Couverture de RHS_711

Article de revue

Analyses d’ouvrages

Pages 111 à 140

Notes

  • [1]
    Voir le compte rendu de cet ouvrage par Tiffany Princep dans la Revue d’histoire des sciences, 65/2 (2012), 402-405.
  • [2]
    Sur cet ouvrage, voir aussi le compte rendu de Jérôme Lamy paru dans la Revue d’histoire des sciences, 61/1 (janvier-juin 2008), 223-224.
  • [3]
    Voir Michel Letté, Chimie, chimistes et rationalisation sous les auspices du ministre du Commerce et de l’Industrie Étienne Clémentel (1917-1919), Revue d’histoire des sciences, 69/1 (janvier-juin 2016), 19-40.
English version

Angela Axworthy, Le Mathématicien renaissant et son savoir : Le statut des mathématiques selon Oronce Fine (Paris : Classiques Garnier, 2016), 15 x 22 cm, 479 p., ill., 4 annexes, bibliogr., index nominum, index rerum, « Histoire et philosophie des sciences », 11

1 Premier lecteur de mathématiques au Collège royal fondé par François Ier en 1530, Oronce Fine fut un des acteurs importants de la renaissance des mathématiques en France. Pourtant son œuvre mathématique n’a fait jusqu’ici l’objet que de très peu d’études, sans doute en raison de son caractère peu novateur. Angela Axworthy nous présente dans ce livre, issu de sa thèse, une analyse non pas des contenus mathématiques des ouvrages d’Oronce Fine, mais de sa conception des mathématiques, de ses objets, de ses démonstrations, de leur place dans la hiérarchie des savoirs, de leur utilité. Ainsi, Angela Axworthy explique qu’elle aborde l’œuvre mathématique d’Oronce Fine en historienne de la philosophie qui cherche à comprendre comment se sont développées les mathématiques à cette époque charnière, entre le Moyen Âge et l’Âge classique, où l’enseignement des mathématiques est encore balbutiant et où l’usage des outils mathématiques pour l’étude de la nature n’allait pas encore totalement de soi. La figure d’Oronce Fine est particulièrement intéressante car, du fait de sa fonction toute nouvelle au Collège royal, il se devait de défendre un enseignement autonome des mathématiques. Avant sa nomination, il l’avait fait dans une épître adressée à François Ier, l’Epistre exhortative touchant la perfection & commodite des ars liberaulx mathematiques (dont on trouve une transcription dans l’annexe 1 de l’ouvrage d’A. Axworthy), texte ayant pour but d’inciter le roi à créer une chaire royale de mathématiques ; il y vante les mérites et la dignité des mathématiques. Les préfaces de ses ouvrages lui offrent aussi une tribune pour développer ses arguments. Angela Axworthy se réfère ainsi à la préface de la Protomathesis (reproduite dans l’annexe 2), ouvrage composé de quatre traités, l’Arithmetica pratica, la Geometria, la Cosmographia sive sphaera mundi, soit un traité d’astronomie, et le De solaribus horologiis et quadrantibus, soit un traité de gnomonique (ces quatre traités présentant un programme d’enseignement complet des mathématiques), mais aussi à la préface de l’édition, par Fine, des six premiers livres des Éléments d’Euclide, pour ne citer que les principaux ouvrages (on trouve la liste des ouvrages de Fine dans l’annexe 4).

2 Le livre d’Angela Axworthy est divisé en deux grandes parties. Dans une première partie, elle étudie la nature et le statut du savoir mathématique selon Oronce Fine, s’intéressant au statut ontologique que celui-ci accorde aux objets mathématiques et aux arguments qu’il avance pour défendre la supériorité des mathématiques quant à la certitude de ses démonstrations (nous sommes ici quelques années avant les débats sur la certitude des démonstrations mathématiques qui agitèrent les philosophes et mathématiciens du xvi e siècle). Oronce Fine s’inspire alors des théories d’Aristote, de Platon et de Proclus, qu’il reprend en les adaptant au gré de son argumentation et du point de vue qu’il adopte, quitte à sembler parfois se contredire. Angela Axworthy fait alors preuve de beaucoup de finesse dans ses analyses pour donner une cohérence aux écrits de Fine.

3 La deuxième partie porte sur certaines branches particulières du savoir mathématique, soit l’astronomie, les mathématiques pratiques (l’arithmétique pratique, la géométrie pratique et la pratique musicale) et les mathématiques subalternes que sont, pour Fine, la perspective et la géographie. On doit noter ici comment Fine met sur le même plan la perspective, qui pour les médiévaux est un exemple de scientia media, et la géographie, qui se développe de son temps.

4 Particulièrement intéressantes sont les pages consacrées à la question du mouvement de la huitième sphère chez Fine et ses prédécesseurs, où Angela Axworthy fait preuve d’une remarquable analyse des sources et de l’historiographie sur le sujet, comme ailleurs dans le livre. Tout aussi intéressante est la sous-partie consacrée à la nature et la finalité des mathématiques pratiques, où Angela Axworthy renouvelle l’approche de ces questions. Elle y montre que, pour Fine, les aspects pratiques des mathématiques qu’il présente dans ses traités ne sont pas dirigés en priorité vers des applications immédiatement utiles aux artisans, aux techniciens, aux navigateurs, aux commerçants. Mais, comme elle l’écrit dans la conclusion de ce chapitre, Oronce Fine parle de mathématiques pratiques « dans la mesure où elles inciteraient à agir, à effectuer et à reproduire les gestes d’analyse et de calcul fondés en raison sur les propriétés énoncées au sein de l’enseignement théorique ».

5 Notons pour finir que, tout au long de son livre, Angela Axworthy propose des analyses fines et précises des conceptions de Fine sur les mathématiques en s’appuyant sur de larges extraits de textes qu’elle nous offre dans une traduction française élégante, lorsque ceux-ci sont en latin. Notons aussi qu’elle replace les réflexions d’Oronce Fine dans le temps long, exhibant ses sources le plus souvent non explicites, et montrant comment ces réflexions s’ancrent dans des débats qui remontent au Moyen Âge, voire au-delà.

6 La lecture de l’ouvrage d’Angela Axworthy est indispensable à tous ceux qui s’intéressent aux mathématiques de la Renaissance, à la diffusion de l’aristotélisme et du platonisme, et plus généralement à la philosophie des mathématiques, en donnant des grilles de lecture qui peuvent être reprises pour d’autres auteurs qui, comme Fine, se sont attelés à défendre un enseignement des mathématiques à la Renaissance.

7 Sabine Rommevaux-Tani

Laurence Brockliss (éd.), From provincial savant to Parisian naturalist : The recollections of Pierre-Joseph Amoreux (1741-1824). Éd. et introd. de L. Brockliss (Oxford : Voltaire Foundation, 2017), 15,7 x 23,4 cm, xx-435 p., bibliogr., index, « Oxford University studies in the Enlightenment »

8 Médecin de formation, naturaliste, agronome, bibliographe, collectionneur d’estampes et de tableaux, historien de la médecine, le Montpelliérain Pierre-Joseph Amoreux (1741-1824), dont Laurence Brockliss publie ici les Souvenirs inédits, n’est guère connu aujourd’hui que pour avoir décrit en 1789 une nouvelle espèce de scorpion (Buthus occitanus). Son dessin figure en couverture du livre. Au contraire d’autres savants provinciaux tels que les botanistes Jean-François Séguier ou Antoine Gouan, Amoreux n’est jamais devenu une figure importante de la république des lettres. Son père, médecin et naturaliste, fils lui-même d’un chirurgien, possesseur de belles collections et d’une riche bibliothèque, ami d’un grand nombre d’érudits, dont l’abbé Nollet, s’est pourtant employé très tôt à lui constituer un solide réseau de relations. Mais la Révolution, en même temps que le caractère indépendant d’Amoreux, ne lui ont pas permis d’appartenir à l’élite scientifique parisienne comme il en avait probablement l’ambition (sur ce point nous serions beaucoup moins affirmatif que Laurence Brockliss).

9 Pour celui-ci, qui fait précéder son édition commentée des Souvenirs d’une introduction (« The Republic of Letters and the French Revolution », p. 1-17) et d’une longue biographie intellectuelle du savant (« The Life and Work of Pierre-Joseph Amoreux », p. 19-108), la vie d’Amoreux offre la possibilité rare d’observer comment les savants provinciaux ont négocié la période révolutionnaire, d’étudier les bouleversements qu’elle a introduits dans leurs carrières et leurs visions du monde, et plus généralement de comprendre comment la république des lettres a réagi aux événements de cette période. Dans le cas d’Amoreux, l’« extravagante révolution » (p. 201), selon ses propres mots, détermine une puissante discontinuité dans sa vie. « [Q]uelle année [1789] malheureuse pour moi ! », s’exclame-t-il ainsi dans ses Souvenirs (p. 180). Les pages qu’il consacre à la façon dont il tente d’échapper aux convocations, aux réquisitions, mais aussi se plie aux demandes, témoignent de la tension extrême qui règne alors. Naturaliste de cabinet n’ayant pas le goût des herborisations, amateur de bibliographies, plutôt que savant de terrain, Amoreux consacre aussi beaucoup d’énergie à candidater avec des succès variables aux concours lancés par différentes académies et sociétés savantes en France et en Europe.

10 Outre la Révolution, les faits les plus marquants de la vie d’Amoreux, et auxquels il consacre plus de la moitié de ses Souvenirs, sont ses huit séjours à Paris – le quatrième de 1803 est de loin le plus intéressant pour l’histoire des sciences – lors desquels il rencontre les savants du Muséum (le géologue Faujas de Saint-Fond notamment) et de l’Académie des sciences, quand il ne court pas les marchands d’objets d’histoire naturelle (souvent des femmes). S’il n’est toujours demeuré qu’un « oiseau de passage » (p. 108), pour citer Laurence Brockliss, dans la vie intellectuelle parisienne, c’est qu’Amoreux n’a jamais souhaité entretenir un réseau de correspondance. Jaloux de sa liberté intellectuelle et de mouvement, ne voulant rien devoir à personne, mais un brin opportuniste dans ses relations avec autrui, il est « économe » de ses lettres (seules 383 lettres à/de 66 correspondants différents envoyées entre 1760 et 1817 nous sont parvenues). « [J]e fais très-peu de visites, ce que je regarde comme du temps perdu ; j’en reçois peu aussi, c’est du temps gagné », écrit-il froidement dans ses Souvenirs pour l’année 1817 (p. 361-362). Vite sujet au découragement, voire à l’abattement, Amoreux abandonne la médecine dès qu’il rencontre des difficultés avec ses confrères, refuse de devenir professeur à la nouvelle école de santé de Montpellier, mais accepte de l’être à l’école centrale de l’Hérault, plus par devoir que par véritable goût pour l’enseignement (il démissionne en 1800). Amoreux est davantage un spectateur qu’un acteur de la science de son temps qui, le reconnaît-il lui-même, n’est jamais entré à l’Institut « que comme étranger et curieux » (p. 296).

11 Compte tenu de la pauvreté de l’œuvre scientifique et de la vie intellectuelle d’Amoreux, de l’indigence littéraire de ses Souvenirs quasiment dénués de toute réflexion personnelle, était-il indispensable de les publier intégralement – au demeurant avec un certain nombre de coquilles –, chez un éditeur aussi prestigieux ? Nous ne le pensons pas, au regard de l’intérêt et de la qualité de tant d’autres témoignages laissés par des figures comparables (les naturalistes Léon Dufour ou Alfred Moquin-Tandon, par exemple). Ce livre ne vaut en définitive que par son introduction et la biographie, assez peu complaisante d’ailleurs (voir notamment p. 97-104), du savant montpelliérain, qu’y a placées Laurence Brockliss. Mais ces deux textes constituent un écrin bien grand pour y exposer les vicissitudes de l’existence morne et souvent pathétique d’un Pierre-Joseph Amoreux qui n’hésite pas à se comparer à Socrate.

12 Pascal Duris

Lesley B. Cormack, Steven A. Walton, John A. Schuster (éd.), Mathematical practitioners and the transformation of natural knowledge in Early Modern Europe (Cham, Suisse : Springer, 2017), 25 cm, xii-203 p., 1 ill. coul., 13 ill. n. et bl., bibliogr., « Studies in history and philosophy of science », 45

13 Cet ouvrage collectif au titre ambitieux réunit, en trois parties, neuf contributions d’auteurs anglo-saxons et néerlandais sur le thème des mathématiques pratiques. Dans une introduction qui déborde largement sur le premier chapitre, la coordinatrice du projet, Lesley B. Cormack, présente les enjeux de recherche actuels autour de cette notion. Ce texte constitue une très bonne ressource pour qui cherche une introduction à l’usage de la sociologie des sciences, d’Edgar Zilsel à Boris Hessen, pour la période moderne.

14 Une vague de travaux a récemment cherché à amender ou réhabiliter la thèse d’Edgar Zilsel (1891-1944), pour qui les « artisans supérieurs » avaient joué un rôle crucial dans l’émergence des sciences modernes. Une question centrale de l’ouvrage est donc de considérer les mathematical practitioners comme acteurs de premier plan d’une transformation des sciences naturelles à l’époque moderne, sans chercher à proposer une définition extensive des mathématiques pratiques ou de leurs acteurs.

15 Les contributeurs insistent sur la variété des pratiques et des contextes, de la fabrication d’instruments d’optique à la balistique. En l’absence de conclusion, il est difficile de discerner dans cet ouvrage une unité méthodologique. La question des liens entre mathématiques et sciences naturelles passe d’ailleurs rapidement au second plan, car l’intérêt de l’ouvrage réside ailleurs. Son point fort est probablement d’avoir réuni, tout au long des neuf chapitres, des exemples variés sur les pratiques mathématiques de l’époque moderne – même si l’on pourra regretter que la littérature francophone sur le sujet soit peu prise en compte.

16 La seconde partie, intitulée « What did practitioners look like ? », est la plus riche de l’ouvrage. L. Cormack y présente en détail la communauté des mathématiques pratiques londoniennes du xvi e siècle. Poursuivant des travaux antérieurs, elle formule l’hypothèse selon laquelle la culture scientifique des coffee houses du siècle suivant aurait été préparée par une intense culture des mathématiques pratiques. L’auteur y décrit les cours de mathématiques populaires ainsi que le rôle central des facteurs d’instruments, dont les ateliers étaient d’importants lieux de sociabilité où la distinction entre artisans et savants pouvait s’estomper. À rebours de l’introduction de l’ouvrage, l’auteure conclut fort justement que les travaux majeurs des mathematical practitioners ne cherchaient pas à bouleverser l’interprétation philosophique de la nature : « La plupart d’entre eux étaient heureux de laisser d’autres philosopher et de se concentrer sur les améliorations concrètes qu’ils pouvaient apporter à l’aide de ces connaissances et instruments mathématiques. »

17 Le cinquième chapitre propose une étude des mathématiciens pratiques actifs dans l’armée anglaise du xvi e siècle. L’auteur propose un résumé précis des interprétations et de la bibliographie sur le sujet. Il suit en outre une méthode rigoureuse en cherchant à étudier ces acteurs pour eux-mêmes, et non du point de vue des disciplines scientifiques ou des témoignages des savants contemporains. À travers l’exemple de l’artilleur Edmund Parker († 1602), il montre l’importance d’acteurs dont les écrits mathématiques n’ont jamais été publiés, ainsi que la reconnaissance politique dont ils bénéficiaient de leur vivant.

18 Le dernier chapitre s’intéresse aux Provinces-Unies et à l’évolution de la Duytsche Mathematique au xvii e siècle. L’auteur présente de manière habile le milieu des mathématiques pratiques en Hollande et en Frise. Il rend ainsi palpable le climat spécifique de ces provinces où les mathématiques pratiques étaient non seulement liées aux pouvoirs politiques, mais aussi souvent pratiquées conjointement à ceux-ci.

19 D’autres chapitres sont plus anecdotiques. Le sixième, qui porte sur le thème pourtant intéressant des machines et instruments, est malheureusement assez superficiel. L’étude de Descartes (chapitre 3) se propose de critiquer le concept même de mathématiques pratiques. Il était certainement pertinent d’inclure dans ce volume une dimension critique et réflexive, mais cette contribution se borne essentiellement à répéter des travaux précédents de l’auteur.

20 En résumé, le lecteur devrait ne pas prêter trop d’importance au titre de l’ouvrage et laisser de côté les questions métaphysiques qu’il entend poser. Il trouvera alors une réflexion stimulante sur la diversité des sciences mathématiques de cette époque, dans des études de cas riches et intéressantes. La principale qualité de cet ouvrage est ainsi, paradoxalement, de montrer l’intérêt d’une étude des mathématiques pratiques pour elles-mêmes.

21 Thomas Morel

Luc Foisneau (dir.), Dictionnaire des philosophes français du xviie siècle : Acteurs et réseaux du savoir, avec la collab. d’Élisabeth Dutartre-Michaut et de Christian Bachelier, traductions de Delphine Bellis, Luc Foisneau et Claire Gallien (Paris : Classiques Garnier, 2015), 25 cm, 2 138 p., bibliogr., index (345 p.)

22 Le Dictionnaire des philosophes français du xvii e siècle constitue une édition traduite et augmentée du Dictionary of seventeenth-century French philosophers publié par Luc Foisneau en 2008 chez Thoemmes Press (108 entrées en plus des 585 de l’édition anglaise). Le caractère remarquable de cette entreprise éditoriale se mesure à trois décisions d’importance explicitées dans l’avant-propos et dans les huit brèves introductions thématiques qui précèdent le dictionnaire proprement dit et en livrent les intentions : qu’il s’agisse de traiter des cartésiens français (Emmanuel Faye), des philosophies et théologies scolastiques (Jacob Schmutz), des libertins ou esprits forts (Isabelle Moreau), de la pensée clandestine (Gianni Paganini), des sciences (Philippe Hamou), des théories des arts (Carole Talon-Hugon), des controverses religieuses dans le cadre de la naissance de la république des lettres (Antony McKenna) ou des lieux de sociabilité et de pratiques philosophiques (Stéphane Van Damme), le projet du dictionnaire est de proposer un autre visage et de nouveaux instruments d’interprétation du long xvii e siècle français (et non de sa réduction au « siècle de Louis XIV »).

23 Ces trois décisions peuvent se résumer en ces termes :

  1. « provincialiser » Descartes ou plutôt le replacer dans le large et riche foisonnement de l’activité scientifique du siècle et réévaluer, grâce à cela, une certaine idée de la science moderne qui a longtemps semblé être irrémédiablement associée au cartésianisme. Il s’agit ainsi de faire droit à une conception large du travail philosophique qui ne présuppose pas un partage disciplinaire en réalité bien souvent introuvable chez les auteurs de cette époque. Cela suppose de rappeler l’importance de la diffusion des idées de Galilée en France grâce à Pierre Gassendi et Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, la place faite à l’expérimentation en physique via Marin Mersenne, le rôle joué par les travaux de Pascal (statique des fluides, méthode de projection conique et « géométrie du hasard ») ou Christian Huygens (en mécanique), mais aussi la présence des théories corpusculaires de la matière, ou encore de relever la place de la dissection dans la recherche anatomique. Mais il s’agit également de montrer comment l’activité scientifique se meut entre cabinets de curiosité, assemblées savantes, académies privées avant la création de l’Académie royale des sciences de Paris en 1666, correspondances et journaux savants (au premier titre desquels le Journal des sçavans), ce qui n’est sans doute pas le moindre des mérites de cette entreprise éditoriale ;
  2. avoir un souci rare de la mise en contextes des textes et des auteurs : que ce soit sur les réceptions de Descartes, ou sur le milieu académique du xvii e siècle, l’essor des collèges et les rapports complexes aux universités bien souvent en phase avec une théologie gallicane, ou encore sur les manières dont les enjeux théologiques traversent et construisent les clivages philosophiques entre jansénistes, jésuites, dominicains ou franciscains (autour des interprétations de la transsubstantiation dans son rapport conflictuel ou non à la physique nouvelle de Descartes ; autour de ce que la tolérance religieuse ouvre comme espaces interprétatifs du rapport entre grâce et libre-arbitre ou de la querelle des principes en métaphysique – qui met en scène l’opposition entre principes cartésiens et scolastiques). Le Dictionnaire s’emploie, également, à montrer l’importance de la pensée subversive en faisant droit aux textes des « libertins érudits » et à la rhétorique philosophique qu’ils déploient, en indiquant comment ils promeuvent une naturalisation des phénomènes jusqu’alors considérés comme surnaturels afin de montrer l’importance de la tradition italienne de la Renaissance sur ces questions et de mettre en évidence la portée de la pensée de Gassendi comme une alternative au mécanisme cartésien. S’imposant dans l’espace intellectuel comme tenant de positions philosophiques opposées à une représentation du monde théocentrée (p. 57), le libertinage critique élabore le cadre théorique permettant d’interroger la pertinence de l’idée de certitude scientifique. La place faite à la pensée clandestine ou hétérodoxe, qu’elle prenne la forme de la religion naturelle, du déisme ou du panthéisme, permet d’identifier l’un des territoires d’élaboration de certaines idées des Lumières du xviii e siècle ;
  3. redonner toute sa place aux querelles dans l’activité philosophique et scientifique du xvii e siècle et mettre cette dernière en relation avec la violence politique et religieuse qui règne à cette époque afin de comprendre ce que signifie la naissance de la république des lettres. Ainsi, la dispute entre catholiques et protestants, décuplée par la révocation de l’édit de Nantes (qui fera des réseaux de huguenots réfugiés et des circuits de publication des écrits clandestins un haut lieu d’audace philosophique) conduit un Pierre Bayle à mettre en échec la théologie rationaliste et à créer avec son Dictionnaire historique et critique un espace de controverses qui deviendra un modèle de débat intellectuel « où l’on ne reconnaît que l’empire de la vérité et de la raison » (p. 83).

24 Autant de choix qui permettent de faire de ce Dictionnaire un instrument précieux pour les historiens des sciences de l’Âge classique. Ainsi, pour ne donner que quelques exemples éloquents, le dictionnaire comporte naturellement un certain nombre d’entrées qui rendent compte des différentes interprétations de la pensée de Descartes, mais également une entrée Cyrano sur la matière, une entrée Molière qui rappelle qu’il fut proche de Gassendi, des entrées consacrées à François de La Mothe Le Vayer et à Gabriel Naudé qui font une place à la tradition libertine ou enfin quelques entrées consacrées à des femmes philosophes qui prennent dès le xvii e siècle le contre-pied de la caricature des femmes savantes : que l’on pense à la marquise de Lambert.

25 Pour conclure, ce Dictionnaire est un outil indispensable pour ceux qui s’intéressent au xvii e siècle et travaillent sur cette époque car il est la réalisation très réussie d’un projet ambitieux remarquable : proposer une nouvelle lecture plurielle et contextuelle exigeante de l’activité philosophique et scientifique du xvii e siècle.

26 Anne-Lise Rey

Mirella Fortino (dir.), Pierre Duhem : Verità, ragione e metodo, 1916-2016 (Canterano : Aracne ed., 2017), 14 x 21 cm, 264 p., « Duhemiana », 3

27 L’année 2016, qui marquait le centenaire de la mort de Pierre Duhem, a vu la publication de plusieurs ouvrages consacrés à ce savant à la personnalité complexe. Il serait dommage que le présent livre, qui contient de courts essais rassemblés par Mirella Fortino et qui est publié dans la collection « Duhemiana » qu’elle a créée, ne soit pas considéré en France avec le sérieux qu’il mérite. Sa relative brièveté, le fait que la plupart des chapitres soient en italien, et le fait que les auteurs des quatre chapitres en français aient souvent commenté Duhem dans leurs travaux par le passé, lui font en effet courir un risque : que les lecteurs français ne l’imaginent offrir qu’un survol du corpus duhémien à l’usage de leurs homologues transalpins. Cela serait une erreur à au moins deux titres. En premier lieu, l’ensemble conçu par Mirella Fortino ne manque pas d’originalité sui generis. Loin de survoler l’ensemble de la production duhémienne, ce livre se concentre sur un angle d’approche très spécifique de cette production : la détermination du type de vérité que, selon Duhem, la science est susceptible de nous révéler. Une particularité du très catholique Duhem dans le contexte scientifique du tournant des xix e et xx e siècles est en effet d’avoir à la fois :

  1. écarté toute position sceptique vis-à-vis de la science et
  2. refusé toute prétention de cette dernière à déborder sur le domaine réservé à la foi religieuse : la science ne saurait accéder à une dimension métaphysique lui permettant de dévoiler l’essence du monde.

28 Si ce positionnement amena çà et là Duhem à des conclusions fortement discutables ou même intenables, il mérite cependant d’être examiné avec attention car il a su questionner avec acuité ce que la science moderne peut nous enseigner. L’autre raison d’accueillir avec intérêt ce livre italien, c’est que le centenaire de 2016 nous a montré que Duhem était toujours un personnage assez controversé sur la scène académique française, de par ses engagements sociaux et politiques et certaines rigidités doctrinales sans nuances. Il est donc particulièrement utile d’aller chercher un peu de réflexion apaisée hors des frontières de l’hexagone, et il me semble que c’est une mission que le présent volume peut remplir.

29 Le livre, d’une facture soignée, est composé de neuf chapitres qui sont complétés par une retranscription du texte de Duhem « Recherches sur l’histoire des théories physiques » (et sa traduction italienne par Mirella Fortino) ainsi que par une introduction de Roberto Maiocchi. Ce dernier présente de manière synthétique les chapitres du livre en les positionnant dans une trame chronologique. C’est là une clarification bienvenue car un reproche qu’on peut faire au choix éditorial de Mirella Fortino est d’avoir opté pour l’ordre alphabétique des noms d’auteurs pour les chapitres. Cette décision un peu malheureuse masque en effet l’évolution de la pensée duhémienne sur le long terme. Pour le reste, le livre fait un large tour d’horizon de la perception par Duhem du concept de vérité scientifique. Stefano Bordoni examine les tentatives du jeune savant pour créer un cadre unique pour la mécanique et la thermodynamique. Anastasios Brenner confronte quant à lui la vision duhémienne des travaux de Copernic avec les analyses qui en ont été faites plus tard, pour questionner la pertinence du rôle des prédécesseurs de Copernic que Duhem désire souligner, ainsi que la valeur générale des hypothèses en astronomie. Puis Francesco Calemi examine le principe de sous-détermination défendu par Duhem, qui stipule qu’une théorie scientifique pourrait toujours être réparée face au résultat d’une expérience falsificatrice. Mirella Fortino, responsable du volume, écrit sur la manière dont fiction et réalisme entrent en tension dans les travaux de Duhem. Ce chapitre est suivi par un texte de Simone Mazauric consacré à la question du continuisme dans la conception de l’histoire des sciences de Duhem qui ne laisse pas de place à la rupture épistémologique. Jean-François Stoffel se demande ensuite dans quelle mesure l’étude de Galilée faite par le mathématicien belge Paul Mansion, lui aussi catholique militant, a été la source des travaux ultérieurs de Duhem sur le même sujet. Krzysztof Szlachcic pose un regard décalé sur la réception complexe et parfois biaisée des travaux de Duhem par les philosophes polonais, dans les contextes fort différents des lendemains de la première puis de la deuxième guerre mondiale. Pierre-Michel Vauthelin confronte les conceptions de Duhem avec celles de la thermodynamique en France à son époque. Et enfin, Carlo Vinti cherche à dépister chez Bachelard les lignes de fuite qui le rapprochent de certaines considérations de Duhem.

30 Laurent Mazliak

Paolo Galluzzi, The Lynx and the telescope : The parallel worlds of Federico Cesi and Galileo, trad. de l’italien de Peter Mason (Leyde : Brill, 2017), 25 cm, xiv-521 p., 27 ill. coul., réf. bibliogr., index, « Scientific and learned cultures and their institutions », 21

31 L’intérêt de ce livre réside dans la confrontation de deux approches scientifiques qui eurent cours au début du xvii e siècle. Ces deux mondes sont ceux du prince Federico Cesi (1585-1630) et de Galilée (1564-1642) : ils se croisent, s’entremêlent et s’affrontent, mais ils peuvent aussi s’associer et se compléter.

32 Galilée est bien connu, mais il faut dire quelques mots de Federico Cesi. En 1603, âgé d’à peine dix-huit ans, il fonde avec trois amis l’Accademia dei Lincei qui se donne pour tâche l’observation et la collection des plantes et des minéraux dans les collines derrière le palais des Cesi à Acquasparta, une commune de l’Ombrie située à une centaine de kilomètres de Rome. Ce qu’il y a d’innovateur dans leur approche est la prise de conscience du besoin d’être accompagné par un dessinateur qui sache tracer avec soin les détails des objets recueillis. Cesi avait été vivement frappé par les nombreux fossiles de plantes que l’on trouve dans les montagnes et les vallées du sud de l’Ombrie. Qu’étaient ces étranges témoins d’un lointain passé ? Comment expliquer leur forme ? Que dire de leur fonction ?

33 À quelle classe appartenaient-ils ? Leur nature était-elle minérale, végétale ou animale ? Pour quelle raison certains brillaient-ils dans le noir tandis que d’autres s’échauffaient quand on les plongeait dans l’eau froide ? Quel était ce feu secret qui brûlait en leur for intérieur ? Cesi s’interrogait aussi sur les fougères et les champignons qui poussaient à côté des fossiles. Les cryptogames (végétaux dont les organes reproducteurs restent cachés) l’intrigueront sa vie durant. En 1610, libéré de l’hostilité de son père, qui ne prisait pas les sciences, Cesi nomma deux nouveaux membres, que l’on peut qualifier de représentants des deux mondes : Giambattista Della Porta et Galilée. L’ouvrage le plus important de Della Porta, Magiae naturalis sive de miraculis rerum naturalium, repose sur le postulat que la nature des végétaux peut être connue grâce à leur apparence et à leur similarité avec la physionomie humaine. C’est ainsi qu’il préconise la noix du noyer pour guérir les maux de tête et qu’il déclare que les plantes, qui ont des racines poilues, peuvent atténuer la calvitie.

34 Cesi était à la recherche non seulement d’une sommité, comme Della Porta, mais aussi de quelqu’un dont les travaux avaient fait sensation. La publication du Sidereus nuncius de Galilée en 1610 lui révéla l’homme dont il avait besoin. Il demanda à Galilée de faire partie de son académie et celui-ci, flatté au-delà de ses espoirs, s’empressa d’accepter. C’était mettre son télescope entre les mains d’un personnage influent qui saurait promouvoir son importance et son renom. Dans la suite, Cesi se comporta en généreux mécène et prit en charge le coût de l’impression de trois ouvrages de Galilée. Il aurait aussi assumé les frais de publication du célèbre Dialogue sur les deux grands systèmes du monde s’il n’était pas décédé avant que l’ouvrage ne soit terminé. Lorsqu’il parut, en 1632, Galilée dut payer de sa propre poche, avec un retard qui lui causa de sérieux ennuis avec la maison d’édition.

35 Paolo Galluzzi a su présenter de façon érudite et originale les enjeux de la révolution scientifique du xvii e siècle. Son ouvrage aide à comprendre et à apprécier l’ampleur et la diversité d’un mouvement qui allait changer l’interprétation du monde en modifiant notre façon de le représenter.

36 William R. Shea

Yves Gingras, L’Impossible dialogue : Sciences et religions (Paris : PUF, 2016), 12 x 19 cm, 423 p., graph., ill., notes bibliogr., index, table

37 Le but de ce livre est de procéder à un examen méthodique des rapports entre la science, ou plus exactement les théories scientifiques, et les institutions religieuses (pour l’essentiel, l’Église catholique), l’auteur prenant par ailleurs bien soin de préciser que la religion entendue comme croyance personnelle n’est nullement en cause (p. 19).

38 Chronologiquement ordonnée, l’étude comprend deux parties bien distinctes – les quatre premiers chapitres couvrant la période allant de Galilée à la fin du dix-neuvième siècle, et les trois suivants l’époque contemporaine (avec un accent tout particulier sur les quatre dernières décennies). Alors que dans la première période les rapports entre la science et les institutions religieuses se déroulent clairement sous le signe du conflit, celui-ci va progressivement faire place à un dialogue, ou du moins à des tentatives de dialogue, dont la discussion constitue la partie la plus personnelle de l’ouvrage.

39 Yves Gingras souligne justement que la subordination traditionnelle de la philosophie à la théologie, nettement affirmée dès le treizième siècle et réaffirmée avec force en 1513 au concile de Latran, illustre déjà, et bien avant les temps modernes, la volonté des théologiens de ne pas laisser le champ libre à l’analyse rationnelle. Il reste que c’est bien avec l’émergence d’une cosmologie héliocentrique, incompatible avec la lettre des Textes sacrés, qu’allait surgir, dans toute sa force, le conflit entre science et religion. Celui qui opposa Galilée au Saint-Office revêt à cet égard une valeur paradigmatique, et l’auteur a tout à fait raison de lui consacrer l’essentiel des deux premiers chapitres. Non moins détaillés et bien informés, les chapitres trois et quatre montrent comment, une fois enclenché, le mouvement allait se développer inexorablement : abandon du recours à Dieu devenu une « hypothèse inutile » (Laplace), début de la géologie et d’une histoire de la Terre elle aussi inconciliable avec les textes bibliques, et bien sûr avènement de la théorie de l’évolution des espèces qui, appliquée à l’homme et avec l’essor de la paléoanthropologie, ôtait toute crédibilité au récit de la création divine selon la Genèse. Ni les censures, ni les mises à l’Index, ni la dénonciation officielle des erreurs dont la science est porteuse (le Syllabus des erreurs de 1864, par exemple, p. 221-222) n’avaient pu empêcher son expansion. Et c’est la religion elle-même, avec l’exégèse biblique et l’histoire critique des religions, qui semblait bien être à son tour tombée dans ses filets.

40 Il devenait clair que persister dans une opposition radicale ne menait à rien. D’où le choix des représentants les plus qualifiés des institutions religieuses de passer du conflit au dialogue (chap. 5), et donc de reprendre de facto l’argument que développait déjà Galilée dans la Lettre à la grande duchesse Christine : Dieu étant à l’origine du livre de la nature comme de celui des Écritures saintes, il ne saurait y avoir contradiction entre eux (p. 282). L’auteur décrit longuement ces tentatives de dialogue dans lesquelles il voit surtout des monologues croisés : qu’il s’agisse d’ouvrages s’efforçant de montrer que la science dans ses théories les plus récentes conduit à reconnaître dans le monde un dessein intelligent et donc l’existence d’un Dieu créateur, ou encore que seule la religion est en mesure de mener à une vision de la réalité humaine dans sa globalité et sa complexité (chap. 6). Il n’y voit pour sa part qu’illusions, condamnées d’avance par « l’impossible rationalisation de la foi » (p. 345).

41 Ajoutons que cet ouvrage qui, comme il a déjà été dit, n’est nullement hostile à la religion comme engagement personnel, ne s’appuie pas non plus sur une vision caricaturale de la science dont Yves Gingras reconnaît qu’elle dépend à son tour d’un certain nombre de postulats – métaphysiques, éthiques et méthodologiques – lesquels ne vont pas de soi, mais sont les conditions de son universalité.

42 Maurice Clavelin

Hanoch Gutfreund et Jürgen Renn, The Formative years of relativity : The history and meaning of Einstein’s Princeton lectures (Princeton : Princeton University Press, 2017), 20,3 x 25,4 cm, 432 p., 72 fig. et ill., index

43 Ce (beau) livre d’un peu plus de 400 pages documente richement le contexte de la genèse et de l’évolution des idées maîtresses de la relativité générale. S’il s’articule autour d’une nouvelle édition des conférences données par Albert Einstein à l’université de Princeton, lors de son premier voyage aux États-Unis en mai 1921, son principal intérêt réside avant tout dans les quelque 160 pages de présentation rédigées par les auteurs. En effet, les conférences d’Einstein ont déjà été publiées à maintes reprises, et le lecteur francophone les trouvera dans la traduction de Maurice Solovine, éditée en 1923 par Gauthier-Villars (reproduction J. Gabay) qui complètent l’exposé des quatre conférences, tout comme le livre de H. Gutfreund et J. Renn, par les trois textes ajoutés aux éditions ultérieures (jusqu’à la fin de la vie d’Einstein) : « Sur le problème cosmologique », « Théorie relativiste du champ non symétrique » et « Théorie de la gravitation généralisée ». La présente édition en anglais ajoute un aperçu intéressant du caractère vivant des conférences d’Einstein à Princeton en présentant pour la première fois deux conférences grand public données par celui-ci en marge de ses conférences spécialisées. Cependant, les textes correspondant à ces deux conférences sont issus de notes sténographiques parfois assez incomplètes qui rendent la lecture malaisée pour un non-spécialiste. On peut regretter le parti pris d’avoir annoté a minima les passages manquants pour une présentation grand public.

44 Mais revenons au « livre dans le livre », au cœur de l’ouvrage, c’est-à-dire au commentaire des auteurs, qui peut aussi se lire indépendamment des conférences d’Einstein. Il est structuré en une première partie introductive, qui donne le cadre général du voyage d’Einstein aux États-Unis et présente ses conférences. Suit un long développement de 120 pages découpé en dix chapitres, qui permet au lecteur de suivre en coulisses les conférences d’Einstein en lui rendant accessibles leur contenu et leurs enjeux. Ces discussions ne contiennent pas de formalisme mathématique, contrairement aux conférences, mais maintiennent un niveau de qualité élevé par la rigueur de la présentation et la très bonne connaissance du sujet des auteurs. Le lecteur y trouvera ainsi exprimées en phrases simples les subtilités de l’analyse relativiste. Sont notamment discutés, en donnant la parole aux acteurs contemporains d’Einstein (W. Adams, A. Eddington, E. Freundlich, A. Friedmann, G. Lemaître, M. Schlick, K. Schwarzschild, W. de Sitter, H. Thirring, H. Weyl,…), les relations entre géométrie et théorie physique, les tests de la relativité générale (précession du périhélie de Mercure, déflexion des rayons lumineux et décalage spectral gravitationnel) dans le cadre des évolutions successives de la théorie et de ses débats interprétatifs, ou encore la naissance de la cosmologie relativiste à l’époque de la découverte de l’expansion de l’univers. Les auteurs accordent également une place importante aux ondes gravitationnelles détectées en 2016 (par l’interféromètre LIGO dans le cadre de la collaboration LIGO-Virgo), cent ans après leur prédiction par Einstein. Ils nous invitent à en suivre le développement historique avec les hésitations d’Einstein, depuis ses premiers échanges épistolaires sur ce sujet, en février 1916, avec Karl Schwarzschild, jusqu’à ses doutes concernant leur existence, vingt ans après avoir précisé leur structure en 1918. Les débats philosophiques qui portent sur la relativité générale se voient dédier également un chapitre spécifique (H. Reichenbach, E. Cassirer, M. Schlick,…), qui donne un aperçu de l’essentiel de ceux-ci. Soulignons aussi le chapitre très complet consacré aux premiers ouvrages universitaires ou grand public sur la théorie d’Einstein au tout début des années 1920. La notoriété d’Einstein et de sa théorie sont alors acquises depuis 1919 et la confirmation de la déviation des rayons lumineux à leur passage au voisinage du Soleil par Eddington. Les auteurs rappellent la scénarisation de cette annonce, devant le portrait de Newton à la Royal Society et l’engouement du grand public, au sortir de la première guerre mondiale, pour ce sujet difficile.

45 La présentation est enrichie de documents d’époque qui ajoutent encore à l’agrément du livre, préfacé par Diana Kormos-Buchwald, directrice du « Einstein Papers Project » à Caltech et éditrice des Collected papers d’Albert Einstein.

46 Christian Bracco

Boris Klein, Les Chaires et l’esprit : Organisation et transmission des savoirs au sein d’une université germanique au xvii e siècle, préface de Sophie Roux (Lyon : Presses univ. de Lyon, 2017), 24 cm, 346 p., ill., cartes, tables généalogiques, bibliogr., index

47 Dans cet ouvrage érudit, Boris Klein présente les principaux résultats d’un doctorat d’histoire soutenu en 2011 et consacré à l’université d’Helmstedt. L’auteur apporte une attention particulière aux dimensions religieuse et politique de l’enseignement. Cette institution est en effet à la fois l’un des foyers intellectuels du protestantisme et la seule université du duché de Brunswick. Si le lien avec l’histoire des sciences peut au premier abord sembler ténu, le choix d’analyser en détail les rapports d’enseignements des professeurs permet d’approcher leurs contenus et ainsi d’étudier la transmission des savoirs.

48 Pour un sujet aussi méconnu en France que l’université allemande de l’époque moderne, la méthode de l’étude de cas est tout à fait judicieuse. Le prisme de l’université d’Helmstedt, étudiée entre 1652 et 1690, permet à Boris Klein d’explorer plus généralement les transformations dans les universités germaniques protestantes. L’efficacité du procédé est particulièrement sensible dans l’introduction qui aiguille habilement le lecteur à travers la vaste bibliographie existante.

49 L’auteur refuse lucidement une approche disciplinaire et lui préfère une étude des chaires, dont les périmètres et les contenus se transforment au fil des évolutions politiques et scientifiques. Il en ressort un ouvrage de 346 pages qui peut être fascinant pour les spécialistes du domaine mais parfois fastidieux à lire. On pourra d’ailleurs regretter que la publication, par ailleurs soignée, n’ait pas été accompagnée d’une refonte plus importante du travail de thèse et de choix éditoriaux tranchés pour faire ressortir les points saillants de l’analyse.

50 La structure du livre suit donc celle des universités de l’époque, avec quatre chapitres centraux respectivement consacrés aux facultés de théologie, droit, médecine et philosophie. L’étude des chaires de théologie et de droit contient des réflexions intéressantes sur les liens entre histoire des savoirs et histoire politique. On souhaiterait parfois que l’auteur s’autorise à quitter le cadre strict de l’université pour suivre les professeurs dans leurs missions au service du duc, en analysant notamment les interactions avec le système scolaire, par ailleurs solidement étudié par Jean-Luc Le Cam.

51 Les chapitres sur les facultés de médecine et de philosophie contiennent certainement les passages les plus pertinents pour l’historien des sciences. La méthode de l’auteur s’y déploie avec succès. L’étude prosaïque des successions de chaires et des brochures universitaires est à plusieurs reprises brillamment croisée avec les débats centraux de l’époque : comment concilier l’enseignement des ouvrages de Galien et d’Aristote avec les travaux de William Harvey sur la circulation du sang ? L’ouvrage parvient à restituer en contexte la complexité de l’évolution de la médecine. On y voit un professeur classifier les maladies selon Galien, puis d’après Thomas Sydenham, avant de publier une collection d’aphorismes d’Hippocrate. Prendre en compte les exigences et les compromis inhérents à l’enseignement universitaire permet de situer ces enjeux scientifiques dans un jeu de contraintes pédagogiques, politiques et matérielles.

52 Le dernier chapitre, consacré à la faculté de philosophie, laisse nécessairement l’historien des sciences sur sa faim, tant la variété des chaires empêche d’atteindre le niveau de détail accordé aux controverses théologiques. Le contenu des enseignements de physique et le statut de l’expérimentation sont brièvement abordés, les évolutions de l’histoire, l’apparition de la géographie et du caméralisme de manière plus substantielle et tout à fait passionnante. La transformation des mathématiques, pour ne prendre qu’un exemple, est habilement esquissée en une dizaine de pages, alors même que l’auteur la qualifie d’« évolution la plus profonde au cours de la deuxième moitié du xvii e siècle ».

53 Le choix central de l’auteur de proposer une exploitation minutieuse des rapports de professeurs lui permet de présenter l’évolution de l’université quasiment au quotidien. Il est d’autant plus étonnant, voire paradoxal, de constater dans ce travail une lacune étonnante, à savoir l’absence presque totale de citations issues des archives. Le lecteur apprendra bien ce que pensent et enseignent les professeurs, mais selon l’analyse qu’en propose Boris Klein et bien trop rarement avec leurs propres mots. Les controverses scientifiques ou personnelles en perdent de leur chair, tout comme l’âpreté des successions. Les disputes, rituel universitaire par excellence, sont fréquemment évoquées, mais l’auteur ne donne généralement pas l’intitulé exact, préférant proposer son interprétation ou situer les enjeux savants. S’il en résulte un indéniable gain de place, cette médiation permanente se fait au détriment de la précision et empêche le lecteur de s’immerger complètement dans l’université d’Helmstedt.

54 Thomas Morel

Olivier Le Cour Grandmaison, L’Empire des hygiénistes : Vivre aux colonies (Paris : Fayard, 2014), 15 x 24 cm, 361 p., notes bibliogr., index

55 Ce nouvel opus fait suite à deux volumes précédents, Coloniser, exterminer (2005) et La République impériale (2009) d’Olivier Le Cour Grandmaison, qui enseigne les sciences politiques à l’université d’Évry – Val-d’Essonne. L’Empire des hygiénistes est davantage focalisé sur les dispositifs sanitaires qui ont été déployés dans les possessions françaises et analyse l’imaginaire associé à l’exploitation des ressources et des corps. La période considérée est essentiellement celle de la IIIe République mais le livre approfondit aussi la question des continuités sous l’administration de Vichy et de la France libre, jusqu’à la IVe République. L’auteur mène alors un véritable procès des conduites racistes qui se sont greffées sur le discours hygiéniste, au mépris de la vie des peuples autochtones, le plus souvent en contournant les lois en vigueur en métropole et l’abolition de l’esclavage.

56 À la sortie de la conférence de Berlin (1885), la jeune république française dispose de territoires immenses outre-mer, une aubaine pour relever le pays après la défaite contre la Prusse et le hisser au niveau de l’Empire britannique. L’immigration est soutenue par l’État mais conduit d’abord à une véritable hécatombe. C’est là qu’interviennent les médecins, d’abord pour dénoncer l’imprévision des dirigeants, puis, après avoir conquis le Parlement et le Conseil, pour encadrer l’exploitation des ressources et l’asservissement des indigènes. Le panorama offert par Olivier Le Cour Grandmaison en Afrique et en Asie varie les niveaux d’échelle en changeant de focale et de point de vue, au service d’un récit qui tient à la fois de l’histoire des représentations et des capacités d’agir. Sur la base de nombreuses sources, il rappelle que le mythe d’une France victorieuse en Orient travestit la réalité coloniale : militaires et colons meurent massivement faute de moyens d’« acclimatation » sous les tropiques. Pour répondre à ce besoin, un large spectre de sciences va être mobilisé et irrigué par le discours hygiéniste : anthropologie, épidémiologie, chimie, diététique, climatologie, urbanisme, géographie, sociologie, psychologie, etc. Les médecins prendront rapidement la main pour former des cadres de l’administration coloniale et conseiller la Marine à travers une multitude d’experts, sociétés savantes, journaux scientifiques, conférences internationales, chaires universitaires, diplômes et examens. À ce titre, le livre aurait pu s’intituler « le fusil et le caducée » (p. 18). La diffusion des règles d’hygiène, l’étude des pathologies exotiques et l’intégration des médecins aux institutions locales concourent à la diffusion de connaissances pratiques. Ainsi les colonies deviennent autant de laboratoires où des dispositifs de contrôle individuel sont expérimentés avant d’être appliqués en métropole.

57 Les savoirs concernés sont en premier lieu le climat, l’alimentation, l’urbanisme, l’habillement, la sexualité et les modes de sociabilité. Si la climatologie remonte à Montesquieu, en revanche la peur des virus, épidémies et autres germes se nourrit aussi de la science pasteurienne. L’imaginaire qu’elle charrie aboutit à la proclamation de règles de ségrégation très strictes dans les possessions françaises : Olivier Le Cour Grandmaison parle de « mixophobie d’État » (p. 24) et d’hygiène raciale pour nommer ces politiques. En outre, appliquée aux colonies, l’hygiène est garante de l’ordre et de la hiérarchie en société : elle définit la séparation des comportements publics et privés qui permettent de conserver la dignité et l’autorité requises en présence d’indigènes. Rôles, rangs et espaces sont strictement contrôlés. Les villes sont organisées en vertu d’un zonage : organisation pavillonnaire des hôpitaux et des résidences de colons, expulsion des indigènes des villes, les premiers bénéficiant de quartiers assainis, les seconds étant regroupés dans des camps ou déportés.

58 L’« indigénisation » et la neurasthénie sous les tropiques (« soudanite ») sont aussi théorisées par les aliénistes en vertu des règles de l’hygiène mentale. À la suite de l’historien américain Richard C. Keller, Olivier Le Cour Grandmaison rappelle la tenue du congrès consacré à l’assistance des aliénés aux colonies en 1912 et la fameuse école d’Alger (Antoine Porot, Henri Aubin, etc.), qui a diffusé des écrits psychiatriques racistes sur l’« impulsivité criminelle » des Arabes jusqu’aux années 1960. De fait, des disciplines hybrides, comme l’ethnopsychiatrie, compilent des notions racistes héritées des connaissances du xix e siècle (rapport de John Colin Carother à l’OMS en 1954). Là encore, le constat de la continuité et d’une lente transformation des sensibilités s’impose, mais Olivier Le Cour Grandmaison cite peu de travaux d’histoire sur cette transition. Par exemple, sur la base des travaux d’Alice Bullard, il apparaît clair que l’ethnopsychiatrie entame justement sa mue vers une psychiatrie transculturelle non raciste dans les années 1950-1960, notamment sous l’influence des universitaires américains et canadiens (parfois d’anciens Européens qui ont fui le nazisme) et grâce au retour d’exil de certains intellectuels (Frantz Fanon mourra malheureusement avant).

59 Enfin, précédemment attaqué sur l’identité des crimes contre l’humanité et génocides du colonialisme d’une part, et du nazisme d’autre part, Olivier Le Cour Grandmaison précise sa position en conclusion. Je relèverai pour ma part que, emporté par la volonté de dénoncer les horreurs impérialistes à partir d’un plaidoyer pro domo, il perd de vue l’hygiénisme et ses porte-parole au fil de son histoire, mais il sait maintenir l’attention du lecteur jusqu’au bout.

60 Emmanuel Delille

Daniel Patrick Morgan, Astral sciences in Early Imperial China : Observation, sagehood and the individual (Cambridge : Cambridge Univ. Press, 2017), 23,5 x 15,7 cm, 268 p., 29 ill. n. et bl., 19 tabl., bibliogr., index

61 Formé au département d’Asie orientale de l’université de Chicago, Daniel Morgan est actuellement chercheur au CNRS et membre du Laboratoire d’histoire des sciences (SPHERE) de l’université Paris-Diderot. C’est dans ce cadre, et plus particulièrement dans celui du projet européen « Sciences mathématiques dans les mondes anciens » qui a regroupé entre 2011 et 2016 des spécialistes travaillant sur d’autres aires culturelles, que le présent ouvrage a pris forme. Il s’agissait pour l’auteur de présenter à ses collègues, et à travers eux à un public plus large, les sources disponibles sur les « sciences astrales » (pour éviter d’avoir à trancher entre astronomie et astrologie) dans la Chine ancienne, grosso modo entre le début de l’empire en 221 avant notre ère et la dynastie Tang (618-907). Il s’agissait également de les familiariser avec les questions les plus débattues dans ce domaine – notamment sur le plan méthodologique – depuis la parution en 1959 de l’histoire de l’astronomie chinoise de Joseph Needham. L’approche de l’auteur est décidément culturaliste, au sens où l’histoire des sciences ne peut faire l’économie de son rapport au contexte intellectuel, social et institutionnel dans lequel celles-ci évoluaient et aux motivations personnelles des individus qui les pratiquaient. Une approche qu’il partage avec la plupart des chercheurs qui, avant lui, se sont engagés dans cette voie comme Nathan Sivin, Christopher Cullen et Jean-Claude Martzloff dont les travaux sont mis à contribution pour étayer ses propres arguments, mais aussi dans une perspective critique, avec une volonté affichée d’en découdre avec les opinions soutenues par les uns et les autres.

62 Le premier chapitre introduit le lecteur à la terminologie chinoise des sciences astrales, à commencer par les deux termes qui, dans les histoires officielles, nomment les traités consacrés d’une part à l’observation des signes célestes (tianwen) et d’autre part au « li », une notion laissée non-traduite en raison de son champ sémantique extrêmement étendu : calendrier, almanach, comput calendaire, système astronomique, astronomie mathématique. Le chapitre se clôt par un survol des événements, des institutions et des individus qui ont marqué le développement des sciences astrales sous les empires Qin et Han (221 avant notre ère – 220 de notre ère). Le chapitre deux est consacré aux instruments d’observation et de mesure décrits par le mathématicien et astronome Li Chunfeng (602-670) dans le traité tianwen de l’Histoire des Sui. Morgan montre bien en quoi l’incorporation de cette section aux traités tianwen à partir du quatrième siècle marque un tournant décisif dans le contenu de ce type d’écrits jusqu’alors principalement dévolus à l’interprétation des présages astronomiques et météorologiques. Il suggère également et à juste titre que ces instruments étaient investis d’une réalité cosmologique et qu’ils ont joué en Chine un rôle tout aussi contraignant que celui généralement attribué à la théorie des sphères cristallines dans le monde grec. Dans le troisième chapitre, consacré au li et à ses multiples facettes, on a d’abord une présentation des calendriers annuels sur lamelles de bambou et tablettes de bois découverts ces dernières décennies dans des tombes d’administrateurs locaux des Qin et des Han, puis des usages politiques et rituels du calendrier civil dans sa fonction de régulateur des activités saisonnières selon l’expression (« granting seasons ») popularisée par Nathan Sivin, et enfin du système astronomique élaboré par Liu Hong à la fin des Han qui, par la nouveauté de ses procédures et la précision de ses calculs, fournira un modèle à suivre pour les générations futures. Selon Morgan, il n’y a pas de continuité nécessaire entre les calendriers utilisés à des fins pratiques dans la société et les élaborations théoriques des astronomes, tout comme sur un autre plan les textes rendant compte de ces élaborations (« li literature ») diffèrent dans leur forme et leur contenu des écrits proprement mathématiques (« suan literature »).

63 Les deux derniers chapitres sont des études de cas, l’un concernant un débat intervenu en 226 de notre ère à la cour des Wei à propos de la réforme du système astronomique en vigueur à l’époque, l’autre portant sur la manière dont les astronomes rendaient compte dans leurs écrits du développement des sciences astrales depuis l’antiquité. Ceci entraîne l’auteur dans un démontage de la thèse soutenue, entre autres, par Geoffrey Lloyd, sur l’absence en Chine de débats publics aux cours desquels des spécialistes se confrontent à propos de la précision et de la valeur prédictive de leurs computs respectifs, ainsi que de celle sur l’inexistence chez les praticiens du li de l’idée de progrès qui gouverne en Occident la science des astronomes depuis au moins l’époque des Lumières. Quoi qu’il en soit et malgré le ton un peu péremptoire avec lequel l’auteur expose ses arguments, on ne saurait que recommander la lecture de cet ouvrage novateur et stimulant. Rares sont en effet les livres qui combinent le plaisir de lire avec la haute érudition, qui immergent sans submerger, qui dépaysent sans déconcerter et qui, au bout du compte, suscitent la réflexion et invitent le lecteur à s’extraire des idées reçues pour saisir les faits étudiés de l’intérieur, dans la langue et avec les outils conceptuels de ceux qui les animaient et dans la dynamique propre à leur histoire deux fois millénaire.

64 Marc Kalinowski

Bertrand Nouailles, Le Monstre, la vie, l’écart : La tératologie d’Étienne et d’Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (Paris : Classiques Garnier, 2017), 15 x 22 cm, 456 p., ill., bibliogr., index, « Histoire et philosophie des sciences », 13

65 Cet ouvrage, version remaniée d’une thèse soutenue en 2012, est consacré, comme l’indique son titre, à une étude approfondie de l’objet, des méthodes et des concepts de la tératologie, c’est-à-dire de la science des monstres (au sens de « malformations »). Cette étude prend appui, notamment, sur une analyse attentive de l’œuvre de deux pionniers de cette discipline, le zoologiste français Étienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844) et son fils Isidore (1805-1861), bien que l’auteur ne s’interdise pas des incursions dans d’autres époques et que les contours de son travail débordent largement du cadre de l’investigation historique, laquelle n’est d’ailleurs pas vraiment ici le propos, n’offrant qu’un point de départ et une matière à réflexion.

66 En effet, en dépit de l’historiographie déjà très abondante sur l’histoire de la tératologie (depuis le livre d’Ernest Martin en 1880 jusqu’aux travaux plus récents tels que ceux de Lorraine Daston, de Jean-Louis Fischer et d’Olivier Roux [1]), l’approche adoptée ici est intéressante et originale dans la mesure où la question centrale que pose d’emblée Bertrand Nouailles est d’ordre philosophique et non historique : « Une connaissance rationnelle du monstre est-elle possible ? » (p. 26). Or, explique-t-il aussitôt, « nous avons cherché à mettre en évidence que seul le discours philosophique offrait une chance d’y parvenir ».

67 De fait, c’est bien le regard d’un philosophe qui est porté dans ce livre sur les manières dont les scientifiques ont tenté, au cours des deux derniers siècles, de penser la rationalité de ces formes anormales, ou anomales, que sont les monstres, et les différents auteurs (en premier lieu les Geoffroy Saint-Hilaire) sont convoqués, avant tout, dans le but de nourrir une réflexion sur les enjeux actuels (ou intemporels) de la tératologie. Selon l’auteur, le monstre, en tant qu’écart par rapport aux lois de la nature telles que les pense l’esprit rationnel, met en doute soit l’ordre naturel, soit les facultés de la raison qui croit comprendre cet ordre, et c’est précisément cette dangereuse alternative qu’ont tenté de dépasser les savants depuis le xviii e siècle. En ce sens, le monstre constitue un défi lancé à la théorie de la connaissance, et la tératologie, telle qu’elle a été définie et pratiquée par les Geoffroy Saint-Hilaire et leurs successeurs, représente une solution efficace à ce problème, mais une solution qui paradoxalement, en aboutissant à une négation de la dimension normative du monstre, et par conséquent de la notion même de « monstrueux », risque de mener en définitive, si elle est conduite à son terme, à une sorte de dissolution de son propre objet.

68 La recherche d’un moyen de résoudre cette contradiction constitue le fil conducteur de l’ouvrage de Bertrand Nouailles, qui est amené pour cela à interroger d’autres concepts, plus fondamentaux, de la biologie, au premier rang desquels l’adaptation et la vie elle-même, puisque, selon lui, les monstres « dévoilent le sens d’être de la vie qui, non seulement les rend possibles, mais surtout permet de comprendre en quoi les êtres vivants sont dits justement en vie » (p. 29). Or, toujours selon l’auteur, « ce sens d’être, c’est celui d’une errance vitale ». En découle une thèse audacieuse : les monstres, « sérieusement » pensés, permettent de rompre le lien (hérité de la téléologie d’Aristote, de celle de Kant, aussi bien que de la sélection naturelle darwinienne) entre vivant et adaptation et, au-delà, de construire rien de moins qu’une nouvelle « métaphysique de la vie ».

69 L’on pourra être convaincu ou non par cette thèse, et trouver à redire, notamment sur un plan historique, à certains points. Il demeure que la manière dont l’auteur aborde la question, la maîtrise avec laquelle il dissèque les problématiques rencontrées par les savants du xix e siècle (par exemple les principes qui sous-tendent la recherche d’une taxonomie des monstres inspirée de la classification linnéenne) et les efforts qu’ils ont déployés pour faire des monstruosités un objet de science comme un autre, confèrent à son ouvrage un caractère très stimulant et rendront sa lecture utile aux philosophes des sciences de la vie.

70 Stéphane Schmitt

Michel Pinault, Maurice Barrès et la « grande pitié des laboratoires de France » : Discours parlementaires pour une politique des recherches scientifiques en France (1919-1923) (Paris : L’Harmattan, 2015), 15,5 x 24 cm, 330 p., graph., bibliogr., index

71 Biographe de Frédéric Joliot-Curie, l’historien Michel Pinault a poursuivi son enquête sur les milieux scientifiques et leurs rapports avec le monde politique dans la première moitié du xx e siècle. Il avait déjà publié en 2006 un premier volume, La Science au Parlement : Les débuts d’une politique des recherches scientifiques en France (Paris : CNRS Éditions) [2], où il mettait en scène un homme peu connu aujourd’hui, Jean-Honoré Audiffred (1840-1917), d’abord député puis sénateur, à l’origine de la création de la Caisse de recherches scientifiques (qui n’était pas un organisme d’État) en 1901, dont l’idée avait été débattue au sein du Musée social, « antichambre de la Chambre ». Pinault donnait une analyse de son fonctionnement, et du débat d’idées qui se tenait dans ce lieu où se rencontraient des hommes politiques plutôt conservateurs et libéraux, mais aussi des savants comme Henry Le Chatelier et Charles Moureu. Pinault y soulignait aussi la rupture introduite par la première guerre mondiale, marquant un tournant dans l’histoire de la recherche scientifique. Celle-ci introduisait de facto une limite à la période qu’il étudiait, courant de 1896, première intervention d’Audiffred à la Chambre, jusqu’à son décès en 1917.

72 Il ne faut cependant pas s’arrêter à la considération d’une étude se réduisant à un héros (Audiffred dans le premier volume, Barrès dans le second) et son milieu social (action politique en faveur de ce que nous nommons aujourd’hui la recherche scientifique) ; Pinault va plus loin en effectuant une véritable autopsie des discours de chacun de ces deux parlementaires. Pour ce faire, il utilise la méthode lexicographique des mots associés, que la recherche informatique permet de faire aujourd’hui. Les vocables les plus usités sont ensuite analysés dans leur contexte, l’histoire sociale de leur sens est retracée, un traitement statistique permet d’habiles conclusions. Cela donne à cette étude des discours parlementaires une richesse et une fécondité inattendues. Cette méthode est la marque du travail réalisé par Pinault dans ces deux ouvrages.

73 Au cours de la première période étudiée par Pinault (1896-1918), la prise de conscience très lente des politiques quant au rôle de la science est due au progrès spectaculaire des activités scientifiques contribuant à l’amélioration des conditions de vie (santé, hygiène, alimentation, habitat), des soins vétérinaires, et de l’agriculture. Pour Audiffred, si la science permet tant de progrès dans ses applications, elle doit être soutenue par l’État, idée tout à fait nouvelle à l’époque, et qu’Audiffred défendra dans quatre propositions de loi (1896, 1900, 1903, 1916). En 1916, les parlementaires prennent conscience du rôle de la science dans l’effort de guerre. Le débat s’organise autour de la question de l’organisation des recherches scientifiques et donc des laboratoires et de leur budget lorsque la paix sera revenue. Une dominante française à cette époque, écrit Pinault, est à noter : la recherche doit se faire dans les instituts spécialisés placés sous la tutelle des facultés des sciences qui dépendent du ministère de l’Instruction publique.

74 Le second ouvrage de Pinault, paru en 2015, ne peut être lu qu’en référence au premier, quoique l’auteur ait pris la précaution de redonner les éléments de cette première période quand cela était nécessaire à son propos. La période étudiée ici est très courte (1919-1923) et s’achève aussi par la mort de l’écrivain et parlementaire de droite Maurice Barrès (1862-1923). À un héros est dévolue une mission et celle-ci va lui être suggérée par Charles Moureu, professeur de chimie organique au Collège de France, par ailleurs directeur de la Revue scientifique (Revue rose), charismatique, et de stature internationale. Au Musée social, avec Le Chatelier et Audiffred, Moureu, actif animateur de la section des études économiques, définit pour la première fois des principes d’une politique publique des recherches scientifiques en France.

75 Barrès interviendra dix fois à la Chambre. La campagne de presse débute dès le mois d’avril 1919 par une enquête sur les laboratoires existants, orchestrée par les frères Maury, à la tête de la Revue politique et littéraire (Revue bleue), suivie d’une lettre ouverte au ministère de l’Instruction publique en janvier 1920. Entre 1919 et 1922, presque une vingtaine d’articles seront publiés.

76 Ces articles portent pour une part sur la reconstruction intellectuelle de la France, et d’autre part, sur la « grande pitié des laboratoires de France », expression qui rappelle le titre de son ouvrage La Grande pitié des églises de France (1914), soulignant les dommages de guerre sur les bâtiments religieux. Pour Barrès, la haute culture morale se concrétise dans l’esprit religieux, la haute culture intellectuelle dans l’esprit scientifique (voir son ouvrage Les Diverses familles spirituelles de la France, 1917) : « […] la civilisation est défendue dans les laboratoires et les églises » (14 avril 1919).

77 Michel Pinault, dans son travail, tant dans le premier ouvrage que dans le second, a fait le choix, et il l’écrit, de mettre au premier rang les parlementaires et non les scientifiques dans l’émergence d’une politique de la recherche scientifique en France. Cependant, si Barrès est le centre du discours de Pinault, Moureu n’en est jamais éloigné. À tel point que l’auteur précise bien que les noms Barrès et Moureu ne sont pas référencés dans l’index des noms. Ils forment donc une entité binaire, Moureu fournissant la matière et Barrès l’éloquence.

78 C’est d’ailleurs par cette relation que Pinault introduit son étude. Cette introduction est suivie de quatre chapitres sur : les circonstances qui ont amené Barrès à devenir le porte-parole de la « science pure et désintéressée » ; comment il organise ses discours sur la science et la recherche scientifique ; l’articulation de son action avec celle des autres acteurs ; enfin la mort brutale de Barrès qui laisse inachevée cette entreprise.

79 L’analyse sémantique des discours à la Chambre, ou des articles dans la presse (Écho de Paris en particulier) livre la fréquence la plus importante de certains mots clés comme, en premier lieu, le mot « scientifique », adjectif encore rare dans les discours parlementaires à l’époque mais qui se répand. Le substantif est utilisé une seule fois dans le contexte particulier des « nouveaux scientifiques » regroupant l’ensemble des personnels que Barrès voudrait voir travailler aux recherches scientifiques dans les laboratoires. Le scientifique est donc celui qui « fait de la science », le professeur en chaire reste le maître, le savant. Le second mot très utilisé par Barrès est « laboratoire », lieu de la recherche. Le troisième est « science », comme nouveau rapport de l’humanité au monde, la science pure ou désintéressée, née de l’étonnement et de la curiosité, qui se distingue des sciences appliquées, représentées par l’industrie. Barrès reprend la vision de Moureu qui dit qu’après la guerre, le savant doit retourner à ses recherches désintéressées sans s’occuper d’applications – sur le rôle de la science, voir : Charles Moureu, La Chimie et la guerre : Science et avenir (Masson, 1920), 4e partie, chap. iii, « L’évolution nécessaire de l’esprit public en France », 360-377.

80 L’expression « recherches scientifiques » est finalement peu utilisée, le mot « recherche » davantage, mais bien moins souvent que « laboratoire » ou « scientifique ». Mais, à la Chambre, Barrès impose une manière d’en parler, et ses discours, dont la cohésion vise à la persuasion, vont favoriser la diffusion du concept de recherche scientifique pure et désintéressée. Mais quel en est le résultat ? Faible en réalité, malgré une intense campagne de presse. L’analyse sémantique révèle ici les réseaux sociaux constitués et les liens entre ces réseaux autour de l’idée de création d’instituts et/ou de laboratoires de recherche, dont un Comité national d’aide à la recherche scientifique, créé en 1922 et présidé par le recteur et mathématicien Paul Appell.

81 Dans le même temps, un autre réseau travaille à la création de l’Office national des recherches scientifiques et industrielles, et des inventions (ONRSII, 1922) tourné plutôt vers les recherches appliquées, dans la filiation d’un projet déposé en 1918 par le député Henri Pottevin. Le député, et ancien directeur de la direction des Inventions, Jean-Louis Breton, qui en a formulé les objectifs, dirigera cet organisme, situé à Meudon Bellevue (aujourd’hui siège historique du CNRS, créé en 1939). La création de l’ONRSII concrétise la poursuite de l’alliance de la science et de l’industrie, prônée après la guerre et soutenue par le ministre Étienne Clémentel [3]. En 1924, l’ONRSII organisait le Salon des arts ménagers. Si les industriels s’intéressent à la campagne de Barrès, ils souhaitent cependant l’association de l’économie, de l’industrie et de la science. Finalement, malgré la mise en action de plusieurs réseaux sociaux (politique, économique, presse, opinion publique), aucun groupe institutionnel ne se constitue autour de cette demande spécifique des laboratoires de recherches de science pure, et le ministère de l’Instruction publique refuse de dégager des crédits spécifiques à la hauteur de l’enjeu. La campagne aboutit donc à un résultat mitigé, voire insuffisant.

82 Doit-on considérer la campagne orchestrée par les discours et les écrits de Barrès comme un échec ou un succès ? Un peu des deux. Elle a préparé le terrain pour l’avenir, elle a été selon Michel Pinault une « semence d’avenir » (p. 252), en suscitant un intérêt pour les sciences et leur statut dans la nation, mais décevante sur le plan des financements. La Chambre, véritable caisse de résonance, s’accoutume cependant à la notion de recherche scientifique sous l’autorité de l’État.

83 Mais Barrès lui-même était-il convaincu ? Il n’a pas déposé de projet de loi sur l’institutionnalisation de la recherche en science pure pour contrer les tenants d’une campagne en faveur des sciences appliquées. Si, au début de la campagne, il prévoyait de publier un ouvrage sur la grande pitié des laboratoires de France, il décide d’ajourner ce projet en 1921 ; un tel ouvrage devrait être écrit, dit-il, par des savants – en 1925, Moureu publiera à titre posthume une partie des notes de Barrès dans Pour la haute intelligence française (Plon, 1925). Dans son dossier « laboratoires », il mène une réflexion sur la valeur spirituelle de la science, et sur la valeur morale des savants, réflexion qui avait pris toute son ampleur au cours même du développement de la campagne en faveur de la recherche, écrit Pinault dans sa conclusion. Barrès conserve des doutes sur l’aspect moral de la science : elle n’explique pas l’homme, elle donne seulement un moyen de mettre de l’ordre dans nos connaissances. Ses doutes probablement l’emportaient sur ses convictions, renforcés par la terrible guerre achevée depuis peu. Questionnements nouveaux sur la nature et le rôle de la science qui allaient être appelés à se développer dans la société.

84 Michel Pinault a pu consulter exceptionnellement le fonds Maurice Barrès (dossiers, notes, cahiers et correspondance) déposé à la Bibliothèque nationale de France, fonds actuellement en cours de classement. Il nous livre ici un aspect peu connu de l’évolution de la pensée et de l’action de Barrès sous un angle inattendu très riche, nous donnant des clés sur les très nombreux réseaux civils ou institutionnels, qui se sont constitués après la première guerre mondiale, particulièrement à Paris. Plusieurs listes de membres peuvent être croisées par traitement informatique et révèlent les liens entre les personnes et ces réseaux. Cet ouvrage apportera beaucoup à ceux qui travaillent sur cette période où science, politique et économie sont reliées. Notons cependant quelques erreurs factuelles dues à une relecture un peu rapide du manuscrit, qui n’entachent pas, cependant, l’excellence du propos.

85 La mort de Barrès permettra à d’autres noms de monter en première ligne, et sans doute l’auteur prépare-t-il déjà une étude sur la suite des événements. L’avenir révèlera la puissance d’action des Paul Painlevé, Émile Borel ou Jean Perrin, héros au deuxième rang en quelque sorte dans ces deux premiers volumes.

86 Danielle Fauque

Michel Pinault, Émile Borel : Une carrière intellectuelle sous la IIIe République (Paris : L’Harmattan, 2017), 15,5 x 24 cm, 638 p., bibliogr., index, coll. « Acteurs de la science »

87 L’histoire des sciences devait déjà à Michel Pinault une biographie de référence portant sur l’un des principaux « intellectuels scientifiques » du xx e siècle, le physicien Frédéric Joliot (Odile Jacob, 2000). Approfondissant encore l’étude de l’engagement des scientifiques en politique, l’auteur nous en livre ici une seconde, presque aussi massive, consacrée au mathématicien Émile Borel. Les deux études sont complémentaires : si le cas Joliot autorise une étude de l’émergence, à partir des années 1930, de la figure du « chercheur », l’itinéraire de Borel, par contraste, permet de brosser un tableau fin et détaillé de l’universitaire type de la génération précédente.

88 S’il est aujourd’hui bien oublié au-delà de sa commune de naissance, Saint-Affrique, Borel a de fait joué les premiers rôles dans l’Université de la IIIe République : entré premier à l’École normale supérieure, puis admis avec le même rang à l’agrégation, il est nommé maître de conférences à Lille en 1893, à 22 ans, avant même d’avoir soutenu sa thèse ; en 1909, il obtient la chaire de théorie des fonctions à la faculté des sciences de Paris, parvenant ainsi à moins de 40 ans au sommet de la hiérarchie universitaire. Ce cursus honorum franchi au pas de charge est couronné en 1921 par l’élection à l’Académie des sciences – et en 1954 par l’obtention de la toute première médaille d’or du CNRS.

89 Ce brillant succès dans le monde mathématique, en théorie des fonctions, théorie des ensembles, puis en calcul des probabilités et en physique mathématique, est cependant très loin d’épuiser l’intérêt du personnage. Loin de l’image du mathématicien seul dans sa tour d’ivoire, Borel est en effet aussi un intellectuel de réseau, partie prenante des débats de son temps (comme l’affaire Dreyfus), ainsi qu’un fondateur d’associations, de revues (La Revue du mois) et de collections (« Collection de monographies sur la théorie des fonctions »), un auteur d’ouvrages grand public, et un salonnier mondain particulièrement actif, en duo avec sa femme, romancière connue sous le pseudonyme de Camille Marbo. En ce sens, il est un intellectuel « comme les autres », très comparable à ses homologues historiens, sociologues ou philosophes.

90 C’est aussi, et de plus en plus, l’âge venant, un intellectuel de pouvoir, qui laisse libre cours à son ambition d’abord au sein de l’Université – avec son élection comme sous-directeur de l’ENS, et son activisme dans le réseau « arcouestien » –, puis à l’extérieur, à partir de 1910, dans le sillage de l’entrée en politique de Paul Painlevé, son aîné à la faculté – celui-ci le prend comme secrétaire général lorsqu’il accède à la présidence du Conseil, après lui avoir confié la Direction des inventions intéressant la défense nationale. Sorti de la Grande Guerre profondément pacifiste et européen, Borel s’engage alors dans le parti radical ; élu député de l’Aveyron en 1924, il le reste jusqu’en 1936, tout en étant maire de Saint-Affrique de 1929 à 1941 et 1945 à 1947. Cet engagement politique n’est pas sans retombées sur la science : il joue un rôle moteur dans la création du « sou des laboratoires », en 1926 – première taxe prélevée sur les revenus de l’industrie au bénéfice de la recherche. Le capital politique accumulé lui permet en outre d’obtenir la création, très rapide, de l’Institut Henri-Poincaré, en 1928. Mais sa marginalisation à partir du début des années 1930, liée à un positionnement trop individuel et à un attachement par trop indéfectible au radicalisme de sa jeunesse, mène finalement Borel à une impasse : il n’obtiendra jamais le portefeuille espéré de l’Instruction publique, sa carrière ministérielle se limitant à sept mois comme ministre de la Marine.

91 De cet homme, l’ouvrage de Michel Pinault nous brosse un portrait complet et complexe, passionnant, indispensable à tous ceux qui s’intéressent aux liens entre science et politique au xx e siècle. Le lecteur n’en déplore que plus vivement les lacunes du travail éditorial, loin d’être à la hauteur de la qualité du travail de l’auteur.

92 Pierre Verschueren

William Poole (éd.), John Wilkins (1614-1672) : New essays (Leyde-Boston : Brill, 2017), 25 cm, x-291 p., ill., réf. bibliogr., index

93 The seventeenth-century English grandee John Wilkins (1614-1672) has attracted considerable interest in recent years. A symposium held in 2014 at Wadham College, Oxford (where Wilkins was once warden) brought together leading historians to talk about him. The resulting collection of essays provides an occasion for dialectical reflection on what we may call John Wilkins Studies.

94 Mordechai Feingold opens the volume with a long chapter about the relationship between Copernicanism and Calvinism. Feingold argues that the latter correlated negatively with the former, in the seventeenth century. Now, « the young » John Wilkins came from a Calvinist background ; was persistently associated with cognate, « Puritan » parties and institutions ; and was ordained into an English Church with a fundamentally Genevan theology. And yet he was a committed Copernican. Feingold argues that Wilkins’s erstwhile Calvinism « prepared him to recognize the inherent threat » that it posed to the new science (p. 8). This patent begging of the question indicates something quite odd : Wilkins is an inert element – at best – in the lead argument of a book devoted to him.

95 Not so in the next chapter, by Cliff S. L. Davies (p. 37-65). This describes Wilkins’s time as warden of Wadham College (1648 to 1659), and Wadham College during that time. We learn, inter alia, that « college accounts seem to have been well kept » (p. 39) ; that most Wadham students came from the counties of Somerset and Dorset ; but that an influx of students from Northamptonshire began, « strikingly », in 1650 (p. 41). A number of these students, and other members of the Wadham community, are then examined in mini-biographies, placed alongside Wilkins’s own. Lines of correspondence and association are traced. « Puzzles » – for example, why the college’s former chaplain was allowed to remain in residence – are noted (p. 53-54).

96 Several of the following chapters treat us to similar collections of biographical and historical detail. Richard Serjeantson addresses himself to Wilkins’s brief tenure as master of Trinity College, Cambridge, from early 1659 to the summer of 1660 (p. 66-96). Serjeantson evaluates « evidence », « views » and « interpretations » for such issues as the exact date on which Wilkins took up his new job. The account is unlikely to be superceded. Scott Mandelbrote contributes a chapter on the Wadham College gardens that will surely fascinate anybody who has ever wondered about them (p. 199-218). And William Poole, the editor of this volume, takes us on a tour of « Wadham College Library : The First Century » (p. 241-284).

97 Other essays break more ground. And yet – à la Feingold – they don’t really seem to find Wilkins there. Anna Marie Roos, for example, contributes a chapter on « chymical » teaching in Oxford from the 1670s to the 1720s (p. 219-240). Her discussion is learned, lucid, and extremely informative. But since Wilkins died in 1672, Roos necessarily waves goodbye to him on her first page. Natalie Kaoukji, more problematically, struggles to come to grips with Wilkins’s well-known work on mechanics, Mathematical magick (1648) (p. 158-181). She keeps telling us that Wilkins’s book showed « what it was to do mechanics » (p. 163, 164, 173). Doubtless.

98 Felicity Henderson contributes an unimpeachable chapter on Wilkins’s « moon » books : the science-fiction Discovery of a world in the moone (1638), and the science-fact Discourse concerning a new world and another planet (1640) (p. 129-157). These Henderson situates in the tradition of moon-travel fantasies going back to Lucian, as well as in the context of early-modern English responses, both literary and scientific, to Galileo. Donne, Jonson, Webster, Kepler, Burton and many others make interesting appearances. Indeed, Wilkins’s moon-contexts prove more interesting than his moon-texts.

99 With that, we turn to Jon Parkin’s admirable chapter, on « Wilkins and Latitudinarianism ». Parkin attacks the traditional notion that Wilkins headed a powerful party of religious liberals – « Latitudinarians » – in Restoration England. As a churchman, Wilkins is for Parkin a « pragmatist, not a theological innovator » (p. 109). His version of natural theology is « utterly conventional in its sources and presentation and very thinly specified » (p. 111). Politically, too, it is difficult « to pin down a distinctive identity for Wilkins » (p. 111). On the intellectual front, Parkin cites the judgment of John Aubrey – another ubiquitous and clubbable figure of the period – that Wilkins was « no greatly read man » (p. 97). Parkin doubts this, but finds it significant that Wilkins managed to make it seem that way. « It is an important fact about Wilkins’s ideas », Parkin comments, devastatingly, « that they were not particularly original, profound, or exceptional » (p. 99).

100 Here, perhaps, is the reason why contributors to this volume have struggled to do much more than point at Wilkins. He is simply not significant enough, as a thinker, to support open-ended attention from intellectual historians. Wilkins is no Bacon, no Descartes, no Hobbes. Wilkins is gifted, but not brilliant ; successful, not revolutionary. Perhaps the study of Wilkins has simply run its course.

101 If there is a way to deny this view – if there is an area where Wilkins really commands our attention – it is probably in his Essay towards a real character, and a philosophical language (1668). In the present volume, the Essay is addressed by Rhodri Lewis. For the most part, Lewis’s chapter – commissioned by Poole, rather than originating in the 2014 symposium – is a précis of his 2008 book on this topic. Lewis graciously cites, but does not explicitly engage with, my own 2017 book on the same. Perhaps I may be forgiven for concluding with the suggestion that the way to get more out of Wilkins is to follow up on that reference.

102 James Dougal Fleming

Théophraste, Les Causes des phénomènes végétaux, tome III, livres V et VI, texte établi et traduit par Suzanne Amigues (Paris : Les Belles Lettres, 2017), 12,5 x 20 cm, xxxiv-258 p. (pagination double [2]-124), bibliogr., « Collection des universités de France », série grecque

103 Ce volume est le huitième et dernier de l’entreprise de publication dans la « Collection des universités de France » des écrits botaniques de Théophraste d’Érèse, philosophe et savant du iv e siècle avant J.-C. qui fut le disciple d’Aristote et son successeur à la tête du Lycée. Cette œuvre s’articule en deux volets, les Recherches sur les plantes (5 vol.) et Les Causes des phénomènes végétaux (3 vol.). L’éditrice rappelle que, de par son ampleur et sa précision, cette œuvre est reconnue aujourd’hui comme le fondement de la science botanique occidentale. C’est dire si une édition de référence complète avec traduction française représente un apport de premier ordre.

104 Il est bien sûr difficile de rédiger le compte-rendu d’une publication qui vient clore une série aussi riche. De fait, la notice introductive est brève (24 pages) ; elle se concentre sur les spécificités de ces deux derniers livres sans reprendre tout le dossier relatif à ces écrits. Le lecteur qui s’intéresse plus avant à ce texte devra donc consulter les notices introductives des livraisons précédentes, la première étant parue en 1988. La spécificité du second volet consacré aux causes réside dans l’étude des phénomènes caractérisant la vie végétale (formation, croissance, reproduction, etc.). Les livres V et VI dont il est ici question traitent respectivement des états pathologiques observés sur les végétaux puis des saveurs et odeurs des végétaux. Le programme est en somme celui d’une analyse fine de ce qui fait le végétal et le caractérise par rapport aux autres êtres vivants, tout cela bien avant l’apparition de la chimie et de la biologie organique et cellulaire.

105 Comme tous les ouvrages de la « Collection des universités de France », le texte original est accompagné de l’apparat critique résumant le travail d’édition à partir de la tradition manuscrite et des éditions plus anciennes, associé à la traduction française présentée en regard. Un commentaire sous forme de notes est rejeté en fin de volume.

106 L’introduction rappelle que l’influence des travaux d’Aristote est évidente, même si l’identification des textes sources n’est pas toujours possible. Il est rappelé que le programme du livre VI présente un lien étroit avec les autres écrits de Théophraste consacrés aux sensations. La volonté de traiter des odeurs et des saveurs est d’ailleurs relevée comme l’une des grandes originalités de cette étude. En effet, « les flores modernes négligent généralement ces critères » (p. xiii).

107 L’achèvement de cette longue entreprise éditoriale vient confirmer l’expertise exceptionnelle de Suzanne Amigues sur la botanique ancienne. Les nombreux travaux qu’elle a pu publier en parallèle de ce travail sur l’œuvre de Théophraste constituent désormais des références et une somme incontournables pour l’histoire de la discipline.

108 Frédéric Le Blay

Paola Zambelli, Alexandre Koyré in incognito (Florence : Olschki, 2016), 17 x 24 cm, xxii-290 p., « Biblioteca di Galilæana », vol. 5

109 Ce nouvel ouvrage de Mme Paola Zambelli est tout à fait novateur et comble une sérieuse lacune. Comme son titre le laisse présumer, il ne ressemble à aucune des études (assez nombreuses) qui ont été déjà consacrées à Koyré. Est-ce-à-dire que celui-ci serait sinon inconnu, du moins méconnu ? Malgré la célébrité mondiale d’Alexandre Koyré et de ses œuvres, la plupart des recherches le concernant ont porté presque exclusivement sur ses travaux d’histoire de la pensée philosophique et scientifique. Ce qui avait échappé jusqu’à présent, c’est l’homme d’action que fut Koyré, avec ses engagements à la fois discrets, considérables et efficaces de son temps. Il s’agit donc ici d’une « biographie intellectuelle complexe et exhaustive » (p. vii) qui se propose de mettre en résonnance la pensée et l’action de Koyré. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Mme Zambelli s’est particulièrement appuyée sur les manuscrits inédits, les écrits mineurs et la correspondance de Koyré.

110 La réussite de cette entreprise repose sur une masse considérable de documents (souvent méconnus) que l’auteure a réussi à rassembler durant plusieurs décennies de recherches patiemment poursuivies à travers le monde. Ainsi s’éclaire d’un jour nouveau l’évolution intellectuelle complexe de Koyré et l’incroyable diversité de ses centres d’intérêt. Le cheminement intellectuel de Koyré se dessine peu à peu depuis ses activités de conspirateur et d’espion dans la Russie tsariste, puis au début de l’ère soviétique, où se mêlaient aventures militaires et politiques. Pourtant, il poursuivit ses études en Allemagne à Göttingen auprès des phénoménologues réunis autour de Husserl et de Max Scheler et de tant d’autres auxquels il resta toujours lié, sans oublier son intérêt pour les recherches de David Hilbert sur les fondements des mathématiques et les enseignements de Hermann Minkowski sur la théorie de la relativité. Après Göttingen, on le suit à Paris (à partir de 1913) où il reprit ses études d’histoire de la philosophie auprès d’Étienne Gilson (Anselme, Descartes, Jakob Böhme, etc.) et de Lucien Lévy-Bruhl, mais aussi en histoire des sciences dans ses échanges réguliers avec Émile Meyerson. C’est d’ailleurs dès 1934 que Koyré publia une traduction partielle du De revolutionibus de Copernic, accompagnée d’un intéressant commentaire, qui inaugure ses études d’histoire des sciences. Sa familiarité avec la philosophie allemande lui permit d’introduire la phénoménologie en France, grâce à sa traduction des Méditations cartésiennes de Husserl qu’il avait fait inviter à Paris en 1929. Une fois la France occupée, il décida de fuir au Caire en Égypte (où il avait aussi enseigné depuis 1933), puis de partir pour les États-Unis, où il participa à la fondation et au fonctionnement de l’École libre des hautes études à New-York tout en militant ouvertement en faveur du gaullisme. La suite est un peu mieux connue entre Paris et Princeton.

111 Cet ouvrage solidement charpenté, ne se perd jamais dans une érudition sourcilleuse : il indique seulement de manière probe les sources d’où ont été tirées les données mises au service de cette biographie intellectuelle. L’introduction élucide la formation de la méthode utilisée par Koyré dans les différents domaines explorés, méthode qui s’inspire de Wilhelm Dilthey, Husserl, Lévy-Bruhl et Meyerson. Malgré les divergences entre ces philosophes, Koyré reste intimement convaincu que l’unité de la méthode repose sur celle de l’esprit humain. L’ouvrage comporte trois parties principales. La première intitulée « Secrets de jeunesse de Mikhaïlovski à Rakovski », fait état des premiers engagements de Koyré comme socialiste révolutionnaire (chap. 1) et comme informateur des Français et/ou des bolchéviques (chap. 2). La deuxième partie qui s’intitule « Un exilé et ses études », repart de la période de Göttingen auprès de Husserl, pour passer ensuite à ses études en France (Bergson, Gilson, Lévy-Bruhl, Meyerson, les salons parisiens, etc.) et ses publications qui s’étalent de Descartes à Galilée en passant par les mystiques et les empiristes. Enfin, la dernière partie au titre global, « De la Méditerranée aux États-Unis », part de l’entre-deuxguerres et relate son périple depuis Le Caire jusqu’à New York pendant la guerre, puis son retour à Paris et ses échanges avec Princeton. Il faut saluer ici cet ouvrage indispensable de Mme Paola Zambelli qui réussit à présenter un Alexandre Koyré à la fois penseur et homme d’action.

112 Jean Seidengart

François Zanetti, L’Électricité médicale dans la France des Lumières (Oxford : Voltaire Foundation, 2017), 24 cm, xvii-265 p., ill., bibliogr., index, « Oxford University studies in the Enlightenment »

113 Dans le cadre d’une histoire sociale des pratiques et des savoirs médicaux, François Zanetti s’intéresse dans L’Électricité médicale dans la France des Lumières, paru en 2017, à une pratique médicale peu explorée par les historiens : l’utilisation de l’électricité en France au xviii e siècle dans le champ thérapeutique. Analysant de nombreux témoignages de médecins et de patients, l’auteur montre comment, au cours d’une histoire discontinue, l’électricité acquiert peu à peu sa légitimité en tant qu’outil de soin, pour aboutir aux trois procédés devenus canoniques à la fin des années 1770 : le bain électrique, l’électrisation par étincelles et la commotion. De démonstrations spectaculaires en échecs, il souligne le fait que l’électricité médicale marque l’entrée des machines dans l’espace thérapeutique et social. Ainsi, les descriptions en sont riches et précises (p. 14). Au cours du développement de la médecine philanthropique, l’auteur montre que l’électricité médicale devient un traitement réservé aux plus nécessiteux et témoigne des oscillations scientifiques entre médecine officielle et praticiens irréguliers qui poursuivent tous la connaissance du corps et de la nature humaine. Il montre également de quelle façon l’électricité métallique dans un premier temps, puis l’électricité animale, deviennent un symbole médical, philosophique, social et politique. Symbole révolutionnaire, elle peut être considérée comme un instrument concret de la sécularisation médicale. Cet ouvrage s’appuie sur une bibliographie primaire détaillée de certaines archives de l’Académie nationale de médecine et nous offre la possibilité d’une passionnante incursion dans les traités français sur l’électricité médicale, permettant par exemple de redécouvrir les textes de Jean-Antoine Nollet, Sur l’effet de l’électricité appliquée à la guérison de quelques maladies (1749) ou de l’abbé J[oseph] Sans, Guérison de la paralysie par l’électricité (1772). Par ailleurs la bibliographie secondaire est aussi intéressante que précise. Ce livre est un excellent pendant, en langue française, de l’ouvrage d’Iwan Rhys Morus qui donne un panorama de la culture électrique du xix e siècle victorien, Shocking bodie s (2011).

114 La table des matières est articulée autour de dix chapitres évoquant les échecs fondateurs, abordant les rivages du corps sous influence, la question des sociétés et académies savantes en lien avec la médicalisation de l’électricité, le rôle du hasard, la fécondité heuristique de l’erreur thérapeutique et la constitution d’un nouveau médicament. L’auteur aborde également les thèmes de la dégénérescence, du mouvement philanthropique, des traitements et de leurs applications. Enfin, François Zanetti nous permet de pénétrer les récits des patients et les expériences des charlatans et évoque le contexte révolutionnaire.

115 Au sujet des différences entre une médecine rationnelle et un charlatanisme assumé, l’auteur revient sur l’idée reçue selon laquelle l’électricité doit son succès à la crédulité des malades et/ou à la cupidité des praticiens. Idée qui d’ailleurs ne permettrait pas de comprendre le fil d’Ariane entre les développements dès le xviii e siècle de cet agent thérapeutique et ses multiples usages contemporains. Il analyse également le rôle du contrôle électrique dans la société, la psychiatrisation des mœurs, des maladies du cerveau (épilepsie, convulsions) ou du monde du travail générateur de nouveaux troubles et esquisse ainsi la genèse du modèle de l’électricité comme remède aux origines interlopes (p. 2).

116

« Elle est une arme dans la lutte contre la dégénérescence individuelle et sociale qui s’intègre dans l’affirmation d’une “police médicale”. »
(Ibid., p. 18.)

117 L’auteur s’applique à retracer l’histoire de l’électricité médicale en France parallèlement aux histoires anglaise et italienne de ces pratiques. Il met également en exergue le fait que les thérapies électriques connaissent leurs premiers échecs appliquées à des maux physiques tels que des paralysies, ce qui n’est pas sans intérêt si on considère son développement dans le champ des troubles nerveux puis psychiatriques. En retrouvant le contexte d’émergence de l’électricité médicale, celui-ci devient intelligible pour le lecteur d’aujourd’hui. L’auteur met également en relief le fait que l’histoire croisée de l’électricité et de la médecine ne s’arrête pas avec le galvanisme, loin s’en faut. Que serait notre médecine sans l’électricité ?

118 À partir des notions épistémologiques de plasticité des savoirs et de polysémie des pratiques, notre auteur s’interdit toute lecture simplificatrice des développements de l’électricité, entre spectacle, médecine, mécanique et physique, se refusant également à reprendre les lectures binaires d’un Siècle des lumières qui opposerait progrès et raison à religion et obscurantisme.

119 En plus d’une bibliographie détaillée, scindée en sources primaires et sources secondaires, François Zanetti nous donne accès à un index très utile.

120 C’est donc à un voyage passionnant vers les origines des thérapies électriques que son ouvrage nous invite.

121 Céline Cherici

Notes

  • [1]
    Voir le compte rendu de cet ouvrage par Tiffany Princep dans la Revue d’histoire des sciences, 65/2 (2012), 402-405.
  • [2]
    Sur cet ouvrage, voir aussi le compte rendu de Jérôme Lamy paru dans la Revue d’histoire des sciences, 61/1 (janvier-juin 2008), 223-224.
  • [3]
    Voir Michel Letté, Chimie, chimistes et rationalisation sous les auspices du ministre du Commerce et de l’Industrie Étienne Clémentel (1917-1919), Revue d’histoire des sciences, 69/1 (janvier-juin 2016), 19-40.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.86

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions