Couverture de RHSHO_212

Article de revue

II.4. Pourquoi eux et pas les autres ?

Arrestations et déportations des Juifs du département de Vaucluse d’après une prosopographie quantitative, 1942-1944

Pages 255 à 274

Notes

  • [1]
    Cet article a été en partie présenté en novembre 2016 dans le cadre de la Conférence « Lessons and Legacies », à l’université Claremont McKenna. Il sera intégré dans le volume à paraître de Lessons and Legacies. Voir Adrien Dallaire, « A Different Approach to Microhistory : The Arrests of the Jews of the Vaucluse as Seen through Quantitative Prosopography » in The Holocaust in the 21st Century : Relevance and Challenges in the Digital Age (Lessons and Legacies Volume XIV), sous la direction de Tim Cole et Simone Gigliotti, Evanston (IL), Northwestern University Press, 2020. Copyright © 2020 Northwestern University Press. Tous droits réservés. Reproduit avec autorisation. Cet article résume les principaux apports de la thèse de doctorat de l’auteur. Voir Adrien Dallaire, « Expliquer la survie : la hiérarchie de la persécution et les Juifs du département de Vaucluse, 1933-1945 », thèse de doctorat sous la direction de Jan Grabowski et Claire Zalc, Université d’Ottawa / École normale supérieure de Paris, 2020.
  • [2]
    Lawrence Stone, « Prosopography », Daedalus, vol. 100, n° 1, hiver 1971, p. 46. D’autres ont défini la prosopographie comme « une technique de recherche historique se fondant sur l’analyse systématique des données biographiques d’un groupe donné de protagonistes historiques. » Voir Koenraad Verboven, Myriam Carlier et Jan Dumolyn, « A Short Manual to the Art of Prosopography », in Prosopography : Approaches and Applications : A Handbook, sous la direction de Katharine S. B. Keats-Rohan, Oxford, University of Oxford Press, 2007, p. 69.
  • [3]
    Christopher R. Browning, Ordinary Men : Reserve Police Battalion 101 and the Final Solution in Poland, New York, Harper Perennial, 1993 ; traduit en français par Élie Barnavi, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la « Solution finale » en Pologne, Paris, Les Belles Lettres, 1994.
  • [4]
    Nicolas Mariot et Claire Zalc, Face à la persécution : 991 Juifs dans la guerre, Paris, Odile Jacob, 2010.
  • [5]
    Katharine S. B. Keats-Rohan, « Introduction : Chameleon or Chimera ? Understanding Prosopography », in Prosopography : Approaches and Applications, Keats-Rohan, Oxford, 2007, p. 12.
  • [6]
    Verboven, Carlier et Dumolyn, « A Short Manual », art. cit., p. 36.
  • [7]
    William Bruneau, « Toward a New Collective Biography : The University of British Columbia Professoriate, 1915-1945 », Canadian Journal of Education, vol. 19, n° 1, 1994, p. 67.
  • [8]
    Keats-Rohan, « Introduction : Chameleon or Chimera ? », art. cit., p. 20.
  • [9]
    2 826 Juifs représentent pratiquement 1 % de la population juive totale en France au début de la guerre. Voir Raul Hilberg, La destruction des Juifs d’Europe, vol. II, traduit par Marie-France de Paloméra et André Charpentier, Paris, Gallimard, 2006 [1961]), p. 1131.
  • [10]
    Avignon est le chef-lieu du Vaucluse, département du sud-est de la France comprenant 151 communes (villes, bourgades et villages).
  • [11]
    Ginette Kolinka, Interview 25852, Visual History Archive (ci-après VHA), USC Shoah Foundation, 1997, deuxième partie : 18 :08-19 :08.
  • [12]
    Ibid., deuxième partie : 20 :16-20 :20.
  • [13]
    Ibid., deuxième partie : 19 :32-19 :46, 20 :55-21 :04 et 24 :03-24 :11.
  • [14]
    Liste des convois de déportation 71, Centre de documentation juive contemporaine (ci-après CDJC), C71_10 et C71_36.
  • [15]
    Adolphe Waysenson, Interview 32680, VHA, USC Shoah Foundation, 1997, troisième partie : 22 :24-23 :46.
  • [16]
    Ibid., cinquième partie : 16 :41-16 :47.
  • [17]
    Liste des convois de déportation 73, CDJC, C73_34.
  • [18]
    A. Waysenson, VHA, cinquième partie : 23 :46-23 :49.
  • [19]
    Ibid., cinquième partie : 21 :25-23 :41.
  • [20]
    Léon Waysenson, Interview 32673, VHA, USC Shoah Foundation, 1997, quatrième partie : 9 :45-14 :09.
  • [21]
    A. Waysenson, VHA, cinquième partie : 23 :09-25 :01. Léon, lui, se souvient avoir entendu l’un des officiers allemands dire au maire de Goudargues : « On n’a plus de place sur les camions. Vous êtes responsable de la famille [Waysenson]. On viendra incessamment chercher le restant de la famille. » L. Waysenson, VHA, quatrième partie : 10 :36-10 :47.
  • [22]
    Le test khi carré (χ2) sert à examiner la relation entre deux variables. Plus précisément, il permet de déterminer s’il existe entre elles une association statistiquement pertinente, l’hypothèse nulle étant qu’elles sont indépendantes l’une de l’autre. Michael W. Kearney l’a expliqué clairement et succinctement : « Dans l’analyse khi carré, les fréquences escomptées sont générées d’après l’hypothèse nulle et comparées aux fréquences observées. […] Si la correspondance est élevée – autrement dit, si la différence entre les fréquences escomptées et les fréquences observées est réduite – la valeur statistique khi carré sera petite, et on en conclura que les deux variables sont indépendantes. Inversement, une correspondance médiocre donne une statistique khi carré importante et invalide l’hypothèse nulle, ce qui suggère que les deux variables sont liées. » Une fois le test khi carré réalisé, on calcule un niveau de pertinence afin de déterminer la probabilité d’obtenir les résultats observés. Lorsqu’un résultat est statistiquement pertinent, la « valeur p » (ou valeur de probabilité) est inférieure à 0,05 (p < .05) cela signifie qu’il y a moins de 5 % de chances qu’un résultat puisse être attribué au hasard (sur les autres valeurs p, voir note 26).
    Ni le khi carré ni la valeur p ne fournissent cependant d’indication quant à l’intensité de l’association entre les deux variables. Pour évaluer cette intensité, on doit recourir soit au coefficient Phi soit au V de Cramer, en fonction de la taille du tableau de contingence (ou tableau à double entrée). À l’instar des coefficients de corrélation, les mesures Phi et V de Cramer s’échelonnent de 0 à 1, une valeur forte indiquant une association forte entre les variables. Michael W. Kearney, « Cramér’s V, » in The SAGE Encyclopedia of Communication Research Methods, sous la direction de Mike Allen, Thousand Oaks (CA), SAGE Publications, 2017, p. 289. Voir également Barbara G. Tabachnick et Linda S. Fidell, Using Multivariate Statistics (6e édition), Boston (MA), Pearson Education, 2013, p. 58-59.
  • [23]
    La mesure Phi a été utilisée dans les quelques exemples où le tableau de contingence (ou à double entrée) était simplement binaire, comme c’est le cas pour la variable « sexe ». Dans tous les autres cas (c’est-à-dire dans l’immense majorité des cas), c’est le coefficient V de Cramer qui a été utilisé.
  • [24]
    Le sexe de trois personnes arrêtées – soit moins de 0,6 % du total – n’a pu être déterminé.
  • [25]
    Afin de ne pas biaiser les statistiques ou fausser les conclusions qu’on peut en tirer, tous ceux dont le sexe demeurait inconnu ont été exclus du tableau et des statistiques y afférant. La même logique a été appliquée à chacune des autres variables étudiées dans cet article. Si l’information concernant la variable étudiée n’était pas connue, elle n’a pas été inclue dans les analyses.
    *** indique que la relation entre les variables était pertinente et que la « valeur p » (ou valeur de probabilité) était inférieure à 0,001 (p < .001), soit qu’il y avait 0,1 % (ou un millième) de chance que les résultats obtenus puissent être imputés au hasard ; ** indique que la relation était pertinente et que p < .01, soit qu’il y avait 1 % de chance que les résultats obtenus puissent être imputés au hasard ; * indique que la relation était pertinente et que p < .05, soit qu’il y avait 5 % de chance que les résultats obtenus puissent être imputés au hasard.
  • [26]
    Comme les Juifs pouvaient avoir quatre ans pendant la guerre et l’Occupation, une année de référence a été déterminée afin de donner une certaine cohérence à la variable « âge ». L’année 1942 a été choisie parce qu’elle marque le début des opérations d’arrestation visant les Juifs de la zone non occupée. Ainsi, un Juif appartenant à tel ou tel groupe d’âge aurait eu cet âge pendant l’année en question (à savoir 1942). Ceci dit, les six Juifs nés en 1943 et 1944 – dont deux furent arrêtés et déportés – étaient inclus dans le groupe d’âge « 0 à 15 ans ».
  • [27]
    Les Juifs âgés ou très jeunes semblent avoir été les moins vulnérables à une arrestation parce qu’ils étaient souvent les moins mobiles. Et, comme ce fut le cas lors de la grande rafle des Juifs étrangers opérée en zone non occupée en août 1942, une mobilité réduite suffisait parfois à épargner l’arrestation à un particulier. Voir directeur général de la police nationale au préfet régional de Marseille, 5 août 1942, et préfet régional de Marseille aux préfets de la région de Marseille, 24 août 1942, Archives départementales de Vaucluse (ci-après ADV), 7W16.
  • [28]
    La valeur p des analyses réalisées pour la variable « statut marital » était inférieure à 0,001. En se fondant sur le critère Phi obtenu, l’intensité de l’association entre les variables « statut marital » et « arrestation » était très faible. En ce qui concerne la variable « nombre d’enfants », la valeur p était inférieure à 0,01. Le coefficient V de Cramer indiquait que l’intensité de l’association entre les variables « nombre d’enfants » et « arrestation » était faible.
  • [29]
    Les parents ayant cinq enfants ou davantage étaient les plus exposés à une arrestation, alors que ceux qui n’en avaient qu’un ou deux étaient les moins vulnérables. Ceux qui avaient trois ou quatre enfants à charge, se trouvaient, eux, au milieu du spectre de vulnérabilité.
  • [30]
    Dans leur étude des Juifs de Lens, Nicolas Mariot et Claire Zalc ont découvert que le facteur principal déterminant les Juifs à changer de résidence ou à prendre la fuite n’était pas leur âge, leur nationalité ou leur perception du danger, mais la taille de leur famille. Les personnes qui avaient des enfants étaient plus enclines à rester, tandis que ceux qui étaient célibataires ou mariés mais sans enfants partirent en grands nombres. En outre, plus ils avaient d’enfants, plus ils étaient enclins à rester. « L’augmentation du nombre de personnes dans la famille, écrivent N. Mariot et C. Zalc, réduit de manière importante la mobilité de chacun de ses membres. » Mariot et Zalc, Face à la persécution, op. cit., p. 126-128. Voir également Claire Zalc (en conversation avec Emmanuelle Saada), « What Happened to the 991 Jews in Lens ? A Microhistorical Approach to the Holocaust, » Columbia Maison française, 3 mai 2012, https://www.youtube.com/watch?v=ZHOo_Y3OFkQ:37:13-38:55 (consulté le 2 juin 2020).
  • [31]
    La « thèse du bouclier » a resurgi ces dernières années avec la publication du livre d’Alain Michel, Vichy et la Shoah : Enquête sur le paradoxe français, Paris, CLD, 2012 ; et celui d’Éric Zemmour, Le suicide français, Paris, Albin Michel, 2014 (voir plus particulièrement p. 87-94).
  • [32]
    La catégorie à laquelle appartenait telle personne peut être déterminée à partir des diverses listes qui établissent une distinction entre ces deux « types » de Juifs. Les recensements effectués à l’échelle du département en juillet 1941 et en mai 1944, par exemple, comportent deux parties, l’une concernant les Juifs français ; l’autre, les Juifs étrangers. Le « statut » d’une personne, il faut le souligner, semble n’avoir été lié que de façon très ténue avec leur nationalité et leur lieu d’origine. En fait, on retire parfois l’impression que les qualificatifs « étrangers » et « français » étaient appliqués de façon quelque peu incohérente. Salomon Chazine, par exemple, un Juif russe né à Berditchev en 1895, et qui obtint la nationalité française par naturalisation, était invariablement considéré comme un Juif français. En revanche, Joseph et Victor Léon – deux Juifs français nés à Paris – étaient identifiés à des occasions distinctes comme appartenant à chacune des catégories. (Ils ont donc été inclus dans la catégorie « double label »). L’explication réside peut-être dans le fait que leurs parents, Abraham et Sultana Léon (née Behar), étaient tous deux nés en Turquie et étaient eux-mêmes considérés comme des Juifs étrangers. Pour plus amples renseignements concernant Chazine, voir Commissariat de police d’Apt, « État des Juifs s’étant présentés dans nos services pour l’apposition de la mention “Juif” », 9 février 1943, et « État des Israélites, Ville d’Apt », 1er septembre 1943, ADV, 7W15 ; Préfecture de Vaucluse, « Liste nominative des Juifs français (13 mai 1944), » 13 mai 1944, ADV, 7W15. Pour plus d’informations concernant la famille Léon, voir Préfecture de Vaucluse, « État nominatif des Juifs français résidant en Vaucluse au 1er juillet 1941 », 1er juillet 1941, ADV, 7W15 ; « Liste des étrangers qui désireraient retourner dans leur pays d’origine », document non daté (après mars 1943), ADV, 7W16.
  • [33]
    La raison en est que les Juifs vauclusiens constituaient un groupe comprenant des personnes de trente nationalités différentes, nées dans trente-sept pays différents (d’après une carte de 1939). Ce qui compliquait encore la situation, c’était le fait que, dans plusieurs cas, il n’y avait qu’une poignée de Juifs (souvent trois ou moins) ayant telle ou telle nationalité ou étant nés dans tel ou tel pays. Cependant, afin de ne pas contrarier les hypothèses du test khi carré, pas plus de 20 % des cellules du tableau de contingence peuvent avoir un total inférieur à cinq.
  • [34]
    Georges Wellers, L’étoile jaune à l’heure de Vichy : De Drancy à Auschwitz, Paris, Fayard, 1973, p. 75-76.
  • [35]
    Voir Directeur général de la police nationale au préfet régional de Marseille, 5 août 1942, et préfet régional de Marseille aux préfets de la région de Marseille, 24 août 1942, ADV, 7W16.
  • [36]
    Lettre de Friedel Franck au préfet du Vaucluse, 26 août 1940, ADV, 3W265 ; Irène Osborne, Interview 42083, VHA, USC Shoah Foundation, 1998, première partie : 6 :49-11 :43 ; Marcel Kempowski, Interview 48360, VHA, USC Shoah Foundation, 1998, première partie : 18 :41-26 :11.
  • [37]
    Susan Zuccotti, The Holocaust, the French, and the Jews, New York, BasicBooks, 1993, p. 284.
  • [38]
    Préfecture de Vaucluse, « État nominatif des Juifs de nationalité étrangère résidant en Vaucluse au 1er juillet 1941 », 1er juillet 1941, ADV, 7W15.
  • [39]
    Liste des convois de déportation 76, CDJC, C76_18_19.
  • [40]
    Préfecture de Vaucluse, « État nominatif des Juifs de nationalité étrangère résidant en Vaucluse au 1er juillet 1941 », 1er juillet 1941, ADV, 7W15.

Prosopographie quantitative

1La prosopographie, judicieusement définie par Lawrence Stone comme « l’investigation des caractéristiques communes d’un groupe de protagonistes dans l’histoire en procédant à une étude collective de leurs vies », gagne ces dernières années en popularité, et des historiens, toutes périodes confondues, y recourent pour répondre au nombre sans cesse croissant de questions soulevées par toutes sortes de sujets [2]. Les historiens de la Shoah n’ont pas manqué d’adopter cette approche. L’ouvrage classique de Christopher Browning, Des hommes ordinaires, peut être considéré comme une biographie collective qualitative d’un groupe de tueurs allemands [3]. Plus récemment, Nicolas Mariot et Claire Zalc ont mêlé approches quantitatives et qualitatives dans leur étude des 991 victimes juives de Lens [4].

2Certains auteurs estiment erroné de vouloir définir la prosopographie comme une approche soit quantitative, soit qualitative ; selon eux, elle est l’une et l’autre [5]. Il est pratiquement certain qu’ils s’insurgeraient contre l’emploi de l’adjectif « quantitatif » pour décrire la forme particulière de prosopographie présentée ici. À bien des égards, leur objection serait justifiée parce que la prosopographie est en fait un genre hybride : on a recours à une approche qualitative en vue d’extraire l’information contenue dans les sources, alors que l’approche quantitative se trouve au cœur des analyses statistiques réalisées sur les données recueillies. Dans ce cas, cependant, l’adjectif est opportun du fait du rôle prépondérant joué par l’aspect quantitatif dans cette étude.

3C’est en recueillant et en analysant une quantité considérable de données sur les individus appartenant au groupe étudié, que se dégagent les traits particuliers et les caractéristiques de cette population dans son ensemble. Cette méthode réduit le risque d’accorder une importance disproportionnée à des cas individuels exceptionnels et par conséquent peu représentatifs [6]. La prosopographie présente en outre l’avantage de permettre aux chercheurs de détecter des liens auparavant cachés entre des variables. À cet égard, il existe une parenté évidente entre micro-histoire et prosopographie. En fait, tout comme l’approche microhistorique, en rétrécissant le champ d’observation, a permis aux historiens de découvrir des éléments qu’il leur aurait été difficile – voire impossible – de percevoir à une échelle plus importante (ou macro), le recours à des méthodes quantitatives et à des analyses statistiques permet d’identifier des modèles qui n’auraient pu autrement être perceptibles, pas même à une échelle microtraditionnelle. On ne peut cependant surestimer le potentiel de la méthode prosopographique ni la considérer comme une sorte de panacée résolvant toutes les difficultés inhérentes à la recherche historique. Comme l’a fait remarquer William Bruneau, la prosopographie révèle parfois seulement des « relations partielles » entre des variables et ne permet que de « généralisations statistiquement modestes ». « La modestie statistique de ces conclusions, soutient néanmoins l’auteur, n’invalide pas leur valeur historique [7]. »

4On s’est demandé si la prosopographie relevait davantage d’une « méthode », d’une « technique », d’une « approche » ou d’un « outil analytique ». La réticence à qualifier la prosopographie de « méthode » s’explique par le fait qu’elle ne s’applique pas uniformément en toutes circonstances. Tout dépend en fait des sources dont on dispose, des questions qui se posent et des outils d’analyse des données dont on dispose. Il n’existe donc pas une seule manière de mener une prosopographie. Comme l’a souligné Katharine S. B. Keats-Rohan, « la prosopographie est […] plurielle plutôt que singulière, en sorte que les tentatives de la définir sont inévitablement plus descriptives que normatives [8]. »

5Même si les étapes intermédiaires varient d’un historien à un autre, et d’un sujet à un autre, d’une façon générale, les travaux prosopographiques sont menés en deux temps. Il y a d’abord la collecte et la compilation des informations relatives à chaque individu dans le groupe ciblé. Interviennent ensuite l’analyse et l’interprétation de ces informations. Quels que soient le sujet choisi et l’époque considérée, la création d’une base de données s’impose souvent pour réaliser ces deux tâches. Qui plus est, cette base de données sera généralement assez minutieuse, étant donné qu’il s’agit de recueillir systématiquement toute une gamme d’informations sur les personnes concernées. Pour la présente étude, la base de données contient les renseignements suivants – et en fait bien d’autres choses encore – sur les Juifs vauclusiens : âge, sexe, nationalité, pays ou ville d’origine, situation de famille, éducation, service militaire, profession au cours du temps et mouvements pendant la guerre. Au total, pour 2 826 Juifs, cette base de données compte plus de trois millions de cellules, dont 1 125 variables [9].

Arrestations

6Dans l’après-midi du 13 mars 1944, Ginette Cherkasky et trois de ses proches furent arrêtés à leur domicile au 72 rue Joseph Vernet à Avignon [10]. Des années plus tard, évoquant l’événement, Ginette estimait que l’opération avait été planifiée, mais pas au sens traditionnel du terme. La Gestapo, lui semblait-il, n’avait pas entrepris d’arrêter tels ou tels Juifs, mais plutôt des « types » spécifiques de Juifs [11].

7

Je suis rentrée à la maison [après le déjeuner]. Quand je suis entrée [chez moi], il y avait dans le couloir […] la Gestapo. Et ils disaient à mon père, « Vous êtes juif ? » Alors, moi, je leur dis, « Ils [ne] sont pas Juifs. Laissez-les tranquilles ! » […] Mon père et mon frère et mon neveu, ils les ont été faire déculotter dans la cuisine. Et puis leurs [faux] certificats de baptême orthodoxe ou protestant, ils [n’]ont même pas eu à les montrer. Peut-être que si j’avais rien dit… parce que ma mère était à la maison, il y avait une cousine à la maison […] et sa fille [l’était aussi] […] et ils les ont pas pris. […] Ils [les Allemands] venaient chercher des hommes. J’étais là et j’ai ouvert ma gueule et ils se sont dit, « Bon, ben, ça [ne] fera qu’une de plus. C[e n]’est pas plus mal. » [Si] j’aurais rien dit, peut-être que [je n’aurais pas été arrêtée]… mais, enfin, […] on ne sait pas.

8Ainsi, sur au moins sept Juifs présents, quatre seulement furent arrêtés. Tous étaient citoyens français et tous (à l’exception de Ginette) étaient des « hommes », quoique du fait de leur âge, ils ne fussent pas astreints au service militaire. Léon, le père de Ginette, avait soixante ans à l’époque. Son jeune frère, Gilbert, était âgé de douze ans, et son neveu, Georges Marcou, de quatorze ans [12]. Tous quatre furent emmenés à la prison locale d’Avignon et, deux jours plus tard, transférés aux Baumettes à Marseille. De là, ils furent envoyés à Drancy [13]. Un mois exactement après leur arrestation, la famille Cherkasky tout entière fut déportée à Auschwitz par le convoi 71 [14]. Seule Ginette revint.

9Comme le montre l’exemple suivant, les rafles de cette nature étaient plus courantes qu’on ne le pense. Au cours de l’hiver 1943, après avoir été séparés de leurs enfants pendant plusieurs mois, Joseph (Szloma) Waysenson et son épouse Yenta parvinrent à rejoindre leur famille dans le petit village de Goudargues, situé à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest d’Avignon [15]. « Dans [ce] village du [département du] Gard, se souvient Adolphe, leur deuxième fils, on a l’impression que la guerre va se terminer et qu’on aura survécu [16]. » Malheureusement, ce ne fut pas le cas pour tous. Joseph fut arrêté le 9 mars 1944 et déporté à Kaunas / Reval quelques semaines plus tard [17]. Ni sa femme ni ses enfants « ne l’[ont] jamais revu. Jamais revu [18] ».

10Les circonstances entourant l’arrestation de Joseph sont connues grâce aux témoignages de deux de ses fils, Adolphe et Léon, respectivement âgés de onze et quinze ans, au moment de l’arrestation de leur père. Bien qu’ils aient été tous deux des témoins oculaires de l’événement, ils ne le décrivent pas exactement de la même manière. Dans un récit, Joseph était à la maison lorsqu’un officier allemand, un seul, est venu l’arrêter. Quelques minutes lui furent accordées pour préparer une petite valise, et il fut contraint de monter dans un camion et emmené [19]. Selon le second récit, un ou deux officiers allemands, accompagnés de plusieurs soldats, se présentèrent chez les Waysenson. Informés par Yenta que Joseph n’était pas à la maison mais au travail, les Allemands décidèrent d’aller l’arrêter sur les lieux de travail [20].

11Bien que les deux récits divergent sur quelques points (ce qui prouve, si besoin en était, que la mémoire est volatile), ils se rejoignent sur le fait qu’une seule « catégorie » de Juifs avait été prise pour cible : les hommes adultes. « Il y avait d’autres hommes qu’on a raflés dans le village, se souvint Adolphe. […] Et il [l’Allemand] a dit […], “Aujourd’hui, nous venons pour les hommes. […] Après, ça sera pour vous. Et vous ne bougez pas.” […] Ils ne sont jamais revenus nous chercher [21]. » Ainsi, comme dans la rafle de la famille Cherkasky opérée quatre jours plus tard, l’arrestation de Joseph Waysenson offre un autre exemple dans lequel un Juif d’un certain âge a été distingué par les autorités et appréhendé, alors que ses proches plus jeunes ou de sexe féminin, ne l’étaient pas.

12Mais existe-t-il véritablement un lien entre l’âge et le sexe des Juifs d’une part et leur arrestation d’autre part comme semblent le suggérer ces exemples ? Pour répondre à cette question, il faut recourir à une analyse quantitative de la base de données. Deux tests d’indépendance du khi carré [22]2) ont été réalisés en vue d’évaluer la relation entre le fait d’avoir été arrêté (ou de ne pas l’avoir été) et l’âge et le sexe d’une personne. Dans les deux cas, les analyses ont révélé que la relation était statistiquement pertinente. En outre, pour chacune de ces variables, il n’y avait que 0,1 % de chance (soit une pour mille) que les résultats obtenus puissent être attribués au hasard. (En effet, dans les deux cas, la « valeur p » [ou valeur de probabilité] est inférieure à 0,001). Le fait d’être arrêté n’était donc pas indépendant de l’âge et du sexe. Cela ne signifie pas, cependant, que l’association entre les variables indépendantes (« âge » et « sexe ») et la variable dépendante (« arrestation ») soit forte. En fait, lorsque le coefficient V de Cramer (similaire à un coefficient de corrélation) a été pris en compte, on a observé que toutes deux n’avaient qu’un impact très faible sur la variable « arrestation [23] ». Il n’en demeure pas moins qu’un impact, si faible soit-il, est un impact.

13Un examen plus attentif des chiffres montre que les hommes juifs âgés de 31 à 60 ans étaient, ne serait-ce que légèrement, plus exposés à l’arrestation que les autres (voir tableaux nos 1 et 2). Sur les 527 Juifs vauclusiens arrêtés, 332 (soit 63 %) étaient de sexe masculin et 192 (soit 36,4 %) de sexe féminin [24]. On pourrait être tenté de conclure de ces chiffres que les hommes risquaient beaucoup plus que les femmes d’être appréhendés. Il importe cependant de considérer le nombre d’hommes et de femmes arrêtés comparé au nombre total pour chaque sexe. Sur les 1 475 Juifs de sexe masculin et les 1 311 de sexe féminin, respectivement 22,5 et 14,6 % furent arrêtés. Ainsi, non seulement les hommes juifs ont été arrêtés en plus grand nombre que les femmes juives, mais également en pourcentage plus important de leur représentation dans la population juive totale.

Tableau n° 1

Arrestations en fonction du sexe[25]

Sexe (χ2 *** ***)ArrêtésNon arrêtésTotal
Masculin3321 1431 475
(22,5 %)(77,5 %)(100 %)
Féminin1921 1191 311
(14,6 %)(85,4 %)(100 %)
Total5242 2622 786
(18,8 %)(81,2 %)(100 %)

Arrestations en fonction du sexe[25]

Tableau n° 2

Arrestations en fonction de l’âge (année de référence : 1942)[26]

Âge (χ2 ***)ArrêtésNon arrêtésTotal
de 0 à 15 ans56347403
(13,9 %)(86,1 %)(100 %)
de 16 à 30 ans103474577
(17,9 %)(82,1 %)(100 %)
de 31 à 45 ans200642842
(23,8 %)(76,2 %)(100 %)
de 46 à 60 ans122418540
(22,6 %)(77,4 %)(100 %)
plus de 61 ans44353397
(11,1 %)(88,9 %)(100 %)
Total5252 2342 759
(19,0 %)(81,0 %)(100 %)

Arrestations en fonction de l’âge (année de référence : 1942)[26]

14L’interprétation des statistiques concernant l’âge des Juifs est considérablement plus difficile du fait que le tableau de contingence (ou à double entrée) concernant cette variable n’est pas simplement binaire, contrairement à celui de la variable « sexe ». Si les Juifs étaient soit homme, soit femme, ils pouvaient être d’âges très divers. D’un point de vue statistique, il était donc nécessaire de les regrouper en des catégories ou groupes d’âge plus restreints. Ce qui, cependant, rend encore plus difficile l’interprétation des données et accroît également le risque d’erreur. Les chiffres indiquent néanmoins quelques tendances générales, même si, de nouveau, l’association entre les deux variables (« âge » et « arrestation ») était très faible. L’examen du tableau n° 2 met en évidence que – aussi bien en valeur absolue qu’en pourcentage – les Juifs âgés de 31 à 60 ans étaient légèrement plus vulnérables à l’arrestation que ceux des autres groupes d’âge, tandis que les jeunes de moins de quinze ans et les personnes de plus de soixante et un ans semblent avoir été les moins vulnérables [27].

15Mais se peut-il vraiment que ce fût le cas ? Les Juifs d’âge moyen étaient-ils encore plus exposés que les jeunes et, vraisemblablement, plus forts physiquement, notamment ceux qui avaient l’âge de porter les armes, qui représentaient une menace plus grande pour les autorités allemandes d’occupation ? Pour autant que cela semble contraire à toute intuition, il faut rappeler que Léon Cherkasky et Joseph Waysenson, âgés respectivement de soixante et quarante-huit ans, appartenaient tous deux à ce groupe au moment de leur arrestation. Mais, outre leur âge, les deux hommes partageaient d’autres caractéristiques. Tous deux étaient mariés, et tous deux furent arrêtés en présence de leur épouse et de leurs enfants qui, pour la plupart, ne furent pas appréhendés en même temps qu’eux.

16On se demande donc si des facteurs comme la situation de famille, célibat ou non, enfants ou non, expliquent la plus grande vulnérabilité des Juifs au sein de ce groupe d’âge. C’est certainement une partie de l’explication. Lorsque des tests khi carré ont été réalisés pour évaluer la relation entre les variables « statut marital » et « nombre d’enfants » et la variable « arrestation », les analyses ont révélé que la relation était, de nouveau, statistiquement pertinente [28]. Les Juifs mariés, par exemple, étaient arrêtés près d’une fois et demie plus fréquemment que leurs homologues célibataires. De plus, les parents d’un grand nombre d’enfants semblent avoir été plus vulnérables que ceux qui en avaient moins à charge [29]. Serait-il possible que la taille même de certaines familles entrava leur mobilité et donc leur capacité à se cacher (comme le suggèrent Nicolas Mariot et Claire Zalc dans leur étude sur Lens [30]), rendant ainsi certains membres de ces foyers – et notamment les patriarches – encore plus vulnérables aux mesures d’arrestation ? C’est une possibilité.

17Ce qui manque jusqu’à présent à cette étude, c’est une analyse de la relation entre l’arrestation des Juifs et leur « statut » ; autrement dit, s’ils étaient considérés comme des Français ou comme des étrangers par les occupants allemands et par les autorités de Vichy. On l’a vu dans l’introduction de ce volume, la « dichotomie Français-étrangers » – pilier central de la « thèse du bouclier » – continue à occuper une place relativement dominante dans l’historiographie [31]. Mais est-elle justifiée ? La distinction Français-étranger est-elle véritablement aussi importante qu’on l’a prétendu pour expliquer le sort des Juifs en France pendant la guerre ? Ou réunit-elle des personnes très différentes dans deux groupes artificiellement homogènes, occultant ainsi d’autres différences peut-être plus importantes ?

18Ces questions ne sont pas destinées à suggérer que les Juifs français et étrangers risquaient tout autant, les uns que les autres, d’être arrêtés. Ce n’était pas le cas. À l’œil nu, les chiffres semblent indiquer qu’un groupe, en particulier, s’était retrouvé dans le collimateur des autorités : les Juifs étrangers (voir graphique n° 1). Mais que disent les statistiques ? Les analyses révèlent de nouveau qu’il existe une relation statistiquement pertinente entre les deux variables (« statut » et « arrestation »). Cette fois, cependant, l’association entre elles était considérablement plus forte qu’elle ne l’était pour les variables « sexe » et « âge ». Loin d’être très faible, cette association fut, en l’occurrence, modérée. Et comme le tableau de contingence est relativement restreint (trois sur deux), il n’est guère difficile de voir pourquoi (voir tableau n° 3). Les taux d’arrestation entre les deux catégories de Juifs sont particulièrement instructifs : 262 (sur 949) Juifs étrangers – soit 27,6 % – furent arrêtés, alors que ce ne fut le cas que pour 165 (sur 1 492) Juifs français, soit 11,1 %. Les Juifs étrangers furent donc appréhendés deux fois et demie plus fréquemment que leurs homologues français.

Graphique n°1

Arrestations en fonction du statut

Graphique n°1

Arrestations en fonction du statut

Tableau n° 3

Arrestations en fonction du statut[32]

Statut (χ2 ***)ArrêtésNon arrêtésTotal
Français1651 3271 492
(11,1 %)(88,9 %)(100 %)
Étrangers262687949
(27,6 %)(72,4 %)(100 %)
Double label73845
(15,6 %)(84,4 %)(100 %)
Total4342 0522 486
(17,5 %)(82,5 %)(100 %)

Arrestations en fonction du statut[32]

19Mais le « statut » fut-il vraiment le facteur décisif en matière d’arrestations ? En d’autres termes, le sort d’une personne dépendait-il d’un couple d’étiquettes – « Français » et « étrangers » – plus que de tout autre chose ? Ou d’autres facteurs intervenaient-ils ? Outre les analyses réalisées sur la variable « statut », d’autres ont été menées sur les variables « nationalité » et « pays d’origine », variables qui, au premier abord, semblent assez similaires. Elles ne sont pas équivalentes, cependant, pas plus qu’elles ne donnent des résultats identiques. Toutes deux aboutissent pourtant à la même conclusion, à savoir que la « dichotomie Français-étrangers » est trop simpliste pour permettre de comprendre pourquoi certains Juifs furent arrêtés et d’autres non.

20À l’instar de la méthode employée en grande partie pour l’âge des Juifs, il a fallu regrouper les variables « nationalité » et « pays d’origine » en un nombre restreint de catégories [33]. Ces variables étaient en outre codées de différentes manières afin de permettre une analyse des données à plusieurs niveaux. La première méthode a consisté à regrouper les pays d’origine en trois catégories se fondant sur leur situation géopolitique pendant la guerre : en premier lieu la France ou Pays de l’Afrique du Nord française ; ensuite, Pays occupé par, ou allié à, l’Allemagne ; et enfin, Pays ennemi ou neutre. Ainsi, si un Juif était né en Suisse, son « pays d’origine » était désigné dans la rubrique « Pays ennemi ou neutre ». Si, en revanche, il était né en Tunisie, il était inclus dans la catégorie « France ou Pays de l’Afrique du Nord française ». La même logique s’appliquait à la nationalité des Juifs. Par exemple, des Juifs ressortissants belges étaient comptés comme « Ressortissants d’un pays occupé par, ou allié à, l’Allemagne ». S’ils étaient Britanniques, ils étaient considérés comme « Ressortissants d’un pays ennemi ou neutre ». Un tel codage des variables permettait le regroupement de nationalités et pays d’origine qui, quoique différents, étaient à tous égards les mêmes. Cette approche offrait la possibilité d’observer des tendances qui seraient demeurées imperceptibles si les nombreux pays d’origine et nationalités avaient été pris en considération isolément.

21Les analyses ont révélé qu’il existait une relation statistiquement pertinente entre les variables « pays d’origine » et « arrestation », même si l’intensité de l’association entre eux était faible. À bien des égards, les chiffres semblent confirmer les découvertes des analyses concernant la variable « statut », à savoir que les Juifs nés en France ou dans l’Afrique du Nord française étaient moins exposés à l’arrestation que les autres. Il faut cependant établir une distinction entre ceux qui étaient nés dans des pays occupés par, ou allié à, l’Allemagne, et ceux qui ne l’étaient pas, les premiers étant plus vulnérables à l’arrestation que les derniers (voir tableau n° 4). Il existe donc manifestement une hiérarchie au sein du groupe communément désigné dans l’historiographie par le terme générique « Juifs étrangers ». Ce fait, en lui-même et par lui-même, suggère qu’il faudrait probablement réévaluer la structure traditionnelle (c’est-à-dire la « dichotomie Français-étrangers ») pour comprendre le sort des Juifs de France pendant la Shoah. C’est d’autant plus évident lorsqu’on prend en considération les nationalités des Juifs.

Tableau n° 4

Arrestations en fonction du pays d’origine

Pays d’origine
2 ***)
ArrêtésNon arrêtésTotal
France ou pays d’Afrique du Nord française1921 2931 485
(12,9 %)(87,1 %)(100 %)
Pays occupé par, ou allié à, l’Allemagne272660932
(29,2 %)(70,8 %)(100 %)
Pays ennemi ou neutre57207264
(21,6 %)(78,4 %)(100 %)
Total5212 1602 681
(19,4 %)(80,6 %)(100 %)

Arrestations en fonction du pays d’origine

22À l’occasion d’un autre test khi carré, on a observé qu’il existait une relation statistiquement pertinente entre les variables « arrestation » et « nationalité », lorsque cette dernière était codée selon les mêmes principes que la variable « pays d’origine ». La différence, en l’occurrence, résidait dans le fait que l’association entre elles était modérée plutôt que faible. Au départ, les résultats ne semblaient guère différents de ceux qui avaient été obtenus à partir des analyses antérieures. En termes de vulnérabilité à l’arrestation, les Juifs français (et ressortissants d’un pays de l’Afrique du Nord française) semblaient l’emporter sur les Juifs de nationalité étrangère. Un examen plus minutieux montrait cependant que la catégorie « Ressortissant d’un pays ennemi ou neutre » comportait un sous-groupe peu représentatif, numériquement suffisamment important pour fausser les conclusions tirées. En fait, sur les trente-cinq Juifs de cette catégorie à avoir été arrêtés, trente (soit 86 %) étaient des Turcs. En présence d’un tel sous-groupe, il a été décidé de reprendre les analyses en excluant les Juifs turcs. Les résultats ont été sidérants.

23Le tableau n° 5 montre que les citoyens juifs d’un pays ennemi ou neutre étaient moins exposés à une arrestation que ceux de France ou d’un pays de l’Afrique du Nord française, les deux groupes étant considérablement moins vulnérables que les ressortissants d’un pays occupé par, ou allié à, l’Allemagne. Ainsi, contrairement à l’idée généralement répandue, dans le cas du département de Vaucluse, il était préférable d’être un Juif étranger pendant la Seconde Guerre mondiale, sous réserve d’avoir la « bonne » nationalité. En fait, mieux valait être ressortissant d’un pays en guerre avec le Troisième Reich ou qui avait choisi de rester neutre (à une exception près : la Turquie). En revanche, les Juifs les plus en danger étaient les ressortissants d’un pays occupé par, ou allié à, l’Allemagne. Même dans ce cas, on détecte des nuances.

Tableau n° 5

Arrestations en fonction de la nationalité

Nationalité (χ2 ***)ArrêtésNon arrêtésTotal
Ressortissant de France ou d’un pays de l’Afrique du Nord française1971 4921 689
(11,7 %)(88,3 %)(100 %)
Ressortissant d’un pays occupé par, ou allié à, l’Allemagne238545783
(30,4 %)(69,6 %)(100 %)
Ressortissant d’un pays ennemi ou neutre (y compris la Turquie)35149184
(19,0 %)(81,0 %)(100 %)
Ressortissant d’un pays ennemi ou neutre (excepté la Turquie)57580
(6,2 %)(93,8 %)(100 %)
Total (y compris la Turquie)4702 1862 656
(17,7 %)(82,3 %)(100 %)
Total (excepté la Turquie)4402 1122 552
(17,2 %)(82,8 %)(100 %)

Arrestations en fonction de la nationalité

24On l’a vu, la variable « nationalité » était regroupée et codée de diverses façons. Bien qu’il ait été utile de regrouper les différentes nationalités en se fondant sur la situation géopolitique des nations correspondantes pendant la guerre, on a également estimé nécessaire de les considérer individuellement. Au départ, cela n’a pas été possible, parce que le nombre de nationalités représentées par seulement une poignée de Juifs entravait toute tentative d’analyse statistique. On a donc choisi d’inclure seulement les nationalités qui, numériquement, dépassaient un certain seuil. Ce seuil a été fixé à vingt-sept Juifs – soit (en arrondissant) 1 % de la population juive totale du Vaucluse.

25Statistiquement pertinente, la relation entre les nationalités individuelles et la variable « arrestation » était la plus forte, quoique modérément forte. (En fait, le coefficient V de Cramer indiquait que l’intensité de l’association entre les variables ne manquait pas d’être vraiment forte, et pas seulement modérée.) Bien qu’on puisse faire nombre d’observations à partir de ces analyses, seules les plus importantes seront présentées ici. Sur les neuf nationalités ayant atteint le seuil établi, deux furent considérablement plus exposées à l’arrestation que les autres – les Juifs allemands et les Juifs autrichiens (voir tableau n° 6). En fait, plus de la moitié des Juifs vauclusiens de ces nationalités finirent par être arrêtés. Ce fut donc un taux d’arrestation excédant de loin celui des sept autres nationalités. En deuxième position sur l’échelle de vulnérabilité venaient les Roumains, avec un taux d’arrestation juste au-dessous de 30 %, suivis de peu par trois autres nationalités (les Turcs, les Grecs et les Polonais).

Tableau n° 6

Arrestations en fonction de la nationalité (2)

Nationalité
2 ***)
ArrêtésNon arrêtésTotal
française1971 4911 688
(11,7 %)(88,3 %)(100 %)
belge42327
(14,8 %)(85,2 %)(100 %)
allemande6559124
(52,4 %)(47,6 %)(100 %)
autrichienne252348
(52,1 %)(47,9 %)(100 %)
polonaise99297396
(25,0 %)(75,0 %)(100 %)
russe24951
(3,9 %)(96,1 %)(100 %)
roumaine122941
(29,3 %)(70,7 %)(100 %)
turque3074104
(28,8 %)(71,2 %)(100 %)
grecque123547
(25,5 %)(74,5 %)(100 %)
Total4462 0802 526
(17,7 %)(82,3 %)(100 %)

Arrestations en fonction de la nationalité (2)

26Quelle était donc la cause d’une telle disparité ? L’explication semble résider en partie dans les diverses politiques menées par les pays occupés par l’Allemagne, et surtout – et c’est bien plus important – par les alliés de l’Allemagne, à l’égard de leurs ressortissants juifs vivant à l’étranger : dans bien des cas, ces politiques évoluèrent en fonction des fluctuations de la situation militaire et géopolitique. Prenons le cas de la Roumanie. Bien que, tout au long de l’année 1942, les Juifs de ce pays aient été voués à l’arrestation et à la déportation, à partir d’avril 1943, ils furent déclarés non déportables, ce qui épargna un certain nombre de ceux qui vivaient en France [34]. D’autres gouvernements parvinrent aussi, parfois, à protéger, ne serait-ce que pour un temps, leurs ressortissants juifs de l’arrestation et de la déportation. Dans le cas des Juifs allemands et autrichiens, cependant, il n’y avait personne pour freiner leur destruction. Donc, il semble vraisemblable que ce fait contribue à expliquer le taux d’arrestation plutôt disproportionné des Juifs de ces deux nationalités en particulier.

27La variable « nationalité » ne fut cependant pas la seule à avoir un impact modérément fort (voire tout juste fort) sur la variable « arrestation ». Il s’avère que la date d’arrivée en France eut également son importance. On le voit dans le tableau n° 7, les Juifs arrivés dans le pays après 1933 furent considérablement plus vulnérables à l’arrestation que ceux qui avaient immigré avant cette époque. En témoignent les chiffres concernant les Juifs autrichiens et allemands. Sur les quarante-trois Juifs arrêtés et dont la date d’arrivée dans le pays est connue, un seul avait immigré en France avant 1933. Cinq étaient entrés dans le pays entre 1933 et 1935, les trente-sept autres après 1936.

Tableau n° 7

Arrestations en fonction de la date d’arrivée en France

Date d’arrivée en France (χ2 ***)ArrêtésNon arrêtésTotal
Avant 1933193857
(33,3 %)(66,7 %)(100 %)
Entre 1933 et 19358210
(80,0 %)(20,0 %)(100 %)
1936 ou après11659175
(66,3 %)(33,7 %)(100 %)
Total14399242
(59,1 %)(40,9 %)(100 %)

Arrestations en fonction de la date d’arrivée en France

28Ce fait s’explique dans une certaine mesure par la rafle de grande ampleur intervenue en zone non occupée en août 1942, rafle qui visait au départ les Juifs étrangers arrivés en France après le 1er janvier 1936, mais qui finit par inclure certaines catégories de ceux qui étaient entrés dans le pays entre 1933 et 1935 [35]. Comme cette opération à elle seule prit au piège plus de 15 % du total des Juifs vauclusiens arrêtés pendant la guerre, il n’est peut-être pas surprenant que le critère qui présida à son organisation ait exercé une certaine influence sur la variable « arrestation ». Ce qui semble ressortir de tout cela, c’est que, du moins pour les Juifs d’Allemagne, il n’y eut pas de « moment opportun » pour fuir le pays après la montée au pouvoir de Hitler. Qu’on soit parti pour la France après les « démonstrations antijuives de 1933 » (à l’instar de la famille Franck) ou qu’on ait été incité à le faire après la Kristallnacht en novembre 1938 (à l’instar des Eichberg et des Kempowski) importait peu, très peu [36]. Les deux groupes risquaient davantage d’être arrêtés que ceux qui s’étaient dirigés vers l’ouest avant l’arrivée des nazis : Juifs qui, selon l’expression de Susan Zuccotti, « avaient eu davantage de temps et d’occasions de s’enraciner, d’apprendre la langue et les coutumes et d’établir sur place des contacts indispensables pour survivre [37] ».

Déportations

29Les analyses statistiques traitant des déportations des Juifs vauclusiens remettent en question, elles aussi, la « thèse du bouclier », ainsi que la « dichotomie Français-étrangers » sur laquelle elle se fonde. Par exemple, lorsqu’un test khi carré a été effectué pour évaluer la relation entre les variables « statut » et « déportation », les analyses ont révélé que la relation n’était pas statistiquement pertinente. C’était, bien sûr, un résultat très différent de celui qui avait été obtenu concernant l’arrestation des Juifs. En fait, bien que les Juifs étrangers aient été arrêtés en bien plus grands nombres et dans des proportions bien plus importantes que leurs coreligionnaires français, les deux groupes furent déportés à un taux étonnamment similaire – environ 75 % (voir tableau n° 8).

Tableau n° 8

Déportations en fonction du statut

StatutDéportésNon déportésTotal
Français12243165
(73,9 %)(26,1 %)(100 %)
Étranger20161262
(76,7 %)(23,3 %)(100 %)
Double label527
(71,4 %)(28,6 %)(100 %)
Total328106434
(75,6 %)(24,4 %)(100 %)

Déportations en fonction du statut

30Bien que ces résultats donnent l’impression que les Juifs français et étrangers furent, les uns comme les autres, également vulnérables à la déportation, la situation semble quelque peu différente lorsque la nationalité et le pays d’origine des Juifs sont examinés plus minutieusement. On le voit dans le tableau n° 9, le taux de déportation des Juifs nés en France (ou dans un pays de l’Afrique du Nord française) s’élève à un peu plus de 77 %, soit un taux pratiquement identique à celui des Juifs nés dans un pays occupé par, ou allié à, l’Allemagne. Tous deux excédaient de plus de 10 points le taux de déportation des Juifs nés dans un pays ennemi ou neutre. En dépit de cette disparité (qui suggère que certains Juifs étrangers étaient plus à l’abri de la déportation que d’autres, y compris les Juifs nés en France), les analyses ont révélé, une fois de plus, que la relation entre les variables « pays d’origine » et « déportation » n’était pas statistiquement pertinente.

Tableau n° 9

Déportations en fonction du pays d’origine

Pays d’origineDéportésNon déportésTotal
France ou pays de l’Afrique du Nord française14844192
(77,1 %)(22,9 %)(100 %)
Pays occupé par, ou allié à, l’Allemagne21062272
(77,2 %)(22,8 %)(100 %)
Pays ennemi ou neutre381957
(66,7 %)(33,3 %)(100 %)
Total396125521
(76,0 %)(24,0 %)(100 %)

Déportations en fonction du pays d’origine

31C’était aussi le cas pour la relation entre cette dernière variable et la variable « nationalité », même lorsque les Juifs turcs – qui représentaient 92,3 % des Juifs de la catégorie « Ressortissants d’un pays ennemi ou neutre » – étaient exclus des calculs (voir tableau n° 10). Les chiffres cependant donnent à réfléchir. Si l’on exclut les Juifs turcs (qui, du fait de leur poids numérique, constituaient un sous-groupe peu représentatif), le taux de déportation des Juifs de la catégorie en question chutait, passant de près de 75 % à 40 %, ce qui – le tableau n° 10 l’illustre bien – était un taux de déportation très inférieur à celui des deux autres groupes de nationalités. De fait, sans les Turcs, seuls deux ressortissants juifs d’un pays ennemi ou neutre arrêtés dans le Vaucluse auraient été déportés pendant toute la Seconde Guerre mondiale.

Tableau n° 10

Déportations en fonction de la nationalité

NationalitéDéportésNon déportésTotal
Ressortissant de France ou d’un pays de l’Afrique du Nord française14453197
(73,1 %)(26,9 %)(100 %)
Ressortissant d’un pays occupé par, ou allié à, l’Allemagne18553238
(77,7 %)(22,3 %)(100 %)
Ressortissant d’un pays ennemi ou neutre (y compris la Turquie)26935
(74,3 %)(25,7 %)(100 %)
Ressortissant d’un pays ennemi ou neutre (excepté la Turquie)235
(40,0 %)(60,0 %)(100 %)
Total (y compris la Turquie)355115470
(75,5 %)(24,5 %)(100 %)
Total (excepté la Turquie)331109440
(75,2 %)(24,8 %)(100 %)

Déportations en fonction de la nationalité

32Même si, en fin de compte, aucune de ces analyses n’a révélé une relation statistiquement pertinente entre les différentes variables et la variable « déportation », les résultats récurrents non pertinents suggèrent que, contrairement aux idées reçues, les Juifs français n’auraient pas été plus à l’abri de la déportation que leurs frères étrangers. Une fois arrêtés, les Juifs français et étrangers étaient tout aussi susceptibles d’être déportés, les dés ayant été jetés pour près des trois quarts du groupe.

Conclusion

33En dernière analyse, il apparaît que la « dichotomie Français-étrangers » qui continue à proliférer dans l’historiographie constitue un cadre probablement trop étroit pour comprendre le sort des Juifs en France pendant la guerre. En matière d’arrestation, d’autres facteurs (incluant l’âge, le sexe, la nationalité et la date d’arrivée en France) s’avèrent tout aussi importants – voire plus importants – que le « statut ». (ni cette dernière variable ni d’autres similaires ne semblent avoir rendu les Juifs plus vulnérables à la déportation après leur détention par les autorités.) Les analyses effectuées ne permettent cependant pas de déterminer avec précision quelle variable exerça la plus grande influence sur l’arrestation des Juifs. En fait, même si les statistiques actuelles fournissent le moyen de déterminer l’intensité de l’association entre diverses variables, elles ne permettent pas de comparer les degrés d’association entre elles. Pas plus qu’elles n’indiquent quel facteur prévalut à un moment donné, comme le montre le cas de la famille De Ciavès.

34Bien qu’aucun d’eux ne fût né aux Pays-Bas, Moïse et Rachel De Ciavès et leur fils Élie Lucien furent considérés comme des Juifs étrangers de nationalité néerlandaise par les Allemands et par les autorités de Vichy [38]. Sur les trois, un seul – Moïse – fut arrêté et déporté [39]. Il faut se demander pourquoi ? Fut-il sélectionné à cause de son âge et de son sexe, à l’instar de Joseph Waysenson ? Et pourquoi Rachel et Élie Lucien furent-ils autorisés à circuler librement ? Était-ce parce qu’il s’agissait d’une femme et d’un enfant ? Ou est-ce davantage lié à leurs pays d’origine ? En effet, Moïse était né en Turquie, alors que sa femme et son fils étaient nés respectivement au Royaume-Uni et en France, ce qui les rendait, en théorie, moins vulnérables à l’arrestation [40]. L’un de ces facteurs fut-il responsable au premier chef des différences dans leur sort ? Ou chacun d’eux joua-t-il un rôle ? L’état actuel des sources ne nous permet pas de le savoir.

Notes

  • [1]
    Cet article a été en partie présenté en novembre 2016 dans le cadre de la Conférence « Lessons and Legacies », à l’université Claremont McKenna. Il sera intégré dans le volume à paraître de Lessons and Legacies. Voir Adrien Dallaire, « A Different Approach to Microhistory : The Arrests of the Jews of the Vaucluse as Seen through Quantitative Prosopography » in The Holocaust in the 21st Century : Relevance and Challenges in the Digital Age (Lessons and Legacies Volume XIV), sous la direction de Tim Cole et Simone Gigliotti, Evanston (IL), Northwestern University Press, 2020. Copyright © 2020 Northwestern University Press. Tous droits réservés. Reproduit avec autorisation. Cet article résume les principaux apports de la thèse de doctorat de l’auteur. Voir Adrien Dallaire, « Expliquer la survie : la hiérarchie de la persécution et les Juifs du département de Vaucluse, 1933-1945 », thèse de doctorat sous la direction de Jan Grabowski et Claire Zalc, Université d’Ottawa / École normale supérieure de Paris, 2020.
  • [2]
    Lawrence Stone, « Prosopography », Daedalus, vol. 100, n° 1, hiver 1971, p. 46. D’autres ont défini la prosopographie comme « une technique de recherche historique se fondant sur l’analyse systématique des données biographiques d’un groupe donné de protagonistes historiques. » Voir Koenraad Verboven, Myriam Carlier et Jan Dumolyn, « A Short Manual to the Art of Prosopography », in Prosopography : Approaches and Applications : A Handbook, sous la direction de Katharine S. B. Keats-Rohan, Oxford, University of Oxford Press, 2007, p. 69.
  • [3]
    Christopher R. Browning, Ordinary Men : Reserve Police Battalion 101 and the Final Solution in Poland, New York, Harper Perennial, 1993 ; traduit en français par Élie Barnavi, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la « Solution finale » en Pologne, Paris, Les Belles Lettres, 1994.
  • [4]
    Nicolas Mariot et Claire Zalc, Face à la persécution : 991 Juifs dans la guerre, Paris, Odile Jacob, 2010.
  • [5]
    Katharine S. B. Keats-Rohan, « Introduction : Chameleon or Chimera ? Understanding Prosopography », in Prosopography : Approaches and Applications, Keats-Rohan, Oxford, 2007, p. 12.
  • [6]
    Verboven, Carlier et Dumolyn, « A Short Manual », art. cit., p. 36.
  • [7]
    William Bruneau, « Toward a New Collective Biography : The University of British Columbia Professoriate, 1915-1945 », Canadian Journal of Education, vol. 19, n° 1, 1994, p. 67.
  • [8]
    Keats-Rohan, « Introduction : Chameleon or Chimera ? », art. cit., p. 20.
  • [9]
    2 826 Juifs représentent pratiquement 1 % de la population juive totale en France au début de la guerre. Voir Raul Hilberg, La destruction des Juifs d’Europe, vol. II, traduit par Marie-France de Paloméra et André Charpentier, Paris, Gallimard, 2006 [1961]), p. 1131.
  • [10]
    Avignon est le chef-lieu du Vaucluse, département du sud-est de la France comprenant 151 communes (villes, bourgades et villages).
  • [11]
    Ginette Kolinka, Interview 25852, Visual History Archive (ci-après VHA), USC Shoah Foundation, 1997, deuxième partie : 18 :08-19 :08.
  • [12]
    Ibid., deuxième partie : 20 :16-20 :20.
  • [13]
    Ibid., deuxième partie : 19 :32-19 :46, 20 :55-21 :04 et 24 :03-24 :11.
  • [14]
    Liste des convois de déportation 71, Centre de documentation juive contemporaine (ci-après CDJC), C71_10 et C71_36.
  • [15]
    Adolphe Waysenson, Interview 32680, VHA, USC Shoah Foundation, 1997, troisième partie : 22 :24-23 :46.
  • [16]
    Ibid., cinquième partie : 16 :41-16 :47.
  • [17]
    Liste des convois de déportation 73, CDJC, C73_34.
  • [18]
    A. Waysenson, VHA, cinquième partie : 23 :46-23 :49.
  • [19]
    Ibid., cinquième partie : 21 :25-23 :41.
  • [20]
    Léon Waysenson, Interview 32673, VHA, USC Shoah Foundation, 1997, quatrième partie : 9 :45-14 :09.
  • [21]
    A. Waysenson, VHA, cinquième partie : 23 :09-25 :01. Léon, lui, se souvient avoir entendu l’un des officiers allemands dire au maire de Goudargues : « On n’a plus de place sur les camions. Vous êtes responsable de la famille [Waysenson]. On viendra incessamment chercher le restant de la famille. » L. Waysenson, VHA, quatrième partie : 10 :36-10 :47.
  • [22]
    Le test khi carré (χ2) sert à examiner la relation entre deux variables. Plus précisément, il permet de déterminer s’il existe entre elles une association statistiquement pertinente, l’hypothèse nulle étant qu’elles sont indépendantes l’une de l’autre. Michael W. Kearney l’a expliqué clairement et succinctement : « Dans l’analyse khi carré, les fréquences escomptées sont générées d’après l’hypothèse nulle et comparées aux fréquences observées. […] Si la correspondance est élevée – autrement dit, si la différence entre les fréquences escomptées et les fréquences observées est réduite – la valeur statistique khi carré sera petite, et on en conclura que les deux variables sont indépendantes. Inversement, une correspondance médiocre donne une statistique khi carré importante et invalide l’hypothèse nulle, ce qui suggère que les deux variables sont liées. » Une fois le test khi carré réalisé, on calcule un niveau de pertinence afin de déterminer la probabilité d’obtenir les résultats observés. Lorsqu’un résultat est statistiquement pertinent, la « valeur p » (ou valeur de probabilité) est inférieure à 0,05 (p < .05) cela signifie qu’il y a moins de 5 % de chances qu’un résultat puisse être attribué au hasard (sur les autres valeurs p, voir note 26).
    Ni le khi carré ni la valeur p ne fournissent cependant d’indication quant à l’intensité de l’association entre les deux variables. Pour évaluer cette intensité, on doit recourir soit au coefficient Phi soit au V de Cramer, en fonction de la taille du tableau de contingence (ou tableau à double entrée). À l’instar des coefficients de corrélation, les mesures Phi et V de Cramer s’échelonnent de 0 à 1, une valeur forte indiquant une association forte entre les variables. Michael W. Kearney, « Cramér’s V, » in The SAGE Encyclopedia of Communication Research Methods, sous la direction de Mike Allen, Thousand Oaks (CA), SAGE Publications, 2017, p. 289. Voir également Barbara G. Tabachnick et Linda S. Fidell, Using Multivariate Statistics (6e édition), Boston (MA), Pearson Education, 2013, p. 58-59.
  • [23]
    La mesure Phi a été utilisée dans les quelques exemples où le tableau de contingence (ou à double entrée) était simplement binaire, comme c’est le cas pour la variable « sexe ». Dans tous les autres cas (c’est-à-dire dans l’immense majorité des cas), c’est le coefficient V de Cramer qui a été utilisé.
  • [24]
    Le sexe de trois personnes arrêtées – soit moins de 0,6 % du total – n’a pu être déterminé.
  • [25]
    Afin de ne pas biaiser les statistiques ou fausser les conclusions qu’on peut en tirer, tous ceux dont le sexe demeurait inconnu ont été exclus du tableau et des statistiques y afférant. La même logique a été appliquée à chacune des autres variables étudiées dans cet article. Si l’information concernant la variable étudiée n’était pas connue, elle n’a pas été inclue dans les analyses.
    *** indique que la relation entre les variables était pertinente et que la « valeur p » (ou valeur de probabilité) était inférieure à 0,001 (p < .001), soit qu’il y avait 0,1 % (ou un millième) de chance que les résultats obtenus puissent être imputés au hasard ; ** indique que la relation était pertinente et que p < .01, soit qu’il y avait 1 % de chance que les résultats obtenus puissent être imputés au hasard ; * indique que la relation était pertinente et que p < .05, soit qu’il y avait 5 % de chance que les résultats obtenus puissent être imputés au hasard.
  • [26]
    Comme les Juifs pouvaient avoir quatre ans pendant la guerre et l’Occupation, une année de référence a été déterminée afin de donner une certaine cohérence à la variable « âge ». L’année 1942 a été choisie parce qu’elle marque le début des opérations d’arrestation visant les Juifs de la zone non occupée. Ainsi, un Juif appartenant à tel ou tel groupe d’âge aurait eu cet âge pendant l’année en question (à savoir 1942). Ceci dit, les six Juifs nés en 1943 et 1944 – dont deux furent arrêtés et déportés – étaient inclus dans le groupe d’âge « 0 à 15 ans ».
  • [27]
    Les Juifs âgés ou très jeunes semblent avoir été les moins vulnérables à une arrestation parce qu’ils étaient souvent les moins mobiles. Et, comme ce fut le cas lors de la grande rafle des Juifs étrangers opérée en zone non occupée en août 1942, une mobilité réduite suffisait parfois à épargner l’arrestation à un particulier. Voir directeur général de la police nationale au préfet régional de Marseille, 5 août 1942, et préfet régional de Marseille aux préfets de la région de Marseille, 24 août 1942, Archives départementales de Vaucluse (ci-après ADV), 7W16.
  • [28]
    La valeur p des analyses réalisées pour la variable « statut marital » était inférieure à 0,001. En se fondant sur le critère Phi obtenu, l’intensité de l’association entre les variables « statut marital » et « arrestation » était très faible. En ce qui concerne la variable « nombre d’enfants », la valeur p était inférieure à 0,01. Le coefficient V de Cramer indiquait que l’intensité de l’association entre les variables « nombre d’enfants » et « arrestation » était faible.
  • [29]
    Les parents ayant cinq enfants ou davantage étaient les plus exposés à une arrestation, alors que ceux qui n’en avaient qu’un ou deux étaient les moins vulnérables. Ceux qui avaient trois ou quatre enfants à charge, se trouvaient, eux, au milieu du spectre de vulnérabilité.
  • [30]
    Dans leur étude des Juifs de Lens, Nicolas Mariot et Claire Zalc ont découvert que le facteur principal déterminant les Juifs à changer de résidence ou à prendre la fuite n’était pas leur âge, leur nationalité ou leur perception du danger, mais la taille de leur famille. Les personnes qui avaient des enfants étaient plus enclines à rester, tandis que ceux qui étaient célibataires ou mariés mais sans enfants partirent en grands nombres. En outre, plus ils avaient d’enfants, plus ils étaient enclins à rester. « L’augmentation du nombre de personnes dans la famille, écrivent N. Mariot et C. Zalc, réduit de manière importante la mobilité de chacun de ses membres. » Mariot et Zalc, Face à la persécution, op. cit., p. 126-128. Voir également Claire Zalc (en conversation avec Emmanuelle Saada), « What Happened to the 991 Jews in Lens ? A Microhistorical Approach to the Holocaust, » Columbia Maison française, 3 mai 2012, https://www.youtube.com/watch?v=ZHOo_Y3OFkQ:37:13-38:55 (consulté le 2 juin 2020).
  • [31]
    La « thèse du bouclier » a resurgi ces dernières années avec la publication du livre d’Alain Michel, Vichy et la Shoah : Enquête sur le paradoxe français, Paris, CLD, 2012 ; et celui d’Éric Zemmour, Le suicide français, Paris, Albin Michel, 2014 (voir plus particulièrement p. 87-94).
  • [32]
    La catégorie à laquelle appartenait telle personne peut être déterminée à partir des diverses listes qui établissent une distinction entre ces deux « types » de Juifs. Les recensements effectués à l’échelle du département en juillet 1941 et en mai 1944, par exemple, comportent deux parties, l’une concernant les Juifs français ; l’autre, les Juifs étrangers. Le « statut » d’une personne, il faut le souligner, semble n’avoir été lié que de façon très ténue avec leur nationalité et leur lieu d’origine. En fait, on retire parfois l’impression que les qualificatifs « étrangers » et « français » étaient appliqués de façon quelque peu incohérente. Salomon Chazine, par exemple, un Juif russe né à Berditchev en 1895, et qui obtint la nationalité française par naturalisation, était invariablement considéré comme un Juif français. En revanche, Joseph et Victor Léon – deux Juifs français nés à Paris – étaient identifiés à des occasions distinctes comme appartenant à chacune des catégories. (Ils ont donc été inclus dans la catégorie « double label »). L’explication réside peut-être dans le fait que leurs parents, Abraham et Sultana Léon (née Behar), étaient tous deux nés en Turquie et étaient eux-mêmes considérés comme des Juifs étrangers. Pour plus amples renseignements concernant Chazine, voir Commissariat de police d’Apt, « État des Juifs s’étant présentés dans nos services pour l’apposition de la mention “Juif” », 9 février 1943, et « État des Israélites, Ville d’Apt », 1er septembre 1943, ADV, 7W15 ; Préfecture de Vaucluse, « Liste nominative des Juifs français (13 mai 1944), » 13 mai 1944, ADV, 7W15. Pour plus d’informations concernant la famille Léon, voir Préfecture de Vaucluse, « État nominatif des Juifs français résidant en Vaucluse au 1er juillet 1941 », 1er juillet 1941, ADV, 7W15 ; « Liste des étrangers qui désireraient retourner dans leur pays d’origine », document non daté (après mars 1943), ADV, 7W16.
  • [33]
    La raison en est que les Juifs vauclusiens constituaient un groupe comprenant des personnes de trente nationalités différentes, nées dans trente-sept pays différents (d’après une carte de 1939). Ce qui compliquait encore la situation, c’était le fait que, dans plusieurs cas, il n’y avait qu’une poignée de Juifs (souvent trois ou moins) ayant telle ou telle nationalité ou étant nés dans tel ou tel pays. Cependant, afin de ne pas contrarier les hypothèses du test khi carré, pas plus de 20 % des cellules du tableau de contingence peuvent avoir un total inférieur à cinq.
  • [34]
    Georges Wellers, L’étoile jaune à l’heure de Vichy : De Drancy à Auschwitz, Paris, Fayard, 1973, p. 75-76.
  • [35]
    Voir Directeur général de la police nationale au préfet régional de Marseille, 5 août 1942, et préfet régional de Marseille aux préfets de la région de Marseille, 24 août 1942, ADV, 7W16.
  • [36]
    Lettre de Friedel Franck au préfet du Vaucluse, 26 août 1940, ADV, 3W265 ; Irène Osborne, Interview 42083, VHA, USC Shoah Foundation, 1998, première partie : 6 :49-11 :43 ; Marcel Kempowski, Interview 48360, VHA, USC Shoah Foundation, 1998, première partie : 18 :41-26 :11.
  • [37]
    Susan Zuccotti, The Holocaust, the French, and the Jews, New York, BasicBooks, 1993, p. 284.
  • [38]
    Préfecture de Vaucluse, « État nominatif des Juifs de nationalité étrangère résidant en Vaucluse au 1er juillet 1941 », 1er juillet 1941, ADV, 7W15.
  • [39]
    Liste des convois de déportation 76, CDJC, C76_18_19.
  • [40]
    Préfecture de Vaucluse, « État nominatif des Juifs de nationalité étrangère résidant en Vaucluse au 1er juillet 1941 », 1er juillet 1941, ADV, 7W15.
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