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Article de revue

Réflexion épistémologique sur le patrimoine industriel : de la pluridisciplinarité à l’interdisciplinarité

Pages 309 à 347

Notes

  • [1]
    Parmi les textes officiels récents proposant une définition du patrimoine industriel figurent les « Principes de Dublin » dont voici un extrait : « Au patrimoine matériel lié aux procédés et techniques de l’industrie, du génie civil, de l’architecture ou de l’urbanisme, s’ajoute un patrimoine immatériel lié aux savoir-faire, à la mémoire ou à la vie sociale des ouvriers et de leurs communautés. Le processus global d’industrialisation observé au cours des deux derniers siècles constitue une étape majeure de l’histoire humaine et son patrimoine revêt une importance significative dans le monde contemporain. » (Extrait des principes conjoints ICOMOS-TICCIH (International Council on Monuments and Sites – The International Committee for the Conservation of the Industrial Heritage) pour la conservation des sites, constructions, aires et paysages du patrimoine industriel, dits « Principes de Dublin » ; texte adopté par la première assemblée générale de l’ICOMOS, le 28 novembre 2011.)
  • [2]
    Parmi les travaux portant un regard épistémologique et/ou historiographique, voir notamment :
    • Jean-Yves Andrieux, Le Patrimoine industriel (Paris : PUF, 1992).
    • Id., Politiques du patrimoine industriel en France (1972-2000) : Bilan et perspectives, in Philippe Poirrier et Loïc Vadelorge (dir.), Pour une histoire des politiques du patrimoine (Paris : Comité d’histoire du ministère de la Culture – Fondation Maison des sciences de l’homme – La Documentation française, 2003), 452-468.
    • Louis Bergeron et Gracia Dorel-Ferré, Le Patrimoine industriel, un nouveau territoire (Paris : Liris, 1996).
    • Louis Bergeron, L’âge industriel, in Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire (Paris : Gallimard, 1997), 3973-3997.
    • Claudine Cartier, L’Héritage industriel, un patrimoine (Paris : Monum’ éditions du patrimoine, 2002).
    • Jean-Claude Daumas (dir.), La Mémoire de l’industrie : De l’usine au patrimoine (Besançon : PUFC, 2006).
    • Maurice Daumas (dir.), Les Bâtiments à usage industriel aux xviiie et xixe siècles en France (Paris : CDHT, Cnam-EHESS, 1978).
    • Maurice Daumas, L’Archéologie industrielle en France (Paris : Robert Laffont, 1980).
    • Gracia Dorel-Ferré (dir.), Le patrimoine industriel, Historiens et géographes (2009).
    • Marina Gasnier, Patrimoine industriel et technique : Perspectives et retour sur 30 ans de politiques publiques au service des territoires (Lyon : Lieux Dits, 2011).
    • Denis Woronoff, L’archéologie industrielle en France : Un nouveau chantier,
      Histoire, économie et société, 8/3 (1989), 447-458.
    • Id., Histoire contemporaine et patrimoine des xixe siècle et xxe siècle : Bilan et perspectives historiographiques, Bulletin d’information de l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche, 30 (2005), 6-10.
  • [3]
    Dès les années 1940 en Angleterre.
  • [4]
    Aloïs Riegl, Le Culte moderne des monuments : Son essence et sa genèse [1903] (Paris : Seuil, 1984). Voir également la récente traduction du texte de Riegl par Matthieu Dumont et Arthur Lochmann aux éditions Alia (2016).
  • [5]
    Bien entendu, nombre d’ouvrages et d’articles étudiant la notion de patrimoine ont été rédigés par la suite. Parmi eux, citons :
    • Jean-Yves Andrieux et Fabienne Chevallier, Le Patrimoine monumental : Sources, objets et représentations (Rennes : PUR, 2014).
    • André Chastel, La notion de patrimoine, in Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire (Paris : Gallimard, 1997), 1433-1469.
    • Jean-Pierre Babelon et André Chastel, La Notion de patrimoine (Paris : Lévi, 1994).
    • Françoise Choay, L’Allégorie du patrimoine (Paris : Seuil, 1992).
  • [6]
    Nathalie Heinich, Des valeurs : Une approche sociologique (Paris : Gallimard, 2017).
  • [7]
    De ce point de vue, la démarche a connu quelques expérimentations pionnières au début des années 2000. Voir : Michel Cotte et Samuel Deniaud, CAO et patrimoine, perspectives innovantes, L’Archéologie industrielle en France, 46 (juin 2005), 32-38.
  • [8]
    Woronoff (1989), op. cit. in n. 2, 448.
  • [9]
    Ibid., 447.
  • [10]
    Voir le numéro spécial dédié au sujet : L’Archéologie industrielle en France, 11 (1985).
  • [11]
    Denis Woronoff, L’Industrie sidérurgique en France pendant la Révolution et l’Empire (Paris : Éd. de l’EHESS, 1984).
  • [12]
    Pour une liste exhaustive des publications sur le patrimoine industriel suscitées par l’Inventaire général entre 1983 et 2012, voir : Gasnier, op. cit. in n. 2, 288-292.
  • [13]
    Sur l’histoire du Comité d’information et de liaison pour l’archéologie, l’étude et la mise en valeur du patrimoine industriel (CILAC), voir le numéro spécial : 30 ans de patrimoine industriel en France, L’Archéologie industrielle en France, 45 (2004).
  • [14]
    En collaboration avec le Centre de création industrielle (CCI), l’architecte Vincent Grenier réalise, en 1973, une exposition itinérante intitulée « L’usine, travail et architecture », initialement présentée au musée des Arts décoratifs. Elle sera suivie deux ans plus tard d’une autre exposition, « Le paysage de l’industrie », initiée par les Archives d’architecture moderne, à Paris.
  • [15]
    Lise Grenier et Hans Wieser-Benedetti, Recherches sur l’architecture de la région lilloise de 1830 à 1930 : Les châteaux de l’industrie (Paris-Bruxelles : Archives d’architecture moderne et ministère de l’Environnement et du Cadre de vie, 1979).
  • [16]
    En Italie, Gabriele Basilico a réalisé une série de portraits d’usines milanaises et s’est attaché à révéler les paysages industriels du Biellese, territoire spécialisé dans la confection des tissus de laine de luxe diffusés mondialement.
  • [17]
    Aux États-Unis, voir les réalisations de photographes tels que Joseph Elliot, Serge Hambourg ou encore Sandy Noyes.
  • [18]
    À l’initiative de la Cellule du patrimoine industriel installée, en 1983, à la direction de l’Architecture et du Patrimoine auprès du ministère de la Culture.
  • [19]
    Pour une histoire de la politique nationale menée par l’Inventaire général dans le domaine du patrimoine industriel et technique depuis les années 1980, voir : Gasnier, op. cit. in n. 2.
  • [20]
    Daumas (1978), op. cit. in n. 2.
  • [21]
    Daumas (1980), op. cit. in n. 2.
  • [22]
    Plus de 13 500 sites industriels ont été étudiés par l’Inventaire général dans le cadre du Repérage national du patrimoine industriel.
  • [23]
    À titre d’exemples :
    • Robert Belot et Pierre Lamard, Images de l’industrie xixe-xxe siècles (Antony : ETAI, 2011).
    • Nicolas Pierrot, « Les images de l’industrie en France : Peintures, dessins, estampes, 1760-1870 », thèse de doctorat en histoire (univ. de Paris I, 2010), vol. I.
    • Denis Woronoff, La France industrielle : Gens des ateliers et des usines 1890-1950 (Paris : Chêne, 2003).
    • Id., Histoire de l’emballage en France du xviiie siècle à nos jours (Presses universitaires de Valenciennes, 2015).
  • [24]
    À titre d’exemples :
    • Louis André, Machines à papier : Innovation et transformations de l’industrie papetière en France, 1798-1860 (Paris : Éd. de l’EHESS, 1996).
    • Catherine Cardinal, Liliane Hilaire-Pérez, Delphine Spicq et Marie Thébaud-Sorger (dir.), L’Europe technicienne xve-xviiie siècle, Artefact : Techniques, histoire et sciences humaines, 4 (2016).
    • Michel Cotte, Le patrimoine technique de l’époque moderne, aperçu d’un monde en transition, Artefact : Techniques, histoire et sciences humaines, 4 (2016), 371-383.
    • Anne-Françoise Garçon, Mine et métal (1780-1880) : Les non-ferreux et l’industrialisation (Rennes : PUR, 1998).
    • Id. et Liliane Hilaire-Pérez (dir.), Les Chemins de la nouveauté : Innover, inventer au regard de l’histoire (Paris : CTHS, 2004).
    • Liliane Hilaire-Pérez, L’Invention technique au siècle des Lumières (Paris : Albin Michel, 2000).
    • Jean-Marc Olivier, Des clous, des horloges et des lunettes : Les campagnards moréziens en industrie (1780-1914) (Paris : CTHS, 2004).
    • Voir également la revue Documents pour l’histoire des techniques (CDHTE-Cnam).
  • [25]
    Parmi lesquelles :
    • Robert Belot et Pierre Lamard, Peugeot à Sochaux : Des hommes, une usine, un territoire (Paris : Lavauzelle, 2007).
    • Id. (dir.), Alstom à Belfort : 130 ans d’aventure industrielle (Boulogne-Billancourt : ETAI, 2009).
    • Évelyne Lohr, Geneviève Michel et Nicolas Pierrot (dir.), Les Grands moulins de Pantin : L’usine et la ville (Lyon : Lieux Dits, 2009).
  • [26]
    En dehors de quelques exceptions dont Jean-Pierre Houssel, professeur émérite engagé très tôt auprès du CILAC.
  • [27]
    Pour ne citer que quelques exemples :
    • Guy Di Méo, Patrimoine et territoire, une parenté conceptuelle, Espaces et sociétés, 78 (1994), 15-34.
    • Simon Edelblutte, Paysages et territoires du patrimoine industriel au Royaume-Uni, Revue géographique de l’Est, 48/1-2 (2008) [en ligne].
    • Id., Paysages et territoires de l’industrie en Europe : Héritages et renouveaux (Paris : Ellipses, 2010).
    • Isabelle Garat, Maria Gravari-Barbas et Vincent Veschambre, Émergence et affirmation du patrimoine dans la géographie française : La position de la géographie sociale, in Jean-Marc Fournier (dir.), Faire la géographie sociale aujourd’hui (Caen : Presses univ. de Caen, 2001), 31-40.
    • Georges Gay, L’impossible palimpseste industriel, L’Archéologie industrielle en France, 61 (2012), 11-19.
    • Maria Gravari-Barbas et Sylvie Guichard-Anguis (dir.), Regards croisés sur le patrimoine dans le monde à l’aube du xxie siècle (Paris : Presses de l’univ. de ParisSorbonne, 2003).
    • Vincent Veschambre, Patrimoine : Un objet révélateur des évolutions de la géographie et de sa place dans les sciences sociales, Annales de géographie, 116/656-4 (2007), 361-381.
    • Id., Traces et mémoires urbaines : Enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition (Rennes : PUR, 2008).
  • [28]
    Michel Rautenberg, Patrimoines culturel et naturel : Analyse des patrimonialisations, in Hana Gottesdiener et Jean Davallon (dir.), La Muséologie, 20 ans de recherches, hors-série de Culture et musées (Arles : Actes Sud, 2013), 115-138 ; Id., Stratégies identitaires de conservation et de valorisation du patrimoine (Paris : L’Harmattan, 2008).
  • [29]
    Fernand Braudel, Histoire et sciences sociales : La longue durée, Annales ESC, 13/4 (1958), 7-35, ici 35.
  • [30]
    Patrick Boucheron, L’Entretemps : Conversations sur l’histoire (Lagrasse : Verdier, 2012).
  • [31]
    Convention du patrimoine mondial de l’UNESCO, 1972.
  • [32]
    Pour plus d’informations, voir :
    • Cesare Brandi, Théorie de la restauration [1963], trad. fr. Colette Déroche (Paris : Éd. du patrimoine – Institut national du patrimoine, 2001).
    • Renato Bonelli, Architettura e restauro (Venise : Neri Pozza, 1959).
    • Les Dilemmes de la restauration, CeROArt, revue électronique, 4 (2009).
  • [33]
    Jean-Yves Andrieux et Fabienne Chevallier, Le Patrimoine monumental : Sources, objets et représentations (Rennes : PUR, 2014).
  • [34]
    Pour plus d’informations, voir :
    • Séverine Derolez, « La patrimonialisation des objets scientifiques contemporains et leurs contextes de valorisation. Cas de l’accélérateur de particules CockcroftWalton », thèse de doctorat en didactique, histoire et épistémologie des sciences (univ. de Lyon, 2016).
    • Rémy Geindreau, Séverine Derolez et Jean-Paul Martin, Enquête sur l’environnement socio-technique d’un générateur Cockcroft-Walton en vue de sa restauration, de sa conservation et de sa patrimonialisation, In Situ : Revue des patrimoines, revue électronique, 29 (2016).
  • [35]
    Pour la valeur esthétique des lieux d’industrie, voir notamment : Michel Melot, Comment la beauté vient aux usines, L’Archéologie industrielle en France, 46 (2005), 4-9.
  • [36]
    Riegl, op. cit. in n. 4, 51.
  • [37]
    Voir les travaux initiés au début des années 2000 par Michel Cotte, aujourd’hui professeur honoraire d’histoire des techniques, et Florent Laroche, maître de conférences HDR au laboratoire LS2N (École centrale de Nantes). Depuis, ces recherches bénéficient de regards et d’actions complémentaires, parmi lesquels il faut notamment compter la collaboration de Jean-Louis Kerouanton et Sylvain Laubé au Centre François Viète (université de Nantes et UBO) ; les travaux de l’équipe « Usines 3D » de l’université d’Évry avec Alain-P. Michel et Robert Vergnieux (en particulier Virtual retrospect 2009) ; les activités de l’équipe d’Archeovision (UMS 3657) à l’université de Bordeaux ; celles de l’université de technologie de Belfort-Montbéliard : voir en ligne, à titre d’exemple, la modélisation 3D du marteau-pilon du Creusot effectuée par des étudiants et reprise par une société de production pour la muséographie du Pavillon de l’Industrie (http://www.afbourdon.com/centre-dinterpretation/).
    Pour plus d’informations sur la rétroconception (reverse-engineering), voir :
    • Michel Cotte et Florent Laroche, Le virtuel pour capitaliser notre patrimoine technique et industriel, in Actes numériques du symposium scientifique « Patrimoine, moteur de développement » de l’ICOMOS (Paris, 2011), 999-1005.
    • Michel Cotte, Les outils numériques au service de l’histoire des techniques, e-Phaïstos, revue d’histoire des techniques, I/2 (2012), 12-27.
    • Florent Laroche, « Contribution à la sauvegarde des objets techniques anciens par l’archéologie industrielle avancée : Proposition d’un modèle d’information de référence muséologique et d’une méthode interdisciplinaire pour la capitalisation des connaissances du patrimoine technique et industriel », thèse de doctorat en génie mécanique (École centrale de Nantes, 2007), vol. I.
    • Id., Michel Cotte, Jean-Louis Kerouanton et Alain Bernard, L’image virtuelle comme source de connaissance pour le patrimoine technique et industriel : Comment allier histoire et ingénierie ?, in Bertrand Lavédrine (dir.), Genres et usages de la photographie, Actes du 132e congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Arles, 2007, éd. électronique (CTHS, 2009), 53-64.
    • Alain Michel, La reconstitution virtuelle d’un atelier de Renault-Billancourt : Sources, méthodologie et perspectives, Documents pour l’histoire des techniques, 18 (2009), 23-36.
    • Dossier thématique La numérisation du patrimoine technique de Documents pour l’histoire des techniques, 18 (2009), en particulier le premier travail de synthèse du domaine :
      Michel Cotte, Les techniques numériques et l’histoire des techniques : Le cas des maquettes virtuelles animées, ibid., 7-21.
    • Benjamin Hervy, « Contribution à la mise en place d’un PLM muséologique dédié à la conservation et la valorisation du patrimoine : Modélisation et intégration de données hétérogènes sur un cycle de vie produit complexe », thèse en sciences de l’ingénieur (École centrale de Nantes, 2014).
    Si l’apport des outils numériques dans l’étude et la valorisation du patrimoine industriel et technique n’est pas l’objet de cet article, il convient toutefois de souligner la dynamique de recherche engagée dans ce domaine avec quelques foyers très actifs, dont témoigne le projet ANR ReSeed, en cours. Enfin au-delà du patrimoine industriel, ces technologies sont plus largement utilisées en histoire et en archéologie comme l’illustrent, à l’échelle internationale, l’opération Venice Time Machine et ses déclinaisons à Amsterdam, Paris, Budapest, Naples ou encore Nuremberg, comme objet de recherche et de médiation culturelle.
  • [38]
    Laroche (2007), op. cit. in n. 37.
  • [39]
    Riegl, op. cit. in n. 4, 26.
  • [40]
    René Rémond, Le contemporain du contemporain, in Pierre Nora (dir.), Essais d’égohistoire (Paris : Gallimard, 1987), 293-349.
  • [41]
    Braudel, op. cit. in n. 29, 32.
  • [42]
    À la fin de cet extrait, l’auteur fait référence à l’inventaire exhaustif des monuments autrichiens qu’il a dressé. Riegl, op. cit. in n. 4, 44.
  • [43]
    Bertrand Gille, Histoire des techniques (Paris : Gallimard, 1978).
  • [44]
    Notamment lors d’une collaboration étroite entre deux services du ministère de la Culture : l’Inventaire général et les Monuments historiques, mais aussi dans le cadre du rapport Loiseau et de la commission Varloot (instituée par la direction de l’Architecture et du Patrimoine). Pour plus d’informations, voir : Gasnier, op. cit. in n. 2.
  • [45]
    Celle-ci eut la préférence des précurseurs anglais qui s’approprièrent le champ vingt ans auparavant, dès le milieu des années cinquante (Michael Rix, université de Birmingham, et Kenneth Hudson, senior lecturer in adult studies à l’université de Bath, et à l’origine du Journal of industrial archaeology édité à partir de 1964).
  • [46]
    Pour revisiter l’histoire de ces échanges, voir :
    • Pierre-Yves Balut, L’archéologie buissonnière : 2. L’archéologie industrielle, RAMAGE, 3 (1984-1985), 243-258.
    • Maurice Daumas, L’archéologie industrielle : Ses méthodes, ses succès, ses limites, RAMAGE, 1 (1982), 37-47.
    • Serge Chassagne, L’élargissement d’un concept : De l’archéologie (industrielle) au patrimoine (industriel), Le Mouvement social, 199 (2002/2), 7-9.
  • [47]
    Sur le thème de la reconversion, voir le numéro 49 de L’Archéologie industrielle en France (déc. 2006).
  • [48]
    Jocelyn de Noblet, Étude sur la situation de la culture technique en France (Paris : Ministère de l’Industrie, groupe ethnotechnologie – Bureau national d’information scientifique et technique, 1979).
  • [49]
    Gasnier, op. cit. in n. 2, 97.
  • [50]
    Toutefois, dans ce processus, Riegl révèle avec intelligence les limites et le paradoxe du culte lié à la valeur d’ancienneté, dans la mesure où celui-ci conduit à la disparition irrémédiable de l’œuvre. En effet, l’historien de l’art montre que cette dernière est une création livrée aux lois de la nature ; elle ne supporte aucune autre intervention, au risque d’en altérer le sens originel, pas même à des fins de restauration. En ce sens, toute intervention sur l’objet a des effets destructeurs, qu’il s’agisse de l’action de la nature ou du geste artificiel de l’homme. Pour plus d’informations sur cette réflexion analysée dans le cadre de la reconversion patrimoniale contemporaine, voir : Marina Gasnier, Le Patrimoine industriel au prisme de nouveaux défis : Usages économiques et enjeux environnementaux (Besançon : Presses univ. de Franche-Comté, 2018).
  • [51]
    Même si l’architecture industrielle est avant tout guidée par des logiques purement fonctionnelles, celle-ci est loin d’être dénuée de toute préoccupation esthétique, comme en témoignent les « châteaux de l’industrie ».
  • [52]
    Pour plus d’informations sur les processus de reconversion du patrimoine industriel et le geste architectural, voir : Gasnier, op. cit. in n. 50.
  • [53]
    Pour plus d’informations, voir :
    • Philippe Mioche et Denis Woronoff, Le patrimoine sidérurgique en Lorraine : Un enjeu d’avenir, L’Archéologie industrielle en France, 27 (1995), 8-20.
    • Jean-Louis Tornatore, Beau comme un haut-fourneau : Sur le traitement en monument des restes industriels, L’Homme, Revue française d’anthropologie, 170/2 (2004), 79-116.
  • [54]
    Heinich, op. cit. in n. 6.
  • [55]
    Riegl, op. cit. in n. 3, 99-101.
  • [56]
    Pour plus d’informations sur la reconversion du patrimoine industriel et les nouveaux usages économiques, voir : Gasnier, op. cit. in n. 50.
  • [57]
    Aldo Rossi, Autobiographie scientifique (Marseille : Parenthèses, 2010).
  • [58]
    Pour plus d’informations sur ce sujet, voir : Edelblutte (2010), op. cit. in n. 27.
  • [59]
    Rossi, op. cit. in n. 58, 34.
  • [60]
    Selon l’expression de Nathalie Heinich, op. cit. in n. 6.
  • [61]
    Se reporter à la « Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte », publiée au Journal officiel du 18 août 2015, titre II : « Mieux rénover les bâtiments pour économiser l’énergie ».
  • [62]
    Woronoff (1989), op. cit. in n. 2, 447.
  • [63]
    Pour plus d’informations, voir : Gasnier, op. cit. in n. 50.
  • [64]
    À cet égard, le GIEC indique que la mobilisation en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique doit aussi s’exercer à l’échelle régionale, voire locale. L’instauration de liens entre les politiques climatiques nationales et infranationales est signalée comme un moyen à ne pas négliger pour optimiser l’atténuation du changement climatique. En ce sens, le rôle clé des institutions politiques locales et du secteur privé est de plus en plus reconnu pour favoriser l’adaptation des communautés et de la société civile à ce nouveau paradigme. Voir : Changements climatiques 2014, 5e rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Genève : GIEC, 2015).
  • [65]
    Inscription sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO, au titre de paysage culturel évolutif vivant, le 30 juin 2012 (UNESCO, 36e session du comité du patrimoine mondial, du 24 juin au 6 juillet 2012, à Saint-Pétersbourg).
  • [66]
    Au sujet de la notion de paysage industriel, voir :
    • Catherine Chaplain-Manigand et Antony Guido (coord.), Les Paysages de l’industrie, compte rendu des journées d’études, Montpellier, INSET, 2-4 avril 2014 (Paris : Minist. de la Culture et de la Communication, 2014).
    • François Crouzet, Naissance du paysage industriel, Histoire, économie et société, 16/3 (1997), 419-438.
  • [67]
    Notamment Jean-Baptiste Fressoz, Frédéric Graber, Thomas Leroux, Michel Letté, Fabien Locher, François Jarrige ou encore Arnaud Péters.
  • [68]
    Voir les travaux d’Hélène Melin, socio-anthropologue au laboratoire Clersé (UMR 8019, CNRS – université de Lille.
  • [69]
    Se reporter aux expérimentations menées sur les anciens sites industriels de La Condition publique, à Roubaix ; de l’Union, à Lille ; et de Giat Industries, actuellement Novaciéries, à Saint-Chamond.
  • [70]
    André Guillerme, Une spécificité de l’histoire, in Robert Carvais et al. (dir.), Édifice & artifice : Histoires constructives (Paris : Picard, 2010), 1218.
  • [71]
    Ces recherches réunissent, au sein de l’institut FEMTO-ST (UMR 6174), les équipes, en sciences humaines et sociales : RÉCITS (univ. de technologie de Belfort-Montbéliard – UTBM), et en sciences de l’ingénierie : Thermie, du département Énergie (univ. de Franche-Comté – UFC). D’ores et déjà, voir :
    • Jawad Jamal et al., « Méthodologie pour une meilleure connaissance des matériaux du patrimoine industriel », actes du CNRIUT, 2017 (https://cnriut2017.sciencesconf.org).
    • Marina Gasnier et Yacine Aït Oumeziane, Les enjeux d’une recherche autour des matériaux du patrimoine industriel, Patrimoine industriel, 68 (2016), 22-25.
  • [72]
    Ivan Jablonka, L’Histoire est une littérature contemporaine : Manifeste pour les sciences sociales (Paris : Seuil, 2014).
  • [73]
    Jablonka, op. cit. in n. 72.
  • [74]
    Cette ambition rejoint les recommandations formulées dans les « Principes de Dublin » (op. cit. in n. 1) : « Le patrimoine industriel est très vulnérable, menacé de disparaître faute de sensibilité, de connaissance, de reconnaissance ou de protection, sous l’effet d’une économie en mutation, de perceptions négatives, d’enjeux environnementaux ou de sa propre taille ou complexité. La conservation du patrimoine bâti industriel prolonge pourtant la vie utile des constructions et de l’investissement énergétique qu’elles représentent. Sa contribution à la réalisation des objectifs du développement durable local, national et international, à ses dimensions sociales, physiques ou environnementales du développement doit être reconnue. »

1Depuis son émergence en France au milieu des années 1970, le patrimoine industriel a été pensé, défini [1] et étudié. Les nombreux travaux qui lui ont été consacrés ont su révéler sa spécificité comme sa complexité. Témoignage tangible du monde du travail, il se caractérise par des composantes techniques et architecturales jusqu’alors ignorées des milieux institutionnels scientifique et culturel. Le patrimoine industriel recouvre tout autant une valeur immatérielle relative aux gestes, aux savoirs et savoir-faire transmissibles par la mémoire orale. Véritable artefact de l’histoire des techniques, cet héritage est longtemps resté à la marge du patrimoine dit « classique », avant d’intégrer progressivement le vaste champ des biens culturels français pour acquérir une reconnaissance, somme toute encore relative, auprès des institutions et du grand public. Si l’expression s’est certes démocratisée au rythme de la dilatation patrimoniale observée depuis les années 1980, si l’on ne peut nier un accroissement de sa valorisation, il demeure un objet encore faiblement représenté et étudié au sein des sciences humaines et sociales. Il est, en outre, un patrimoine encore bien souvent menacé de destruction, d’où la nécessité de poursuivre les travaux pour favoriser davantage sa compréhension et sa reconnaissance auprès du plus grand nombre.

2Dès le début, le patrimoine industriel a été perçu comme un objet d’étude pluridisciplinaire relevant de l’histoire de l’architecture, de l’archéologie, de l’histoire économique, sociale et des techniques ou encore de l’ethnologie. À partir des années 1990, il a commencé à s’enrichir d’articles et d’ouvrages venant étoffer sa définition et portant un regard historiographique sur le contexte de son émergence, en France comme à l’étranger. Le propos n’a donc pas vocation à revenir sur cet aspect déjà bien balisé [2]. En revanche, au regard des quarante années de travaux désormais écoulées, il paraît légitime de s’interroger sur l’influence de cette production scientifique sur l’état actuel de la recherche dans ce domaine. En effet, étudier ce patrimoine revient à inscrire le champ dans une histoire matérielle de la civilisation industrielle dont la méthodologie croise les observations tirées de l’enquête de terrain et les informations collectées dans les sources d’archives complétées, le cas échéant, par la mémoire orale. Il s’agit de la démarche de l’archéologie industrielle telle qu’elle fut instaurée dès la fin des années 1970 en France [3]. Or s’il est incontestable que le patrimoine industriel ne peut être étudié avec toute la rigueur scientifique qu’il requiert sans enquête de terrain approfondie et sans recourir aux archives, peut-être l’application stricto sensu de cette méthode minutieuse l’a-t-elle aussi soustrait à toute entreprise de théorisation relative à l’évolution de sa réception et donc à son aptitude au renouvellement, ainsi qu’au sens de la mutation d’un objet technique en objet patrimonial. Au fil des décennies, la double démarche archéologique et historique s’est certes enrichie de nouveaux regards disciplinaires, toutefois, malgré l’apport incontestable de ces derniers, la question précédemment posée reste entière. La voie empruntée ici pour tenter d’y répondre consiste à soumettre l’objet à l’examen des valeurs patrimoniales qui lui sont associées. Pour ce faire, il est question de revisiter la notion de patrimoine industriel sous un versant inédit, en sollicitant la pensée de l’historien de l’art autrichien Aloïs Riegl (1858-1905). Bien que plus d’un siècle se soit écoulé depuis la rédaction de son essai sur le culte moderne des monuments [4], ce texte reste tout à fait pertinent pour mener la réflexion [5]. Certes la notion de patrimoine culturel était inexistante à cette époque, cependant Riegl considérait le monument comme artefact à vocation d’universel culturel. C’est à ce titre qu’une mise en regard de son propos avec notre objet d’étude fait sens. Dès 1903, l’auteur dénonçait les équivoques liées aux notions de « monument » et de « monument historique ». Or, loin de s’être atténuées, ces ambiguïtés, alors perçues comme un symptôme de la modernité occidentale, se sont accentuées et le patrimoine industriel est particulièrement emblématique de cette évolution. À cet égard, la prise en compte du contexte culturel dans lequel s’entremêlent objectivité et subjectivité – intellect et affect – se révèle fondamentale puisque c’est celui-ci qui détermine la mutation de l’objet technique et industriel en objet patrimonial. Il s’agit ainsi de prolonger la démarche axiologique du théoricien et d’utiliser sa pensée comme levier pour susciter les questionnements et tenter de mieux saisir l’évolution des valeurs patrimoniales et leur état de maturité actuel en en identifiant de nouvelles, le cas échéant. Car les valeurs sont une donnée mouvante soumise au contexte dans lequel elles se construisent. En effet, comme le montre Nathalie Heinich, elles relèvent de représentations collectives cohérentes et agissantes, plutôt que de réalités et d’illusions [6]. La réception du patrimoine industriel en est une démonstration et sa reconversion une matérialisation. L’approche adoptée ici invite à élargir la focale pour appréhender le patrimoine industriel dans sa diversité et évaluer les mutations qui peuvent être les siennes aujourd’hui en termes de nouveaux usages et au regard des préoccupations sociétales contemporaines. Il s’agit de montrer en quoi ce patrimoine, par les questions qu’il suscite en lien avec l’évolution de ses propres valeurs, apparaît comme un objet non plus seulement pluridisciplinaire tel que les quatre décennies de travaux l’ont appréhendé, mais interdisciplinaire, sollicitant le croisement entre les sciences humaines et sociales et les sciences pour l’ingénieur [7]. C’est en ce sens que la réflexion proposée vise à penser le patrimoine industriel, dans un esprit de renouvellement épistémologique et conceptuel, à la lumière de ses acquis.

Les orientations scientifiques des quatre premières décennies

3Après une dizaine d’années de travaux menés en archéologie industrielle, Denis Woronoff précisait, à juste titre, qu’il s’agissait non pas d’une nouvelle discipline, mais d’une approche historique renouvelée de l’industrie [8]. Dans ce même article, il en pointait les limites potentielles. Parmi elles, d’une part le risque de ne pas dépasser le stade de la monographie d’entreprise, et d’autre part la nécessité pour les chercheurs de « se comporter à l’égard de l’offre et de la demande sociales [9] ». Avec le recul qui est le nôtre aujourd’hui, cette double mise en garde se révèle fort bien pensée. Le risque monographique a été relativement évité grâce à des approches territoriales complémentaires dépassant l’échelle du site, ainsi qu’à des études thématiques. Les travaux universitaires engagés sur l’évolution des moteurs hydrauliques [10], sur l’histoire du procédé indirect dans la fabrication du fer ainsi que sur sa diffusion [11], puis d’autres menés par l’Inventaire général à l’échelle des territoires en témoignent [12]. Mais le risque persiste en raison d’une certaine difficulté à s’extraire du site pour l’inscrire dans une réflexion plus large, y compris dans le cadre d’une patrimonialisation. Au regard du capital de connaissances dont nous héritons aujourd’hui, force est de constater que ce fut effectivement le travers récurrent de l’approche historique et archéologique du patrimoine industriel. Mais ce constat ne réduit en rien l’apport incontestable de ces contributions dans la production du savoir, la compréhension de l’objet et l’extraordinaire richesse du champ dont témoigne la pluridisciplinarité des acteurs qui s’y sont intéressés. Chacun d’entre eux a donné une coloration spécifique au champ du patrimoine industriel français. Diverses associations locales de défense et de sauvegarde œuvraient déjà vigoureusement lorsque le CILAC fut créé en 1979 [13] pour promouvoir l’objet au plan national. Parmi les premières actions, il convient aussi de rappeler le rôle incontestable exercé par la photographie dans la prise de conscience de la valeur patrimoniale de ces témoins matériels de l’industrie. En sollicitant l’émotion avant de saisir l’intellect, l’image contribue à accéder au sens esthétique des objets [14]. L’émergence du champ doit ainsi beaucoup aux photographies exposées et publiées à la fin des années 1970 sur le thème des châteaux de l’industrie pour faire valoir une typologie de l’architecture industrielle de la région lilloise [15]. Ces manifestations se sont inscrites dans la lignée des travaux d’un certain nombre de photographes qui ont mis leur talent au service des installations industrielles. Parmi eux, le célèbre couple de photographes allemands Bernd et Hilla Becher qui, par leurs travaux de diffusion, ont contribué à la connaissance du patrimoine industriel de l’Allemagne et introduit une réflexion sur l’esthétique de la série. Le même phénomène se produit dans d’autres pays, parmi lesquels l’Italie et ses districts industriels [16], mais encore les États-Unis [17]. Cette valorisation de lieux a priori non destinés à être ainsi captés par l’œil sensible du photographe joue un rôle qui ne doit pas être sous-estimé.

4À la monumentalité de ces espaces révélée par l’image, a succédé dans les années 1980 la prise en compte de l’objet par l’État, avec l’élaboration d’une méthodologie bien éprouvée grâce à l’opération nationale de repérage du patrimoine industriel démarrée en 1986 [18]. Pas moins d’une centaine de publications éditées dans les collections du ministère de la Culture témoignent de l’effort fourni en régions par les différents services de l’Inventaire général, décentralisé depuis 2007 [19]. Mais il ne fait aucun doute que le champ doit sa structuration originelle aux historiens des techniques, de l’économie et de l’art. Parmi les premiers, il convient de rappeler le rôle déterminant de Maurice Daumas, à l’origine d’une vaste enquête sur les bâtiments à usage industriel aux xviiie et xixe siècles en France [20] et auteur du premier ouvrage de référence sur le sujet [21]. Louis Bergeron, Serge Chassagne et Denis Woronoff lui emboîteront le pas et souligneront le bénéfice extraordinaire qu’il y a à recourir au prisme du patrimoine industriel pour mener leurs travaux sur les entreprises. Alors que les historiens voyaient dans l’enquête de terrain une ressource utile pour livrer des informations à travers l’observation des vestiges matériels, des traces laissées au sol, sur les murs, les ethnologues quant à eux en avaient une approche au plus près des hommes.

5Durant tout ce temps, le patrimoine industriel a ainsi bénéficié des regards croisés d’experts en architecture, en histoire des techniques, en histoire économique et sociale, en ethnologie, ou encore en archéologie, enrichis par une politique nationale d’envergure [22] et une mobilisation associative. L’une des conséquences de ces spécificités disciplinaires fut la fascination des uns pour les archives au détriment, parfois, des apports du terrain ; puis la prédilection des autres pour l’architecture industrielle au détriment des équipements de production. Malgré une évolution incontestable, ces dichotomies persistent encore… Pourtant, la combinaison des approches revendiquée par Bergeron constitue l’une des exigences et la spécificité du champ. Celle-ci doit être soulignée et renforcée car, malgré ces quelques faiblesses, il est indéniable que l’un des mérites du patrimoine industriel a été de susciter un renouvellement de la conception classique de l’histoire économique, sociale et technique. À cet égard, mentionnons les recherches consacrées, au fil de ces quatre décennies, aux représentations et aux images de l’industrie [23], celles dédiées à l’organisation, à la diffusion et à l’innovation technique [24], ou encore celles qui ont affiné la monographie d’entreprise par une analyse globale combinant ces différentes entrées [25]. La géographie, quant à elle, a longtemps gardé ses distances à l’égard du patrimoine industriel [26], malgré ce qu’elle était susceptible de lui apporter alors en termes de connaissances complémentaires sur le jeu des échelles, les flux ou l’imbrication des territoires. Ce n’est que depuis une dizaine d’années que les compétences des géographes sont venues enrichir les travaux, tout comme celles des urbanistes, des économistes et des sociologues. La pluridisciplinarité qui était sienne à l’origine s’est ainsi renforcée au fil de la lisibilité du champ et des mutations sociétales. En effet, l’évolution culturelle, les modifications environnementales, les changements économiques ou encore les nouvelles politiques urbanistiques semblent avoir directement impacté les manières d’appréhender le patrimoine industriel. Sous le coup de ces transformations importantes et d’une reconnaissance accrue, celui-ci a interpellé et suscité de nouveaux intérêts. La façon dont les sociétés gèrent la surenchère patrimoniale n’est pas non plus étrangère et conduit, de fait, à une observation de la part des uns et des autres. Le regard des géographes a largement contribué à intégrer des angles d’approche complémentaires, parmi lesquels l’aménagement du territoire, le paysage, les représentations liées à la géographie sociale, culturelle et historique [27]. Grâce à l’approche de ces derniers, les historiens ont perçu tout l’intérêt scientifique de considérer les emboîtements d’échelle. En effet, les recherches consacrées au patrimoine industriel peuvent difficilement se réduire au périmètre du site. Indépendamment de l’angle d’attaque, qu’il s’agisse d’analyser les formes d’industrialisation ou de patrimonialisation, l’objet doit être étudié dans une réalité économique, sociale ou culturelle, à l’échelle du quartier, de la ville, du territoire national ou international. Traité comme une donnée de la compréhension des sociétés, le patrimoine industriel sait aussi se renouveler sous la plume des sociologues et des ethnologues [28].

6L’ouverture du champ à d’autres regards aura ainsi permis d’en renouveler l’étude. Mais la contrepartie de son appropriation par ces disciplines recourant à leurs propres outils et méthodes est bien souvent une déconnexion de la démarche traditionnelle de l’archéologie industrielle. À défaut d’être l’objet d’étude, le patrimoine industriel devient un support réflexif destiné à nourrir des analyses relatives aux représentations sociales, à la géographie culturelle associée à la question des identités, ou encore aux interrelations existant entre patrimoine et tourisme. L’attention a moins trait à l’objet en tant que tel, qu’à son impact, à son rôle et à la place qu’il occupe dans l’espace géographique, social et culturel. Ses propriétés intrinsèques liées à l’histoire des techniques, des matériaux, de l’architecture, de ses activités successives ou de l’organisation des espaces de travail y sont généralement passées sous silence. Aussi cet objet, viscéralement historique, se trouve-t-il, en quelque sorte, vidé de sa substance. Il en résulte un questionnement sur les limites de la pluridisciplinarité. Chaque discipline mène, avec son propre prisme, une étude fine de l’objet ; le corollaire en est une absence d’analyse globale intégrant l’ensemble des valeurs qui sont les siennes. Il est alors difficile de tirer des conclusions solides. Si l’addition de monographies d’entreprises, même soigneusement documentées, ne peut donner un canevas représentatif d’un territoire dans ce qu’il recouvre de complexité économique et sociale, le fait de multiplier des regards disciplinaires distincts sur le patrimoine industriel ne saurait non plus aboutir à une analyse parfaitement exhaustive, ni constituer un tout intelligible tant que l’interaction scientifique n’est pas invitée. L’absence de transversalité fait que chaque discipline reste contrainte par son périmètre d’étude et la méthodologie mise en œuvre. Ceci étant, la pluridisciplinarité offre des perspectives d’ouverture importante dont témoigne la variété des travaux menés sur le patrimoine industriel français depuis les années 1980. Toutefois, il est difficile de se satisfaire de ce constat au regard de ce que recouvre l’objet. C’est pourquoi il semble important de prendre acte de cet état des lieux pour tenter de sortir des ornières et tendre vers une approche holistique et transversale de l’objet d’étude. Permettons-nous alors de bousculer un peu les frontières. Au préalable, soulignons le lien originel très étroit que le patrimoine industriel entretient avec l’histoire, mais aussi avec la technique et l’ingénierie. Ce lien filial doit perdurer et se renforcer afin de maintenir la démarche scientifique rigoureuse qui en fait la spécificité, à savoir l’archéologie industrielle. Celle-ci assure une compréhension fine des sites dans toute leur épaisseur, allant « de la surface à la profondeur de l’histoire [29] », pour reprendre la célèbre formule de Fernand Braudel. Or, seule la production de ce savoir garantit la connaissance historique nécessaire à la sélection des objets. Toutefois, si le patrimoine industriel entretient un lien indéfectible avec l’histoire, il ne s’agit en aucun cas d’en revendiquer l’exclusivité. Bien au contraire, l’apport de disciplines complémentaires est à encourager et à étendre, mais dans un rapport qui privilégierait davantage la transversalité, l’enrichissement réciproque. La pluridisciplinarité, dont l’étymologie plures signifie « plusieurs », a montré ses limites, à savoir la multiplication des regards sur un même objet sans véritablement que les uns se nourrissent des autres. C’est pourquoi ici, est encouragée l’interdisciplinarité, terme dont la racine latine inter (« entre ») exprime l’espacement, la relation réciproque, « l’entre-temps [30] » cher à Patrick Boucheron, soit un temps pour penser l’objet à travers une approche partagée. Or l’interdisciplinarité proposée dans cet article invite les sciences historiques et les sciences de l’ingénierie à réfléchir ensemble à de nouvelles orientations complémentaires aux travaux menés depuis plus de quatre décennies. Au préalable, cette perspective implique de revisiter les valeurs véhiculées par le patrimoine industriel afin de bien saisir l’évolution et la labilité de ces dernières, comme en témoigne l’essai de Riegl sur le culte moderne des monuments.

Prolégomènes à la théorie « rieglienne » et patrimoine industriel

7Dès le départ, il est important de préciser que la démonstration du théoricien autrichien repose sur la distinction entre les monuments considérés comme « non intentionnels » et les monuments dits « intentionnels », qu’il associe à la notion de monument historique. À la différence des premiers, la vocation de ces derniers est, dès leur conception, de devenir des lieux chargés de sens pour l’histoire d’un peuple, d’une nation, avec l’ambition précise de perpétuer un récit. Cette différenciation est fondamentale et place d’emblée les usines dans la première catégorie, espaces techniques libres de toute charge symbolique ou d’un quelconque désir de postérité au moment de leur conception. Pourtant l’adoption généralisée du terme « patrimoine » dans les années 1970 confond les deux catégories [31]. Il ne s’agit donc pas que d’une pirouette sémantique. Les conséquences de ce choix sont majeures et ont notamment ouvert la voie à la surenchère patrimoniale dont nous mesurons aujourd’hui pleinement la portée. Il convient également d’indiquer que les idées développées par Riegl en 1903 reposent sur un terreau historique emprunt des débats du xixe siècle sur la restauration des édifices, portés notamment par Eugène Violletle-Duc, John Ruskin et William Morris, puis, à l’interface, Camillo Boito. Il est tout aussi important de préciser que, depuis son développement au début du xxe siècle, la théorie rieglienne a été bousculée par deux guerres mondiales. Celles-ci ont, bien entendu, fortement impacté la perception des monuments historiques. Instaurée en 1964 pour poser les principes de conservation et de restauration de ces derniers, la Charte de Venise en est l’une des expressions. Parmi les auteurs de ce texte de référence, figuraient les Italiens Cesare Brandi et Renato Bonelli ayant contribué au développement d’une théorie sur l’acte de restauration [32]. À partir des années 1960, cette « restauration critique » suscita un grand intérêt dans les milieux spécialisés français [33]. Les pratiques de la restauration évolueront ainsi sous l’influence de ces théoriciens marqués par la disparition de nombreuses œuvres d’art durant la guerre. Dans sa théorie critique, qu’il centre sur les édifices, Bonelli expose ses préceptes sur la tension exercée entre valeur artistique et valeur historique, promouvant in fine la primauté de la première sur la seconde, de même que Brandi. Cette philosophie esthétique s’avère très intéressante pour introduire la réflexion sur le patrimoine industriel car elle montre l’ancrage fort de la culture artistique encore observé aujourd’hui dans les choix de conservation. Or ces valeurs d’art et d’histoire composaient déjà le ferment de la théorie rieglienne. Elles révèlent ainsi, dans le temps long de l’histoire de l’art, leur centralité et leur mise en regard – voire leur tension – dans les processus de restauration et de patrimonialisation. Aussi au-delà de l’analyse sur les monuments, le texte de Riegl donne à réfléchir, plus d’un siècle plus tard, sur la place du patrimoine dans notre société perçue dans sa double dimension mémorielle et culturelle. Car si la théorie de la restauration critique de Brandi est postérieure d’un demi-siècle, elle semble néanmoins en recul par rapport à la réflexion rieglienne qui accorde une place à la subjectivité et au rôle joué par l’évolution culturelle dans la perception de l’objet. A contrario, Brandi considère les valeurs comme objectives et inhérentes à l’œuvre, valeurs parmi lesquelles prime l’esthétisme. Cette idéologie fondée sur un postulat artistique rend difficile son articulation avec notre contexte contemporain au regard du patrimoine industriel et des nouveaux objets culturels issus des collections techniques et scientifiques. En ce sens, citons les travaux récents sur l’accélérateur de particules Cockcroft-Walton (1932), entreposé en pièces détachées dans un laboratoire à Lyon, et sur la complexité de la patrimonialisation de tels objets hors normes [34]. Dans cette perspective, se pose la question du statut de l’objet et de la pertinence de ce postulat esthétique (1963), forcément réducteur et en décalage par rapport à ce qui fait la valeur d’un bien culturel. C’est alors que l’on mesure pleinement l’intelligence de l’essai de Riegl, qui se montre visionnaire dans la mesure où, dès le début du xxe siècle, il intègre la valeur d’usage dans son analyse axiologique. Celle-ci le conduit à identifier une granulométrie au sein des différentes valeurs contenues dans une œuvre d’art et/ou un monument, contribuant à sa reconnaissance. Il s’agit donc de nous inscrire dans les pas de cette conception rieglienne de l’histoire, où les valeurs véhiculées par ces objets varient, voire se renouvellent, selon l’évolution des mentalités et des idées culturelles [35]. Loin de tenter une interprétation du discours que Riegl aurait pu tenir à l’égard des monuments industriels, il est plutôt question de réfléchir, à ses côtés, aux notions qu’il analyse, en les orientant vers notre objet d’étude, et de les enrichir au fil de l’entreprise intellectuelle. L’importance accordée à son texte découle des concepts qu’il aborde, dont un certain nombre entrent en résonance avec la problématique de la reconversion patrimoniale, enjeu pleinement d’actualité du fait de l’intérêt du réemploi du bâti existant dans un contexte fortement marqué par la transition écologique, les économies d’énergie et les politiques associées. C’est ce qui fait de l’essai de Riegl un texte tout à fait contemporain. À plusieurs égards, l’historien de l’art pose un regard éclairé, notamment lorsqu’il traite des notions d’usage, d’esprit des lieux ou de sens à préserver, ou encore lorsqu’il imagine des solutions de reconstitution en images destinées à contempler à nouveau une œuvre qui aurait, sinon disparu, du moins été altérée par l’égrenage du temps.

8

« Dans les deux cas, l’œuvre nous intéresse, en outre dans sa forme originelle et intacte, telle qu’elle est issue des mains de ses créateurs, et telle que nous cherchons à la contempler à nouveau, ou au moins à la reconstituer en pensée, en paroles ou en images [36]. »

9À la lecture de ces lignes, il est difficile de ne pas penser aux humanités numériques et à leur potentiel dans le domaine de la reconstitution de l’objet architectural et/ou technique par la CAO, la 3D et/ou la réalité augmentée. En matière de patrimoine technique, les fermetures d’usines se soldent le plus souvent par la disparition de leurs machines, assez fréquemment vendues au prix de la ferraille. Lorsqu’elles sont préservées, il n’est pas rare de les voir sorties de leur contexte historique pour être érigées symboliquement à l’entrée d’une ville. Aussi, la question délicate de l’absence de conservation in situ du patrimoine technique s’est enrichie de nouvelles compétences relevant des technologies numériques, dont la « rétroconception », comme outil de recherche fondamentale, encore peu développée en France [37]. Les humanités numériques constituent une manière de penser autrement les temporalités de l’industrie par la modélisation 3D des objets techniques anciens en recourant à « l’archéologie industrielle avancée [38] ». À la fois support de médiation culturelle et de valorisation patrimoniale, la réalité virtuelle apporte des éléments de compréhension complémentaires aux systèmes techniques traditionnellement étudiés à travers les archives écrites et iconographiques. En croisant ainsi les compétences des sciences humaines et sociales et celles des sciences pour l’ingénieur, la méthode discrimine la complexité structurelle de l’objet technique et améliore la connaissance. De nouvelles clés de lecture sont ainsi proposées par ces voies tout entières à explorer et à développer. Bien entendu, si ces outils ne peuvent se substituer à la conservation des objets, en revanche, ils sont une réponse tangible aux questions soulevées par Riegl.

10L’autre intérêt de son essai réside dans le regard distancié, systématique, quasi chirurgical, porté sur les valeurs inhérentes à la notion de monument historique. Par la dissection et l’attention critique qu’il accorde à chacune d’entre elles, Riegl se livre à un exercice intellectuel extrêmement riche et inspirant. À la fois évolutives et enchevêtrées, ces valeurs se subsument tour à tour dans un écheveau complexe rendant très difficile, voire impossible, la résolution du dilemme de la destruction ou de la conservation. Les alternatives, telles qu’elles s’offrent encore à nous, privilégiaient déjà ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui la singularité des situations patrimoniales. Ce n’est qu’au xxe siècle qu’apparaît le terme « patrimoine », succédant à ceux de « monument » et « monument historique », que Riegl prend soin de distinguer en rappelant que le second porte en lui les notions d’art et d’histoire. Au même titre qu’il assimile l’œuvre d’art à un document historique, les artefacts relevant du patrimoine industriel doivent être considérés comme tels, c’est-à-dire analysés de manière totalement objective par l’exploitation raisonnée des sources dont il dispose. La posture de Riegl est en effet de nier toute hiérarchie et distinction entre la production des « arts appliqués » et la création des « arts supérieurs ». Selon lui, le moindre artefact présente une valeur artistique, qu’elle relève de la technique, d’un savoir-faire ou encore d’une harmonie des proportions [39]. De ce point de vue, la valeur d’art est relative et variable au gré de la tendance esthétique ambiante et ne saurait donc prétendre à une validité absolue. En revanche, au titre de son appartenance à une période de l’histoire au moment de sa conception, l’œuvre est inéluctablement ancrée dans l’historicité. À travers ce postulat, Riegl se livre à une démonstration de leur imbrication. En dupliquant les méthodes élaborées pour l’analyse des œuvres et des styles, dans le cadre de l’étude du concept même de monument, l’historien de l’art ouvre la voie au prolongement de notre réflexion sur le patrimoine industriel et sa reconversion. Chacun de ces objets, qu’il soit monument, œuvre d’art ou site de production, est soumis à la transformation des styles et des savoirs techniques d’une époque, au gré de l’évolution sociétale, du renouvellement culturel et du changement des mentalités. La perception de ces œuvres et/ou objets est ensuite liée à la société qui les réceptionne et à l’idée qu’elle en a, voire qu’elle s’en fait dans sa projection future. C’est elle, dans sa modernité, qui confère à ces objets la signification de monument, de patrimoine. Ce processus vaut pour la diversité interprétative du patrimoine industriel selon que cette interprétation émane du politique, de l’ouvrier, de l’architecte ou encore de l’historien. Inévitablement, la réception par l’un ou par l’autre est différente car elle repose sur un capital culturel individuel distinct. Mais dans tous les cas, l’objet hérité demeure un témoin matériel de l’histoire à laquelle il a contribué. Il incarne et symbolise, à un instant donné, une portion de l’histoire en cours de développement. La perception de cette continuité est alors une manière de prendre conscience de l’histoire [40] et la reconnaissance d’un héritage en est une traduction. Celui-ci peut naturellement prendre des formes différentes. Le patrimoine industriel en est une et sa reconversion, une manière d’inscrire durablement ces témoins de la civilisation industrielle dans le temps et l’espace.

L’immanence de la valeur historique

11Par la distinction qu’il fait entre œuvre d’art et monument historique, Riegl nous amène à nous interroger sur la place des anciens lieux du monde de l’industrie dans cet ordonnancement et à questionner l’immanence de leur valeur historique. Selon le théoricien, l’œuvre d’art est une création humaine, tangible et visible. Le monument historique, quant à lui, présente les mêmes caractéristiques liées à sa matérialité, mais il est riche d’une valeur complémentaire ayant trait à tout objet qui a été, n’est plus aujourd’hui, et constitue un maillon irremplaçable d’une chaîne de développement. Dans ce prolongement, le raisonnement convoqué pour penser le patrimoine industriel considère comme fondamentale l’idée de développement et de continuum historique, c’est-à-dire d’empilement de strates, de succession d’étapes, dont chacune suppose un antécédent sans lequel l’objet n’aurait pu prendre la forme qui nous parvient. Braudel disait à juste titre : « L’historien ne sort jamais du temps de l’histoire : le temps colle à sa pensée comme la terre à la bêche du jardinier [41]. » Cette prégnance du temps vaut pour le patrimoine : à la fois ponctuation dans le déroulement de l’histoire, mais aussi concrétion d’une succession de situations historiques. Or dans le domaine de la reconversion patrimoniale, attribuer un nouvel usage à ces artefacts concourt à l’ajout d’un nouveau dépôt sédimentaire qui se joue au présent. Riegl précise :

12

« La notion de développement est précisément au centre de toute conception moderne de l’histoire. Pour nous, aujourd’hui, toute activité humaine ou toute destinée dont il nous reste un témoignage peuvent prétendre à une valeur historique : au fond, chaque évènement historique est irremplaçable. Mais, comme il serait impossible de prendre en considération le nombre énorme d’évènements dont il nous reste des témoignages directs ou indirects, et dont, à chaque instant, le nombre augmente indéfiniment, nous avons été contraints de limiter notre attention aux témoignages qui nous semblaient représenter des étapes particulièrement marquantes dans l’évolution d’une branche déterminée de l’activité humaine [42]. »

13Cet extrait met l’accent sur deux aspects. Le premier est que tout objet, issu de « l’activité humaine », est doté d’une valeur historique. De fait, le patrimoine industriel s’inscrit à part entière dans le cadre des activités humaines. Par ailleurs, les valeurs défendues par Riegl impliquent la nécessité de considérer ces objets dans la longue durée, comme le défendra Braudel à son tour, dans le domaine de l’histoire économique et sociale. L’histoire des systèmes techniques et de leur diffusion est structurée autour de cette notion de développement [43]. Elle témoigne de ce temps long, depuis la confection du chopper au Paléolithique, jusqu’à la tablette électronique et autres smartphones contemporains. Chaque objet relevant du patrimoine de l’industrie, édifice, produit manufacturé ou machine de production, procède d’une étape dans l’évolution de l’histoire des techniques et en constitue un des témoignages tangibles. Le second aspect est que se trouvent posées avec intelligence, à la fois la question de la perte du dernier maillon, et celle de la nécessaire sélection de ces traces au titre de témoignage tangible de l’histoire, de devoir de connaissance et de transmission. Or, pour répondre à cette question délicate de la sélection, ont été menées, dans les années 1990, plusieurs actions destinées à identifier des critères propres au patrimoine industriel et technique [44]. À l’honneur, le critère historique fut suivi du critère de représentativité architecturale et/ ou technique, tandis que le troisième avait trait à la notoriété de l’auteur et concernait les édifices remarquables révélant l’ingéniosité de celui-ci. À titre d’exemple, le Familistère de Jean-Baptiste Godin, à Guise, appartient à cette dernière catégorie pour être l’un des rares, sinon le seul ensemble en France, à avoir mis en pratique les théories de Charles Fourier, à l’origine du concept de phalanstère. Dans cet ordonnancement, la valeur historique domine, dans la mesure où la valeur architecturale (associée à la valeur artistique), la valeur technique et celle liée à la notoriété du concepteur des lieux procèdent toutes d’un épisode de l’histoire dont elles ont valeur de témoignages, dans des registres distincts.

14C’est d’ailleurs en ce sens que Riegl nuance son propos et démontre que le monument artistique, dont la valeur d’art est relative car soumise à la subjectivité, est inclus dans le monument historique, voire se confond avec lui. L’intérêt de cette forme de subsomption relative aux concepts d’art et d’histoire nous invite à mener un raisonnement similaire, mais adapté aux spécificités de notre objet d’étude. Si le patrimoine industriel est le plus souvent dégagé de toute forme artistique, en revanche, il est constitutif d’autres valeurs liées à la technique, à la série, à l’industrie. Aussi, attardons-nous sur les rapports entre technique et industrie au sein de cet objet patrimonial. En l’occurrence, le patrimoine technique subsume-t-il le patrimoine industriel ou inversement ? Poser la question en ces termes implique de recourir à la notion de hiérarchie. Le concept de patrimoine industriel inclut nécessairement une dimension technique, matérialisée par la conservation de machines, d’équipements de production, de moteurs énergétiques, d’objets fabriqués, ou, en l’absence de ces derniers, simplement par sa structure architecturale, eu égard à l’histoire des techniques de construction et des matériaux mis en œuvre. L’usine procède en effet de techniques constructives mettant en œuvre des matériaux vernaculaires (pierres de taille ou moellons en schiste, granite, etc.) ou bien issus de procédés industriels tels que la brique, le fer, la fonte, l’acier, le verre, le béton, ou encore de procédés constructifs ancestraux tels que le torchis ou le pan de bois, là encore révélateurs d’un savoir-faire technique. A contrario, le patrimoine technique peut ne pas procéder de l’industrie. Il en est ainsi d’objets produits artisanalement tels qu’une paire de meules taillées dans du silex ou bien des outils forgés par la main de l’homme. Appréhendés sous l’angle de leur organisation spatiale, ces lieux de production, qu’ils relèvent du secteur artisanal ou du secteur industriel, recourent à une rationalité et à un agencement spécifique destinés à optimiser le process de fabrication et à faciliter les flux. La distribution concertée des ateliers les uns par rapport aux autres, leur implantation à proximité d’une source énergétique ou de matières premières, le fait de tirer avantage de la topographie des lieux – pour accroître le débit de l’eau sur les moteurs hydrauliques par exemple –, les rampes d’accès destinées à atteindre les gueulards des hauts-fourneaux ou des fours à chaux, ou encore l’organisation des axes de circulation sont autant de données faisant appel à une intelligence technicienne. La cohérence du lieu émane de sa fonctionnalité productive. Aussi, même si les deux valeurs, technique et industrielle, témoignent d’une activité humaine, il semble que la première, dont l’origine est plus ancienne, soit subsumée par la seconde. Si pour Riegl le monument artistique se fond systématiquement dans le monument historique, et non l’inverse, l’histoire des techniques – le cas échéant son patrimoine – est partie intégrante du patrimoine industriel, tandis que l’inverse n’est pas toujours vrai. La nuance existe ; elle n’est pas toujours appliquée. Toutefois, au regard de la littérature scientifique et des archives institutionnelles du ministère de la Culture, le débat semble ne jamais s’être posé en ces termes. Daumas a, quant à lui, très vite explicité les nuances susceptibles de se dégager entre l’artisanat et l’industrie dans le cadre particulier de ce nouveau champ. L’historien des techniques a montré que l’artisanat, structuré sur une aire géographique donnée, pouvait adopter des formes industrielles dont témoignent les moulins à marée bretons ou l’activité textile, par son organisation concertée dans l’ensemble de la chaîne allant du producteur de matière première au négociant. Ces précisions semblent avoir fait consensus, comme le révèlent les enquêtes de terrain et les études qui suivirent. En revanche, les premiers échanges français autour de la notion de patrimoine industriel ont généré un autre débat. À défaut de mettre en tension la technique et l’industrie, la question posée fut celle relative aux concepts de patrimoine et d’archéologie pour définir l’acception de ce nouveau champ. Fallait-il préférer l’appellation « patrimoine industriel » ou bien « archéologie industrielle [45] » ? L’histoire nous enseigne que la première formule fit consensus [46]. À l’instar des différentes branches de l’archéologie moderne, parmi lesquelles l’archéologie du bâti, à laquelle fait appel l’archéologie industrielle, il fut reconnu que la démarche de cette dernière ne pouvait se réduire au seul recours à des campagnes de fouilles, telles que celles menées sur le site de la forge de Buffon (Côte-d’Or), sur celui de la forge d’Aube (Orne) ou encore sur les sites de potiers de Saintonge (Charente-Maritime). En France, il fut convenu que l’archéologie industrielle concernait davantage la méthode d’investigation de cet objet naissant et captant de nouvelles attentions. Elle impliquait naturellement un travail de terrain afin de partir du présent et des vestiges matériels qui s’offrent à nous pour dénouer l’écheveau et reconstituer le fil d’une histoire ancrée dans le passé. Davantage sémantique que scientifique, le débat était aussi motivé par la volonté de se démarquer de la terminologie d’origine britannique « industrial heritage », majoritairement circonscrite aux vestiges matériels. Le choix français fut d’embrasser un spectre plus large en enrichissant ces mêmes artefacts de la dimension humaine et sociale que recouvre l’objet d’étude. Il semblait ainsi que la culture de l’industrie fût mieux représentée. Enfin, la préoccupation visait aussi la réception de ces termes par le grand public. Il fut convenu que le nom « archéologie » était plus réducteur, renvoyant au passé, tandis que celui de « patrimoine » semblait plus ouvert et plus à même de toucher la sensibilité des citoyens. La notion de transmission induite par le patrimoine n’était pas non plus étrangère à ce parti pris. Quarante ans après, ce choix sémantique inscrit avec intelligence l’objet d’étude dans une continuité historique dont les opérations contemporaines de reconversion de ces sites en devenir [47] constituent une strate supplémentaire. La prééminence de la valeur historique est bien au cœur de l’objet. Même si le choix se fit en faveur du patrimoine, il est incontestable que la démarche de l’archéologie industrielle, par sa méthodologie, garantit l’originalité et la spécificité de ce champ disciplinaire qui a su dépasser l’étude des traces matérielles pour s’ouvrir aux sciences sociales telles que l’anthropologie ; mémoire orale, paroles ouvrières et savoir-faire sont volontiers convoqués lors des recherches. De la seconde moitié de la décennie 1970 au début des années 1980, le débat aura ainsi permis d’engager une réflexion sur la patrimonialisation de l’industrie et de ses traces matérielles. Les travaux qui suivirent eurent des effets multiplicateurs en fédérant les institutions et les différents acteurs mobilisés en faveur de la sauvegarde de ce nouveau patrimoine.

Faire patrimoine : Entre intellect et affect

15Au regard de la démonstration de Riegl relativisant la valeur artistique d’un édifice au profit de sa valeur historique, le patrimoine industriel sort renforcé. Cette analyse montre à quel point le poids de la culture classique basée sur le style « beaux-arts » est illégitime pour la reconnaissance d’un monument, encore davantage lorsqu’il s’agit d’un édifice industriel dont la vocation est autre. Lors des premiers débats tenus au ministère de la Culture, des réserves furent émises sur l’impact de cette valeur esthétique dans les processus de patrimonialisation [48]. Il fut convenu que ce critère engendrait des choix arbitraires dirigés vers des édifices et des équipements à forte connotation symbolique tels que les machines à vapeur, les chevalements ou encore les locomotives, excluant ainsi tout un pan du patrimoine industriel et de la culture technique. Dans les premières décennies du xxe siècle, la courbe de protection de ce dernier au titre des Monuments historiques illustre très clairement le poids de la tradition classique dans la sélection des édifices inscrits et/ou classés [49] : la saline d’Arc-et-Senans (1926), la corderie royale de Rochefort (1928), l’ancienne verrerie de Charles Fontaine à Saint-Gobain (1928), ou encore la manufacture d’armes de Strasbourg (1929), tous antérieurs au siècle de l’industrialisation et porteurs d’un certain classicisme, tant dans leur organisation spatiale, que dans leur aspect formel. À cette époque, les critères techniques et industriels n’étaient absolument pas pris en considération. Plusieurs années seront nécessaires avant que l’architecture industrielle des xixe et xxe siècles n’accède véritablement au titre de Monument historique, au nom de ses valeurs liées au monde du travail. En lien avec le développement du machinisme, les usines de la seconde moitié du xixe siècle se sont en effet transformées au fil de leur mécanisation et de l’utilisation de nouveaux matériaux, tels que la brique, la fonte et le fer, en même temps qu’elles ont occupé des espaces dont le périmètre n’a cessé d’augmenter. Une évolution culturelle fut alors nécessaire pour que ces édifices intrinsèquement évolutifs, voire obsolescents, pour la plupart réduits à leur seule fonction productive, qui plus est bâtis dans des matériaux jugés moins nobles, puissent prétendre, non seulement à une patrimonialisation, mais aussi à une légitimation officielle de ce statut par les instances nationales. Une césure dans l’évolution de la courbe apparaît distinctement à compter des années 1980 ; on observe alors un accroissement de la protection du patrimoine industriel, en raison des nouvelles recherches engagées. Toutefois, cette prise en compte est encore très relative puisque ces mesures de protection représentent aujourd’hui moins de 2 % des classements en France. La situation respective des deux salines d’Arc-et-Senans et de Salins-les-Bains est assez représentative de la tension existant entre les valeurs artistique et technique ; elle témoigne plus largement des résistances toujours prégnantes à l’égard de la culture technique et industrielle. Tandis que la première fut inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO dès 1982, la saline nourricière de Salins-les-Bains, certes moins « monumentale », mais dotée d’une installation technique souterraine d’exhaure rare et d’ateliers des bernes encore équipés de poêles à saumure, dut attendre 2009 pour recevoir cette même distinction. La reconversion de la saline royale d’Arc-et-Senans en espace muséographique dédié à l’œuvre de Claude-Nicolas Ledoux témoigne ainsi de la dissolution complète de la culture technique au profit d’une valorisation du génie de l’architecte, urbaniste et utopiste des Lumières, concepteur des lieux.

16Même si certaines réticences se manifestent encore ponctuellement, il est toutefois convenu désormais que la valeur historique doit présider à la reconnaissance de l’objet, dépassant ainsi la seule valeur d’art, trop réductrice. Les traces léguées par l’histoire sont une donnée objective dont on ne peut contester la légitimité. Pour autant, cette valeur historique n’est pas exclusive de valeurs subjectives qu’il convient de prendre en compte, non pas dans la production du savoir, mais dans les processus de sacralisation. Véritable charge émotionnelle tant individuelle que collective, ces valeurs y jouent aussi un rôle. Parmi elles, figure la valeur d’ancienneté, qui suscite une émotion liée à l’authenticité, à la conscience de la temporalité qui échafaude l’histoire, et qui, de fait, est étroitement associée à cette dernière. Elle recourt à une valeur mémorielle, moins attachée à l’état original de l’objet qu’à la représentation du temps écoulé depuis la création de celui-ci. La valeur d’ancienneté s’exprime par la patine. L’épaisseur du temps est cristallisée au cœur de l’objet. Selon Riegl, elle subsumerait ainsi les valeurs artistique et historique en mobilisant la sensibilité, plutôt que le raisonnement. Si la connaissance scientifique est la racine commune des valeurs historique et d’ancienneté, c’est cette dernière qui permettrait au plus grand nombre d’accéder, à terme, au savoir. Dans le prolongement intellectuel de Riegl, qui considère que la valeur d’ancienneté « rend accessible au sentiment ce que l’intellect a élaboré », il convient d’indiquer que, dans le cadre des opérations de reconversion du patrimoine industriel, l’émotion suscitée par le geste architectural contemporain, autrement dit par l’expérience esthétique – celle-là même qui ne peut justifier à elle seule la reconnaissance patrimoniale –, est un levier pour atteindre ce que « l’intellect » a construit et dont on hérite aujourd’hui [50]. Mais avançons prudemment et nuançons le propos. Cette émotion n’est pas une fin en soi. Elle constitue un ressort pour examiner les autres valeurs de l’objet, dont celles liées à l’histoire, à la technique, à l’architecture. Ainsi, entre objectivité et subjectivité, les valeurs historique, d’ancienneté, de remémoration et de contemporanéité liée au nouvel usage des lieux apparaissent comme les étapes successives du processus de patrimonialisation. Ce constat renvoie aux conditions dans lesquelles s’opère la reconversion d’un édifice en général, et d’un bâtiment industriel en particulier. Comment faire valoir la valeur historique de l’objet dans le cadre de sa métamorphose ? Comment soustraire la connaissance historique à l’affect ? Faut-il d’ailleurs se préserver de toute considération subjective par crainte de dissolution du récit historique ? Rien n’est moins sûr car cette tension entre esthétique et histoire est aussi perpétuée par l’acte de reconversion et peut, dans ce contexte, s’avérer bénéfique. Car c’est aussi par l’expérience esthétique contemporaine que le « spectateur » peut être amené à la connaissance historique. Le geste de la création architecturale interpelle l’observateur et le met en situation de penser le monument originel dans toute son épaisseur historique. Le paradoxe est entier. Comment défendre le sens d’un objet patrimonial au titre de sa valeur historique si aujourd’hui, pour le donner à voir, l’un des recours réside dans la « beauté » du geste architectural contemporain, avec toute la subjectivité que cela induit ? S’il arrive que la valeur esthétique précède la valeur historique au moment de la conception de l’édifice, Riegl ouvre la voie en démontrant que c’est la valeur historique qui est, in fine, privilégiée pour sa reconnaissance patrimoniale [51]. Pourtant, l’acte de reconversion du patrimoine industriel montre que la valorisation des lieux peut aussi passer par la mise en œuvre d’une nouvelle esthétique contemporaine, dès lors qu’elle s’effectue dans un rapport au passé respectueux. La recréation architecturale apparaît alors comme un levier pour accompagner la valorisation patrimoniale du site industriel requalifié. En atteste un certain nombre d’opérations : la manufacture d’armes, à Saint-Étienne (Cité du design) ; le parc d’activité économique Techn’hom, à Belfort ; le pôle tertiaire Seine Innopolis, à Petit-Quevilly ; l’entrepôt des Douanes Confluence, à Lyon ; ou encore la faculté des sciences économiques, sociales et juridiques la Fonderie, à Mulhouse [52]. Ainsi, dans le cadre de la reconversion du patrimoine industriel, valeur historique – implicitement technique – et valeur artistique peuvent entretenir un rapport fructueux où l’une et l’autre s’alimentent. Alors que la valeur artistique est reconnue insuffisante pour appréhender un objet dans sa globalité, en revanche l’expérience esthétique peut être mise au service de l’histoire dans le cadre de la reconversion. C’est d’ailleurs en recourant à la valorisation de l’esthétique industrielle, à la médiation par l’image, que les expositions organisées au début des années 1980 ont su capter les regards et l’attention accordée à ce nouveau patrimoine. En effet, l’image est un vecteur contribuant à modifier le regard des uns et des autres sur la culture technique et industrielle, illégitimement et trop souvent méprisée. Au-delà de l’émotion suscitée, l’ambition est surtout de favoriser une meilleure connaissance de ces objets.

L’usage comme salut patrimonial

17Alors que la protection d’un édifice au titre des Monuments historiques a longtemps été justifiée par sa valeur mémorielle, désormais elle doit être complétée, voire légitimée, par l’existence d’un projet de réaffectation. La valeur d’usage succède à la valeur de témoignage historique. La situation financière de l’État et des collectivités n’est pas étrangère à l’évolution de cette orientation culturelle et, pour certains décideurs politiques, la valeur historique pèse peu face au pragmatisme économique. La désinscription de monuments inscrits et/ou classés, telle l’annulation en 2000 de l’arrêté d’inscription daté de 1995 du haut-fourneau d’Uckange et de ses annexes [53], atteste de la complexité du processus au sein duquel se déroule un jeu d’acteurs dont les visions et les intérêts sont parfois divergents. Dès lors, le désengagement des institutions pose la question du sens des politiques culturelles et des stratégies adoptées dans la durée. Comme l’illustre cet exemple et ainsi que l’explique Heinich [54], c’est bel et bien le contexte qui fait valeur. Équivoque, celle-ci résulte de l’ensemble des opérations par lesquelles une qualité est affectée à un objet. À cet égard, la sociologue s’inscrit dans le sillage intellectuel de Riegl, dans la mesure où elle précise que la valeur n’est pas dans l’objet, mais qu’elle procède d’un acte, d’un attachement, d’un jugement qui la génère. Aussi, le contexte dans lequel est invoquée la valeur est une clé de lecture fondamentale pour en comprendre le sens et la portée. La valeur des choses est ainsi déterminée par les acteurs mêmes qui créent les contextes, de la même manière que l’acte de patrimonialisation est le fait d’une génération à un instant donné. Pour ce qui est du patrimoine industriel, l’intérêt qui lui a été porté est né dans un contexte historique particulier : la fin des Trente Glorieuses, le début de la désindustrialisation, un bouleversement profond du paysage, la menace de la perte de pans entiers de l’industrie… Derrière la matérialité de la civilisation industrielle, derrière les formes – silhouette de l’usine, ligne des équipements –, il y a l’histoire et c’est précisément la conscience de celle-ci qui sollicite l’émotion et confère de la valeur aux objets. Face à la menace de leur disparition, ceux-ci sont érigés en symbole. Dans ce processus, l’héritage technique et industriel acquiert un statut, un caractère précieux similaire à celui compris dans l’objet d’art. Or le contexte économique actuel impose, pour les conserver, de trouver une valeur d’usage à ces objets en mutation. Si la motivation était différente au début du xxe siècle, Riegl considérait que l’une des meilleures façons de respecter le sens historique d’un monument était la préservation de son usage originel. Ainsi s’exprimait-il :

« Il s’agit d’œuvres que nous avons l’habitude de voir pleinement utilisées, et qui nous perturbent dès qu’elles ne remplissent plus leur fonction familière, donnant ainsi une impression de destruction violente, insupportable même pour le culte de la valeur d’ancienneté. […] Bien plus violemment encore que la valeur historique, la valeur d’ancienneté doit réagir contre la pratique qui consiste à arracher un monument à son contexte quasi organique et à l’enfermer dans un musée, même si c’est là le moyen le plus sûr de préserver le monument d’une nécessaire restauration.
« Si donc l’utilisation continuelle d’un monument revêt aussi pour la valeur d’ancienneté une importance considérable, et si cette utilisation apparaît souvent indispensable, l’éventualité d’un conflit avec la valeur d’usage, qui nous avait paru inévitable, s’en trouve considérablement atténuée [55]. »
Placée dans une perspective contemporaine, cette démonstration légitime pleinement la reconversion du patrimoine industriel pour se prêter à de nouveaux usages économiques, compris dans le sens d’une production de biens et de services relevant des secteurs secondaire et/ou tertiaire [56]. Pourquoi ? En filigrane, est soulignée l’importance de respecter les valeurs historique et d’ancienneté, ce que l’on appelle aujourd’hui le « génie des lieux ». À cet égard, le discours de Riegl est avant-gardiste, si l’on considère la manière dont la reconversion patrimoniale est menée par certains architectes conscients de la forte valeur symbolique de ces objets dont l’usage garantit la pérennité. Les anciens lieux d’industrie sont constitutifs d’un empilement de couches archéologiques, comme autant de traces de leur évolution historique et technique. Chacune d’entre elles a valeur symbolique dans la mesure où elle est associée à un contexte spécifique que l’homme a généré, autant qu’il s’y est adapté. En ce sens, contrairement à la table rase, le geste architectural contemporain sur l’objet patrimonial tisse un lien « quasi organique » entre le passé et l’histoire en cours d’écriture. Il s’immisce dans la filiation. Il contribue à la succession et, une fois intégré au lieu, il incarne à son tour une strate historique en devenir, qui sera lue par d’autres générations. Le sort de cette page en cours d’écriture dépendra alors du rapport de ces dernières à l’histoire, à leur contexte et aux enjeux auxquels elles seront exposées. La reconversion renvoie ainsi à la recomposition des lieux. Elle n’est pas propre au patrimoine industriel. Des édifices tels que l’Alhambra de Grenade et la Mezquita de Cordoue sont les paradigmes d’une architecture qui se transforme dans le temps comme a parfaitement su le montrer l’architecte italien historiciste Aldo Rossi [57]. Ils incarnent une architecture constitutive de la ville, à l’image de certains sites industriels ayant généré des quartiers, sinon des villages ou des villes entières [58]. C’est pourquoi il semble fondamental de considérer avec attention les associations possibles et évolutives entre les objets et les situations. Rossi s’exprime en ces termes : « L’émergence des relations entre les choses, plus que les choses elles-mêmes, instaure toujours de nouvelles significations [59]. » Prêter attention à la reconversion et aux processus de patrimonialisation avec l’œil de l’archéologue implique de s’intéresser de près à la continuité historique dans laquelle s’inscrivent ces « choses », ainsi qu’à la notion de renouvellement que ces mêmes « choses » suscitent à la lueur des contextes distincts de ceux qui les ont fait naître. Sans être exclusive, la reconversion économique du patrimoine industriel témoigne de cet accord à l’unisson avec l’histoire car le sens originel des lieux, précisément conçus pour produire et pour évoluer, est préservé. En effet, ce nouvel usage nourrit l’idée d’un patrimoine en mouvement qui suit les linéaments de l’histoire, en même temps qu’il les dessine. Le destin des lieux d’industrie, lesquels relèvent de la catégorie des monuments « non intentionnels », ce pour quoi ils ont été créés, réside dans leur capacité structurelle à se transformer au rythme de l’évolution technologique, comme de celle du marché. Ils sont des objets imaginés dans une logique de transmutation corrélative au développement de l’entreprise et aux vicissitudes du contexte économique. De fait, si le culte de la valeur d’ancienneté d’un monument, conçu à des fins symboliques ou cognitives, ne tolère aucune autre transformation que celle générée par les lois de la nature, comme l’évoque Riegl, il ne saurait en être de même d’un objet dénué d’une telle visée, et dont une nouvelle génération décide, a posteriori, de la patrimonialisation. Certes, intervenir sur un objet originellement chargé d’une valeur symbolique et destiné à véhiculer un récit, peut être apparenté à une altération ; en revanche, qu’en est-il lorsqu’il s’agit de prolonger un processus de métamorphose caractérisant l’essence même de l’objet ? Les lieux d’industrie patrimonialisés et reconvertis pour accueillir de nouveaux usages, en particulier économiques, respectent cette identité originelle et correspondent à autant d’épisodes historiques arrachés, puis réinjectés dans le long cours de l’histoire. Par leur ancrage dans le passé et leur survivance dans le présent, ces espaces soulignent, par différentes codifications – architecturales et techniques –, plusieurs temporalités comme autant de clés de lecture de cette écriture historique. Le passé survit au cœur de ces espaces grâce aux traces originelles conservées, matérielles et immatérielles, lesquelles sourdent, comme une réminiscence. Mais ce palimpseste, loin d’être pétrifié dans une sédimentation, est réutilisé dans le cadre du nouvel usage qui le fait vivre au présent et le place dans une situation en devenir. Le trait d’union entre ces trois temporalités s’opère par la reconversion patrimoniale des lieux qui passe, le plus souvent, par une réorganisation spatiale, architecturale, voire technique. Depuis les années 2000, il convient de souligner qu’au-delà du périmètre historique du site, la reconversion du patrimoine industriel s’inscrit de plus en plus dans des projets de requalification urbanistique. Bien évidemment, ce changement d’échelle d’appréhension des lieux introduit d’autres enjeux. Il est désormais question de développement économique, d’envisager ces espaces bâtis comme une ressource, enfin d’interroger leur rôle face au paradigme environnemental. En effet, les préoccupations contemporaines liées à la lutte contre le réchauffement climatique génèrent un contexte stimulant pour imaginer d’autres perspectives de recherche et donner un nouveau souffle au champ du patrimoine industriel. Évolution des « valeurs » pour Riegl, « nouvelles significations » pour Rossi… Dans les deux cas, le contexte est le moteur : il est question de perméabilité et de réceptivité entre les objets, l’espace et le temps.

L’environnement : Un chantier pour l’interdisciplinarité

18En ce début de xxie siècle, la valeur de contemporanéité observée, un siècle plus tôt, par Riegl ne saurait se réduire à la notion d’usage. Au contraire, elle conduit à élargir la focale pour envisager la reconversion du patrimoine industriel dans un contexte plus large, dépassant les frontières du site et l’échelle territoriale. Il s’agit de prolonger la démarche axiologique et d’introduire une réflexion sur la valeur environnementale considérée dans sa double dimension écologique – comprise dans le sens d’un meilleur équilibre entre l’homme et son environnement –, puis politique. Écologique dans la mesure où, à des fins d’économie d’énergie, peuvent être mises en exergue les propriétés de certains matériaux de construction mis en œuvre dans les anciens lieux d’industrie. Parmi eux : la brique aux performances thermiques particulièrement intéressantes, ou encore les épais murs en pierre dont l’inertie est appréciée des architectes chargés de ces reconversions. Politique car il faut bien reconnaître que la valeur historique de ces espaces est souvent insuffisante aux yeux des décideurs pour insuffler leur reconversion, comparée à leur valeur urbanistique et à la portée de certaines opérations sur l’image d’un territoire. Il n’est pas rare de constater que le patrimoine industriel joue, in fine, un rôle de levier pour engager une opération de restructuration urbaine à l’échelle d’un quartier. Véritable valeur ajoutée répondant aux enjeux actuels de la société, la valeur environnementale telle qu’elle est envisagée ici à travers la reconversion du patrimoine industriel renvoie à la notion de réemploi du bâti existant et à la nécessité de penser la reconstruction de la ville sur elle-même. À défaut de subsomption, il est davantage question de poursuivre la « grammaire axiologique [60] » dans une perspective de complémentarité, d’enrichissement, de plus-value. Pour l’heure, la faible prise en compte de la dimension environnementale dans la reconversion patrimoniale s’explique notamment par une méconnaissance de l’architecture industrielle ancienne et une difficulté à adapter au patrimoine bâti historique une législation énergétique essentiellement conçue pour la construction neuve [61]. C’est pourquoi il devient pressant d’enrichir la dynamique pluridisciplinaire originelle par de nouveaux travaux.

19En 1989, Woronoff évoquait un deuxième défi auquel devait faire face l’archéologie industrielle, à savoir satisfaire la « demande sociale [62] ». Or il semblerait bien que les préoccupations écologiques actuelles constituent un ressort important en faveur de la préservation de ces objets patrimoniaux, pour peu que la recherche s’engage dans cette voie afin d’en analyser le potentiel et, le cas échéant, de le faire valoir. Se concentrer sur la reconversion des anciens lieux de l’industrie sous l’angle interdisciplinaire est une manière de renouveler les termes du questionnement, comme de recourir à de nouvelles méthodes de travail sans perdre de vue la cohérence qui doit exister avec les acquis, les textes doctrinaux et les besoins contemporains. Au regard du contexte actuel, le patrimoine industriel n’est plus seulement le témoin historique d’une époque, d’un style architectural, d’un processus technique. Il recouvre désormais un rôle actif dans la production du territoire, celui d’un levier entre le passé – riche des valeurs pointées par Riegl –, le présent et l’avenir. L’enjeu est de nourrir la connaissance, mais aussi d’encourager l’appropriation et la gestion de ce patrimoine dans le respect de ses valeurs. Les perspectives ne sont plus seulement celles des secteurs culturel et touristique. Elles touchent les enjeux économiques et environnementaux [63]. La mise en correspondance des politiques de la ville, des stratégies d’économie d’énergie et de développement territorial avec la démarche de l’archéologie industrielle est une voie tout entière à dessiner. L’ouverture à d’autres sphères, ainsi que le changement de l’échelle à laquelle est traité le patrimoine industriel ont une incidence directe sur sa perception sociale et, le corollaire, la place qui lui est alors accordée. L’une des manières de participer à l’exploration de ces pistes est l’interdisciplinarité entre les sciences historiques et les sciences de l’ingénierie. Car si la pluridisciplinarité concentre, autour d’un même objet, une variété d’approches, l’interdisciplinarité va plus loin, dans la mesure où elle invite à un transfert des méthodes d’une discipline à l’autre. Autrement dit, l’interaction est plus étroite et dynamique. L’intérêt de cet enrichissement réciproque est double. D’abord, il s’agit de développer la recherche fondamentale et d’accroître la connaissance par des voies jusqu’alors inexplorées. Ensuite, l’interdisciplinarité est une piste inédite invitant au renouvellement épistémologique du champ du patrimoine industriel et à la mise à jour de nouveaux axes de travail. Mais aborder cet objet sous le prisme de la question environnementale revient aussi à souligner leur relation particulière. D’une part, l’industrialisation massive comme fait et cause de l’épuisement des ressources naturelles et de la pollution constatée à l’échelle internationale ; d’autre part, le réemploi de certains de ses artefacts comme acte contribuant, à leur échelle [64], à freiner le processus de dégradation de l’environnement. C’est encore une manière de revisiter les perspectives des premiers travaux historiques soulignant la dialectique étroite entre les ressources naturelles et les activités de l’homme. Qu’elles soient minérales, forestières ou hydrauliques, ces ressources ont joué, jusqu’au Second Empire, un rôle déterminant dans l’implantation des établissements industriels. Puis, le développement des infrastructures routières, ferroviaires et navigables réduisit le coût du transport des matières premières et du combustible, en même temps que l’accroissement du machinisme libéra les usines de leur dépendance énergétique hydraulique. Si l’industrie a parfois aidé à réguler certaines de ces ressources, dont le domaine forestier, elle les a surtout extraites, exploitées, transformées, consumées, laissant dans le paysage des stigmates dont certains ont acquis une valeur symbolique. À cet égard, l’inscription du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais au titre de patrimoine mondial de l’UNESCO [65] témoigne d’une évolution de la perception de ce paysage industriel [66] au sein duquel les terrils ont changé d’image. Le monticule de déchets miniers a acquis le statut de « monument ». Cette mutation sociale et culturelle contemporaine n’est pas sans faire écho à la valeur d’ancienneté, pour laquelle le poids de l’affect, proportionnel à l’égrenage du temps, modifie les regards sur l’objet, le monument, l’artefact, la trace. Ce contexte invite ainsi à penser autrement que sous l’angle de la culpabilité collective notre relation à l’environnement, c’est-à-dire davantage dans une perspective de réconciliation et de coconstruction, que suggère le concept de durabilité, des points de vue paysager et architectural.

20Pour ce qui est du paysage, il est bon de mentionner la récente évolution historiographique inscrite dans le prolongement des travaux d’André Guillerme et caractérisée par le rapprochement entre l’histoire des techniques et l’histoire environnementale. Sans qu’il soit véritablement le cœur du propos, le patrimoine industriel apparaît de manière différenciée dans les recherches de cette nouvelle génération de chercheurs spécialisés dans le domaine de l’histoire des nuisances, des pollutions et de la composition des tissus industriels [67]. Si la question de la pollution industrielle est délicate compte tenu de ses conséquences sanitaires et environnementales, elle peut aussi être abordée en des termes renouvelés liés au développement technologique. Le contexte de la reconversion patrimoniale génère des expérimentations sur site où la biotechnologie conduit à envisager le rapport nature-industrie et les marques anthropologiques persistantes sous un angle tenant à l’écart les discours culpabilisants [68]. À titre d’exemple, des expériences de phytoremédiation, de dépollution par les plantes, sont menées sur d’anciens sites industriels textiles et chimiques [69]. Parallèlement, il n’est pas rare de constater aussi qu’une biodiversité très spécifique peut se développer sur des terrils, de même que d’anciens sites chaufourniers au sous-sol calcaire sont particulièrement propices au développement d’orchidées rares. Loin de nier la question ardue de la pollution des sols, ce nouveau rapport de l’industrie à la nature s’illustre, par exemple, par le classement d’anciens carreaux de fosse en « Espaces Naturels Sensibles » dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. En milieu urbain, dans un contexte de réappropriation positive de l’espace, les anciens sites industriels placés en bordure de rivière, fleuve ou front de mer sont traités comme de futurs espaces d’aménité, revendiqués au titre d’un urbanisme de qualité, lors des opérations d’aménagement et de reconversion patrimoniale (île de Nantes ; Euroméditerranée, à Marseille). Ces stratégies contemporaines montrent que la question environnementale peut être appréhendée sous le double prisme de la valorisation du patrimoine industriel, à titre de support mémoriel, et de la reconquête conjointe des espaces par la nature. Bien évidemment, si la patrimonialisation ne dédouane pas le site industriel de son histoire passée, ni de son impact sur l’environnement, en revanche, elle peut révéler – selon les acteurs en présence – un sens des responsabilités à l’égard du territoire, par le traitement des lieux lors de leur valorisation.

21Mais la question de l’environnement et de son rapport au patrimoine industriel ne saurait se poser qu’en termes paysagers. Les préoccupations liées à la préservation environnementale touchent de près le secteur du bâtiment, si l’on considère l’effort à fournir pour réduire les dépenses d’énergie. À ce titre, la reconversion du patrimoine industriel mérite d’être explorée à la lumière de son potentiel de réemploi et de ses qualités constructives. Comme le rappelle Guillerme, le réemploi des matériaux a ses temporalités, ses cycles et ses sites [70]. Au xviiie siècle, la démolition d’une maison parisienne se soldait par son recyclage complet, jusqu’aux derniers gravas. Abandonnés, le réemploi et le recyclage semblent revenir en force dans différents secteurs, eu égard aux politiques de réduction énergétique. Envisagés dans le contexte de la transition énergétique et donc d’un besoin sociétal, des travaux portant sur l’histoire des matériaux anciens et des techniques constructives de l’architecture industrielle constituent une voie destinée à combler la méconnaissance de ce patrimoine bâti par les différents bureaux d’études qui en ont la charge lors des opérations de reconversion. Ce nouvel angle d’approche vise à conjoindre l’apport des sciences historiques par le recours à l’exploitation des sources d’archives et à l’archéologie du bâti, et celui des sciences de l’ingénierie par les compétences en mécanique et en énergétique. En émergence, de telles recherches ont notamment pour objectif de développer une méthodologie non destructive de caractérisation des propriétés hygrothermiques des matériaux anciens du patrimoine industriel [71]. Il semble en effet pertinent d’examiner de près le rôle que pourraient jouer ces anciens lieux de l’industrie, aux surfaces et aux volumes souvent hors normes, à la luminosité généreuse, dans les stratégies déployées pour réduire les dépenses énergétiques. Cette réflexion est d’autant plus légitime qu’elle se positionne sur un terrain de recherche encore vierge. En plus de produire une connaissance fondamentale, cette orientation scientifique fidélise, conjointement, le champ du patrimoine industriel dans le domaine de la recherche appliquée, dans lequel il s’inscrit depuis ses débuts, en tentant d’apporter des réponses aux questionnements, voire aux attentes, des collectivités, des acteurs de terrain et des institutions publiques. Accroître la connaissance dans ce domaine est essentiel car le patrimoine industriel est, par essence, porteur d’une culture technique qu’il est fondamental de préserver et de diffuser. Par ailleurs, le réemploi de ces édifices requiert de nouvelles manières de penser et de construire le territoire à partir des héritages en place, dans un contexte de densification urbaine. L’un des axes de ces travaux interdisciplinaires est de travailler sur la vie des bâtiments. Il s’agit de recourir à la démarche de l’archéologie industrielle combinant l’exploitation des sources d’archives et l’enquête de terrain, afin de reconstituer l’histoire technique d’ateliers à travers leur production, leurs équipements, leurs procédés. Selon le secteur d’activité, ces ateliers étaient parfois soumis à des conditions de travail particulières, tels une atmosphère particulièrement saturée en eau ou un environnement où régnaient des températures élevées (métallurgie par exemple). Ces paramètres, induits par l’histoire de la production manufacturière, ont un impact sur les parois, leur altération, leur vieillissement. En effet, la réponse d’une paroi aux sollicitations climatiques extérieures et aux conditions hygrothermiques intérieures est régie par son vécu. Il convient donc de mettre ces informations à disposition des sciences de l’ingénierie afin d’enrichir les simulations expérimentales de ces disciplines par des données historiques avérées. Toutefois, si l’on attend une connaissance plus fine des propriétés thermiques, mécaniques ou hygrothermiques des matériaux de ces anciens lieux d’industrie, il est bien évident que ces données seront très variables selon les typologies architecturales, l’orientation des bâtiments et les matériaux mis en œuvre. Une halle en béton présentera des propriétés forcément différentes de celles d’un atelier à étages édifié en brique. Nécessaire, ce capital de connaissances ne saurait pourtant être réduit à un outil d’aide à la décision, au risque de desservir des édifices dont la performance thermique serait jugée insuffisante. C’est aussi à ce niveau que les sciences humaines et sociales doivent s’illustrer, lors de recherches interdisciplinaires, en démontrant que certains objets sont empreints de valeurs intangibles, lesquelles ne peuvent être normées, standardisées, réglementées. C’est le cas pour tout édifice patrimonial chargé de la valeur d’ancienneté combinée à la valeur historique, qu’aucune mesure ne sait aujourd’hui quantifier compte tenu, notamment, de la part de subjectivité qui leur est inhérente. L’une des lignes de conduite de ces nouvelles recherches est de veiller à la préservation de ces valeurs, lesquelles ne sauraient être mises en balance face à des valeurs parfaitement mesurables, même dans un contexte de pression environnementale. Il en va ici de la responsabilité scientifique de l’historien, mais aussi de son rôle social revendiqué par Ivan Jablonka [72]. Or la qualité paysagère ne passe pas seulement par une sauvegarde des ressources naturelles, mais aussi par la diversité architecturale, les matériaux, l’évolution des techniques de construction que donnent à lire les façades, la typologie des lieux, soit autant de traces de l’histoire des sociétés. Aux ressources naturelles s’ajoutent les ressources patrimoniales, comme autant de richesses territoriales à faire valoir. Appréhendé sous le prisme environnemental, le croisement des sources et des méthodes propres à ces disciplines laisse augurer un bel avenir à des recherches soucieuses de poser la double problématique de la préservation du patrimoine industriel, au titre de témoignage historique, puis de sa contribution effective à la préservation de l’environnement dans le domaine du réemploi du bâti existant, au titre de ressource architecturale et paysagère.

22Choisir Riegl comme compagnon de route pour revisiter les champs couverts par le patrimoine industriel a permis de rappeler le lien indéfectible que l’objet entretient avec l’histoire et qu’il convient d’enrichir en prenant appui sur d’autres disciplines. Véritable ferment stimulant la réflexion et invitant au questionnement dans un registre contemporain, sa pensée aura aussi permis de poursuivre la démarche axiologique qu’il a engagée, en tentant de dégager de nouvelles valeurs. La notion de développement, au cœur de la conception moderne de l’histoire pour notre théoricien, prend toute son ampleur au regard du paradigme actuel de la durabilité, du renouvellement culturel et des modifications profondes de la société. La conscience de l’épuisement des ressources naturelles ainsi que la pression démographique invitent à penser autrement nos modes de vie, en fonction, désormais, de leur intégration à part entière et d’une meilleure gestion. Cela implique de considérer toutes les ressources en présence, y compris patrimoniales. Particulièrement perméable au contexte, le patrimoine industriel sait ainsi se parer d’une valeur politique propre aux stratégies de développement territorial dans lesquelles s’inscrit la réappropriation de ces objets, ainsi que d’une valeur environnementale dans le cadre prégnant de la lutte contre le réchauffement climatique. Quarante ans après les premières mobilisations intellectuelles, il serait souhaitable de profiter de ce contexte de la double transition numérique et écologique pour marquer un tournant dans la manière d’appréhender le patrimoine industriel et technique. Recherche fondamentale et appliquée, défense, valorisation, prise en compte de la demande sociale… Bergeron et Woronoff ont, maintes fois, montré les implications que les acteurs engagés dans l’étude de ce matériau devaient prendre en considération. Or se posent aujourd’hui les questions, d’une part du maquettage numérique comme objet de compréhension et de médiation culturelle, et d’autre part du réemploi, des économies d’énergie et de la densification urbaine. Il s’agit là de multiples sources d’irrigation pouvant potentiellement contribuer au renouvellement de la recherche. Dans le respect de ses valeurs traditionnelles, le patrimoine industriel apparaît plus que jamais comme un matériau à réinvestir. Objet de connaissance, il doit également se poser en termes de savoir. Car, comme le souligne très justement Jablonka, c’est le savoir, par ce qu’il induit de réflexion et de démonstration, qui permet à un objet d’étude de se développer, de se renouveler au fil d’une analyse qui l’emmène sur des voies moins conventionnelles [73]. Bien entendu, ces dernières peuvent ne pas forcément aboutir à des résultats concluants ou suffisamment prometteurs ; en revanche, chacune constitue un terrain d’investigation à explorer, pour son apport potentiel. C’est en ce sens que le patrimoine industriel peut s’enrichir de tout un pan de réflexion interdisciplinaire, dans une perspective d’ouverture à notre monde [74].


Mots-clés éditeurs : matériaux anciens, reconversion patrimoniale, interdisciplinarité, patrimoine industriel, environnement, efficacité énergétique, sciences de l’ingénierie, humanités numériques, axiologie, épistémologie, sciences historiques

Date de mise en ligne : 14/01/2020.

https://doi.org/10.3917/rhs.722.0309

Notes

  • [1]
    Parmi les textes officiels récents proposant une définition du patrimoine industriel figurent les « Principes de Dublin » dont voici un extrait : « Au patrimoine matériel lié aux procédés et techniques de l’industrie, du génie civil, de l’architecture ou de l’urbanisme, s’ajoute un patrimoine immatériel lié aux savoir-faire, à la mémoire ou à la vie sociale des ouvriers et de leurs communautés. Le processus global d’industrialisation observé au cours des deux derniers siècles constitue une étape majeure de l’histoire humaine et son patrimoine revêt une importance significative dans le monde contemporain. » (Extrait des principes conjoints ICOMOS-TICCIH (International Council on Monuments and Sites – The International Committee for the Conservation of the Industrial Heritage) pour la conservation des sites, constructions, aires et paysages du patrimoine industriel, dits « Principes de Dublin » ; texte adopté par la première assemblée générale de l’ICOMOS, le 28 novembre 2011.)
  • [2]
    Parmi les travaux portant un regard épistémologique et/ou historiographique, voir notamment :
    • Jean-Yves Andrieux, Le Patrimoine industriel (Paris : PUF, 1992).
    • Id., Politiques du patrimoine industriel en France (1972-2000) : Bilan et perspectives, in Philippe Poirrier et Loïc Vadelorge (dir.), Pour une histoire des politiques du patrimoine (Paris : Comité d’histoire du ministère de la Culture – Fondation Maison des sciences de l’homme – La Documentation française, 2003), 452-468.
    • Louis Bergeron et Gracia Dorel-Ferré, Le Patrimoine industriel, un nouveau territoire (Paris : Liris, 1996).
    • Louis Bergeron, L’âge industriel, in Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire (Paris : Gallimard, 1997), 3973-3997.
    • Claudine Cartier, L’Héritage industriel, un patrimoine (Paris : Monum’ éditions du patrimoine, 2002).
    • Jean-Claude Daumas (dir.), La Mémoire de l’industrie : De l’usine au patrimoine (Besançon : PUFC, 2006).
    • Maurice Daumas (dir.), Les Bâtiments à usage industriel aux xviiie et xixe siècles en France (Paris : CDHT, Cnam-EHESS, 1978).
    • Maurice Daumas, L’Archéologie industrielle en France (Paris : Robert Laffont, 1980).
    • Gracia Dorel-Ferré (dir.), Le patrimoine industriel, Historiens et géographes (2009).
    • Marina Gasnier, Patrimoine industriel et technique : Perspectives et retour sur 30 ans de politiques publiques au service des territoires (Lyon : Lieux Dits, 2011).
    • Denis Woronoff, L’archéologie industrielle en France : Un nouveau chantier,
      Histoire, économie et société, 8/3 (1989), 447-458.
    • Id., Histoire contemporaine et patrimoine des xixe siècle et xxe siècle : Bilan et perspectives historiographiques, Bulletin d’information de l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche, 30 (2005), 6-10.
  • [3]
    Dès les années 1940 en Angleterre.
  • [4]
    Aloïs Riegl, Le Culte moderne des monuments : Son essence et sa genèse [1903] (Paris : Seuil, 1984). Voir également la récente traduction du texte de Riegl par Matthieu Dumont et Arthur Lochmann aux éditions Alia (2016).
  • [5]
    Bien entendu, nombre d’ouvrages et d’articles étudiant la notion de patrimoine ont été rédigés par la suite. Parmi eux, citons :
    • Jean-Yves Andrieux et Fabienne Chevallier, Le Patrimoine monumental : Sources, objets et représentations (Rennes : PUR, 2014).
    • André Chastel, La notion de patrimoine, in Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire (Paris : Gallimard, 1997), 1433-1469.
    • Jean-Pierre Babelon et André Chastel, La Notion de patrimoine (Paris : Lévi, 1994).
    • Françoise Choay, L’Allégorie du patrimoine (Paris : Seuil, 1992).
  • [6]
    Nathalie Heinich, Des valeurs : Une approche sociologique (Paris : Gallimard, 2017).
  • [7]
    De ce point de vue, la démarche a connu quelques expérimentations pionnières au début des années 2000. Voir : Michel Cotte et Samuel Deniaud, CAO et patrimoine, perspectives innovantes, L’Archéologie industrielle en France, 46 (juin 2005), 32-38.
  • [8]
    Woronoff (1989), op. cit. in n. 2, 448.
  • [9]
    Ibid., 447.
  • [10]
    Voir le numéro spécial dédié au sujet : L’Archéologie industrielle en France, 11 (1985).
  • [11]
    Denis Woronoff, L’Industrie sidérurgique en France pendant la Révolution et l’Empire (Paris : Éd. de l’EHESS, 1984).
  • [12]
    Pour une liste exhaustive des publications sur le patrimoine industriel suscitées par l’Inventaire général entre 1983 et 2012, voir : Gasnier, op. cit. in n. 2, 288-292.
  • [13]
    Sur l’histoire du Comité d’information et de liaison pour l’archéologie, l’étude et la mise en valeur du patrimoine industriel (CILAC), voir le numéro spécial : 30 ans de patrimoine industriel en France, L’Archéologie industrielle en France, 45 (2004).
  • [14]
    En collaboration avec le Centre de création industrielle (CCI), l’architecte Vincent Grenier réalise, en 1973, une exposition itinérante intitulée « L’usine, travail et architecture », initialement présentée au musée des Arts décoratifs. Elle sera suivie deux ans plus tard d’une autre exposition, « Le paysage de l’industrie », initiée par les Archives d’architecture moderne, à Paris.
  • [15]
    Lise Grenier et Hans Wieser-Benedetti, Recherches sur l’architecture de la région lilloise de 1830 à 1930 : Les châteaux de l’industrie (Paris-Bruxelles : Archives d’architecture moderne et ministère de l’Environnement et du Cadre de vie, 1979).
  • [16]
    En Italie, Gabriele Basilico a réalisé une série de portraits d’usines milanaises et s’est attaché à révéler les paysages industriels du Biellese, territoire spécialisé dans la confection des tissus de laine de luxe diffusés mondialement.
  • [17]
    Aux États-Unis, voir les réalisations de photographes tels que Joseph Elliot, Serge Hambourg ou encore Sandy Noyes.
  • [18]
    À l’initiative de la Cellule du patrimoine industriel installée, en 1983, à la direction de l’Architecture et du Patrimoine auprès du ministère de la Culture.
  • [19]
    Pour une histoire de la politique nationale menée par l’Inventaire général dans le domaine du patrimoine industriel et technique depuis les années 1980, voir : Gasnier, op. cit. in n. 2.
  • [20]
    Daumas (1978), op. cit. in n. 2.
  • [21]
    Daumas (1980), op. cit. in n. 2.
  • [22]
    Plus de 13 500 sites industriels ont été étudiés par l’Inventaire général dans le cadre du Repérage national du patrimoine industriel.
  • [23]
    À titre d’exemples :
    • Robert Belot et Pierre Lamard, Images de l’industrie xixe-xxe siècles (Antony : ETAI, 2011).
    • Nicolas Pierrot, « Les images de l’industrie en France : Peintures, dessins, estampes, 1760-1870 », thèse de doctorat en histoire (univ. de Paris I, 2010), vol. I.
    • Denis Woronoff, La France industrielle : Gens des ateliers et des usines 1890-1950 (Paris : Chêne, 2003).
    • Id., Histoire de l’emballage en France du xviiie siècle à nos jours (Presses universitaires de Valenciennes, 2015).
  • [24]
    À titre d’exemples :
    • Louis André, Machines à papier : Innovation et transformations de l’industrie papetière en France, 1798-1860 (Paris : Éd. de l’EHESS, 1996).
    • Catherine Cardinal, Liliane Hilaire-Pérez, Delphine Spicq et Marie Thébaud-Sorger (dir.), L’Europe technicienne xve-xviiie siècle, Artefact : Techniques, histoire et sciences humaines, 4 (2016).
    • Michel Cotte, Le patrimoine technique de l’époque moderne, aperçu d’un monde en transition, Artefact : Techniques, histoire et sciences humaines, 4 (2016), 371-383.
    • Anne-Françoise Garçon, Mine et métal (1780-1880) : Les non-ferreux et l’industrialisation (Rennes : PUR, 1998).
    • Id. et Liliane Hilaire-Pérez (dir.), Les Chemins de la nouveauté : Innover, inventer au regard de l’histoire (Paris : CTHS, 2004).
    • Liliane Hilaire-Pérez, L’Invention technique au siècle des Lumières (Paris : Albin Michel, 2000).
    • Jean-Marc Olivier, Des clous, des horloges et des lunettes : Les campagnards moréziens en industrie (1780-1914) (Paris : CTHS, 2004).
    • Voir également la revue Documents pour l’histoire des techniques (CDHTE-Cnam).
  • [25]
    Parmi lesquelles :
    • Robert Belot et Pierre Lamard, Peugeot à Sochaux : Des hommes, une usine, un territoire (Paris : Lavauzelle, 2007).
    • Id. (dir.), Alstom à Belfort : 130 ans d’aventure industrielle (Boulogne-Billancourt : ETAI, 2009).
    • Évelyne Lohr, Geneviève Michel et Nicolas Pierrot (dir.), Les Grands moulins de Pantin : L’usine et la ville (Lyon : Lieux Dits, 2009).
  • [26]
    En dehors de quelques exceptions dont Jean-Pierre Houssel, professeur émérite engagé très tôt auprès du CILAC.
  • [27]
    Pour ne citer que quelques exemples :
    • Guy Di Méo, Patrimoine et territoire, une parenté conceptuelle, Espaces et sociétés, 78 (1994), 15-34.
    • Simon Edelblutte, Paysages et territoires du patrimoine industriel au Royaume-Uni, Revue géographique de l’Est, 48/1-2 (2008) [en ligne].
    • Id., Paysages et territoires de l’industrie en Europe : Héritages et renouveaux (Paris : Ellipses, 2010).
    • Isabelle Garat, Maria Gravari-Barbas et Vincent Veschambre, Émergence et affirmation du patrimoine dans la géographie française : La position de la géographie sociale, in Jean-Marc Fournier (dir.), Faire la géographie sociale aujourd’hui (Caen : Presses univ. de Caen, 2001), 31-40.
    • Georges Gay, L’impossible palimpseste industriel, L’Archéologie industrielle en France, 61 (2012), 11-19.
    • Maria Gravari-Barbas et Sylvie Guichard-Anguis (dir.), Regards croisés sur le patrimoine dans le monde à l’aube du xxie siècle (Paris : Presses de l’univ. de ParisSorbonne, 2003).
    • Vincent Veschambre, Patrimoine : Un objet révélateur des évolutions de la géographie et de sa place dans les sciences sociales, Annales de géographie, 116/656-4 (2007), 361-381.
    • Id., Traces et mémoires urbaines : Enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition (Rennes : PUR, 2008).
  • [28]
    Michel Rautenberg, Patrimoines culturel et naturel : Analyse des patrimonialisations, in Hana Gottesdiener et Jean Davallon (dir.), La Muséologie, 20 ans de recherches, hors-série de Culture et musées (Arles : Actes Sud, 2013), 115-138 ; Id., Stratégies identitaires de conservation et de valorisation du patrimoine (Paris : L’Harmattan, 2008).
  • [29]
    Fernand Braudel, Histoire et sciences sociales : La longue durée, Annales ESC, 13/4 (1958), 7-35, ici 35.
  • [30]
    Patrick Boucheron, L’Entretemps : Conversations sur l’histoire (Lagrasse : Verdier, 2012).
  • [31]
    Convention du patrimoine mondial de l’UNESCO, 1972.
  • [32]
    Pour plus d’informations, voir :
    • Cesare Brandi, Théorie de la restauration [1963], trad. fr. Colette Déroche (Paris : Éd. du patrimoine – Institut national du patrimoine, 2001).
    • Renato Bonelli, Architettura e restauro (Venise : Neri Pozza, 1959).
    • Les Dilemmes de la restauration, CeROArt, revue électronique, 4 (2009).
  • [33]
    Jean-Yves Andrieux et Fabienne Chevallier, Le Patrimoine monumental : Sources, objets et représentations (Rennes : PUR, 2014).
  • [34]
    Pour plus d’informations, voir :
    • Séverine Derolez, « La patrimonialisation des objets scientifiques contemporains et leurs contextes de valorisation. Cas de l’accélérateur de particules CockcroftWalton », thèse de doctorat en didactique, histoire et épistémologie des sciences (univ. de Lyon, 2016).
    • Rémy Geindreau, Séverine Derolez et Jean-Paul Martin, Enquête sur l’environnement socio-technique d’un générateur Cockcroft-Walton en vue de sa restauration, de sa conservation et de sa patrimonialisation, In Situ : Revue des patrimoines, revue électronique, 29 (2016).
  • [35]
    Pour la valeur esthétique des lieux d’industrie, voir notamment : Michel Melot, Comment la beauté vient aux usines, L’Archéologie industrielle en France, 46 (2005), 4-9.
  • [36]
    Riegl, op. cit. in n. 4, 51.
  • [37]
    Voir les travaux initiés au début des années 2000 par Michel Cotte, aujourd’hui professeur honoraire d’histoire des techniques, et Florent Laroche, maître de conférences HDR au laboratoire LS2N (École centrale de Nantes). Depuis, ces recherches bénéficient de regards et d’actions complémentaires, parmi lesquels il faut notamment compter la collaboration de Jean-Louis Kerouanton et Sylvain Laubé au Centre François Viète (université de Nantes et UBO) ; les travaux de l’équipe « Usines 3D » de l’université d’Évry avec Alain-P. Michel et Robert Vergnieux (en particulier Virtual retrospect 2009) ; les activités de l’équipe d’Archeovision (UMS 3657) à l’université de Bordeaux ; celles de l’université de technologie de Belfort-Montbéliard : voir en ligne, à titre d’exemple, la modélisation 3D du marteau-pilon du Creusot effectuée par des étudiants et reprise par une société de production pour la muséographie du Pavillon de l’Industrie (http://www.afbourdon.com/centre-dinterpretation/).
    Pour plus d’informations sur la rétroconception (reverse-engineering), voir :
    • Michel Cotte et Florent Laroche, Le virtuel pour capitaliser notre patrimoine technique et industriel, in Actes numériques du symposium scientifique « Patrimoine, moteur de développement » de l’ICOMOS (Paris, 2011), 999-1005.
    • Michel Cotte, Les outils numériques au service de l’histoire des techniques, e-Phaïstos, revue d’histoire des techniques, I/2 (2012), 12-27.
    • Florent Laroche, « Contribution à la sauvegarde des objets techniques anciens par l’archéologie industrielle avancée : Proposition d’un modèle d’information de référence muséologique et d’une méthode interdisciplinaire pour la capitalisation des connaissances du patrimoine technique et industriel », thèse de doctorat en génie mécanique (École centrale de Nantes, 2007), vol. I.
    • Id., Michel Cotte, Jean-Louis Kerouanton et Alain Bernard, L’image virtuelle comme source de connaissance pour le patrimoine technique et industriel : Comment allier histoire et ingénierie ?, in Bertrand Lavédrine (dir.), Genres et usages de la photographie, Actes du 132e congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Arles, 2007, éd. électronique (CTHS, 2009), 53-64.
    • Alain Michel, La reconstitution virtuelle d’un atelier de Renault-Billancourt : Sources, méthodologie et perspectives, Documents pour l’histoire des techniques, 18 (2009), 23-36.
    • Dossier thématique La numérisation du patrimoine technique de Documents pour l’histoire des techniques, 18 (2009), en particulier le premier travail de synthèse du domaine :
      Michel Cotte, Les techniques numériques et l’histoire des techniques : Le cas des maquettes virtuelles animées, ibid., 7-21.
    • Benjamin Hervy, « Contribution à la mise en place d’un PLM muséologique dédié à la conservation et la valorisation du patrimoine : Modélisation et intégration de données hétérogènes sur un cycle de vie produit complexe », thèse en sciences de l’ingénieur (École centrale de Nantes, 2014).
    Si l’apport des outils numériques dans l’étude et la valorisation du patrimoine industriel et technique n’est pas l’objet de cet article, il convient toutefois de souligner la dynamique de recherche engagée dans ce domaine avec quelques foyers très actifs, dont témoigne le projet ANR ReSeed, en cours. Enfin au-delà du patrimoine industriel, ces technologies sont plus largement utilisées en histoire et en archéologie comme l’illustrent, à l’échelle internationale, l’opération Venice Time Machine et ses déclinaisons à Amsterdam, Paris, Budapest, Naples ou encore Nuremberg, comme objet de recherche et de médiation culturelle.
  • [38]
    Laroche (2007), op. cit. in n. 37.
  • [39]
    Riegl, op. cit. in n. 4, 26.
  • [40]
    René Rémond, Le contemporain du contemporain, in Pierre Nora (dir.), Essais d’égohistoire (Paris : Gallimard, 1987), 293-349.
  • [41]
    Braudel, op. cit. in n. 29, 32.
  • [42]
    À la fin de cet extrait, l’auteur fait référence à l’inventaire exhaustif des monuments autrichiens qu’il a dressé. Riegl, op. cit. in n. 4, 44.
  • [43]
    Bertrand Gille, Histoire des techniques (Paris : Gallimard, 1978).
  • [44]
    Notamment lors d’une collaboration étroite entre deux services du ministère de la Culture : l’Inventaire général et les Monuments historiques, mais aussi dans le cadre du rapport Loiseau et de la commission Varloot (instituée par la direction de l’Architecture et du Patrimoine). Pour plus d’informations, voir : Gasnier, op. cit. in n. 2.
  • [45]
    Celle-ci eut la préférence des précurseurs anglais qui s’approprièrent le champ vingt ans auparavant, dès le milieu des années cinquante (Michael Rix, université de Birmingham, et Kenneth Hudson, senior lecturer in adult studies à l’université de Bath, et à l’origine du Journal of industrial archaeology édité à partir de 1964).
  • [46]
    Pour revisiter l’histoire de ces échanges, voir :
    • Pierre-Yves Balut, L’archéologie buissonnière : 2. L’archéologie industrielle, RAMAGE, 3 (1984-1985), 243-258.
    • Maurice Daumas, L’archéologie industrielle : Ses méthodes, ses succès, ses limites, RAMAGE, 1 (1982), 37-47.
    • Serge Chassagne, L’élargissement d’un concept : De l’archéologie (industrielle) au patrimoine (industriel), Le Mouvement social, 199 (2002/2), 7-9.
  • [47]
    Sur le thème de la reconversion, voir le numéro 49 de L’Archéologie industrielle en France (déc. 2006).
  • [48]
    Jocelyn de Noblet, Étude sur la situation de la culture technique en France (Paris : Ministère de l’Industrie, groupe ethnotechnologie – Bureau national d’information scientifique et technique, 1979).
  • [49]
    Gasnier, op. cit. in n. 2, 97.
  • [50]
    Toutefois, dans ce processus, Riegl révèle avec intelligence les limites et le paradoxe du culte lié à la valeur d’ancienneté, dans la mesure où celui-ci conduit à la disparition irrémédiable de l’œuvre. En effet, l’historien de l’art montre que cette dernière est une création livrée aux lois de la nature ; elle ne supporte aucune autre intervention, au risque d’en altérer le sens originel, pas même à des fins de restauration. En ce sens, toute intervention sur l’objet a des effets destructeurs, qu’il s’agisse de l’action de la nature ou du geste artificiel de l’homme. Pour plus d’informations sur cette réflexion analysée dans le cadre de la reconversion patrimoniale contemporaine, voir : Marina Gasnier, Le Patrimoine industriel au prisme de nouveaux défis : Usages économiques et enjeux environnementaux (Besançon : Presses univ. de Franche-Comté, 2018).
  • [51]
    Même si l’architecture industrielle est avant tout guidée par des logiques purement fonctionnelles, celle-ci est loin d’être dénuée de toute préoccupation esthétique, comme en témoignent les « châteaux de l’industrie ».
  • [52]
    Pour plus d’informations sur les processus de reconversion du patrimoine industriel et le geste architectural, voir : Gasnier, op. cit. in n. 50.
  • [53]
    Pour plus d’informations, voir :
    • Philippe Mioche et Denis Woronoff, Le patrimoine sidérurgique en Lorraine : Un enjeu d’avenir, L’Archéologie industrielle en France, 27 (1995), 8-20.
    • Jean-Louis Tornatore, Beau comme un haut-fourneau : Sur le traitement en monument des restes industriels, L’Homme, Revue française d’anthropologie, 170/2 (2004), 79-116.
  • [54]
    Heinich, op. cit. in n. 6.
  • [55]
    Riegl, op. cit. in n. 3, 99-101.
  • [56]
    Pour plus d’informations sur la reconversion du patrimoine industriel et les nouveaux usages économiques, voir : Gasnier, op. cit. in n. 50.
  • [57]
    Aldo Rossi, Autobiographie scientifique (Marseille : Parenthèses, 2010).
  • [58]
    Pour plus d’informations sur ce sujet, voir : Edelblutte (2010), op. cit. in n. 27.
  • [59]
    Rossi, op. cit. in n. 58, 34.
  • [60]
    Selon l’expression de Nathalie Heinich, op. cit. in n. 6.
  • [61]
    Se reporter à la « Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte », publiée au Journal officiel du 18 août 2015, titre II : « Mieux rénover les bâtiments pour économiser l’énergie ».
  • [62]
    Woronoff (1989), op. cit. in n. 2, 447.
  • [63]
    Pour plus d’informations, voir : Gasnier, op. cit. in n. 50.
  • [64]
    À cet égard, le GIEC indique que la mobilisation en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique doit aussi s’exercer à l’échelle régionale, voire locale. L’instauration de liens entre les politiques climatiques nationales et infranationales est signalée comme un moyen à ne pas négliger pour optimiser l’atténuation du changement climatique. En ce sens, le rôle clé des institutions politiques locales et du secteur privé est de plus en plus reconnu pour favoriser l’adaptation des communautés et de la société civile à ce nouveau paradigme. Voir : Changements climatiques 2014, 5e rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Genève : GIEC, 2015).
  • [65]
    Inscription sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO, au titre de paysage culturel évolutif vivant, le 30 juin 2012 (UNESCO, 36e session du comité du patrimoine mondial, du 24 juin au 6 juillet 2012, à Saint-Pétersbourg).
  • [66]
    Au sujet de la notion de paysage industriel, voir :
    • Catherine Chaplain-Manigand et Antony Guido (coord.), Les Paysages de l’industrie, compte rendu des journées d’études, Montpellier, INSET, 2-4 avril 2014 (Paris : Minist. de la Culture et de la Communication, 2014).
    • François Crouzet, Naissance du paysage industriel, Histoire, économie et société, 16/3 (1997), 419-438.
  • [67]
    Notamment Jean-Baptiste Fressoz, Frédéric Graber, Thomas Leroux, Michel Letté, Fabien Locher, François Jarrige ou encore Arnaud Péters.
  • [68]
    Voir les travaux d’Hélène Melin, socio-anthropologue au laboratoire Clersé (UMR 8019, CNRS – université de Lille.
  • [69]
    Se reporter aux expérimentations menées sur les anciens sites industriels de La Condition publique, à Roubaix ; de l’Union, à Lille ; et de Giat Industries, actuellement Novaciéries, à Saint-Chamond.
  • [70]
    André Guillerme, Une spécificité de l’histoire, in Robert Carvais et al. (dir.), Édifice & artifice : Histoires constructives (Paris : Picard, 2010), 1218.
  • [71]
    Ces recherches réunissent, au sein de l’institut FEMTO-ST (UMR 6174), les équipes, en sciences humaines et sociales : RÉCITS (univ. de technologie de Belfort-Montbéliard – UTBM), et en sciences de l’ingénierie : Thermie, du département Énergie (univ. de Franche-Comté – UFC). D’ores et déjà, voir :
    • Jawad Jamal et al., « Méthodologie pour une meilleure connaissance des matériaux du patrimoine industriel », actes du CNRIUT, 2017 (https://cnriut2017.sciencesconf.org).
    • Marina Gasnier et Yacine Aït Oumeziane, Les enjeux d’une recherche autour des matériaux du patrimoine industriel, Patrimoine industriel, 68 (2016), 22-25.
  • [72]
    Ivan Jablonka, L’Histoire est une littérature contemporaine : Manifeste pour les sciences sociales (Paris : Seuil, 2014).
  • [73]
    Jablonka, op. cit. in n. 72.
  • [74]
    Cette ambition rejoint les recommandations formulées dans les « Principes de Dublin » (op. cit. in n. 1) : « Le patrimoine industriel est très vulnérable, menacé de disparaître faute de sensibilité, de connaissance, de reconnaissance ou de protection, sous l’effet d’une économie en mutation, de perceptions négatives, d’enjeux environnementaux ou de sa propre taille ou complexité. La conservation du patrimoine bâti industriel prolonge pourtant la vie utile des constructions et de l’investissement énergétique qu’elles représentent. Sa contribution à la réalisation des objectifs du développement durable local, national et international, à ses dimensions sociales, physiques ou environnementales du développement doit être reconnue. »
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