Notes
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[*]
Recherche effectuée avec le soutien du Wellcome Trust (Londres), travel grant IGR077587 MA.
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[**]
Denis Forest, Université Lyon III, Faculté de philosophie, 74, rue Pasteur, 69007 Lyon et IHPST, 13, rue du Four, 75006 Paris.
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[1]
Alexander Bain, The Senses and the intellect (London : Parker & Sons, 1855) ; 2e éd. (Londres : Longman, Green, Longman, Roberts & Green, 1864) ; 3e éd. (Londres : Longman, Green & Co., 1868). Voir John Stuart Mill, Bain’s psychology (1re éd., 1859), in Collected works of John Stuart Mill, XI (Toronto : Univ. of Toronto Press, 1978), 340-373 ; Théodule Ribot, La Psychologie anglaise contemporaine (école expérimentale) (Paris : Ladrange, 1870), 221-296 ; Robert M. Young, Mind, brain and adaptation (Oxford : Clarendon Press, 1970), 101-133 ; Ryck Rylance, Victorian psychology and British culture, 1850-1880 (New York : Oxford Univ. Press, 2000), 147-202.
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[2]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 73.
-
[3]
Maine de Biran, Mémoire sur la décomposition de la pensée (1804), éd. de François Azouvi (Paris : Vrin, 1988), 209.
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[4]
Ibid., 44.
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[5]
Mill, op. cit. in n. 1, 354.
-
[6]
Edwin G. Boring, Sensation and perception in the history of experimental psychology (1re éd., 1942) (New York : Irvington Publishers, 1970), chap. XIV.
-
[7]
Marc Jeannerod, Le Cerveau machine, physiologie de la volonté (1re éd., 1983) (Paris : Diderot, 1998), chap. VI.
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[8]
Charles Bell, On the nervous circle which connects the voluntary muscles with the brain, Philosophical transactions, 116 (1826), 163-173.
-
[9]
Johann Georg Steinbuch, Beitrag zur Physiologie der Sinne (Nuremberg : J. L. Schrag, 1811).
-
[10]
Charlton Bastian, The Brain as an organ of mind (Londres : Paul Kegan, 1880).
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[11]
William James, The Principles of psychology, t. II, chap. XXVI (New York : Henry Holt and Co., 1890), 486-592.
-
[12]
Charles Scott Sherrington, The muscular sense, in Edward A. Schafer (ed.), Textbook of physiology (Edimbourg-Londres, 1900), t. II, 1002-1025.
-
[13]
Hermann von Helmholtz, Handbuch der physiologischen Optik (Leipzig : Voss, 1866).
-
[14]
La première édition des Éléments date de 1874. Wundt est cependant cité dans Bain (1868) – op. cit. in n. 1 –, à la page 77. Sur Wundt et son évolution, voir Helen E. Ross, Klaus Bischof,Wundt’s views on sensations of innervation : A reevaluation, Perception, 10 (1981), 319-329.
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[15]
Voir Bain, The Senses…, op. cit. in n. 1, préface à la première éd., III.
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[16]
John Locke, Essay on the human understanding, II, chap. XXVII.
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[17]
Mill, op. cit. in n. 1, 355.
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[18]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, préface, III. Voir le passage sur les régions cérébrales inférieures, aux pages 43-44, qui anticipe sur l’idée de mouvements auto-initiés (selforiginated).
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[19]
Manos Tsarikis, Patrick Haggard, Nicolas Franck, Nelly Mainy, Angela Sirigu, A specific role for efferent information in action recognition, Cognition, 96 (2005), 215-231.
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[20]
Patrick Haggard, Conscious awareness of intention and of action, in Johannes Roessler, Naomi Eilan (eds.), Agency and self-awareness (Oxford : Clarendon Press, 2003), 111-127.
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[21]
Daniel M. Wolpert, Computational approaches to motor control, Trends in cognitive science, 1/6 (1997), 209-216.
-
[22]
Marc Jeannerod, The representing brain, The Behavioral and brain sciences (1994), 187-202.
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[23]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 77.
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[24]
Ibid., 44.
-
[25]
Alexander Bain, The Emotions and the will (Londres : Parker and Sons, 1859), 470-471.
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[26]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 77.
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[27]
Ibid., 59.
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[28]
Ibid., 64-70. Ils vont de la tonicité des muscles à la psychologie du tempérament actif.
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[29]
Bain (1868), op. cit. in n. 1.
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[30]
Johannes Müller, Handbuch der Physiologie des Menschen (Coblence : Hölscher Verlag), t. I (1835) et II (1840). Version anglaise : Id., Elements of physiology, trad. William Bally (Londres), t. I (1838) et II (1842). Dans son Autobiographie, Bain soutient que la thèse de la « spontanéité » lui est venue indépendamment, en avril 1851, à l’occasion de la discussion par William Sharpey des spéculations de Michael Faraday sur la force nerveuse. Voir Young, op. cit. in n. 1, 116, note 1.
-
[31]
Edwin Clarke, Leon Jacyna, 19th Century origins of neuroscientific concepts (Berkeley : Univ. of California Press, 1987), 124-125.
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[32]
Müller (1840), op. cit. in n. 30, t. II, liv. IV, chap. I, sect. c, 94. Cité par Bain (1868), op. cit. in n. 1, 296. Cet exemple est d’autant plus frappant qu’on le retrouve aujourd’hui inchangé à l’appui d’une « théorie centraliste de l’action », qui pose que « les organismes ne sont pas des systèmes purement réactifs » : les racines ventrales de la moelle sont fonctionnelles avant les racines dorsales chez le foetus humain. Marc Jeannerod, To act or not to act, Quarterly journal of experimental psychology, 52/1 (1999), 1-29 ; spécialement 2.
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[33]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 59.
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[34]
Müller, op. cit. in n. 32, 95-96.
-
[35]
John Bigelow et Robert Pargetter (dans Functions, The Journal of philosophy, 84/4 (1987), 181-196) ont proposé une théorie propensionniste des fonctions biologiques où la fonction d’une structure ou d’une capacité est ce par quoi cette structure ou cette capacité confèrent une propension accrue de reproduction à leur porteur (voir l’analyse de Joëlle Proust, Comment l’esprit vient aux bêtes (Paris : Gallimard, 1997), chap. VII). Plutôt que de critiquer le finalisme aristotélicien, il serait sans doute plus judicieux de reconnaître dans la conception naturaliste des puissances de l’âme chez Aristote une conception antérograde des fonctions, similaire en cela à la théorie propensionniste.
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[36]
Pierre Pellegrin, Le De anima et la vie animale : Trois remarques, in Corps et âme : Essais sur le De anima d’Aristote, sous la dir. de Gilbert Romeyer-Dherbey (Paris : Vrin, 1996), 454-492.
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[37]
Aristote, Parties des animaux, IV, 683 b 4 sq. ; Id., Traité de l’âme, 410 b 19-21 ; 413 b 2-4 ; 432 b 19-20.
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[38]
Alexander Bain, The Emotions and the will, 3e éd. (Londres : Longmans, Green & Co., 1875).
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[39]
Ibid., 304.
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[40]
Voir Marcel Gauchet, L’Inconscient cérébral (Paris : Le Seuil, 1992). On ne peut donc accepter la formule selon laquelle il s’agit avec Les Sens et l’intelligence du livre qui « consacre la rencontre de la psychologie de l’association avec le schème sensorimoteur en physiologie » (ibid., 64) sans préciser tout ce qui sépare les impressions de mouvement selon Bain des sensations et stimulations périphériques ordinaires.
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[41]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 296.
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[42]
Ibid., 296-299.
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[43]
Ou principe de l’action-effet. Joëlle Proust, La Nature de la volonté (Paris : Gallimard, 2005), 145-149.
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[44]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 76-77.
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[45]
Ibid., 70.
-
[46]
Ibid., respectivement 41, 42 et 45. Cette distinction entre les sources des courants centrifuges se double implicitement d’une gradation qui va des mouvements spontanés aux volitions complexes.
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[47]
Ibid., 77-79.
-
[48]
Charles-Édouard Brown-Séquard, Course of lectures on the physiology and pathology of the central nervous system (Philadelphie : Collins, 1860).
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[49]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 77.
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[50]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 77.
-
[51]
Ibid., 101.
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[52]
Ibid., 80-81. Un élément pertinent du contexte serait sans doute l’opposition entre le loisir du sport (l’activité librement consentie) et la fatigue du travail (l’épuisement musculaire). Voir Anson Rabinbach, The Human motor : Energy, fatigue, and the origins of modernity (Berkeley : Univ. of California Press, 1990).
-
[53]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 91.
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[54]
Ibid., 90-98.
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[55]
Bain, op. cit. in n. 25, 470-471.
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[56]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 296.
-
[57]
À noter que la traduction anglaise du Manuel (Elements of physiology, op. cit. in n. 30, 1329) utilise l’expression de « sens musculaire » (the muscular sense), laquelle n’a aucun équivalent direct dans le texte original de Müller, et prête au contresens, si on conçoit un tel sens selon les positions périphéralistes de Thomas Brown (sur le versant philosophique) et de Charles Bell (sur le versant scientifique). Voir Thomas Brown, Lectures on the philosophy of the human mind (Edimbourg-Londres : Tait - Longman, Hurst, Rees, Orme & Brown, 1820), t. I, lectures 22-24, sur la « sensation musculaire », où le muscle est caractérisé comme « organe sensitif » nous donnant la sensation de fatigue (ibid., 496-497) ainsi que Charles Bell, The Hand, its mechanism and vital endowments as evincing design (Londres :William Pickering, 1834), chap. IX : « Of the muscular sense », 212-229.
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[58]
Müller (1840), op. cit. in n. 30, t. II, 500.
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[59]
C’est un point sur lequel LudwigWittgenstein insiste dans sa critique de James : voir ses Remarques sur la philosophie de la psychologie, trad. Gérard Granel (Mauvezin : Éd. TER, 1989), § 382-408.
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[60]
Bell, op. cit. in n. 57, 220 : « À un moment, j’ai conçu un doute [quant au sens de la position] : est-ce qu’il procédait d’une connaissance de la condition des muscles [l’hypothèse finalement retenue par Bell] ou d’une conscience du degré d’effort dirigé vers eux dans la volition [je souligne]. »
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[61]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 99-100.
-
[62]
William Hamilton, On the locomotive faculty and muscular sense, in relation to perception, in Id. (ed.), The Works of Thomas Reid (Edimbourg-Londres : Mc Lachlan, Stewart and Co. - Longman, Brown, Green and Longman, 1846), 864-867. Ce texte est suivi de : Notices historiques touchant la reconnaissance de la faculté locomotrice comme medium de la perception, et sur le sens musculaire, ibid., 867-869.
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[63]
Id., Distinction of the primary and secundary qualities of the body, ibid., 848-849.
-
[64]
Hamilton (ed.), op. cit. in n. 62, 865 : « […] nous sommes inconscients, non seulement de la manière dont cette opération est exécutée, mais de l’opération elle-même. » L’exemple est invoqué par Bain (1868), op. cit. in n. 1, 79.
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[65]
Voir Hamilton, op. cit. in n. 62, 865, l’exemple tiré de Bell, op. cit. in n. 57, 225-226. En l’absence d’impressions périphériques (nous dirions d’un feed-back sur le degré de la contraction musculaire), la nurse qui tient l’enfant au creux de son bras risque si son attention est distraite de le laisser choir à son insu, car elle ignore le relâchement progressif des muscles fléchisseurs. « Nous percevons combien est insuffisant pour l’usage des membres le maintien du pouvoir musculaire, en l’absence de la sensibilité [périphérique] qui doit l’accompagner et le diriger [je souligne]. » (Ibid., 226.)
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[66]
Thomas Reid, Essays on the intellectual powers of man (1re éd., 1785) (Edimbourg : Edition Brookes - Edinburgh Univ. Press, 2002), II, chap. XVI.
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[67]
En ce sens, le jugement de Rylance – op. cit. in n. 1, 169 : « Bain avait, bien sûr, rejeté la philosophie écossaise traditionnelle très tôt. » – est à nuancer.
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[68]
Hamilton (ed.), op. cit. in n. 62, 865. Hamilton reconnaît aux sensations périphériques qu’elles fournissent une information dérivée, mais dotée de valeur, sur l’activité organique.
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[69]
Charlton Bastian, On the « muscular sense » and on the physiology of thinking, British medical journal, 1er mai 1869, 394-396.
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[70]
Octave Landry, Mémoire sur la paralysie du sentiment d’activité musculaire (Paris : Plon, 1855). Il s’agit de neuropathies affectant l’innervation sensorielle des muscles des membres. Voir Jonathan Cole et Jacques Paillard, Living without touch and peripheral information about body position and movement : Studies with deafferented subjects, in José Luis Bermudez, Antony Marcel, Naomi Eilan, The Body and the self (Cambridge, MA : MIT Press,1995), 245-266.
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[71]
Bastian, op. cit. in n. 68, 396. L’argument ne porte que parce que les rôles respectifs des informations efférentes (la prédiction sur le résultat) et afférentes ne sont pas nettement distingués.
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[72]
James, op. cit. in n. 11, t. II, chap. XXVI, 492-501.
-
[73]
Denis Forest, Le concept de proprioception dans l’histoire de la sensibilité interne, Revue d’histoire des sciences, 57/1 (2004), 5-31.
-
[74]
Boring, op. cit. in n. 6, 525.
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[75]
Jeannerod, op. cit. in n. 7, chap. VI.
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[76]
Benjamin Libet, Curtis A. Gleason, Elwood W. Wright, Dennis K. Pearl, Time of conscious intention to act in relation to onset of cerebral activity (readiness potential), Brain, 106 (1983), 623-642.
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[77]
Ces résultats sont indépendants de ceux, présentés simultanément, et qui concernent la relation entre potentiel de préparation et décision d’agir.
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[78]
Haggard, op. cit. in n. 20, 114.
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[79]
William Bechtel, Robert C. Richardson, Discovering complexity : Decomposition and localization as strategies in scientific research (Princeton : Princeton Univ. Press, 1993).
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[80]
Rylance (op. cit. in n. 1, 198), note que Bain se sépare de l’utilitarisme classique. Si par exemple le travail était toujours et seulement lié au « stimulus de la récompense », il ne serait pas possible de rencontrer, selon Bain – (1868), op. cit. in n. 1, 69-70 –, le « tempérament actif », chez lequel l’activité, étant « très peu altérée par la présence ou l’absence de stimulus ou de but, est manifestement une force constitutive qui porte en elle ce qui pousse à l’exercer » (a constitutive self-prompting force).
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[81]
Progressivement, on passe d’une conception localisée du contrôle moteur à un contrôle plus largement distribué.
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[82]
Dans un chapitre crucial pour l’appréhension médicale du membre fantôme, Mitchell s’est intéressé non seulement au fantôme comme ce dont on sent la présence, mais aussi à l’illusion de le mouvoir, par exemple dans l’impression persistante de mouvoir les doigts en l’absence du bras tout entier : « Il est donc probable qu’une partie de ces idées qui sont censées être obtenues par le sens musculaire, coïncident en fait, et sont nécessitées par, l’acte originel de la volonté [et, implicitement, l’activité cérébrale] […] » Weir Mitchell, Injuries of nerves and their consequences (Philadelphia : Lippincott & Co., 1872), 359.
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[83]
Tsarikis et al., op. cit. in n. 19.
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[84]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 59.
1La question des « impressions de mouvement » (feelings of movement), telle qu’elle est abordée dans l’œuvre de Bain Les Sens et l’intellect, mérite d’être étudiée à plus d’un titre [1]. Trois perspectives différentes et connexes peuvent être distinguées. Selon la première, ce qui doit être défini, c’est le sens et le rôle de la notion d’impression de mouvement dans l’économie de la pensée de Bain luimême. Le projet de Bain dans Les Sens et l’intellect comme dans Les Émotions et la volonté est celui d’une « science de l’esprit », et l’un des buts de celle-ci est de fournir un « compte rendu précis et systématique des états de la conscience humaine », une « histoire naturelle des impressions » [2]. Or Bain rencontre comme un problème essentiel pour un tel compte rendu la relation du mouvement volontaire à la conscience que nous en prenons, semblable en cela à Maine de Biran qui opposait dans son projet de « décomposition de la pensée » d’une part le sujet qui « s’aperç[oit] lui-même comme moteur », la « conscience du mouvement ou de l’acte volontaire », et d’autre part la « sensation du mouvement » [3], et plus généralement la sphère des « affections pures [4] ». La question des « impressions de mouvement » est bien, pour la « science de l’esprit » telle que Bain la conçoit, celle des relations entre spontanéité agissante et réceptivité ou sensibilité en général. Elle résulte de la manière dont Bain remédie au défaut ordinaire de l’associationnisme en reconnaissant l’importance de la dimension active de l’esprit [5].
2Selon une seconde perspective, on peut s’intéresser aux « feelings of movement » à l’intérieur du débat complexe qui porte au xixe siècle sur le sens du mouvement [6]. La question posée est : le mouvement nous est-il connu par son résultat, par ses effets comme les sensations liées à la contraction musculaire (comme le veulent les partisans de la théorie de l’afférence), ou par la conscience de l’initiative motrice elle-même (comme l’affirment les partisans de la théorie de l’efférence) [7] ? Elle est aussi : tout mouvement est-il une réponse à une stimulation, ou y a-t-il place pour une spontanéité agissante ? De Charles Bell [8] et Johann G. Steinbuch [9] à Charlton Bastian [10], William James [11] et Charles S. Sherrington [12], le débat intéresse les philosophes comme les médecins, les physiologistes et les psychologues. La notion d’« impressions de mouvement » montre que Bain appartient à l’évidence au camp des centralistes, comme Hermann von Helmholtz et Wilhelm Wundt. Précédant l’Optique physiologique du premier [13], et les Éléments de psychologie du second [14], Les Sens et l’intellect apparaissent comme une tentative pour intégrer la connaissance physiologique des fonctions du cerveau à la science de l’esprit [15], mais également pour faire communiquer la question spéciale du sens du mouvement, prise dans une actualité scientifique déterminée, et la question essentielle depuis John Locke [16] de la subjectivité comme conscience de l’agir, conscience de nos actions.
3Enfin, dans une troisième perspective, on pourrait se poser la question de la relation des Sens et l’intellect, et plus particulièrement des impressions de mouvement, à l’actualité. Impossible pour Bain de restituer à l’esprit sa dimension de spontanéité agissante sans établir que le cerveau est un instrument qui initie lui-même son activité (self-acting) [17]. Le chapitre sur le système nerveux, en ce sens, malgré sa visée essentiellement informative, n’est pas extérieur au projet du livre : les « découvertes frappantes des physiologistes relativement au système nerveux central » devraient selon Bain trouver une place dans la science de l’esprit [18]. Or il faudrait être distrait pour ne pas voir que le projet de réunir la physiologie du cerveau et l’analyse de la vie mentale est à l’ordre du jour. C’est, en particulier, ce que proposent les neurosciences cognitives. Est-ce alors aller trop loin que de reconnaître dans les notions connexes d’information efférente [19], de source centrale de la conscience de l’action [20], de modèle interne de l’action [21], d’imagerie motrice [22], des motifs qui ont avec les idées plus anciennes de courant d’énergie centrifuge [23], de mouvement autoinitié [24], de répétition mentale de l’action à venir [25], et d’impression de mouvement ou de sentiment d’innervation, au moins un air de famille ? La question est alors celle de savoir comment il faut écrire l’histoire et deux options sont en présence. On pourrait penser qu’il convient surtout d’éviter d’établir des continuités artificielles et que l’univers de Bain et celui des recherches en cours appartiennent à des paradigmes incommensurables. Mais on peut aussi faire l’hypothèse inverse, et reconnaître que les grandes options qu’on peut adopter dans la résolution des problèmes que Bain se posait ne sont pas en nombre infini, même si les moyens mis en œuvre peuvent différer considérablement lorsqu’il s’agit de construire des réponses convergentes. Le présent article fait le pari de partir de Bain luimême pour le situer ensuite dans son environnement immédiat, puis dans la perspective de la persistance d’une stratégie de recherche qui décompose pour expliquer.
4Pour les raisons énumérées ci-dessus, le chapitre des Sens et l’intellect, intitulé « De l’activité spontanée et des “impressions de mouvement” », abondamment remanié et complété de la première à la seconde édition du livre, ne traite donc pas d’une question régionale ou secondaire. Selon Bain, la solution commune qui consiste à admettre vis-à-vis du mouvement un sixième sens, le « sens musculaire », rangé aux côtés des sens externes, et donc à faire du mouvement un objet sensitif parmi d’autres, n’est pas satisfaisante. Une part importante de la conception qu’il se fait de l’objet de la « science de l’esprit » découle de la critique qu’il adresse à une telle solution, et il n’y a donc rien d’innocent à ce que ce chapitre précède celui consacré à la sensation. Les « impressions de mouvement » diffèrent des sensations ordinaires par leur objet. Mais elles en diffèrent aussi par leur origine, comme origine centrale. La théorie centraliste de la conscience d’agir vient donc chez Bain compléter sa conception du primat de l’action. Si l’action, en nous étant essentielle, a un statut différent des objets des sens externes, alors il est plausible que le mode de connaissance que nous en prenons diffère essentiellement de la sensibilité périphérique. C’est ce qui apparaît lorsque Bain affirme que pour lui cette « distinction vitale entre toutes à l’intérieur de la sphère de l’esprit [entre action et passivité du sens] est privée de toute base physiologique par une telle hypothèse » c’est-à-dire, par l’hypothèse selon laquelle les impressions de mouvement seraient simplement conçues « comme une autre classe de sensations, ou comme des impressions transmises au cerveau par des nerfs sensitifs » [26].
5Bain pose donc tout d’abord que « l’action est une propriété plus intime et plus inséparable de notre constitution qu’aucune sensation [27] ». C’est même le mouvement en général (que Bain distingue nettement, comme genre, de son espèce, l’action intentionnelle) qui doit être conçu comme un pouvoir sinon entièrement autonome, du moins tout à fait indépendant de la sensibilité. Bain avance en ce sens une série d’arguments [28], dont un qui concerne l’ontogenèse, où le mouvement précède la sensation [29]. À ce sujet, on peut insister sur sa dette vis-à-vis de Johannes Müller [30]. C’est Müller en effet qui choisit l’exemple du foetus comme exemple du primat de l’activité spontanée sur la sensation (primat étant ici synonyme d’antériorité chronologique invoquée comme preuve d’indépendance). Les premiers mouvements, affirme Müller, dont on sait en même temps ce que la diffusion du concept de réflexe lui doit [31], ne sont pas réflexes. Ils ne sont ni dirigés vers un but à atteindre, ni occasionnés par une stimulation : le nouveau-né « meut ses membres, simplement parce qu’il peut les mouvoir [32] ». L’activité n’est donc pas une source de sensations « parmi d’autres » du fait qu’elle peut exister à part, avant tout exercice d’un pouvoir sensitif quelconque.
6Cette indépendance vis-à-vis des sens est une relation asymétrique : une dimension d’activité est communément surimposée à l’exercice des sens [33]. Müller a soutenu que l’activité des sens est ordinairement accompagnée, sinon toujours, du mouvement, du moins de l’activité volontaire, invoquant le phénomène de l’attention dirigée intentionnellement dans une certaine direction. Son exemple est celui de la différence entre entendre un orchestre et écouter un de ses instruments [34]. Le contenu de notre expérience sensorielle varie selon nos intérêts du moment, au gré de l’exploration active de l’environnement qui est la nôtre. Dès lors, non seulement le mouvement est indépendant des sens, mais la réceptivité sensorielle est en permanence liée à une activité qui l’oriente et la canalise. Le mouvement spontané n’est donc pas, dès lors, un simple contenu particulier à l’intérieur de l’expérience sensitive. Il est d’abord, à sa bordure, ce qui informe celle-ci et lui donne sa cohérence.
7Cette thèse Müller-Bain du primat et de l’indépendance de l’activité spontanée a une importance propre qui mérite d’être soulignée. Si on se place à une très grande échelle, celle de l’histoire de la psychologie naturelle, une telle thèse apparaît foncièrement hétérodoxe. Car parler de psychologie naturelle c’est, depuis Aristote, se soucier de ce à quoi les capacités ou les « puissances » de l’âme sont naturellement bonnes [35]. Aux capacités nutritive, sensitive et motrice correspondent ainsi trois rôles biologiques téléologiquement ordonnés les uns par rapport aux autres : le maintien de l’existence végétative, la reconnaissance et la capture [36]. Or s’il existe des animaux qui sentent mais ne se meuvent pas (incapables de mouvement local, comme les testacés) [37], on ne rencontre cependant aucun animal mobile privé de la sensation : un animal qui se meut a besoin du sentir pour s’orienter, se nourrir et vivre. La faculté motrice suppose la faculté sensitive.
8La négation de cette affirmation est rendue plus explicite encore par Bain dans Les Émotions et la volonté [38], l’ouvrage qui complète Les Sens et l’intelligence. Bain écrit en effet : « Ces faits [énumérés dans Les Sens et l’intelligence] conduisent irrésistiblement à la conclusion qu’il y a dans la constitution [de l’organisme] une réserve d’énergie qui se transforme en action avec ou sans l’application de stimulants ou de sentiments externes se produisant en quelque manière. La spontanéité, en fait, est la réponse du système à la nutrition [je souligne] – une effusion de puissance dont la nourriture est la condition [39]. » Selon Bain, ce n’est donc pas dans la vie animale et la capacité sensitive, mais dans la vie organique, qu’il faut chercher la condition suffisante de l’activité. Il y a dépendance de la capacité motrice à l’égard de la capacité nutritive (et non pas sensitive). Procéder autrement serait faire des conditions spéciales de l’orientation opportune de l’activité motrice les conditions de possibilité de cette activité en général. S’il n’y a donc aucunement, dans le contexte du xixe siècle, de modèle réflexe chez Bain, comme il y en a par ailleurs chez Wilhelm Griesinger ou Thomas Laycock [40], c’est que Bain refuse en principe une conception de l’activité comme adaptation aux circonstances, et comme subordination de l’efférence aux afférences sensorielles. Le modèle réflexe, en consacrant la subordination des fonctions motrices aux fonctions sensitives, imposerait aussi celle de l’individu à son environnement.
9Pour Bain, le phénomène de la spontanéité est la clef de l’intelligence de la genèse de la volonté, et à ce titre, il possède une importance particulière dans la compréhension de nous-mêmes comme subjectivité. S’il est selon lui remarquable que ce soit les physiologistes, et non ceux qui ont traité de l’esprit humain, qui l’aient thématisé en premier [41], cependant, Bain ne peut adopter tout à fait la terminologie de Müller, car il y a lieu de distinguer selon lui entre les actions spontanées et les actions volontaires qui en dérivent [42]. Les actions spontanées, comme les mouvements du foetus ou ceux du dormeur qui s’éveille, ne peuvent qu’improprement être appelées volontaires, comme Müller le fait. Dès lors, Bain peut développer une explication génétique ; il se doit de préciser ce qui s’ajoute au mouvement spontané pour que soit possible quelque chose comme une volition. Ce qui s’ajoute selon Bain est, en particulier, un état émotionnel qui résulte typiquement de cette activité spontanée ; l’agent, qui se meut au hasard et découvre accidentellement le lien entre mouvement et état émotionnel résultant, apprend à faire de l’un l’instrument de l’obtention de l’autre. C’est une formulation de la loi de l’effet [43], où sont sélectionnées les actions qui ont eu dans un contexte donné des conséquences favorables. La volition naîtrait du tri dans l’expérience parmi les mouvements spontanés.
10Bain développe alors une hypothèse centraliste relative à la conscience du mouvement volontaire, et celle-ci complète sa théorie du mouvement spontané conçu comme indépendant de la sensation et élément premier de la genèse des volitions. La conscience d’agir suppose une relation à l’action qui n’est pas réceptive ou sensitive, mais qui est directement dérivée de l’initiative motrice et de l’action se faisant. Le texte crucial est celui-ci : « Notre supposition la plus sûre est que la sensibilité accompagnant le mouvement musculaire coïncide avec le courant centrifuge de l’énergie nerveuse (the outgoing stream of nervous energy), et ne résulte pas, comme dans le cas de la pure sensation, de quelque influence allant vers l’intérieur au moyen de nerfs sensitifs [44]. » Il faut donc distinguer entre les « régions de l’activité spontanée [45] » (celles, mobiles, qui réalisent nos actions volontaires à la périphérie du corps) et les sources centrales de cette activité (la moelle épinière, la région du pont de Varole et les hémisphères cérébraux) [46]. À partir de la seconde édition, la thèse de la spécificité des impressions de mouvement est étayée par une longue note [47] qui cite plusieurs autorités en matière de physiologie nerveuse, comme CharlesÉdouard Brown-Séquard [48]. Son but est manifestement de construire une opposition fonctionnelle, et non pas seulement phénoménale ou introspective, entre la conscience de l’action et les impressions organiques dont les « filaments sensitifs » qui se trouvent « distribués dans les tissus musculaires » sont l’instrument [49]. Si l’action n’est pas une source parmi d’autres de sensations, ce n’est pas donc seulement du fait de son objet particulier, mais aussi des conditions spéciales (parce que centrales) de la genèse de la conscience que nous en prenons. La thèse d’une relation particulière entre le soi et l’action est dès lors complétée par une hypothèse physiologique, celle d’une classe d’impressions qui ne relèvent pas, comme les sensations ordinaires, de l’activité de récepteurs et de voies périphériques. Ceci est évidemment fondamental pour la science de l’esprit comme histoire naturelle des impressions, ce que les physiologistes n’ont pas su voir [50] : la sensation est une espèce dont l’impression est le genre, genre qui inclut en particulier la classe des impressions nées de l’activité spontanée [51].
11Concernant les fonctions des impressions de mouvement, Bain en reconnaît fondamentalement deux types. Il leur confère tout d’abord un rôle d’ordre motivationnel : les impressions de mouvement ont une dimension affective, et le plaisir que procure l’activité spontanée contribue à nous inciter à agir [52]. Il leur prête ensuite un rôle cognitif : toute activité de l’intellect commence par la « Discrimination [53] ». Or les impressions d’effort nous font connaître la différence de poids des objets, tout comme les différences entre impressions de mouvement nous font remarquer l’inégalité des distances et nous préparent ainsi à concevoir l’espace [54]. La conscience de notre spontanéité agissante est donc au fondement de nos relations au monde hors de nous. Enfin, Bain fait un ajout important dans Les Émotions et la volonté [55] : si d’une part les conditions de la conscience d’agir sont en principe indépendantes de l’exécution « ouverte » de l’action, et que d’autre part toute action est motivée par un affect, alors deux possibilités doivent être reconnues. La première est celle d’une simulation mentale de l’action, en l’absence de tout mouvement des membres. La seconde est celle d’une affection du sujet qui agit en pensée par les mêmes affects de plaisir et de peine qui peuvent découler de l’exécution de l’action : penser à la dépense physique, c’est éprouver le plaisir ou la peine qu’elle nous procurerait. C’est dire que l’action en pensée, dans la remémoration, l’imagination ou la délibération, et l’action explicite, ont une dimension affective commune parce qu’elles ont physiologiquement des conditions partagées.
12En un sens, la thèse des impressions de mouvement s’appuie elle aussi sur Müller. La dette qu’il reconnaît vis-à-vis du physiologiste relativement aux actions spontanées [56] s’étend en effet à la théorie centraliste du sens du mouvement. Dans la section V, « Du sens du tact », du livre V du Manuel consacré aux sens, Müller traite des relations entre sensibilité (Gefühl) et mouvement [57]. Ayant évoqué les sensations musculaires, conséquences de l’activité périphérique de l’organisme, Müller ajoute : « Il n’est cependant pas certain que la représentation de la force appliquée aux muscles ne dépende que de la sensation. Nous avons une représentation et estimation préalable très précise de l’activité nerveuse s’épanchant depuis le cerveau, laquelle est nécessaire, pour que s’ensuive un degré défini de mouvement. Il se pourrait bien que la représentation du poids et de la pression, lorsque nous soulevons [quelque chose] et effectuons un travail résistant, soit aussi pour une part non pas une impression dans le muscle mais un savoir de la quantité de l’activité nerveuse incitée à partir du cerveau (einWissen von dem Mass der vom Gehirn incitirten Nervenwirkung) [58]. » Ce texte est capital en ce qu’il fournit la motivation de Müller dans son choix de la théorie centraliste. Les sensations musculaires sont ordinairement confuses [59], et nous avons pourtant normalement, comme Müller l’indique dans la suite du texte, une conscience très aiguë des changements de position de nos membres. Dans la mesure où par ailleurs, nous avons un pouvoir de contrôle volontaire très précis relativement à nos membres, dont atteste la planification de l’action, il est raisonnable selon Müller d’attribuer une même origine à la conscience de l’action et au contrôle de l’action volontaire, et de faire de la conscience de l’action, un effet conscient de l’exercice du contrôle. Il est intéressant de noter que Bell, dans son livre sur la main, dit avoir envisagé une telle hypothèse [60] avant de se rallier à la thèse opposée, invoquant pour motiver son choix l’existence des nerfs sensitifs des muscles et l’existence d’une conscience de la position du corps au réveil, en l’absence de tout mouvement préalable. On peut noter que Müller utilise dans ce texte le mot représentation (Vorstellung) en deux sens. Un sens est celui, usuel, de la perception consciente de l’effort ou du mouvement. Mais un autre sens est présent lorsqu’il parle de « représentation et estimation préalable très précise de l’activité nerveuse », désignant ainsi la capacité de l’individu agissant à programmer son mouvement ou son effort à venir (direction du geste, amplitude du déplacement, degré de la contraction), c’est-à-dire à en définir les paramètres, et non à en percevoir l’exécution. La logique de l’analyse de Müller est de poser que la représentation consciente suppose surtout, sinon exclusivement, la définition d’un tel programme.
13Cependant, Bain n’avoue pas de dette vis-à-vis de Müller sur cette question des impressions de mouvement. C’est àWilliam Hamilton qu’il fait référence à la fin du chapitre, ce qu’on peut considérer comme une indication précieuse [61]. Dans les suppléments qu’il ajoute à son édition de Thomas Reid, Hamilton [62] fait la distinction entre notre pouvoir actif et la sensibilité musculaire. Ce qui lui importe, c’est que le sens de l’effort peut être pensé comme un instrument cognitif (vis-à-vis des propriétés des objets) indépendant de toute sensibilité périphérique. La connaissance des propriétés physiques des choses hors de nous dépend alors de notre action elle-même ; elle survivrait à la destruction des afférences. Pour autant, la sensibilité périphérique n’est pas dévalorisée par Hamilton : elle est une source complémentaire d’information. Les qualités « secundo-primaires » (dureté, solidité, incompressibilité, et leurs contraires) [63] ne sont pas appréhendées dans leur matérialité par les sens externes, affirme Hamilton. Elles sont en fait appréhendées de deux manières complémentaires, d’une part dans leur existence objective, par la « faculté locomotrice », et d’autre part dans leur effet sur nous, par le tact et surtout le sens musculaire. Hamilton envisage donc un sens de l’effort dirigé primordialement vers les choses mues, et qui peut s’exercer vis-à-vis du déplacement des segments du corps lui-même. Pour faire comprendre sa proposition, Hamilton envisage deux situations symétriques, deux ignorances acquises. D’une part, la « volition enorganique » (la commande cérébrale) ne garantit pas à elle seule l’occurrence du mouvement lui-même [64] : on peut illustrer cette proposition en prenant le cas où quelqu’un croit faussement qu’il a déplacé un bras demeuré immobile parce qu’il est conscient de l’initiative de le mouvoir, mais inconscient de l’inertie du membre. D’autre part la conscience de la contraction dépend d’une forme spécifique de sensibilité périphérique : c’est la raison pour laquelle on peut ignorer, comme dans l’exemple célèbre de Bell, un relâchement de la contraction musculaire qui amène à laisser choir inconsciemment ce qu’on tenait [65].
14Il y a deux choses qui sont importantes dans ce passage d’Hamilton et dans le fait que Bain y fasse référence, et s’en inspire manifestement. La première est que dans le contexte de l’édition de Reid, il est tentant de projeter la distinction de celui-ci entre perception et sensation [66] sur la différence entre conscience centrale de l’effort et sensibilité musculaire périphérique [67]. Grâce à la « faculté locomotrice » qui détermine la calibration de l’effort, nous percevons les propriétés de l’objet en même temps que l’énergie déployée à son contact ; et grâce au « sens musculaire », nous avons des sensations qu’engendre l’effet sur nous de l’objet que nous tenons dans nos mains, ou soulevons. Il y aurait donc une lecture reidienne possible de la querelle entre périphéralisme et centralisme, et à partir d’une telle philosophie, on peut proposer qu’une solution au problème de la sensibilité à l’effort ou au mouvement est probablement une solution mixte, qui intègre deux relations distinctes. La seconde remarque qu’on peut faire est que l’économie de la pensée de Reid invite à subordonner la sensibilité périphérique à la conscience centrale, soit de l’effort avec Hamilton, soit plus nettement encore [68] du mouvement avec Bain. Autre est la programmation effective du geste dont je prends conscience en l’initiant, autre (et subordonnée) la sensation périphérique et la fatigue du bras. On pourrait donc voir dans Bain, lecteur d’Hamilton et théoricien du rôle des impressions de mouvement, la rencontre entre la physiologie de Müller et la critique de Reid à l’égard de la réduction de l’acte de percevoir au seul pouvoir sensitif.
15La critique, on le sait, ne devait pas épargner les théories centralistes. Lorsqu’il émet des doutes sur la conception qu’a Bain des « impressions de mouvement », et qu’il cherche à confier un rôle essentiel à des « modes passifs de la sensibilité », Bastian [69] se tourne ainsi vers la clinique des pathologies du système nerveux central, en particulier la « paralysie du sentiment d’activité musculaire [70] ». On constate chez certains patients que la régulation des mouvements est perturbée quand bien même la capacité à se mouvoir demeure intacte ; il faut donc selon Bastian séparer, et non, comme Bain l’avait proposé, réunir leurs conditions : « La volition, et le pouvoir moteur, étant intacts, les « impressions », qui sont censées leur être coextensives, font défaut [71]. » La critique, dans un second temps, se radicalise. Avec James, elle prend la forme d’un raisonnement a priori [72] : l’impression de mouvement, ou sensation d’innervation, est inutile. Elle est d’une part contraire à une bonne économie de pensée ; d’autre part, elle est dépourvue d’évidence introspective. Tout ce qu’il faut admettre dans la conscience, c’est une image (kinesthésique, en particulier) du mouvement passé, et lui joindre le fiat de la décision qui s’y ajoute de la même manière en chaque cas. James témoigne d’une évolution que la découverte des instruments de la proprioception, c’est-à-dire du contrôle par feed-back de la motricité, précipite [73] : tandis que la théorie de l’afférence se renforce, la théorie de l’efférence perd du terrain. Dans un chapitre consacré à la « sensibilité organique », Edwin Boring peut écrire en 1942 [74] : « Pendant toute la seconde moitié du xixe siècle, ont persisté à la fois confusion et controverse au sujet de la distinction entre les sensations musculaires et les sensations d’innervation. La plupart des physiologistes et des psychologues les plus importants de cette période, incluant à la fois Helmholtz etWundt, croyaient que l’innervation des voies efférentes dans l’action volontaire engendre des sensations qui naissent tout entières à l’intérieur du cerveau, et non au moyen de fibres afférentes, à partir des muscles activés. Ces sensations d’innervation, formant la base sensorielle consciente de l’expérience de la volition, ne furent abandonnées qu’à contrecœur par la psychologie du xxe siècle. » Dans le contexte d’une psychologie marquée par le behaviorisme, Boring estime que les théories centralistes ont désormais tout leur avenir derrière elles ; ce qui manque le plus à leurs partisans n’est pas l’évidence introspective, mais la capacité à les soumettre à une expérimentation rigoureuse.
16On doit rappeler, bien sûr, que le jugement de Boring devait être invalidé avec l’apparition de nouvelles formes de théorie de l’efférence et de nouvelles formes de contrôle expérimental. D’une part, avec Roger W. Sperry (la décharge corollaire, 1950) et Erich von Holst (la copie d’efférence, 1954) [75], les théories centralistes devaient ressurgir quelques années plus tard là où on les attendait le moins, du côté de la modélisation du comportement en neurophysiologie, et non d’une psychologie de l’intériorité. D’autre part, Benjamin Libet devait montrer, dans un célèbre article de 1983 [76], que les relations temporelles entre la conscience de l’action et l’activité cérébrale et corporelle peuvent devenir objet d’investigation scientifique. Le sujet, qui décide du moment où il va se mouvoir, est face à une horloge et dit à quel moment il perçoit que commence la réalisation de l’action [77]. Grâce à l’électromyographe, Libet met en évidence ce fait étonnant que les sujets pensent commencer à se mouvoir environ 86 ms avant le début de l’activité musculaire. « Pris tel quel, ce résultat semble suggérer qu’une conscience de l’action ne peut pas naître de sensations périphériques nous disant que le mouvement se produit véritablement. Bien plutôt, ces résultats indiquent quelque chose comme une source centrale [je souligne] de la conscience de l’action, à l’intérieur des structures cérébrales qui préparent et exécutent les actions intentionnelles [78]. »
17Il n’y avait donc aucunement eu réfutation, mais éclipse des théories centralistes. On pourrait ajouter que rien n’invite réellement dans les sciences expérimentales à déduire de la validité partielle d’un modèle l’inanité d’un modèle alternatif. La découverte des récepteurs musculaires et tendineux n’impliquait nullement l’inexistence ou l’inutilité d’instruments de contrôle d’un autre type. Elle n’abolissait pas la distinction entre activité et passivité, ni entre initiative de lever le bras et réflexe. La question est alors de savoir si les nouvelles formes de théories centralistes partagent beaucoup, ou peu, avec celles du passé.
18En histoire des sciences, une conception discontinuiste de l’évolution des théories a souvent été présentée comme un progrès. Plutôt que de parer les recherches en cours d’une généalogie prestigieuse, et de biaiser l’interprétation du passé en y cherchant des préoccupations anachroniques, il conviendrait, dit-on, de privilégier l’hétérogénéité des motivations, des instruments et des concepts. Le développement récent d’une histoire des sciences qui entend privilégier l’étude (imagée) des pratiques et de leur inscription sociale, et non plus celle (austère) des seules théories, ne peut qu’abonder dans le même sens. Cependant, cette voie n’est pas la seule possible. On peut faire, non pas seulement l’histoire de ce qui appartient à un temps court et à un lieu, mais aussi l’histoire du développement sur un temps long de stratégies de recherche cohérentes et fécondes [79].De telles stratégies ne deviennent pas méconnaissables lorsqu’elles sont appliquées en ayant recours, ailleurs, en un autre temps, à des tactiques différentes (par exemple, d’autres techniques d’investigation) ; elles ne disparaissent pas avec l’échec momentané de leur mise en pratique ; elles survivent à de tels échecs chaque fois que la leçon de ceux-ci est tirée. L’histoire des sciences, si elle entend thématiser de telles stratégies, peut prendre appui sur une philosophie des sciences qui choisit pour objet, non la logique de la justification, mais la dynamique de la recherche, les instruments cognitifs que cette dernière mobilise, la proposition et la rectification de modèles du fonctionnement physiologique. Restituer les continuités, alors, ce n’est pas méconnaître les différences, ni valider rétrospectivement les choix d’hier. C’est essayer de rendre à chacun le sien, en indiquant la direction suivie.
19De ce point de vue, il serait réducteur, par exemple, de ne voir dans l’éloge de la spontanéité qu’une transposition en psychophysiologie de la critique de l’utilitarisme moral, même si ceci compte aussi dans l’argumentation des Sens et l’intellect [80]. Bain affirme la nécessité conjointe d’une analyse de la vie mentale (déterminer de quoi, de quelles « impressions », nous sommes capables) et d’une instanciation des pouvoirs qu’on a dissociés dans une perspective naturaliste (déterminer comment, en vertu de l’engagement de quelles structures nerveuses, nous en devenons capables) [81]. Il affirme également, et ses contemporains avec lui, que l’association est indispensable entre spéculation et recherche, entre formulation des cadres théoriques et mise à l’épreuve de leurs conséquences par la médecine et l’expérimentation [82]. Ces exigences n’engagent pas seulement la recherche d’hier. Une étude récente conclut que l’identification de soi (dans une tâche où il faut déterminer si ce qu’on voit est sa main, ou celle d’un tiers) est plus précise lorsque les sujets sont eux-mêmes les auteurs de l’action qu’ils observent que lorsque, dans le mouvement passif, ils ne peuvent utiliser que l’information proprioceptive [83]. On peut y voir la postérité conjointe des deux assertions fondamentales des Sens et l’intelligence : l’action comme « propriété inséparable de notre constitution [84] » ; l’irréductibilité des feelings of movement au sens musculaire.
Mots-clés éditeurs : Alexander Bain, volition, pensée et action, physiologie cérébrale
Date de mise en ligne : 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/rhs.602.0357Notes
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[*]
Recherche effectuée avec le soutien du Wellcome Trust (Londres), travel grant IGR077587 MA.
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[**]
Denis Forest, Université Lyon III, Faculté de philosophie, 74, rue Pasteur, 69007 Lyon et IHPST, 13, rue du Four, 75006 Paris.
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[1]
Alexander Bain, The Senses and the intellect (London : Parker & Sons, 1855) ; 2e éd. (Londres : Longman, Green, Longman, Roberts & Green, 1864) ; 3e éd. (Londres : Longman, Green & Co., 1868). Voir John Stuart Mill, Bain’s psychology (1re éd., 1859), in Collected works of John Stuart Mill, XI (Toronto : Univ. of Toronto Press, 1978), 340-373 ; Théodule Ribot, La Psychologie anglaise contemporaine (école expérimentale) (Paris : Ladrange, 1870), 221-296 ; Robert M. Young, Mind, brain and adaptation (Oxford : Clarendon Press, 1970), 101-133 ; Ryck Rylance, Victorian psychology and British culture, 1850-1880 (New York : Oxford Univ. Press, 2000), 147-202.
-
[2]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 73.
-
[3]
Maine de Biran, Mémoire sur la décomposition de la pensée (1804), éd. de François Azouvi (Paris : Vrin, 1988), 209.
-
[4]
Ibid., 44.
-
[5]
Mill, op. cit. in n. 1, 354.
-
[6]
Edwin G. Boring, Sensation and perception in the history of experimental psychology (1re éd., 1942) (New York : Irvington Publishers, 1970), chap. XIV.
-
[7]
Marc Jeannerod, Le Cerveau machine, physiologie de la volonté (1re éd., 1983) (Paris : Diderot, 1998), chap. VI.
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[8]
Charles Bell, On the nervous circle which connects the voluntary muscles with the brain, Philosophical transactions, 116 (1826), 163-173.
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[9]
Johann Georg Steinbuch, Beitrag zur Physiologie der Sinne (Nuremberg : J. L. Schrag, 1811).
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[10]
Charlton Bastian, The Brain as an organ of mind (Londres : Paul Kegan, 1880).
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[11]
William James, The Principles of psychology, t. II, chap. XXVI (New York : Henry Holt and Co., 1890), 486-592.
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[12]
Charles Scott Sherrington, The muscular sense, in Edward A. Schafer (ed.), Textbook of physiology (Edimbourg-Londres, 1900), t. II, 1002-1025.
-
[13]
Hermann von Helmholtz, Handbuch der physiologischen Optik (Leipzig : Voss, 1866).
-
[14]
La première édition des Éléments date de 1874. Wundt est cependant cité dans Bain (1868) – op. cit. in n. 1 –, à la page 77. Sur Wundt et son évolution, voir Helen E. Ross, Klaus Bischof,Wundt’s views on sensations of innervation : A reevaluation, Perception, 10 (1981), 319-329.
-
[15]
Voir Bain, The Senses…, op. cit. in n. 1, préface à la première éd., III.
-
[16]
John Locke, Essay on the human understanding, II, chap. XXVII.
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[17]
Mill, op. cit. in n. 1, 355.
-
[18]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, préface, III. Voir le passage sur les régions cérébrales inférieures, aux pages 43-44, qui anticipe sur l’idée de mouvements auto-initiés (selforiginated).
-
[19]
Manos Tsarikis, Patrick Haggard, Nicolas Franck, Nelly Mainy, Angela Sirigu, A specific role for efferent information in action recognition, Cognition, 96 (2005), 215-231.
-
[20]
Patrick Haggard, Conscious awareness of intention and of action, in Johannes Roessler, Naomi Eilan (eds.), Agency and self-awareness (Oxford : Clarendon Press, 2003), 111-127.
-
[21]
Daniel M. Wolpert, Computational approaches to motor control, Trends in cognitive science, 1/6 (1997), 209-216.
-
[22]
Marc Jeannerod, The representing brain, The Behavioral and brain sciences (1994), 187-202.
-
[23]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 77.
-
[24]
Ibid., 44.
-
[25]
Alexander Bain, The Emotions and the will (Londres : Parker and Sons, 1859), 470-471.
-
[26]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 77.
-
[27]
Ibid., 59.
-
[28]
Ibid., 64-70. Ils vont de la tonicité des muscles à la psychologie du tempérament actif.
-
[29]
Bain (1868), op. cit. in n. 1.
-
[30]
Johannes Müller, Handbuch der Physiologie des Menschen (Coblence : Hölscher Verlag), t. I (1835) et II (1840). Version anglaise : Id., Elements of physiology, trad. William Bally (Londres), t. I (1838) et II (1842). Dans son Autobiographie, Bain soutient que la thèse de la « spontanéité » lui est venue indépendamment, en avril 1851, à l’occasion de la discussion par William Sharpey des spéculations de Michael Faraday sur la force nerveuse. Voir Young, op. cit. in n. 1, 116, note 1.
-
[31]
Edwin Clarke, Leon Jacyna, 19th Century origins of neuroscientific concepts (Berkeley : Univ. of California Press, 1987), 124-125.
-
[32]
Müller (1840), op. cit. in n. 30, t. II, liv. IV, chap. I, sect. c, 94. Cité par Bain (1868), op. cit. in n. 1, 296. Cet exemple est d’autant plus frappant qu’on le retrouve aujourd’hui inchangé à l’appui d’une « théorie centraliste de l’action », qui pose que « les organismes ne sont pas des systèmes purement réactifs » : les racines ventrales de la moelle sont fonctionnelles avant les racines dorsales chez le foetus humain. Marc Jeannerod, To act or not to act, Quarterly journal of experimental psychology, 52/1 (1999), 1-29 ; spécialement 2.
-
[33]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 59.
-
[34]
Müller, op. cit. in n. 32, 95-96.
-
[35]
John Bigelow et Robert Pargetter (dans Functions, The Journal of philosophy, 84/4 (1987), 181-196) ont proposé une théorie propensionniste des fonctions biologiques où la fonction d’une structure ou d’une capacité est ce par quoi cette structure ou cette capacité confèrent une propension accrue de reproduction à leur porteur (voir l’analyse de Joëlle Proust, Comment l’esprit vient aux bêtes (Paris : Gallimard, 1997), chap. VII). Plutôt que de critiquer le finalisme aristotélicien, il serait sans doute plus judicieux de reconnaître dans la conception naturaliste des puissances de l’âme chez Aristote une conception antérograde des fonctions, similaire en cela à la théorie propensionniste.
-
[36]
Pierre Pellegrin, Le De anima et la vie animale : Trois remarques, in Corps et âme : Essais sur le De anima d’Aristote, sous la dir. de Gilbert Romeyer-Dherbey (Paris : Vrin, 1996), 454-492.
-
[37]
Aristote, Parties des animaux, IV, 683 b 4 sq. ; Id., Traité de l’âme, 410 b 19-21 ; 413 b 2-4 ; 432 b 19-20.
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[38]
Alexander Bain, The Emotions and the will, 3e éd. (Londres : Longmans, Green & Co., 1875).
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[39]
Ibid., 304.
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[40]
Voir Marcel Gauchet, L’Inconscient cérébral (Paris : Le Seuil, 1992). On ne peut donc accepter la formule selon laquelle il s’agit avec Les Sens et l’intelligence du livre qui « consacre la rencontre de la psychologie de l’association avec le schème sensorimoteur en physiologie » (ibid., 64) sans préciser tout ce qui sépare les impressions de mouvement selon Bain des sensations et stimulations périphériques ordinaires.
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[41]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 296.
-
[42]
Ibid., 296-299.
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[43]
Ou principe de l’action-effet. Joëlle Proust, La Nature de la volonté (Paris : Gallimard, 2005), 145-149.
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[44]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 76-77.
-
[45]
Ibid., 70.
-
[46]
Ibid., respectivement 41, 42 et 45. Cette distinction entre les sources des courants centrifuges se double implicitement d’une gradation qui va des mouvements spontanés aux volitions complexes.
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[47]
Ibid., 77-79.
-
[48]
Charles-Édouard Brown-Séquard, Course of lectures on the physiology and pathology of the central nervous system (Philadelphie : Collins, 1860).
-
[49]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 77.
-
[50]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 77.
-
[51]
Ibid., 101.
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[52]
Ibid., 80-81. Un élément pertinent du contexte serait sans doute l’opposition entre le loisir du sport (l’activité librement consentie) et la fatigue du travail (l’épuisement musculaire). Voir Anson Rabinbach, The Human motor : Energy, fatigue, and the origins of modernity (Berkeley : Univ. of California Press, 1990).
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[53]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 91.
-
[54]
Ibid., 90-98.
-
[55]
Bain, op. cit. in n. 25, 470-471.
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[56]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 296.
-
[57]
À noter que la traduction anglaise du Manuel (Elements of physiology, op. cit. in n. 30, 1329) utilise l’expression de « sens musculaire » (the muscular sense), laquelle n’a aucun équivalent direct dans le texte original de Müller, et prête au contresens, si on conçoit un tel sens selon les positions périphéralistes de Thomas Brown (sur le versant philosophique) et de Charles Bell (sur le versant scientifique). Voir Thomas Brown, Lectures on the philosophy of the human mind (Edimbourg-Londres : Tait - Longman, Hurst, Rees, Orme & Brown, 1820), t. I, lectures 22-24, sur la « sensation musculaire », où le muscle est caractérisé comme « organe sensitif » nous donnant la sensation de fatigue (ibid., 496-497) ainsi que Charles Bell, The Hand, its mechanism and vital endowments as evincing design (Londres :William Pickering, 1834), chap. IX : « Of the muscular sense », 212-229.
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[58]
Müller (1840), op. cit. in n. 30, t. II, 500.
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[59]
C’est un point sur lequel LudwigWittgenstein insiste dans sa critique de James : voir ses Remarques sur la philosophie de la psychologie, trad. Gérard Granel (Mauvezin : Éd. TER, 1989), § 382-408.
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[60]
Bell, op. cit. in n. 57, 220 : « À un moment, j’ai conçu un doute [quant au sens de la position] : est-ce qu’il procédait d’une connaissance de la condition des muscles [l’hypothèse finalement retenue par Bell] ou d’une conscience du degré d’effort dirigé vers eux dans la volition [je souligne]. »
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[61]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 99-100.
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[62]
William Hamilton, On the locomotive faculty and muscular sense, in relation to perception, in Id. (ed.), The Works of Thomas Reid (Edimbourg-Londres : Mc Lachlan, Stewart and Co. - Longman, Brown, Green and Longman, 1846), 864-867. Ce texte est suivi de : Notices historiques touchant la reconnaissance de la faculté locomotrice comme medium de la perception, et sur le sens musculaire, ibid., 867-869.
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[63]
Id., Distinction of the primary and secundary qualities of the body, ibid., 848-849.
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[64]
Hamilton (ed.), op. cit. in n. 62, 865 : « […] nous sommes inconscients, non seulement de la manière dont cette opération est exécutée, mais de l’opération elle-même. » L’exemple est invoqué par Bain (1868), op. cit. in n. 1, 79.
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[65]
Voir Hamilton, op. cit. in n. 62, 865, l’exemple tiré de Bell, op. cit. in n. 57, 225-226. En l’absence d’impressions périphériques (nous dirions d’un feed-back sur le degré de la contraction musculaire), la nurse qui tient l’enfant au creux de son bras risque si son attention est distraite de le laisser choir à son insu, car elle ignore le relâchement progressif des muscles fléchisseurs. « Nous percevons combien est insuffisant pour l’usage des membres le maintien du pouvoir musculaire, en l’absence de la sensibilité [périphérique] qui doit l’accompagner et le diriger [je souligne]. » (Ibid., 226.)
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[66]
Thomas Reid, Essays on the intellectual powers of man (1re éd., 1785) (Edimbourg : Edition Brookes - Edinburgh Univ. Press, 2002), II, chap. XVI.
-
[67]
En ce sens, le jugement de Rylance – op. cit. in n. 1, 169 : « Bain avait, bien sûr, rejeté la philosophie écossaise traditionnelle très tôt. » – est à nuancer.
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[68]
Hamilton (ed.), op. cit. in n. 62, 865. Hamilton reconnaît aux sensations périphériques qu’elles fournissent une information dérivée, mais dotée de valeur, sur l’activité organique.
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[69]
Charlton Bastian, On the « muscular sense » and on the physiology of thinking, British medical journal, 1er mai 1869, 394-396.
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[70]
Octave Landry, Mémoire sur la paralysie du sentiment d’activité musculaire (Paris : Plon, 1855). Il s’agit de neuropathies affectant l’innervation sensorielle des muscles des membres. Voir Jonathan Cole et Jacques Paillard, Living without touch and peripheral information about body position and movement : Studies with deafferented subjects, in José Luis Bermudez, Antony Marcel, Naomi Eilan, The Body and the self (Cambridge, MA : MIT Press,1995), 245-266.
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[71]
Bastian, op. cit. in n. 68, 396. L’argument ne porte que parce que les rôles respectifs des informations efférentes (la prédiction sur le résultat) et afférentes ne sont pas nettement distingués.
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[72]
James, op. cit. in n. 11, t. II, chap. XXVI, 492-501.
-
[73]
Denis Forest, Le concept de proprioception dans l’histoire de la sensibilité interne, Revue d’histoire des sciences, 57/1 (2004), 5-31.
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[74]
Boring, op. cit. in n. 6, 525.
-
[75]
Jeannerod, op. cit. in n. 7, chap. VI.
-
[76]
Benjamin Libet, Curtis A. Gleason, Elwood W. Wright, Dennis K. Pearl, Time of conscious intention to act in relation to onset of cerebral activity (readiness potential), Brain, 106 (1983), 623-642.
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[77]
Ces résultats sont indépendants de ceux, présentés simultanément, et qui concernent la relation entre potentiel de préparation et décision d’agir.
-
[78]
Haggard, op. cit. in n. 20, 114.
-
[79]
William Bechtel, Robert C. Richardson, Discovering complexity : Decomposition and localization as strategies in scientific research (Princeton : Princeton Univ. Press, 1993).
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[80]
Rylance (op. cit. in n. 1, 198), note que Bain se sépare de l’utilitarisme classique. Si par exemple le travail était toujours et seulement lié au « stimulus de la récompense », il ne serait pas possible de rencontrer, selon Bain – (1868), op. cit. in n. 1, 69-70 –, le « tempérament actif », chez lequel l’activité, étant « très peu altérée par la présence ou l’absence de stimulus ou de but, est manifestement une force constitutive qui porte en elle ce qui pousse à l’exercer » (a constitutive self-prompting force).
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[81]
Progressivement, on passe d’une conception localisée du contrôle moteur à un contrôle plus largement distribué.
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[82]
Dans un chapitre crucial pour l’appréhension médicale du membre fantôme, Mitchell s’est intéressé non seulement au fantôme comme ce dont on sent la présence, mais aussi à l’illusion de le mouvoir, par exemple dans l’impression persistante de mouvoir les doigts en l’absence du bras tout entier : « Il est donc probable qu’une partie de ces idées qui sont censées être obtenues par le sens musculaire, coïncident en fait, et sont nécessitées par, l’acte originel de la volonté [et, implicitement, l’activité cérébrale] […] » Weir Mitchell, Injuries of nerves and their consequences (Philadelphia : Lippincott & Co., 1872), 359.
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[83]
Tsarikis et al., op. cit. in n. 19.
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[84]
Bain (1868), op. cit. in n. 1, 59.