Notes
-
[*]
Laurent Fedi, Université de Strasbourg, Faculté de philosophie, 7, rue de l’Université, 67000 Strasbourg.
E-mail : laurent.fedi@unistra.fr -
[1]
Voir par exemple Gaston Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique (Paris : Alcan, 1934), 14 : « C’est vraiment la pensée scientifique qui permet d’étudier le plus clairement le problème psychologique de l’objectivation. »
-
[2]
Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique : Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective (Paris : Vrin, 1938), 132.
-
[3]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 26.
-
[4]
Dominique Lecourt, Bachelard : Le jour et la nuit (Paris : Grasset, 1974), 111-113.
-
[5]
Gaston Bachelard, Le nouvel esprit scientifique et la création des valeurs rationnelles [1957], in Id., L’Engagement rationaliste (Paris : Puf, 1972), 89-99, 92.
-
[6]
Gaston Bachelard, De la nature du rationalisme [1950], in ibid., 45-88, 47. Bachelard présente explicitement sa tâche comme une quête inachevée dans Le Matérialisme rationnel (Paris : Puf, 1953), 19.
-
[7]
Auguste Comte, Cours de philosophie positive (Paris : Hermann, 1975), vol. II, 225 (51e leçon).
-
[8]
Gaston Bachelard, Le Rationalisme appliqué (Paris : Puf, 1949), 102.
-
[9]
Comte, op. cit. in n. 7, 249 (52e leçon).
-
[10]
Ibid., 213 (51e leçon).
-
[11]
Ibid., 248 (52e leçon).
-
[12]
Jean Piaget, La Représentation du monde chez l’enfant (Paris : Alcan, 1926), 251.
-
[13]
Piaget, Psychologie et épistémologie (Paris : Denoël/Gonthier, 1970), 34-35.
-
[14]
Gaston Bachelard, Essai sur la connaissance approchée (Paris : Vrin, 1927), 169-170.
-
[15]
Piaget, Sagesse et illusions de la philosophie (Paris : Puf, 1968), 219.
-
[16]
Piaget, op. cit. in n. 12, 117.
-
[17]
Lucien Lévy-Bruhl, Les Fonctions mentales dans les sociétés inférieures (Paris : Alcan, 1910), 61-67.
-
[18]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 147.
-
[19]
Jean Piaget, Le Jugement et le raisonnement chez l’enfant (Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 1924), 269.
-
[20]
Didier Gil, Autour de Bachelard : Esprit et matière, un siècle français de philosophie des sciences (1867-1962) (Paris : Les Belles lettres, 2010), 228-229.
-
[21]
Gaston Bachelard, Idéalisme discursif [1934-1935], in Id., Études (Paris : Vrin, 1970), 87-97, 88.
-
[22]
Voir Bachelard (1950), op. cit. in n. 6, 54, ou encore Bachelard, op. cit. in n. 8, 22.
-
[23]
Goblot est déjà mentionné dans Bachelard, op. cit. in n. 14, 178 et 197, à propos de sa critique du caractère formel de la démonstration mathématique. Sur ce thème, voir Michel Bourdeau, La logique à la croisée des chemins : La controverse Goblot-Rougier sur la nature de la démonstration et du raisonnement déductif (1907-1921), Revue d’histoire des sciences, 67/2 (2014), 311-330.
-
[24]
Cette expression qui vient appuyer notre démonstration est de Piaget : La Psychologie et les valeurs religieuses, Association chrétienne d’étudiants de la Suisse romande, Sainte-Croix (Lausanne : La Concorde, 1923), 58.
-
[25]
Edmond Goblot, Traité de logique (Paris : Armand Colin, 1918), 36.
-
[26]
Ibid., 37.
-
[27]
Bachelard (1950), op. cit. in n. 6, 59.
-
[28]
Bachelard, op. cit. in n. 14, 101.
-
[29]
Bachelard, op. cit. in n. 21, 89.
-
[30]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 242.
-
[31]
Bachelard (1953), op. cit. in n. 6, 2.
-
[32]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 15.
-
[33]
Piaget, op. cit. in n. 19, 271.
-
[34]
Gaston Bachelard, L’Activité rationaliste de la physique contemporaine (Paris : Puf, 1951), 4.
-
[35]
Gaston Bachelard, La Poétique de la rêverie (Paris : Puf, 1960), chap. III.
-
[36]
Piaget, op. cit. in n. 12, 390.
-
[37]
Bachelard, op. cit. in n. 2,147.
-
[38]
Pierre Janet, De l’angoisse à l’extase : Études sur les croyances et les sentiments (Paris : Alcan, 1926-1928, 2 vol.), t. I (1926), 305.
-
[39]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 73.
-
[40]
Ibid., 79-80.
-
[41]
Bachelard, op. cit. in n. 21, 88.
-
[42]
Pierre Janet, La tension psychologique et ses oscillations, in Georges Dumas (dir.), Traité de psychologie (Paris : Alcan, 1923-1924, 2 vol.), t. I (1923), 919.
-
[43]
Janet, op. cit. in n. 38, 230.
-
[44]
Pierre Janet, Leçons au Collège de France (1895-1934) (Paris : L’Harmattan, 2004), 90.
-
[45]
Janet, op. cit. in n. 38, 229.
-
[46]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 9.
-
[47]
Voir déjà Bachelard, op. cit. in n. 1, 71.
-
[48]
Voir Gaston Bachelard, La Dialectique de la durée (Paris : Boivin et Cie, 1936), ch. II, 41-63.
-
[49]
Ibid., 45.
-
[50]
Gaston Bachelard, La Philosophie du non : Essai d’une philosophie du nouvel esprit scientifique (Paris : Puf, 1940), ch. II.
-
[51]
Jean Libis, Janus et la mélancolie, in Jean Libis et Pascal Nouvel (dir.), Gaston Bachelard : Un rationaliste romantique (Dijon : EUD, 2002), 58.
-
[52]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 123.
-
[53]
Léon Brunschvicg critique déjà cette attitude chez certains philosophes des sciences. « On voit que Comte et Renouvier, qui ont reçu tous deux une éducation scientifique, ont vécu sur leurs souvenirs d’école, de plus en plus soucieux […] de mettre leur système à l’abri, en quelque sorte, des progrès que la science accomplissait à leur époque. » (Le Progrès de la conscience dans la philosophie occidentale (Paris : Alcan, 1927), § 322, 691.)
-
[54]
Bachelard, op. cit. in n. 14, 24.
-
[55]
Bachelard (1950), op. cit. in n. 6, 48.
-
[56]
Bachelard, La Valeur inductive de la relativité (Paris : Vrin, 1929), 8-9.
-
[57]
Jean Piaget, L’aspect génétique de l’œuvre de Pierre Janet, Psychologie française, V/2 (1960), 113.
-
[58]
Janet, op. cit. in n. 38, 429.
-
[59]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 44.
-
[60]
Né à Semur-en-Auxois, dans une famille d’agriculteurs aisés, Louis Gérard-Varet (1860-1944), professeur agrégé de philosophie, enseigne en lycée puis, avec le doctorat, à la faculté des lettres de Dijon. Député radical-socialiste en 1906, il est battu aux élections en 1910. Il est alors nommé recteur de l’académie de Rennes, poste qu’il conserve jusqu’à sa retraite en 1930. Rappelons qu’Abel Rey enseigne à la faculté de Dijon à partir de 1908. Nous ne savons pas exactement dans quelles conditions Bachelard et Gérard-Varet se sont connus (information de David Gérard-Varet, que nous remercions).
-
[61]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 18.
-
[62]
Janet, op. cit. in n. 38, 239.
-
[63]
Louis Gérard-Varet, Essai de psychologie objective : L’ignorance et l’irréflexion. Thèse pour le doctorat présenté à la faculté des lettres de l’université de Paris (Paris : Alcan, 1898), 278.
-
[64]
Ibid., 293.
-
[65]
Ibid., 99.
-
[66]
Voir Bachelard, op. cit. in n. 1, 12 : « L’observation scientifique est toujours une observation polémique […]. Elle reconstruit le réel après avoir reconstruit ses schémas. »
-
[67]
Gérard-Varet, op. cit. in n. 63, 108.
-
[68]
Ibid., 280.
-
[69]
Ibid., 106.
-
[70]
Ibid., 111.
-
[71]
Bachelard, op. cit. in n. 50, 8.
-
[72]
Gérard-Varet, op. cit. in n. 63, 248.
-
[73]
Pierre Janet, L’Évolution psychologique de la personnalité, conférences faites en 1929 au Collège de France (Paris : Société Pierre-Janet, 1984), 253.
-
[74]
Gérard-Varet, op. cit. in n. 63, 261.
-
[75]
Ibid., 279.
-
[76]
Ibid., 258.
-
[77]
Alain, Propos sur la religion (Paris : Puf, 2e éd., 1951), § XV, 44 (propos du 5 mai 1921).
-
[78]
Alain, Éléments de philosophie (Paris : Gallimard, 1941), 316.
-
[79]
Gérard-Varet, op. cit. in n. 63, 275-276.
-
[80]
Bachelard, op. cit. in n. 21, 89 (voir aussi Fragments d’une poétique du feu (Paris : Puf, 1988), 32). À l’inverse, « l’expérience immédiate […] manque précisément de cette perspective d’erreurs rectifiées qui caractérise […] la pensée scientifique » (Bachelard, op. cit. in n. 2, 10).
-
[81]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 9.
-
[82]
Gérard-Varet, op. cit. in n. 63, 170.
-
[83]
Ibid., 214.
-
[84]
Ibid., 258.
-
[85]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 71.
-
[86]
Rappelons la chronologie : Bachelard soutient sa thèse en 1927 ; il sympathise avec Juliette Boutonnier à Dijon en 1930 ; il publie ses premiers écrits de psychanalyse de l’esprit objectif en 1938 ; il rencontre René Laforgue à Paris en 1940.
-
[87]
Gérard-Varet, La psychologie objective, Revue philosophique, XLIX (1900), 492-514, 497 et 499-500.
-
[88]
Eduard von Hartmann, Philosophie de l’inconscient, trad. Désiré Nolen (Paris : Gustave-Germer Baillière, 1877).
-
[89]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 23.
-
[90]
Gérard-Varet, op. cit. in n. 63, 279.
-
[91]
Voir par exemple Bachelard, op. cit. in n. 8, 37.
-
[92]
Janet, op. cit. in n. 38, 204.
-
[93]
Voir Aristote, Physique, VIII, 10, 266b 30, et le commentaire de Léon Brunschvicg : L’Expérience humaine et la causalité physique (Paris : Alcan, 1922), 148 (§ 72).
-
[94]
Piaget, op. cit. in n. 12, 250.
-
[95]
Piaget, op. cit. in n. 19, 290.
-
[96]
Léon Brunschvicg, Les Âges de l’intelligence (Paris : Puf, 1934), 128.
-
[97]
Léon Brunschvicg, De la vraie et de la fausse conversion. II. Discours et vérité, Revue de métaphysique et de morale, XXXVIII/1 (janvier-mars 1931), 29-60, 55.
-
[98]
Léon Brunschvicg, La Philosophie de l’esprit [cours de 1921-1922] (Paris : Puf, 1949), 99.
-
[99]
Jean Piaget, Deux types d’attitude religieuse : Immanence et transcendance, Association chrétienne d’étudiants de Suisse romande (Genève : Labor, 1928), 35 ; cité par Brunschvicg, op. cit. in n. 96, 144. Jean Piaget, Traits principaux de la logique des enfants, Journal de psychologie normale et pathologique, XXI/1-3 (janvier-mars 1924), 57 ; cité par Léon Brunschvicg : De la connaissance de soi [cours de 1929-1930] (Paris : Alcan, 1931), 8.
-
[100]
Brunschvicg, op. cit. in n. 99, 79.
-
[101]
Id.
-
[102]
Brunschvicg, op. cit. in n. 96, 129.
-
[103]
Ibid., 21.
-
[104]
Daniel Essertier, Les Formes inférieures de l’explication (Paris : Alcan, 1927), 50.
-
[105]
Ibid., 307.
-
[106]
La pensée de l’alchimiste régresse vers des fantasmes de possession et des tendances refoulées : l’alchimiste en activité « revient sans s’en douter aux formes les plus archaïques de la pensée humaine » (ibid., 204). Rappelons la chronologie des parutions. Essertier : 1927. Bachelard : 1938 (La Formation de l’esprit scientifique et La Psychanalyse du feu). Jung : 1942 (Paracelsica), 1944 (Psychologie und Alchemie), 1945 (Psychologie der Übertragung).
-
[107]
Essertier, op. cit. in n. 104, 282.
-
[108]
Brunschvicg, op. cit. in n. 53, 25 (§ 21).
-
[109]
Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu (Paris : Gallimard, 1938), coll. « Psychologie », 197. Voir aussi Bachelard, op. cit. in n. 2, 60.
-
[110]
Bachelard, op. cit. in n. 21, 90. Nous citons ces textes également pour leur chronologie : Brunschvicg : 1927 et 1931, Essertier : 1927, Bachelard : 19341935. La notion de conversion est de nouveau utilisée dans Bachelard, op. cit. in n. 50, 8.
-
[111]
Brunschvicg, op. cit. in n. 98, 15.
-
[112]
Cette lecture fut défendue par Michel Vadée en 1975, en réaction à l’interprétation de Lecourt (op. cit. in n. 4) qui tentait de rapprocher la pensée bachelardienne du matérialisme dialectique en faisant résonner les thèmes de la « rupture » et de l’« obstacle épistémologique ». Dans cette polémique interne au marxisme français, Vadée tira ses arguments d’une recontextualisation des positions bachelardiennes (Bachelard ou le nouvel idéalisme épistémologique (Paris : Éditions sociales, 1975)).
-
[113]
Brunschvicg, op. cit. in n. 99, 187.
-
[114]
Ibid., 79.
-
[115]
Brunschvicg, op. cit. in n. 53, 708 (§ 329).
-
[116]
Voir Bachelard (1988), op. cit. in n. 80, 165. À la fin de sa vie, Bachelard se débarrasse de l’explication psychanalytique, jugée trop déterministe, pour pouvoir saisir la parole poétique comme énergie créatrice.
-
[117]
Voir Jean Gayon, Bachelard et l’histoire des sciences, in Jean-Jacques Wunenburger (dir.), Bachelard et l’épistémologie française (Paris : Puf, 2003), 51-114.
-
[118]
Brunschvicg, op. cit. in n. 53, 707 (§ 329).
-
[119]
Brunschvicg, Les Étapes de la philosophie mathématique (Paris : Alcan, 1912), 577 (§ 366).
-
[120]
Bachelard, op. cit. in n. 50, 22.
-
[121]
Brunschvicg, op. cit. in n. 99, 180.
-
[122]
Gaston Bachelard, La philosophie scientifique de Léon Brunschvicg [1945], in Id., L’Engagement rationaliste (op. cit. in n. 5), 169-177, 169.
-
[123]
Bachelard (1953), op. cit. in n. 6, 1-2.
-
[124]
Bachelard, op. cit. in n. 122, 175.
-
[125]
Émile Meyerson, Identité et réalité (Paris : Alcan, 1926), 413.
-
[126]
Émile Meyerson, Le Cheminement de la pensée (Paris : Alcan, 1931), t. I, 84.
-
[127]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 9.
-
[128]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 7.
-
[129]
Brunschvicg, op. cit. in n. 93, 406 (§ 184).
-
[130]
Léon Brunschvicg, Le dur labeur de la vérité, Les Études philosophiques, nouv. sér., 4e année, n° 3-4 (juillet-décembre 1949), 319-335, 327.
-
[131]
Bachelard, op. cit. in n. 56, 44.
-
[132]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 42.
-
[133]
Bachelard, op. cit. in n. 6, 50.
-
[134]
Bachelard, op. cit. in n. 122, 168-169.
-
[135]
Il s’agit de sa thèse complémentaire : Étude sur l’évolution d’un problème de physique : La propagation thermique dans les solides (Paris : Vrin, 1928).
-
[136]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 250.
-
[137]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 173.
-
[138]
Gaston Bachelard, Noumène et microphysique [1931-1932], in Id., Études (op. cit. in n. 21), 11-24, 12.
-
[139]
Bachelard, op. cit. in n. 56, 183.
-
[140]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 86.
-
[141]
Bachelard s’appuie à l’occasion sur ses observations pédagogiques. Voir le passage sur l’imaginaire de l’explosion ou celui sur la sexualisation du couple acide-base : Bachelard, op. cit. in n. 2, 54 et 195.
-
[142]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 32.
-
[143]
Toute mémoire est cependant déjà une organisation. Bachelard savait, pour avoir lu Janet (L’Évolution de la mémoire et de la notion du temps (Paris : A. Chahine, 1928), t. II, 303-304), que la mémoire est une conduite du récit issue de l’action différée, une mise en ordre de ce qu’il s’agit de raconter à un interlocuteur absent, ce qui suppose une société car seule une conduite sociale peut fournir le cadre d’un récit. « Robinson dans son île n’a pas besoin de faire un journal. S’il fait un journal c’est parce qu’il s’attend à retourner parmi les hommes. » (Ibid., t. II, 219-220.) Ainsi, dit Bachelard, « les faits tiennent dans la mémoire grâce à des axes intellectuels » et « on doit composer son passé » (Bachelard, op. cit. in n. 48, 61). De son côté, Piaget loue la fécondité heuristique de la théorie janétienne. Il oppose celle-ci à l’idée de conservation intégrale du passé soutenue par Bergson et par Freud (voir Jean Piaget et Bärbel Inhelder, Mémoire et intelligence (Paris : Puf, 1968)).
-
[144]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 251.
-
[145]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 132.
-
[146]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 66.
-
[147]
Bachelard, op. cit. in n. 5, 98.
-
[148]
Bachelard, op. cit. in n. 122, 175.
-
[149]
Natalie Depraz, Husserl psychologue ?, in Maria Gyemant (dir.), Psychologie et psychologisme (Paris : Vrin, 2015) 203-226, et Jocelyn Benoist, Frege psychologue, in Ibid., 227-247.
-
[150]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 25. Cette notion de « conscience de méthode » est présente dans le commentaire de Spinoza par Brunschvicg. Ayant éliminé toute lecture substantialiste du cogito et fondé la réalité psychique de la conscience sur l’adéquation de l’idée, la réforme spinoziste de l’entendement renforce le lien intrinsèque de la méthode au savoir (Brunschvicg, op. cit. in n. 53, 175, § 94).
-
[151]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 136.
-
[152]
Voir Bachelard, op. cit. in n. 34, 24-26.
-
[153]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 59.
-
[154]
Antoine-Augustin Cournot, Matérialisme, vitalisme, rationalisme [(Paris : Hachette, 1875), IIIe sect., § 10], (Paris : Vrin, 1979, 158).
-
[155]
Brunschvicg, op. cit. in n. 96, 129.
-
[156]
Frédéric Fruteau de Laclos, Le Cheminement de la pensée selon Émile Meyerson (Paris : Puf, 2009), 52.
-
[157]
Léon Brunschvicg, Introduction à la vie de l’esprit (Paris : Alcan, 1900), 127.
-
[158]
Brunschvicg, op. cit. in n. 98, 173.
-
[159]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 27.
-
[160]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 18.
-
[161]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 136.
-
[162]
Piaget, op. cit. in n. 24, 79.
-
[163]
Ibid., 55.
-
[164]
Goblot, op. cit. in n. 25, 272.
-
[165]
Ibid., 20.
-
[166]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 55.
-
[167]
Ibid., 10.
-
[168]
Goblot, op. cit. in n. 25, 29.
-
[169]
Ibid., 23.
-
[170]
Ibid., 30.
-
[171]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 50.
-
[172]
Jean Piaget, L’Épistémologie génétique (Paris : Puf, 1970), 8.
-
[173]
Georges Canguilhem, La théorie cellulaire [1945], in Id., La Connaissance de la vie (Paris : Vrin, 1965), 44-80, 47.
-
[174]
Georges Canguilhem, Dialectique et philosophie du non chez Gaston Bachelard [1963], in Id., Études d’histoire et de philosophie des sciences (Paris : Vrin, 1968), 196-207.
-
[175]
Georges Canguilhem, L’objet de l’histoire des sciences [1966-1968], in ibid., 17-19.
-
[176]
Michel Foucault, L’Archéologie du savoir (Paris : Gallimard, 1969), 11.
-
[177]
Georges Canguilhem, Idéologie et rationalité (Paris : Vrin, 1977), 40.
-
[178]
Canguilhem, op. cit. in n. 175, 18.
-
[179]
Claude Debru, Georges Canguilhem : Science et non-science (Paris : Éditions de la rue d’Ulm, 2004), 82.
-
[180]
Canguilhem, op. cit. in n. 177, 23.
-
[181]
Ibid., 114.
-
[182]
Michel Foucault, Une histoire restée muette [1966], in Id., Dits et écrits, t. I : 1954-1969 (Paris : Gallimard, 1994), 545-549, 547.
-
[183]
Michel Foucault, La philosophie structuraliste permet de diagnostiquer ce qu’est « aujourd’hui » [1967], in ibid., 580-584, 581.
-
[184]
Foucault, op. cit. in n. 176, 23.
-
[185]
Michel Foucault, L’homme est-il mort ? [1966], in op. cit. in n. 182, 540-544, 543.
-
[186]
Foucault, op. cit. in n. 176, 11.
-
[187]
Bachelard, op. cit. in n. 109, 18 et 26.
-
[188]
Jean Lescure, Un été avec Bachelard (Paris : Luneau-Ascot, 1983), 228.
Introduction : Retour sur une problématique délaissée
1Gaston Bachelard (1884-1962) ne sépare pas l’épistémologie d’une certaine psychologie, si bien qu’on en viendrait presque à se demander s’il ne fait pas de l’épistémologie pour résoudre des questions de psychologie [1]. On sent poindre de l’amertume quand il doit renoncer à la « psychologie directe » pour se contenter d’une « psychologie de reflet » [2]. Quoi qu’il en soit, il est convaincu que « si l’on veut pénétrer l’esprit scientifique dans sa dialectique nouvelle, il faut vivre cette dialectique sur le plan psychologique, comme une réalité psychologique [3] ».
2Souvent sous-estimée, parfois jugée encombrante [4], la « psychologie de l’esprit scientifique » occupe une place centrale dans ses travaux d’épistémologie. Il n’est pas aisé d’en cerner précisément les contours, premièrement parce que nous avons pris l’habitude, pour divers motifs, d’isoler l’épistémologie ou l’histoire des sciences de toute espèce de psychologie, et deuxièmement parce que Bachelard, dans sa vélocité intellectuelle, a décliné le thème psychologique avec une prodigalité qui décourage l’inventaire.
3Allons à l’essentiel et donnons tout de suite une interprétation. Pour Bachelard, la normativité scientifique enrichit le domaine de la psychologie en provoquant des crises de conscience, en impulsant des conduites de surveillance et de vigilance, en créant une mémoire rationnelle, en dédoublant la psychologie de l’homme ordinaire par une psychologie très intellectualisée et socialisée qui est une sorte d’hyper-psychologie. Par une série d’approches successives, la psychologie bachelardienne vise l’approximation asymptotique d’un nouveau sujet, consécutif aux révolutions scientifiques : un sujet travaillé par une raison discursive portée au plus haut point de conscience, une hyper-conscience nourrie de valeurs culturelles et parfois qualifiée de « seconde nature » [5]. Pour Bachelard, les mutations de la raison impliquent des valeurs et des principes qui travaillent l’humanité non en extension mais en compréhension, et qui filtrent ce fonds imaginaire primitif, analogique et pittoresque, logé dans les profondeurs de notre psychisme. C’est pourquoi son psychologisme ne peut se dissocier complètement d’une anthropologie globale, anthropologie qu’il avoue lui-même poursuivre sur un mode plus ou moins nostalgique en essayant d’accorder la même attention à l’homme du jour et à l’homme de la nuit, au rationaliste éveillé et à l’homme de la rêverie [6]. Notre but n’est nullement de démystifier cette prétention. Il s’agira au contraire de ressaisir la psychologie de l’esprit scientifique comme un programme qui avait, avant même que Bachelard ne s’en empare, des références précises dans le champ des sciences humaines et de la philosophie.
De l’autisme à l’esprit scientifique
4L’« esprit scientifique » : de quoi s’agit-il ? On peut faire remonter à Auguste Comte (1798-1857) sinon l’invention de cette notion, du moins sa stabilisation dans un discours bien construit. Avec la loi des trois états, Comte présente une analyse historique des régimes mentaux où ceux-ci sont rapportés à un sujet général : l’esprit humain. La marche de l’esprit humain appartient à l’évolution de la civilisation et la physique sociale désigne en conséquence une anthropologie culturelle de la science. La loi des trois états s’applique également au sujet individuel, selon une théorie du développement qui préfigure la loi de récapitulation. Décrivant pour chaque époque les changements qui amènent un régime mental à devenir irréversiblement prépondérant, Comte suggère qu’une maturation souterraine a rendu possible une transition sans crise, sans « lutte directe [7] », entre l’esprit théologico-métaphysique et l’esprit positif, deux approches du monde pourtant radicalement opposées. Au contraire, l’auteur du Nouvel esprit scientifique accentue les ruptures et souligne avant tout l’origine critique, polémique, des progrès accomplis. Jugeant que la philosophie positive n’a pas assez nettement rompu le lien entre connaissance commune et connaissance scientifique, entre expérience ordinaire et technique scientifique, il propose de compléter la loi des trois états par une « quatrième période » qui serait celle des révolutions contemporaines [8].
5S’il est vrai que le discontinuisme de Bachelard s’oppose au continuisme du Cours de philosophie positive, il faut rappeler que Comte décrit l’évolution des modes de connaissance comme une expérience collective procédant sur le long terme par essais et rectifications et tirant les leçons de ses échecs. Pour Comte, l’esprit humain s’enracine dans un passé immémorial peuplé de choses animées, que l’esprit moderne a pour ainsi dire refoulé mais dont il conserve la trace dans le langage à travers des métaphores anthropomorphiques [9]. Comte décrit le fétichisme, cette attitude mentale commune à l’enfant et au primitif, comme un système de représentations qui a sa propre cohérence : l’être humain commence par projeter ses sentiments intimes sur l’ensemble des phénomènes et par attribuer à tous les corps extérieurs une vie calquée sur la sienne. La pensée fétichique se présente comme une structure mentale organisée dans laquelle on reconnaît, si l’on prend du recul, les caractéristiques de l’égocentrisme enfantin telles que les décrira Jean Piaget (1896-1980). Pour Piaget, l’enfant commence par tout comprendre et tout sentir à partir de son point de vue propre sans en avoir conscience, sans pouvoir se situer objectivement dans le monde. Les premières manifestations de l’intelligence consistent en une assimilation déformante du monde perçu à l’activité propre. On trouve de même chez Comte l’idée selon laquelle l’homme ne pouvait initialement expliquer les phénomènes autrement qu’en les assimilant à ses propres actes [10]. Comte remonte jusqu’à la représentation quasi hallucinatoire d’un ordre harmonieux et coalescent où l’homme était uni au monde [11]. Dans le même sens, Piaget évoque une indissociation entre le monde intérieur ou subjectif et l’univers physique, un mélange de finalisme, d’animisme, de réalisme et d’artificialisme qui persiste dans certaines circonstances chez l’adulte sous la forme d’images premières et d’« adhérences subjectives [12] ».
6Piaget se sert de la psychologie génétique et de l’histoire des sciences pour étudier la construction des normes de cohérence de la pensée objective. La psychologie de l’enfant constitue pour lui une sorte d’« embryologie mentale [13] » qui décrit les stades du développement de l’individu et surtout étudie le mécanisme de ce développement. Parallèlement, l’histoire des sciences décrit les étapes de la pensée scientifique en scrutant les mécanismes intellectuels utilisés par la science dans sa conquête progressive du réel. L’épistémologie génétique résultant de cette collaboration se présente comme une sorte d’« anatomie comparée » des structures de connaissance qui confronterait les constructions les plus éloignées pour en saisir les invariants et les transformations. Une telle discipline consiste donc à étudier l’apparition successive des structures constitutives de l’esprit scientifique, par des moyens méthodiques et non plus spéculatifs, et en faisant l’économie de présupposés déterministes ou téléologiques. La théorie proposée est la suivante : l’incapacité de penser par relations réversibles est liée à la conscience d’un sujet individuel qui, centrant tout sur son action propre et les impressions subjectives qui l’accompagnent, est dominé par des configurations apparentes ; la découverte de la réversibilité opératoire marque au contraire la constitution du « sujet épistémique » qui, en accédant aux coordinations générales de l’action, devient capable de stabiliser les données sensibles dans une structure qui les intègre. Le dépassement de l’esprit individuel et contingent par une pensée qui n’avance qu’en se régularisant, « qu’en se travaillant dans sa forme [14] », comme dit Bachelard, se trouve également chez Piaget qui affirme que le propre de l’homme n’est pas d’être « une subjectivité » mais de tendre consciemment vers un résultat en partant de données aussi objectives que possible pour aboutir à des résultats aussi objectifs que possible [15].
7Comme la plupart de ses contemporains, Piaget rapproche la pensée pré-objective de l’enfant de la mentalité primitive. Il emprunte à Lucien Lévy-Bruhl (1857-1939) la loi de participation [16]. Oblitérant, dans les sociétés primitives, le principe de contradiction, la loi de participation signifie qu’un être peut être présent dans chacune de ses parties, voire dans ses symbolisations matérielles – un phénomène que l’anthropologue explique sociologiquement par la coalescence des individus dans le groupe. Lévy-Bruhl tient pour établi non seulement que les séquences de phénomènes les plus frappantes passent souvent inaperçues chez les primitifs, mais que ces derniers croient également à des séquences qui ne se vérifient jamais, de sorte qu’il est impossible de les détromper [17]. Bachelard donne cet exemple : pour combattre l’action d’une flèche empoisonnée, ils traitent la flèche et non la blessure [18]. Selon Lévy-Bruhl, les primitifs ont la même perception que nous, mais leur esprit n’est pas orienté comme le nôtre, sauf sur des points spéciaux de technique. Selon Piaget, il en va de même pour l’enfant, qui prolonge la réalité sensible par une réalité verbale ou imaginée placée sur le même plan. S’agissant du jeune individu, on ne doit pas s’étonner que la rencontre avec les choses soit impuissante à le détromper puisque les choses elles-mêmes sont façonnées par son esprit. Aucune expérience directe ne pourra l’amener à découvrir qu’un mouvement n’est pas intentionnel. Le monde perçu est d’abord assimilé sans effort d’adaptation au réel. L’individu accède ensuite aux coordinations générales de l’action en se soumettant à des critères de vérification qui viennent de l’échange avec autrui. « C’est assurément le choc de notre pensée avec celle des autres qui produit en nous le doute et le besoin de prouver [19]. » La discussion est donc essentielle à la normalisation de nos pensées. Mais la réciproque est non moins vraie : la coopération entre deux partenaires n’est possible que si ceux-ci règlent leurs actions l’un sur l’autre, comme s’ils menaient une discussion objectivée.
8Bachelard hérite de toute cette préparation théorique lorsqu’il montre l’importance de la raison discursive et de la communication des idées dans la démarche scientifique, parce qu’il n’y a d’émergence de la vérité que dans une « socialisation de la vérité [20] ». Il estime qu’« on jugera de la valeur objective d’une idée par la place que cette idée occupe dans le processus d’objectivation qu’on doit nécessairement lui adjoindre pour la rendre claire, efficace, communicable [21] ». Enfin, il évoque les échanges de la cité scientifique comme une réalité psychologique [22]. Rappelons ici que Bachelard avait lu Edmond Goblot [23], un de ces « logiciens à tendance psychologique » appréciés de Piaget [24]. Or pour Goblot, « le champ dans lequel se meut la pensée du savant contemporain est fait d’une socialité extrêmement riche [25] ». Pour lui, la nécessité logique s’érige à partir d’une finalité sociale, à partir du besoin impératif de se faire comprendre et de communiquer. Ainsi un peuple s’élève-t-il au-dessus de ses croyances communes et représentations collectives lorsque, pour convaincre ses adversaires, il cherche à expliquer sa propre pensée. C’est alors qu’apparaît l’esprit critique : on cherche ce que doit être la pensée pour qu’elle puisse passer d’un esprit dans un autre et susciter un accord. « L’idée même du vrai et du faux suppose […] que le sujet se critique lui-même, envisage des alternatives de jugements possibles, s’imagine lui-même autrement qu’il ne juge. Ce pouvoir de réflexion et ce dédoublement, ce conflit de l’intelligence avec elle-même ne semblent guère explicables que par […] la longue pratique du conflit entre les intelligences [26]. » Inversement, comme le suggère Bachelard, « une construction solitaire n’est pas une construction scientifique [27] », parce qu’elle est menée d’un seul point de vue, comme le sont les explications décousues [28]. Pour Bachelard une pensée aussi peu normalisée reste un « état d’âme », tandis qu’une vérité n’acquiert son véritable sens « qu’au terme d’une polémique » [29] : « la précision discursive et sociale fait éclater les insuffisances intuitives et personnelles [30] » et, pour la pensée spécialisée, tout individualisme devient « un anachronisme [31] ».
9Pour Bachelard, l’individu livré à lui-même en face d’un problème complexe chercherait la connaissance « du côté du pittoresque [32] » et se laisserait séduire par les images premières et valorisations subjectives profondément enracinées dans les structures primitives du psychisme humain. Piaget a débuté dans ses recherches sur la psychologie de l’enfant en opposant cette pensée normalisée par le contrôle mutuel à ce que les psychanalystes appellent la « pensée autistique », une pensée « non dirigée, étrangère au souci de vérité, riche en schémas imagés et symboliques et surtout inconsciente d’elle-même et des directions affectives qui groupent ses représentations » [33]. Toutes proportions gardées, l’autiste est dans une situation comparable à cette pensée oisive qui, selon Bachelard, se croit libre parce qu’elle est « pensée occasionnelle, pensée contingente, pensée intime », mais n’a pas forcément « l’être » du seul fait qu’elle refuse « le devenir » [34]. Les rêveries cosmiques, dira Bachelard, nous placent dans un monde et non dans une société. À cet égard, la solitude du rêveur communique avec les solitudes de l’enfance ; l’enfant vit dans le monde de sa rêverie [35]. L’accès à l’objectivité scientifique se joue donc dans cette conquête de la raison discursive sur le fonds autistique de nos pensées primordiales. Convergence remarquable : Piaget retrouve dans certains récits d’enfants une fabulation qui n’est pas sans rapport avec les symboles freudiens des rêves de naissance, comme l’eau, souvent associée par « la pensée onirique » à l’idée de naissance. Mais il relativise ce point de contact avec la psychanalyse en estimant que la structure égocentrique de la pensée enfantine fournit un schéma d’explication suffisant qui peut nous dispenser de recourir au « symbolisme de la pensée subconsciente [36] ». À mesure que Piaget s’éloignera de la psychanalyse pour échafauder ses théories épistémologiques, Bachelard, lui, s’en rapprochera, visant toutefois une psychanalyse qui n’existe pas encore, une « Psychanalyse généralisée [37] » qui étendrait ses recherches du côté de la vie intellectuelle.
L’activité scientifique et la hiérarchie des conduites
10La pensée réflexive n’est pas séparable de la socialisation de la pensée. Dans l’épistémologie de Bachelard, raison discursive et raison réflexive travaillent conjointement. Or c’est là un acquis de la science des conduites. Dans sa théorie de la coordination des points de vue comme accès à la pensée objective, Piaget définit la réflexion comme une discussion intériorisée, un dialogue entre des participants virtuels s’adressant des remarques et des objections. Il emprunte cette importante définition au clinicien Pierre Janet qui avait découvert que les conduites vis-à-vis de nous-mêmes dérivent de conduites préalablement acquises en fonction des autres [38] (c’est ainsi que la morale est l’ensemble des commandements qu’on se donne à soi-même en faisant parler une autorité supérieure, ce qui suppose l’acquisition des conduites de commandement et d’obéissance, plus complexes que la simple imitation). Bachelard ne cesse d’insister sur la dimension réflexive de la pensée scientifique, invitant à considérer le doute méthodique comme le premier degré d’un processus récursif encore insoupçonné du temps de Claude Bernard. Il en appelle non seulement à une conscience plurielle de l’objet, mais à une conscience de la conscience, à un jugement sur le jugement, à une visée qui soit pénétrante mais qui soit aussi « consciente des préparatifs de pénétration [39] », à une surveillance au second et au troisième degré [40], indispensables pour reconquérir sans cesse une objectivité toujours menacée qui n’est jamais mieux garantie que dans les problèmes bien posés de la spécialisation, où les solutions expérimentales imposent des réorganisations complètes. En sciences, « il faut penser et se voir penser [41] ».
11Il convient ici de rappeler que, dans ses orientations les plus larges, la psychologie de l’époque se donne pour tâche l’étude des conduites, « l’étude des mouvements partiels, des attitudes générales ou des déplacements d’ensemble par lesquels l’individu réagit aux actions que les divers objets environnants exercent sur lui [42] ». Pierre Janet appelle « tendances » les dispositions à agir ou à réagir toujours de la même manière à certaines sollicitations ou modifications de notre environnement. La psychologie janétienne étudie l’intelligence comme une construction hiérarchisée de tendances allant des plus élémentaires, les tendances réflexes, jusqu’aux plus complexes qui sont les tendances sociales, tardivement acquises au cours de l’évolution. Chez les psychasthéniques, Janet observe un effritement des conduites supérieures et une régression vers des conduites réclamant une moindre dépense de force psychique. Les premiers actes intellectuels concernent des objets particuliers, ce sont des conduites relatives au tiroir de l’armoire, à la place du village, au portrait, à l’outil, etc. Puis viennent des conduites plus complexes. Étudiant celles-ci, Janet est amené à considérer que le principe d’identité n’est pas « une loi de la pensée », mais une loi que l’homme impose à sa pensée quand il veut être raisonnable. Il s’ensuit une nouvelle construction active : à l’être s’ajoute la vérité qui est « ce que nous croyons non seulement après réflexion, mais après soumission aux règles [43] ». Les tendances intellectuelles supérieures dérivent de conduites particulières. Ainsi Janet s’efforce-t-il de rattacher la naissance des systèmes d’explication à des techniques d’enseignement destinées à faciliter la mémorisation, la répétition, la réactivation de ce qui a été appris, etc. Puis vient l’esprit scientifique, qui est « un arrêt de l’affirmation des systèmes » et met « un sentiment du possible et du probable à la place de l’absolu […] » [44].
12Cette entrée dans la psychologie de l’esprit scientifique par la psychologie des conduites donne un éclairage particulier à l’orientation épistémologique de Bachelard dans la mesure où celui-ci substitue aux théories de la connaissance, classiquement héritées du positivisme ou du kantisme, une psychologie de l’esprit au travail. Janet étudie des conduites telles que « l’attention volontaire, bien différente de l’attention spontanée », « la patience pour supporter l’attente », etc. [45]. Bachelard s’intéresse à ces dimensions du travail scientifique, qui ne lui paraissent pas du tout anecdotiques si l’on en juge par la place qu’il leur accorde. Il propose lui-même une « psychologie de la patience scientifique [46] ». Il se réfère à Janet assez tôt et à plusieurs reprises [47]. Il utilise la psychologie des phénomènes temporels de Janet pour étayer ses considérations sur la durée [48]. Rebelle aux systèmes réducteurs, il apprécie sa méthode « à la fois modeste et profonde [49] ». Il s’inspire directement de sa psychologie des conduites élémentaires dans sa présentation du profil épistémologique de la notion de masse, où il fait intervenir la « conduite de la balance », la « conduite du trébuchet » et la « conduite du dynamomètre » comme des expériences instructives, inégalement pratiquées, mais qui peuvent receler des pièges pour la connaissance objective [50]. Dans le prolongement de ces remarques, nous pourrions facilement montrer que Bachelard, « cet arpenteur de la rêverie [51] », surprend très souvent l’image naissante dans une conduite relative à un objet : l’escalier qu’on monte et l’escalier qu’on descend, la chaumière dans laquelle on s’abrite, la souche qui provoque l’acharnement du déracineur, etc. En mobilisant ces conduites élémentaires, ces expériences primitives, comme des archétypes symboliques dont chacun peut revivre et activer la fonction imageante, Bachelard réunit Janet et Carl Gustav Jung et les complète l’un par l’autre.
13Bachelard est très proche d’une démarche janétienne quand il évoque l’opiniâtreté de la conscience scientifique aux prises avec une matière qui résiste ou quand il distingue les trois niveaux de surveillance intellectuelle qui sont à proprement parler des conduites intellectuelles : attente d’un fait défini, conscience d’information, mise à l’épreuve de la méthode par un retour sur soi de la conscience vigile, censée ne pas s’arrêter au stade de la satisfaction expérimentale. Comme Janet, l’auteur du Rationalisme appliqué prend ses distances avec un freudisme un peu trop discriminant qui ne voit dans les instances de second degré que des facteurs de censure et de refoulement. Les commentateurs ont souvent insisté sur la psychanalyse de l’esprit objectif, mais il faudrait insister tout autant sur cette psychologie des conduites savantes, toujours très attentive à l’« action réfléchie, industrieuse, normalisante [52] » des travailleurs de la preuve et au dynamisme d’une pensée tonique qui a ses forces et ses faiblesses, comme le montre la psychologie « dynamique » de Janet qui se fonde précisément sur le principe de telles oscillations.
14L’entrée par la psychologie dynamique correspond chez Bachelard à une orientation d’épistémologie interne qui exige, pour aborder sérieusement les évolutions scientifiques, d’assumer les principes organisateurs de la science et de participer à la construction des théories au lieu de les juger sur leurs résultats à partir d’une position extérieure, comme le fait la philosophie [53]. La science s’élabore dans les laboratoires de recherche, elle progresse grâce à des collaborations scientifiques, des échanges et des controverses qui mettent en jeu des ressorts psychologiques. L’idée selon laquelle les faits sont construits revient à situer l’objectivité non pas dans la réceptivité de l’objet, mais dans l’accord des travailleurs de la preuve, puis à fonder l’accord scientifique non pas sur la similitude des objets, mais sur « la manière uniforme dont nous réagirons à leur occasion [54] ». Pour Bachelard, la science ne se laisse pas réduire à une dialectique des concepts : l’activité rationaliste est une activité incarnée [55]. Cela explique qu’il encourage très tôt les théoriciens « à relier plus étroitement les preuves scientifiques et les preuves psychologiques [56] » et qu’il engage la philosophie à sortir de son immobilisme pour activer ses catégories comme de véritables fonctions.
La connaissance scientifique comme inhibition des croyances
15Comme en témoignent de nombreux exemples, Bachelard hérite d’un modèle de développement par stades, lui-même dérivé de schémas évolutionnistes largement répandus dans les sciences de l’esprit de l’époque. Ce modèle véhicule l’idée d’une évolution non linéaire des structures mentales : une évolution par paliers, avec des revirements. Là encore la référence à Janet semble pertinente, car tandis que Sigmund Freud s’appuie sur un instinct fondamental qui demeure identique au cours de son évolution et déplace simplement son point d’application (les « charges affectives »), Janet raisonne non en termes de contenus mais en termes de structures intégrées, pratiquant ainsi, selon Piaget, une démarche « nettement constructiviste, c’est-à-dire authentiquement génétique [57] ». Janet reprend le problème des croyances primitives posé par Lévy-Bruhl et montre que l’homme commence naturellement par croire ce qu’il désire. Il suffit qu’une affirmation quelconque soit accompagnée d’une tendance fortement activée, et qu’aucune idée contraire ne vienne corriger la croyance, pour que celle-ci s’impose. Une croyance quelconque, même si elle est absurde, se conserve aussi longtemps qu’elle n’est pas entravée par une affirmation contraire et qu’elle échappe à l’exigence de non-contradiction. Celle-ci suppose une action de contrôle qui se trouve cruellement affaiblie dans certains cas pathologiques : c’est ainsi qu’une somnambule étudiée par Janet croit qu’elle a la tête coupée et se regarde dans un miroir en regrettant d’être décapitée, jusqu’au moment où quelqu’un lui fait remarquer qu’elle doit bien avoir les yeux en place puisqu’elle peut se voir dans son miroir. Des croyances immédiates, on s’élève aux croyances réfléchies en passant par la réflexion, qui est une discussion intériorisée et un arrêt de l’affirmation primitive par la combinaison de formules opposées [58]. Piaget reprend à son compte cette théorie qui présente l’intelligence non pas comme une extension et une complexification de propositions premières mais au contraire comme un coup d’arrêt qui empêche celles-ci de s’étendre indéfiniment telles des solutions magiques à des problèmes qui n’ont encore fait l’objet d’aucune réflexion. Bachelard poursuit dans cette direction en remarquant que, dans toutes les « rationalisations imprudentes », la réponse a été donnée avant qu’on ait éclairci la question ; il y voit un indice suffisant pour considérer le « sens du problème » comme une caractéristique essentielle de l’esprit scientifique [59].
16Cette thèse avait été défendue à la fin du xixe siècle par un auteur dijonnais aujourd’hui oublié, mais que Bachelard avait lu et qu’il connaissait personnellement : Louis Gérard-Varet [60]. Ce dernier a publié sa thèse de philosophie chez Alcan, en 1898 : un « essai de psychologie objective » sur « l’ignorance et l’irréflexion ». L’ignorance et l’irréflexion, c’est-à-dire tout simplement les modes de pensée pré-scientifiques, Gérard-Varet les étudie principalement chez les anciens ou dans les populations besogneuses restées en deçà de l’explication par les lois naturelles. Il utilise comme matériaux des publications de philologues, d’archéologues, d’antiquisants (Paul Decharme, Victor Bérard, François Lenormant, Gaston Maspero) ou d’explorateurs et d’anthropologues (Edward Burnett Tylor, Auguste Bouché-Leclercq). Par psychologie objective, l’auteur entend une psychologie non introspective, une psychologie d’observation, tournée si possible vers les hommes les plus différents de nous, dans une perspective qui était assez classique en cette fin de siècle.
17Bachelard mentionne son ouvrage en 1938 [61] lorsqu’il aborde pour la première fois la nécessité de prendre en considération, dans l’enseignement des sciences, les obstacles épistémologiques, c’est-à-dire ces obstacles qui ne viennent pas du dehors mais de nous, et qui tiennent non pas à des visions lacunaires mais au contraire à des représentations surdéterminées, comme dans la question de l’équilibre des corps flottants, où l’intuition première d’un « corps qui nage » rend difficilement saisissable la « résistance de l’eau ». Les obstacles à la pensée objective, étant liés à des manières concrètes de traduire notre rapport au monde, sont immanents à notre pensée ; ce sont des obstacles subjectifs. D’où l’idée d’une critique interne de la connaissance qui serait une sorte de thérapeutique. Cette théorie des représentations initiales, promise à un succès aussi massif qu’ambigu du côté des sciences de l’éducation, s’accompagne, dans La Formation de l’esprit scientifique, d’une référence à L’Ignorance et l’irréflexion qui devait (à notre connaissance) demeurer lettre morte. Pourtant, Gérard-Varet avait été lu de son vivant. Janet le cite en compagnie de d’Émile Durkheim et de Lévy-Bruhl [62], et Bachelard, qui l’a probablement lu à la bibliothèque de la faculté, donc après 1930, a pu trouver chez lui une anticipation de ses théories, voire – selon notre hypothèse – une source d’inspiration.
18Quelques années avant Lévy-Bruhl, Gérard-Varet met l’accent sur l’imperméabilité à l’expérience caractéristique de la pensée mythologique. Les Égyptiens, croyant que le mort conserve les besoins du vivant, avaient coutume de déposer des denrées alimentaires auprès du défunt. Les démentis de l’expérience auraient dû les convaincre de l’extravagance de leur croyance. Or, au lieu de considérer que les morts ne ressentent ni la faim, ni la soif, les prêtres d’Égypte affirmèrent qu’en eux le double du corps (le ka = l’esprit) se nourrit du double des aliments. De manière générale, la pensée mythologique se dérobe à toute possibilité de vérification : elle ajoute à l’expérience « des visions jaillies de sources intérieures ; elle incorpore au monde des sens un monde de formes imaginaires, toute une flore de contes, de mythes et de légendes [63] ». Pour la mentalité archaïque, le monde est « une collection de forces indépendantes, d’énergies libres et étrangères les unes aux autres [64] ». Cette pensée pré-objective, qui peuple le monde de formes invisibles, répond à un besoin de coordination et de compréhension qui est d’abord satisfait par des rapports arbitraires. Elle s’attache en effet uniquement à trouver des rapports, et « tous ceux qu’elle découvre, elle les accueille en bloc [65] ». Les classifications primitives montrent que la simple observation du réel ne fournit pas de concepts scientifiques – comme Bachelard le démontrera plus tard [66]. Gérard-Varet prend comme exemple les attributs les plus frappants de l’animal : le mouvement spontané et le cri. Les primitifs retrouvent ces propriétés partout dans la nature avec le vent qui souffle, la rivière qui coule, le bruissement des feuilles, le grondement du tonnerre, si bien que, pour eux, « l’ensemble des choses forme une seule et même famille d’êtres qui sentent et qui désirent, qui aiment et qui haïssent, qui craignent et qui espèrent [67] ». La pensée pré-objective, c’est donc « le règne de l’analogie [68] », c’est l’imagination complétant la perception, comme la perception complète la sensation.
19La pensée commence par l’erreur transformée en croyance. Dans cette représentation du monde dominée par l’imaginaire, « l’erreur est une métaphore épanouie » comme la métaphore est « une erreur avortée » [69], et cela, bien que la pensée primitive ne soit nullement guidée par « l’amour du pittoresque [70] ». Cette allusion au climat poétique de l’humanité ignorante a derrière elle une tradition qui remonte à Giambattista Vico, elle passe par Comte et débouche sur la double carrière de Bachelard qui utilisera ce terme de « pittoresque » avec la prédilection que l’on sait. Placer l’erreur au commencement signifie que l’ignorance n’est pas une pensée anti-scientifique, mais une pensée pré-scientifique : la croyance au miracle, par exemple, n’est pas la négation des lois naturelles, mais le déplacement et la coordination de celles-ci en d’improbables assemblages. Or il est frappant de constater que Bachelard donne au mot « ignorance » le même contenu : « Le savant ne voit pas que l’ignorance est un tissu d’erreurs positives, tenaces, solidaires. Il ne se rend pas compte que les ténèbres spirituelles ont une structure […] [71]. » Pour Gérard-Varet, l’erreur première n’est pas le contraire de la vérité, mais l’expression d’une forme d’intelligence, une affirmation positive antérieure à la distinction du vrai et du faux. « Concevoir le vrai et le faux, c’est savoir que nos jugements n’ont pas tous la même valeur […]. Prévenu une fois pour toutes, armé de ce principe qui trouve sans cesse son application, l’esprit exerce dès lors sur ses pensées une surveillance et un contrôle continuel. Il s’oblige à réserver son adhésion, à conserver la maîtrise de soi. Son travail est désormais double : trouver des idées d’abord, les juger ensuite [72]. » Surveillance, contrôle continuel : il est relativement aisé de suivre le fil conducteur qui mène aux analyses bachelardiennes. Janet développe la même idée lorsque, commentant les théories de Piaget sur l’autisme, il soutient que « la pensée est très dangereuse si elle n’est pas arrêtée par quelque chose [73] ».
20Gérard-Varet présente le passage de l’expérience spontanée à l’expérience scientifique comme un saut qualitatif du général au nécessaire. Bachelard dira : un passage de l’assertorique à l’apodictique. L’expérience scientifique suppose « le concours d’une intelligence ouverte, capable de rapprocher, de comparer, d’embrasser d’un seul regard les événements du jour et les échos du passé [74] ». Elle inclut la réflexion qui est « la considération de la valeur de nos idées [75] ». La raison réfléchie n’est ni une lente stratification (comme le veut l’empirisme), ni le passage à l’acte de puissances sommeillantes prêtes à s’exercer (comme le suggère l’apriorisme) : « Elle est une organisation, c’est-à-dire une métamorphose [76]. » Et comme la réflexion signifie la capacité pour la science de prendre conscience d’elle-même, ce qui ne peut se faire que sur fond de préjugés antérieurs, la science se construit contre les illusions premières et comprime la prolifération d’une foule d’êtres imaginaires. Alain dira que vouloir surmonter ce qu’on ne croit point est toujours vain : « C’est penser dans les nuages [77]. » Une pensée vraie est une erreur rectifiée, et les vérités qui ne sortent pas de l’erreur sont comme des hommes qui n’auraient pas eu d’enfance [78]. C’est bien l’idée que Gérard-Varet exprime ici : il faut que l’esprit ait beaucoup erré pour qu’au moment où il se reprend, sa réflexion soit instructive. Et ainsi : « La vérité n’est rien sans l’erreur, sa condition nécessaire [79]. » Bachelard poursuit dans cette direction : « Il n’y a pas de vérités premières, il n’y a que des erreurs premières […]. La première et la plus essentielle fonction de l’activité du sujet est de se tromper. Plus complexe sera son erreur, plus riche sera son expérience [80]. »
21Bachelard n’est pas le premier philosophe à évoquer une âme puérile « frappée d’étonnement devant le moindre phénomène instrumenté [81] », puisque Gérard-Varet opposait déjà l’étonnement réfléchi à l’étonnement primitif « sans discussion et sans réserve [82] ».
22L’ignorance n’est pas un vide à combler, c’est une attitude à part entière que l’esprit scientifique doit récuser pour parvenir à l’objectivité. Tandis que la pensée mythologique applique l’idée de substance à toutes ses perceptions, la science commence quand la raison n’applique plus cette idée indistinctement à toutes sortes d’objets. L’auteur en tire une importante conséquence pour le progrès de la science. « Son progrès n’est pas, comme on se l’imagine d’ordinaire, dans le sens d’une marche en avant ; il est plutôt un progrès de mesure et de méthode, une démarche plus ordonnée et plus prudente. Le rôle de l’expérience n’est pas d’exciter et de renforcer le principe de substance […] mais d’épurer, de régler et de canaliser celui qu’enfantèrent en nous les illusions de l’ignorance [83]. » Dans le passage de « l’ignorance » à « la réflexion », il y a donc une extension mais aussi une canalisation, car d’un côté la raison réfléchie ajoute à la raison primitive des catégories qu’elle ne possédait point auparavant (le sujet, l’attribut, le possible, le nécessaire, le relatif), mais, d’un autre côté, « elle limite l’essor déréglé et démesuré des premières tendances ; tour à tour, elle leur enlève des provinces entières d’objets, qu’elle rapporte aux tendances ultérieurement constituées ; elle fixe à chacun son domaine, elle le parque en un canton défini [84] ». En somme, la connaissance progresse par limitation des premiers élans de l’esprit. Là encore le rapprochement est frappant, puisque Bachelard assume pleinement cette thèse : « Ce qui limite une connaissance est souvent plus important, pour les progrès de la pensée, que ce qui étend vaguement la connaissance [85]. »
23La notion d’obstacle épistémologique, qui superpose des projections perceptives et langagières (réalisme, substantialisme) et des valorisations intimistes (symboles affectifs), procède chez Bachelard d’une sédimentation de lectures échelonnées dans le temps. La strate psychanalytique vient tardivement, mais l’idée d’une purification interne de la pensée était présente avant la diffusion de la psychanalyse en France [86]. La thèse de Gérard-Varet en témoigne. L’inconscient n’y apparaît pas encore, mais, dans un article consécutif à la publication de sa thèse, l’auteur précise sa pensée sur le refoulement des tendances primitives en des termes explicites : il évoque des idées qui « se ramassent sur elles-mêmes et continuent dans les profondeurs du moi une vie obscure et insoupçonnée ». La psychologie objective, à mesure qu’elle éclaire les modes de pensée des hommes les plus différents de nous, jette la lumière sur « les plus obscures inclinations qui persistent en nous-mêmes ». En nous-mêmes, c’est-à-dire dans « la vie inconsciente de l’esprit » [87], laquelle avait fait couler beaucoup d’encre depuis la diffusion en France de l’œuvre controversée de Eduard von Hartmann [88].
24Quand Bachelard affirme que « la seule intuition légitime en Psychologie est l’intuition d’une inhibition [89] » – déclaration énigmatique en première lecture – il se souvient peut-être du contexte dans lequel ce mot est utilisé par Gérard-Varet : « Pour examiner une idée […] il faut immobiliser et retenir ce qui de soi tend à s’évader. L’automatisme de la contiguïté se traduit par un flux ininterrompu d’images ; la réflexion exerce sur celles-ci un rôle d’inhibition ; son premier pouvoir est un pouvoir d’arrêt [90]. » L’inhibition des associations : un thème assurément bachelardien [91].
Constructivisme et raison émergente
25Le modèle de développement par stades qui se généralise dans les années de formation de Bachelard se débarrasse des connotations téléologiques encore présentes dans une philosophie de l’histoire comme celle de Comte. L’apparition de nouvelles conduites y est désormais expliquée en termes d’invention psychologique. Pour Janet, chaque tendance s’édifie sur une tendance inférieure qu’elle ne fait pas disparaître, et la conscience elle-même est « une complication de l’acte qui se surajoute aux actions élémentaires [92] ». Pour Piaget, les structures mentales sont construites au cours d’un développement où chaque nouvelle structure engendrée par rééquilibration intègre la précédente dans une progression par paliers. En somme, tout est construit : cette conviction, sommairement résumée ici, s’impose à cette science de l’esprit en plein essor qu’est la psychologie du développement. Cette conviction anime également une certaine histoire des sciences, celle de Léon Brunschvicg (18691944), qui accorde toute sa place au surgissement de la nouveauté. En essayant de montrer que les structures cognitives évoluent non pas uniquement par l’influence de l’environnement mais par la réorganisation créatrice d’un équipement cognitif qui, à un moment donné, se révèle inadapté, Piaget doit beaucoup à Brunschvicg, comme il l’a maintes fois reconnu. Il lui emprunte un schéma général de développement par réorganisations successives, où les étapes de la raison scientifique deviennent des stades mentaux.
26Dans l’histoire de la rationalité, Brunschvicg met en évidence des moments de réorganisation de l’esprit scientifique, moments qui ne sont pas des crises à proprement parler, mais des remises en question où les équilibres provisoires cèdent à la puissance créatrice de l’intelligence. La puissance intellectuelle de l’homme se développe dans l’effort pour ramener la multiplicité incohérente du sensible à l’unité des rapports rationnels. La science procède de jugements qui opèrent des liaisons internes, c’est-à-dire des mises en relation dans lesquelles l’esprit n’a recours qu’à ses propres procédés d’intellection. Chaque nouvelle étape de la pensée scientifique marque ainsi un progrès dans l’intériorisation de la connaissance, qui gagne du terrain sur l’imagination et libère l’esprit des représentations spatiales. Chacune de ces avancées est une victoire de l’intelligible sur le sensible et accomplit un progrès vers l’autonomisation de la conscience. La physique d’Aristote représente au contraire un point d’arrêt de la pensée parce qu’elle consacre la réalité absolue de l’apparence sensible. Piaget adopte cette lecture et montre qu’il existe chez l’enfant une physique primaire attachée à la fiction d’une nature technicienne, finaliste. Il a même la surprise de constater que les enfants de sept ans expliquent le mouvement des projectiles à la manière d’Aristote, en invoquant une série d’impulsions communiquées à l’air par l’objet mobile [93]. Piaget est également attentif au procès intenté contre une psychologie de l’intelligence calquée sur les articulations du discours. Brunschvicg accuse en effet Aristote d’avoir condamné à l’obscurité la forme de l’affirmation en jouant sur les propriétés de la proposition prédicative, par exemple sur la possibilité pour le prédicat contenu dans une proposition de devenir sujet dans une autre proposition et de donner lieu ainsi à une forme substantielle. En tant que psychologue, Piaget découvre à son tour que l’obstacle substantialiste tient à des manières de penser qui sont aussi des manières de parler. Le fait de séparer le sujet du verbe et du prédicat accentue la tendance de l’esprit à conférer au sujet une existence autonome et à lui imputer des actions : c’est ainsi que l’enfant, tout en considérant que le vent ne sait pas ce qu’il fait quand il souffle, affirme que c’est le vent qui souffle, comme si le sujet pouvait être autre chose ici que la somme de ses actions [94]. Enfin, Piaget montre que la compréhension décentrée du monde produit chez le sujet une révolution copernicienne analogue à celle qu’a connue la science [95].
27En retour, Brunschvicg reprend la théorie piagétienne pour l’appliquer à l’histoire de la pensée. Il hiérarchise les productions intellectuelles en les mettant en correspondance avec les « stades successifs [96] » du développement individuel et met en évidence des décalages entre l’ordre chronologique d’apparition d’une doctrine et le niveau de développement qui est réellement le sien. Ainsi juge-t-il que Charles Renouvier, avec son réalisme arithmétique et son finitisme, retarde sur Emmanuel Kant et même sur Platon. Quant au réalisme aristotélicien, Brunschvicg le situe au niveau des représentations d’un enfant de huit à onze ans [97]. L’intelligence atteint sa maturité quand elle renonce au langage puéril des corps lourds et de la substance colorée pour envisager le poids comme une conséquence du voisinage de la masse terrestre ou la couleur comme une réactivité qui nous met en présence de la production d’un phénomène. Une métaphysique encore tributaire de la perception et des formes du discours, qui est l’enfance de l’esprit, se trouve dépassée par un tissu de relations qui relève du calcul analytique et qui marque le passage de l’esprit à l’âge adulte. À cet égard, la mathématique a rendu un service inestimable à la physique en l’éloignant de la qualité et en y généralisant la mesure, car le fait qu’un son puisse sortir du contact d’un archet avec une corde de violon ne devient intelligible qu’à partir du moment où l’on parvient à apprécier la valeur exacte des conditions de cette émission sonore et à mesurer les vibrations de la corde. L’univers de la perception n’est pas nié, mais intégré et replacé dans un système de lois scientifiques qui porte la marque d’une intelligence coordinatrice. C’est là pour Brunschvicg le vrai sens de l’idéalisme, car des notions scientifiques comme la force, l’énergie ou l’entropie ne sont pas séparables de l’activité intellectuelle qui les a constituées pour mesurer les relations phénoménales. Sa philosophie est un idéalisme critique et scientifique, car il s’agit de « faire apparaître, corrélativement aux propriétés découvertes dans la nature, l’esprit capable d’opérer ces découvertes [98] ». La conscience intellectuelle n’est pas donnée comme un principe a priori, elle se découvre et s’affine à mesure que l’univers se constitue rationnellement. L’idéalisme rationnel échappe donc à l’accusation de subjectivisme. Celle-ci se retourne contre ceux qui croient pouvoir se passer de la conscience, car l’esprit qui s’ignore sera toujours victime de ses préjugés. Pour défendre cette position, Brunschvicg s’appuie sur la démonstration de Piaget selon laquelle l’intériorisation de normes impersonnelles permet de dépasser le point de vue individuel qui ramène tout à lui sans en avoir conscience [99].
28Or Brunschvicg s’inspire ensuite de ce normativisme pour diviser la psychologie en « psychologie empirique » et « psychologie rationnelle » [100]. Parce que « la connaissance du moi ne saurait s’épuiser dans la simple appréhension des événements propres à l’individu [101] », toute psychologie de l’esprit scientifique doit laisser décanter « le fond d’habitudes mentales qui constitue l’infrastructure biologique et sociale de l’esprit » et mettre en évidence « l’élan de la raison se libérant du réalisme de l’imagination pour créer des combinaisons de rapports en connexion de plus en plus étroite avec les résultats de la technique expérimentale » [102]. Le primitif, dit Brunschvicg, habite un univers plus intelligible que celui de la science moderne si l’intelligibilité peut se définir « par la satisfaction que l’on éprouve à croire que l’on comprend [103] ». Mais toute véritable connaissance commence avec le scrupule de vérification qui suppose un retour sur nos propres ressources intellectuelles et instrumentales.
29Daniel Essertier (1888-1931), cité par Brunschvicg, attribue l’avènement de l’explication scientifique à une « inversion radicale » de la marche naturelle de l’intelligence [104]. « L’intelligence n’est rien sans le drame de la connaissance, sans l’aventure aux péripéties multiples et mouvementées qui met l’homme aux prises avec les choses [105]. » Essertier présente (en 1927) la pensée scientifique comme une explication rectifiée, redressée (notamment par rapport à l’imaginaire archaïque de l’alchimiste [106]). Mieux : « Tout montre que le redressement de l’explication ne s’est pas fait de lui-même, en vertu d’un progrès continu, et qu’une véritable conversion de l’esprit humain a été nécessaire [107]. » Brunschvicg, qui reconnaît ici sa propre inspiration, développe cette thèse : tant que je me regarde moi-même comme si j’étais un autre pour moi, je retombe dans la routine et le conformisme du moi-habitude avec ses artifices langagiers et ses représentations figuratives ; je n’existe pas comme conscience. Tout élargissement de la conscience suppose « une conversion » au sens platonicien [108], un détachement de l’imagination externe et une prise de contact avec le foyer d’activité rationnelle qui constitue la source de notre vie spirituelle. Par ce renversement d’attitude (ce retournement de l’âme), nous accédons à la réciprocité qui caractérise la pensée rationnelle : c’est quand nous cessons de nous voir comme autrui nous voit que nous devenons capables de comprendre autrui comme nous nous comprenons nous-mêmes.
30Le thème du redressement, rencontré chez Essertier, est développé par Bachelard notamment dans sa révision de la psychanalyse, lorsqu’il s’agit de substituer au refoulement inconscient « un refoulement conscient, une volonté constante de redressement [109] ».
31Bachelard fait écho à ses prédécesseurs quand il aborde à son tour le dépassement de l’intuition figurative comme « une véritable conversion rationnelle ». Il reprend, plus qu’on ne l’a prétendu, les expressions et les intonations de cette psychologie spiritualiste quasi contemporaine de ses propres recherches. Afin de nous en convaincre, lisons la citation complète : « […] À cette première conquête objective correspond une véritable conversion rationnelle. Jamais l’émerveillement d’un esprit n’est si grand que lorsqu’il s’aperçoit qu’il a été trompé. Cet émerveillement, ce réveil intellectuel, est la source d’une intuition nouvelle, toute rationnelle, toute polémique, qui s’anime dans la défaite de ce qui fut une certitude première, dans la douce amertume d’une illusion perdue. Alors la conscience de l’être spirituel se double d’une conscience d’un devenir spirituel [110]. » Quand Bachelard s’oriente ensuite vers les démonstrations d’un « matérialisme rationnel », il oppose surtout celui-ci au matérialisme philosophique qui lui paraît mal informé des potentialités d’un raisonnement technique. Or Brunschvicg le dit lui-même, le spiritualisme ne lutte pas contre le matérialisme scientifique, mais combat « le matérialisme au sens populaire du mot, le matérialisme qui prend pour immédiate l’apparence du monde sensible, qui en fait la limite et de l’aperception humaine et du désir humain […] [111] ». Il n’y a donc pas d’opposition entre ces auteurs, pas de rupture qui ferait passer Bachelard sur des positions de type matérialiste. Malgré les dénégations ou les amendements matérialistes et objectivistes qu’il introduit, Bachelard se situe philosophiquement dans la lignée de l’idéalisme scientifique de ses prédécesseurs immédiats [112].
32On peut parler, à propos de Brunschvicg, d’une psychologie spiritualiste qui prend place dans une psychologie dédoublée. Tandis que la vie individuelle peut s’expliquer par « la tyrannie de la libido [113] », la vie de l’esprit, elle, ne se réduit à aucun déterminisme, car l’esprit ne se laisse pas objectiver : toute tentative pour l’hypostasier, soit en le naturalisant, soit en le rapportant à des déterminations collectives, reviendrait à le rapporter à quelque chose qui lui serait extérieur donc à le nier comme pouvoir constituant. « L’homme sera d’autant plus homme qu’il est davantage raisonnable et non pas davantage animal [114]. » Pour Brunschvicg, l’humanité n’est pas une nature, ni un être social pré-constitué, c’est une conscience intellectuelle, capable de se comprendre elle-même librement. Comprendre Henri Poincaré, ce n’est pas reconstituer les traits qui en font un individu parmi d’autres, mais décrire la phase de la pensée humaine qu’il incarne, en mesurant l’écart « entre l’état des problèmes qu’il a reçus de ses devanciers et l’état des problèmes qu’il lègue à ses successeurs [115] ». Poursuivant la convergence entre le rationalisme cartésien et l’idée pascalienne d’un moi haïssable, Brunschvicg conjure la malédiction du biographique, comme Bachelard le fera tant pour la poétique de la rêverie que pour le rationalisme appliqué [116]. L’esprit ne se comprend qu’à partir de ce qui lui est homogène : ainsi la personnalité intellectuelle n’est-elle vraiment saisissable que dans la réflexion désintéressée d’une intelligence sur ses propres opérations. Mais Brunschvicg ajoute ceci, en conformité d’ailleurs avec les résultats de science psychologique (d’Édouard Claparède à Piaget) : par l’attention qu’elle porte à ses opérations, l’intelligence se transforme et accède à une strate supérieure de son développement. De la même façon, ce qui permet à l’examen des sciences d’atteindre les dimensions d’une philosophie de l’esprit, c’est le pouvoir de réflexivité et d’intériorisation dont témoigne le développement de la raison, tandis que le positivisme, avec son ontologie réaliste, enferme l’homme dans un réseau de déterminations. L’esprit scientifique ne peut donc se ramener à un cogito collectif qu’au prix d’une nouvelle réduction. Brunschvicg préfère parler d’une « communion des intelligences » qui est toujours à conquérir parce qu’elle n’est jamais donnée. Certes, la conscience intellectuelle n’existe que dans l’esprit des savants qui concentrent le savoir pour donner naissance à des vérités nouvelles, mais si les savants forment une chaîne historiquement ascendante, celle-ci n’obéit à aucune formule miraculeuse. On a parfois remarqué que Bachelard déjoue toute tentation téléologique en histoire des sciences en révisant le passé à la lumière d’une actualité scientifique qui n’est pas prévisible [117]. Or Brunschvicg présente déjà la marche des sciences comme radicalement imprévisible pour cette raison que « le centre de la réflexion s’y déplace perpétuellement, entraînant dans ce déplacement, avec la vision que l’intelligence a de l’univers, la perspective de sa propre histoire [118] ». Le lien qui soude les maillons de la chaîne réside dans l’aptitude de l’intelligence scientifique à ordonner ses productions en un système cohérent et à réfléchir ses propres opérations dans une prise de conscience toujours plus fine. Le progrès de la conscience intellectuelle, immanent au mouvement de la pensée scientifique, fait donc apparaître quelque chose qui dépasse la psychologie individuelle et la morphologie sociale, « quelque chose qui appuie la destinée spéculative de l’humanité à la réalité de l’univers [119] ».
33L’analyse régressive de Kant, qui est pour Brunschvicg le propre de la méthode transcendantale, est mise au service d’une histoire de l’esprit scientifique consistant à montrer le progrès que constitue, à chaque étape, l’intériorisation par la conscience d’un rapport intelligible dans l’unité d’un jugement. L’épistémologie sert ainsi de fil conducteur à une sorte d’anthropologie transcendantale qui étend ses ramifications dans toutes les directions, y compris esthétiques, morales et religieuses. Grâce à la capacité créatrice et coordinatrice du jugement, l’esprit provoque des réorganisations profondes, d’abord scientifiques puis philosophiques, dans l’économie générale de la pensée (« La science ordonne la philosophie elle-même [120] », dira Bachelard). Au lieu de voir dans les mutations scientifiques un scandale réclamant l’intervention d’un jugement en surplomb, la philosophie peut reconsidérer son champ d’investigation et d’action dans des proportions qui débordent la méthodologie et l’épistémologie vers des enjeux culturels, anthropologiques et politiques. Brunschvicg se réclame d’un spiritualisme scientifique parce que l’autonomisation de la conscience, la croissance de cette présence à soi de l’esprit dans différents domaines, est à l’origine d’un renouvellement de toutes les valeurs spirituelles. Mais cette philosophie réflexive peut aussi se comprendre comme une psychologie élargie à une conscience sans sujet, à une conscience pure vers laquelle le sujet tend perpétuellement comme on tend vers un horizon. La psychologie désigne alors tout autre chose que la science empirique connue sous ce nom : « […] il semble alors que la psychologie, qui avait paru d’abord se laisser délimiter par les autres disciplines de l’encyclopédie, déborde sur elles jusqu’à en faire des provinces de son empire [121]. »
34La portée psychologique de la pensée brunschvicgienne est largement valorisée par Bachelard. « Lire Brunschvicg […], c’est reconnaître l’efficacité psychologique de la réflexion philosophique [122]. » Si Bachelard se détache progressivement de la rhétorique des valeurs spirituelles, préférant aborder les valeurs de la science – avec le même lyrisme – comme des valeurs de rationalité culturelles, il reprend à son compte ce qu’il juge être la bonne méthode pour faire une psychologie de l’esprit scientifique : « À qui veut faire la psychologie de l’esprit scientifique, pas de meilleur moyen que de suivre un axe précis de progrès, de vivre la croissance d’un arbre de connaissance, la généalogie même de la vérité progressive. » En effet : « Pour trouver, dans l’homme même, une véritable richesse psychologique, une voie certaine est d’aller chercher cette richesse au sommet des pensées. On peut alors saisir l’homme dans sa volonté d’œuvre coordonnée […], dans tous ses efforts pour rectifier, diversifier, dépasser sa propre nature » [123]. Bachelard rend hommage à son prédécesseur pour « ce récit des actes intellectuels » qui déploie « une dialectique de la connaissance claire et de l’esprit lucide » [124].
35Pour un épistémologue ayant les convictions de Bachelard, Brunschvicg faisait contrepoids à Émile Meyerson (1859-1933), qui proposait, lui aussi, et de façon encore plus appuyée, une psychologie de l’esprit scientifique. Meyerson, rappelons-le, repère à toutes les étapes du cheminement de la pensée une même tendance à réduire la diversité en la soumettant au principe d’identité. À ses yeux, l’ontologie du sens commun et l’ontologie de la science procèdent d’un même principe qui s’enracine dans les « tendances » psychologiques de l’être humain. Le fait par exemple d’unifier le divers dans la détermination d’un objet permet de satisfaire l’esprit qui cherche à comprendre pourquoi l’objet, toujours identique à lui-même, m’offre des sensations si différentes dans la suite de ses moments. La science s’applique de même à rendre identiques, pour la pensée, des choses qui avaient d’abord paru différentes à la perception. Le processus d’identification s’étend à toutes les branches de la science, mécanique, énergétique, etc., car, dans la science comme dans la vie courante, l’explication causale réclame de voir les choses persister sans changement [125]. La raison sait qu’il y a du divers mais veut l’identité : dans la marche qui l’éloigne de la sensation immédiate, la raison scientifique ne fait qu’approfondir une tendance déjà présente dès le sens commun. Il n’y a pas de rupture. Pas de rupture non plus, selon Meyerson, entre la pensée primitive et la pensée scientifique, car le Bororo qui affirme être un arara « raisonne comme le chimiste qui réunit par un signe d’égalité les substances présentes avant et après la réaction [126] » : le canevas fondamental est le même. Pour sa part, Bachelard refuse une doctrine qui condamne l’esprit à l’immobilité. Il parle à propos de Meyerson d’une « conception statique de la psychologie de l’esprit scientifique [127] » À ses yeux, l’application obstinée du principe d’identité ne révèle pas tant la fixité de la raison que cette « somnolence du savoir » observable chez l’homme cultivé qui rumine sans cesse le même acquis [128].
36Pour Bachelard, Brunschvicg est donc plus près de la vérité. Il majore l’aptitude de l’esprit à se revivifier sans cesse à la source de sa spontanéité, à tourner en victoire un échec apparent, à convertir l’obstacle en point d’appui, à faire surgir de ce qui paraît être hors la loi une loi nouvelle et féconde, comme cela s’est produit avec les nombres irrationnels, la loi de Carnot-Clausius puis la théorie de la relativité. Ce que nous montre le spectacle de la physique contemporaine, avec les expériences et les théories de Michelson-Morley, de Planck, de Lorentz et d’Einstein, c’est que les faits ne se laissent pas aisément enfermer dans les cadres que la mécanique classique avait préparés pour eux et qu’elle avait cru pouvoir garantir d’une élasticité à toute épreuve. « Le cadre n’est pas préétabli par rapport au tableau [129]. » Une certaine conception de la raison s’en trouve transformée, car avec la connaissance de la vitesse de la lumière ou l’établissement des relations d’incertitude, la physique ne se laisse plus déduire de « principes », mais elle s’adosse à des « faits-limites » où le sujet et l’objet sont pris dans leur connexion intime. « Tandis que la raison rêve du simple, la nature la contraint à réformer ses principes, à déformer ses cadres les mieux définis en apparence, tels que la conservation de la matière ou les trois dimensions de l’espace […] ; elle finit par interdire au savant de se désintéresser de la manière dont il intervient pour fixer la position ou mesurer la vitesse des éléments qu’il considère [130]. » Bachelard parle à ce propos de « rupture » entre deux méthodes [131], car, d’Isaac Newton à Albert Einstein, il n’y a pas de transition mais « un effort de nouveauté totale [132] ». Cette progression par réorganisations successives ne pouvait qu’intéresser un épistémologue pour qui « on n’organise rationnellement que ce que l’on réorganise [133] », ce qui impliquait cependant de modifier le modèle brunschvicgien en y injectant des crises, des dialectiques et une philosophie du non d’ailleurs moins négative que constructive.
37Dans son hommage à Brunschvicg, Bachelard reconnaît à son prédécesseur l’immense mérite d’avoir su détecter dans l’histoire des sciences de véritables « événements de la raison [134] ». Il y a en effet une différence entre la découverte de cygnes noirs en Australie, qui étend le champ de la connaissance mais reste un événement empirique, et un événement comme la découverte de fonctions continues sans dérivée, qui retentit sur nos approches et exige une réforme de structure. Brunschvicg se propose moins d’étudier les progrès des mathématiques que de reconstituer les étapes de la philosophie mathématique, parce qu’il s’efforce de montrer qu’un bouleversement dans les sciences résonne dans toutes les fonctions de la conscience. Bachelard voit là une contribution fondamentale à la psychologie qu’il veut constituer, autant qu’à l’histoire des sciences qui, sauf exception [135], ne l’intéresse pas pour elle-même. En effet, il y voit la preuve que la pensée scientifique est « psychologiquement formative [136] » et que la réflexion n’est pas une morne contemplation de soi, paresseuse et autosatisfaite. En posant le problème de la nouveauté scientifique sur un plan psychologique (mais aussi presque toujours pédagogique), Bachelard montre que les mutations scientifiques réagissent en profondeur « sur la structure de l’esprit [137] », comme lorsque la représentation atomique de la microphysique contemporaine met en échec « l’analyse usuelle qui sépare une chose de son action [138] ».
38Brunschvicg caractérise l’esprit par son aptitude à dépasser en permanence ses propres résultats, et Bachelard insiste sur l’autre versant de la proposition en soulignant que « toute l’instruction acquise dans la première approximation viendra souvent faire obstacle à la recherche d’une approximation toute nouvelle par sa finesse [139] ». Enfin, en endurant l’épreuve réflexive et discursive d’où émergent de nouveaux plans d’objectivité, on apprend à « désapprendre [140] », ce qui n’est pas moins important que d’apprendre à apprendre. Bachelard est bien placé pour le savoir, lui qui, durant onze années, a enseigné la chimie à des lycéens [141]. La mémoire des idées coordonnées, « réalité psychologique indéniable », obéit à d’autres lois psychologiques que la mémoire empirique, explique-t-il en pédagogue. Quand on s’instruit, il convient de retenir ce qu’on a compris et d’oublier ce qu’on a appris [142]. C’est cela aussi une pensée qui se réorganise [143].
Quelques alliés dans la querelle du psychologisme
39L’appel de Brunschvicg à préserver l’activité rationaliste de la tentation régressive du moi organique résonne encore dans la célèbre invitation bachelardienne à « penser contre le cerveau [144] ». Comme Brunschvicg, Bachelard oppose l’esprit scientifique au moi routinier enfermé dans son sens instinctif et traditionaliste de l’immuable et tributaire de ses intuitions figuratives (« nous imaginons avec notre rétine [145] »). En répétant qu’« une méthode qui deviendrait une habitude perdrait ses vertus [146] » et qu’« en cessant d’être actif et conscient de la création de ses valeurs, le rationalisme décline jusqu’à devenir, en une sorte d’empirisme psychologique, un corps d’habitudes [147] », Bachelard fait implicitement référence à son prédécesseur, comme le confirme son propre commentaire (« Pour Léon Brunschvicg, l’intelligence est un instrument qui s’affine dans son travail même. Si le travail ne change pas, l’intelligence décline en habitude [148] »). Il n’est pas indifférent de constater que c’est l’argument dont il se sert pour répondre à l’objection de psychologisme.
40Depuis Gottlob Frege et Edmund Husserl, les épistémologues se tiennent en garde contre l’intervention de la psychologie en logique. Frege insistait sur la distinction de deux usages du mot « pensée » qui peut désigner soit un événement, soit un contenu vrai ou faux (ce sera aussi la position wittgensteinienne). Husserl dénonçait un faux rapport de fondation du logique dans le psychologique mais n’excluait pas tout rapport entre les deux disciplines [149]. Ce qui préoccupe le père de la phénoménologie comme les logiciens de l’École analytique est le glissement illégitime des faits aux normes. La question fait toujours débat, mais on pourrait estimer que l’arbitraire est évité si l’on sait faire la différence entre les normes rationnelles d’une intelligence qui révise en permanence ses principes et les états de conscience d’un moi bio-social centré sur ses motifs contingents. Bachelard – le penseur turbulent, le preneur de risques – avance sur ce terrain en toute sécurité. D’une part, il différencie strictement l’habitude et la méthode : « Par bien des côtés, la méthode est l’antithèse de l’habitude […]. La conscience de méthode doit rester vigilante [150]. » D’autre part, il identifie la psychologie de l’esprit scientifique à une méthodologie consciente : « La véritable psychologie scientifique serait ainsi bien près d’une psychologie normative, une pédagogie de rupture avec la connaissance usuelle [151]. » Entendons : rupture avec la connaissance du moi bio-social.
41La pensée scientifique est une pensée qui ne cesse de se réorganiser par rectification : c’est une pensée normalisée, régularisée. La psychologie de l’esprit scientifique est une psychologie essentiellement « normative », comparable en cela à l’histoire des sciences définie comme « histoire récurrente ». En effet, tandis que l’histoire politique s’abstient de juger pour ne pas tomber dans le mythe du progrès, l’histoire des sciences ne peut nier le progrès qui lui fournit son objet même et le seul point de vue possible sur les conquêtes de la raison [152]. Or il existe la même différence selon Bachelard entre une psychologie « de constatation » et une psychologie « de normalisation » [153] si l’on veut bien considérer que les vérités de fait n’accèdent à la dignité scientifique qu’une fois ressaisies comme des nécessités internes : passage d’une pensée assertorique à une pensée apodictique. Ce qu’on appelle le psychologisme avait déjà été dénoncé par Antoine-Augustin Cournot qui reprochait à Victor Cousin et à la philosophie écossaise de confondre l’origine des idées avec le principe de leur validité. Cournot affirme avec beaucoup de clarté que « la vérité logique ne dépend en aucune façon du fait psychologique donné par l’observation [154] ». Chez Brunschvicg ensuite, l’histoire normative des sciences dédiée à la recherche des conditions du progrès dans une rationalité en mouvement débouche sur l’obligation de différencier psychologie empirique et psychologie rationnelle ou normative : l’élan de la raison qui réorganise la connaissance à chaque étape est la « norme » opposée au « substrat » [155]. Il n’est pas question ici d’une psychologie qui s’occuperait, comme chez Meyerson, du cheminement de la pensée en général, c’est-à-dire indistinctement de la connaissance tenue pour vraie et de la connaissance tenue pour fausse [156]. Dès ses premiers écrits, Brunschvicg parle de libérer l’intelligence « de tout ce qui n’est pas la loi de la raison » afin qu’« il ne reste plus que la joie de voir surgir à la lumière de la démonstration le fruit intime de la pensée, la vérité » [157]. Brunschvicg se réclame volontiers de Baruch Spinoza qui sépare le plan du mythe du plan de la vérité « de façon à rendre impossible toute interversion de sens entre l’imagination du symbole et l’intelligence du réel [158] ». Bachelard répond aux suspicions de psychologisme en empruntant les mêmes voies : il propose une « psychologie de la dépsychologisation [159] » pour rappeler que l’activité scientifique, si elle n’est pas désincarnée, ne devient objective qu’en se dépersonnalisant et en s’effaçant, comme contingence individuelle, derrière des normes de cohérence rationnelles.
42Il est intéressant de rappeler ici qu’un autre éminent successeur de Brunschvicg s’est trouvé en situation de répondre à l’accusation de psychologisme : il s’agit à nouveau de Piaget. Pour ce dernier, le psychologisme est irrecevable, car on ne saurait trancher une question de déduction formelle par l’évocation d’un fait, pas plus qu’on ne saurait trancher une question d’expérience par un raisonnement formel. Mais lorsque les opérations s’organisent psychologiquement sous la forme de systèmes d’ensemble à composition réversible et constituent un équilibre stable à partir d’actions initialement irréversibles, ce sont des structures nécessaires qui sont engendrées, et ce système acquiert une portée normative. Il y a donc bien une genèse des normes que l’on peut étudier psychologiquement sur le matériau abstrait d’un « sujet épistémique ». À la suite de Brunschvicg, Piaget montre l’importance, dans le progrès de la pensée scientifique comme dans la psychogenèse, de l’abstraction réfléchissante, c’est-à-dire de ce mode d’abstraction qui tire sa connaissance non des objets, mais des actions et des opérations de l’intelligence sur ces derniers. Piaget retourne l’accusation de psychologisme contre les phénoménologues qui, pour échapper à l’objectivisme prétendument déformant de la science positive, utilisent des méthodes aussi subjectives et contingentes que l’intuition et l’expérience perceptive. Bachelard leur adresse la même critique en observant que l’expérience originaire convoque la naturalité élémentaire de notre psychisme ; il réévalue en conséquence l’apport de la phénoménologie en déplaçant son domaine de pertinence vers l’analyse des intuitions poétiques. Aucune approche fondationnelle comme celle que vise par exemple la phénoménologie husserlienne ne saurait faire l’économie des médiations constructives. Pour montrer comment la pensée se normalise, l’épistémologue saisit les concepts scientifiques « dans leurs synthèses psychologiques effectives », qui sont « des synthèses psychologiques progressives ». La méthode consiste pour chaque notion à établir « une échelle de concepts, en montrant comment un concept en a produit un autre, s’est lié à un autre [160] ». À l’association des idées qui est l’objet de la psychologie empirique s’oppose l’enchaînement des concepts dirigé vers l’engendrement de nouveaux concepts. La loi en elle-même peut n’être qu’un fait : il existe en ce sens des lois d’association qui n’ont aucune valeur normative. Il en va autrement dans la science où les lois sont « des règles aptes à découvrir des faits nouveaux [161] ». La psychologie de l’esprit scientifique trouve sa légitimité dans cette distinction, une distinction que Piaget avait déjà clairement posée dans ses premières recherches sur la psychologie des valeurs où il donnait cette définition : « Est une valeur ce qui engendre d’autres valeurs [162]. » Si la psychologie n’a aucune compétence pour prescrire des valeurs, elle peut, une fois que le sujet, par une expérience qui lui est propre, a affirmé une valeur, étudier la justification de cette valeur, c’est-à-dire mettre en évidence la règle de construction. Piaget juge légitime une psychologie des valeurs parallèle à la psychologie du raisonnement [163]. Pour soutenir ce point de vue, il s’appuie sur les théories qui présentent le raisonnement non comme l’application d’une loi logique, mais comme une expérience exécutée mentalement. Pour Goblot en particulier, le raisonnement déductif doit sa fécondité à des opérations constructives. Pour démontrer par exemple que la somme des angles d’un triangle est égale à 180°, on va opérer sur un triangle singulier et construire, avec trois angles égaux à ceux du triangle, une somme d’angles qu’on sait être égale à la somme de deux angles droits. Si l’on ne rencontre pas d’impossibilité dans le déroulement de la démonstration, la vérité de la proposition sera admise. Ainsi, « démontrer, c’est construire [164] ». En logique, « nous n’avons jamais affaire qu’à des opérations discursives ; le raisonnement ne se présente jamais que comme une opération de la pensée agissante [165] ». Ce point de vue est partagé par Bachelard, qui rappelle que même l’intelligence formelle travaille sur des exemples, malgré ce qu’on a prétendu, car « à aucun moment on ne saisit une pensée à vide [166] ». Bachelard suit Goblot dans sa théorie de la construction, il étend même celle-ci à la physique mathématique et à la physique expérimentale [167]. Or il faut rappeler que Goblot, avec toutes les nuances qui s’imposent, s’efforce de replacer la construction du vrai dans sa dimension psychologique. Parce que les conditions de la vérité sont « les conditions des opérations intellectuelles qui construisent le jugement vrai [168] », les lois logiques peuvent être considérées comme « les lois naturelles d’une intelligence pure [169] ». Si le caractère abstrait de cette intelligence pure (le futur « sujet épistémique » piagétien) force à distinguer la logique de la psychologie comme on distingue la science de l’idéal d’une science du réel, il n’en demeure pas moins que la logique est « une certaine manière de poser un problème psychologique [170] ».
43L’assurance de Bachelard dans la querelle du psychologisme s’explique donc, en partie, par la solidité des dispositifs argumentatifs déployés avant lui, et en partie aussi par son propre cheminement vers une psychologie et une histoire de l’esprit scientifique transformées en disciplines normatives (et non pas simplement tenues pour telles). Non seulement Bachelard ne redoute pas personnellement l’accusation de psychologisme, mais il reproche aux épistémologues d’avoir cédé à l’intimidation au point de se désintéresser du problème de « l’acquisition des idées [171] ». Il est intéressant de noter que cette expression est celle-là même que Piaget a choisie pour définir la tâche de l’épistémologie, en croisant la méthode historico-critique de Brunschvicg et les apports de la psychologie génétique. « Exprimé sous sa forme générale, le problème spécifique de l’épistémologie génétique est, en effet, celui de l’accroissement des connaissances, donc du passage d’une connaissance moins bonne ou plus pauvre à un savoir plus riche (en compréhension et en extension) [172]. » Ce programme, Piaget et Bachelard l’ont réalisé en empruntant des voies certes différentes, mais qui convergeaient dans la commune certitude que psychologie et épistémologie avaient vocation à se féconder mutuellement.
Conclusion : Lire Bachelard malgré le lien rompu
44L’enquête qui précède est une contribution à l’histoire de la pensée épistémologique visant à restituer les données fondamentales qui ont présidé à l’entrée de la psychologie et de ses catégories dans l’étude des sciences, de la fin du xixe siècle au milieu du xxe.
45Ce lien entre épistémologie et psychologie, il n’aura fallu que peu de temps pour le défaire, sous la pression du structuralisme et des critiques du sujet. On peut juger très significative à cet égard l’évolution de Georges Canguilhem sur l’aspect qui nous intéresse ici. En 1945, il invoque l’exemple de Bachelard pour détacher l’histoire des sciences de cette sorte de théophanie qui consistait à traiter la connaissance comme une révélation et il propose une histoire des sciences entendue comme « une psychologie de la conquête progressive des notions dans leur contenu actuel », « une mise en forme de généalogies logiques » et « un recensement des obstacles épistémologiques surmontés » [173]. En 1963, tout en continuant à se placer sous le patronage de Bachelard, Canguilhem juge peu convaincante l’utilisation d’un vocabulaire psychologique pour exposer un rationalisme de type axiologique. Il admet à la rigueur les concepts de psychisme normatif et de psychologie normative, mais désavoue l’idée d’un « psychologisme de normalisation » [174]. Pour comprendre cette réserve, il convient de se reporter à la façon dont il envisage l’objet de l’histoire des sciences. Si l’historicité du discours scientifique représente « l’effectuation d’un projet intérieurement normé », c’est « au niveau des questions, des méthodes, des concepts » que l’activité scientifique apparaît comme une activité axiologique [175]. Comme Michel Foucault l’explique dans son commentaire de Canguilhem, l’histoire d’un concept n’est pas « celle de son affinement progressif, de sa rationalité continûment croissante, de son gradient d’abstraction, mais celle de ses divers champs de constitution et de validité, celle de ses règles successives d’usage, des milieux théoriques multiples où s’est poursuivie et achevée son élaboration [176] ». Pour Canguilhem, l’historicité des discours scientifiques réside dans l’impossibilité de considérer ceux-ci comme des unités qui pourraient être transférées sans altération d’un cadre intellectuel dans un autre. En ce sens, l’historicité d’un discours est sa marque temporelle, son irréversibilité. L’historien qui étudie la production des concepts scientifiques n’étudie pas des réponses à des questions préalablement posées, mais des réponses à questions qui se sont posées, à un moment donné, dans un langage qu’il a fallu entièrement mettre en forme. C’est la raison pour laquelle « ce que la science trouve n’est pas ce que l’idéologie donnait à chercher [177] ». L’objet lui-même ne saurait se donner dans une évidence immédiate : il doit être construit, découpé par « une décision qui lui assigne son intérêt et son importance [178] », car le sens d’une trajectoire est relatif à une certaine orientation de recherche. Canguilhem donne l’exemple des mathématiques probabilitaires, qui ne relève d’aucune des sciences constituées au xixe siècle mais trouve ses conditions de possibilité dans des pratiques sociales comme la conscription et la scolarité obligatoire, qui ont permis l’émergence de la biométrie et de la psychométrie.
46La cohésion psychique intrinsèque du discours scientifique se révèle donc complètement illusoire, supplantée par les rapports entre science et non-science et « un ensemble composite de pratiques hétérogènes [179] » qui ne permet pas de rabattre la science même sur une psychologie sociale (comme celle avec laquelle Thomas Samuel Kuhn se compromet en accordant le premier rôle à la notion de paradigme [180]), mais incite à repérer par exemple le moment où une théorie définit les conditions de validité selon lesquelles des données doivent lui être soumises. Il y a donc bien de la normalisation, mais sans « psychologisme » : l’historien épistémologue qui pratique la méthode des récurrences (pour répertorier les erreurs du passé mais également pour montrer comment ces erreurs ont pu passer pour des vérités en leur temps) n’est pas tenu de rapporter l’activité axiologique des sciences au devenir d’une conscience. Il est symptomatique que Canguilhem, s’interrogeant sur ce qui s’est passé entre la théorie de Darwin et le décodage de la molécule d’ADN, situe l’événement principal dans la constitution d’un « nouvel objet scientifique [181] » au lieu d’évoquer, dans la continuité de Bachelard, le « nouvel esprit scientifique » de la biologie.
47La coupure s’accentue avec Foucault. La rationalité des discours devient chez lui inassumable, notre coappartenance à des systèmes de rationalité étant le signe d’un asservissement global de la pensée à des configurations anonymes et contraignantes réglant de l’intérieur la construction des savoirs dans une phase donnée. L’introduction d’analyses de style structuraliste dans des domaines où elles n’avaient pas encore pénétré, notamment l’histoire des idées, marque une volonté d’en finir avec les « prestiges de la psychologie » qui perdurent dans la culture française [182]. En étudiant les discours scientifiques (grammaire générale, histoire naturelle ou analyse des richesses), les pratiques et les institutions comme des unités de fonctionnement isomorphes ordonnées à une couche de « savoir constituant » qui leur est commune et qu’il s’agit de mettre au jour, Foucault déplace le point d’investigation d’une analyse des choses ou des conduites vers une analyse « des rapports qui régissent un ensemble d’éléments ou un ensemble de conduites [183] ». Discrètes les unes des autres, les formes structurées d’expérience dont il s’agit de décrire le schéma ne plaident ici en faveur d’aucun destin. Le discontinu déjoue les illusions d’une histoire dans laquelle les révolutions apparaissaient comme des prises de conscience, histoire glorieuse qui permettait d’admirer l’« effort incessant d’une conscience se reprenant elle-même et essayant de se ressaisir jusqu’au plus profond de ses conditions [184] ». Cette critique rejaillit sur les dialectiques marxistes et existentialistes encore attachées à montrer « la réconciliation de l’homme avec lui-même dans une illumination totale [185] », mais elle semble viser en premier lieu soit la philosophie hégélienne, soit l’idéalisme scientifique de Brunschvicg, dont Bachelard, comme on l’a vu, ne s’était pas franchement démarqué.
48De Bachelard, l’auteur de L’Archéologie du savoir ne retient que ce qui lui semble fécond : les « actes » et « seuils » épistémologiques qui coupent les connaissances de leur origine empirique et les purifient de leurs reliquats imaginaires et qui prescrivent « le repérage d’un type nouveau de rationalité et de ses effets multiples [186] ». La disqualification du psychologique s’accompagne d’une promotion de l’ethnologique. La tâche de la philosophie qui est de mettre au jour « cette pensée d’avant la pensée », Foucault l’envisage dans le prolongement de Georges Dumézil et de Claude Lévi-Strauss. Il fait jouer le rapport d’historicité constitutif de l’ethnologie dans la dimension privilégiée de la psychanalyse, non pour conjurer comme dans la psychanalyse bachelardienne les « convictions non discutées » de la subjectivité ou les traces de « l’expérience enfantine » érigées en obstacles épistémologiques [187], mais pour mettre en évidence, dans la strate impersonnelle des savoirs, des mécanismes qui conditionnent la formation des énoncés en dehors de toute réappropriation par un hyper-sujet éduqué aux valeurs rationnelles que ceux-ci pourraient renfermer.
49Il s’ensuit ce paradoxe que les auteurs qui ont peut-être le mieux démontré la fécondité de la pensée bachelardienne sont ceux qui font le plus obstacle à notre compréhension quand il s’agit tout simplement de lire ce qui se trouve dans les textes. De Bachelard, la philosophie universitaire retiendra surtout les notions de rupture épistémologique, d’histoire périmée et d’histoire sanctionnée, c’est-à-dire des notions d’histoire des sciences dégagées de toute connotation psychologique. On ne prétendra pas qu’il faudrait, pour lire Bachelard, mettre entre parenthèses ceux qui l’ont suivi, car on comprend mieux un auteur quand on bénéficie de repères aidant à mettre en perspective ses concepts et ses problèmes : mais il serait encore plus critiquable d’occulter ceux qui l’ont précédé et avec lesquels il dialoguait. Toute lecture est nécessairement située et il convient que le commentateur se place à un point de vue clairement identifié pour étudier son objet, mais c’est à condition de saisir, de ce point de vue déterminé, un maximum de rapports, et de ne pas lire les textes avec le regard discriminant de celui qui cherche à tout prix la confirmation de ses interprétations. Lever l’hypothèque permet de rendre Bachelard à ses questionnements et à ses engagements. L’arracher au jeu des diachronies permet de le réinsérer, sans illusion rétrospective mais avec le recul nécessaire, dans le champ problématique qui éclaire ses positionnements. Bien entendu, on aurait mauvaise grâce à vouloir enfermer Bachelard dans un réseau de références ou dans un quelconque corpus. « Bachelard a été le philosophe que rien ne pouvait enfermer, que rien n’arrêtait dans son élan, que rien n’immobilisait », rappelle un témoin fidèle [188]. À nos yeux, convoquer des prédécesseurs n’a pas d’autre signification que celle-ci : tisser des relations et montrer des communications ou des résonances entre des propositions communes que Bachelard s’est assimilées pour les reprendre à son compte, les critiquer, les modifier ou les faire fonctionner dans ses propres dispositifs. Ainsi, lui trouver des prédécesseurs, ce n’est nullement nier son originalité ; c’est au contraire le restaurer dans ses intérêts et faire ressortir – fût-ce partiellement et localement – la pluridimensionnalité de son programme.
Mots-clés éditeurs : psychologie, Louis Gérard-Varet, Gaston Bachelard, constructivisme épistémologique, Léon Brunschvicg, Jean Piaget, esprit scientifique
Date de mise en ligne : 16/08/2017
https://doi.org/10.3917/rhs.701.0175Notes
-
[*]
Laurent Fedi, Université de Strasbourg, Faculté de philosophie, 7, rue de l’Université, 67000 Strasbourg.
E-mail : laurent.fedi@unistra.fr -
[1]
Voir par exemple Gaston Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique (Paris : Alcan, 1934), 14 : « C’est vraiment la pensée scientifique qui permet d’étudier le plus clairement le problème psychologique de l’objectivation. »
-
[2]
Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique : Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective (Paris : Vrin, 1938), 132.
-
[3]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 26.
-
[4]
Dominique Lecourt, Bachelard : Le jour et la nuit (Paris : Grasset, 1974), 111-113.
-
[5]
Gaston Bachelard, Le nouvel esprit scientifique et la création des valeurs rationnelles [1957], in Id., L’Engagement rationaliste (Paris : Puf, 1972), 89-99, 92.
-
[6]
Gaston Bachelard, De la nature du rationalisme [1950], in ibid., 45-88, 47. Bachelard présente explicitement sa tâche comme une quête inachevée dans Le Matérialisme rationnel (Paris : Puf, 1953), 19.
-
[7]
Auguste Comte, Cours de philosophie positive (Paris : Hermann, 1975), vol. II, 225 (51e leçon).
-
[8]
Gaston Bachelard, Le Rationalisme appliqué (Paris : Puf, 1949), 102.
-
[9]
Comte, op. cit. in n. 7, 249 (52e leçon).
-
[10]
Ibid., 213 (51e leçon).
-
[11]
Ibid., 248 (52e leçon).
-
[12]
Jean Piaget, La Représentation du monde chez l’enfant (Paris : Alcan, 1926), 251.
-
[13]
Piaget, Psychologie et épistémologie (Paris : Denoël/Gonthier, 1970), 34-35.
-
[14]
Gaston Bachelard, Essai sur la connaissance approchée (Paris : Vrin, 1927), 169-170.
-
[15]
Piaget, Sagesse et illusions de la philosophie (Paris : Puf, 1968), 219.
-
[16]
Piaget, op. cit. in n. 12, 117.
-
[17]
Lucien Lévy-Bruhl, Les Fonctions mentales dans les sociétés inférieures (Paris : Alcan, 1910), 61-67.
-
[18]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 147.
-
[19]
Jean Piaget, Le Jugement et le raisonnement chez l’enfant (Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 1924), 269.
-
[20]
Didier Gil, Autour de Bachelard : Esprit et matière, un siècle français de philosophie des sciences (1867-1962) (Paris : Les Belles lettres, 2010), 228-229.
-
[21]
Gaston Bachelard, Idéalisme discursif [1934-1935], in Id., Études (Paris : Vrin, 1970), 87-97, 88.
-
[22]
Voir Bachelard (1950), op. cit. in n. 6, 54, ou encore Bachelard, op. cit. in n. 8, 22.
-
[23]
Goblot est déjà mentionné dans Bachelard, op. cit. in n. 14, 178 et 197, à propos de sa critique du caractère formel de la démonstration mathématique. Sur ce thème, voir Michel Bourdeau, La logique à la croisée des chemins : La controverse Goblot-Rougier sur la nature de la démonstration et du raisonnement déductif (1907-1921), Revue d’histoire des sciences, 67/2 (2014), 311-330.
-
[24]
Cette expression qui vient appuyer notre démonstration est de Piaget : La Psychologie et les valeurs religieuses, Association chrétienne d’étudiants de la Suisse romande, Sainte-Croix (Lausanne : La Concorde, 1923), 58.
-
[25]
Edmond Goblot, Traité de logique (Paris : Armand Colin, 1918), 36.
-
[26]
Ibid., 37.
-
[27]
Bachelard (1950), op. cit. in n. 6, 59.
-
[28]
Bachelard, op. cit. in n. 14, 101.
-
[29]
Bachelard, op. cit. in n. 21, 89.
-
[30]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 242.
-
[31]
Bachelard (1953), op. cit. in n. 6, 2.
-
[32]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 15.
-
[33]
Piaget, op. cit. in n. 19, 271.
-
[34]
Gaston Bachelard, L’Activité rationaliste de la physique contemporaine (Paris : Puf, 1951), 4.
-
[35]
Gaston Bachelard, La Poétique de la rêverie (Paris : Puf, 1960), chap. III.
-
[36]
Piaget, op. cit. in n. 12, 390.
-
[37]
Bachelard, op. cit. in n. 2,147.
-
[38]
Pierre Janet, De l’angoisse à l’extase : Études sur les croyances et les sentiments (Paris : Alcan, 1926-1928, 2 vol.), t. I (1926), 305.
-
[39]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 73.
-
[40]
Ibid., 79-80.
-
[41]
Bachelard, op. cit. in n. 21, 88.
-
[42]
Pierre Janet, La tension psychologique et ses oscillations, in Georges Dumas (dir.), Traité de psychologie (Paris : Alcan, 1923-1924, 2 vol.), t. I (1923), 919.
-
[43]
Janet, op. cit. in n. 38, 230.
-
[44]
Pierre Janet, Leçons au Collège de France (1895-1934) (Paris : L’Harmattan, 2004), 90.
-
[45]
Janet, op. cit. in n. 38, 229.
-
[46]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 9.
-
[47]
Voir déjà Bachelard, op. cit. in n. 1, 71.
-
[48]
Voir Gaston Bachelard, La Dialectique de la durée (Paris : Boivin et Cie, 1936), ch. II, 41-63.
-
[49]
Ibid., 45.
-
[50]
Gaston Bachelard, La Philosophie du non : Essai d’une philosophie du nouvel esprit scientifique (Paris : Puf, 1940), ch. II.
-
[51]
Jean Libis, Janus et la mélancolie, in Jean Libis et Pascal Nouvel (dir.), Gaston Bachelard : Un rationaliste romantique (Dijon : EUD, 2002), 58.
-
[52]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 123.
-
[53]
Léon Brunschvicg critique déjà cette attitude chez certains philosophes des sciences. « On voit que Comte et Renouvier, qui ont reçu tous deux une éducation scientifique, ont vécu sur leurs souvenirs d’école, de plus en plus soucieux […] de mettre leur système à l’abri, en quelque sorte, des progrès que la science accomplissait à leur époque. » (Le Progrès de la conscience dans la philosophie occidentale (Paris : Alcan, 1927), § 322, 691.)
-
[54]
Bachelard, op. cit. in n. 14, 24.
-
[55]
Bachelard (1950), op. cit. in n. 6, 48.
-
[56]
Bachelard, La Valeur inductive de la relativité (Paris : Vrin, 1929), 8-9.
-
[57]
Jean Piaget, L’aspect génétique de l’œuvre de Pierre Janet, Psychologie française, V/2 (1960), 113.
-
[58]
Janet, op. cit. in n. 38, 429.
-
[59]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 44.
-
[60]
Né à Semur-en-Auxois, dans une famille d’agriculteurs aisés, Louis Gérard-Varet (1860-1944), professeur agrégé de philosophie, enseigne en lycée puis, avec le doctorat, à la faculté des lettres de Dijon. Député radical-socialiste en 1906, il est battu aux élections en 1910. Il est alors nommé recteur de l’académie de Rennes, poste qu’il conserve jusqu’à sa retraite en 1930. Rappelons qu’Abel Rey enseigne à la faculté de Dijon à partir de 1908. Nous ne savons pas exactement dans quelles conditions Bachelard et Gérard-Varet se sont connus (information de David Gérard-Varet, que nous remercions).
-
[61]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 18.
-
[62]
Janet, op. cit. in n. 38, 239.
-
[63]
Louis Gérard-Varet, Essai de psychologie objective : L’ignorance et l’irréflexion. Thèse pour le doctorat présenté à la faculté des lettres de l’université de Paris (Paris : Alcan, 1898), 278.
-
[64]
Ibid., 293.
-
[65]
Ibid., 99.
-
[66]
Voir Bachelard, op. cit. in n. 1, 12 : « L’observation scientifique est toujours une observation polémique […]. Elle reconstruit le réel après avoir reconstruit ses schémas. »
-
[67]
Gérard-Varet, op. cit. in n. 63, 108.
-
[68]
Ibid., 280.
-
[69]
Ibid., 106.
-
[70]
Ibid., 111.
-
[71]
Bachelard, op. cit. in n. 50, 8.
-
[72]
Gérard-Varet, op. cit. in n. 63, 248.
-
[73]
Pierre Janet, L’Évolution psychologique de la personnalité, conférences faites en 1929 au Collège de France (Paris : Société Pierre-Janet, 1984), 253.
-
[74]
Gérard-Varet, op. cit. in n. 63, 261.
-
[75]
Ibid., 279.
-
[76]
Ibid., 258.
-
[77]
Alain, Propos sur la religion (Paris : Puf, 2e éd., 1951), § XV, 44 (propos du 5 mai 1921).
-
[78]
Alain, Éléments de philosophie (Paris : Gallimard, 1941), 316.
-
[79]
Gérard-Varet, op. cit. in n. 63, 275-276.
-
[80]
Bachelard, op. cit. in n. 21, 89 (voir aussi Fragments d’une poétique du feu (Paris : Puf, 1988), 32). À l’inverse, « l’expérience immédiate […] manque précisément de cette perspective d’erreurs rectifiées qui caractérise […] la pensée scientifique » (Bachelard, op. cit. in n. 2, 10).
-
[81]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 9.
-
[82]
Gérard-Varet, op. cit. in n. 63, 170.
-
[83]
Ibid., 214.
-
[84]
Ibid., 258.
-
[85]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 71.
-
[86]
Rappelons la chronologie : Bachelard soutient sa thèse en 1927 ; il sympathise avec Juliette Boutonnier à Dijon en 1930 ; il publie ses premiers écrits de psychanalyse de l’esprit objectif en 1938 ; il rencontre René Laforgue à Paris en 1940.
-
[87]
Gérard-Varet, La psychologie objective, Revue philosophique, XLIX (1900), 492-514, 497 et 499-500.
-
[88]
Eduard von Hartmann, Philosophie de l’inconscient, trad. Désiré Nolen (Paris : Gustave-Germer Baillière, 1877).
-
[89]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 23.
-
[90]
Gérard-Varet, op. cit. in n. 63, 279.
-
[91]
Voir par exemple Bachelard, op. cit. in n. 8, 37.
-
[92]
Janet, op. cit. in n. 38, 204.
-
[93]
Voir Aristote, Physique, VIII, 10, 266b 30, et le commentaire de Léon Brunschvicg : L’Expérience humaine et la causalité physique (Paris : Alcan, 1922), 148 (§ 72).
-
[94]
Piaget, op. cit. in n. 12, 250.
-
[95]
Piaget, op. cit. in n. 19, 290.
-
[96]
Léon Brunschvicg, Les Âges de l’intelligence (Paris : Puf, 1934), 128.
-
[97]
Léon Brunschvicg, De la vraie et de la fausse conversion. II. Discours et vérité, Revue de métaphysique et de morale, XXXVIII/1 (janvier-mars 1931), 29-60, 55.
-
[98]
Léon Brunschvicg, La Philosophie de l’esprit [cours de 1921-1922] (Paris : Puf, 1949), 99.
-
[99]
Jean Piaget, Deux types d’attitude religieuse : Immanence et transcendance, Association chrétienne d’étudiants de Suisse romande (Genève : Labor, 1928), 35 ; cité par Brunschvicg, op. cit. in n. 96, 144. Jean Piaget, Traits principaux de la logique des enfants, Journal de psychologie normale et pathologique, XXI/1-3 (janvier-mars 1924), 57 ; cité par Léon Brunschvicg : De la connaissance de soi [cours de 1929-1930] (Paris : Alcan, 1931), 8.
-
[100]
Brunschvicg, op. cit. in n. 99, 79.
-
[101]
Id.
-
[102]
Brunschvicg, op. cit. in n. 96, 129.
-
[103]
Ibid., 21.
-
[104]
Daniel Essertier, Les Formes inférieures de l’explication (Paris : Alcan, 1927), 50.
-
[105]
Ibid., 307.
-
[106]
La pensée de l’alchimiste régresse vers des fantasmes de possession et des tendances refoulées : l’alchimiste en activité « revient sans s’en douter aux formes les plus archaïques de la pensée humaine » (ibid., 204). Rappelons la chronologie des parutions. Essertier : 1927. Bachelard : 1938 (La Formation de l’esprit scientifique et La Psychanalyse du feu). Jung : 1942 (Paracelsica), 1944 (Psychologie und Alchemie), 1945 (Psychologie der Übertragung).
-
[107]
Essertier, op. cit. in n. 104, 282.
-
[108]
Brunschvicg, op. cit. in n. 53, 25 (§ 21).
-
[109]
Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu (Paris : Gallimard, 1938), coll. « Psychologie », 197. Voir aussi Bachelard, op. cit. in n. 2, 60.
-
[110]
Bachelard, op. cit. in n. 21, 90. Nous citons ces textes également pour leur chronologie : Brunschvicg : 1927 et 1931, Essertier : 1927, Bachelard : 19341935. La notion de conversion est de nouveau utilisée dans Bachelard, op. cit. in n. 50, 8.
-
[111]
Brunschvicg, op. cit. in n. 98, 15.
-
[112]
Cette lecture fut défendue par Michel Vadée en 1975, en réaction à l’interprétation de Lecourt (op. cit. in n. 4) qui tentait de rapprocher la pensée bachelardienne du matérialisme dialectique en faisant résonner les thèmes de la « rupture » et de l’« obstacle épistémologique ». Dans cette polémique interne au marxisme français, Vadée tira ses arguments d’une recontextualisation des positions bachelardiennes (Bachelard ou le nouvel idéalisme épistémologique (Paris : Éditions sociales, 1975)).
-
[113]
Brunschvicg, op. cit. in n. 99, 187.
-
[114]
Ibid., 79.
-
[115]
Brunschvicg, op. cit. in n. 53, 708 (§ 329).
-
[116]
Voir Bachelard (1988), op. cit. in n. 80, 165. À la fin de sa vie, Bachelard se débarrasse de l’explication psychanalytique, jugée trop déterministe, pour pouvoir saisir la parole poétique comme énergie créatrice.
-
[117]
Voir Jean Gayon, Bachelard et l’histoire des sciences, in Jean-Jacques Wunenburger (dir.), Bachelard et l’épistémologie française (Paris : Puf, 2003), 51-114.
-
[118]
Brunschvicg, op. cit. in n. 53, 707 (§ 329).
-
[119]
Brunschvicg, Les Étapes de la philosophie mathématique (Paris : Alcan, 1912), 577 (§ 366).
-
[120]
Bachelard, op. cit. in n. 50, 22.
-
[121]
Brunschvicg, op. cit. in n. 99, 180.
-
[122]
Gaston Bachelard, La philosophie scientifique de Léon Brunschvicg [1945], in Id., L’Engagement rationaliste (op. cit. in n. 5), 169-177, 169.
-
[123]
Bachelard (1953), op. cit. in n. 6, 1-2.
-
[124]
Bachelard, op. cit. in n. 122, 175.
-
[125]
Émile Meyerson, Identité et réalité (Paris : Alcan, 1926), 413.
-
[126]
Émile Meyerson, Le Cheminement de la pensée (Paris : Alcan, 1931), t. I, 84.
-
[127]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 9.
-
[128]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 7.
-
[129]
Brunschvicg, op. cit. in n. 93, 406 (§ 184).
-
[130]
Léon Brunschvicg, Le dur labeur de la vérité, Les Études philosophiques, nouv. sér., 4e année, n° 3-4 (juillet-décembre 1949), 319-335, 327.
-
[131]
Bachelard, op. cit. in n. 56, 44.
-
[132]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 42.
-
[133]
Bachelard, op. cit. in n. 6, 50.
-
[134]
Bachelard, op. cit. in n. 122, 168-169.
-
[135]
Il s’agit de sa thèse complémentaire : Étude sur l’évolution d’un problème de physique : La propagation thermique dans les solides (Paris : Vrin, 1928).
-
[136]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 250.
-
[137]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 173.
-
[138]
Gaston Bachelard, Noumène et microphysique [1931-1932], in Id., Études (op. cit. in n. 21), 11-24, 12.
-
[139]
Bachelard, op. cit. in n. 56, 183.
-
[140]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 86.
-
[141]
Bachelard s’appuie à l’occasion sur ses observations pédagogiques. Voir le passage sur l’imaginaire de l’explosion ou celui sur la sexualisation du couple acide-base : Bachelard, op. cit. in n. 2, 54 et 195.
-
[142]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 32.
-
[143]
Toute mémoire est cependant déjà une organisation. Bachelard savait, pour avoir lu Janet (L’Évolution de la mémoire et de la notion du temps (Paris : A. Chahine, 1928), t. II, 303-304), que la mémoire est une conduite du récit issue de l’action différée, une mise en ordre de ce qu’il s’agit de raconter à un interlocuteur absent, ce qui suppose une société car seule une conduite sociale peut fournir le cadre d’un récit. « Robinson dans son île n’a pas besoin de faire un journal. S’il fait un journal c’est parce qu’il s’attend à retourner parmi les hommes. » (Ibid., t. II, 219-220.) Ainsi, dit Bachelard, « les faits tiennent dans la mémoire grâce à des axes intellectuels » et « on doit composer son passé » (Bachelard, op. cit. in n. 48, 61). De son côté, Piaget loue la fécondité heuristique de la théorie janétienne. Il oppose celle-ci à l’idée de conservation intégrale du passé soutenue par Bergson et par Freud (voir Jean Piaget et Bärbel Inhelder, Mémoire et intelligence (Paris : Puf, 1968)).
-
[144]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 251.
-
[145]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 132.
-
[146]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 66.
-
[147]
Bachelard, op. cit. in n. 5, 98.
-
[148]
Bachelard, op. cit. in n. 122, 175.
-
[149]
Natalie Depraz, Husserl psychologue ?, in Maria Gyemant (dir.), Psychologie et psychologisme (Paris : Vrin, 2015) 203-226, et Jocelyn Benoist, Frege psychologue, in Ibid., 227-247.
-
[150]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 25. Cette notion de « conscience de méthode » est présente dans le commentaire de Spinoza par Brunschvicg. Ayant éliminé toute lecture substantialiste du cogito et fondé la réalité psychique de la conscience sur l’adéquation de l’idée, la réforme spinoziste de l’entendement renforce le lien intrinsèque de la méthode au savoir (Brunschvicg, op. cit. in n. 53, 175, § 94).
-
[151]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 136.
-
[152]
Voir Bachelard, op. cit. in n. 34, 24-26.
-
[153]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 59.
-
[154]
Antoine-Augustin Cournot, Matérialisme, vitalisme, rationalisme [(Paris : Hachette, 1875), IIIe sect., § 10], (Paris : Vrin, 1979, 158).
-
[155]
Brunschvicg, op. cit. in n. 96, 129.
-
[156]
Frédéric Fruteau de Laclos, Le Cheminement de la pensée selon Émile Meyerson (Paris : Puf, 2009), 52.
-
[157]
Léon Brunschvicg, Introduction à la vie de l’esprit (Paris : Alcan, 1900), 127.
-
[158]
Brunschvicg, op. cit. in n. 98, 173.
-
[159]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 27.
-
[160]
Bachelard, op. cit. in n. 2, 18.
-
[161]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 136.
-
[162]
Piaget, op. cit. in n. 24, 79.
-
[163]
Ibid., 55.
-
[164]
Goblot, op. cit. in n. 25, 272.
-
[165]
Ibid., 20.
-
[166]
Bachelard, op. cit. in n. 1, 55.
-
[167]
Ibid., 10.
-
[168]
Goblot, op. cit. in n. 25, 29.
-
[169]
Ibid., 23.
-
[170]
Ibid., 30.
-
[171]
Bachelard, op. cit. in n. 8, 50.
-
[172]
Jean Piaget, L’Épistémologie génétique (Paris : Puf, 1970), 8.
-
[173]
Georges Canguilhem, La théorie cellulaire [1945], in Id., La Connaissance de la vie (Paris : Vrin, 1965), 44-80, 47.
-
[174]
Georges Canguilhem, Dialectique et philosophie du non chez Gaston Bachelard [1963], in Id., Études d’histoire et de philosophie des sciences (Paris : Vrin, 1968), 196-207.
-
[175]
Georges Canguilhem, L’objet de l’histoire des sciences [1966-1968], in ibid., 17-19.
-
[176]
Michel Foucault, L’Archéologie du savoir (Paris : Gallimard, 1969), 11.
-
[177]
Georges Canguilhem, Idéologie et rationalité (Paris : Vrin, 1977), 40.
-
[178]
Canguilhem, op. cit. in n. 175, 18.
-
[179]
Claude Debru, Georges Canguilhem : Science et non-science (Paris : Éditions de la rue d’Ulm, 2004), 82.
-
[180]
Canguilhem, op. cit. in n. 177, 23.
-
[181]
Ibid., 114.
-
[182]
Michel Foucault, Une histoire restée muette [1966], in Id., Dits et écrits, t. I : 1954-1969 (Paris : Gallimard, 1994), 545-549, 547.
-
[183]
Michel Foucault, La philosophie structuraliste permet de diagnostiquer ce qu’est « aujourd’hui » [1967], in ibid., 580-584, 581.
-
[184]
Foucault, op. cit. in n. 176, 23.
-
[185]
Michel Foucault, L’homme est-il mort ? [1966], in op. cit. in n. 182, 540-544, 543.
-
[186]
Foucault, op. cit. in n. 176, 11.
-
[187]
Bachelard, op. cit. in n. 109, 18 et 26.
-
[188]
Jean Lescure, Un été avec Bachelard (Paris : Luneau-Ascot, 1983), 228.