Couverture de RHS_682

Article de revue

Les dynamiques de Jean-Jacques Dortous de Mairan

Pages 281 à 309

Notes

  • [*]
    Christophe Schmit, Syrte, UMR 8630 (CNRS – Observatoire de Paris – univ. Pierre-et-Marie-Curie), Observatoire de Paris, 61, avenue de l’Observatoire, 75014 Paris.
    E-mail : christophe.schmit @ obspm.fr
  • [1]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Dissertation sur la cause de la Lumière, des Phosphores & des Noctiluques. Recüeil des dissertations qui ont remporté le Prix de l’Académie Royale des Belles Lettres, Sciences & Arts de Bordeaux, t. I (Bordeaux : R. Brun, 1717), 20.
  • [2]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Dissertation sur la Glace ou explication physique de la formation de la Glace, & de ses divers Phénomenes, qui a remporté le prix à l’Académie Royale des Belles Lettres, Sciences & Arts de Bordeaux, le 1. May 1716, 2e édition (Béziers : Étienne Barbut, 1717), 162.
  • [3]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Eloge de M. l’abbé de Molières, in Histoire de l’Académie Royale des Sciences. Année MDCCXLII. Avec les Mémoires de Mathématiques & de Physique, pour la même Année. Tirés des Registres de cette Académie (Paris : Imprimerie royale, 1745), 197 : « La Physique, qui n’est elle-même qu’une Méchanique perpétuelle & la Géométrie du mouvement […]. »
  • [4]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 2, 2.
  • [5]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Dissertation sur la Glace ou explication physique de la formation de la Glace, & de ses divers phénomènes, 4e édition (Paris : Imprimerie royale, 1749), xviij.
  • [6]
    Ibid., 2-3.
  • [7]
    Pour cette terminologie, voir Ellen McNiven Hine, Dortous de Mairan : The « Cartonian », Studies on Voltaire and the eighteenth century, 266 (1989), 163-179.
  • [8]
    Ibid., respectivement 164, 173 et 176.
  • [9]
    Ibid., 179.
  • [10]
    Il suffirait de prendre pour exemple les corpuscules durs du second élément de Descartes récusés par Leibniz, Christian Huygens ou Malebranche. De la même manière, comme nous le verrons dans cette étude, l’équivalence ontologique entre les états de repos et de mouvement posée par Descartes se voit réfutée par Malebranche. Ces différents auteurs, parce qu’ils recourent aux tourbillons et récusent le vide, pourraient être qualifiés de « cartésiens » selon la terminologie adoptée par McNiven Hine ; il convient cependant de relever ces différences importantes par rapport à Descartes, et témoignant d’une diversité concernant les fondements du mécanisme. Pour une lecture critique de la matière cartésienne et de son explication de la cohésion des corps chez Huygens et Leibniz, voir notamment Fabien Chareix, La Philosophie naturelle de Christian Huygens (Paris : Joseph Vrin, 2006), 112-146, et Frédéric de Buzon, Repos ou mouvement conspirant : Leibniz et les articles 54 et 55 de la partie II des Principia philosophiæ, Revue d’histoire des sciences, 58/1 (2005), 105-122.
  • [11]
    D’Alembert définit la dynamique comme « la partie la plus transcendante de la méchanique, qui traite du mouvement des corps, en tant qu’il est causé par des forces motrices actuellement & continuellement agissantes ». Puis il ajoute que « le mot Dynamique est fort en usage depuis quelques années parmi les Géometres, pour signifier en particulier la science du mouvement des corps qui agissent les uns sur les autres, de quelque maniere que ce puisse être, soit en se poussant, soit en se tirant par le moyen de quelque corps interposé entr’eux, & auquel ils sont attachés, comme un fil, un levier inflexible, un plan, &c. Suivant cette définition, les problèmes où l’on détermine les lois de la percussion des corps, sont des problèmes de Dynamique ». C’est essentiellement de ce second type de dynamique qu’il est question dans son Traité de dynamique de 1743. Voir Jean Le Rond D’Alembert, article « Dynamique », in Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts & des Métiers, t. V (Paris : Antoine-Claude Briasson, Michel-Antoine David, André Le Breton, Laurent Durand, 1755), 174b-175a.
  • [12]
    À l’entrée « Dynamique », l’Encyclopédie rapporte que « M. Leibnitz est le premier qui se soit servi de ce terme pour désigner la partie la plus transcendante de la méchanique, qui traite du mouvement des corps, en tant qu’il est causé par des forces motrices actuellement & continuellement agissantes » (op. cit. in n. 11). Ce mot apparaît pour la première fois chez Leibniz en 1690 dans son manuscrit « Dynamica de potentia ». Il figure publiquement au détour d’une phrase dans la livraison de mai de la même année des Acta eruditorum avec l’article « De Causa Gravitatis », puis dans une lettre de Leibniz à Paul Pellisson-Fontanier de juillet 1691 insérée par celui-ci dans la seconde édition de 1692 de son ouvrage De la tolérance des Religions. Le public sait au moins depuis 1695 avec le « Specimen dynamicum » publié dans les Acta eruditorum du mois d’avril le sens que le philosophe apporte aux forces mortes et forces vives, et qu’il fait de celles-ci les éléments essentiels d’une science nouvelle qu’il appelle dynamique. Voir Michel Fichant, Science et métaphysique dans Descartes et Leibniz (Paris : PUF, 1998), 206-214. Newton note que Galilée étudia l’effet de la gravité sur les projectiles, que lui-même dans ses Principia développe considérablement ce genre de recherches et que « Mr Leibniz christened the child by new name as if it had been his own calling it Dynamica ». Il poursuit en évoquant les forces centripètes que Leibniz nomme « Paracentrica » et conclut : « If one may judge by the multitude of new names & characters invented by him, he would go for a great inventor. » Voir I. Bernard Cohen, Introduction to Newton’s Principia (Cambridge : Cambridge University Press, 1971), 296-297. Au-delà de ces critiques, nous entendons par « dynamique newtonienne » la définition ci-dessus de l’Encyclopédie en remarquant que d’après la citation de Newton, cette appellation définit des objets de recherche communs avec Leibniz et que pour chacun d’eux la force est le concept central.
  • [13]
    Nicolas Malebranche, De la recherche de la vérité, in Œuvres complètes, t. III (Eclaircissement XVI) (Paris : Joseph Vrin, 1967-1978).
  • [14]
    Sur les raisons de cette substitution, notamment la critique de l’explication de la « dureté » ou cohésion des corps chez Descartes, voir André Robinet, Malebranche de l’Académie des Sciences, l’œuvre scientifique (Paris : Joseph Vrin, 1970), 87-110. Rappelons que la cohésion des corps résulte chez Descartes de la force qu’il attribue au repos, et, par conséquent, qu’elle provient du repos mutuel des parties de ce corps. Voir René Descartes, Les Principes de la philosophie, in Œuvres (Paris : Joseph Vrin – CNRS, 1996), t. IX, 94. La suite de cette étude revient sur ce qu’il faut entendre par cette force attribuée au repos.
  • [15]
    L’univers est conçu à travers l’analogie avec un ballon comprimé « par une force comme infinie ». Une « matiére fluide » le remplit et tourne autour du centre commun ; chaque partie de celle-ci, « pour remplir tout son mouvement, c’est à dire pour se mouvoir autant qu’elle a de force », tourne sur « le centre d’une infinité de […] tourbillons » lesquels « coul[ent] » entre eux, « avec une rapidité extraordinaire » (Malebranche, op. cit. in n. 13, 255). Malebranche ajoute que « toutes les parties de la matiére éthérée se touchent, […] elles sont très fluïdes, & elles […] sont comprimées par le poids, pour ainsi dire, de tous les tourbillons qui sont eux-mêmes comprimez par une force infinie qui répond à la puissance infinie du Créateur, ou du moins une force comme infinie » (ibid., 261). Ainsi, la matière subtile autour du Soleil – et ceci vaut pour tout autre astre – reçoit une « compression qui la pousse vers le soleil » et qu’elle « contrebalance, par la force centrifuge qu’elle tire de la vîtesse de son mouvement ». La « compression ou cette espece de pesanteur » et la force centrifuge s’égalent « car toutes les parties de l’Univers sont en équilibre ou tendent à s’y mettre » (ibid., 280).
  • [16]
    Ibid., 270 : « La matiére subtile ou éthérée […] est composée d’une infinité de petits tourbillons, qui tournent sur leurs centres avec une extrême rapidité, & qui se contrebalancent les uns les autres. »
  • [17]
    Malebranche, op. cit. in n. 13, 304 et 280. À titre d’exemple, une pierre lancée verticalement dans l’atmosphère terrestre peut constituer cette perturbation. En effet, un même volume d’atmosphère que cette pierre contient davantage de petits tourbillons que celle-ci et, par conséquent, la première génère davantage de forces centrifuges : une différence qui constitue une rupture d’équilibre et l’amorce de l’explication de la chute du solide. Pour le détail de cette explication, voir : ibid., 278-280 et Robinet, op. cit. in n. 14, 225-247.
  • [18]
    Malebranche, op. cit. in n. 13, 302-303 : « Dans cet Eclaircissement, [le but] a été de faire voir que toute la Physique dépend de la connoissance de la matiére subtile ; que cette matiére n’est composée que de petits tourbillons, qui par l’équilibre de leurs forces centrifuges, font la consistance de tous les corps ; & par la rupture de leur équilibre qu’ils tendent sans cesse à rétablir, tous les changemens qui arrivent dans le monde. »
  • [19]
    Pour cette explication, voir Dortous de Mairan, op. cit. in n. 2, 27-35.
  • [20]
    Ibid., 73 : « C’est une loy invariable, qu’un corps ou un fluïde pressé de tous côtez, s’échappe vers celui où il est le moins pressé. » Du même auteur, propos identiques dans : Suite des recherches physico-mathématiques sur la réflexion des corps, in Histoire de l’Académie Royale des Sciences. Année MDCCXXIII. Avec les Memoires de Mathematiques & de Physique, pour la même Année. Tirés des Registres de cette Académie (Paris : Imprimerie royale, 1725), 383.
  • [21]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 5, xvij.
  • [22]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 2, 14.
  • [23]
    Malebranche, op. cit. in n. 13, t. II, 449.
  • [24]
    Voir Descartes, op. cit. in n. 14, 83-84 pour la première loi de la nature stipulant la permanence du mouvement et du repos. Pour les forces attribuées à ces états du fait de cette loi (ibid., 88) : « La force dont un corps agit contre un autre corps ou résiste à son action, consiste en cela seul, que chaque chose persiste autant qu’elle peut à demeurer au mesme estat où elle se trouve, conformement à la premiere loy. De façon […] que, lors qu’il [un corps] est en repos, il a de la force pour demeurer en ce repos & pour resister à ce qui pourroit le faire changer. De même que, lors qu’il se meut, il a de la force pour continuer de se mouvoir avec la mesme vitesse & vers le mesme côté. »
  • [25]
    Sur ce point, voir Alan Gabbey, Force and inertia in seventeenth-century dynamics, Studies in history and philosophy of science, 2 (1971-1972), 62 : « The function of Descartes’ First Law is to provide the (secondary) grounds for saying that for a body at rest, or in motion, there is a constant force maintaining it in that state, and therefore a force […] causing the body to resist and act on other bodies. Since force in the latter sense is the fundamental cause at work in the physical change […] the function of the First Law can be said to be equivalently to equip Descartes with the sole causal explanation of body behaviour, which in its prescriptive form is directly applicable in the actual practice of mechanics. » Pour l’importance de cette loi dans la genèse du système cartésien et ses différences avec le principe d’inertie newtonien, voir Sophie Roux, Découvrir le principe d’inertie, Recherches sur la philosophie et le langage, 24 (2006), 453-515.
  • [26]
    Malebranche, op. cit. in n. 13, t. II, 429-430.
  • [27]
    Ibid., 431.
  • [28]
    Voir notamment Gabbey, op. cit. in n. 25, 31-41.
  • [29]
    Sur ce point, voir Christophe Schmit, Force d’inertie et causalité, Archives internationales d’histoire des sciences, 59/162 (juin 2009), 108-116.
  • [30]
    Lettres à Firmin Abauzit des 10 juin et 30 octobre 1717, citées par McNiven Hine, art. cit. in n. 7, 169.
  • [31]
    Lettre à Cramer du 16 novembre 1732, citée par McNiven Hine, art. cit. in n. 7, 170.
  • [32]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Sur la figure de la Terre, in Histoire de l’Académie Royale des Sciences. Année MDCCXLII. Avec les Mémoires de Mathématiques & de Physique, pour la même Année. Tirés des Registres de cette Académie (Paris : Imprimerie royale, 1745), 100.
  • [33]
    Lettre à Cramer du 31 août 1738 citée par McNiven Hine, art. cit. in n. 7, 170.
  • [34]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Traité Physique et Historique de l’Aurore Boréale : Suite des Mémoires de l’Académie Royale des Sciences, année MDCCXXXI, 2e édition (Paris : Imprimerie royale, 1754), 95. Voir aussi la première édition, de 1731, de ce livre, 87-88.
  • [35]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 5, xxvj-xxvij.
  • [36]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 3, 201.
  • [37]
    Isaac Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, par feue Madame la Marquise du Chastellet, t. I (Paris : Jean Desaint, Charles Saillant, Michel Lambert, 1759), 2-3.
  • [38]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 5, 24.
  • [39]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Dissertation sur l’estimation & la mesure des forces motrices des corps, in Histoire de l’Académie Royale des Sciences. Année MDCCXXVIII. Avec les Mémoires de Mathématiques & de Physique, pour la même Année. Tirés des Registres de cette Académie (Paris : Imprimerie royale, 1730), 39.
  • [40]
    Ainsi, Jean-François Trabaud, en 1741, ne considère pas, s’opposant à Newton, l’inertie comme une propriété de la matière. Cette dernière ne renferme à ses yeux aucune force et, par conséquent, l’opposition à un changement d’état relève d’une action divine conférant le même pouvoir de résistance au mouvement et au repos. Voir Jean-François Trabaud, Principes sur le mouvement et l’équilibre, pour servir d’introduction aux Mécaniques et à la Physique. Premier traité (Paris : Jean Desaint et Charles Saillant, 1741), 213-215.
  • [41]
    Sur cette résistance chez Malebranche, voir Schmit, art. cit. in n. 29, 115-116.
  • [42]
    Voir Jean-Pierre de Crousaz, Discours sur le Principe, la Nature, & la Communication du mouvement, in Recueil des pieces qui ont remporté les prix de l’Academie Royale des Sciences. Tome premier. Qui contient les Pieces depuis 1720 jusqu’en 1727 (Paris : Claude Jombert, 1732), 35-38. Id., Essay sur le mouvement (La Haye : Rutgert Christoffel Alberts et Isaak Vander Kloot, 1728) reprend en partie ce texte complété par des critiques à l’encontre de la vis inertiæ newtonienne (voir page 168). Pour une analyse de ces textes, voir Schmit, art. cit. in n. 29, 126-132.
  • [43]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 2, 160-161.
  • [44]
    Ibid., 14.
  • [45]
    Ibid., 15.
  • [46]
    Sur ce rôle de l’air, voir Dortous de Mairan (1723), op. cit. in n. 20, 349 : « Quelle que soit la cause de cette résistance [celle du corps au repos à être mis en mouvement], ce n’est pas ici le lieu de la chercher ; elle existe, & j’ose dire que sans elle les loix de la communication des mouvemens par le choc des corps à raison de leurs masses, seroient inintelligibles. L’air ambiant résiste aussi, & d’autant plus que le mouvement imprimé par le choc est plus subit, il faut donc concevoir que le ressort de deux boules est bandé avant que la masse totale de celle qui étoit en repos ait cédé au mouvement de celle qui vient la frapper. »
  • [47]
    Sur ce problème concernant ce genre d’explication, voir Sophie Roux, « La philosophie mécanique (1630-1690) », thèse non publiée (Paris : EHESS, 1996), 411 : « Pour que les corps microscopiques s’enchevêtrent ou soient pressés par la matière subtile, il faut déjà qu’ils soient durs. »
  • [48]
    Voir Dortous de Mairan, op. cit. in n. 5, xxij.
  • [49]
    Ibid., xxij-xxiij.
  • [50]
    Ibid., xxiv.
  • [51]
    Jacques Rohault, Traité de physique (Paris : Veuve de Charles Savreux, 1671), vol. I, iij.
  • [52]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 5, xxiv.
  • [53]
    Voir aussi la distinction entre la « division actuelle » et celle « possible » des « parties intégrantes » de l’eau in Dortous de Mairan, op. cit. in n. 2, 12 et Dortous de Mairan, op. cit. in n. 5, 18-19.
  • [54]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 5, xxiv.
  • [55]
    Géraud de Cordemoy, Six discours sur la distinction et l’union du corps et de l’âme [1666], in Œuvres philosophiques (Paris : PUF, 1968), 100.
  • [56]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 2, 163.
  • [57]
    Ibid., 54.
  • [58]
    Ibid., 61.
  • [59]
    Ibid., 74.
  • [60]
    Ibid., 144.
  • [61]
    Ibid., 159-160 et 43-44.
  • [62]
    Ibid., 43 et 135.
  • [63]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 1, 20-24.
  • [64]
    L’usage par Descartes de corpuscules figurés fut un argument pour faire de lui un atomiste. Voir à ce sujet Sophie Roux, Descartes atomiste ?, in Atomismo e continuo nel XVII secolo : Atti del convegno internazionale [28-30 avril 1997] (Naples : Vivarium, 2000), 211-274. Sur l’« aporie de la physique cartésienne », à savoir « Descartes atomiste malgré lui », voir Roux, thèse cit. in n. 47, 447.
  • [65]
    Parmi une littérature abondante, pour une histoire de cette querelle dite des forces vives, voir notamment Carolyn Iltis, The decline of Cartesianism in mechanics : The Leibnizian-Cartesian debates, Isis, 64/3 (1973), 356-373 ; David Papineau, The vis viva controversy, in Roger S. Woolhouse (dir.), Leibniz, metaphysics and philosophy of science (Oxford : Oxford University Press, 1981), 139-156 ; Pierre Costabel, La Question des forces vives, Cahiers d’histoire et de philosophie des sciences, 8 (1983) ; Mary Terall, Vis viva revisited, History of science, 42 (2004), 189-209.
  • [66]
    Ce que sous-entend Costabel, art. cit. in n. 65, 38.
  • [67]
    Voir supra, n. 24.
  • [68]
    Voir Gabbey, art. cit. in n. 25, 28-29.
  • [69]
    Gabbey, art. cit. in n. 25, 31-41. Sur cette importance de Descartes dans la formation de ces concepts newtoniens, voir aussi John Herivel, Sur les premières recherches de Newton en dynamique, Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, 15/2 (1962), 105-140.
  • [70]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 16-17.
  • [71]
    Ibid., 10.
  • [72]
    Bernard Le Bovier de Fontenelle, Sur la force des corps en mouvement, in Histoire de l’Academie Royale des Sciences. Année MDCCXXI. Avec les Memoires de Mathematiques & de Phisique, pour la même Année. Tirés des Registres de cette Academie (Paris : Imprimerie royale, 1723), 81. Fontenelle identifie force et quantité de mouvement, mais partant de la résistance qu’oppose un corps, il souligne la même « raison » existant entre la « force motrice » appliquée à ce corps et le produit de sa masse par la vitesse « imprimée » par l’action de cette force.
  • [73]
    Pierre Varignon, Nouvelle Mecanique ou Statique, dont le projet fut donné en MDCLXXXVII. Ouvrage posthume de M. Varignon, des Académies Royales des Sciences de France, d’Angleterre & de Prusse, Lecteur du Roy en Philosophie au College Royal, & Professeur de Mathématiques au College Mazarin, t. I (Paris : Claude Jombert, 1725), 9-10.
  • [74]
    Ibid., 4 : « Axiome I. Les effets sont toûjours proportionnels à leurs causes ou forces productrices, puisqu’elles n’en sont les causes qu’autant qu’ils en sont les effets, & seulement en raison de ce qu’elles y causent. »
  • [75]
    Ibid., 9-10. Pour cette terminologie, voir Newton, op. cit. in n. 37, 3-4 et 17.
  • [76]
    Les académiciens Joseph Saurin, Beaufort et Mairan sont chargés d’examiner cet ouvrage. Voir « Procès-verbaux de l’Académie Royale des Sciences », séance du 6 décembre 1724, t. XLIII, f° 357.
  • [77]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 3 : « Par où mesurer une force, si ce n’est pas ses effets ? », « Les effets ne sont-ils pas toûjours proportionnels à leurs causes » et « Ces effets [l’élévation verticale d’un corps ou son aplatissement lors d’un choc] doivent être proportionnels à leur cause » (ibid., 9-10).
  • [78]
    Ibid., 2-3 : « De ce que je conçois un corps en mouvement, je conçois une force qui le fait mouvoir. »
  • [79]
    Ibid., 3 : « Comme uniforme il [le mouvement] ne sçauroit jamais nous indiquer d’autre mesure de la force qui le produit, que la simple vîtesse du mobile multipliée par sa masse. Car par où mesurer une force, si ce n’est pas ses effets ? Mais ses effets ne sont ici que des espaces égaux parcourus en temps égaux, selon la propriété des mouvemens uniformes, & la vîtesse elle-même, n’est autre chose que l’espace divisé par le temps. »
  • [80]
    Ibid., 3-5.
  • [81]
    Ibid., 4-5.
  • [82]
    Ibid., 5.
  • [83]
    Ibid., 7.
  • [84]
    Ibid., 5-6. Sur cette « loy de continuité », voir Jean Bernoulli, Discours sur les loix de la communication du mouvement, qui a mérité les Eloges de l’Académie Royale des Sciences aux années 1724. & 1726. & qui a concouru à l’occasion des Prix distribuez dans lesdites années, in Recueil des pieces qui ont remporté les prix de l’Academie Royale des Sciences. Tome premier. Qui contient les Pieces depuis 1720 jusqu’en 1727 (Paris : Claude Jombert, 1732), 5-6. Sur ce principe de continuité leibnizien et son usage chez Bernoulli dans sa mesure de la force, voir notamment Peter M. Harman, Dynamics and intelligibility : Bernoulli and MacLaurin, in Roger S. Woolhouse (dir.), Metaphysics and philosophy of science in the 17th and 18th centuries : Essays in honour of Gerd Buchdahl (Dordrecht : Kluwer Academic Publishers, 1988), 213-225.
  • [85]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 8-9.
  • [86]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 10.
  • [87]
    Ce raisonnement, ici établi pour les ascensions verticales, vaut aussi pour les déplacements de matière lors des collisions élastiques.
  • [88]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 10. Proposition classique figurant notamment dans Galileo Galilei, Discorsi e demonstrazioni matematiche intorno à due nuove science, in Antonio Favaro (éd.), Le Opere di Galileo Galilei, edizione nazionale (Florence : Gaspero Barbèra, 1890-1909), vol. VIII, 208.
  • [89]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 10-11.
  • [90]
    Leibniz envisage cette dépense totale et l’équivalence causes-effets dès 1676 ; elles sont les clefs de voûte de la Brevis Demonstratio de 1686, pamphlet contre ce que Leibniz estime être la mesure de la force selon Descartes, et qui est à l’origine de la querelle des forces. Voir François Duchesneau, La Dynamique de Leibniz (Paris : Joseph Vrin, 1994), 139-140.
  • [91]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 11.
  • [92]
    D’Alembert, Traité de dynamique, dans lequel les loix de l’équilibre & du Mouvement des Corps sont réduites au plus petit nombre possible, & démontrées d’une maniére nouvelle, & où l’on donne un Principe général pour trouver le Mouvement de plusieurs Corps qui agissent les uns sur les autres, d’une maniére quelconque (Paris : David l’aîné, 1743), xix.
  • [93]
    Ce qui vaut pour la pesanteur s’applique aussi « aux déplacemens de matiere, aux enfoncemens, & aux applatissemens », autrement dit aux chocs. Voir Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 11.
  • [94]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 14.
  • [95]
    Ibid., 14 et 17-18. En somme, cet « effet total » correspond à la prise en compte d’une quantité du type m.v.t avec v et t les vitesses et temps proportionnels entre eux : « Il faut […] tenir compte à la force de ce plus de durée de mouvement, qu’elle procure au corps dans lequel elle réside. Ainsi, il est évident qu’elle [la force] doit être d’autant plus grande qu’elle est capable d’agir plus long-temps avec une plus grande vîtesse. Elle est donc composée de la vîtesse, & du temps » (ibid., 14).
  • [96]
    Ibid., 23-24.
  • [97]
    Ibid., 24. Voir aussi 17 : « Ne se pourroit-il pas que la force demeurant toûjours en raison de la simple vîtesse, se trouvât capable de produire des effets proportionnels au quarré de la vîtesse ? Qu’étant double, par exemple, en vertu d’une double vîtesse, il fût de sa nature de produire des effets quadruples par rapport aux obstacles qui s’opposent à son action ? Et cela ne viendroit-il pas de ce qu’une force double, en vertu d’une double vîtesse, & qui, par rapport à une autre, agit doublement en des temps égaux, agit encore peut-être deux fois autant de temps, ou ne se consume qu’en deux fois autant de temps, par cela même qu’elle est double, & qu’elle résulte d’une double vîtesse ? »
  • [98]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 24-25.
  • [99]
    Voir Iltis, art. cit. in n. 65, 371, pour une mise en parallèle de l’importance du mouvement rectiligne uniforme chez Descartes et Dortous de Mairan. Rappelons que Mairan écrit qu’« on ne conçoit pas que les corps ne puissent avoir d’autre force ni d’autre action que celle qu’ils tirent de leur mouvement » (voir n. 44), et qu’il confère alors à celui-ci un rôle essentiel dans l’explication des phénomènes naturels.
  • [100]
    Colin MacLaurin, Démonstration des Loix du Choc des Corps, in Recueil des Pieces qui ont remporté le Prix de l’Académie Royale des Sciences depuis leur fondation jusqu’à present. Avec quelques pieces qui ont été composées à l’occasion de ce Prix. Tome premier qui contient les Pieces depuis 1720 jusqu’en 1727 (Paris : Claude Jombert, 1732), 6-7 (c’est MacLaurin qui souligne). Pour une analyse de ce mémoire, voir Harman, art. cit. in n. 84 et Olivier Bruneau, Colin MacLaurin ou l’obstination mathématicienne d’un newtonien (Nancy : Presses universitaires de Nancy, 2011), 91-105.
  • [101]
    Varignon, op. cit. in n. 73, 10.
  • [102]
    Pour cette méthode, ibid., 6-8.
  • [103]
    Jean Le Rond D’Alembert, article « Statique », in Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, t. XV (Neuchâtel : Samuel Faulche, 1765), 496b.
  • [104]
    Varignon, op. cit. in n. 73, 35.
  • [105]
    Ibid.
  • [106]
    Ibid.
  • [107]
    Ibid., 35-36.
  • [108]
    Varignon, op. cit. in n. 73, 4-5 pour l’Axiome III et pour la Définition V introduisant l’équilibre de forces.
  • [109]
    Pour une analyse plus détaillée de ce choc chez Varignon, voir Christophe Schmit, Sur l’origine du « principe général » de Jean Le Rond D’Alembert, Annals of science, 70/4 (2013), 493-530.
  • [110]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Recherches Physico-Mathematiques sur la Reflexion des Corps, in Histoire de l’Academie Royale des Sciences. Année MDCCXXII. Avec les Memoires de Mathematiques & de Phisique, pour la même Année. Tirés des Registres de cette Academie (Paris : Imprimerie royale, 1724), 8.
  • [111]
    Ibid., 9.
  • [112]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 110, 10.
  • [113]
    Joseph Privat de Molières, Leçons de Phisique, 4 vol. (Paris : chez la Vve Brocas, Musier, et Joseph Bullot, 1734-1739), vol. I, 60-64 et 64-76. Privat de Molières ne mentionne pas Varignon.
  • [114]
    Thomas Le Seur et François Jacquier, Philosophiæ Naturalis Principia Mathematica. Auctore Isaaco Newtono. Perpetuis Commentariis illustrata, 3 vol. (Genève : Jacques Barillot et fils, 1739-1742), vol. I, n. 51, 31. Les auteurs évoquent explicitement la mécanique de Varignon (ibid., voir leur note 49, page 30). Ils donnent aussi un petit précis de statique basée sur des compositions et résolutions de forces, soit sur les méthodes de Varignon développées dans sa statique de 1725 (ibid., voir leurs notes 41-44, pages 26-27) en invitant à consulter Willem Jacob’s Gravesande (ibid., note 44, page 27). Ce dernier, dans ses Physices elementa mathematica, experimentatis confirmata. Sive introductio ad philosophiam newtonianam, 2nde éd., 2 vol. (Leyde : Petrum Vander, 1725), vol. I, 49-50, se réfère à la statique de Varignon.
  • [115]
    Trabaud, op. cit. in n. 40, 68-69. Celui-ci cite de nombreuses fois la « nouvelle Mécanique » de Varignon, dans laquelle ce dernier « déduit les proprietez de toutes les machines simples ou élémentaires, en leur appliquant immédiatement le principe des mouvemens composés » (ibid., 324).
  • [116]
    Pour une définition du mot, voir D’Alembert, art. cit. in n. 11. Rappelons que d’après cette définition, la « percussion » fait partie de la dynamique et que le choc se voit alors traité comme une liaison mécanique.
  • [117]
    Jean Le Rond D’Alembert, article « Equilibre », in Encyclopédie, op. cit. in n. 11, 873a. Sur la mécanique de D’Alembert et ses principes fondamentaux, voir Alain Firode, La Dynamique de D’Alembert (Montréal : Bellarmin – Paris : Joseph Vrin, 2001).
  • [118]
    D’Alembert, op. cit. in n. 92, xiij-xiv.
  • [119]
    Sur cette thèse, voir Schmit, art. cit. in n. 109.
  • [120]
    Comme en attestent de nombreux articles de l’Encyclopédie rédigés par D’Alembert. Sur ce point, voir Christophe Schmit, Les articles de mécanique de l’Encyclopédie, ou D’Alembert lecteur de Varignon, Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 46 (2011), 169-199.
  • [121]
    Alors jeune académicien, D’Alembert écrit « Du mouvement d’un corps qui s’enfonce dans un fluide ou essai d’une nouvelle theorie de la Refraction des corps solides », texte lu les 12, 15, 19, 22, 26, 29 juillet et 2 août 1741, et figurant dans les « Procès-verbaux de l’Académie Royale des Sciences », t. LX, 369-404. Dès la première page, D’Alembert estime, concernant les différentes théories relatives à la réfraction, « que nous avons la-dessus d’excellents morceaux, entre autres deux Mémoires de Mr de Mairan, imprimés parmi ceux de l’Académie en 1722 & 1723 ».

Introduction

1Plusieurs citations invitent à inscrire la pensée de Jean-Jacques Dortous de Mairan dans le droit fil d’une philosophie mécanique d’inspiration cartésienne. Ainsi, il écrit qu’« on ne […] trouve [à la matière] rien d’essentiel que l’étenduë ; car elle peut passer par tous les états, & par toutes les modifications imaginables, & les perdre toutes successivement ; mais elle ne sçauroit cesser d’être étenduë sans cesser d’être matiere [1] ». Par ailleurs, selon Mairan, une explication physique ne doit pas s’écarter des « idées claires de l’étenduë, de la figure & du mouvement [2] » et, au demeurant, une telle explication résulte nécessairement du mécanisme [3]. Enfin, la passivité de la matière implique que toute modification d’un état requiert une cause extérieure [4] ; il faut donc un agent extrinsèque aux corps – une matière subtile ou « principe actif & invisible [5] » – afin d’expliquer les changements dans ce monde [6].

2Malgré tout, en analysant les positions de Mairan dans le débat opposant « newtoniens » et « cartésiens » concernant la forme de la Terre et la gravitation universelle, et la méthode scientifique qu’il développe, Ellen McNiven Hine montre aussi l’importance des idées d’Isaac Newton chez ce savant ; elle forge alors le néologisme « cartonian » devant rendre compte des influences que René Descartes et Newton exercent sur son œuvre [7]. McNiven Hine note que le « label cartésien » accolé à Mairan lui convient en effet, car il accepte la « cosmologie cartésienne », et qu’en outre il était considéré comme « cartésien » au xviiie siècle et qu’il le demeure de nos jours aux yeux d’historiens, « principally because of his reluctance to abandon the plenum and the vortices as a mechanical model » [8]. McNiven Hine en conclut que, « undeniably, Mairan was Cartesian by training and inclination. His insistence on a mechanical model to explain phenomena and his reluctance to accept the idea of action at a distance could be said to justify his reputation as a Cartesian[9] ». La présente étude ne vise pas à définir ce que pourrait être un « cartésien » – ni même un « newtonien ». Le sens adopté par McNiven Hine pour la première appellation – finalement, un cartésien recourt aux tourbillons et réfute le vide – fait que ce qualificatif semble pouvoir convenir à de nombreux auteurs dont les travaux relèvent d’une philosophie mécanique, bien que leurs visions sur les fondements de cette philosophie ne s’accordent pas nécessairement, ne serait-ce que, par exemple, à propos de leurs conceptions de la matière [10]. Ainsi entendu, ce terme « cartésien » ne rend alors qu’insuffisamment compte du mécanisme adopté par Mairan, et la première partie de cette étude, en examinant sa conception de l’inertie et quelques aspects de son système du monde, entend soutenir que ce savant est redevable à Nicolas Malebranche.

3La seconde partie s’attache à deux mémoires de Mairan présentés à l’Académie royale des sciences portant respectivement sur la mesure de la force d’un corps en mouvement et sur la réfraction. Plus précisément, de cette dernière étude, nous ne gardons ici qu’un exemple, celui du choc oblique d’un corps sur une surface dure, en détaillant la méthode utilisée par le savant afin de déterminer le mouvement final du mobile. Cette partie vise à montrer comment peuvent s’articuler, chez Mairan, les influences de Descartes et Newton sur cette question de la mesure des forces, puis comment ce choc oblique se voit analysé par le biais d’un équilibre, pratique figurant, comme nous le verrons, chez Pierre Varignon, et inaugurant des méthodes développées par Jean Le Rond D’Alembert dans son Traité de dynamique de 1743. Le premier mémoire a donc pour objet la dynamique entendue comme science des forces, et le second constitue une étape vers un autre type de dynamique, notamment celle développée par D’Alembert, à savoir une mécanique des systèmes à liaisons [11].

4Ces différentes analyses justifient le pluriel du mot « dynamiques » dans notre titre. Les réflexions de Mairan sur l’inertie relèvent en partie d’une critique de la dynamique newtonienne déterminée par la lecture de Malebranche [12]. Mais des éléments de cette mécanique newtonienne apparaissent dans le mémoire sur la mesure de la force et se voient associés à la thèse cartésienne selon laquelle seule la persistance d’un mouvement donne son origine à l’action d’un corps sur un autre. Par ailleurs, si Mairan reprend à son compte le système des petits tourbillons de Malebranche, lesquels composent la matière subtile, il garde ses distances vis-à-vis du maître dans son explication de la cohésion des corps par la pression de ce fluide. Enfin, en traitant le choc oblique par le biais d’un équilibre, Mairan participe d’une pratique rencontrée chez de nombreux auteurs entre 1720 et 1730, et que fera sienne D’Alembert en 1743, ouvrant la voie vers un autre type de dynamique.

Inertie et matière

Le système de Malebranche

5Le système proposé par Mairan, notamment dans sa Dissertation sur la glace, s’inspire de celui de Malebranche, plus précisément de son testament scientifique, l’Eclaircissement XVI de De la recherche de la vérité publié en 1712 [13]. Cet Eclaircissement donne une théorie de la lumière, du feu, de la cohésion des corps, de la pesanteur et de la gravitation. Apparaissent ici les petits tourbillons de matière remplaçant les corpuscules durs du second élément de Descartes [14]. L’explication malebranchienne d’un phénomène physique repose sur trois étapes. Tout d’abord, un équilibre global régit le système du monde par le biais d’oppositions mutuelles de forces centrifuges générées par la révolution et/ou rotation de la matière subtile autour d’un centre : équilibre macroscopique entre de grands tourbillons de matière subtile ayant pour centres le Soleil, les étoiles et les planètes [15] ; équilibre microscopique des petits tourbillons entre eux, dont l’ensemble constitue la matière subtile dénommée aussi éther [16]. Puis, au sein des petits tourbillons, un tel équilibre peut se rompre suite à la présence d’un corps hétérogène à l’éther, ou d’une modification locale de la vitesse de rotation des petits tourbillons de l’éther. Ceci devient l’amorce de l’explication d’un phénomène physique par l’action de la matière subtile qui presse ce corps et le fait mouvoir en suivant la « Loy generale […] que tout corps soit mû du côté vers lequel il est moins pressé », ou encore que « tout corps moins pressé d’un côté que d’un autre, se meut jusqu’à ce qu’il le soit également de tous côtez » [17]. Enfin, le phénomène se termine par un retour à l’équilibre des petits tourbillons [18]. Un tel processus est à l’œuvre chez Mairan lorsqu’il explique le gel d’un liquide dans sa Dissertation sur la glace. En effet, d’après lui, dans un premier temps, les particules composant ce liquide se voient entourées par la matière subtile qui est en équilibre avec celle présente à l’extérieur du liquide. En supposant que le milieu extérieur se refroidisse, c’est-à-dire que la mobilité de sa matière subtile diminue et donc que ses petits tourbillons tournent moins rapidement, alors leurs forces centrifuges décroissent ; « par consequent elle [la matière subtile] ne sçauroit se trouver en équilibre avec celle qui est dans le liquide & qui communique avec elle par une infinité d’issuës & de pores ». Moins comprimée par l’éther à l’extérieur, « elle doit s’échapper du côté où elle trouve moins de résistance, c’est-à-dire […] hors du liquide », et cette « effusion » se poursuit, précise Mairan, afin que « le nombre, la tension & la vitesse » des tourbillons de matière subtile au sein du liquide soient diminués au point nécessaire pour « demeurer en équilibre » avec ceux présents à l’extérieur. Un tel processus conduit à une solidification, car ce départ des tourbillons fait se rapprocher les particules solides du fluide qui deviennent moins mobiles et adhèrent entre elles [19]. Dans cette explication, Mairan recourt aux petits tourbillons de Malebranche, à leur équilibre global, à une rupture d’équilibre pour expliquer un phénomène physique par le biais de la « Loy générale » de Malebranche qu’il nomme pour sa part « loy invariable » [20]. Comme chez Malebranche, la cohésion de la matière résulte aussi de la compression qu’exercent sur sa surface les petits tourbillons. Mairan estime « insoûtenable » l’existence des « globules durs & inflexibles », autrement dit des corpuscules du second élément de Descartes ; plus généralement, Mairan réfute les explications de la cohésion des parties constitutives d’un corps qui ne feraient pas appel à la pression d’un fluide extérieur [21]. Il se rallie alors à la réorganisation du système cartésien prônée par Malebranche, qualifié d’« un des plus grands Genies de ce Siecle [22] ».

6Réorganisation, car selon Malebranche,

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« ce qui gâte le plus la Physique de M. Descartes est ce faux principe que le repos a de la force ; car de là il a tiré des regles du mouvement qui sont fausses : de là il a conclu que les boules de son second élément étoient dures par elles-mêmes ; d’où il a tiré de fausses raisons de la transmission de la lumiere & de la variété des couleurs, de la génération du feu, & donné des raisons fort imparfaites de la pesanteur [23] ».

8Ce principe cartésien dérive d’une loi de persistance posant une équivalence entre repos et mouvement : chaque état se conserve et une force caractérise sa résistance au changement [24] ; de cette loi fondamentale dérive l’explication de tous les phénomènes du monde [25]. Malebranche réfute l’existence d’une telle force pour le repos estimant, d’une part, que la matière ne renferme aucune force et, d’autre part, que Dieu n’agit pas identiquement pour chaque état. Ainsi, Dieu veut par une volonté positive le mouvement, tandis que le repos n’est que la cessation de celle-ci, il est une privation [26], et se voyant assimilé à un néant il ne saurait avoir de propriété [27]. Alan Gabbey a établi l’importance des forces associées au repos et au mouvement chez Descartes dans la genèse du principe d’inertie newtonien [28]. A contrario, ce refus par Malebranche de la force de repos n’est pas sans conséquence : il n’y a tout simplement pas de conceptualisation de la force d’inertie dans sa mécanique comme en attestent, notamment, ses tentatives pour établir les règles des chocs inélastiques et élastiques : pour ces dernières, un mobile heurtant un corps au repos n’entraîne pas de compression sous prétexte que le repos n’a pas de force [29].

Mairan et l’inertie

9Pour sa part, Mairan n’entend pas l’inertie comme une propriété de la matière, et il y a ici un rapprochement à faire entre ses réflexions au sujet de l’inertie et celles qu’il mène à propos de la gravitation newtonienne. Même si dans certaines lettres il fait dire à Newton que la gravité est une propriété de la matière [30], il reconnaît aussi la loi de gravitation comme une vérité de fait incontestable [31] et remarque que Newton la considère avant tout comme une loi mathématique [32]. Pour autant, aux yeux de Mairan, une telle loi rend compte d’un effet que le mécanisme doit expliquer. Ainsi, tout en accordant une « attraction de fait », il réfute « une attraction de droit » et écrit dans une lettre à Gabriel Cramer : « J’ignore le détail des agents mécaniques qui se cachent sous les apparences de l’attraction, mais je ne les y crois pas moins [33]. » Dans son traité sur l’aurore boréale, il remarque que la gravitation n’est pas une « qualité essentielle » mais un « effet » qui résulte « d’une construction primitive du monde » dans laquelle un corps céleste est « poussé par une Force ou un fluide invisible quelconque » [34]. Aussi réalise-t-il le tour de force dans la Préface de sa Dissertation sur la glace de faire de Newton un quasi-disciple de Malebranche, le savant anglais n’ayant finalement pu qu’adopter les petits tourbillons [35]. Enfin, selon Mairan, d’après son éloge de l’académicien Joseph Privat de Molières, en supposant que Descartes revienne au monde, ce dernier adopterait les

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« ingénieuses recherches [de Newton] sur la lumière & les couleurs, & même ses attractions, en tant qu’elles se manifestent dans leurs effets, & qu’elles nous cachent un méchanisme trop subtil ou trop compliqué dans leur cause ; car enfin, diroit-il, le Méchanisme est certainement par-tout où nous le voyons, mais nous ne sçaurions affirmer sans beaucoup de témérité, qu’il n’est pas là où nous n’avons pû encore le démêler [36] ».

11Le « mécanisme caché » renvoie donc à une matière extrinsèque au corps et, pour la gravitation, au système des grands et petits tourbillons.

12L’inertie ne pose pas les difficultés de lecture et d’interprétation prêtées à la gravitation : Newton en fait clairement une propriété de la matière [37]. Dans l’édition de 1749 de la Dissertation sur la glace, Mairan écrit

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« que tout corps […] imaginé sur un plan horizontal infiniment poli, exige d’autant plus de force pour être mû avec une certaine vîtesse qu’il a plus de masse. C’est ce qu’on appelle force d’inertie, qu’elle qu’en soit la cause dont nous n’avons point à nous embarrasser ici, non plus que celle de la pesanteur [38] ».

14Malgré tout, comme pour la loi de gravitation, il semble envisageable qu’on puisse en trouver la cause. En effet, dans un mémoire de 1728 sur la mesure de la force d’un corps en mouvement, après avoir noté que « toute tendance, toute sollicitation » au mouvement telles que la pesanteur, les attractions magnétiques, etc. est « l’effet de quelque mouvement », il feint de demander si l’inertie « ne peut […] pas à la rigueur être conçûe comme l’effet de quelque mouvement […]. Du moins & incontestablement doit-elle être conçûe comme une force actuelle, qui agit par quelque méchanisme qui nous est caché [39] ». Se retrouve ici cette idée du « mécanisme caché » susceptible de rendre raison de cette résistance étant donné que la matière ne renferme aucune force.

15Remarquons que, de manière générale, l’opposition à une mise en mouvement d’un corps pourrait être conçue de trois manières : 1o elle relève d’une propriété de la matière, des forces internes rendant compte de cette résistance ; 2o ou encore, sans être une propriété, la résistance peut faire l’objet d’une loi assimilable à la loi d’inertie où repos et mouvement ont même valeur ontologique, Dieu agissant identiquement pour chacun de ces états en leur conférant une même capacité à se conserver [40] ; 3o enfin, puisque toutes les actions de ce monde résultent du seul mouvement, et en particulier celui de la matière subtile, et que la matière au repos ne saurait renfermer aucune force, la résistance à une mise en mouvement d’un corps ne peut que procéder d’un autre mouvement : elle provient ainsi d’un « mécanisme » à savoir, pour Malebranche, de l’action de la matière subtile et de l’air [41]. Ainsi, dans un prix remporté à l’Académie des sciences en 1720 et qui se voit réédité et augmenté dans son Essay de 1728, Jean-Pierre de Crousaz s’appuie sur les thèses de Malebranche pour critiquer la force d’inertie newtonienne ; il n’attribue alors une possibilité d’action qu’au seul mouvement et non au repos et, en conséquence, la résistance à une mise en mouvement résulte de la mobilité du milieu extrinsèque au corps [42]. Or, il semble bien que Mairan adhère à cette dernière manière de rendre compte d’une résistance sous peine de ne pas comprendre son recours à un « mécanisme caché » ; bien que ténues, quelques preuves d’une adhésion explicite de Mairan aux thèses de Malebranche permettent de soutenir une telle thèse. D’une part, le fait que Mairan conçoive le repos comme la négation du mouvement : le repos n’a pas de cause, il se voit qualifié de « cause déficiente » et ne consiste que dans la cessation du mouvement [43]. D’autre part, Mairan précise qu’en raisonnant sur « des notions claires & distinctes, on ne conçoit pas que les corps puissent avoir d’autre force ni d’autre action que celle qu’ils tirent de leur mouvement [44] » ; ce passage, extrait de la Dissertation sur la glace, tout comme celui qui le suit immédiatement portant sur l’origine de la cohésion des corps [45], invite le lecteur à consulter l’Eclaircissement XVI et le livre VI, partie II de la Recherche de la vérité, là où justement Malebranche argumente contre la force de repos de Descartes (voir supra). L’inertie ne résulterait donc pas de forces inhérentes à la matière ou d’une loi divine s’exerçant identiquement pour le repos et le mouvement, mais du mouvement d’un fluide environnant le corps ainsi que de l’air, d’après un mémoire de 1723 [46]. Comme la gravité, l’inertie doit s’expliquer et il faut alors reconnaître une dissymétrie entre le mouvement et le repos à l’instar de ce qui se rencontre chez Malebranche.

Cohésion et atomisme

16Il faut au préalable remarquer que toute explication de la cohésion ou dureté de la matière s’appuyant sur la pression d’un fluide subtil, et donc en particulier l’explication donnée par Malebranche, relève d’une pétition de principe : une telle pression suppose une consistance sur quoi agir, ce qui revient justement à se donner ce qu’il faut établir [47]. Pour sa part, Mairan se montre en partie conscient de cette difficulté et, tout en attribuant la cohésion à la pression des petits tourbillons [48], il estime la question « métaphysique dès qu’on veut la pousser jusqu’à ses derniers termes ». En effet, si l’explication par un fluide se conçoit, se pose inévitablement la question de l’union des parties mêmes de ce fluide – faut-il recourir, demande Mairan, à un autre fluide pour expliquer la cohésion des parties du premier ? Par ailleurs, « qui dit matière, dit parties, dont l’idée ne renferme celle d’aucun lien, à moins que ce lien ne soit composé lui-même d’autres parties qui ont le leur, & ainsi de suite à l’infini [49] ». L’hypothèse de l’action du fluide subtil ou bien celle d’un lien unissant les parties ultimes de la matière se voient renvoyées dos à dos car confrontées au vertige de l’infini.

17Face à la question de la divisibilité infinie ou non de la matière, Mairan s’en tient à un degré de division suffisant de telle sorte que la taille attribuée aux corpuscules permette d’expliquer des phénomènes physiques [50]. Une telle position se rencontre déjà chez Jacques Rohault lorsqu’il écrit qu’

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« une science d’usage doit bien tost descendre dans le particulier. A quoy bon, par exemple, ces longues & subtiles disputes touchant la divisibilité de la Matiere ? Car quand bien mesme on ne pourroit pas décider nettement, si elle se peut, ou non, diviser à l’infiny, ne suffit-il pas de connoître qu’elle se peut diviser en des parties assez petites, pour servir à tous les besoins qu’on en peut avoir [51] ».

19Mairan insiste sur le fait que « la Physique proprement dite, & l’Infini renferment des idées contradictoires » et, à l’instar de Rohault, juge « métaphysiques » certaines « questions abstraites », telles que celles touchant au vide ou au plein, à la cohésion, à l’origine du mouvement, autant de sujets qu’on ne saurait « approfondir » sans recourir au Créateur [52]. Le physicien « qui ne veut point passer les bornes qui lui sont prescrites en tant que tel » doit alors s’en tenir à certaines données [53] et, en l’occurrence, se résoudre à admettre la cohésion des parties des corps par l’action d’un fluide, sans « entrer dans aucun détail sur la cause de la dureté ou de la cohésion primitive des parties des corps [54] ». Cette prise de position témoigne d’une certaine difficulté que rencontre la philosophie mécanique dans sa définition de la constitution ultime de la matière. Il convient de remarquer que les propos de Rohault rapportés ci-dessus figurent aussi chez l’atomiste Géraud de Cordemoy [55] et, au fond, l’usage par Mairan de corpuscules figurés, les « parties intégrantes » de figures « longues » de l’eau [56] ou « grosses », « rameuses », « polies » d’autres liquides [57] ou encore « dures », « compactes [58] » et « crochuës [59] », les corpuscules pointus des sels [60] de « figures coniques ou pyramidales » et durs [61], les « petites lames spirales » ou « rameaux » de l’air [62], comme le recours à un « principe actif » sous forme de « globules » pour expliquer la nature de la lumière [63] n’est pas sans évoquer un certain atomisme [64].

Forces et équilibre

20L’examen d’un mémoire de 1728 de Mairan relatif à la mesure de la force d’un corps en mouvement puis celui d’un autre où figure l’analyse d’une collision oblique sur une surface dure constituent les deux sections de la présente partie. Il s’agit d’évoquer la contribution de Mairan à la dynamique, entendue comme science des forces mais aussi comme mécanique des systèmes à liaisons.

Force d’un corps en mouvement : Le mémoire de 1728

21Notre propos n’entend pas, ici, donner une histoire de la querelle dite des forces vives, autrement dit, de la mesure de la force d’un corps en mouvement, pour les uns proportionnelle à la vitesse du mobile, pour les autres (les partisans des forces vives) au carré de celle-ci. Il s’agit plus modestement de dessiner les contours de ce que Mairan entend par la force d’un corps en mouvement à l’aune de son mémoire de 1728, qui constitue une pièce essentielle de ladite querelle [65]. Au préalable, remarquons qu’énoncer, comme le fait Mairan, qu’un mobile possède une force ou qu’un mouvement requiert une cause ne signifie pas qu’il réintroduit des thèses de type aristotélicien [66]. Assimiler force et mouvement (et non restreindre l’appellation « force » à une variation de mouvement) revient à reconduire la force rencontrée chez Descartes, ou plus précisément à signifier qu’il n’existe pas d’autre action d’un mobile sur un autre que celle qui provient de la persistance de ce corps dans son état [67]. Pour autant, comme le montre Gabbey à l’aide de l’analyse des règles 4 et 5 du choc de Descartes figurant dans ses Principes de la philosophie, règles où un mobile vient heurter un corps au repos, assimiler force et mouvement ne signifie pas que chez ce philosophe une force – en l’occurrence, la force du corps au repos – ne soit pas susceptible de se mesurer par une variation de mouvement [68] : évoquer la force du mouvement ne revient pas à se priver de la variation d’un mouvement comme susceptible de mesurer une action (autrement dit une force) à l’origine de la naissance d’un tel mouvement. Gabbey établit ce que Newton doit à cette force cartésienne associée au seul mouvement et à sa variation dans son élaboration du concept de vis inerti : cette dernière s’entend à la fois comme s’opposant à la vis impressa (dont la mesure correspond à une impulsion) ou comme capacité à maintenir un état inertiel [69]. Aussi, si Dortous de Mairan évoque « la force d’un corps en mouvement », comme nous le constaterons, il existe aussi dans ce mémoire de 1728 des éléments dynamiques, notamment l’usage explicite de la loi d’égalité entre l’action et la réaction qui, dans une collision, conduit à une égalité « d’efforts […] communiqués […] par un échange réciproque [70] », « efforts » renvoyant à une égalité d’impulsions. Un tel « effort » se nomme aussi « force motrice », et nous notons un renvoi dans son mémoire à la partie « Histoire » du volume de l’Histoire de l’Académie Royale des Sciences de l’année 1721 [71] où Bernard Le Bovier de Fontenelle définit une telle force par la quantité de mouvement « imprimée [72] ». De la même manière, remarquons que dans un ouvrage de 1725, Varignon adopte une terminologie et une mesure identiques [73]. Varignon fonde sa quantification de la force sur un « axiome », le premier de son ouvrage, qui stipule la proportionnalité des effets à leurs causes [74]. Cette proportionnalité de la « force productrice » à son effet trouve une illustration à travers l’exemple du choc de corps durs où la « force ou puissance motrice » de « l’Agent » – cet « Agent » correspond à un corps en mouvement – s’identifie au mouvement « imprimé », « communiqué » ou « reçu » à / par un autre corps ; une telle force, dont l’effet correspond à une impulsion, ne diffère pas de la « force motrice » ou « force imprimée » rencontrée chez Newton [75]. Ce contexte académique permet ainsi de se faire une idée sur ce qu’il convient d’entendre par « force motrice ». Par ailleurs, remarquons que Mairan utilise cet « axiome » de proportionnalité dans son mémoire et qu’il fait partie des examinateurs nommés par l’Académie, chargés d’établir un rapport en vue de la publication de ce livre posthume de Varignon [76].

22Entendant établir que la force d’un corps en mouvement se mesure par sa quantité de mouvement, ce mémoire examine la force pour le mouvement uniforme, et ainsi lors du choc de corps durs (A), et pour le mouvement uniformément varié, et par conséquent pour des collisions élastiques (B). Ces deux analyses s’appuient systématiquement sur la proportionnalité des effets à leurs causes [77]. Puisque, selon Mairan, le mouvement implique une cause, à savoir une force [78], il faut s’entendre sur la manière dont se mesurent les effets pour ces deux types de mouvement.

23(A) Pour les mouvements uniformes, Mairan s’en tient à ce qu’il estime être l’évidence de la mesure en soulignant que comparer deux forces, c’est comparer deux espaces parcourus lors d’une même durée, soit deux vitesses [79]. Mairan propose aussi une mesure de la force qui tiendrait compte de la durée Δt de son exercice, soit une quantité mesurable par le produit du type mvΔt, m représentant la masse du corps et v sa vitesse. Il souligne cependant que la force reste la même pendant ce Δt et qu’évoquer la force d’un corps doit s’entendre pour un temps quelconque indépendamment de la durée de l’exercice de cette force [80]. La comparaison de deux forces se fait alors sur une durée commune indépendante de la durée pendant laquelle elles agissent [81] : une pratique que Marain adopte aussi pour les mouvements accélérés ou décélérés. Enfin, il conclut que « le choc des corps infiniment durs & inflexibles n’apporte aucun changement à l’évaluation des forces motrices que fournit le mouvement uniforme », parce que « ce choc, & la communication de mouvement qui en resulte, sont instantanées, & par-là ne détruisent point, ou ne suspendent pas même l’uniformité du mouvement » [82].

24(B) Pour les mouvements accélérés ou décélérés, Mairan part de l’hypothèse que nul choc ne se fait dans l’instant et que la communication du mouvement ne consiste que dans une production et une perte réciproques et successives de forces [83]. Il reprend ainsi à son compte des thèses notamment défendues par Jean Bernoulli en 1724 et 1726, inspirées par Gottfried Wilhelm Leibniz, à savoir que la nature n’opère pas par saut, et que toutes ses actions respectent une « loy de continuité [84] ». Mairan convient aussi des résultats expérimentaux favorables à la thèse d’une mesure de la force proportionnelle au carré de la vitesse du mobile [85]. Pour autant, et sa réfutation des forces vives repose sur cet argument, si, en effet, une masse avec une vitesse 2 s’élève quatre fois plus haut que la hauteur qu’elle atteindrait avec une vitesse 1 (en vertu de la loi de chute libre donnant la proportionnalité entre la hauteur de chute et le carré de la vitesse), et qu’ainsi la mesure de sa force semble correspondre au carré de sa vitesse initiale, malgré tout Mairan estime qu’il faut aussi prendre en compte ce qu’il nomme le « grand principe », à savoir qu’une telle comparaison des élévations des mobiles requiert une commune mesure, soit des temps égaux [86]. En effet, Mairan soutient que sur une durée égale, l’effet du corps ayant une vitesse double d’un autre n’est qu’un espace double franchi, et cet effet étant proportionnel à sa cause, la force est comme la vitesse [87]. Il justifie cela en procédant à une « réduction » du mouvement accéléré en mouvement uniforme, à savoir en usant de cette proposition classique qu’un mobile lancé avec une vitesse v monte jusqu’à une hauteur h qui correspond à la distance qu’il parcourrait par un mouvement uniforme de vitesse v/2 pendant une durée égale à celle de l’ascension du corps, cette durée correspondant à celle de l’épuisement du mouvement ascensionnel [88]. Ainsi, un corps de vitesse 1 montant verticalement et parcourant en 1 seconde une distance de 1 toise franchirait uniformément 2 toises en 1 seconde ; ce même corps, par un mouvement décéléré, s’élève de 4 toises avec une vitesse 2 en 2 secondes, soit 8 toises en 2 secondes avec un mouvement uniforme, ou encore 4 toises en 1 seconde. Dès lors, en 1 seconde, le mobile parcourt uniformément 2 toises avec « 1 dégré de vîtesse » et 4 toises avec « 2 degrés » de vitesse. L’effet de la « force motrice » est une distance parcourue et le rapport des distances est ici comme celui des vitesses initiales donc, conclut Mairan, les forces sont comme ces vitesses [89].

25Dans cette « réduction » aux mouvements uniformes afin de comparer des forces, Mairan ne tient pas compte du fait que le mouvement ascensionnel cesse au bout d’un certain temps : il « réduit », mais pour une durée quelconque – ici, 1 seconde –, et comparer des forces revient alors pour lui systématiquement à remplacer les mouvements accélérés qu’elles produisent par la moitié des vitesses initiales des mobiles. Là où les partisans des forces vives considèrent l’équivalence entre les « causes pleines » et les « effets entiers », soit les causes en tant qu’elles s’épuisent à produire leurs effets [90], Mairan introduit un temps pour comparer des effets, qui ne correspond pas à la durée de l’exercice d’une force : le temps que Mairan utilise (les intervalles de durée d’une seconde) apparaît comme une commune mesure nécessaire à sa comparaison des mouvements, mais pas comme celui entrant dans la mesure même du mouvement d’un corps (le temps au bout duquel un corps lancé vers le haut commence à redescendre). Ainsi, il précise que cette réduction « ne peut rien changer à la quantité de force qui réside dans le corps à l’instant où il va se mouvoir, quel que doive être ce mouvement », et qu’introduire des obstacles à l’uniformité, telle que la pesanteur, « est tout à fait étranger à la force que l’on cherche à connoître, & ne sçauroit par conséquent rien ôter ni ajoûter à la mesure de sa quantité considérée en elle-même » [91] ; la force du corps en mouvement ne se mesure donc pas par la résistance que les obstacles lui opposent. A contrario, D’Alembert écrit en 1743 que la « force des Corps en Mouvement » est leur « propriété […] de vaincre les obstacles qu’ils rencontrent, ou de leur résister », et qu’ainsi « ce n’est donc ni par l’espace qu’un Corps parcourt uniformément, ni par le temps qu’il employe à le parcourir […] c’est uniquement par les obstacles qu’un Corps rencontre, & par la résistance que lui font ces obstacles » [92]. Pour Mairan, de manière générale, le mouvement en lui-même s’avère essentiellement uniforme et seule la tendance à poursuivre cette uniformité importe. Finalement, le temps n’intervient pas, et ce n’est pas tant la variation de mouvement du corps causée par un obstacle qui compte dans la mesure d’une force que ce qu’aurait dû faire ce corps sans un tel obstacle [93].

26À l’issue de ce raisonnement, Mairan feint de s’interroger en demandant si cette force ne serait pas proportionnelle aux effets qu’elle peut produire durant tout le temps de son action, c’est-à-dire de l’épuisement du mouvement et, au fond, s’il ne faudrait pas tenir compte de la durée totale de ce mouvement comme le suggèrent les partisans des forces vives [94]. Ainsi, d’une part, une force agirait en raison de la vitesse et, d’autre part, elle se « déploie[rait] » pendant une durée en raison de cette même vitesse car, pour le mouvement naturellement accéléré, la vitesse de chute libre est proportionnelle au temps. Il s’ensuivrait un « effet total » proportionnel au carré de la vitesse [95]. Contre ce raisonnement, Mairan estime que la plus grande durée d’un mouvement résulte de la vitesse initiale parce qu’un corps lancé verticalement avec le double de vitesse d’un autre « agit » ou « séjourne » contre un obstacle deux fois moins de temps que celui-ci et, par conséquent, perd au cours d’un même laps de temps deux fois moins de force, soit de vitesse ; la pesanteur joue le rôle, aux yeux de Mairan, de cet obstacle qui empêche le mouvement d’être uniforme [96]. Ainsi,

27

« une force qui résulte d’une plus grande vîtesse, doit s’éteindre d’autant plus tard que la vîtesse est plus grande. Il est donc de la nature d’une force quelconque d’agir à chaque instant en raison de la vîtesse qui la produit, & d’agir d’autant plus d’instans en raison de cette même vîtesse ; ce qui doit produire, dans la durée de son action, des impressions, ou des espaces parcourus en raison du quarré de la vîtesse, quoique la force ne soit réellement qu’en raison de la simple vîtesse [97] ».

28Autrement dit, dans la quantification de la force, la durée fait figure de grandeur superflue ou, du moins, apparaît comme redondante dès lors que la vitesse se voit déjà prise en compte. En effet, aux yeux de Mairan, mesurer la force par le carré de la vitesse revient à prendre deux fois l’effet pour une même cause :

29

« La plus longue durée [d’un mouvement] sera, si l’on veut, une indication d’une plus grande vîtesse, mais non pas un second principe de valeur, qui doive multiplier la valeur qu’indique déjà la vîtesse, ou les espaces parcourus appliqués aux temps. Ce seroit faire une espece de double emploi très-vicieux, mesurer une force par les effets [les vitesses], & par les effets de ses effets [les temps de parcours] [98]. »

30Pour conclure sur ce mémoire, les mouvements variés se ramènent au mouvement uniforme, celui pour lequel la mesure est évidente ; dans l’instant, cette uniformité correspond à une tendance, à savoir le mouvement que suivrait le corps sans empêchement. La prise en compte d’une durée, même revendiquée, ne change rien à l’affaire et elle ne participe pas à la définition du concept. Là où les partisans des forces vives s’attachent à l’épuisement d’un mouvement pour mesurer la force du corps en mouvement, Mairan définit cette force dans l’instant et systématiquement réduit ses analyses à ce cas-là. Cette primauté accordée à l’uniformité tient probablement au caractère essentiel que revêt le mouvement uniforme pour la philosophie mécanique : chez Descartes, comme précédemment souligné, la persistance de l’état de mouvement permet de fonder une action et de penser, à travers les chocs de la matière subtile, le système du monde [99]. Ainsi, ce n’est pas une variation de mouvement qui mesure ce que Mairan conçoit être la force du corps puisqu’il définit celle-ci indépendamment d’un obstacle et comme une tendance à l’uniformité. Malgré tout, l’usage qu’il fait d’une loi d’égalité entre l’action et la réaction, et celui de l’axiome de proportionnalité cause-effet renvoient à une plus grande maturité conceptuelle suggérant une lecture de Newton et / ou de Varignon. Notons que le disciple de Newton, Colin MacLaurin, partisan de la thèse selon laquelle « les forces des Corps sont comme les produits de leurs masses multipliées par leurs vîtesses », attribue une force à un corps en mouvement rectiligne uniforme dans le prix que lui décerne l’Académie royale des sciences en 1724, mais écrit aussi que le « changement de force » d’un mouvement est égal à la « force imprimée » [100]. Pour sa part, Varignon, comme remarqué plus haut, définit la « force motrice d’un corps », soit son mouvement, par ce qu’en « reçoit » ce corps de l’autre qui le choque [101]. Dans les deux cas, le mot « force » peut s’utiliser pour le seul mouvement mais aussi pour sa variation : au fond, la force correspond à l’impulsion qu’il faut opposer à un mobile pour le mettre au repos ou à celle à fournir pour le mettre en mouvement et, par conséquent, la force de ce mobile se quantifie par sa quantité de mouvement, autrement dit par son mouvement. Ces évocations contextuelles témoignent ainsi que pour bien d’autres auteurs, le mot « force » peut aussi être accolé à un simple mouvement inertiel, ce qui ne signifie pas que MacLaurin ou Varignon n’associent pas pour autant le concept à une accélération ou à une impulsion. Aussi, bien que Mairan ne développe pas une axiomatique aussi claire que les deux auteurs précédents, des éléments de son texte méritent d’être rapprochés de telles conceptions.

Équilibre et dynamique

31Dans son livre de statique de 1725, pour lequel Mairan est chargé par l’Académie d’établir un rapport en vue de publication, Varignon fonde cette science sur le principe du parallélogramme des forces : un équilibre provient d’une force s’opposant à la résultante d’un système d’autres forces [102]. Par cette méthode, il retrouve ainsi les expressions classiques des conditions d’équilibre sur les machines simples et ce livre est perçu au xviiie siècle, selon le témoignage de D’Alembert, comme « l’ouvrage le plus étendu que nous ayons sur la statique[103] ». Varignon donne dans son opus un exemple de collision oblique inélastique d’un mobile sur une surface qu’il étudie par le biais d’un équilibre. Il suppose un corps dur A « poussé par une seule force ou puissance E suivant ED, oblique à un plan dur & immobile GH [104] » (fig. 1). Ce mobile est « poussé […] de même que s’il l’étoit par le concours de deux puissances ou forces dirigées suivant les côtez AC, AB » qui sont à E comme les côtés du parallélogramme sont à sa diagonale [105]. Directement opposé à la force suivant AC, le « plan […] recevroit & soûtiendroit (Ax. 3.) tout le coup [de cette force], sans en rien recevoir ni soûtenir de la seconde ». Varignon conclut que, d’une part, le corps « poussé » par la force E suivant AD frappe « le plan GH d’une force qui [est à E], comme AC à AD » et, d’autre part, que le mobile « couleroit […] de C vers H suivant CH de la force qui lui resteroit seule & toute entiere suivant AB, laquelle seroit à la force E, comme AB, […] est à AD » [106]. Le corollaire suivant traite du choc direct vertical [107]. Pour ces deux cas, Varignon recourt à l’axiome III (« Ax. 3. ») de son traité, qui stipule qu’un corps soumis à des forces « égales, & directement opposées », donc qui « se détruisent », reste « en repos », celles-ci étant dites en « équilibre » [108]. L’issue d’une collision oblique repose donc sur une décomposition du mouvement initial qui renferme à la fois celui après le choc et celui que l’obstacle équilibre [109].

Figure 1

Pierre Varignon, Nouvelle Mecanique ou Statique […] Tome premier (Paris : Claude Jombert, 1725), op. cit. in n. 73, pl. 1, fig. 8, 92

Figure 1

Pierre Varignon, Nouvelle Mecanique ou Statique […] Tome premier (Paris : Claude Jombert, 1725), op. cit. in n. 73, pl. 1, fig. 8, 92

32Mairan développe deux exemples semblables de collisions de corps durs dans un mémoire d’optique de 1722. Dans le cas du choc direct, il écrit que « la réaction du plan » est « uniquement employée à détruire » le mouvement [110]. Suit le cas du choc oblique d’un corps sphérique XEF de « force finie » y et de direction DCY (fig. 2). Dans « l’instant du choc », Mairan suppose qu’une « puissance z » de direction AL et passant par C le pousse de C vers E, « qu’une autre puissance x, dont la direction est perpendiculaire au plan, le pousse de C vers F » et que les trois « puissances […] sont entre elles comme les trois côtés, CY, XY, CX » ; dans ces conditions, d’après « les Elemens de Statique », la sphère est en équilibre [111] ; rappelons que l’équilibre basé sur la composition de forces représente justement les « Elemens » à la base de la statique de Varignon. Si « z cesse tout à coup d’agir ou [est] supprimée, il est évident que la sphère s’échappera par la ligne CZ, parallele à LA, & avec la force z, proportionnelle ou égale à XY » ; la « puissance y » ne peut pas faire aller la sphère dans sa direction à cause de l’obstacle et la sphère ne peut être repoussée de X vers C, étant sans « ressort » (autrement dit, dure), et parce que la composante de y le long de CX équilibre x[112]. L’étude de ce choc passe par une situation d’équilibre dont la rupture (l’élimination de z) détermine la « force » finale, d’intensité, de direction et de sens opposé à z. L’auteur impose des forces z et x pour équilibrer et n’utilise pas explicitement la vitesse « détruite » suivant CX comme le fait Varignon. Malgré tout, si la suppression de z laisse libre le mouvement parallèle au plan, c’est bien parce que x et la composante de y allant de C vers X peuvent se détruire et, si elles ne produisent pas de mouvement dans leur direction, c’est parce qu’elles s’équilibrent. La puissance x, qui semble être ajoutée par Mairan afin d’équilibrer existe cependant bel et bien et n’est rien d’autre que la réaction du plan. Implicitement donc, mais le complément de lecture offert par la collision selon une direction verticale au plan qui mentionne la destruction de la force par la « réaction » de ce plan permet de conclure en ce sens, un équilibre /destruction d’une partie d’un mouvement initial permet de déterminer un mouvement final.

Figure 2

Jean-Jacques Dortous de Mairan, Recherches Physico-Mathematiques sur la Reflexion des Corps […] (Paris : Imprimerie royale, 1724), op. cit. in n. 110, pl. 1, 5

Figure 2

Jean-Jacques Dortous de Mairan, Recherches Physico-Mathematiques sur la Reflexion des Corps […] (Paris : Imprimerie royale, 1724), op. cit. in n. 110, pl. 1, 5

33Ces exemples apparaissent chez d’autres auteurs dans les années 1730-1740 avec, pour certains d’entre eux, des références directes à Varignon ; ainsi, dans les Leçons de Physique de 1734 de Privat de Molières [113], chez les pères Thomas Le Seur (1703-1770) et François Jacquier (1711-1788) dans leurs commentaires des Principia de Newton de 1739 [114], ou encore chez Trabaud en 1741 [115]. En 1743, ils figurent aussi dans le Traité de dynamique de D’Alembert : ces chocs, mais aussi leurs analyses par le biais d’un équilibre, sont du ressort de la « dynamique » entendue dans son sens dalembertien, à savoir du ressort de la mécanique des systèmes à liaisons [116]. Rappelons, par ailleurs, que pour D’Alembert, « le principe de l’équilibre est un des plus essentiels de la Méchanique, & on y peut réduire tout ce qui concerne le mouvement des corps qui agissent les uns sur les autres d’une maniere quelconque » ; cet équilibre s’obtient lorsque les mouvements de deux mobiles se détruisent lors de leur choc [117]. Dans la Préface de son Traité, D’Alembert énonce une méthode générale de résolution de problèmes de dynamiques qui prend dans la deuxième partie de cet ouvrage la forme d’un « principe général » correspondant au fameux principe dit de D’Alembert. Il écrit que

« comme le Mouvement d’un Corps qui change de direction, peut être regardé comme composé du Mouvement qu’il avoit d’abord & d’un nouveau Mouvement qu’il a reçu, de même le Mouvement que le Corps avoit d’abord peut être regardé comme composé du nouveau Mouvement qu’il a pris, & d’un autre qu’il a perdu. Delà il s’ensuit que les loix du Mouvement changé par quelques obstacles que se puisse être, dépendent uniquement des loix du Mouvement détruit par ces mêmes obstacles. Car il est évident qu’il suffit de décomposer le Mouvement qu’avoit le Corps avant la rencontre de l’obstacle, en deux autres Mouvemens, tels, que l’obstacle ne nuise point à l’un, & qu’il anéantisse l’autre ».
Il poursuit en écrivant que, « par-là, on peut […] démontrer les lois du mouvement changé par des obstacles insurmontables, les seules qu’on ait trouvées jusqu’à présent par cette Méthode » [118]. D’Alembert reconnaît ainsi l’usage de sa méthode avant 1743, justement pour l’exemple particulier du choc oblique, lequel a alors pu constituer une étape essentielle vers l’élaboration de son principe [119]. Or, si D’Alembert connaît indéniablement les travaux de Varignon [120], il connaît aussi ceux sur la réflexion des corps de Mairan de 1722, étude qu’il mentionne dans un mémoire non publié de 1741 [121]. Le mémoire de Mairan pourrait ainsi participer du processus conduisant D’Alembert à l’élaboration de son principe.

Conclusion

34L’examen du concept d’inertie ne fait pas de Mairan un fidèle disciple de Descartes, pas plus qu’un adepte de la pensée de Newton. Sur ce point, l’influence de Malebranche semble déterminante. Les réflexions de Mairan menées autour de la question de la cohésion de la matière, jugée métaphysique, rendent compte de la difficulté dans laquelle se trouve une philosophie mécanique d’inspiration malebranchienne cherchant à expliquer cette cohésion par la pression de la matière subtile. Les prises de position de Mairan sur l’inertie et la cohésion des corps ne nous le montrent pas tout à fait lecteur fidèle de Descartes, pas plus que newtonien : comme son recours aux systèmes des petits tourbillons semble le suggérer, il paraît subir sur ces deux sujets l’influence de Malebranche. L’appellation « cartonian » ne rend pas précisément compte de cette lecture malebranchienne : elle apparaît insuffisamment précise, ne serait-ce que parce que ces « cartésiens » représentent une famille hétérogène au regard des fondements de la philosophie mécanique. Les travaux de Mairan sur la mesure de la force révèlent un privilège accordé au mouvement rectiligne uniforme. Évoquer la « force du mouvement » ne signifie pas pour autant une absence de données dynamiques. Une dualité – force synonyme de mouvement ou d’impulsion – paraît inscrire Mairan dans une tradition cartésienne, en même temps que des savants tels que Newton, MacLaurin ou Varignon associent aussi la force au mouvement et à sa variation. Enfin, le cas de la collision oblique traitée par le biais d’un équilibre place Mairan aux portes de développements ultérieurs de la dynamique menés à bien par D’Alembert. Ces différents éléments donnent un aperçu des multiples formes que peuvent prendre les réflexions de Dortous de Mairan sur les fondements de la dynamique du fait de la pluralité des sources et influences traversant son œuvre et, plus généralement, un aperçu de réflexions sur cette science, menées à cette époque au sein de l’Académie royale des sciences.


Mots-clés éditeurs : Pierre Varignon, D’Alembert, Isaac Newton, force, philosophie mécanique, Nicolas Malebranche

Date de mise en ligne : 14/01/2016.

https://doi.org/10.3917/rhs.682.0281

Notes

  • [*]
    Christophe Schmit, Syrte, UMR 8630 (CNRS – Observatoire de Paris – univ. Pierre-et-Marie-Curie), Observatoire de Paris, 61, avenue de l’Observatoire, 75014 Paris.
    E-mail : christophe.schmit @ obspm.fr
  • [1]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Dissertation sur la cause de la Lumière, des Phosphores & des Noctiluques. Recüeil des dissertations qui ont remporté le Prix de l’Académie Royale des Belles Lettres, Sciences & Arts de Bordeaux, t. I (Bordeaux : R. Brun, 1717), 20.
  • [2]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Dissertation sur la Glace ou explication physique de la formation de la Glace, & de ses divers Phénomenes, qui a remporté le prix à l’Académie Royale des Belles Lettres, Sciences & Arts de Bordeaux, le 1. May 1716, 2e édition (Béziers : Étienne Barbut, 1717), 162.
  • [3]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Eloge de M. l’abbé de Molières, in Histoire de l’Académie Royale des Sciences. Année MDCCXLII. Avec les Mémoires de Mathématiques & de Physique, pour la même Année. Tirés des Registres de cette Académie (Paris : Imprimerie royale, 1745), 197 : « La Physique, qui n’est elle-même qu’une Méchanique perpétuelle & la Géométrie du mouvement […]. »
  • [4]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 2, 2.
  • [5]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Dissertation sur la Glace ou explication physique de la formation de la Glace, & de ses divers phénomènes, 4e édition (Paris : Imprimerie royale, 1749), xviij.
  • [6]
    Ibid., 2-3.
  • [7]
    Pour cette terminologie, voir Ellen McNiven Hine, Dortous de Mairan : The « Cartonian », Studies on Voltaire and the eighteenth century, 266 (1989), 163-179.
  • [8]
    Ibid., respectivement 164, 173 et 176.
  • [9]
    Ibid., 179.
  • [10]
    Il suffirait de prendre pour exemple les corpuscules durs du second élément de Descartes récusés par Leibniz, Christian Huygens ou Malebranche. De la même manière, comme nous le verrons dans cette étude, l’équivalence ontologique entre les états de repos et de mouvement posée par Descartes se voit réfutée par Malebranche. Ces différents auteurs, parce qu’ils recourent aux tourbillons et récusent le vide, pourraient être qualifiés de « cartésiens » selon la terminologie adoptée par McNiven Hine ; il convient cependant de relever ces différences importantes par rapport à Descartes, et témoignant d’une diversité concernant les fondements du mécanisme. Pour une lecture critique de la matière cartésienne et de son explication de la cohésion des corps chez Huygens et Leibniz, voir notamment Fabien Chareix, La Philosophie naturelle de Christian Huygens (Paris : Joseph Vrin, 2006), 112-146, et Frédéric de Buzon, Repos ou mouvement conspirant : Leibniz et les articles 54 et 55 de la partie II des Principia philosophiæ, Revue d’histoire des sciences, 58/1 (2005), 105-122.
  • [11]
    D’Alembert définit la dynamique comme « la partie la plus transcendante de la méchanique, qui traite du mouvement des corps, en tant qu’il est causé par des forces motrices actuellement & continuellement agissantes ». Puis il ajoute que « le mot Dynamique est fort en usage depuis quelques années parmi les Géometres, pour signifier en particulier la science du mouvement des corps qui agissent les uns sur les autres, de quelque maniere que ce puisse être, soit en se poussant, soit en se tirant par le moyen de quelque corps interposé entr’eux, & auquel ils sont attachés, comme un fil, un levier inflexible, un plan, &c. Suivant cette définition, les problèmes où l’on détermine les lois de la percussion des corps, sont des problèmes de Dynamique ». C’est essentiellement de ce second type de dynamique qu’il est question dans son Traité de dynamique de 1743. Voir Jean Le Rond D’Alembert, article « Dynamique », in Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts & des Métiers, t. V (Paris : Antoine-Claude Briasson, Michel-Antoine David, André Le Breton, Laurent Durand, 1755), 174b-175a.
  • [12]
    À l’entrée « Dynamique », l’Encyclopédie rapporte que « M. Leibnitz est le premier qui se soit servi de ce terme pour désigner la partie la plus transcendante de la méchanique, qui traite du mouvement des corps, en tant qu’il est causé par des forces motrices actuellement & continuellement agissantes » (op. cit. in n. 11). Ce mot apparaît pour la première fois chez Leibniz en 1690 dans son manuscrit « Dynamica de potentia ». Il figure publiquement au détour d’une phrase dans la livraison de mai de la même année des Acta eruditorum avec l’article « De Causa Gravitatis », puis dans une lettre de Leibniz à Paul Pellisson-Fontanier de juillet 1691 insérée par celui-ci dans la seconde édition de 1692 de son ouvrage De la tolérance des Religions. Le public sait au moins depuis 1695 avec le « Specimen dynamicum » publié dans les Acta eruditorum du mois d’avril le sens que le philosophe apporte aux forces mortes et forces vives, et qu’il fait de celles-ci les éléments essentiels d’une science nouvelle qu’il appelle dynamique. Voir Michel Fichant, Science et métaphysique dans Descartes et Leibniz (Paris : PUF, 1998), 206-214. Newton note que Galilée étudia l’effet de la gravité sur les projectiles, que lui-même dans ses Principia développe considérablement ce genre de recherches et que « Mr Leibniz christened the child by new name as if it had been his own calling it Dynamica ». Il poursuit en évoquant les forces centripètes que Leibniz nomme « Paracentrica » et conclut : « If one may judge by the multitude of new names & characters invented by him, he would go for a great inventor. » Voir I. Bernard Cohen, Introduction to Newton’s Principia (Cambridge : Cambridge University Press, 1971), 296-297. Au-delà de ces critiques, nous entendons par « dynamique newtonienne » la définition ci-dessus de l’Encyclopédie en remarquant que d’après la citation de Newton, cette appellation définit des objets de recherche communs avec Leibniz et que pour chacun d’eux la force est le concept central.
  • [13]
    Nicolas Malebranche, De la recherche de la vérité, in Œuvres complètes, t. III (Eclaircissement XVI) (Paris : Joseph Vrin, 1967-1978).
  • [14]
    Sur les raisons de cette substitution, notamment la critique de l’explication de la « dureté » ou cohésion des corps chez Descartes, voir André Robinet, Malebranche de l’Académie des Sciences, l’œuvre scientifique (Paris : Joseph Vrin, 1970), 87-110. Rappelons que la cohésion des corps résulte chez Descartes de la force qu’il attribue au repos, et, par conséquent, qu’elle provient du repos mutuel des parties de ce corps. Voir René Descartes, Les Principes de la philosophie, in Œuvres (Paris : Joseph Vrin – CNRS, 1996), t. IX, 94. La suite de cette étude revient sur ce qu’il faut entendre par cette force attribuée au repos.
  • [15]
    L’univers est conçu à travers l’analogie avec un ballon comprimé « par une force comme infinie ». Une « matiére fluide » le remplit et tourne autour du centre commun ; chaque partie de celle-ci, « pour remplir tout son mouvement, c’est à dire pour se mouvoir autant qu’elle a de force », tourne sur « le centre d’une infinité de […] tourbillons » lesquels « coul[ent] » entre eux, « avec une rapidité extraordinaire » (Malebranche, op. cit. in n. 13, 255). Malebranche ajoute que « toutes les parties de la matiére éthérée se touchent, […] elles sont très fluïdes, & elles […] sont comprimées par le poids, pour ainsi dire, de tous les tourbillons qui sont eux-mêmes comprimez par une force infinie qui répond à la puissance infinie du Créateur, ou du moins une force comme infinie » (ibid., 261). Ainsi, la matière subtile autour du Soleil – et ceci vaut pour tout autre astre – reçoit une « compression qui la pousse vers le soleil » et qu’elle « contrebalance, par la force centrifuge qu’elle tire de la vîtesse de son mouvement ». La « compression ou cette espece de pesanteur » et la force centrifuge s’égalent « car toutes les parties de l’Univers sont en équilibre ou tendent à s’y mettre » (ibid., 280).
  • [16]
    Ibid., 270 : « La matiére subtile ou éthérée […] est composée d’une infinité de petits tourbillons, qui tournent sur leurs centres avec une extrême rapidité, & qui se contrebalancent les uns les autres. »
  • [17]
    Malebranche, op. cit. in n. 13, 304 et 280. À titre d’exemple, une pierre lancée verticalement dans l’atmosphère terrestre peut constituer cette perturbation. En effet, un même volume d’atmosphère que cette pierre contient davantage de petits tourbillons que celle-ci et, par conséquent, la première génère davantage de forces centrifuges : une différence qui constitue une rupture d’équilibre et l’amorce de l’explication de la chute du solide. Pour le détail de cette explication, voir : ibid., 278-280 et Robinet, op. cit. in n. 14, 225-247.
  • [18]
    Malebranche, op. cit. in n. 13, 302-303 : « Dans cet Eclaircissement, [le but] a été de faire voir que toute la Physique dépend de la connoissance de la matiére subtile ; que cette matiére n’est composée que de petits tourbillons, qui par l’équilibre de leurs forces centrifuges, font la consistance de tous les corps ; & par la rupture de leur équilibre qu’ils tendent sans cesse à rétablir, tous les changemens qui arrivent dans le monde. »
  • [19]
    Pour cette explication, voir Dortous de Mairan, op. cit. in n. 2, 27-35.
  • [20]
    Ibid., 73 : « C’est une loy invariable, qu’un corps ou un fluïde pressé de tous côtez, s’échappe vers celui où il est le moins pressé. » Du même auteur, propos identiques dans : Suite des recherches physico-mathématiques sur la réflexion des corps, in Histoire de l’Académie Royale des Sciences. Année MDCCXXIII. Avec les Memoires de Mathematiques & de Physique, pour la même Année. Tirés des Registres de cette Académie (Paris : Imprimerie royale, 1725), 383.
  • [21]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 5, xvij.
  • [22]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 2, 14.
  • [23]
    Malebranche, op. cit. in n. 13, t. II, 449.
  • [24]
    Voir Descartes, op. cit. in n. 14, 83-84 pour la première loi de la nature stipulant la permanence du mouvement et du repos. Pour les forces attribuées à ces états du fait de cette loi (ibid., 88) : « La force dont un corps agit contre un autre corps ou résiste à son action, consiste en cela seul, que chaque chose persiste autant qu’elle peut à demeurer au mesme estat où elle se trouve, conformement à la premiere loy. De façon […] que, lors qu’il [un corps] est en repos, il a de la force pour demeurer en ce repos & pour resister à ce qui pourroit le faire changer. De même que, lors qu’il se meut, il a de la force pour continuer de se mouvoir avec la mesme vitesse & vers le mesme côté. »
  • [25]
    Sur ce point, voir Alan Gabbey, Force and inertia in seventeenth-century dynamics, Studies in history and philosophy of science, 2 (1971-1972), 62 : « The function of Descartes’ First Law is to provide the (secondary) grounds for saying that for a body at rest, or in motion, there is a constant force maintaining it in that state, and therefore a force […] causing the body to resist and act on other bodies. Since force in the latter sense is the fundamental cause at work in the physical change […] the function of the First Law can be said to be equivalently to equip Descartes with the sole causal explanation of body behaviour, which in its prescriptive form is directly applicable in the actual practice of mechanics. » Pour l’importance de cette loi dans la genèse du système cartésien et ses différences avec le principe d’inertie newtonien, voir Sophie Roux, Découvrir le principe d’inertie, Recherches sur la philosophie et le langage, 24 (2006), 453-515.
  • [26]
    Malebranche, op. cit. in n. 13, t. II, 429-430.
  • [27]
    Ibid., 431.
  • [28]
    Voir notamment Gabbey, op. cit. in n. 25, 31-41.
  • [29]
    Sur ce point, voir Christophe Schmit, Force d’inertie et causalité, Archives internationales d’histoire des sciences, 59/162 (juin 2009), 108-116.
  • [30]
    Lettres à Firmin Abauzit des 10 juin et 30 octobre 1717, citées par McNiven Hine, art. cit. in n. 7, 169.
  • [31]
    Lettre à Cramer du 16 novembre 1732, citée par McNiven Hine, art. cit. in n. 7, 170.
  • [32]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Sur la figure de la Terre, in Histoire de l’Académie Royale des Sciences. Année MDCCXLII. Avec les Mémoires de Mathématiques & de Physique, pour la même Année. Tirés des Registres de cette Académie (Paris : Imprimerie royale, 1745), 100.
  • [33]
    Lettre à Cramer du 31 août 1738 citée par McNiven Hine, art. cit. in n. 7, 170.
  • [34]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Traité Physique et Historique de l’Aurore Boréale : Suite des Mémoires de l’Académie Royale des Sciences, année MDCCXXXI, 2e édition (Paris : Imprimerie royale, 1754), 95. Voir aussi la première édition, de 1731, de ce livre, 87-88.
  • [35]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 5, xxvj-xxvij.
  • [36]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 3, 201.
  • [37]
    Isaac Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, par feue Madame la Marquise du Chastellet, t. I (Paris : Jean Desaint, Charles Saillant, Michel Lambert, 1759), 2-3.
  • [38]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 5, 24.
  • [39]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Dissertation sur l’estimation & la mesure des forces motrices des corps, in Histoire de l’Académie Royale des Sciences. Année MDCCXXVIII. Avec les Mémoires de Mathématiques & de Physique, pour la même Année. Tirés des Registres de cette Académie (Paris : Imprimerie royale, 1730), 39.
  • [40]
    Ainsi, Jean-François Trabaud, en 1741, ne considère pas, s’opposant à Newton, l’inertie comme une propriété de la matière. Cette dernière ne renferme à ses yeux aucune force et, par conséquent, l’opposition à un changement d’état relève d’une action divine conférant le même pouvoir de résistance au mouvement et au repos. Voir Jean-François Trabaud, Principes sur le mouvement et l’équilibre, pour servir d’introduction aux Mécaniques et à la Physique. Premier traité (Paris : Jean Desaint et Charles Saillant, 1741), 213-215.
  • [41]
    Sur cette résistance chez Malebranche, voir Schmit, art. cit. in n. 29, 115-116.
  • [42]
    Voir Jean-Pierre de Crousaz, Discours sur le Principe, la Nature, & la Communication du mouvement, in Recueil des pieces qui ont remporté les prix de l’Academie Royale des Sciences. Tome premier. Qui contient les Pieces depuis 1720 jusqu’en 1727 (Paris : Claude Jombert, 1732), 35-38. Id., Essay sur le mouvement (La Haye : Rutgert Christoffel Alberts et Isaak Vander Kloot, 1728) reprend en partie ce texte complété par des critiques à l’encontre de la vis inertiæ newtonienne (voir page 168). Pour une analyse de ces textes, voir Schmit, art. cit. in n. 29, 126-132.
  • [43]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 2, 160-161.
  • [44]
    Ibid., 14.
  • [45]
    Ibid., 15.
  • [46]
    Sur ce rôle de l’air, voir Dortous de Mairan (1723), op. cit. in n. 20, 349 : « Quelle que soit la cause de cette résistance [celle du corps au repos à être mis en mouvement], ce n’est pas ici le lieu de la chercher ; elle existe, & j’ose dire que sans elle les loix de la communication des mouvemens par le choc des corps à raison de leurs masses, seroient inintelligibles. L’air ambiant résiste aussi, & d’autant plus que le mouvement imprimé par le choc est plus subit, il faut donc concevoir que le ressort de deux boules est bandé avant que la masse totale de celle qui étoit en repos ait cédé au mouvement de celle qui vient la frapper. »
  • [47]
    Sur ce problème concernant ce genre d’explication, voir Sophie Roux, « La philosophie mécanique (1630-1690) », thèse non publiée (Paris : EHESS, 1996), 411 : « Pour que les corps microscopiques s’enchevêtrent ou soient pressés par la matière subtile, il faut déjà qu’ils soient durs. »
  • [48]
    Voir Dortous de Mairan, op. cit. in n. 5, xxij.
  • [49]
    Ibid., xxij-xxiij.
  • [50]
    Ibid., xxiv.
  • [51]
    Jacques Rohault, Traité de physique (Paris : Veuve de Charles Savreux, 1671), vol. I, iij.
  • [52]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 5, xxiv.
  • [53]
    Voir aussi la distinction entre la « division actuelle » et celle « possible » des « parties intégrantes » de l’eau in Dortous de Mairan, op. cit. in n. 2, 12 et Dortous de Mairan, op. cit. in n. 5, 18-19.
  • [54]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 5, xxiv.
  • [55]
    Géraud de Cordemoy, Six discours sur la distinction et l’union du corps et de l’âme [1666], in Œuvres philosophiques (Paris : PUF, 1968), 100.
  • [56]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 2, 163.
  • [57]
    Ibid., 54.
  • [58]
    Ibid., 61.
  • [59]
    Ibid., 74.
  • [60]
    Ibid., 144.
  • [61]
    Ibid., 159-160 et 43-44.
  • [62]
    Ibid., 43 et 135.
  • [63]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 1, 20-24.
  • [64]
    L’usage par Descartes de corpuscules figurés fut un argument pour faire de lui un atomiste. Voir à ce sujet Sophie Roux, Descartes atomiste ?, in Atomismo e continuo nel XVII secolo : Atti del convegno internazionale [28-30 avril 1997] (Naples : Vivarium, 2000), 211-274. Sur l’« aporie de la physique cartésienne », à savoir « Descartes atomiste malgré lui », voir Roux, thèse cit. in n. 47, 447.
  • [65]
    Parmi une littérature abondante, pour une histoire de cette querelle dite des forces vives, voir notamment Carolyn Iltis, The decline of Cartesianism in mechanics : The Leibnizian-Cartesian debates, Isis, 64/3 (1973), 356-373 ; David Papineau, The vis viva controversy, in Roger S. Woolhouse (dir.), Leibniz, metaphysics and philosophy of science (Oxford : Oxford University Press, 1981), 139-156 ; Pierre Costabel, La Question des forces vives, Cahiers d’histoire et de philosophie des sciences, 8 (1983) ; Mary Terall, Vis viva revisited, History of science, 42 (2004), 189-209.
  • [66]
    Ce que sous-entend Costabel, art. cit. in n. 65, 38.
  • [67]
    Voir supra, n. 24.
  • [68]
    Voir Gabbey, art. cit. in n. 25, 28-29.
  • [69]
    Gabbey, art. cit. in n. 25, 31-41. Sur cette importance de Descartes dans la formation de ces concepts newtoniens, voir aussi John Herivel, Sur les premières recherches de Newton en dynamique, Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, 15/2 (1962), 105-140.
  • [70]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 16-17.
  • [71]
    Ibid., 10.
  • [72]
    Bernard Le Bovier de Fontenelle, Sur la force des corps en mouvement, in Histoire de l’Academie Royale des Sciences. Année MDCCXXI. Avec les Memoires de Mathematiques & de Phisique, pour la même Année. Tirés des Registres de cette Academie (Paris : Imprimerie royale, 1723), 81. Fontenelle identifie force et quantité de mouvement, mais partant de la résistance qu’oppose un corps, il souligne la même « raison » existant entre la « force motrice » appliquée à ce corps et le produit de sa masse par la vitesse « imprimée » par l’action de cette force.
  • [73]
    Pierre Varignon, Nouvelle Mecanique ou Statique, dont le projet fut donné en MDCLXXXVII. Ouvrage posthume de M. Varignon, des Académies Royales des Sciences de France, d’Angleterre & de Prusse, Lecteur du Roy en Philosophie au College Royal, & Professeur de Mathématiques au College Mazarin, t. I (Paris : Claude Jombert, 1725), 9-10.
  • [74]
    Ibid., 4 : « Axiome I. Les effets sont toûjours proportionnels à leurs causes ou forces productrices, puisqu’elles n’en sont les causes qu’autant qu’ils en sont les effets, & seulement en raison de ce qu’elles y causent. »
  • [75]
    Ibid., 9-10. Pour cette terminologie, voir Newton, op. cit. in n. 37, 3-4 et 17.
  • [76]
    Les académiciens Joseph Saurin, Beaufort et Mairan sont chargés d’examiner cet ouvrage. Voir « Procès-verbaux de l’Académie Royale des Sciences », séance du 6 décembre 1724, t. XLIII, f° 357.
  • [77]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 3 : « Par où mesurer une force, si ce n’est pas ses effets ? », « Les effets ne sont-ils pas toûjours proportionnels à leurs causes » et « Ces effets [l’élévation verticale d’un corps ou son aplatissement lors d’un choc] doivent être proportionnels à leur cause » (ibid., 9-10).
  • [78]
    Ibid., 2-3 : « De ce que je conçois un corps en mouvement, je conçois une force qui le fait mouvoir. »
  • [79]
    Ibid., 3 : « Comme uniforme il [le mouvement] ne sçauroit jamais nous indiquer d’autre mesure de la force qui le produit, que la simple vîtesse du mobile multipliée par sa masse. Car par où mesurer une force, si ce n’est pas ses effets ? Mais ses effets ne sont ici que des espaces égaux parcourus en temps égaux, selon la propriété des mouvemens uniformes, & la vîtesse elle-même, n’est autre chose que l’espace divisé par le temps. »
  • [80]
    Ibid., 3-5.
  • [81]
    Ibid., 4-5.
  • [82]
    Ibid., 5.
  • [83]
    Ibid., 7.
  • [84]
    Ibid., 5-6. Sur cette « loy de continuité », voir Jean Bernoulli, Discours sur les loix de la communication du mouvement, qui a mérité les Eloges de l’Académie Royale des Sciences aux années 1724. & 1726. & qui a concouru à l’occasion des Prix distribuez dans lesdites années, in Recueil des pieces qui ont remporté les prix de l’Academie Royale des Sciences. Tome premier. Qui contient les Pieces depuis 1720 jusqu’en 1727 (Paris : Claude Jombert, 1732), 5-6. Sur ce principe de continuité leibnizien et son usage chez Bernoulli dans sa mesure de la force, voir notamment Peter M. Harman, Dynamics and intelligibility : Bernoulli and MacLaurin, in Roger S. Woolhouse (dir.), Metaphysics and philosophy of science in the 17th and 18th centuries : Essays in honour of Gerd Buchdahl (Dordrecht : Kluwer Academic Publishers, 1988), 213-225.
  • [85]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 8-9.
  • [86]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 10.
  • [87]
    Ce raisonnement, ici établi pour les ascensions verticales, vaut aussi pour les déplacements de matière lors des collisions élastiques.
  • [88]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 10. Proposition classique figurant notamment dans Galileo Galilei, Discorsi e demonstrazioni matematiche intorno à due nuove science, in Antonio Favaro (éd.), Le Opere di Galileo Galilei, edizione nazionale (Florence : Gaspero Barbèra, 1890-1909), vol. VIII, 208.
  • [89]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 10-11.
  • [90]
    Leibniz envisage cette dépense totale et l’équivalence causes-effets dès 1676 ; elles sont les clefs de voûte de la Brevis Demonstratio de 1686, pamphlet contre ce que Leibniz estime être la mesure de la force selon Descartes, et qui est à l’origine de la querelle des forces. Voir François Duchesneau, La Dynamique de Leibniz (Paris : Joseph Vrin, 1994), 139-140.
  • [91]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 11.
  • [92]
    D’Alembert, Traité de dynamique, dans lequel les loix de l’équilibre & du Mouvement des Corps sont réduites au plus petit nombre possible, & démontrées d’une maniére nouvelle, & où l’on donne un Principe général pour trouver le Mouvement de plusieurs Corps qui agissent les uns sur les autres, d’une maniére quelconque (Paris : David l’aîné, 1743), xix.
  • [93]
    Ce qui vaut pour la pesanteur s’applique aussi « aux déplacemens de matiere, aux enfoncemens, & aux applatissemens », autrement dit aux chocs. Voir Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 11.
  • [94]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 14.
  • [95]
    Ibid., 14 et 17-18. En somme, cet « effet total » correspond à la prise en compte d’une quantité du type m.v.t avec v et t les vitesses et temps proportionnels entre eux : « Il faut […] tenir compte à la force de ce plus de durée de mouvement, qu’elle procure au corps dans lequel elle réside. Ainsi, il est évident qu’elle [la force] doit être d’autant plus grande qu’elle est capable d’agir plus long-temps avec une plus grande vîtesse. Elle est donc composée de la vîtesse, & du temps » (ibid., 14).
  • [96]
    Ibid., 23-24.
  • [97]
    Ibid., 24. Voir aussi 17 : « Ne se pourroit-il pas que la force demeurant toûjours en raison de la simple vîtesse, se trouvât capable de produire des effets proportionnels au quarré de la vîtesse ? Qu’étant double, par exemple, en vertu d’une double vîtesse, il fût de sa nature de produire des effets quadruples par rapport aux obstacles qui s’opposent à son action ? Et cela ne viendroit-il pas de ce qu’une force double, en vertu d’une double vîtesse, & qui, par rapport à une autre, agit doublement en des temps égaux, agit encore peut-être deux fois autant de temps, ou ne se consume qu’en deux fois autant de temps, par cela même qu’elle est double, & qu’elle résulte d’une double vîtesse ? »
  • [98]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 39, 24-25.
  • [99]
    Voir Iltis, art. cit. in n. 65, 371, pour une mise en parallèle de l’importance du mouvement rectiligne uniforme chez Descartes et Dortous de Mairan. Rappelons que Mairan écrit qu’« on ne conçoit pas que les corps ne puissent avoir d’autre force ni d’autre action que celle qu’ils tirent de leur mouvement » (voir n. 44), et qu’il confère alors à celui-ci un rôle essentiel dans l’explication des phénomènes naturels.
  • [100]
    Colin MacLaurin, Démonstration des Loix du Choc des Corps, in Recueil des Pieces qui ont remporté le Prix de l’Académie Royale des Sciences depuis leur fondation jusqu’à present. Avec quelques pieces qui ont été composées à l’occasion de ce Prix. Tome premier qui contient les Pieces depuis 1720 jusqu’en 1727 (Paris : Claude Jombert, 1732), 6-7 (c’est MacLaurin qui souligne). Pour une analyse de ce mémoire, voir Harman, art. cit. in n. 84 et Olivier Bruneau, Colin MacLaurin ou l’obstination mathématicienne d’un newtonien (Nancy : Presses universitaires de Nancy, 2011), 91-105.
  • [101]
    Varignon, op. cit. in n. 73, 10.
  • [102]
    Pour cette méthode, ibid., 6-8.
  • [103]
    Jean Le Rond D’Alembert, article « Statique », in Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, t. XV (Neuchâtel : Samuel Faulche, 1765), 496b.
  • [104]
    Varignon, op. cit. in n. 73, 35.
  • [105]
    Ibid.
  • [106]
    Ibid.
  • [107]
    Ibid., 35-36.
  • [108]
    Varignon, op. cit. in n. 73, 4-5 pour l’Axiome III et pour la Définition V introduisant l’équilibre de forces.
  • [109]
    Pour une analyse plus détaillée de ce choc chez Varignon, voir Christophe Schmit, Sur l’origine du « principe général » de Jean Le Rond D’Alembert, Annals of science, 70/4 (2013), 493-530.
  • [110]
    Jean-Jacques Dortous de Mairan, Recherches Physico-Mathematiques sur la Reflexion des Corps, in Histoire de l’Academie Royale des Sciences. Année MDCCXXII. Avec les Memoires de Mathematiques & de Phisique, pour la même Année. Tirés des Registres de cette Academie (Paris : Imprimerie royale, 1724), 8.
  • [111]
    Ibid., 9.
  • [112]
    Dortous de Mairan, op. cit. in n. 110, 10.
  • [113]
    Joseph Privat de Molières, Leçons de Phisique, 4 vol. (Paris : chez la Vve Brocas, Musier, et Joseph Bullot, 1734-1739), vol. I, 60-64 et 64-76. Privat de Molières ne mentionne pas Varignon.
  • [114]
    Thomas Le Seur et François Jacquier, Philosophiæ Naturalis Principia Mathematica. Auctore Isaaco Newtono. Perpetuis Commentariis illustrata, 3 vol. (Genève : Jacques Barillot et fils, 1739-1742), vol. I, n. 51, 31. Les auteurs évoquent explicitement la mécanique de Varignon (ibid., voir leur note 49, page 30). Ils donnent aussi un petit précis de statique basée sur des compositions et résolutions de forces, soit sur les méthodes de Varignon développées dans sa statique de 1725 (ibid., voir leurs notes 41-44, pages 26-27) en invitant à consulter Willem Jacob’s Gravesande (ibid., note 44, page 27). Ce dernier, dans ses Physices elementa mathematica, experimentatis confirmata. Sive introductio ad philosophiam newtonianam, 2nde éd., 2 vol. (Leyde : Petrum Vander, 1725), vol. I, 49-50, se réfère à la statique de Varignon.
  • [115]
    Trabaud, op. cit. in n. 40, 68-69. Celui-ci cite de nombreuses fois la « nouvelle Mécanique » de Varignon, dans laquelle ce dernier « déduit les proprietez de toutes les machines simples ou élémentaires, en leur appliquant immédiatement le principe des mouvemens composés » (ibid., 324).
  • [116]
    Pour une définition du mot, voir D’Alembert, art. cit. in n. 11. Rappelons que d’après cette définition, la « percussion » fait partie de la dynamique et que le choc se voit alors traité comme une liaison mécanique.
  • [117]
    Jean Le Rond D’Alembert, article « Equilibre », in Encyclopédie, op. cit. in n. 11, 873a. Sur la mécanique de D’Alembert et ses principes fondamentaux, voir Alain Firode, La Dynamique de D’Alembert (Montréal : Bellarmin – Paris : Joseph Vrin, 2001).
  • [118]
    D’Alembert, op. cit. in n. 92, xiij-xiv.
  • [119]
    Sur cette thèse, voir Schmit, art. cit. in n. 109.
  • [120]
    Comme en attestent de nombreux articles de l’Encyclopédie rédigés par D’Alembert. Sur ce point, voir Christophe Schmit, Les articles de mécanique de l’Encyclopédie, ou D’Alembert lecteur de Varignon, Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 46 (2011), 169-199.
  • [121]
    Alors jeune académicien, D’Alembert écrit « Du mouvement d’un corps qui s’enfonce dans un fluide ou essai d’une nouvelle theorie de la Refraction des corps solides », texte lu les 12, 15, 19, 22, 26, 29 juillet et 2 août 1741, et figurant dans les « Procès-verbaux de l’Académie Royale des Sciences », t. LX, 369-404. Dès la première page, D’Alembert estime, concernant les différentes théories relatives à la réfraction, « que nous avons la-dessus d’excellents morceaux, entre autres deux Mémoires de Mr de Mairan, imprimés parmi ceux de l’Académie en 1722 & 1723 ».
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