    Gayon, Darwinisme et métaphysique, in Maryvonne Perrot et Jean-Jacques Wunenburger (dir.), Une philosophie cosmopolite : Hommage à Jean Ferrari (Dijon : Centre Gaston Bachelard de recherches sur l’imaginaire et la rationalité, université de Bourgogne, 2001), 161-177, 177.
  • [121]
    Ibid.
  • [122]
    David Hull, A matter of individuality, Philosophy of science, 45 (1978), 335-360.
  • [123]
    Gayon, Présentation de la section « Concept d’espèce », in Gayon, Pradeu (dir.), op. cit. in n. 2, t. 2.
  • [124]
    Ce sont les derniers mots de l’article de David Hull, art. cit. in n. 122.
  • [125]
    Gayon, Les espèces et les taxons monophylétiques sont-ils des individus ?, in Pascal Ludwig et Thomas Pradeu (dir.), L’Individu : Perspectives contemporaines (Paris : Vrin, 2008), 128-150, 149-150.
  • [126]
    Gayon, Biologie et humanité de l’homme, in Dominique Lecourt (dir.), La Biologie est-elle un humanisme ? (Paris : Presses univ. de France, 1999), 23-36.
  • [127]
    Gayon, Le philosophe et la notion de race, L’Aventure humaine, n° 8 (1997), 19-43, 42.
  • [128]
    Ibid., 43.
  • [129]
    CVA, 213-214, 217.
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