Notes
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[1]
Même si la mise en question de cette représentation reste marginale parmi les travaux scientifiques, et à peu près inexistante dans l’édition, ces travaux existent au moins depuis l’ouvrage d’Albert Boime au début de nos années 1970 (Boime, 1971). La thèse de Pierre Vaisse (1995) qui dut significativement attendre 15 ans sa publication est à ce jour l’enquête la plus complète. La conférence de Jacques Thuillier au Collège de France en 1980 (Thuillier, 1984) est ici l’exposé le plus brillant et le plus stimulant. Pour une recension des travaux portant sur cette question, entre 1980 et 1995, cf. Vaisse, 1995, 451-459.
-
[2]
Cf., par exemple, Moulin, 1979. Pour la critique d’une supposée libéralisation du Second Empire vers 1860, cf. Bounan, 1997.
-
[3]
Cf. la bibliographie finale.
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[4]
Cet article était proche de sa publication lorsqu’une nouvelle édition de L’Esthétique parut aux Éditions Vrin. Nous citerons donc ce texte dans cette édition. Jacqueline Lichtenstein, qui en est l’éditrice, avait déjà présenté Eugène Véron dans La tache aveugle, 2003. Ces pages, et la préface qu’elle a rédigée pour l’édition récente, sont à notre connaissance les seules exceptions à l’oubli dans lequel les esthéticiens et historiens de l’art ont laissé Véron depuis un siècle.
-
[5]
Ces indications biographiques sont données à partir des deux nécrologies parues dans L’Art, 1889, 1, t. i, 245, et Le Courrier de l’Art, 7 juin 1889, 23. Un article de l’anthropologue Léonce Manouvrier, paru dans les Bulletins de la Société d’Anthropologie de Paris (1892, 4e série, t. iii, 238-278) donne aussi de nombreuses indications biographiques, recueillies auprès de la veuve – et troisième épouse – d’E. Véron. Je remercie Claude Blanckaert de m’avoir signalé l’existence de ce précieux article, dont il sera question plus loin. Claude Blanckaert est l’auteur d’un article sur Eugène Véron (Blanckaert, 1989-1992).
-
[6]
Véron, 1862.
-
[7]
Véron, 1865, 1866, 1867.
-
[8]
Véron, 1871a, 1871b, 1874, 1876-1877.
-
[9]
Un jury dirigé par Véron élisait tous les deux ans un jeune sculpteur ou peintre, français ou étranger, auquel il attribuait une bourse lui permettant d’étudier à Florence pendant deux ans. Jusqu’en 1880 au moins, ce choix se faisait parmi les œuvres exposées au Salon, à l’occasion d’une sorte de contre-visite. En 1876, le prix de Florence fut décerné au sculpteur Albert-Lefeuvre, qui exposait son Adolescence au Salon. Pressenti pour la médaille d’honneur, le jury ne lui accorda aucune distinction, mais son œuvre fut achetée par l’État. En 1878, le prix fut attribué au statuaire Charles Beylard. En 1880, il revint au sculpteur J.L. Enderlin pour son Joueur de billes. Le jury du Salon récompensa aussi cette œuvre par une troisième médaille, la plus faible des distinctions.
-
[10]
La Bibliothèque Internationale de l’Art fut dirigée par Eugène Muntz, Conservateur du Musée, de la Bibliothèque et des Archives de l’École Nationale des Beaux-Arts. La Bibliothèque de l’enseignement artistique fondée en 1883 était dirigée par É. Ménard, professeur à l’école des Arts décoratifs.
-
[11]
Véron, 1878, 1884, 1885.
-
[12]
Cf. Genet-Delacroix, 1992, 331 et Le Courrier de l’Art, 21 janvier 1887, 3.
-
[13]
Véron, 1887.
-
[14]
La théorie du beau chez Platon a fait l’objet d’une étude minutieuse par Véron. Cf. « L’idéal dans l’art d’après Platon », L’Art, 1877, 3, 49-52, 97-99 et 169-172. Elle est reprise en annexe de L’Esthétique.
-
[15]
Ainsi, parmi bien d’autres exemples, ce compte rendu par Véron de l’ouvrage de Séailles, 1883 : « Que vient-on donc nous parler de style abstrait, impersonnel, absolu ? Je suis toujours heureux de voir un universitaire se dégager de ce verbiage imbécile de l’école métaphysique, et je félicite vivement monsieur Séailles d’avoir énergiquement protesté, au moins sur ce point, contre l’esthétique creuse des Charles Levesque, Charles Blanc et autres nourrissons attardés de Winckelmann », Le Courrier de l’Art, 15 janvier 1886, 3. Pour Taine, cf. le compte rendu de lecture de la Philosophie de l’art par Ernest Chesneau, L’Art, 1882, 3, 218-220 et 258-260.
-
[16]
Un exemple dans ce compte rendu du Salon de 1884 par André Michel pour L’Art : « Comme nous ne pensons pas que le lecteur ait pris au sérieux le panneau mal venu, mal conçu et mal peint, que M. H. Motte destine à la mairie de Limoges (encore une commande de l’État, protecteur des Beaux-Arts et défenseur de l’Idéal !), nous ne le comprendrons pas dans cet inventaire de la peinture décorative, en l’an de grâce 1884 », L’Art, 1884, 1, 186.
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[17]
« Cette conception du beau est certainement la plus répandue. C’est celle que propage l’enseigne-ment universitaire à tous les degrés, et qui, par lui, rayonne et domine dans le monde officiel », Véron, 1878 (2007, 135).
-
[18]
« La métaphysique qui plane dans le vide, au milieu des entités flottantes inventées par elle, dans ce monde que, par une sorte d’ironie provocante, elle appelle le monde des intelligibles, ne peut vivre que d’abstractions ou de grandes phrases qui s’accommodent mal des détails précis. (…) Nous ne devons pas oublier que le caractère de la publication d’ensemble dont fait partie ce volume est précisément de réagir contre ces antiques habitudes d’esprit qu’entretient avec tant de soin, et malheureusement aussi avec tant de succès, la vieille tradition académique… » ibid., 291 et suiv.
-
[19]
Ibid., 136.
-
[20]
Ibid., 111.
-
[21]
Ibid., 107.
-
[22]
Cette formule se trouvait déjà dans le texte liminaire au premier numéro de L’Art, où Véron définit les principes éditoriaux de la nouvelle revue : « Il n’y a d’œuvres d’art que celles qui portent la marque du tempérament et des convictions de l’artiste, celle qu’anime et illumine le reflet de cette flamme intérieure que ne manquent jamais d’allumer dans les âmes l’effort et le mouvement du travail créateur. À l’artiste qui se fait l’instrument d’une conception surannée ou étrangère, qui s’asservit à la reproduction d’une œuvre qu’il n’a pas créée, qui substitue l’imitation d’un procédé appris à la manifestation de ses impressions personnelles, cette flamme manque fatalement, et son œuvre, quelle qu’elle soit, n’est et ne peut être qu’un pastiche. En un mot, dans le domaine de l’art, pour faire quelque chose, il faut être quelqu’un » (L’Art, 1875, 1).
-
[23]
Véron, 1878 (2007, note 2, 141). Véron cite ici Les maîtres d’autrefois de Fromentin.
-
[24]
Ibid., 126.
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[25]
Cf., par exemple, Panofsky, 1924.
-
[26]
Blanc, 1867 (2000, 90).
-
[27]
Ce passage important se poursuit ainsi : « Dans cette conception, l’esprit n’est plus réduit à ce rôle purement passif que lui attribuent toutes les philosophies antérieures. Au lieu de recevoir et de reproduire simplement l’image des objets et des faits extérieurs, comme dans les doctrines matérialistes, ou de n’être que l’écho ou le réceptacle des idées et des principes impersonnels des spiritualistes, c’est lui qui les pro-duit, qui les façonne, qui les compile à l’occasion des impressions élémentaires, au delà desquelles la science, vraiment digne de ce nom, n’a rien à voir, parce qu’au-delà, nous ne pouvons rien connaître ni rien comprendre », Véron, 1862, xix.
-
[28]
Comme le montre l’histoire de la philosophie en France au xixe de Ravaisson, la pensée de Berkeley était alors très présente en France. Elle guide le travail de Séailles, esthéticien contemporain de Véron : « Le monde est ma représentation, ses phénomènes sont mes idées, il n’existe pour moi que par ma pensée, dont il doit prendre la forme », Séailles, 1883, Introduction, xii.
-
[29]
Véron, 1878 (2007, 47). Cette présentation de l’origine des arts dans l’expressivité du langage résume très rapidement le premier chapitre de la première partie de L’Esthétique, intitulé « Origine et groupement des arts ».
-
[30]
Ibid., 60.
-
[31]
Véron inverse ici le rapport génétique entre écriture et peinture proposé par Herbert Spencer, qui fait naître l’écrit de la peinture murale, via les hiéroglyphes (Spencer, 1877, 25).
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[32]
« Ils résultent du jeu naturel de nos organes excités, sans secours étranger », Véron, 1878 (2007, 65).
-
[33]
Ibid., 189.
-
[34]
Ibid., 305.
-
[35]
Voici le compte rendu par Véron de sa visite à la cinquième exposition impressionniste en 1880 : « Nous désirerions bien vivement n’avoir qu’à louer dans l’exposition des Indépendants, nous qui sommes ennemis de l’art officiel et de la peinture académique, de la convention mise en place de la personnalité. Nous serions enchantés d’y trouver une confirmation de nos doctrines, un argument de fait à ajouter à nos arguments théoriques. L’idée générale qui relie ce groupe, fort discordant du reste, est une idée que nous avons souvent exprimée, et qui, il faut bien le dire, n’a qu’une nouveauté très relative. (…) Horace, qui n’était pas un impressionniste, a posé le principe longtemps avant l’école moderne, en disant que la vraie source de l’émotion se trouve dans la vue directe des choses. C’est là que la personnalité de l’artiste peut se déployer librement, dans la sincérité de son émotion individuelle. (…) Malheureusement, à l’exposition de la rue des Pyramides, il y a une forte proportion d’ivraie mêlée au bon grain. La moitié au moins des exposants ne paraissent pas se douter que pour faire de l’art, "l’indépendance" toute seule ne suffit pas et qu’il serait bon d’y ajouter quelque autre chose. Pour ceux-là, l’indépendance consiste surtout à s’affranchir de toute considération de forme et de couleur, des règles même les plus élémentaires de la perspective. Ils suppriment de l’art l’étude et l’observation et se contentent de prendre de la nature et des choses ce qu’on en peut saisir quand on ne se donne pas la peine de les regarder. (…) Aussi ce qui manque le plus à ces œuvres, est-ce précisément la personnalité, c’est-à-dire ce qui est vraiment l’art », L’Art, 1880, 2, 92-94.
-
[36]
Il faut même noter qu’un an plus tôt, une plaquette de 35 pages qui semble être la première publication de Véron s’intitulait : Progrès de la liberté dans la théologie protestante, cf. Véron, 1861.
-
[37]
Véron, 1878 (2007, 39).
-
[38]
Cf. Vaisse, 1995, 29.
-
[39]
« J’ai lu à Jérusalem un livre socialiste (Essai de philosophie positive par Auguste Comte) (…) c’est assommant de bêtise. Il y a là-dedans des mines de comiques immenses, des Californies de grotesque. Il y a peut-être autre chose aussi. Ça se peut », Lettre à Bouilhet du 4 septembre 1850. Le contenu de la lettre est tout de même plus circonspect que ne le laisse entendre Jean-Pierre Cometti à qui nous empruntons cette référence ». Cf. Cometti, 2003, 245-269.
-
[40]
L’Art, 1875, 1.
-
[41]
C’est en particulier le cas de Saint Amand Bazard. Cf. Gane, 2003, 150-169.
-
[42]
Véron, 1867, 1871a, 1871b, 1874, 1876-1877.
-
[43]
Véron, 1884, xxv-xxvi.
-
[44]
Véron, 1878 (2007, 219).
-
[45]
« La Tour ne ressemble à rien de connu, il est vrai ; elle n’est d’aucun style, ni grec, ni gothique, ni renaissance ; elle est construite en fer, sa forme est adaptée à la nature de ses matériaux, et comme nous le disions tout à l’heure, il est évident, il est indéniable que l’avenir nous réserve un style d’architecture de fer », L’Art, 1889, 1, 139.
-
[46]
Même un défenseur de l’Académie et de l’Institut comme Hippolyte Lazerges qui écrit « contre l’envahissement du positivisme et de l’excentricité », soumet la création à « la conformation physique et physiologique de l’homme qui le prédisposent et le portent à adopter une forme plutôt qu’une autre pour l’émission de sa pensée » (Lazerges, 1868, 23 et 7). Sur cette question encore mal connue, cf. Bouveresse, 1999. Mais cet ouvrage étudie surtout le xxe siècle, et les études expérimentales du goût plutôt que de la perception.
-
[47]
Véron, 1884, xxviii. Au sujet de ce néo-encyclopédisme, et plus largement des contextes scientiste, matérialiste, positiviste et libre penseur auxquels Véron ne fut pas étranger, cf. les présentations très précises faites par Piet Desmet (1996) et Jennifer Hecht (2003). Pour la question plus précise des rapports entre les milieux artistiques et ce champ scientifique, surtout anthropologique, cf. Wartelle, 2001. Je remercie Claude Blanckaert pour ces références précieuses, qui signalent également que Véron fit partie des fondateurs, en 1876, de la Société d’autopsie mutuelle. Les membres de cette société s’engageaient à donner leur cerveau à des fins d’investigation scientifique, en même temps que pour désacraliser le culte des morts. Le cerveau de Véron fut donc examiné par Léonce Manouvrier, ce qui nous vaut d’en avoir une connaissance bien plus détaillée que de sa biographie (Manouvrier, 1892). Le Docteur Gachet d’Auvers-sur-Oise fit partie de cette société : le repas mensuel des membres fut-il l’occasion de discussions entre Véron et l’hôte de Van Gogh ?
-
[48]
Gasquet, 1921 (1988, 151).
-
[49]
Véron s’oppose donc à la distinction kantienne de l’agréable et du beau, et fait commencer celui-ci dans celui-là. Ce refus de Kant est expressément manifesté à l’occasion d’un compte rendu de lecture par Véron de Guyau, 1884. Véron fait l’éloge des thèses anti-kantiennes de l’auteur qui considère le plaisir esthétique comme le développement des plaisirs premiers : respirer, se nourrir, se reproduire : « Le beau est renfermé en germe dans l’agréable, comme d’ailleurs le bien même », Courrier de l’Art, 22 janvier 1886, 4.
-
[50]
Véron ne précise aucune référence à un ouvrage particulier de Helmholtz. On trouvera dans notre bibliographie les textes du savant allemand liés à l’esthétique et traduits en français au moment de la première publication de l’Esthétique.
-
[51]
Sur ces études, et surtout leur développement au début du xxe siècle, cf. Bouveresse, 1999.
-
[52]
Fechner, 1876.
-
[53]
Véron, 1878 (2007, 87).
-
[54]
Ibid., 71. Si nous ne connaissons pas de référence à Nietzsche chez Véron, il existe au moins, à partir de cette définition de l’art, un même rejet de Schopenhauer, lui nommé, et de son art consolateur. Cf. Le Courrier de l’Art, 15 janvier 1886, 3, 31-32.
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[55]
Cf. aussi le compte rendu par Véron de la publication de Rood (1881) in Le Courrier de l’Art, 13 a-vril 1881, 15 : « La lecture de ce livre peut être très utile aux artistes, non seulement par ce qu’elle peut leur apprendre de nouveau pour eux, mais aussi par l’explication raisonnée de certaines pratiques qui se transmettent inconsciemment dans les ateliers ». Dans ces pages sur la perception des couleurs, Véron se réfère aussi à Laugel (1867) et cite longuement une conférence de Paul Bert à l’Académie des sciences du 29 janvier 1878.
-
[56]
Séailles définit ainsi Charles Blanc : « historien et critique d’autorité, philosophe par occasion seulement », Séailles, 1879, 613.
-
[57]
Véron, 1878 (2007, 280).
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[58]
Ibid., 281.
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[59]
Ibid., 284.
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[60]
Chesneau, 1881. Voici un extrait : « Il appar-tenait à notre époque investigatrice et critique de chercher à formuler définitivement, scientifiquement les lois de l’expression. Elle y a réussi au moins en grande partie et, désormais, elle a tous les éléments nécessaires pour conduire à son terme l’œuvre si heureusement commencée. C’est encore à l’électricité que nous sommes redevables de cette nouvelle conquête. Par le mot expression, j’entends l’expression morale des sentiments, des sensations, des émotions et des passions de l’homme se traduisant au regard par le jeu mobile de la physionomie », 183-184.
-
[61]
Cf. Courrier de l’Art, 12 juillet 1889, 28. Ce catalogue est un document important dans la constitu-tion de théories expressionnistes en Allemagne, en particulier pour Wilhelm Wundt dont Piderit était un proche.
-
[62]
Cf. Barbillon, 2004.
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[63]
Cf. L’Art, 1881, 2.
-
[64]
C’est dans L’Art que Henry Cros et Charles Henry publièrent par épisode leur Histoire de la peinture à l’encaustique, cf. L’Art, 1884, 1, 172-175 et 196-199. Le numéro 22 du 3 juin 1887 du Courrier de l’Art indique : « Charles Henry, à qui l’on doit tant de publications aussi intéressantes que variées, vient de faire paraître en une élégante plaquette… » ; le numéro 4 du 25 janvier 1889 signale que Charles Henry, alors bibliothécaire à La Sorbonne, a présenté à l’Académie des Beaux-Arts le 22 décembre « trois instruments nouveaux qui sont appelés à faire entrer l’art industriel dans une voie rigoureusement scientifique : un rapporteur et un triple décimètre permettant l’étude et l’amélioration esthétique de toutes formes ; un cercle chromatique présentant tous les compléments et toutes les harmonies de couleur ».
-
[65]
Fénéon, 1886 (1970, 2, 675).
-
[66]
Véron, 1876-1877, 221.
-
[67]
Guyau, 1884, livre 1, chapitre 2, 27.
-
[68]
Je remercie Claude Blanckaert de m’avoir signalé que cette hiérarchie des besoins est empruntée à la Physiologie des passions de l’anthropologue Charles Letourneau (cf. Blanckaert, 1995). Véron avait adhéré à la Société d’Anthropologie de Paris en 1876, et cela explique sans doute que les rares mentions qui sont faites de lui aujourd’hui appartiennent au champ des historiens des sciences de l’homme.
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[69]
Ce principe est déjà partiellement présent dans le premier ouvrage publié par Véron, en 1862. Il est exposé dès l’Avertissement de la Supériorité des arts modernes : « Le point de départ de ma thèse est que c’est l’intelligence elle-même qui se transforme, se complète, et dont le développement progressif se traduit au dehors par l’excellence progressive de ses œuvres. Par conséquent, le progrès pour moi consiste uniquement dans un accroissement de la puissance intellectuelle ».
-
[70]
Véron, 1884, 172.
-
[71]
Guyau, 1887 (1923, xlvi).
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[72]
Ibid., 273.
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[73]
Véron, 1878 (2007, 126). Cf. citation plus haut.
-
[74]
C’est du moins ainsi que Véron explique ce changement de périodicité ; cf. « La dixième année de L’Art », L’Art, 1883, 4, 81-84. L’Art ne se vendait que sur abonnement. Son coût était assez élevé (120 francs), quand un livre coûtait alors environ 3 francs.
-
[75]
L’Art, 1881, 2, 42.
1Notre connaissance des écrits sur l’art en France durant la seconde moitié du xixe siècle, et particulièrement pour les vingt premières années de la iiie République, est doublement atrophiée. Les historiens de l’art et les esthéticiens de ce temps sont ignorés, au profit des critiques d’art. Et ces derniers sont essentiellement connus à travers une question : qui jugea comment l’apparition des impressionnistes ? Nous savons pourtant que ces années 1860-1890 ne furent pas le temps d’une opposition frontale entre un académisme Salonnard, encore tout imprégné d’Ingres (1780-1867), et une fronde novatrice [1]. Il n’y avait pas d’esthétique officielle au Salon, l’acadé-misme ne désigne qu’un champ d’œuvres assez restreint si le terme est pris dans un sens précis, et l’impressionnisme fut surtout perçu comme un épiphénomène que l’on pouvait facilement ignorer. Les conflits d’art et de goût se jouaient ailleurs, mais la géographie de ces fronts plus réels est presque entièrement ignorée. Quand cette ques-tion est posée, la réponse est à l’éclectisme. C’est ici la thèse de Pierre Vaisse sur La Troisième République et les peintres, qui conclut à la libéralité d’une république bourgeoise prudente, à défaut d’être éclairée. Si l’on y ajoute la contestable et peut-être naïve représentation des dix dernières années du Second Empire comme libérali-sation du régime [2], on est conduit à étendre cette indistinction à presque toute la seconde moitié du xixe siècle. À l’opposition de l’académisme et de l’impression-nisme se substitue une indifférenciation tout aussi insatisfaisante qui, certes, attire l’attention sur la prodigieuse quantité de tableaux alors produits, mais les fait émerger à la manière d’une masse indistincte.
2On comprend comment l’ignorance des travaux des esthéticiens français de ce temps a contribué à la construction imaginaire précitée. Parmi eux, seul Taine semble encore connu, ainsi que depuis quelques années Charles Blanc. Guyau, Sutter, Erckmann-Chatrian, Lévêque, Véron, Séailles, Constant-Martha, Lazerges sont des noms oubliés [3]. Et si celui de Sully Prudhomme a duré, ce n’est pas pour L’expression dans les Beaux-Arts. Application de la psychologie à l’étude de l’artiste et des Beaux-Arts. Entre 1870 et 1890, ces auteurs construisirent pourtant un champ esthétique d’une diversité et d’une extension que la France n’avait pas connues, nous semble-t-il, depuis le siècle précédent. La création de la chaire d’Esthétique au Collège de France en 1878 en est le signe, même si elle échut à Charles Blanc qui fut sans doute le moins novateur des théoriciens de ce temps. Il ne faut certainement pas rabattre la question des œuvres et des goûts artistiques sur celle des principes esthétiques. Kant aurait été surpris d’entendre Cézanne évoquer ses noumènes au sujet de son emploi de la couleur, quand nous nous affligeons de le voir illustrer son concept d’Idée esthétique par un poème de Frédéric ii. Les conflits entre les goûts ne se superposent pas aux oppositions des théories esthétiques. Ils ne sont pourtant pas sans rapport, et c’est pourquoi il importe de mieux connaître ces esthéticiens oubliés qui modifièrent pro-fondément l’esthétique française au temps de Cabanel et Monet. Ils ne forment pas un groupe homogène, et parmi eux certains écrivent une esthétique encore proche de Winckelmann ou Quatremère de Quincy, étrangère aux changements qui se produi-sirent durant le xixe siècle dans le champ des sciences humaines, de la physiologie, ainsi que dans les méthodes qui prétendaient désormais définir une authentique scien-tificité. C’est pourtant la prise en compte de ces exigences et de ces données nouvelles qui permet de parler alors, pour certains auteurs, d’une nouvelle esthétique scienti-fique française, qui s’inscrit dans un renouveau européen que l’on pourrait tout aussi bien reconnaître en Allemagne et en Italie. Même réduite à ces auteurs, la question est si vaste qu’il ne sera question ici que d’Eugène Véron, dont L’Esthétique, parue en 1878, plusieurs fois rééditée jusqu’en 1920, immédiatement traduite en anglais, est aujourd’hui oubliée [4].
3Eugène Véron naquit à Paris en 1825 et mourut aux Sables d’Olonne le 22 mai 1889 [5]. Il intégra l’École Normale supérieure en 1846, un an avant Taine. En 1848, il fait partie des insurgés qui pénètrent aux Tuileries. Agrégé de lettres classi-ques en 1850, il enseigna à l’université et publia son premier ouvrage en 1862, Du progrès intellectuel dans l’humanité : Supériorité des arts modernes sur les arts anciens [6]. En raison de son opposition politique, sa carrière dans l’enseignement fut marquée par de constantes mutations (Angers, Le Mans, Grenoble, Besançon et Colmar). Il fut exclu de l’enseignement universitaire après avoir refusé de transformer un discours de remise de prix en éloge de l’expédition française au Mexique (1862-1867). Il devint alors journaliste pour de nombreuses publications (Courrier du Dimanche, Revue de l’Instruction Publique, Revue de Paris, Courrier Français, Revue Moderne, Revue Scientifique et Littéraire), publia deux ouvrages très docu-mentés pour décrire des expériences associatives ouvrières et son premier livre d’his-torien, consacré à la montée de la puissance prussienne jusqu’à la victoire de Sadowa [7]. En 1868, il prit la direction de la Liberté de l’Hérault puis du Progrès de Lyon, supprimé par le préfet en 1871 après La Commune, même si le journal était critique à l’égard des Versaillais et des communards. La défaite militaire française et la répression de La Commune seront alors le sujet de plusieurs livres de Véron [8]. Il crée au même moment, à Lyon, La France Républicaine qui sera également suppri-mée. C’est alors le temps du retour à Paris, où il trouve un emploi de secrétaire à la Gazette des Beaux-Arts, et continue de publier des articles dans des revues proches de la libre pensée. En 1875, l’instabilité cesse : il fonde, pour la diriger jusqu’à sa mort en 1889, la revue L’Art, que viendra accompagner de 1881 à 1890 le Courrier de l’Art, chronique hebdomadaire très précise de l’activité artistique en France et en Europe. Le Courrier de l’Art était le lieu privilégié des prises de position de Véron et ses proches en matière de politique artistique, régulièrement très critiques à l’égard de l’administration et toujours hostiles aux institutions. Un exemple significatif : contre l’Institut, l’École des Beaux-Arts et son prix de Rome, la revue créa un Grand prix de Florence, en 1876, qui permettait à un jeune artiste de s’installer à Florence pour deux ans [9]. L’Art était une revue scientifique, hebdomadaire puis bimensuelle en 1884, consacrée aux arts plastiques, à la musique et à la scène, dans laquelle intervenaient régulièrement des auteurs renommés : Champfleury, Philippe Burty, Jules Clarétie, Ernest Chesneau, Charles Yriarte, Anthony Valabrègue, Eugène Müntz ou Roger Marx. Chaque numéro, très illustré, proposait une série d’études sur des sujets variés, confiées à des spécialistes, et contenait une gravure originale, parfois deux, de grande qualité. Cet ajout justifiait le prix élevé de la revue, et permit son succès financier. L’Art et son complément hebdomadaire furent une entreprise édito-riale visiblement prospère, comme en témoigne sa pérennité en un temps où les revues affluaient et cessaient rapidement. Vers 1880, la revue se doubla d’une galerie et d’une maison d’édition et créa deux collections, La Bibliothèque Internationale de l’Art puis la Bibliothèque de l’enseignement artistique [10]. En 1886, vint s’ajouter la collection Les Artistes célèbres, importante série de monographies pour un large public qui publia plus de cinquante titres jusqu’en 1894. Au regard des artistes choisis, on comprend, nous le verrons, que cette collection était moins animée par un souci commercial assuré par des noms reconnus que par une redistribution de la célébrité. Durant cette intense activité éditoriale, Véron rédigea ses trois essais théo-riques les plus importants : L’Esthétique en 1878, La Morale en 1884 et L’Histoire naturelle des religions en 1885 [11]. Deux ans avant sa mort, il fut nommé membre du Conseil supérieur des Beaux-Arts puis Inspecteur principal des Musées de province [12], et fit paraître un petit ouvrage sur le peintre qu’il préférait, Delacroix [13].
Contre la métaphysique dans l’art : une esthétique de l’expression
4Même si nous devions nous en tenir à ce que la postérité a retenu de Véron, son Eugène Delacroix que Signac évoque dans son essai théorique, l’orientation fonda-mentale de son esthétique et de sa sensibilité serait connue : elle est expressionniste, qui doit s’entendre ici au sens large d’un anti-idéalisme. L’œuvre d’art n’est pas la transparence d’une idée du Beau mais l’expression d’une personnalité géniale. Les premières lignes de L’Esthétique donnent le ton : « Il n’y a pas de science qui ait été plus que l’esthétique livrée aux rêveries des métaphysiciens. Depuis Platon jusqu’aux doctrines officielles de nos jours, on a fait de l’art je ne sais quel amalgame de fantai-sies quintessenciées et de mystères transcendantaux qui trouvent leur expression suprême dans la conception absolue du Beau idéal, prototype immuable et divin des choses réelles. C’est contre cette ontologie chimérique que nous avons essayé de réagir ». Vingt ans plus tôt, la Supériorité des arts modernes sur les arts anciens commençait par le même rejet de toute métaphysique dans l’art. La création artistique n’est pas la mise en œuvre d’une idée du Beau, l’histoire de l’art n’est pas l’histoire de cette mise en œuvre et l’esthétique n’est pas le dégagement déshistoricisé de cette Idée immuable. Raphaël, Winckelmann et Platon [14] sont nommément congédiés, et avec eux quelques contemporains : Ingres, Taine et Charles Blanc [15]. Écrire cela en 1878, c’est surtout s’opposer à Charles Blanc, voix dominante dans l’esthétique et l’histoire de l’art françaises, à l’instant même de son élection au Collège de France. Le refus de l’idéalisme oriente l’œuvre personnelle de Véron aussi bien que son entreprise éditoriale [16]. Sa constante dénonciation de l’enseignement des Beaux-Arts en France a la même motivation [17], et L’Esthétique est publiée dans une collection – « Biblio-thèque des sciences contemporaines » – qui cherche aussi à lutter contre cela [18]. L’ab-sence de Raphaël, Poussin, David et Ingres au catalogue de la collection des Artistes célèbres, suggère que cette entreprise de réécriture de l’histoire de l’art à destination d’un large public obéit au même principe.
5La critique argumentée de cet idéalisme se trouve au chapitre vi de la première partie de L’Esthétique. Elle est sans surprise. L’art n’est pas l’imitation d’un idéal du beau pour la double raison que son essence n’est pas dans l’imitation, et que si imitation il y a, elle n’est pas soumise à choisir son objet selon un canon du beau : « Quelle beauté peut-on chercher dans un champ de bataille couvert de morts et de mourants ? » [19], sur la face de Quasimodo ou dans la conduite d’Emma Bovary, pour citer deux exemples contemporains donnés par Véron qui les choisit généralement plutôt dans sa culture classique. Le réalisme pictural des paysagistes hollandais ou de Théodore Rousseau, l’existence négligée d’une statuaire grecque réaliste, montrent que le motif ne donne pas la beauté. Provient-elle de la qualité de l’imitation ? Il faudrait considérer la photographie comme l’idéal de la peinture, d’autant plus qu’elle ne tardera pas selon Véron à devenir capable de restituer les couleurs. Non, l’imitation est seulement un moyen afin que le traitement du motif révèle la puissance expressive de la vie singulière qui anime l’artiste. Double critique aussi classique que le classi-cisme qu’elle dénonce, comme la supériorité de la couleur sur le dessin qu’elle induit, dans le domaine de la peinture. L’intérêt bien supérieur de cette argumentation habi-tuelle est de donner une même raison à des choix esthétiques différents et qui peuvent selon d’autres perspectives s’opposer : le refus de toute métaphysique du beau accor-de le goût pour Delacroix, le naturalisme de Rousseau et la remise en cause des orien-tations privilégiées dans l’histoire de l’art.
6Contre la métaphysique dans l’art, Véron promeut l’expression de la personnalité dans l’œuvre. Si Taine affirme que l’art sert à manifester l’essence du réel, « c’est précisément le contraire qui est vrai, parce que, au lieu de s’appliquer à manifester l’essence et le caractère dominant des choses, l’artiste manifeste spontanément et sans le savoir l’essence ou le caractère dominant de sa propre personnalité » [20]. Les Beaux-Arts sont les arts du génie, défini comme « le besoin impérieux de manifester au dehors par des formes et des signes directement expressifs les émotions res-senties » [21]. L’esthétique de Véron est un expressionnisme rigoureux dans ses principes et ses conséquences. La formule qui clôt son étude de Delacroix en résume l’esprit : « Pour faire quelque chose, il faut être quelqu’un » [22]. Comme Nietzsche qui fut son contemporain, et qui l’aurait pourtant sans doute trouvé bien plat, Véron privilégie une esthétique du créateur contre une esthétique du spectateur. Le génie devient la catégorie esthétique majeure, comme on pourra le voir quelques années plus tard dans l’Essai sur le génie dans l’art, l’important ouvrage de Gabriel Séailles tout aussi oublié que Véron. Le goût de Véron pour Delacroix, bien partagé en 1880, ne doit pas tromper : son expressionnisme ne doit pas grand-chose au romantisme. La preuve en est que l’exemplarité de l’expression, c’est chez Ruysdael que Véron la trouve : « De toute œuvre d’art on peut dire que c’est la personnalité de l’artiste qui en fait la principale valeur, mais c’est peut-être plus vrai de Ruysdael que de tout autre. (…) Ruysdael est inférieur à beaucoup de ses compatriotes. (…) Il n’est pas ce qu’on pourrait appeler précisément habile. Il semble avoir l’esprit lent. (…) Il n’a jamais su mettre une figure dans un tableau. (…) Il manque de subtilité. (…) Ses ta-bleaux se ressemblent. (…) Sa couleur manque de variété » et pourtant ajoute Véron en citant Fromentin « Partout où Ruysdael paraît, il a une manière propre de se tenir, de s’imposer, d’imprimer le respect, de rendre attentif, qui vous avertit qu’on a devant soi l’âme de quelqu’un, que ce quelqu’un est de grande race et que toujours il a quelque chose d’important à vous dire » [23]. Ce jugement sur Ruysdael laisse deviner que la place centrale accordée à l’expression ne sert pas seulement à critiquer l’es-thétique du beau idéal : c’est la référence à la beauté qui est ultimement mise en cause par Véron. Telle est bien la puissance de l’expressivité : «L’art expressif, qui est véritablement l’art moderne, repose pour une très grande part sur la sympathie. Il manifeste sous une forme particulière cet intérêt particulier que l’homme porte à l’homme. Le beau alors n’est plus que secondaire » [24]. Même s’il s’inscrit dans la lon-gue histoire de son conflit avec l’idéalisme [25], l’expressionnisme de Véron est suffi-samment singulier pour induire, en 1870, une histoire de l’art et une esthétique d’un genre nouveau où la question de la beauté deviendrait accessoire. Il s’oppose ici presque mot à mot à Charles Blanc qui affirmait la supériorité de la sculpture sur la peinture parce que « la statuaire fait passer la beauté avant l’expression, tandis que la peinture fait passer l’expression avant la beauté » [26].
7L’Introduction à La supériorité des arts modernes sur les arts anciens, premier ouvrage publié par Véron quinze ans avant son Esthétique, montre que cet expres-sionnisme se fonde sur une théorie de la connaissance et de l’histoire. Dans l’ensem-ble des productions intellectuelles de l’humanité, l’art n’a pas l’exclusive de l’expres-sivité. C’est toute pensée, y compris scientifique, qui doit être conçue comme l’ex-pression d’une impression subjective, car nous ne connaissons rien d’autre que nos propres affections : « En effet, les choses et les faits ne sont intelligibles que par les impressions et les idées que l’intelligence conçoit, ces impressions et ces idées peu-vent seules être observées, le reste n’existe pas pour la science. Par conséquent, ce n’est donc pas dans la nature des choses qu’il faut chercher l’origine des idées, mais uniquement dans l’impression perçue par l’esprit, et dans les combinaisons et les rapports que ce même esprit établit entre ces impressions. En un mot, c’est l’intelli-gence elle-même qui crée les idées, et ces idées progressent en nombre, en clarté, en largeur, à mesure que les impressions élémentaires, en se multipliant, lui permettent d’établir entre elles des rapports plus multipliés et plus généraux » [27]. Les idées ne sont pas le reflet plus ou moins fidèle des choses, mais l’expression plus ou moins riche d’impressions plus ou moins vives. On aperçoit ici le fondement du rejet de toute idée régulatrice du beau. Loin que nos perceptions sensibles, esthétiques en particulier, dussent essayer de donner accès à une essence idéelle du réel, c’est l’être de ce que nous appelons le réel qui doit être reconnu comme tissé par nos impressions elles-mêmes, selon une perspective que la formule de Berkeley esse est percipi résu-merait fidèlement [28].
8Si l’expressivité est de nature esthétique, les Beaux-Arts n’ont pas l’exclusivité de ce phénomène. Ils en sont plutôt une élaboration secondaire. Le fait fondamental de la culture humaine est le langage. En se référant à La civilisation primitive d’Edward B. Tylor, Véron le conçoit comme originairement expressif. Le langage ne signifie pas d’abord des idées ou des concepts, il manifeste les impressions produites sur la sensibilité. Cela se voit encore car les mots « ont gardé dans un grand nombre d’idiomes des caractères qui rappellent l’impression faite sur l’oreille par le fait lui-même » [29]. Le langage, oral ou écrit, est donc initialement une opération partiellement esthétique. Peu à peu, par besoin d’abstraction, le langage devint plus conventionnel, ce qui conduisit le besoin d’expressivité à se manifester dans des formes autonomes : « les impressions concrètes et personnelles constituèrent le domaine propre de la poésie et des arts » [30]. Initialement, le langage est à la fois intellectuel et expressif par imitation. Au fur et à mesure qu’il devient plus abstrait, ce qu’il y avait de strictement imitatif et expressif en lui se développe en se spécifiant et en s’affinant, pour cons-tituer le progrès des arts. La fonction esthétique est donc plus primitive que l’activité intellectuelle, même si le langage a progressivement inhibé son expressivité. Véron propose alors la genèse suivante : la poésie et la musique, ainsi que de manière moins absolue la danse, viennent du langage parlé, du mouvement, du rythme et de la suc-cession qui se trouvent en lui. Ce sont des arts de l’ouïe. La sculpture, la peinture et l’architecture à un moindre degré viennent du langage écrit et forment les arts de la vue [31]. Ils développent l’ordre, la proportion et la simultanéité de ce langage écrit. Les premiers sont des arts d’expression immédiate [32], les seconds supposent une médiation.
9Cet expressionnisme fondé sur l’anthropologie fait de L’Esthétique un véritable système des Beaux-Arts. L’ouvrage se compose en deux parties, selon un plan qui reprend manifestement celui de la Grammaire des arts du dessin de Charles Blanc pour s’y opposer point par point. La première partie, théorique plutôt qu’historique, redéfinit les concepts fondamentaux de l’esthétique : le plaisir, le goût, le génie, l’art, l’esthétique, le décoratif et l’expressif, le style. La seconde, après avoir établi une classification des arts étudie successivement l’architecture, la sculpture, la peinture, la danse, la musique et la poésie. Cette succession est en fait un classement, qui dis-tingue les trois arts de la vue et les trois arts de l’ouïe, et les hiérarchise en fonction des « moyens qu’ils fournissent à l’artiste d’affirmer et d’accuser sa personnalité, ce qui revient en somme à classer les arts d’après le nombre et la qualité des impres-sions qu’ils peuvent rendre » [33]. Si la peinture est, parmi les arts de la vue, supérieure à la sculpture et l’architecture – contre la hiérarchie de Charles Blanc –, c’est parce qu’elle permet l’expression la plus personnelle, la plus subjective, quand l’archi-tecture suppose la contrainte des fonctions et des matières. Ainsi Véron consacre-t-il une dizaine de pages à « La touche au point de vue de la personnalité de l’artiste et de l’individualité des choses », dans lesquelles la « manière lisse et émaillée » [34], inexpressive, de Guérin et Girodet lui donne une nouvelle raison de critiquer l’école d’Ingres. C’est aussi pourquoi l’art des impressionnistes restera toujours déficient pour Véron : chez eux, l’impression devant le motif ne se transcende jamais en expression [35].
Le positivisme tempéré
10Le refus de définir l’art comme l’imitation du beau idéal ou comme la belle imi-tation du réel sont des arguments très habituels de la critique de l’idéalisme dans l’art. Ils sont présents chez Véron sans être fondamentaux. Sa théorie de l’expression est plus décisive, à laquelle il faut ajouter un second motif apparent dès son premier ouvrage. Son titre : Du progrès intellectuel dans l’humanité. Supériorité des arts modernes sur les arts anciens le signifie suffisamment. Il s’agit de la philosophie saint-simonienne et plus encore positiviste de Comte [36]. Véron n’adopte pas seulement la croyance positiviste en une loi du progrès continu, il en respecte la forme com-tienne de développement en trois états, théologique, métaphysique et finalement posi-tif ou scientifique. C’est même l’évolution interne de chacun de ces trois âges qui est reprise, comme le montre l’ouvrage précédemment cité qui commence par étudier la poésie dans l’âge théologique, selon ses trois temps successifs, fétichiste, polythéiste et monothéiste. À l’autre terme de l’histoire, les sociétés s’accomplissent par l’entrée dans l’âge scientifique, quand le savoir se fonde enfin sur les faits. La première partie de L’Esthétique s’ouvre elle aussi par un manifeste positiviste : « L’esthétique étant, à ce qu’on dit, la science du beau dans les arts, il semblerait assez naturel d’expliquer ce que c’est que le beau et ce que c’est que l’art. Nous ne le ferons pas cependant, parce que nous nous défions des définitions a priori, et qu’il nous paraît plus rationnel et plus scientifique de commencer par chercher dans les faits s’ils ne pourraient pas fournir eux-mêmes les définitions cherchées. En toute chose, les faits précèdent les théories, et nous sommes convaincus que c’est seulement en remontant aux origines et en suivant les développements des choses dans la suite des temps qu’il est possible de s’en faire une idée juste, précise et complète » [37]. Il faut en finir avec les idées métaphysiques venues, littéralement, d’un autre âge, ces « entités » selon la termino-logie comtienne que Véron reprend souvent, et fonder l’esthétique et l’histoire de l’art sur la mise à jour des faits. La variété, la singularité des articles de L’Art, participent à la mise en œuvre de cette histoire de l’art par les faits, ainsi que, nous le verrons, son ouverture aux sciences contemporaines. L’histoire de l’art de Winckelmann est méta-physique et non scientifique, et l’art idéal de Phidias ou Raphaël appartient à l’âge métaphysique d’une société dont Ingres est une survivance stérile. L’idéalisme n’est pas seulement combattu au nom de la vérité esthétique de l’expressionnisme, mais aussi par l’adoption d’un point de vue historico-positiviste qui le condamne comme le signe d’un âge appelé à disparaître.
11Cette critique de l’idéalisme par des principes positivistes induit, du côté du goût, des conséquences majeures. Elle explique d’abord la virulence du rejet de Ingres, Cabanel ou Bouguereau, que Véron appelle « les raisins secs » et autres amateurs de « mythologiades ». Comme chez Comte, cet âge métaphysique de l’Idéal est certaine-ment le plus critiqué. C’est l’âge du négatif intégral, qui n’a d’autre utilité – néces-saire certes – que de dissoudre la croyance religieuse. Il ne crée rien, à l’inverse de l’âge théologique qui tire sa nécessité historique de son pouvoir d’activer l’imagi-nation et la raison, même s’il les oriente mal. L’âge métaphysique se définit au con-traire par son impuissance à créer, ses œuvres ne peuvent être que nihilistes. Si les longs comptes rendus des Salons dans L’Art regrettent régulièrement l’abondance des sujets religieux, ils sont plus sévères encore avec ceux dont la manière est jugée idéaliste, quel que soit le sujet abordé. C’est aussi pourquoi Véron, dont la courte bio-graphie a laissé deviner l’engagement républicain, se tint toujours éloigné de l’oppo-sition de gauche radicale révolutionnaire. Comme chez Comte, cette opposition est assimilée à du nihilisme, et appartient ainsi encore à l’âge métaphysique dont elle est le dernier rejeton égaré dans la négativité absolue.
12L’intérêt de reconduire ce refus de l’idéalisme à sa dimension positiviste est d’en faire une question de principe. La dimension passéiste de cet art suffit à le condamner. Au nom du progrès dans l’histoire, c’est par principe qu’il existe une Supériorité des arts modernes sur les arts anciens. La modernité suffit à faire la valeur. C’est à Saint-Simon, et peut-être même à son secrétaire Comte, que l’on doit, sous la Restauration, le déplacement sémantique qui emprunta à l’usage militaire la notion d’avant-garde pour l’appliquer aux artistes, ainsi qu’aux scientifiques et aux industriels [38]. C’est ici un éloge de la modernité très spécifique, bien éloigné de Baudelaire, et mené par des principes que Flaubert songeait à faire entrer dans son Dictionnaire des idées reçues [39].
13Mais « idée reçue », la loi du progrès continu dans l’histoire ne le resta pas vraiment pour Véron. En 1875, dans le texte qui sert de programme à la parution du premier numéro de L’Art, la certitude s’est effondrée : « Si le progrès était constant, uniforme, rectiligne en quelque sorte, nous n’aurions qu’à nous abandonner sans résistance au mouvement qui nous porterait, qu’à accepter, les bras croisés, les bienfaits d’une civilisation spontanée, qui n’aurait que faire de notre concours. Mais l’histoire tout entière dément ce fatalisme trop commode. (…) Toutes les grandes époques laissent ainsi derrière elles une tradition qui s’impose et dont la domination trop exclusive, en éteignant les ardeurs et en ramenant tout à elles-mêmes, explique cette périodicité fatale des décadences succédant, avec une régularité désespérante, aux plus puissantes manifestations des énergies intellectuelles. Cela est vrai de l’art comme de tout le reste. Les décadences consistent donc essentiellement dans l’affais-sement des intelligences, détournées, par l’imitation, du but réel de l’art, et par suite destituées du pouvoir de créer » [40].
14Entre 1862 et 1875, la croyance en un progrès continu de la culture s’est donc éteinte pour Véron. Ces années furent certainement les plus difficiles pour lui, exclu de l’Université, contraint à multiplier les travaux de journaliste dans le lyonnais semble-t-il, avant de pouvoir revenir à Paris pour fonder L’Art. Mais si son positi-visme se tempère d’un certain scepticisme, la biographie explique peu. L’idée d’une histoire par alternance de progrès et déclins se trouve déjà chez certains disciples de Saint-Simon [41], mais c’est la défaite de 1870 et la répression versaillaise de la Commune qui furent pour Véron les événements décisifs. Véron leur consacra deux ouvrages majeurs durant ces années et quelques opuscules, et l’on doit certainement ajouter à cette part de l’œuvre le premier volume de son histoire de la Prusse paru en 1867 et tout entier dirigé vers la mise en évidence de la menace prussienne [42]. L’importance accordée à cet effondrement, au point de devenir pendant plus de cinq ans la préoccupation majeure des écrits de Véron, est moins singulière qu’il paraît, puisque l’on peut apercevoir la même inflexion historique dans les écrits du critique d’art Théodore Duret qui, entre 1876 et 1880, publia les trois volumes de son Histoire de quatre ans (1870-1873). La défaite de 1870 et la répression de la Commune avaient mis à mal l’optimisme positiviste bien avant la Première Guerre mondiale.
15C’est en 1884, dans sa Morale, que l’on peut comprendre comment, face à l’his-toire immédiate, s’infléchit l’optimisme historique de Véron. Il y interprète la défaite de la France, et la répression bourgeoise de la Commune, dans les termes qui lui per-mettaient de décrire la chute d’une civilisation. La bourgeoisie qui a fait la Révolution de 1789 a progressivement renoncé au progrès social, et s’est affaissée dans l’imita-tion de l’aristocratie : « Comment après cela s’étonner de la régression morale d’une partie notable de la classe qui naguère faisait des révolutions au nom des droits de l’homme ? Et comme toute décadence intellectuelle se manifeste par une recrudes-cence correspondante de l’égoïsme, il résulte nécessairement de l’affaissement actuel de la bourgeoisie contemporaine un moment d’arrêt dans la civilisation. (…) Tant que la bourgeoisie, le tiers-État a été tenu à l’arrière-plan par la noblesse et le clergé, il a réclamé et combattu au nom de la solidarité sociale pour lui et les autres classes opprimées. Il a vaincu, parce que ses adversaires, les nobles, les prêtres et les rois, s’étaient depuis longtemps laissé envahir et corrompre par un égoïsme inintelligent qui les isolait de la nation et les rendait indifférents à l’intérêt général. Mais une fois victorieuse du privilège, la bourgeoisie l’a voulu pour elle-même. (…) Elle s’est si bien laissée gagner par la contagion de l’exemple des classes qu’elle venait de dépos-séder que, pour se faire pardonner, elle s’est mise jusqu’à imiter leurs petites manies, leurs vanités, leurs superstitions, leur oisiveté, leurs débauches, leurs dédains du droit d’autrui, leur indifférence, leur dureté pour les souffrances des classes labo-rieuses, en un mot leur égoïsme… » [43]. Le déclin contre lequel Véron écrit est la conséquence de l’égoïsme inintelligent de la bourgeoisie qui fait l’histoire depuis 1789, c’est le renoncement bourgeois à la création d’une socialité républicaine que la Révolution de 1789 avait mise en œuvre, et l’affaissement dans l’imitation des mœurs aristocratiques. Extinction de la créativité au profit d’une imitation dévitalisée, c’est en termes d’esthétique que Véron analyse son temps.
16Cette sensibilité hantée par l’effondrement de 1870 et les horreurs versaillaises ne devint pas seulement plus hostile aux idéalistes, mais aussi plus circonspecte quant à la réelle puissance de la modernité. Si le moderne est par principe créatif, encore faut-il qu’il participe vraiment du sens de l’histoire, et soit donc socialement efficace dans une entreprise commencée pour Véron en 1789 et qu’il assimile à un mouvement de Lumières bourgeoises. Sans que cela implique un art militant – l’expression de la personnalité demeure le principe –, cela suffit à déclasser tout ce qui relève de l’art pour l’art, et certainement aussi tout ce dans quoi nous voyons aujourd’hui la moder-nité de ce temps, les impressionnistes et les avant-garde qui les suivirent, néo-impressionnistes ou nabis que Véron eut le temps de connaître. Peindre la réalité contemporaine – et l’on sait que cela ne constitue pas une part majoritaire ni distinc-tive des impressionnistes – ne suffit pas. Encore faut-il que l’image en exprime le sens historique, qu’elle dépasse le cadre de la sensation pour s’élever jusqu’aux sentiments moraux sinon jusqu’aux idées. D’où cette sensibilité singulière, valorisant le présent tout en étant finalement fermé à ce qu’il y a en lui d’ouverture réelle ou d’événement. Un exemple est éclairant. Dans son chapitre de L’Esthétique consacré à l’architecture, Véron se montre favorable à l’architecture en fer – là encore à l’opposé de Charles Blanc –, et cite Viollet-le-Duc pour indiquer que la nouveauté des moyens de construction appelle des formes nouvelles [44]. En 1889, un article de Camille de Roddaz dans L’Art défend la tour Eiffel qui vient d’être achevée [45]. Mais une note à l’article, signée par la rédaction, se dissocie de l’article : oui le style Eiffel est un style nouveau, et le fer appelle un style nouveau, « mais nous sommes convaincus que ce style, s’il doit le moins du monde durer, sera autrement artistique que l’aspect de la Tour Eiffel. Au point de vue artistique, celle-ci n’existe à aucun titre ». C’est un ouvrage d’ingénieur et non d’artiste, inexpressif, non artistique donc. Les savants et les ingénieurs sont nécessaires au progrès, les artistes doivent tenir compte de leurs résultats, mais l’art ne sera vraiment moderne que si la puissance d’expressivité s’empare de ces conditions nouvelles. C’est au nom de la modernité qu’Eiffel est condamné, une modernité positiviste qui se ferme à la vraie modernité de la tour, où la distinction entre l’ingénieur et l’architecte veut s’abolir.
Art et science
17Le positivisme tempéré de Véron ne veut pas seulement accomplir, pour l’esthétique et l’histoire de l’art, le passage de l’âge métaphysique à l’âge scientifique en quittant le paradigme de l’entité métaphysique du beau pour se fonder sur les faits observables. Si l’esthétique doit devenir une science positive, il faut l’ouvrir aux champs disciplinaires déjà constitués en sciences et surtout l’y fonder. L’esthétique doit devenir une physiologie et une psychologie du plaisir esthétique. Cette décision épistémologique est une caractéristique majeure des écrits esthétiques de ce temps, c’est elle qui lui donne sa vitalité. Guyau, Séailles, Sutter, et plus tard Charles Henry, en sont les principaux acteurs [46]. Véron appartient pleinement à ce tournant scienti-fique, même si son Esthétique est davantage une application de ces règles positives de la perception esthétique que le lieu de leur élaboration, réservée aux auteurs précé-dents. Le souci de fonder l’étude de l’art sur les sciences positives est si présent au-tour de 1880 qu’il déborde le cadre de l’esthétique. Il est évidemment caractéristique de Fénéon, de Jules Laforgue et de Seurat, mais aussi de Théodore Duret. Ce critique d’art, défenseur de Manet et des impressionnistes est un positiviste très informé des sciences de son temps, en même temps qu’un partisan de l’évolutionnisme de Spencer. La physique, la physiologie et même la biologie deviennent donc aussi le passage obligé pour des auteurs dont les goûts, très différents de ceux de Véron, se portent vers l’impressionnisme ou le néo-impressionnisme.
18Le sens de cette exigence de scientificité chez Véron peut être présenté en s’arrê-tant sur le contexte éditorial de ses écrits. L’Esthétique comme la Morale furent pu-bliées chez Reinwald, dans la « Bibliothèque des sciences contemporaines ». L’inten-tion de cette collection est présentée, au début de chacun de ses ouvrages : « Depuis le siècle dernier, les sciences ont pris un énergique essor en s’inspirant de la féconde méthode de l’observation et de l’expérience (…) Mais jusqu’à présent ces magnifi-ques acquisitions de la libre recherche n’ont pas été mises à la portée des gens du monde : elles sont éparses dans une multitude de recueils, mémoires et ouvrages spéciaux (…) Et cependant il n’est plus permis de rester étranger à ces conquêtes de l’esprit scientifique moderne, de quelque œil qu’on les envisage. À chaque instant dans les conversations, dans les lectures, on se heurte à des controverses sur ces nouveautés : le Darwinisme, la Théorie mécanique de la chaleur, la Corrélation des forces nouvelles, l’Atomisme, la descendance de l’Homme, la Prévision du temps, les Théories cérébrales, etc. ; on se sent honteux de se trouver pris en flagrant délit d’ignorance. Et puis, considération bien supérieure, c’est par la science universalisée, déposée dans toutes les consciences, que nous mettrons fin à notre anarchie intellectuelle et que nous marcherons vraiment à la régénération. De ces réflexions est née la présente entreprise… ». Si la « Bibliothèque des sciences contemporaines » est une entreprise de diffusion scientifique auprès « des gens du monde », elle n’est pas une présentation de l’état général des connaissances scientifiques. Les quelques problèmes évoqués indiquent que le point de vue sera évolutionniste et matérialiste. Le projet n’est pas un état des lieux de la connaissance, mais celui d’une Encyclopédie nouvelle, aux temps de l’évolutionnisme et de la bourgeoisie dominante, un projet pour des Lumières républicaines et bourgeoises. Véron le confirme dans sa Morale : « Chacun des ouvrages publiés (par cette collection) peut et doit être considéré comme une partie d’une encyclopédie dont l’ambition est de condenser sous une forme résumée toutes les modifications qu’apporte aux solutions des problèmes scientifiques la doctrine nouvelle du transformisme matérialiste » [47].
19Les deux ouvrages de Véron s’accordent très précisément à ce programme. Les plaisirs et les besoins y sont pensés comme des réalités soumises à une évolution inscrite dans le cadre général du vivant, et jamais comme des principes anhistoriques. C’est alors Spencer plutôt que Darwin qui est évoqué, à plusieurs reprises dans son Esthétique. Perçue à la lumière du transformisme matérialiste, l’expressivité devient le principe de l’évolution humaine. Depuis l’âge préhistorique et les premières formes du langage, l’homme s’humanise par l’extension quantitative et qualitative de son expression, dont les Beaux-Arts sont à la fois le moteur et le produit presque pur. Ainsi érigée en ligne de force de l’évolution, l’expression se dépouille de tout aspi-ration à une spiritualité éthérée pour s’enraciner dans la profondeur des besoins qui furent d’abord ceux du corps. Empruntant une formule à Cézanne, on peut dire pour Delacroix que ses « couleurs sont l’expression, à cette surface de cette profondeur. Elles montent des racines du monde » [48]. L’expressionnisme se défait ici de son passé romantique pour prendre l’apparence que nous lui connaîtrons au siècle suivant. Reste à comprendre ce que peut être, chez Véron, la compréhension scientifique de cette évolution et du plaisir esthétique qui s’y produit.
20Les premiers paragraphes de l’Introduction de L’Esthétique définissent cette né-cessaire approche scientifique : « L’art n’est autre chose qu’une résultante naturelle de l’organisme humain, qui est ainsi constitué qu’il trouve une jouissance particulière dans certaines combinaisons de formes, de lignes, de couleurs, de mouvements, de sons, de rythmes, d’images. Mais ces combinaisons ne lui procurent jamais plus de plaisir que quand elles expriment les sentiments et les émotions de l’âme humaine aux prises avec les accidents de la vie ou en face du spectacle des choses. (…) Les principes sur lesquels repose chacun de ces deux groupes (il s’agit des arts de la vue et des arts du son ) trouvent donc leur explication physique dans les deux sciences qui étudient les organes de la vue et de l’ouïe, l’optique et l’acoustique. Cette explication est loin d’être complète ; un grand nombre de problèmes restent à résoudre ; mais ce que l’on sait dès maintenant permet d’entrevoir les solutions futures. (…). L’expli-cation des phénomènes cérébraux, ce que l’on appelle vulgairement les effets moraux de l’art, est beaucoup moins avancée, et, dans la plupart des cas, nous sommes réduits à un pur empirisme ». Ce préliminaire distingue et hiérarchise deux ordres dans les effets de l’art : les conditions physiologiques et psychologiques de la « jouis-sance esthétique ». L’art plaît d’abord d’une façon physiologique, par la façon dont les combinaisons de formes affectent les organes de la sensibilité externe. L’optique et l’acoustique sont parvenues à un point qui permet de commencer à comprendre cet effet. Mais le plaisir esthétique n’atteint son plus haut degré que lorsqu’il dépasse cette sensation que Kant aurait appelée agréable, et devient véritablement expressif, manifestation des sentiments, des émotions et des idées [49]. C’est ici vers la science des phénomènes cérébraux qu’il faut se tourner. Mais celle-ci est encore non scientifique, et, en bon positiviste, Véron indique que la démarche scientifique consistera pour l’instant seulement à ordonner des faits. Tel est du moins le jugement de Véron sur la psychologie de son temps. Compte tenu de l’existence de deux ordres de plaisir esthétique, sensible puis sensible et moral, la question de la scientificité de l’esthé-tique chez Véron donne donc lieu à deux questions : que peuvent nous apprendre la sphysiologie générale, l’optique et l’acoustique de la jouissance esthétique, et comment commencer à constituer une science de l’expression, une science du plaisir esthétique moral ?
21Physiologie du plaisir esthétique. Une fois affirmée la distinction entre un plai-sir esthétique sensible – l’effet d’un art rétinien – et un plaisir esthétique moral, la science du plaisir sensible est donc une physiologie du plaisir. Plusieurs publications ou recherches dans ce domaine sont évoquées par Véron, et particulièrement celles du physicien et physiologiste allemand Hermann von Helmoltz, aussi bien pour la phy-siologie générale du plaisir, que pour les études spécifiques portant sur l’optique et l’acoustique [50]. La physiologie de Helmholtz sert de fondement aux chapitres consa-crés à la musique et à la peinture, ainsi qu’à la question du goût. Véron fait donc partie des premiers auteurs à tenter de mettre à jour les lois de la sensibilité esthétique et à fonder la question du goût sur des données expérimentales [51]. Helmholtz, mais aussi Théodor Fechner [52], sont ici les références physiologiques majeures de ce tournant scientifique de l’esthétique française, chez Véron, mais aussi bien chez Séailles ou Guyau.
22Nous ne pouvons évoquer ici que rapidement l’usage fait par Véron de cette physiologie, dont il donne le résumé : « On peut dire que les jouissances de l’oreille et de l’œil consistent, comme toute autre jouissance, dans une exagération momen-tanée de l’activité cérébrale, produite par une vibration accélérée des fibres nerveu-ses. Cette accélération résulte d’un ensemble de conditions dont nous avons indiqué un certain nombre » [53]. La loi physiologique fondamentale empruntée à Helmholtz est celle de la complexité de la sensation : la perception d’une couleur ou d’un son, aussi simples qu’ils paraissent, synthétise en réalité une diversité d’ondes matérielles dont l’accord et l’ampleur déterminent la puissance du plaisir. Si le plaisir peut être pour partie organique, c’est que selon une définition que l’on trouverait au même moment chez Nietzsche « le plaisir consiste essentiellement dans un accroissement d’activité de la vie » [54]. Or, cet accroissement commence dans l’intensification de l’activité nerveuse et Helmoltz a également montré que nous n’utilisons communément qu’une faible partie de nos possibilités auditives. Véron revient ici aux thèses de la toute première Esthétique, celle de Baumgarten qui lui donna son nom en 1745. L’esthé-tique est une discipline de la sensibilité qui la rendra plus puissante en élevant nos perceptions confuses jusqu’à la clarté, sinon la distinction. Le plaisir sensible est pu-rement quantitatif et l’œuvre d’art a le pouvoir d’activer ces possibilités latentes dans le corps. Il faut pour cela que les artistes connaissent, distinctement ou intuitivement, les lois des combinaisons qui permettent un tel surcroît de vitalité. Plus que dans les analyses neurologiques qui soutiennent les thèses précédentes, c’est ici que l’infor-mation scientifique la plus riche est sollicitée par Véron, particulièrement dans les chapitres consacrés à la musique et à la peinture, où Helmoltz est très présent. Nous n’évoquerons que la physiologie des effets sensibles de la peinture, qui porte essen-tiellement sur la sensibilité aux couleurs et aux lignes.
23Le paragraphe 2 du chapitre sur la peinture expose une « Théorie scientifique de la couleur ». Depuis le Mémoire lu à l’Académie des sciences le 22 juin 1812 par Charles Bourgeois et les travaux de Chevreul sur le contraste simultané des couleurs en 1840 jusqu’aux recherches effectuées dans les années 1870 et qui influencèrent, aux dires de Seurat, le divisionnisme de certains néo-impressionnistes, la question de l’effet coloré est le point de convergence privilégié de la peinture et de la science. L’usage, qui suit ici les indications de Seurat, est d’attribuer à La grammaire des arts du dessin de Charles Blanc l’intérêt que les néo-impressionnistes ont pu porter à ces questions vers 1880. Mais l’information scientifique donnée par Blanc ne dépasse pas les travaux de Chevreul, et reste prisonnière de son erreur fondamentale : l’absence de distinction entre les couleurs matière et les couleurs lumière, distinction qui est au principe de l’idée du divisionnisme. Cette distinction, c’est chez Odgen Rood que l’on peut la trouver, et Véron utilise la Théorie scientifique des couleurs de ce physicien de Berkeley, l’année même de la parution de la seconde édition de L’Esthétique [55]. Et c’est alors seulement, en 1881, que Seurat copie le cercle chromatique de Rood, quand deux ans plus tôt il s’en tenait encore à celui de Chevreul. Il est ainsi paradoxal que ces pages de Charles Blanc sur les lois de la couleur, les plus pauvres et datées parmi ses contemporains, lui aient valu de ne pas être oublié, via les mentions faites par les néo-impressionnistes ou van Gogh, qu’il ne connut pas et qu’il aurait certainement peu appréciés [56].
24Le paragraphe 4, consacré au dessin, est certainement moins riche en développements physiologiques. La perspective a déjà rationalisé le problème optique de la perception des lignes. Cette exigence de soumission de l’expression artistique aux lois de l’optique a pour conséquence l’attachement de Véron à la perspective, et c’est bien l’un des premiers reproches qu’il adresse aux impressionnistes. Ce paragraphe sur le dessin donne tout de même un bel exemple de l’utilisation de la science physiologique dans les arts plastiques. Il s’agit de la découverte de la persistance de l’image sur la rétine. Véron y voit le fondement positif de l’expressionnisme dans la peinture. Si la couleur prime le dessin, Véron ne les oppose pas frontalement, la différence est plus dialectique et passe plutôt d’abord à l’intérieur du dessin, entre le dessin qui figure des attitudes, inexpressif, et celui qui montre des gestes, ou selon sa belle expression « des attitudes instables » [57]. Le dessin d’attitude, c’est la photographie, le dessin de geste c’est celui qui montre « un mouvement qui se continue (…) en ajoutant à l’immobilité forcée de l’attitude (…) quelque chose de celle qui a immédiatement précédé et de celle qui suivra immédiatement » [58]. Le cinéma privé et inconscient de la persistance rétinienne assurera l’effet [59].
25Psychologie du plaisir. La science n’est pas seulement utile à cette part physiologique du plaisir esthétique, elle doit pouvoir aussi aider sa part la plus noble : le plaisir moral. Mais, nous l’avons indiqué, cette science de l’expression n’existe pas encore selon Véron, et son travail consistera d’abord à enregistrer des faits. Ce sera une des fonctions de L’Art. C’est pourquoi on y trouve la première publication de l’essai de Charcot et Richer, Les Démoniaques dans l’art. On put aussi y lire en 1881 un article intitulé « L’art et l’électricité » qui décrivait les travaux de Duchenne de Boulogne et signalait leur intérêt esthétique, conformément aux vœux de Duchenne et contre leur confinement à la médecine [60]. Le Courrier de l’Art signale la parution française du long catalogue de Theodor Piderit, La mimique et la physiognomonie [61]. Si c’est dans les revues dirigées par Véron que les faits susceptibles de servir à une science de l’expression sont recueillis, son Esthétique participe aussi à ce travail. Les observations de Charcot sur les troubles hystériques dans la perception des couleurs sont déjà évoqués. La quatrième section du chapitre consacré à la musique cherche les fondements des effets moraux de la musique, et c’est ici à la thèse spencérienne d’une corrélation entre les sentiments et leurs effets physiologiques expressifs qui sert de principe. L’étude de la peinture donne moins de prise à cette approche, et tout parti-culièrement pour la possibilité d’une compréhension scientifique de l’expressivité de la couleur. L’expressivité du dessin, réduite nous l’avons vu, est en revanche l’occa-sion d’une étude des effets moraux de la ligne. Ce projet d’une géométrie de la pas-sion, qui cherche à comprendre les effets produits par les directions différentes des lignes était déjà évoqué par Charles Blanc, qui l’empruntait à Humbert de Superville [62]. Véron n’en dit guère plus dans son Esthétique. Mais dans un compte rendu pour L’Art, il fait l’éloge de la théorie des points et des lignes esthétiques que développe David Sutter dans son Esthétique générale et appliquée [63]. Sur cette ques-tion, on sait surtout que c’est quelques années après la parution de L’Esthétique que Charles Henry publia son Introduction à une esthétique scientifique, où sa célèbre dynamogésique, théorie de l’expressivité des lignes qui eut une grande importance pour Seurat, apporte des éléments nouveaux à la question de l’expressivité du mouve-ment. Elle n’est bien sûr pas évoquée par Véron en 1878, mais toutes les publications scientifiques et techniques de Charles Henry, qui devint en 1897 directeur du labora-toire de physiologie des sensations à l’École des Hautes Études, seront soigneusement présentées dans le Courrier de l’Art, et il lui arriva même de publier ses articles dans L’Art [64]. Plusieurs articles suggèrent une proximité avec Véron de celui qui fut aussi un proche de Fénéon. Si rien n’indique, à notre connaissance, de relation entre Véron et Fénéon, très différents à bien des égards, le compte rendu par Fénéon d’une publi-cation de Charles Henry montre pourtant une réelle affinité intellectuelle : « À signaler dans le dernier numéro de la Revue Philosophique, un article de M. Charles Henry : Loi d’évolution de la Sensation musicale. De ce fait que les Grecs ont associé, contrairement à nous, l’aigu avec le bas et le grave avec le haut, pendant un long espace de temps qu’il précise, l’auteur conclut à une évolution (…) Autre-ment dit, si des phénomènes profondément conscients pour nous étaient inconscients à une période aussi rapprochée de nous que l’ère gréco-romaine, il y a incontes-tablement progrès de l’être vivant vers un état de plus en plus dynamogène » [65]. Ainsi était fondée dans une science de la sensation La Supériorité des arts modernes sur les arts anciens et la loi historique d’une évolution de la conscience par accroissement des impressions sensibles.
26Cette tentative de connaître les effets moraux de la sensation déborde le cadre de la sensation esthétique chez Véron. La place fondamentale donnée à l’explication matérialiste se manifeste dans les aspects les plus inattendus et significatifs, avant même son Esthétique. On trouve ainsi, au milieu de sa Troisième invasion, ouvrage historique qui détaille les différentes batailles de 1870, cette remarque de psychologie matérialiste : « Sur les champs de bataille règnent une excitation, un mouvement qui ne laissent guère de place à la réflexion ; le crépitement des coups de fusils, le grondement du canon, emplissent l’oreille de vibrations qui passent jusqu’à l’intelligence, et la répétition indéfinie de cette sensation maintient l’âme dans un état particulier d’exaltation et de fièvre qui enlève à l’homme la libre possession de soi-même. Cet effet du bruit persistant est des plus puissants sur l’organisation humaine ; il semble qu’on soit plongé et comme noyé dans un atmosphère d’un genre spécial, qui change le caractère et les proportions des choses. Le sentiment de la personnalité individuelle s’écoule en quelque sorte et s’efface dans la communauté d’une impression générale et indéfinissable, qui résulte de la prédominance de certains instincts plus ou moins farouches de lutte et de combat » [66]. Sous l’effet de ce qui est entendu, le sentiment de l’individualité se dissout, le caractère et les proportions des choses changent. On croirait lire ici une description des effets de la musique par Schopenhauer, fondée chez Véron sur la matérialité d’une impression qui est d’abord faite par ces vibrations qui emplissent l’oreille.
27Si, dans L’Esthétique, la science de l’expression ne reste pas au stade empirique de la collecte des faits, Séailles, dans son compte rendu de l’ouvrage de Véron n’a pas tout à fait tort de lui reprocher de délaisser une psychologie scientifique existante, fournie selon lui par Stuart Mill, Bain et Spencer, et de retomber dans une psycho-logie par introspection mal définie. Véron semble l’avoir admis. La Morale qu’il commence à rédiger après L’Esthétique est en partie destinée à poser scientifiquement la question de l’expression et à revenir sur des questions esthétiques insuffisamment établies dans son précédent ouvrage. Si Séailles regrettait l’absence de Stuart Mill dans la psychologie de L’Esthétique, l’auteur anglais est la source majeure de la Morale. C’est une morale intégralement utilitariste, et certainement, dans ce domaine, un des meilleurs exemples français de l’école de pensée de Stuart Mill. Elle récuse comme abstractions métaphysiques la conscience morale, le libre arbitre, la responsa-bilité et ne craint pas d’en tirer toutes les conséquences, et particulièrement l’incon-séquence du droit de punir. Si elle vaut comme cadre théorique de la réflexion et de l’action de Véron dans le domaine de l’art, c’est que cette morale utilitariste définit le bien comme l’ensemble des réponses adaptées aux divers besoins de l’homme au fil de son évolution. Or, l’art provient de certains besoins, de sorte que c’est dans ce système des besoins que doit se comprendre l’histoire de l’art et s’accomplir son développement. Véron refuse ici, contre Kant, de séparer l’art et les besoins vitaux. Le même refus s’affirmera, peu d’années après, chez Nietzsche et Guyau : « En somme, rien de plus inexact que cette entière opposition établie par Kant et l’école anglaise, comme par Cousin et Jouffroy, entre le sentiment du beau et le désir : ce qui est beau est désirable sous le même rapport » [67].
28Les besoins de l’homme selon Véron se classent en trois groupes : nutritifs (circu-lation, respiration, digestion), sensitifs (besoin sexuel et besoins propres à chaque sens) et cérébraux (affectifs et intellectuels) [68]. Ils sont tous de nature organique – les besoins intellectuels manifestant la nécessité d’un mouvement des cellules cérébrales. Mais ils ne sont pas communs à toute la matière organisée. Si la totalité du vivant a des besoins nutritifs, les besoins sensitifs ne caractérisent que le monde animal où ils se répartissent inégalement, alors que les besoins cérébraux caractérisent l’homme. Ces trois ordres de besoins ne forment pas une classification statique, ils servent à décrire l’évolution de la vie, où l’apparition des besoins cérébraux distingue l’homme au sein du règne animal. Le principe de cette évolution, ce qui permet à la matière organisée de ne pas stagner au plan des besoins sensitifs, c’est l’intelligence. C’est elle qui permet de répondre de manière plus efficace aux besoins. En retour, ce déve-loppement de l’intelligence engendre de nouveaux besoins, selon une dialectique que Hume avait déjà proposée. L’évolution de l’homme est donc celle de l’intellectua-lisation de ses besoins. Or, ces besoins cérébraux se caractérisent par leur socialité. Ils supposent, pour naître et être satisfaits, la prise en compte de l’autre, quand les besoins nutritifs n’instaurent qu’un égoïsme étroit. La socialité, la prise en compte de l’intérêt général est donc le fruit de l’évolution des besoins organiques. La question morale du rapport entre intérêt particulier et intérêt général s’inscrit dans la nature de l’évolution qui cherche à dépasser les besoins nutritifs pour s’élever aux besoins intellectuels. Le besoin n’est égoïste que dans sa dimension organique la plus primi-tive, il se socialise nécessairement en se développant, à condition qu’il y ait dévelop-pement et non stagnation bourgeoise dans l’égoïsme inintelligent.
29Les besoins sensitifs jouent alors un rôle décisif dans ce processus. Immédiate-ment dérivés des besoins nutritifs, ils sont l’étape antérieure aux besoins cérébraux. C’est le développement et la satisfaction de ces besoins sensitifs qui engendre l’appa-rition et le développement de l’intellectualité, de l’affectivité, et surtout de la socialité puisque le sens de l’intérêt général est l’intérêt propre des besoins cérébraux. Dans la mesure où les arts viennent répondre à ces besoins sensitifs, ils sont donc le lieu même de l’évolution morale et intellectuelle de l’homme [69]. Les besoins sensitifs « peuvent être considérés en eux-mêmes et sous leur forme originelle comme purement égoïstes et indépendants de toute organisation humaine » [70]. Égoïstes certes, mais sous leur forme originelle seulement. L’évolution peut et doit conduire à une socialisation de ces besoins qui tend à les rapprocher des besoins de la sphère immé-diatement supérieure, les besoins affectifs. Pour les arts, qui répondent aux besoins sensitifs de la vue et de l’ouïe, cela signifie un plaisir esthétique qui, depuis une di-mension première purement sensible où les organes se réjouissent égoïstement, s’élè-ve à des plaisirs sensibles qui satisfont aussi nos affects. C’est à l’intérieur même de l’art que s’enclenche le passage du sensitif au cérébral, le passage de l’égoïsme à l’intérêt général. Cette science des mœurs construite par Véron dans sa Morale lui permet d’affirmer une fonction sociale de l’art qui est aussi une caractéristique de l’esthétique de ce temps. Fondée sur des arguments différents, elle constitue la thèse centrale de L’Art au point de vue sociologique de Guyau : « L’esthétique, où viennent se résumer les idées et les sentiments d’une époque, ne saurait demeurer étrangère à cette transformation des sciences et à cette prédominance croissante de l’idée sociale. La conception de l’art, comme toutes les autres, doit faire une part de plus en plus importante à la solidarité humaine, à la communication mutuelle des consciences, à la sympathie tout ensemble physique et mentale qui fait que la vie individuelle et la vie collective tendent à se fondre. Comme la morale, l’art a pour dernier résultat d’enlever l’individu à lui-même et de l’identifier à tous » [71].
30L’art est le seuil intellectuellement et moralement décisif de l’évolution de l’homme vers l’homme. Cela n’avait pas été clairement établi dans L’Esthétique, où quelque chose « n’a pas été mis en un relief suffisant » concernant les besoins esthé-tiques. Véron y revient donc dans le chapitre de sa Morale significativement intitulé « De la morale égoïste à la morale réciproque. Devoir de satisfaire les besoins sensitifs » : « Quant à l’influence que l’art peut et doit exercer sur la vie et la conduite de l’homme, nous croyons que cette influence est légitime et qu’elle peut être très utile. À y regarder d’un peu près, les plaisirs de l’ouïe et de la vue ont en effet pour caractère particulier d’être surtout cérébraux. (…) Il est bien vrai que le plaisir spécial de ces deux sens consiste essentiellement dans une surexcitation de l’activité locale qui les constituent. (…) Mais il faut bien dire que ce n’est pas là vraiment l’art. Pour constituer la musique et la peinture, il faut ajouter à ces jouissances toutes spéciales de l’oreille et de l’œil un élément purement cérébral qui consiste dans les manifestations des images, des sentiments, des émotions ou même des pensées qui résultent de l’agencement voulu des sons, des lignes et des couleurs. C’est alors seu-lement que commence le vrai plaisir esthétique (…) Grâce à l’élément cérébral qui s’y ajoute nécessairement (le plaisir sensitif) devient à la fois affectif et intellectuel, c’est-à-dire touche ce qu’il y a de plus élevé dans l’homme et, par conséquent, détermine et marque, au moins partiellement, le degré de son développement au point de vue de l’évolution » [72].
Une politique des arts libérale
31La distinction entre un premier niveau sensible du plaisir esthétique et son dépas-sement vers un plaisir expressif permet à Véron de distinguer l’art décoratif et l’art expressif et de donner à cette différence un sens moral et historique. Le plaisir es-thétique est d’abord seulement sensible, apporté par une combinaison de formes, lignes, rythmes ou sons qui s’accordent avec notre réceptivité et l’active en accrois-sant ses possibilités. Ce type de plaisir définit l’art décoratif, et la dimension vraiment esthétique des arts appliqués. C’est à lui seulement que revient le qualificatif de beau. Mais le plaisir peut aussi être essentiellement moral, lorsque cet effet vitalisant se produit sur nos idées et plus seulement sur nos sens. L’art devient alors expressif. Le dégagement de l’expressif depuis le décoratif constitue la dynamique de l’histoire de l’art, puisque l’art véritablement moderne est intégralement expressif et relègue le beau au second plan [73]. Mais ce mouvement n’induit aucun dépérissement du décora-tif, car le dégagement de l’expressif au sein du beau est une constante historique, que chaque temps doit rejouer pour lui-même en fonction de son développement. Le formalisme décoratif est un besoin indépassable, mais qui n’a de légitimité qu’à ouvrir nos besoins sensibles sur un horizon moral et moralisant qui les dépasse, au risque que cette moralisation échoue du côté du raffinement aristocratique ou dandy. Chez Véron, le formalisme est le point de départ d’un processus qui s’achève plutôt du côté de Proudhon et sa « destination sociale de l’art », et certainement pas du côté de l’art pour l’art. À ce point, l’expressionnisme positiviste de cette esthétique révèle sa nature politique.
32Derrière la diversité des domaines abordés par Véron, une ligne politique ferme est le véritable principe qui assure l’unité sous l’apparence d’un polygraphe. Les indications biographiques initiales ont fait apparaître Véron comme un républicain opposé à l’Empire sous lequel il commença sa carrière, ainsi qu’un défenseur des associations ouvrières auxquelles il consacre deux ouvrages vers 1865. Mais sa cri-tique de la décadence bourgeoise signale aussi que l’instauration d’une iiie République ne pouvait lui suffire, sans que cela le conduise à une opposition révolutionnaire qu’il a toujours considérée comme foncièrement idéaliste et donc opposée au sens qu’il croyait être celui de l’histoire. Ce sens de l’histoire fixe sa position politique : l’his-toire humaine est le processus de développement des intérêts particuliers qui se so-cialisent nécessairement par leur croissance quantitative et qualitative. Le passage du beau formel à l’expressif est le signe de cette socialisation des besoins. Ainsi l’utilitarisme prétend-il garantir la civilité et la moralité. Le libre essor de ces besoins est la condition et l’effet de la civilisation. Seul un mouvement rétrograde peut conduire ces intérêts à se fixer dans leur particularité, et cela donne l’égoïsme inintelligent de la bourgeoisie du xixe. Mais inversement, toute socialisation forcée, imposée par un pouvoir politique supérieur au lieu d’être produite par le cours naturel des intérêts particuliers, est aussi contraire à cette dynamique qui, littéralement, ne demande qu’à s’exprimer dans l’histoire. Véron est un libéral, au sens que ce terme avait alors. La question de la forme du pouvoir politique est secondaire, la vie politique se joue dans la façon dont une société parvient, ou non, à laisser s’exprimer ces intérêts particuliers jusqu’à leur plus haute socialité. Le libéralisme de Véron, et de ses contemporains depuis les saint-simoniens, réclame cette maximisation des libertés individuelles au nom de sa capacité exclusive à assurer non pas la concurrence de chacun contre cha-cun mais le concours de chacun avec chacun. Comme chez Stuart Mill, l’utilitarisme de Véron le conduit logiquement vers ce libéralisme qui croit que le bien résultera nécessairement du libre développement des intérêts individuels. Ce libéralisme ne signifie pas moins d’État, mais plus de société – à quoi doit œuvrer l’État. Son rôle est de favoriser la diffusion des Lumières, dont le principe est entre les mains de la société et de ses éléments éclairés qui ne réduisent pas à une élite. L’Art prétend s’inscrire dans cette initiative de la société, jusqu’au souci d’assurer une diffusion plus massive en devenant bimensuel en 1884, seul moyen de diviser par deux le prix de son abonnement et de « pénétrer les classes moyennes, les plus nombreuses et peut-être les plus actives » [74].
33La politique des arts ne doit pas suivre d’autres principes. C’est même ici que se joue l’essentiel, s’il est vrai que pour Véron, l’art est le véritable milieu dans lequel s’opère la socialisation des intérêts particuliers. Historiquement et politiquement, rien n’est plus dangereux qu’une société qui laisse l’État régir la vie de l’art. C’est aussi pourquoi L’Art prend constamment position contre l’enseignement officiel des Beaux-Arts, contre le Salon officiel, contre l’Institut. Face à cela, les expositions privées doi-vent se développer, comme le fit l’Union centrale des Beaux-Arts appliqués à l’industrie dont Véron et sa revue furent très proches, et comme le firent les impression-nistes. C’est bien ce qu’il y a de meilleur chez les impressionnistes, si l’on en croit ce compte rendu de leur 6e exposition en 1881, vraisemblablement rédigé par Véron : « Si sujette aux justes sévérités de la critique que soit cette exposition impres-sionniste, nous applaudissons vivement à son existence comme à toute manifestation de l’initiative privée. Les expositions des impressionnistes, si faibles, si mauvaises même qu’elles aient pu être, ont eu le grand mérite d’ouvrir la voie, une voie excel-lente. À leur suite sont venues les expositions de la Société française d’Aquarellistes et des Galeries de l’Art. (…) L’effondrement certain du système actuel et la constitu-tion de groupes pour l’organisation d’expositions particulières, absolument indépen-dantes, ne sauraient faire l’objet d’un doute pour tout esprit sérieux. Les artistes vont enfin faire leurs affaires eux-mêmes et ils ne les feront bien que de la manière que nous indiquons » [75].
Conclusion
34L’Esthétique de Véron est l’élément d’un système qui unit quatre motifs princi-paux : le positivisme scientifique, l’évolutionnisme, l’expressionnisme et le libéra-lisme. Le positivisme est certainement sa caractéristique majeure, à condition d’en reconnaître l’altération provoquée par la faillite nationale et sociale de 1870. C’est lui qui commande cette primauté donnée aux faits et aux sciences expérimentales, phy-siologie et psychologie principalement. Vers 1880, Véron n’a pas l’exclusive de cette approche scientifique de l’expérience esthétique, qui existe aussi dans le domaine de la critique d’art chez Fénéon ou Théodore Duret. Elle est donc partagée par des hommes aux goûts bien différents de ceux de Véron. Du côté des esthéticiens, il n’est qu’un parmi d’autres, et pas le plus radical ni le plus scientifique, dans un ensemble de travaux dont nous ne connaissons pour l’instant presque rien mais qui constitua pourtant alors une esthétique française très riche. Si la scientificité revendiquée par Véron l’associe à ce mouvement plus qu’elle ne le distingue, son intérêt tient aussi à la manière dont Véron l’unit à un point de vue historico-évolutionniste et politico-libéral. Un art conduit par des individualités géniales à travers lesquelles s’expri-merait l’évolution morale de l’humanité commencée depuis l’apparition du langage devrait, en cette fin de xixe siècle, être l’outil principal d’un mouvement de Lumières bourgeoises qui accomplirait ce que la Révolution de 1789 avait mis en œuvre, pour installer enfin l’âge positif. L’esthétique doit doublement prendre part à cette évolution : en devenant elle-même une science matérialiste et évolutionniste de la création, puis en mettant à disposition des artistes les justes règles du plaisir sensible et moral. L’œuvre d’Eugène Véron est certainement caractéristique de ce tournant méconnu opéré dans l’esthétique française vers 1880 qui, en cherchant à se fonder sur les sciences positives, achevait de se distinguer dans ses méthodes et ses concepts de la Poétique dont elle était issue. Ce tournant est d’autant plus remarquable avec Véron qu’il est ici le travail d’un agrégé de lettres classiques. Il suffit pour en prendre conscience de comparer L’Esthétique de 1878 avec La Supériorité des arts modernes sur les arts anciens où, en 1862, la démonstration s’établissait encore essentiellement sur les exemples littéraires qui étaient ceux des poéticiens du xviiie siècle.
Bibliographie
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Notes
-
[1]
Même si la mise en question de cette représentation reste marginale parmi les travaux scientifiques, et à peu près inexistante dans l’édition, ces travaux existent au moins depuis l’ouvrage d’Albert Boime au début de nos années 1970 (Boime, 1971). La thèse de Pierre Vaisse (1995) qui dut significativement attendre 15 ans sa publication est à ce jour l’enquête la plus complète. La conférence de Jacques Thuillier au Collège de France en 1980 (Thuillier, 1984) est ici l’exposé le plus brillant et le plus stimulant. Pour une recension des travaux portant sur cette question, entre 1980 et 1995, cf. Vaisse, 1995, 451-459.
-
[2]
Cf., par exemple, Moulin, 1979. Pour la critique d’une supposée libéralisation du Second Empire vers 1860, cf. Bounan, 1997.
-
[3]
Cf. la bibliographie finale.
-
[4]
Cet article était proche de sa publication lorsqu’une nouvelle édition de L’Esthétique parut aux Éditions Vrin. Nous citerons donc ce texte dans cette édition. Jacqueline Lichtenstein, qui en est l’éditrice, avait déjà présenté Eugène Véron dans La tache aveugle, 2003. Ces pages, et la préface qu’elle a rédigée pour l’édition récente, sont à notre connaissance les seules exceptions à l’oubli dans lequel les esthéticiens et historiens de l’art ont laissé Véron depuis un siècle.
-
[5]
Ces indications biographiques sont données à partir des deux nécrologies parues dans L’Art, 1889, 1, t. i, 245, et Le Courrier de l’Art, 7 juin 1889, 23. Un article de l’anthropologue Léonce Manouvrier, paru dans les Bulletins de la Société d’Anthropologie de Paris (1892, 4e série, t. iii, 238-278) donne aussi de nombreuses indications biographiques, recueillies auprès de la veuve – et troisième épouse – d’E. Véron. Je remercie Claude Blanckaert de m’avoir signalé l’existence de ce précieux article, dont il sera question plus loin. Claude Blanckaert est l’auteur d’un article sur Eugène Véron (Blanckaert, 1989-1992).
-
[6]
Véron, 1862.
-
[7]
Véron, 1865, 1866, 1867.
-
[8]
Véron, 1871a, 1871b, 1874, 1876-1877.
-
[9]
Un jury dirigé par Véron élisait tous les deux ans un jeune sculpteur ou peintre, français ou étranger, auquel il attribuait une bourse lui permettant d’étudier à Florence pendant deux ans. Jusqu’en 1880 au moins, ce choix se faisait parmi les œuvres exposées au Salon, à l’occasion d’une sorte de contre-visite. En 1876, le prix de Florence fut décerné au sculpteur Albert-Lefeuvre, qui exposait son Adolescence au Salon. Pressenti pour la médaille d’honneur, le jury ne lui accorda aucune distinction, mais son œuvre fut achetée par l’État. En 1878, le prix fut attribué au statuaire Charles Beylard. En 1880, il revint au sculpteur J.L. Enderlin pour son Joueur de billes. Le jury du Salon récompensa aussi cette œuvre par une troisième médaille, la plus faible des distinctions.
-
[10]
La Bibliothèque Internationale de l’Art fut dirigée par Eugène Muntz, Conservateur du Musée, de la Bibliothèque et des Archives de l’École Nationale des Beaux-Arts. La Bibliothèque de l’enseignement artistique fondée en 1883 était dirigée par É. Ménard, professeur à l’école des Arts décoratifs.
-
[11]
Véron, 1878, 1884, 1885.
-
[12]
Cf. Genet-Delacroix, 1992, 331 et Le Courrier de l’Art, 21 janvier 1887, 3.
-
[13]
Véron, 1887.
-
[14]
La théorie du beau chez Platon a fait l’objet d’une étude minutieuse par Véron. Cf. « L’idéal dans l’art d’après Platon », L’Art, 1877, 3, 49-52, 97-99 et 169-172. Elle est reprise en annexe de L’Esthétique.
-
[15]
Ainsi, parmi bien d’autres exemples, ce compte rendu par Véron de l’ouvrage de Séailles, 1883 : « Que vient-on donc nous parler de style abstrait, impersonnel, absolu ? Je suis toujours heureux de voir un universitaire se dégager de ce verbiage imbécile de l’école métaphysique, et je félicite vivement monsieur Séailles d’avoir énergiquement protesté, au moins sur ce point, contre l’esthétique creuse des Charles Levesque, Charles Blanc et autres nourrissons attardés de Winckelmann », Le Courrier de l’Art, 15 janvier 1886, 3. Pour Taine, cf. le compte rendu de lecture de la Philosophie de l’art par Ernest Chesneau, L’Art, 1882, 3, 218-220 et 258-260.
-
[16]
Un exemple dans ce compte rendu du Salon de 1884 par André Michel pour L’Art : « Comme nous ne pensons pas que le lecteur ait pris au sérieux le panneau mal venu, mal conçu et mal peint, que M. H. Motte destine à la mairie de Limoges (encore une commande de l’État, protecteur des Beaux-Arts et défenseur de l’Idéal !), nous ne le comprendrons pas dans cet inventaire de la peinture décorative, en l’an de grâce 1884 », L’Art, 1884, 1, 186.
-
[17]
« Cette conception du beau est certainement la plus répandue. C’est celle que propage l’enseigne-ment universitaire à tous les degrés, et qui, par lui, rayonne et domine dans le monde officiel », Véron, 1878 (2007, 135).
-
[18]
« La métaphysique qui plane dans le vide, au milieu des entités flottantes inventées par elle, dans ce monde que, par une sorte d’ironie provocante, elle appelle le monde des intelligibles, ne peut vivre que d’abstractions ou de grandes phrases qui s’accommodent mal des détails précis. (…) Nous ne devons pas oublier que le caractère de la publication d’ensemble dont fait partie ce volume est précisément de réagir contre ces antiques habitudes d’esprit qu’entretient avec tant de soin, et malheureusement aussi avec tant de succès, la vieille tradition académique… » ibid., 291 et suiv.
-
[19]
Ibid., 136.
-
[20]
Ibid., 111.
-
[21]
Ibid., 107.
-
[22]
Cette formule se trouvait déjà dans le texte liminaire au premier numéro de L’Art, où Véron définit les principes éditoriaux de la nouvelle revue : « Il n’y a d’œuvres d’art que celles qui portent la marque du tempérament et des convictions de l’artiste, celle qu’anime et illumine le reflet de cette flamme intérieure que ne manquent jamais d’allumer dans les âmes l’effort et le mouvement du travail créateur. À l’artiste qui se fait l’instrument d’une conception surannée ou étrangère, qui s’asservit à la reproduction d’une œuvre qu’il n’a pas créée, qui substitue l’imitation d’un procédé appris à la manifestation de ses impressions personnelles, cette flamme manque fatalement, et son œuvre, quelle qu’elle soit, n’est et ne peut être qu’un pastiche. En un mot, dans le domaine de l’art, pour faire quelque chose, il faut être quelqu’un » (L’Art, 1875, 1).
-
[23]
Véron, 1878 (2007, note 2, 141). Véron cite ici Les maîtres d’autrefois de Fromentin.
-
[24]
Ibid., 126.
-
[25]
Cf., par exemple, Panofsky, 1924.
-
[26]
Blanc, 1867 (2000, 90).
-
[27]
Ce passage important se poursuit ainsi : « Dans cette conception, l’esprit n’est plus réduit à ce rôle purement passif que lui attribuent toutes les philosophies antérieures. Au lieu de recevoir et de reproduire simplement l’image des objets et des faits extérieurs, comme dans les doctrines matérialistes, ou de n’être que l’écho ou le réceptacle des idées et des principes impersonnels des spiritualistes, c’est lui qui les pro-duit, qui les façonne, qui les compile à l’occasion des impressions élémentaires, au delà desquelles la science, vraiment digne de ce nom, n’a rien à voir, parce qu’au-delà, nous ne pouvons rien connaître ni rien comprendre », Véron, 1862, xix.
-
[28]
Comme le montre l’histoire de la philosophie en France au xixe de Ravaisson, la pensée de Berkeley était alors très présente en France. Elle guide le travail de Séailles, esthéticien contemporain de Véron : « Le monde est ma représentation, ses phénomènes sont mes idées, il n’existe pour moi que par ma pensée, dont il doit prendre la forme », Séailles, 1883, Introduction, xii.
-
[29]
Véron, 1878 (2007, 47). Cette présentation de l’origine des arts dans l’expressivité du langage résume très rapidement le premier chapitre de la première partie de L’Esthétique, intitulé « Origine et groupement des arts ».
-
[30]
Ibid., 60.
-
[31]
Véron inverse ici le rapport génétique entre écriture et peinture proposé par Herbert Spencer, qui fait naître l’écrit de la peinture murale, via les hiéroglyphes (Spencer, 1877, 25).
-
[32]
« Ils résultent du jeu naturel de nos organes excités, sans secours étranger », Véron, 1878 (2007, 65).
-
[33]
Ibid., 189.
-
[34]
Ibid., 305.
-
[35]
Voici le compte rendu par Véron de sa visite à la cinquième exposition impressionniste en 1880 : « Nous désirerions bien vivement n’avoir qu’à louer dans l’exposition des Indépendants, nous qui sommes ennemis de l’art officiel et de la peinture académique, de la convention mise en place de la personnalité. Nous serions enchantés d’y trouver une confirmation de nos doctrines, un argument de fait à ajouter à nos arguments théoriques. L’idée générale qui relie ce groupe, fort discordant du reste, est une idée que nous avons souvent exprimée, et qui, il faut bien le dire, n’a qu’une nouveauté très relative. (…) Horace, qui n’était pas un impressionniste, a posé le principe longtemps avant l’école moderne, en disant que la vraie source de l’émotion se trouve dans la vue directe des choses. C’est là que la personnalité de l’artiste peut se déployer librement, dans la sincérité de son émotion individuelle. (…) Malheureusement, à l’exposition de la rue des Pyramides, il y a une forte proportion d’ivraie mêlée au bon grain. La moitié au moins des exposants ne paraissent pas se douter que pour faire de l’art, "l’indépendance" toute seule ne suffit pas et qu’il serait bon d’y ajouter quelque autre chose. Pour ceux-là, l’indépendance consiste surtout à s’affranchir de toute considération de forme et de couleur, des règles même les plus élémentaires de la perspective. Ils suppriment de l’art l’étude et l’observation et se contentent de prendre de la nature et des choses ce qu’on en peut saisir quand on ne se donne pas la peine de les regarder. (…) Aussi ce qui manque le plus à ces œuvres, est-ce précisément la personnalité, c’est-à-dire ce qui est vraiment l’art », L’Art, 1880, 2, 92-94.
-
[36]
Il faut même noter qu’un an plus tôt, une plaquette de 35 pages qui semble être la première publication de Véron s’intitulait : Progrès de la liberté dans la théologie protestante, cf. Véron, 1861.
-
[37]
Véron, 1878 (2007, 39).
-
[38]
Cf. Vaisse, 1995, 29.
-
[39]
« J’ai lu à Jérusalem un livre socialiste (Essai de philosophie positive par Auguste Comte) (…) c’est assommant de bêtise. Il y a là-dedans des mines de comiques immenses, des Californies de grotesque. Il y a peut-être autre chose aussi. Ça se peut », Lettre à Bouilhet du 4 septembre 1850. Le contenu de la lettre est tout de même plus circonspect que ne le laisse entendre Jean-Pierre Cometti à qui nous empruntons cette référence ». Cf. Cometti, 2003, 245-269.
-
[40]
L’Art, 1875, 1.
-
[41]
C’est en particulier le cas de Saint Amand Bazard. Cf. Gane, 2003, 150-169.
-
[42]
Véron, 1867, 1871a, 1871b, 1874, 1876-1877.
-
[43]
Véron, 1884, xxv-xxvi.
-
[44]
Véron, 1878 (2007, 219).
-
[45]
« La Tour ne ressemble à rien de connu, il est vrai ; elle n’est d’aucun style, ni grec, ni gothique, ni renaissance ; elle est construite en fer, sa forme est adaptée à la nature de ses matériaux, et comme nous le disions tout à l’heure, il est évident, il est indéniable que l’avenir nous réserve un style d’architecture de fer », L’Art, 1889, 1, 139.
-
[46]
Même un défenseur de l’Académie et de l’Institut comme Hippolyte Lazerges qui écrit « contre l’envahissement du positivisme et de l’excentricité », soumet la création à « la conformation physique et physiologique de l’homme qui le prédisposent et le portent à adopter une forme plutôt qu’une autre pour l’émission de sa pensée » (Lazerges, 1868, 23 et 7). Sur cette question encore mal connue, cf. Bouveresse, 1999. Mais cet ouvrage étudie surtout le xxe siècle, et les études expérimentales du goût plutôt que de la perception.
-
[47]
Véron, 1884, xxviii. Au sujet de ce néo-encyclopédisme, et plus largement des contextes scientiste, matérialiste, positiviste et libre penseur auxquels Véron ne fut pas étranger, cf. les présentations très précises faites par Piet Desmet (1996) et Jennifer Hecht (2003). Pour la question plus précise des rapports entre les milieux artistiques et ce champ scientifique, surtout anthropologique, cf. Wartelle, 2001. Je remercie Claude Blanckaert pour ces références précieuses, qui signalent également que Véron fit partie des fondateurs, en 1876, de la Société d’autopsie mutuelle. Les membres de cette société s’engageaient à donner leur cerveau à des fins d’investigation scientifique, en même temps que pour désacraliser le culte des morts. Le cerveau de Véron fut donc examiné par Léonce Manouvrier, ce qui nous vaut d’en avoir une connaissance bien plus détaillée que de sa biographie (Manouvrier, 1892). Le Docteur Gachet d’Auvers-sur-Oise fit partie de cette société : le repas mensuel des membres fut-il l’occasion de discussions entre Véron et l’hôte de Van Gogh ?
-
[48]
Gasquet, 1921 (1988, 151).
-
[49]
Véron s’oppose donc à la distinction kantienne de l’agréable et du beau, et fait commencer celui-ci dans celui-là. Ce refus de Kant est expressément manifesté à l’occasion d’un compte rendu de lecture par Véron de Guyau, 1884. Véron fait l’éloge des thèses anti-kantiennes de l’auteur qui considère le plaisir esthétique comme le développement des plaisirs premiers : respirer, se nourrir, se reproduire : « Le beau est renfermé en germe dans l’agréable, comme d’ailleurs le bien même », Courrier de l’Art, 22 janvier 1886, 4.
-
[50]
Véron ne précise aucune référence à un ouvrage particulier de Helmholtz. On trouvera dans notre bibliographie les textes du savant allemand liés à l’esthétique et traduits en français au moment de la première publication de l’Esthétique.
-
[51]
Sur ces études, et surtout leur développement au début du xxe siècle, cf. Bouveresse, 1999.
-
[52]
Fechner, 1876.
-
[53]
Véron, 1878 (2007, 87).
-
[54]
Ibid., 71. Si nous ne connaissons pas de référence à Nietzsche chez Véron, il existe au moins, à partir de cette définition de l’art, un même rejet de Schopenhauer, lui nommé, et de son art consolateur. Cf. Le Courrier de l’Art, 15 janvier 1886, 3, 31-32.
-
[55]
Cf. aussi le compte rendu par Véron de la publication de Rood (1881) in Le Courrier de l’Art, 13 a-vril 1881, 15 : « La lecture de ce livre peut être très utile aux artistes, non seulement par ce qu’elle peut leur apprendre de nouveau pour eux, mais aussi par l’explication raisonnée de certaines pratiques qui se transmettent inconsciemment dans les ateliers ». Dans ces pages sur la perception des couleurs, Véron se réfère aussi à Laugel (1867) et cite longuement une conférence de Paul Bert à l’Académie des sciences du 29 janvier 1878.
-
[56]
Séailles définit ainsi Charles Blanc : « historien et critique d’autorité, philosophe par occasion seulement », Séailles, 1879, 613.
-
[57]
Véron, 1878 (2007, 280).
-
[58]
Ibid., 281.
-
[59]
Ibid., 284.
-
[60]
Chesneau, 1881. Voici un extrait : « Il appar-tenait à notre époque investigatrice et critique de chercher à formuler définitivement, scientifiquement les lois de l’expression. Elle y a réussi au moins en grande partie et, désormais, elle a tous les éléments nécessaires pour conduire à son terme l’œuvre si heureusement commencée. C’est encore à l’électricité que nous sommes redevables de cette nouvelle conquête. Par le mot expression, j’entends l’expression morale des sentiments, des sensations, des émotions et des passions de l’homme se traduisant au regard par le jeu mobile de la physionomie », 183-184.
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[61]
Cf. Courrier de l’Art, 12 juillet 1889, 28. Ce catalogue est un document important dans la constitu-tion de théories expressionnistes en Allemagne, en particulier pour Wilhelm Wundt dont Piderit était un proche.
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[62]
Cf. Barbillon, 2004.
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[63]
Cf. L’Art, 1881, 2.
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[64]
C’est dans L’Art que Henry Cros et Charles Henry publièrent par épisode leur Histoire de la peinture à l’encaustique, cf. L’Art, 1884, 1, 172-175 et 196-199. Le numéro 22 du 3 juin 1887 du Courrier de l’Art indique : « Charles Henry, à qui l’on doit tant de publications aussi intéressantes que variées, vient de faire paraître en une élégante plaquette… » ; le numéro 4 du 25 janvier 1889 signale que Charles Henry, alors bibliothécaire à La Sorbonne, a présenté à l’Académie des Beaux-Arts le 22 décembre « trois instruments nouveaux qui sont appelés à faire entrer l’art industriel dans une voie rigoureusement scientifique : un rapporteur et un triple décimètre permettant l’étude et l’amélioration esthétique de toutes formes ; un cercle chromatique présentant tous les compléments et toutes les harmonies de couleur ».
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[65]
Fénéon, 1886 (1970, 2, 675).
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[66]
Véron, 1876-1877, 221.
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[67]
Guyau, 1884, livre 1, chapitre 2, 27.
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[68]
Je remercie Claude Blanckaert de m’avoir signalé que cette hiérarchie des besoins est empruntée à la Physiologie des passions de l’anthropologue Charles Letourneau (cf. Blanckaert, 1995). Véron avait adhéré à la Société d’Anthropologie de Paris en 1876, et cela explique sans doute que les rares mentions qui sont faites de lui aujourd’hui appartiennent au champ des historiens des sciences de l’homme.
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[69]
Ce principe est déjà partiellement présent dans le premier ouvrage publié par Véron, en 1862. Il est exposé dès l’Avertissement de la Supériorité des arts modernes : « Le point de départ de ma thèse est que c’est l’intelligence elle-même qui se transforme, se complète, et dont le développement progressif se traduit au dehors par l’excellence progressive de ses œuvres. Par conséquent, le progrès pour moi consiste uniquement dans un accroissement de la puissance intellectuelle ».
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[70]
Véron, 1884, 172.
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[71]
Guyau, 1887 (1923, xlvi).
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[72]
Ibid., 273.
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[73]
Véron, 1878 (2007, 126). Cf. citation plus haut.
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[74]
C’est du moins ainsi que Véron explique ce changement de périodicité ; cf. « La dixième année de L’Art », L’Art, 1883, 4, 81-84. L’Art ne se vendait que sur abonnement. Son coût était assez élevé (120 francs), quand un livre coûtait alors environ 3 francs.
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[75]
L’Art, 1881, 2, 42.