Couverture de RHSHO_208

Article de revue

Un manuel de fantasmagories racistes

L’influence de l’ariosophie sur le Mein Kampf de Hitler

Pages 57 à 85

Notes

  • [1]
    L’ariosophie désigne ici globalement le florilège de délires et fantasmes développés par ceux qui fréquentaient divers cercles sociaux se recoupant souvent : Novus Ordo Templi de Lanz von Liebenfels, Armanenschaft, de Guido von List, ainsi que de nombreux Listvereinen qui surgirent dans l’Europe germanophone entre 1905 et 1930. Une brève liste des partisans de la première Listverein (dont faisait partie Karl Lueger) figure in Nicholas Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, New York, New York University Press, 1992, p. 43 ; en français, Les racines occultistes du nazisme, les Aryosophistes en Autriche et en Allemagne, 1890-1935, traduit par Patrick Jauffrineau et Bernard Dubant, Paris, Pardès, 1989 ; réédité sous le titre Les racines occultes du nazisme, Les sectes secrètes aryennes et leur influence sur l’idéologie du IIIe Reich, traduit par Armand Seguin, Rosières-en-Haye, Camion blanc, Camion noir, 2010.
  • [2]
    Voir Adolf Hitler, Mein Kampf, Munich, Zentralverlag des NSDAP, 1936, notamment p. 63, 84, 100, 106.
  • [3]
    Voir John W. Boyer, Political Radicalism in Late Imperial Vienna, Chicago, University of Chicago, 1981, p. xi-xiii ; Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 3-5. Boyer précise en détail son usage du mot Mittelstand, et je l’ai suivi dans cette voie laquelle s’engage dans les traces de Hans Bobek et Elisabeth Lichtenberger, « le Mittelstand (classes moyennes) était composé d’un côté de la large couche des commerçants […] et de l’autre de la masse des membres des professions libérales ainsi que des petits et moyens fonctionnaires » – cité in Boyer, Political Radicalism, op. cit., p. 296, note 186.
  • [4]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 197-198 ; Derek Hastings, Catholicism and the Roots of Nazism, Oxford, Oxford University, 2010, p. 3.
  • [5]
    Ralph Mannheim, « Translators Note », in Adolf Hitler, Mein Kampf, traduit en anglais par Ralph Mannheim, Boston, Houghton-Mifflin, 1971, p. xii-xiv.
  • [6]
    Lucien Febvre, The Problem of Unbelief in the Sixteenth Century : The Religion of Rabelais, traduit en anglais par Beatrice Gottlieb, Cambridge, Harvard University, 1982, p. 364 ; en français, Le problème de l’incroyance au xvie siècle, Paris, Albin Michel, 1947, p. 371.
  • [7]
    Febvre, The Problem of Unbelief, op. cit., p. 336 ; en français, p. 344.
  • [8]
    On pourrait être tenté de parler d’« Allemagne catholique », mais j’ai choisi de ne pas le faire, par crainte de donner l’impression que ce phénomène était plus que marginal également dans les communautés catholiques allemandes du nord du pays.
  • [9]
    Hastings, Catholicism and the Roots of Nazism, op. cit., p. 9.
  • [10]
    Texte dogmatique du premier concile du Vatican. Il s’agit, entre autres, d’un rappel de la supériorité hiérarchique du pape sur les pasteurs et les fidèles, ainsi que des circonstances dans lesquelles s’applique le dogme de l’infaillibilité pontificale. (N.d.T.)
  • [11]
    Bulle du pape Pie IX imposant le dogme de l’Immaculée Conception. (N.d.T.)
  • [12]
    Les efforts déployés par l’épiscopat autrichien pour vaincre le parti chrétien-social de Karl Lueger aboutirent à une farce lorsque les ecclésiastiques ultramontains de rang inférieur fidèles à Lueger lancèrent des appels directement à Rome, tandis que les évêques étaient réunis en conférence, ce qui fit apparaître ces derniers comme les dissidents (en France, le mouvement gallican avait été, dans une large mesure, épiscopal), et les prêtres rebelles comme des ultramontains loyaux – ce qui correspondait au vœu de Pie IX.
  • [13]
    Karl Lueger, « I Decide who is a Jew ! ». The Papers of Dr. Karl Lueger, traduit en anglais et édité par Richard S. Geehr, Washington, University Press of America, 1982, p. 219-220.
  • [14]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 91.
  • [15]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 4 ; en français, p. 6. La pagination de Mein Kampf en français est celle de l’édition en ligne sur le site http://der-fuehrer.org/meinkampf/french/Mein%20Kampf-French.pdf
  • [16]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 92 ; Nicholas Goodrick-Clarke, « The Aryan Christ », in Olav Hammer (éd.), Alternative Christs, Cambridge, Cambridge University, 2009, p. 212.
  • [17]
    Olaf Blaschke, Katholizismus und Antisemitismus im Deutschen Kaiserreich, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1997, p. 115.
  • [18]
    Otto Weiß, « Zur Religiosität und Mentalität der Österreichischen Katholiken im 19. Jahrhundert, der Beitrag Hofbauers und der Redemptoristen », in Spicilegium historicum Congregationis SSmi Redemptoris, 43 :2, 1995, p. 368-369.
  • [19]
    Wilfried Daim, Der Mann, der Hitler die Ideen gab, Munich, Isar Verlag, 1958, p. 55.
  • [20]
    Aux États-Unis, frère Charles Coughlin, présentateur antisémite de la radio, publia également une revue intitulée Social Justice et reprenant à peu près mot pour mot le programme de Vogelsang ; Lueger, « I Decide who is a Jew ! », op. cit., p. 226.
  • [21]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 92. Les comptes rendus de Heiligenkreuz disent seulement que Lanz-Liebenfels était vanitati saeculi deditus et amore carnali captus, qu’il « se consacrait aux vanités de ce monde et était esclave de l’amour charnel ». Comme aucune poursuite pour sodomie ne fut entamée, que ce soit dans les tribunaux ecclésiastiques ou dans les tribunaux impériaux, et qu’aucune femme n’apparaît jamais dans la vie de Liebenfels ou dans les récits, on ne sait pas très bien ce que cela peut vouloir dire. Il s’agit peut-être d’une référence aux écrits théologiques hérétiques de Liebenfels, qui traitent d’étranges cultes sexuels et préconisent des amours non exclusives entre ariochrétiens de sang pur.
  • [22]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 118 ; en français, p. 58.
  • [23]
    Ibid., p. 106. En français, p. 51.
  • [24]
    Voir Norbert Miko, « Zur Mission des Kardinals Schönborn des Bischofs Bauer und des Pater Albert Maria Weiss, OP., im Jahre 1895 », Römische Historische Mitteilung, n° 5, 1961-1962.
  • [25]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 118-119 ; en français, p. 58. De même, curieusement, Hitler se plaint de ce que « les efforts antiallemands des Habsbourg ne trouvèrent point, surtout parmi le clergé supérieur, l’opposition qui s’imposait, et la défense même des intérêts allemands fut complètement négligée » ; en français, p. 58. Le fait qu’il singularisait le haut clergé dans sa condamnation témoigne que cette distinction lui avait été inculquée dès sa jeunesse.
  • [26]
    En France, le titre équivalent serait Majesté très chrétienne ; en Angleterre, Défenseur de la foi. (N.d.T.)
  • [27]
    Jörg Lanz von Liebenfels, « Die Krisis im Papstum », Das freie Wort, n° 4, 1904, p. 404.
  • [28]
    Loc. cit.
  • [29]
    Voir Joseph Scheicher, Erlebnisse und Erinnerungen, vol. 5, Vienne, Fromme, 1911, p. 163-167.
  • [30]
    Le terme de Mischling allait occuper une place majeure dans les catégories établies par les nazis pour classer les personnes ayant à la fois des ancêtres juifs et non-juifs. À part Lanz-Liebenfels et les nazis, aucune autre source ne fait référence à ce terme dans un contexte antisémite, ce qui signifie qu’il s’agit là certainement de l’une des principales contributions de Lanz-Liebenfels à la pseudoscience raciale nazie.
  • [31]
    Jörg Lanz von Liebenfels. Theo-Zoologie, Vienne, Moderner Verlag, 1905, p. 125.
  • [32]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 106 ; en français, p. 52.
  • [33]
    La présence d’un Johann Nepomuk Hiedler, grand-oncle de Hitler, suggère d’éventuels ancêtres tchèques, lesquels se sont avérés peu probables. Cette question a néanmoins fait l’objet de recherches sur ordre de Hitler (ainsi que les rumeurs de son ascendance juive, dont le caractère improbable est établi).
  • [34]
    Voir Jörg Lanz von Liebenfels, Die Theosophie und die assyrischen “Menschentiere”, Groß-Lichterfelde, Zillmann, 1907.
  • [35]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 34.
  • [36]
    Ibid.
  • [37]
  • [38]
    George L. Mosse, « The Mystical Origins of National Socialism », Journal of the History of Ideas, 22, n° 1, janvier-mars 1961, p. 82.
  • [39]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 199. Il s’agit d’un volume de Tagore. Sur la page de garde, elle écrivit en dédicace : « À Adolf Hitler, mon cher frère armane ». (N.d.T.)
  • [40]
    Hitler’s Table Talk, traduit en anglais par Norman Cameron et R. H. Stevens, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1953, p. 316. Cette édition de Table Talk fait l’objet de controverses, mais l’amour de Hitler pour Karl May, et notamment ce passage se retrouve également attesté ailleurs, en particulier in Timothy Ryback Hitler’s Private Library, New York, Knopf, 2010. En français, Henry Picker a édité Hitler, cet inconnu, suivi de Propos de table, Paris, Presses de la Cité, 1969. Dernièrement est parue une nouvelle édition sous le titre Hitler, propos intimes et politiques (1941-1942), traduit et présenté par François Delpla, Paris, Nouveau Monde éditions, 2016.
  • [41]
    Mein Kampf, op. cit., p. 4, ; en français, p. 6.
  • [42]
    Ian Kershaw, Hitler, t. 1 : 1889-1936 : Hubris, New York, W. W. Norton, 2000, p. 50. Kershaw cependant attribue par erreur les loyautés pangermanistes à Lanz-Liebenfels, en sorte que bien qu’il soit une autorité pour la personne de Hitler, cette estimation est peut-être erronée ; en français, Hitler, t. 1 : 1889-1936, Hubris, traduit par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Flammarion, 1999.
  • [43]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 37.
  • [44]
    Mein Kampf, op. cit., p. 123 ; en français, p. 60.
  • [45]
    Op. cit., p. 470 ; en français, p. 221.
  • [46]
    Op. cit., p. 316 ; en français, p. 151.
  • [47]
    Loc. cit. ; en français, p. 151.
  • [48]
    Amos Elon, The Pity of It All : A Portrait of the German-Jewish Epoch, 1743-1933, Londres, Allen Lane, 2003, p. 224. Peut-être apocryphe, la citation est souvent attribuée par erreur à Hermann Göring qui n’a certainement jamais prononcé cette phrase, puisqu’elle était déjà attribuée à Lueger dans les années 1930, bien avant sa prétendue mention par Göring. Elle résume cependant ce qu’Elon appelle l’antisémitisme gemütlich de Lueger.
  • [49]
    Cette idée était en fait si répandue dans les cercles ésotériques qu’un néopaïen antinazi comme Franz Bernhard Marby en fit la pierre angulaire de sa propre anthropologie, par ailleurs exempte des obsessions raciales et sexuelles de Lanz-Liebenfels. Friedrich Bernhard Marby, Marby-Runen-Gymnastik, Stuttgart, Marby-Verlag, 1932.
  • [50]
    Jörg Lanz von Liebenfels, « Ostara und der Reich des Blonden », Ostara, série III, 1, p. ii.
  • [51]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 130, 132 ; en français, p. 63 et 64.
  • [52]
    Jörg Lanz von Liebenfels, Das Buch der Psalmen Teutsch, Dusseldorf, Herbert Reichstein, 1926, p. 6. Hitler, de même, qualifie les Juifs de singes. Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 332.
  • [53]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 132. Hitler déclare en fait que les Juifs vont regretter l’antisémitisme chrétien-social : « Et le Juif s’habitua bientôt si bien à ce genre d’antisémitisme que sa disparition l’aurait sûrement plus chagriné que son existence ne le gênait » (en français, p. 64).
  • [54]
    Ibid., p. 196 ; en français, p. 92. Ailleurs (en français, p. 131), Hitler mentionne de nouveau l’Ebenbild Gottes, lorsqu’il évoque les dangers de la prostitution et la nécessité du mariage précoce pour préserver l’image de Dieu dans l’humanité.
  • [55]
    Jörg Lanz von Liebenfels, « Anthropozoon biblicum I », Vierteljahrschrift für Bibelkunde 1, 1903, p. 69.
  • [56]
    Lanz-Liebenfels, Theo-Zoologie, op. cit., p. 136.
  • [57]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 357 ; en français, p. 170.
  • [58]
    Ibid., p. 359 ; en français, p. 171.
  • [59]
    Mannheim, traducteur de Mein Kampf en anglais, choisit de traduire par « plunge into the abyss » (basculent dans l’abîme) ; Mannheim, « Translators Note », doc. cit., p. 327.
  • [60]
    Lanz-Liebenfels, Psalmen Teutsch, op. cit., p. 4. Le terme de « sodomie » chez Lanz-Liebenfels désigne principalement des rapports sexuels entre des hommes et des animaux.
    Par ailleurs, un texte de Charles Tresmontant intitulé « Les origines théosophiques du nazisme » traite des thèmes abordés dans cette phrase et explique, citations de Nietzsche à l’appui, ce que sont les Tschandalas. Il est publié sur le site http://fr.soc.religion.narkive.com/L9PEXjcz/un-texte-de-claude-tresmontant-sur-le-dualisme-nazi-et-ses-origines-theosophiques (consulté le 26 décembre 2017). (N.d.T.)
  • [61]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 97.
    Sur le Lebensborn, voir l’article très détaillé de Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Lebensborn (consulté le 26 décembre 2017). (N.d.T.)
  • [62]
    Lanz-Liebenfels, Theo-Zoologie, op. cit., p. 144.
  • [63]
    Jeu de mots dans l’original.
  • [64]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 275-276 ; en français, p. 131.
  • [65]
    Lanz-Liebenfels, Theo-Zoologie, op. cit., p. 149.
  • [66]
    Ibid., p. 148.
  • [67]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 359 ; en français, p. 171.
  • [68]
    Ibid., p. 314 ; en français, p. 150.
  • [69]
    Ibid., p. 317 ; en français, p. 151.
  • [70]
    Ibid., p. 320 ; en français, p. 152.
  • [71]
    Ibid., p. 272 ; en français, p. 129.
  • [72]
    Ibid., p. 70 ; en français, p. 36.
  • [73]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 61 ; en français, p. 31.
  • [74]
    Ibid., p. 239 ; en français, p. 113.
  • [75]
    Lanz-Liebenfels, Theo-Zoologie, op. cit., p. 8-14.
  • [76]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 334 ; en français, p. 159.
  • [77]
    Ibid., p. 335 ; en français, p. 160.
  • [78]
    Ibid., p. 336 ; en français, p. 160 : « par nature, le Juif ne peut posséder une organisation religieuse, puisqu’il ne connaît aucune forme d’idéalisme […] Sa vie n’est que de ce monde. »
  • [79]
    Loc. cit. ; en français, p. 160.
  • [80]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 325.
  • [81]
    Ibid., p. 336 ; en français, p. 160.
  • [82]
    Ibid., p. 62 ; en français, p. 31.
  • [83]
    Ibid., p 270 ; en français, p. 129.
  • [84]
    Ian Kershaw, Hitler : A Biography, New York, W.W. Norton, 2010, p. 870.
  • [85]
    Ian Kershaw, Hitler, t. 1 : 1889-1936 : Hubris, New York, Penguin, 2000, p. 344.
  • [86]
    Albert Speer, Inside the Third Reich, traduit en anglais par Richard et Clara Winston, New York, MacMillan, 1970, p. 89 ; paru en français sous le titre Au cœur du Troisième Reich, traduit par Michel Brottier, Paris, Fayard et Pluriel, 2010.
  • [87]
    Richard Wagner, Gesammelte Schriften und Dichtungen, vol. III, Leipzig, E. W. Fritzsch, 1872, p. 256.
  • [88]
    Il est regrettable qu’on ne puisse pas en dire davantage sur la façon dont Hitler se percevait en tant qu’artiste, perception qui fait partie intégrante de sa psychologie et qu’il faut prendre en considération lorsqu’on étudie tous les aspects de sa conception du monde. Frederic Spotts, auteur d’un ouvrage en anglais qui fait autorité sur le festival de Bayreuth, propose une réflexion approfondie sur le sujet dans Hitler and the Power of Aesthetics, New York, Overlook, 2009.
  • [89]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 41 ; en français, « List nomma le projet d’un nouveau Carnuntum le “Bayreuth germano-autrichien” et il était évident qu’il prenait modèle sur l’exemple de Richard Wagner. »
  • [90]
    Ainsi, on l’a vu, même l’obsession de Hitler concernant Wagner ne peut être sortie de son contexte de l’Allemagne des Habsbourg, on l’a vu.
  • [91]
    On imagine aisément – et cela a été suggéré – que sa fixation sur l’« hygiène » sociale ou raciale constitue un prolongement – une véritable projection – de sa fixation sur sa propre santé qu’il percevait invariablement comme chancelante. L’ouvrage aujourd’hui quelque peu daté de Robert G. L. Waite, The Psychopathic God : Adolf Hitler (New York, Basic Book, 1977, réédité par Da Capo Press en 1993) effleure le sujet.
  • [92]
    Courant historiographique allemand très en vogue au xixe siècle, désignant la « voie particulière » empruntée par l’Allemagne dans son processus d’unification. (N.d.T.)

1Adolf Hitler fut un produit de son environnement et de son expérience. Ses délires sur une destinée messianique, l’oppression d’un peuple dont il se considérait comme le père et le chef, sa hantise obsessionnelle et sa haine d’une menace juive imaginaire – autant d’éléments qui constituèrent le fondement de sa psychologie politique – n’avaient rien d’inné. Ce n’était pas non plus, comme il aimait à le prétendre, le résultat de soudaines épiphanies prophétiques [2]. Ce fut plutôt un long processus d’expériences, de perception de soi négative, de lectures et d’acquisitions de connaissances sélectives et éclectiques qui aboutit à la création du dictateur et du scélérat. Cet homme qui aimait les explications simples était convaincu d’être exceptionnel et donc victime. Par ailleurs, il n’était pourtant pas fondamentalement différent de la grande majorité de ses compatriotes austro-allemands dans ses habitudes de lectures ou ses inclinations politiques – comme l’attestent l’immense succès politique du Christlichsoziale Partei de Karl Lueger à l’époque de la jeunesse de Hitler et la popularité d’auteurs adeptes de l’occultisme (généralement racistes), comme Jörg Lanz von Liebenfels et Guido von List dans le Mittelstand qui constituait l’essentiel des partisans de Lueger [3]. L’influence durable des idées reçues par Hitler durant sa jeunesse constitue le cœur du présent article – notamment la place des occultistes, des fanatiques religieux et des ésotéristes dont il s’efforça, au cours des années suivantes, de dissimuler l’impact sur sa conception du monde [4].

2Mein Kampf est probablement l’élément le plus soigneusement élaboré de la personnalité publique de Hitler. Il s’agit d’une vision fantasmée, présentée tantôt ingénieusement, tantôt grossièrement, comme une réflexion profonde sur sa vie et ses idées. Nombre de traducteurs et de biographes ont mentionné sa piètre structure, ses épouvantables fautes de grammaire, et un laisser-aller général dans l’écriture. Ralph Mannheim fait remarquer que le texte est truffé de « phrases longues et complexes dans lesquelles il lui arrive fréquemment de se perdre ». Et bien que l’ouvrage « ne contienne qu’une ou deux phrases qui n’ont aucun sens à première lecture », « la moitié des phrases de Hitler sont hérissées de participes » pour la plupart inutiles et n’ayant qu’une fonction décorative, un peu comme de beaux meubles remplissant l’espace d’une demeure mal construite et gravement endommagée [5]. En prolongeant quelque peu cette métaphore, on peut dire que l’histoire réelle de la jeunesse de Hitler et de son développement intellectuel se retrouve dans la demeure elle-même : eût-il voulu construire une personnalité, il n’était pas suffisamment conscient de lui-même pour échapper aux influences qu’il subissait et à sa participation dans la société environnante. Lucien Febvre, dans son livre sur l’écrivain satirique Rabelais, souligne l’incapacité de son personnage à embrasser quoi que ce soit qui se rapproche de l’athéisme moderne parce qu’il vivait en un lieu et à une époque « toute pénétrée et saturée de christianisme, d’idées, de sentiments chrétiens [6] ». C’était « l’air même qu’on respirait » – et si une idée ou un mode de pensée est, pour ainsi dire, dans l’air, il est inévitable que les hommes et les femmes de cette époque le respirent et, à divers degrés, en fassent partie intégrante [7]. Ceux qui vivent le plus souvent à proximité de telles idées seront changés par elles, et s’il s’agit d’idées toxiques, empoisonnés par elles, tout comme les mineurs finissent par avoir les poumons noirs de charbon. Hitler n’a donc pas l’apanage des thèmes devenus chez lui obsessionnels : ces thèmes proviennent du monde environnant qui l’a exposé à certaines influences.

Le monde de Hitler

3Hitler ouvre Mein Kampf en plantant un décor pangermanique passablement anodin de ses origines, entre les deux États allemands qu’il estimait voués à s’unir. En fait, il était né au sein d’un ensemble culturel allemand distinct du projet pangermaniste. L’Allemagne des Habsbourg était à la fois une entité politique – les régions germanophones de l’empire austro-hongrois – et une entité culturelle, ces régions germanophones où le catholicisme romain, et plus particulièrement le triomphalisme catholique, exerçait une influence culturelle profonde et omniprésente [8]. C’était un pays rempli de contradictions, pris entre deux réalités politiques et culturelles. D’un côté, les Allemands se considéraient (à juste titre, selon eux) comme les maîtres de tous les autres peuples dans le domaine des Habsbourg, mais sans avoir leur propre gouvernement national indépendant ; de l’autre, les catholiques allemands constituaient une minorité dans l’empire allemand sous obédience prussienne, avec des souvenirs de la défaite et de l’assujettissement à la couronne prussienne pour laquelle ils ressentaient à la fois mépris et amour. Cette dualité se manifesta dans le mouvement que Derek Hasting place au cœur de la relation entre catholicisme et nazisme en Bavière : le Reformkatholizismus[9]. Le mouvement reformkatholisch fut caractérisé par des contradictions : à la fois catholique et protestant, il constitua l’articulation d’une tendance conciliaire du catholicisme romain réprimé par la promulgation de Pastor aeternus[10] en 1870 (l’année même qui vit l’anéantissement des rêves d’une unification großdeutsch).

4Les parents de Hitler ne s’étaient pas encore rencontrés lorsque cet aspect essentiel de sa formation s’intégra à l’Église autrichienne. Il est tentant de céder à la mythologie pangermaniste et de considérer l’année 1871 comme une sorte de tournant, aussi bien pour les catholiques allemands que pour les nationalistes allemands, mais, pour quelques rares personnes, il était évident que la question de l’unification allemande avait été réglée bien plus tôt et que, parmi les catholiques romains, toute idée d’une « Église allemande » s’était dissipée avec la promulgation de Ineffabilis Deus[11] en 1854. Faute de place au sein de la hiérarchie catholique officielle, un corps dissident de prêtres commença à se constituer, les uns organisant une sorte d’insurrection au sein de l’Église (le parti qui influença le jeune Hitler), d’autres menant une agitation de l’extérieur (à l’instar des Reformkatholiken qui, par la suite, allaient accorder leur soutien aux nazis). En Autriche, à l’époque de la jeunesse de Hitler, la plupart des ecclésiastiques dissidents qui auraient pu être des Reformkatholiken se montraient encore plus ultramontains que leurs évêques et supérieurs [12]. Sous la houlette de Karl von Vogelsang, qui comptait parmi ses protégés aussi bien le prêtre agitateur passionné Joseph Scheicher que des loyalistes épiscopaux, d’innombrables ecclésiastiques de rang inférieur rejoignirent le mouvement chrétien-social antisémite de Karl Lueger. Vogelsang élabora les fondements idéologiques du christianisme social sur le mode d’un cocktail de « nationalisme, de socialisme municipal et d’antisémitisme », autant de caractéristiques définissant l’insurrection du bas clergé à l’époque [13].

Le catholicisme de Lanz-Liebenfels et de Hitler

5Un membre de cette insurrection en particulier, Jörg Lanz von Liebenfels, allait exercer une influence majeure sur Hitler, sur le plan aussi bien idéologique qu’iconographique. Les antécédents de Lanz-Liebenfels étaient similaires à ceux de Hitler. S’il affirmait être le fils d’un baron autrichien et d’une princesse sicilienne, Adolf Joseph Lanz (son véritable nom) était en fait né à Penzing, le XIVe arrondissement de Vienne, dans le foyer d’un instituteur estimé (donc un fonctionnaire, bien que peut-être un peu mieux loti qu’Alois Hitler), Johann Lanz. Ce dernier menait la vie caractéristique du Mittelstand autrichien : catholique fervent, fidèle à la Couronne des Habsbourg à laquelle il devait sa subsistance, et bien conscient de sa germanité. Le fils de Johann, en revanche, était imaginatif, objectif et fasciné par sa foi : « selon son propre […] récit souvent peu fiable », il avait une passion pour les ordres croisés médiévaux et avait réalisé une étude approfondie sur les mythes et légendes concernant les Templiers [14]. Nul doute que le jeune Adolf Hitler, morose et sujet aux rêveries, eut aisément trouvé un ami en la personne d’Adolf Lanz si tous deux avaient été plus proches dans le temps et dans l’espace. Dès qu’il en fut capable, en 1893, et contre les vœux de sa famille, Lanz rejoignit l’ordre cistercien de l’abbaye de Heiligenkreuz (abbaye de la Sainte-Croix) sous le nom de frère Georgius, tout juste trois ans avant qu’Adolf Hitler ne devienne enfant de chœur à Lambach (où ce dernier en arriva à considérer le père supérieur comme « un idéal digne des plus grands efforts, avec tout le prestige qu’avait eu autrefois pour mon père l’humble prêtre de son village [15] ». De toute évidence, pour ces garçons autrichiens, de simples prêtres étaient des personnages héroïques, et l’influence de leurs mentors catholiques allait jouer un rôle considérable pour les hommes qu’ils allaient devenir.

6Dès le début de son noviciat, frère Georgius fut placé sous la tutelle de Nivard Schlögl, un homme apparemment sagace, mais violemment antisémite, professeur d’Ancien Testament à Heiligenkreuz. Après 1900, cependant, Schlögl se retrouva de plus en plus en désaccord avec l’Église romaine. Il commença à publier ses ouvrages dédiés « au peuple allemand » plutôt que, de façon plus traditionnelle, à un saint, à la Vierge Marie ou au pape. En 1920, il fit campagne pour interdire aux élèves ayant des grands-parents juifs d’adhérer à des groupes de jeunesse catholique (une politique similaire allait être suivie ultérieurement, dans les années 1930, par des groupes de jeunesse favorables au nazisme [16]). Schlögl était loin d’être le seul à adopter une telle attitude. Souvent, dans les écrits religieux, les arguments théologiques antijudaïques tournaient carrément à l’antisémitisme racial. Sebastian Brunner, le professeur et le mentor de Joseph Scheicher, a été qualifié de « premier antisémite chrétien » par H. K. Lenz, et Scheicher lui-même fit l’éloge de Brunner qui a courageusement opposé à la maxime stupide « L’antisémitisme est la honte du xixe siècle » la devise percutante : « L’antichristianisme talmudique est la honte de deux millénaires et l’antisémitisme n’est que la légitime défense contre la domination juive [17] ». Le Correspondenzblatt de Scheicher, qui connaissait une importante diffusion dans le bas clergé à l’époque de la jeunesse de Liebenfels et de Hitler, est imprégné d’expressions similaires, aussi bien d’antijudaïsme religieux que d’antisémitisme racial.

7Brunner en personne rejeta cette description, mais Scheicher continua à critiquer son professeur pour sa tiédeur également en matière d’ultramontanisme ; le fait que Brunner partageait plusieurs opinions radicales de Scheicher, mais répugnait à les exprimer aussi vigoureusement que le jeune prêtre fut, de toute évidence, un motif majeur de discorde pour Scheicher [18]. L’influence de ce dernier en tant qu’agitateur du bas clergé attira également Lanz-Liebenfels – précisément à l’époque où celui-ci fulminait contre la corruption jésuite de la « véritable » Église catholique, le premier appelait à l’organisation d’un congrès général du clergé autrichien qui s’intéresserait entre autres aux influences étrangères et modernistes exercées sur l’Église romaine – accusations qui dénonçaient souvent les Juifs, et plus particulièrement les intellectuels juifs. Entre 1902 et 1904, Liebenfels rédigea dix articles attaquant ce qu’il appelait les Jésuites enjuivés (« verjudeten Jesuiten[19] »). Des titres comme « Le grand combat du jésuitisme contre le catholicisme » (« Der große Kampf des Jesuitismus gegen den Katholizismus »), « La crise dans la papauté » (« Die Krisis im Papstum »), « Les Jésuites devant Pilate » (« Die Jesuiten vor Pilatus »), « Catholicisme contre jésuitisme » (« Katholizismus wider Jesuitismus ») montrent bien que Lanz-Liebenfels ne considérait pas que son combat visait au premier chef l’Église catholique romaine ; il prônait plutôt le combat pour un vrai catholicisme, contre l’ennemi verjudeten, et il était loin d’être seul à le penser.

8Qui plus est, l’influence du mouvement chrétien-social sur l’Église institutionnelle est indéniable. La nomination du cardinal anti-Habsbourg Rampolla au poste de secrétaire d’État du Vatican était de bon augure pour un clergé de plus en plus ultramontain et en désaccord avec l’épiscopat et avec l’État des Habsbourg qui refusaient d’augmenter leurs misérables rémunérations. En 1891, Karl von Vogelsang, qualifié par Karl Lueger de « grand homme de notre mouvement », vit son programme de « justice sociale catholique » inséré dans l’encyclique Rerum novarum[20]. Cette encyclique représentait une immense victoire pour le cercle de Lueger et de Vogelsang, mais plus important encore était la caution papale officielle accordée au mouvement chrétien-social en 1895, après l’échec d’une tentative maladroite de l’épiscopat autrichien – inquiet des troubles agitant le bas clergé de plus en plus indépendant, nationaliste et antisémite – d’écraser définitivement le socialisme chrétien. Deux ans après cette bénédiction papale officielle, le Führer chrétien-social devint maire de Vienne, fonction qu’il assuma jusqu’à sa mort en 1910. En conséquence, à l’époque où Lanz-Liebenfels écrivait ses très populaires pamphlets « anticléricaux », le socialisme chrétien était à l’acmé de sa popularité et de sa puissance à Vienne et dans les villes et bourgades autrichiennes environnantes.

9Peu après la caution papale, Lanz-Liebenfels avait quitté l’abbaye proclamant que, de l’extérieur, il pouvait agir davantage pour la réforme de l’Église [21]. La série de victoires remportées enhardit considérablement les militants catholiques de l’Allemagne des Habsbourg, et le départ de Lanz-Liebenfels de Heiligenkreuz, ainsi que le changement de ton du Correspondenzblatt de Scheicher, doivent être replacés dans ce contexte. Lorsque Hitler se lance dans une diatribe pour affirmer que « le dur combat que le mouvement pangermaniste livra à l’Église catholique n’a pas d’autre cause que le manque de compréhension des états d’âme du peuple », c’est l’environnement de mouvements catholiques apparemment invincibles écrasant les pangermanistes qu’il mentionne [22]. Ses idées selon lesquelles « les Habsbourg s’efforçaient par tous les moyens de circonvenir les Allemands » doivent être des échos de la même accusation figurant dans les publications du bas clergé durant sa jeunesse autrichienne [23]. Les évêques autrichiens – comme le soulignaient aussi bien Scheicher que les chrétiens sociaux – s’étaient rangés aux côtés des nobles catholiques slaves contre les ecclésiastiques allemands bourgeois, choisissant pour les défendre au Parlement Stanislaus Madevski, un noble polonais des Carpates habsbourgeoises [24]. Hitler pousse l’accusation encore plus loin, déplorant que « des prêtres tchèques étaient nommés dans des communes purement allemandes ; ils commençaient, lentement, mais sûrement, à mettre les intérêts du peuple tchèque au-dessus des intérêts des églises, et ils devenaient les cellules génératrices de la dégermanisation [25] ». Ce faisant, ils avaient également rejoint le parlement et l’État des Habsbourg dans une sorte d’alliance néo-joséphiniste contre la prérogative papale en Autriche, ce qui leur valut l’ire permanente du cardinal Rampolla et la désapprobation de Léon XIII. Donc, affirmer comme le fait Wilifried Daim, que Lanz-Liebenfels « donna à Hitler ses idées » n’est que partiellement exact : Hitler et Liebenfels grandirent en tant que nationalistes allemands catholiques et antisémites dans le même environnement politique.

10Pour Liebenfels et les autres ecclésiastiques dissidents, les choses évoluèrent lors de la mort de Léon XIII et l’élection de Pie X : l’empereur Franz-Joseph mit son veto à l’élection de Rampolla, exerçant pour l’occasion un pouvoir oublié depuis longtemps des monarques détenteurs du titre de « Majesté apostolique [26] ». En réaction, en 1903, plusieurs membres du bas clergé, entre autres Liebenfels, se retournèrent contre le pape. Dans son article de 1904 intitulé « Die Krisis im Papstum », il écrit que « le dernier pape vraiment catholique fut le Germain Adrien VI Florent […] Tous les conclaves jusqu’à Pie IX furent des histoires italiennes de gueux sans signification ! [27] » Vatican I et le règne de Pie IX changèrent la donne, mais ce fut pour Liebenfels une renaissance de courte durée, parce que Pie X, « un simple pasteur de campagne », n’était pas à la hauteur d’une tâche consistant à lutter contre les forces du mal (principalement juives et slaves) qui se déchaînaient contre le « catholicisme authentique [28] ». Cet élément de la politique interne catholique romaine est indispensable pour comprendre comment Lanz-Liebenfels obtint l’impulsion de départ dont il avait besoin pour devenir un auteur populaire de traités racistes sur le marché viennois des pamphlets.

11Entre 1903 et 1904, Liebenfels publia ses théories de la théologie ariosophiste sous le titre Anthropozoon biblicum, une série d’exégèses théoriques extrêmement techniques de l’Ancien Testament, ainsi que des textes apocryphes dans lesquels il expliquait sa croyance. La théologie de l’Anthropozoon biblicum peut se résumer pour l’essentiel comme l’affirmation que l’ensemble du canon biblique était une corruption de l’enseignement originel des Hébreux aryens qui furent lentement supplantés par des Juifs barbares et inhumains – rejetons d’un culte bestial, étrange et démoniaque qui avait vu le jour lorsque les Caïnites donnèrent leurs filles à des créatures démoniaques et produisirent des Äfflingen – des « hommes-singes ». La réputation de Liebenfels, perçu comme un pamphlétaire talentueux favorable à la cause chrétienne sociale, lui valut un certain nombre d’abonnés (notamment Joseph Scheicher en personne), impatients de lire son interprétation inédite des origines du « mal juif ». Ils aspiraient aussi à découvrir ses efforts pour réconcilier l’antisémitisme religieux de longue date animant le catholicisme autrichien et la conception « scientifique » émergeante, parfaitement adaptée à l’antisémitisme racial que les nazis allaient perfectionner de façon si effroyable [29].

12Ainsi, en 1905, il avait pris suffisamment d’assurance pour publier la Theo-zoologie, une formulation unique en son genre de sa théologie qui comprenait une explication de la mission salvatrice du Christ – le Véritable Aryen revenu pour purifier l’humanité des Mischlinge, issus des accouplements entre des « hommes-singes » et êtres humains [30]. Cette théorie comprenait également une grotesque et obscène réinterprétation de la Passion, Lanz-Liebenfels affirmant au préalable que « l’on ne parle pas de ce qu’a souffert Jésus, et qu’on parle de ce qu’il n’a pas souffert », autrement dit qu’il pouvait justifier toute son inventivité en invoquant le manque de fiabilité des récits « officiels » des Évangiles [31]. Cette même année 1905, Lanz-Liebenfels commença à publier Ostara, sa revue d’occultisme raciste. S’il choisit cette année-là pour lancer son projet, ce fut peut-être du fait des grandes festivités du Katholikentag prévues à Vienne pour 1905, où ses écrits et sa nouvelle iconographie représentant en abondance la croix gammée (Hakenkreuz) devaient être distribués. Il est pratiquement impossible d’imaginer que le jeune Hitler, venant pour la première fois à Vienne de Linz où dominait une forte culture catholique, ait pu ignorer le nom de Lanz-Liebenfels, tout comme il est peu probable qu’un jeune catholique, même indifférent, ait pu éviter le Katholikentag annoncé à cor et à cri. C’est vraisemblablement là, et non à Linz, que Hitler rencontra pour la première fois la croix gammée en tant qu’emblème officiel de « l’ariochristianisme blond aux yeux bleus » qui, avait déclaré Lanz-Liebenfels, avait été corrompu par des éléments enjuivés (verjudeten) de l’Église à travers les âges, cachant sa signification essentielle et éternelle.

Guido von List et le paganisme pangermaniste

13Lanz-Liebenfels se montrait seulement quelque peu original dans sa formulation. Il subissait en fait l’influence d’un homme bien moins favorable au catholicisme romain que lui-même ou que Hitler. L’une des premières associations que rejoignit Liebenfels après avoir quitté l’abbaye de Heiligenkreuz fut la Gesellschaft Guido-von-List (Société Guido-von-List), qui portait le nom d’un pamphlétaire local pangermaniste ayant revêtu les oripeaux d’un devin du néopaganisme germanique. Sans en devenir immédiatement un disciple, Liebenfels fit cependant à List d’importants emprunts pour élaborer sa propre conception du monde, et rédiger les écrits qui semblent avoir exercé une telle influence sur le jeune Hitler. Ce dernier écrit dans Mein Kampf : « Quand j’arrivai à Vienne, mes sympathies allaient pleinement et entièrement à la tendance pangermaniste [32]. » S’il était vrai que Hitler était en quête du pangermanisme, List eut été le premier homme qu’il aurait rencontré. Or trop de choses dans le langage de Hitler suggèrent que l’engouement pangermaniste de sa jeunesse est une invention de l’adulte qu’il devint, à bien des égards comme Lanz-Liebenfels inventa ses origines parentales en vue de les accorder avec le monde imaginaire qu’il édifiait autour de lui et du jeune parti nazi. Liebenfels demeure l’influence la plus évidente exercée sur Hitler, et l’insistance continue de ce dernier sur sa loyauté aux idéaux pangermanistes dans sa jeunesse n’en souligne que davantage son insécurité latente concernant sa propre germanité, trait de caractère propre aux Allemands de l’empire des Habsbourg [33].

14La tension entre les camps chrétiens-sociaux et pangermanistes dans la culture politique austro-allemande se retrouvait dans la défiance entre les courants ésotériques souterrains de ces mouvements, c’est-à-dire entre les tendances à prédominance théosophique et les tendances à prédominance néo-païenne. Lanz-Liebenfiels se situait résolument dans le camp théosophique. Si, de toute évidence, son ariosophie lui appartient en propre, les signes extérieurs – le nom, l’organisation, le public – sont tous semblables à ceux du mouvement théosophique, et, dans plusieurs numéros de sa revue Ostara, il publia des théosophistes. Il prit même le temps d’expliquer, de peur qu’un lecteur ne se fourvoie, qu’il n’était pas théosophiste, mais estimait que, dans leurs expériences philosophiques, les théosophistes trébuchaient sur des vérités ariochrétiennes fondamentales [34]. Guido von List, tout associé et ami proche de Liebenfels qu’il fût – et il publia des textes dans Ostara – appartenait à un tout autre courant de la pensée occultiste. En premier lieu, List faisait partie de la génération d’Alois Hitler et de Johann Lanz, et non de celle de leurs fils. Né en 1848, dans un milieu résolument Mittelstand, l’un des grands-parents de Guido Karl Anton List était le patron d’un débit de boisson et négociant en vin, l’autre avait commandé la première défense civile de Vienne lors des soulèvements de 1848. Ayant des racines plus profondes et une meilleure mémoire que Hitler ou Lanz-Liebenfels, List avait une expérience très différente du mouvement des Reformkatholiken. Tout en méprisant l’orthodoxie catholique d’Autriche, il jugeait également peu utiles les mouvements de libéralisation animant le bas clergé. Fidèle à la « révélation » qu’il affirmait avoir reçue en 1902 après une période de cécité (il avait subi une opération de la cataracte), il soutint que sa conversion au paganisme s’était produite lors d’une excursion effectuée pendant son adolescence dans les catacombes situées sous la cathédrale Saint-Étienne de Vienne [35].

15List était suffisamment aisé pour être encouragé dans ses entreprises artistiques et littéraires, bien qu’elles fussent en grande partie considérées comme des diversions de son ultime carrière, à savoir la direction du commerce de cuir de son père [36]. En fils obéissant, List s’était résigné au travail, mais cela ne faisait qu’encourager son immersion dans ses fantasmes pendant son temps libre. Les excursions à la campagne régulièrement organisées dans son enfance lui donnèrent un profond amour du grand air, et il participa activement à la vie sportive et au mouvement de Lebensreform en pleine constitution dans l’Europe germanophone. Il commença sa carrière d’écrivain en publiant dans l’Österreichischer Alpenverein en 1871, l’année où les espoirs pangermanistes d’une solution großdeutsch pour l’unification furent déçus. Comme le souligne Goodrick-Clarke, « les fantasmes sont aussi des symptômes importants de changements culturels et politiques majeurs et imminents ». Ils « peuvent devenir des causes quand ils deviennent les croyances et les valeurs de groupes sociaux [37] ». Les fantasmes qui conduisirent à l’union du parti national-socialiste et ceux qui occupent le centre de la scène dans Mein Kampf ne sont pas totalement identiques : les influences et fantasmes personnels de Hitler sont souvent beaucoup plus étroits que ceux qui façonnèrent le mouvement constitué autour de lui. Prenant Lanz-Liebenfels comme le représentant du type d’influence qui anima Hitler lui-même, List est certainement représentatif des tendances plus larges qui menèrent à l’essor du national-socialisme. Telle est la position de Mosse ; il présente List comme l’un des nombreux hommes (Lanz-Liebenfels n’est pas mentionné) qui « formulèrent cette conception romantique et mystique » constituant le fondement du « romantisme de la nature » que le national-socialisme appelait de ses vœux [38].

16Non pas que List n’ait pas pu exercer une influence directe sur Hitler. En 1921, le docteur Babette Steininger présenta Hitler dans un volume traitant de l’évolution du nationalisme, avec une mention dédicatoire qualifiant Hitler de Armanenbruder, membre du culte païen de List [39]. De plus, Hitler parlait fréquemment de son amour de jeunesse pour les œuvres de Karl May qu’il avait l’habitude de lire « à la lumière d’une bougie, ou au clair de lune, à l’aide d’une énorme loupe [40] ». Un lecteur aussi avide de romans populaires aurait certainement remarqué au moins le nom de List sur les étagères de n’importe quelle librairie où il se serait aventuré. List commença sa carrière dans l’édition en publiant son roman en deux parties Carnuntum, en 1888, suivi en 1894 de Jung Diethers Hemkehr et du mélodrame en deux volumes Pipara, en 1895. Ces romans firent la réputation de List dans les milieux pangermanistes, et s’il faut en croire l’adhésion précoce de Hitler au pangermanisme, il est vraisemblable que ce fut dans ce cadre qu’il rencontra List pour la première fois. La croix gammée également apparaît bien en évidence dans Carnuntum et c’est peut-être là que Hitler la vit, avant de se rendre dans l’église de Lambach où elle était appréciée par l’abbé von Hagen (dont Hitler parle avec admiration dans Mein Kampf[41]). Kershaw, pour sa part, ne croit pas à la théorie concernant von Hagen et suggère que ce furent Lanz-Liebenfels et List qui furent à l’origine du choix par Hitler de la croix gammée pour symboliser son nouveau mouvement [42].

17Les deux possibilités sont équivalentes : les symboles revêtent une formidable puissance dans le type de fantasmagories qu’élaboraient List et Lanz-Liebenfels. Ceux qui étaient avides de tels fantasmes durent d’abord être séduits par l’esthétique de cette conception du monde. Or, dans une conception du monde ancrée si profondément dans l’identité nationale, un symbole national était indispensable. S’il est si difficile d’identifier l’origine de la croix gammée dans les propres fantasmes de Hitler, c’est en partie parce que celle-ci était déjà imprégnée de signification occulte, nationaliste, raciste et chrétienne par toutes sortes de pamphlétaires sévissant à Vienne et dans l’ensemble de l’Allemagne des Habsbourg à l’époque où Hitler commençait à se former.

18Au-delà de l’inspiration esthétique, cependant, les similitudes entre l’idéologie de List et celle de Hitler, sont beaucoup plus difficiles à dégager. Le conflit central exposé dans Carnuntum et les autres romans de List est une lutte mythifiée entre la tribu austro-allemande Quadi et les « deux Rome » – l’empire romain qui assujettit les Quadi jusqu’en 375, et plus tard l’Église catholique qui continua à soumettre les Allemands aryens [43]. List et ses compagnons armanes devancèrent les délires d’Alfred Rosenberg et de Heinrich Himmler sur la blonde Allemagne barbare se libérant des oppresseurs judéo-romains. Ces tropes de l’impérialisme chrétien et des assujettissements se retrouvent dans le fantasme pangermaniste Los-von-Rom (Rompons avec Rome), dans lequel la nation allemande fut occupée par une dynastie catholique antiallemande. Hitler lui aussi connaît ce trope auquel il adhère lorsqu’il dit : « Le protestantisme agit donc toujours au mieux des intérêts allemands tout autant qu’il est question de moralité ou de développement intellectuel nationaux, ou de la défense de l’esprit allemand, de la langue allemande et aussi de la liberté allemande [44]. » L’idée présente dans les écrits de Lanz-Liebenfels selon laquelle l’Église catholique établie est corrompue et doit être purifiée et germanisée les relie tous les trois.

19Il n’en demeure pas moins que la mythologie d’un conquérant romain haï est carrément contredite ailleurs dans Mein Kampf, quand Hitler soutient que l’histoire romaine « si on en possède exactement les grandes lignes, sera toujours le meilleur guide pour le temps présent et pour tous les temps [45] ». Ce n’est pas là le langage d’un homme en guerre contre l’empire romain ou, plus précisément, contre le catholicisme romain. En outre, Hitler rejette explicitement la doctrine de List sur le genius loci lorsqu’il formule ses convictions raciales : « Quelque influence que le sol puisse, par exemple, avoir sur les hommes, les résultats de cette influence seront toujours différents suivant les races qui la subissent [46]. » Loin qu’une race bénéficie des pouvoirs magiques d’un lieu, la race dominante triomphera toujours de la plus faible, et seule la race dotée d’une forte volonté et supérieure par nature pourra créer véritablement une culture. Cette notion est aux antipodes de la conception de List selon laquelle les peuples germaniques seraient renforcés par un retour à leurs racines spirituelles, les réunissant au sol – sentiments qui furent accueillis par le mouvement Blut und Boden que Hitler considéra toujours avec mépris et suspicion.

La conception du monde de Hitler

20Dans la formulation la plus claire de son idéologie raciale, Hitler déclare : « Tout ce que nous admirons aujourd’hui sur cette terre – science et art, technique et inventions – est le produit de l’activité créatrice de peuples peu nombreux et peut-être, primitivement, d’une seule race [47]. » La centralité d’une race mondiale unique – qui est également une minorité mondiale – engagée dans un combat incessant avec les forces d’une sous-humanité est le trope dominant de l’imaginaire racial de Hitler. Il est même plus essentiel à sa conception du monde que son antisémitisme, parce qu’il pose les fondements de la catégorie mythique que Hitler appelle « le Juif ». Les difficultés rencontrées par les nazis pour définir cette catégorie, la hiérarchie complexe élaborée ultérieurement par le parti, et les nombreuses exceptions prévues, renvoient toutes au héros de Hitler dans son enfance, le premier Führer, Karl Lueger, qui parvint au pouvoir en agitant le spectre de l’antisémitisme, mais qui déclarait en privé : « C’est moi qui décide qui est Juif [48] ! ».

21Aussi bien Guido von List que Lanz von Liebenfels avaient des conceptions très tranchées de cette catégorie – et c’étaient également des conceptions mondiales. Pour Lanz-Liebenfels en particulier, l’élément central de l’idéologie religieuse consistait en un conflit éternel entre deux races, une race claire et une race sombre, l’une descendant d’une humanité pure ou d’un « homme véritable », l’autre étant mélangée – les Mischlinge, terme qui allait prendre un sens plus étroit et plus précis dans le cadre des lois raciales nazies. La notion de « péché originel » qui occupait une place si importante dans la théologie catholique est déplacée et tordue par Lanz-Liebenfels qui en fait une transgression sexuelle fondamentale constituant l’origine d’un ancien culte sexuel mêlant des hommes véritables à des démons, lesquels donnèrent naissance au Sémite moderne en tant qu’espèce – c’est-à-dire tous les peuples à peau foncée, non-aryens du monde. À l’opposé, l’homme véritable était toujours blond, aux yeux bleus et à la peau pâle, reflétant sa nature qui était d’exprimer le Gotteselektron[49].

22La conception de List était bien plus simple, et bien plus en harmonie avec la vaste conception nordiciste qui s’était propagée si loin qu’on la retrouve dans les écrits d’eugénistes comme Madison Grant et Margaret Sanger aux États-Unis. Selon cette opinion, les peuples germaniques étaient, de façon naturelle, la forme la plus achevée de l’évolution de l’humanité et combattaient non pas seulement une race mais une idéologie raciale propre au judéo-christianisme, qui avait affaibli leur tendance naturelle à la supériorité. Ce fut cependant Liebenfels et non List qui préconisa une action eugénique pour purifier la race. List avait le sentiment qu’un retour aux pratiques et aux coutumes antiques suffirait, mais Liebenfels était plus radical. Dans les pages d’Ostara, sur une dizaine d’années, il proposa un programme d’extermination et de reproduction sélective qui débarrasserait la terre de la corruption des Mischlinge et entraînerait l’apocalypse raciale à partir de laquelle la Vraie Jérusalem de la race aryenne des seigneurs purifierait le monde. Les implications du programme de Liebenfels pour le futur parti nazi et son dirigeant ne sont que trop évidentes.

La présence de Lanz-Liebenfels dans Mein Kampf

23Écrivant dans Ostara, Lanz-Liebenfels rappela à ses lecteurs « qu’au fond, les mouvements à croix gammée et d’inspiration fasciste ne sont que des développements annexes des idées de l’Ostara. Les premiers drapeaux à croix gammée sont apparus à la Noël 1907 sur le château W.[erfenstein], hissés par Maître Jörg Lanz-Liebenfels [50] ». C’était exact : lorsque Lanz-Liebenfels avait organisé son Ordo Novi Templarum (Nouvel Ordre des Templiers), peu après avoir publié la Theo-Zoologie, il avait adopté la croix gammée comme le symbole de son ordre racial « ressuscité » et avait fait flotter un drapeau à croix gammée sur le château de Werfenstein, quartier général de son groupe de disciples.

24Hitler présente quelques particularités qui soulignent résolument l’influence de Lanz-Liebenfels. Il consacre deux pages à expliquer comment l’antisémitisme chrétien social « se basait sur des conceptions religieuses et non sur les principes racistes » et n’était donc « qu’un pseudo-antisémitisme » [51]. Il lui manquait cette « connaissance raciale » pour diagnostiquer la maladie que voyait Hitler. De même, Lanz-Liebenfels exprima clairement la nécessité de reconnaître qu’il existait un « faux » antisémitisme qui ne se préoccupait que des Juifs apparents à l’extérieur sans reconnaître le Mischling à l’intérieur. L’épine dorsale de la véritable croyance est l’antisémitisme, déclara Lanz-Liebenfels : c’est la reconnaissance de la nature animale du Juif. Et d’expliquer ainsi l’étymologie du mot : « von anti = gegen und simia = Affe [52] ». Historiquement, racistes et antisémites de tous acabits ont toujours eu abondance d’insultes à déverser les uns sur les autres, mais l’insistance de Hitler à affirmer posséder la véritable connaissance (même ésotérique) sur les relations raciales semble ici différente. Hitler n’affirme pas seulement que le socialisme chrétien était insuffisamment antisémite, mais plutôt qu’il n’était pas du tout antisémite, se contentant de prétendre l’être, et, qui plus est, que les Juifs étaient responsables de ce faux antisémitisme [53].

25Étrangement, l’importance la plus flagrante du langage ariosophique dans Mein Kampf se trouve probablement insérée au beau milieu de diatribes sur la propagande de guerre. Se plaignant de l’esthétique, Hitler prêche : « Toute [l’existence des Juifs] n’est qu’incarnation de leur reniement de l’esthétique symbolisée par l’image du Seigneur [54]. » Bien des antisémites racistes pourraient eux-mêmes être sidérés par cette affirmation apparemment théologique – l’image de Dieu est certainement la base de l’humanité d’un point de vue chrétien, mais les antisémites chrétiens vont rarement aussi loin, au point de s’interroger si les perfidis Judaeis sont véritablement humains. Hitler soutient non seulement que les Juifs ne sont pas humains, mais que leur existence constitue une protestation contre l’humanité créée à l’image de Dieu.

26Lanz-Liebenfels avait déjà affirmé dans son Anthropozoon biblicum que « le coït d’Ève avec Adam ne peut être une transgression, et ne peut en aucun cas constituer le peccatum originale » mais plutôt que, lorsque nous lisons dans l’Évangile de Jean (I, 3, 12) : « Cain qui ex maligno erat », l’auteur entend la phrase au sens littéral, à savoir que Caïn était le résultat d’un accouplement entre Ève et le serpent [55]. Si Hitler a adopté l’animal mythique de l’homme-singe (Affenmensch) de Lanz-Liebenfels, pour élaborer son propre imaginaire du « Juif », cela explique son étrange déclaration citée plus haut. En effet, une telle croyance religieuse ferait du « Juif » une véritable rébellion contre l’Image de Dieu présente dans les enfants d’Adam et Ève, Abel et Seth. Ainsi, pour Hitler et Lanz-Liebenfels, l’animosité entre le Juif et l’Aryen ne se réduit pas à un simple conflit entre deux peuples ; c’est une guerre sainte entre les forces de la lumière et celles des ténèbres, entre le bien et le mal.

Dieu, la race et le sexe

27Comme on l’a déjà mentionné, la conception du monde de Lanz-Liebenfels se définit par la sexualité. L’utilisation correcte de la sexualité – à savoir la procréation d’une descendance aryenne pure et l’élimination des Affenmenschen et des Mischlinge, est l’objectif religieux de l’ariosophie en ce qu’elle amène le Volk à Dieu (à un moment donné, Lanz-Liebenfels définit Dieu comme la « race purifiée [56] » (gereinigte Rasse). Il n’est donc guère surprenant que la majeure partie du discours de Hitler sur la corruption culturelle et raciale traite de questions sexuelles. Le sexe, en fait, est au centre de la solution globale de ce qu’on appelle la « question juive », parce que « un peuple de race pure et qui a conscience de ce que vaut son sang ne pourra jamais être subjugué par le Juif [57] ». Il reprend en fait à rebours les thèses de Lanz-Liebenfels lorsqu’il affirme que « la perte de la pureté du sang détruit pour toujours le bonheur intérieur, abaisse l’homme pour toujours et ses conséquences corporelles et morales sont ineffaçables [58] ». Prise dans le contexte des influences subies par Hitler, ce que nous voyons décrit ici est clairement une malédiction, à savoir l’image de ceux qui « sombrent dans les bas-fonds » pour l’éternité, expression courante pour désigner l’Enfer [59]. C’est plus conforme au langage ariosophique : si, comme le soutient Lanz-Liebenfels, Dieu est une race purifiée, la séparation permanente avec Dieu (c’est-à-dire l’Enfer), c’est l’inévitable corruption de la race.

28De même, aussi bien Lanz-Liebenfels que Hitler traitent abondamment des pratiques conjugales et sexuelles. Le premier aspire principalement à la destruction du culte sexuel « sodomitique » qui se poursuit en secret parmi les peuples sombres du monde ; son résumé d’ariosophie (qui figure dans son introduction d’une nouvelle édition de ce qu’il appelle les « Psaumes germaniques ») comprend la phrase suivante : « Car nos saintes Écritures apportent la preuve que les races sombres et les Tschandales étaient le résultat d’un mélange sodomite entre Aryens n’ayant pas conscience de leur race, surtout des Aryennes, avec des hommes primitifs et des hommes-bêtes [60]. » Pour lui, la simple monogamie ne suffit pas pour combattre cette corruption raciale qui s’est tellement développée qu’il est impossible de reconnaître au premier regard les Mischlinge – ils ressemblent trop à des êtres humains ordinaires. Lanz-Liebenfels envisage plusieurs mesures que prendra par la suite Heinrich Himmler, par exemple le recours à des femmes aryennes comme mères reproductrices pour de nombreux hommes aryens qui prendraient soin d’elles dans des institutions spéciales ressemblant à des cloîtres (ce qui évoque le programme SS du Lebensborn[61]). Ce n’est là cependant que pure spéculation : Lanz-Liebenfels exprime ce qui doit absolument se produire lorsqu’il écrit que « l’adultère des femmes et leur étrange préférence pour les hommes excitants, faunesques et soi-disant intéressants doivent être évités autant que possible [62] ». Seul un mariage précoce avec un Aryen de sang pur, déterminé, est susceptible de contenir le danger que font peser les besoins naturels des femmes, selon Lanz-Liebenfels. C’est ce qu’il faut avoir à l’esprit lorsqu’on lit ce long passage de Mein Kampf :

29

À quel point les gens peuvent-ils divaguer, combien bon nombre d’entre eux sont-ils déjà dépourvus de raison, il est aisé de le découvrir si l’on entend souvent des mères de la « meilleure » société, comme l’on dit, affirmer qu’elles vous seraient reconnaissantes de trouver pour leur enfant un homme qui aurait « déjà jeté sa gourme ». Comme il ne manque pas en général de sujets de ce genre – moins que de la catégorie opposée –, la pauvre fille se réjouira de trouver ainsi un Siegfried-écorné [63] et les enfants constitueront le résultat visible de ce mariage de raison.
Lorsqu’on pense qu’en plus de cela se produit une limitation aussi serrée que possible de la procréation, ayant pour effet d’interdire tout choix de la part de la nature, puisqu’il faut bien entendu, par surcroît, conserver tous les êtres, même les plus misérables, la question se pose vraiment de savoir pourquoi subsiste une telle organisation et quel but elle peut atteindre. N’est-ce pas exactement la même chose que la prostitution elle-même ? Les générations à venir ne jouent-elles plus leur rôle à cet égard ? Ou bien ignore-t-on quelle malédiction de nos enfants et des enfants de nos enfants retomberont sur nos épaules, pour avoir ainsi criminellement et inconsidérément violé l’ultime droit naturel, et l’ultime devoir naturel !
Ainsi dégénèrent les peuples civilisés… c’est ainsi que peu à peu ils disparaissent.
Même le mariage ne peut pas être considéré comme un but en soi : il doit conduire vers un but plus élevé, la multiplication et la conservation de l’espèce et de la race : telle est son unique signification, telle est son unique mission [64].

30Il y a là plusieurs éléments à analyser. Wagner apparaît dans la piètre tentative de Hitler de faire de l’humour avec son jeu de mots sur Hörner / enthornen, qui fait référence au mythe de Siegfried – et c’est probablement le seul passage littéraire de tout le livre. Bien plus importante cependant, est la formulation minutieuse d’un programme ariosophique concernant le mariage et la reproduction. Le lien le plus évident est l’affirmation de Hitler à la fin que le seul but du mariage est l’augmentation et la préservation de la race – ce qui ressemble à l’affirmation de Lanz-Liebenfels : « Si un homme et une femme veulent s’aimer, sans engendrer d’enfants et qu’ils sont libres, alors un mariage n’est pas nécessaire. Le mariage est uniquement là pour les enfants [65]. » Aussi bien pour Lanz-Liebenfels que pour Hitler, le mariage n’a pas d’autre objet que d’orienter les désirs sexuels de l’homme et de la femme vers la procréation ; sinon « quel but peut-il avoir ? », demande Hitler, se faisant l’écho de l’affirmation de Lanz-Liebenfels que « le mariage n’est pas nécessaire » si les enfants ne sont pas désirés. De même, Hitler recourt au langage de la malédiction et du châtiment : c’est violer un « devoir naturel » que de négliger l’avenir de la race en utilisant le sexe de manière frivole. La marque de Caïn est placée sur celui qui transgresse cette loi naturelle de la préservation de la race, tout comme dans les textes de Lanz-Liebenfels. De plus, la descendance d’un accouplement dysgénique décrit par Hitler révélera la corruption, autre parallèle avec ce qu’écrit Liebenfels : « Le bâtard est la plupart du temps mauvais sur le plan physique et moral [66]. » Cette notion de bâtard est, elle aussi, lourde de sens : Lanz-Liebenfels utilise indifféremment ce terme ou celui de Mischling. La bâtardisation (Bastardierunge) des peuples est le thème d’un passage entier de Mein Kampf dans lequel Hitler déclare : « Les peuples qui se métissent ou se laissent métisser pèchent contre la volonté de l’éternelle Providence [67]. »

31Ce n’est pas non plus la seule fois que le concept d’abâtardissement et celui de péché sont réunis dans la prose de Hitler. Lorsqu’il présente pour la première fois l’Aryen comme « détenteur de la culture », il formule l’aboutissement des mélanges raciaux : la dégénérescence de la race supérieure et la régression du corps et de l’esprit, autant d’éléments qui ne constituent « pas autre chose que pécher contre la volonté de l’Éternel, notre Créateur [68] ». Il poursuit en décrivant l’Aryen comme « le type primitif de ce que nous entendons sous le nom d’“homme” [69] ». Ce qui, en soi, n’a rien de biblique, jusqu’à ce que Hitler termine cette partie en traitant des origines de l’effondrement culturel de tous les peuples aryens : « Ils commencent à s’unir aux indigènes leurs sujets et mettent fin ainsi à leur propre existence ; car le péché originel commis dans le Paradis a toujours pour conséquence l’expulsion des coupables [70]. » Hitler est si souvent confus dans ses propres diatribes qu’il est rare de trouver chez lui une idée intacte du début à la fin. A-t-il ici réussi parce qu’il ne considérait pas seulement comme une métaphore de dire que l’Aryen est le prototype de « l’homme » ? Le thème du mélange des races comme péché originel apparaît aussi trop souvent pour qu’il s’agisse purement et simplement d’un enjolivement rhétorique. Ailleurs, Hitler formule explicitement : « Le péché contre le sang et la race est le péché originel de ce monde et marque la fin d’une humanité qui s’y adonne [71]. » Nous l’avons vu plus haut, Lanz-Liebenfels va plus loin : la chute n’est pas le péché d’Adam, mais le péché d’Ève – l’oubli du devoir naturel de pureté du sang, l’accouplement avec une forme bestiale de Satan, avec pour résultat l’expulsion du Paradis. Cette croyance religieuse a vraisemblablement contribué à la déclaration de Hitler : « En me défendant contre le Juif, je combats pour défendre l’œuvre du Seigneur [72]. » La mention fréquente chez Hitler de l’Enfer et des mélanges de races présentées comme un péché doit provenir directement de l’influence de Lanz-Liebenfels. Ou bien il avait suffisamment d’instruction pour procéder aux mêmes rapprochements en recourant au même vocabulaire.

Le Juif en tant que nuisance et parasite

32Le rôle premier du Juif dans la mythologie de Hitler, c’est d’être une calamité pour la race aryenne, en introduisant des idées de mélanges raciaux et de tentations. Lorsqu’une idée va à l’encontre de la vision de Hitler sur le destin de l’Aryen et sa relation à la nature, ce doit être une idée juive. Deux métaphores particulières reviennent à maintes reprises dans Mein Kampf pour exprimer la relation du monde juif et de l’Allemand aryen : le Juif en tant que nuisance et le Juif en tant que pestilence. Toutes deux ont un lien direct avec les obsessions personnelles de Hitler, ainsi qu’avec ses maîtres en matière idéologique. Lanz-Liebenfels, pour sa part, s’intéresse principalement à la formulation de sa théologie extrêmement sexualisée de l’Homme vrai, en sorte qu’il trouve moins de choses à dire sur les Juifs : si Ostara regorge d’antisémitisme en tous genres, le type de haine explicitement formulée et la persécution des Juifs qui occupent une telle place dans la prose de Hitler ne sont guère présents dans les principales œuvres de Lanz-Liebenfels. Pour ce type de discours, il faut se reporter aux pages de List et de ses contemporains néopaïens fascinés par l’élimination de la chrétienté « juive » dans le peuple germanique aryano-païen.

33De rares passages de Mein Kampf sont aussi obscènes que la brève diatribe lancée en pleine « conversion » de Hitler à l’antisémitisme, lorsqu’il déclare : « Sitôt qu’on portait le scalpel dans un abcès de cette sorte, on découvrait, comme un ver dans un corps en putréfaction, un petit youtre tout ébloui par cette lumière subite [73]. » Si l’on met de côté le caractère incompréhensible de la citation – Hitler se laisse ici transporter par sa propre poésie –, ce passage révèle l’une des deux caractéristiques fondamentales de l’interprétation par Hitler de sa menace juive : le Juif en tant que nuisance. Ces nuisances revêtent diverses formes, mais elles ont en commun d’être entraînées à vivre à proximité immédiate de ce dont les humains se sont débarrassés. Le rat vit sur des ordures ménagères, la mouche sur les eaux d’égout et la pourriture, le cafard sur pratiquement n’importe quelle sorte de déchets. Les gens qui vivent dans la pauvreté connaissent bien ces nuisances. Dans Mein Kampf, Hitler témoigne d’un moment d’empathie lorsqu’il raconte comment il laissait par terre des miettes de pain pour les souris dans le baraquement de sa caserne à Munich [74]. Lorsqu’il parle de son Juif sous forme de métaphore, il utilise donc les images qui lui sont le plus proches : un ver dans un corps ou au cœur de l’abcès, ou des souvenirs de guerre. Certes, le rat existait en tant qu’animal métaphorique et les antisémites en usèrent, mais l’usage prolifique que firent les nazis de cette image est unique en son genre. Hitler était fasciné par l’établissement de parallèles avec le règne animal, que ce soit dans ses écrits, ses discours, voire ses conversations privées.

34Cette fascination s’explique en partie par la référence à Lanz-Liebenfels qui décrivit lui-même abondamment les différents types de Tiermenschen autres que la catégorie des Affenmenschen[75](hommes-singes). Cependant, Lanz-Liebenfels fait de tous ces animaux des démons et des hommes-bêtes qui corrompent la race aryenne et empêchent la réalisation de l’unité raciale avec Dieu. Les comparaisons auxquelles procède Hitler dans le règne animal sont moins exotiques : ses déclarations sur le monde animal portent soit sur un « progrès » dans l’évolution de l’humanité à partir des animaux, soit des leçons que peuvent tirer les êtres humains de l’observation des animaux. Le Juif en tant que nuisance est davantage un thème propre à Hitler, mais Lanz-Liebenfels se révèle dans la forme favorite donnée par Hitler au Juif en tant que nuisance : le Juif en tant que parasite.

35Hitler consacre une diatribe entière à l’image du Juif en tant que parasite : « C’est ainsi que le Juif a, de tout temps, vécu dans les États d’autres peuples ; il formait son propre État qui se dissimulait sous le masque de « communauté religieuse » tant que les circonstances ne lui permettaient pas de manifester complètement sa vraie nature [76]. » C’est là un préambule significatif de la réelle opinion de Hitler concernant son ennemi juré – car le Juif de Hitler choisit la vie de parasite et « est obligé, pour pouvoir vivre comme parasite des peuples, de renier ce qu’il y a de particulier et de fondamental dans son espèce [77] ». On retrouve là Lanz-Liebenfels : qu’est-ce donc qui distingue le Juif de l’Aryen ? Hitler affirme que les Juifs constituent une race, et non une religion, et qu’ils sont en outre incapables d’être une religion du fait de leur « nature propre originelle » qui les rend exceptionnellement matérialistes – intéressés uniquement par cette vie-là [78]. « Son esprit est aussi profondément étranger au vrai christianisme que son caractère l’était, il y a deux mille ans, au grand fondateur de la nouvelle doctrine », poursuit Hitler, reprenant l’affirmation de Lanz-Liebenfels selon laquelle le véritable christianisme, le véritable catholicisme s’est différencié de la forme jésuitique contrefaite qui avait infecté Rome [79]. La véritable expression ariosophique n’est claire cependant que lorsqu’on se réfère à ce que Hitler décrivait quelques pages auparavant à propos de ce qui différencie l’animal de l’homme : l’animal ne vit que pour lui-même et uniquement dans l’immédiat – de ce monde-ci [80]. La forme ariosophique est déjà parachevée lorsque Hitler ajoute finalement l’expression s’appliquant aux Juifs « cet adversaire de toute humanité », un euphémisme d’usage courant pour désigner Satan, notamment chez les catholiques romains [81].

Le Juif en tant que pestilence et maladie

36Quelques passages seulement après la ligne du « vers dans un corps », Hitler aborde un autre thème, plus conforme aux idées de List qu’à celles de Lanz-Liebenfels : le Juif en tant que « peste morale, pire que la peste noire de jadis, qui, en ces endroits, infectait le peuple ! [82] ». Il continue en interrompant une réflexion sur la presse et les dirigeants allemands pour débiter pendant quatre pages un sermon sur la syphilis, et sur « cette contamination et […] cette mammonisation de notre vie amoureuse [83] ». Le Juif devient non seulement un parasite se nourrissant du sang de la nation allemande, mais également une maladie touchant le corps racial. Cette métaphore montre une divergence avec Lanz-Liebenfels et l’adoption d’un langage plus proche du mouvement de la Lebensreform dans lequel List jouait un rôle majeur, ainsi que l’engouement généralisé pour la santé, populaire dans les milieux aussi bien racistes que libéraux dans l’Allemagne des Habsbourg.

37Hitler lui-même, qui partageait entièrement cet engouement, était obsédé par les questions de santé et d’hygiène. Sa propre hypocondrie est attestée en particulier par sa dépendance totale par la suite de l’avis médical du charlatan Theodor Morell [84]. Également au début de sa carrière, son obsession et sa paranoïa à propos de sa propre santé se révélèrent dans ses moments de faiblesse passagers. Albert Krebs, gauleiter de Hambourg, a fait le récit d’une rencontre avec Hitler en 1932, pendant l’une des sautes d’humeur du Führer, alors en phase dépressive. Il harangua Krebs sur la valeur d’un régime végétarien, lui expliqua comment il l’avait adopté après avoir craint que ses crampes d’estomac ne soient les signes précurseurs d’un cancer [85]. Il avait entrepris également des activités alpines régulières, élément central du mode de vie prôné par la Lebensreform. Son choix de la maison Wachenfeld dans l’Obersalzberg s’expliquait certainement par des considérations esthétiques, mais au premier chef, c’était le terrain qui intéressait Hitler. Albert Speer témoigne de l’insistance mise par Hitler pour effectuer des marches quotidiennes vers le salon de thé du domaine, trajet qui prenait dans chaque sens une demi-heure à travers des pâturages et des sentiers de montagne. Il affirme que Hitler « dédaignait d’emprunter les routes forestières pavées sur près de deux kilomètres » qui auraient facilité et abrégé le trajet [86]. Même à son quartier général sur le front, Hitler prenait le temps de parcourir à pied de longues distances. C’était en partie par imitation de son héros Richard Wagner, qui écrivit en 1841 que « la force de l’histoire hellénique est par conséquent l’homme actif et son plus beau résultat, la floraison de sa conscience de soi hellénique, l’art d’une humanité pure, c’est-à-dire cet art qui a trouvé sa substance et son objet dans l’homme véritable qui se reconnaît comme le produit le plus élevé de la nature [87] ». Seul l’homme en contact avec la nature, l’homme vigoureux et actif peut véritablement atteindre les sommets de l’humanité et de la créativité humaine – affirmation assez typique du phénomène en plein essor de la Lebensreform qui avait commencé à prendre forme dans les dernières années de la vie de Wagner [88]. De même Wagner est-il très présent dans les écrits de Guido von List et a-t-il inspiré quelques-uns de ses premiers romans. C’est lui également qui a déterminé son appel à reconstruire Carnuntum qui serait, dit-il, un « Bayreuth germano-autrichien [89] ».

38En fait, Wagner constitue une sorte de filigrane reliant Hitler, List et la Lebensreform dans une inspiration commune. Le degré de l’influence directe exercée par Wagner sur Hitler n’a peut-être pas été étudié aussi rigoureusement qu’il le mériterait. Il y a tout lieu cependant de suggérer que Hitler avait pu rencontrer Wagner indirectement dans d’autres sources, compte tenu du rôle majeur que joue le compositeur dans les publications nationalistes allemandes, dans la Lebensreform et autres textes völkisch de l’époque de la jeunesse de Hitler [90]. L’utilisation que fait le compositeur de thèmes païens, son obsession de la santé (en fait de l’hypocondrie), ainsi que son antisémitisme virulent, tous ces éléments se retrouvent nettement dans les milieux du Listverein – les « associations List » qui se développèrent dans les dernières années de la vie de List, en grande partie sous l’influence de la famille Wannieck et de Lanz-Liebenfels. Qu’à l’instar de tant d’auteurs antisémites des milieux nationalistes de l’Allemagne des Habsbourg, il parle des Juifs en termes de maladie et d’hygiène n’est qu’une attitude conforme à celle de son environnement [91].

39***

40Une lecture attentive de Mein Kampf révèle donc que, si limités qu’aient pu être les contacts de Hitler avec la pensée ariosophique, sa coexistence avec les ariosophistes dans l’Allemagne des Habsbourg aboutit à la formulation de fantasmes racistes en grande partie conformes aux idées et croyances de ce courant. Développé dans un environnement que Fritz Stern qualifie à juste titre de « désespoir culturel », ce fut paradoxalement ce même cosmopolitisme de Vienne et de l’empire autrichien qui rendit possible l’ariosophie, et donc Hitler. La conception du monde de ce dernier et ses fantasmagories raciales n’étaient pas le résultat du prussianisme ou de la culture résolument militariste de l’empire allemand – comme le soutenait la vieille thèse du Sonderweg[92]– mais le fruit du libéralisme autodidacte, expérimental, à prétentions scientifiques et obsédé par l’hygiène prévalant dans le Mittelstand de l’Allemagne des Habsbourg. À bien des égards, il est en fait aussi difficile d’imaginer un Hitler prussien qu’un Hitler français ou anglais, parce que l’histoire institutionnelle, l’incertitude et le sentiment d’un effondrement imminent dans lesquels grandit Hitler étaient loin d’être présents dans ces endroits au même degré que dans l’Europe des Habsbourg. Dans ce domaine, il pourrait y avoir quelque chose à sauver dans le Sonderweg : sans le sentiment d’urgence unique en son genre créé par la perception d’une dégénérescence culturelle et d’un effondrement politique dans l’Allemagne des Habsbourg, l’antisémitisme si central dans la conception du monde de Hitler et sa mission autoproclamée n’aurait pas pu revêtir cette forme-là. À un certain degré, donc, dans la mesure où la structure et les composants de la Shoah sont présents dans Mein Kampf, la paternité de cette abomination n’incombe pas seulement à Hitler, mais également au monde qui l’a produit.


Date de mise en ligne : 18/04/2018

https://doi.org/10.3917/rhsho.208.0057

Notes

  • [1]
    L’ariosophie désigne ici globalement le florilège de délires et fantasmes développés par ceux qui fréquentaient divers cercles sociaux se recoupant souvent : Novus Ordo Templi de Lanz von Liebenfels, Armanenschaft, de Guido von List, ainsi que de nombreux Listvereinen qui surgirent dans l’Europe germanophone entre 1905 et 1930. Une brève liste des partisans de la première Listverein (dont faisait partie Karl Lueger) figure in Nicholas Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, New York, New York University Press, 1992, p. 43 ; en français, Les racines occultistes du nazisme, les Aryosophistes en Autriche et en Allemagne, 1890-1935, traduit par Patrick Jauffrineau et Bernard Dubant, Paris, Pardès, 1989 ; réédité sous le titre Les racines occultes du nazisme, Les sectes secrètes aryennes et leur influence sur l’idéologie du IIIe Reich, traduit par Armand Seguin, Rosières-en-Haye, Camion blanc, Camion noir, 2010.
  • [2]
    Voir Adolf Hitler, Mein Kampf, Munich, Zentralverlag des NSDAP, 1936, notamment p. 63, 84, 100, 106.
  • [3]
    Voir John W. Boyer, Political Radicalism in Late Imperial Vienna, Chicago, University of Chicago, 1981, p. xi-xiii ; Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 3-5. Boyer précise en détail son usage du mot Mittelstand, et je l’ai suivi dans cette voie laquelle s’engage dans les traces de Hans Bobek et Elisabeth Lichtenberger, « le Mittelstand (classes moyennes) était composé d’un côté de la large couche des commerçants […] et de l’autre de la masse des membres des professions libérales ainsi que des petits et moyens fonctionnaires » – cité in Boyer, Political Radicalism, op. cit., p. 296, note 186.
  • [4]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 197-198 ; Derek Hastings, Catholicism and the Roots of Nazism, Oxford, Oxford University, 2010, p. 3.
  • [5]
    Ralph Mannheim, « Translators Note », in Adolf Hitler, Mein Kampf, traduit en anglais par Ralph Mannheim, Boston, Houghton-Mifflin, 1971, p. xii-xiv.
  • [6]
    Lucien Febvre, The Problem of Unbelief in the Sixteenth Century : The Religion of Rabelais, traduit en anglais par Beatrice Gottlieb, Cambridge, Harvard University, 1982, p. 364 ; en français, Le problème de l’incroyance au xvie siècle, Paris, Albin Michel, 1947, p. 371.
  • [7]
    Febvre, The Problem of Unbelief, op. cit., p. 336 ; en français, p. 344.
  • [8]
    On pourrait être tenté de parler d’« Allemagne catholique », mais j’ai choisi de ne pas le faire, par crainte de donner l’impression que ce phénomène était plus que marginal également dans les communautés catholiques allemandes du nord du pays.
  • [9]
    Hastings, Catholicism and the Roots of Nazism, op. cit., p. 9.
  • [10]
    Texte dogmatique du premier concile du Vatican. Il s’agit, entre autres, d’un rappel de la supériorité hiérarchique du pape sur les pasteurs et les fidèles, ainsi que des circonstances dans lesquelles s’applique le dogme de l’infaillibilité pontificale. (N.d.T.)
  • [11]
    Bulle du pape Pie IX imposant le dogme de l’Immaculée Conception. (N.d.T.)
  • [12]
    Les efforts déployés par l’épiscopat autrichien pour vaincre le parti chrétien-social de Karl Lueger aboutirent à une farce lorsque les ecclésiastiques ultramontains de rang inférieur fidèles à Lueger lancèrent des appels directement à Rome, tandis que les évêques étaient réunis en conférence, ce qui fit apparaître ces derniers comme les dissidents (en France, le mouvement gallican avait été, dans une large mesure, épiscopal), et les prêtres rebelles comme des ultramontains loyaux – ce qui correspondait au vœu de Pie IX.
  • [13]
    Karl Lueger, « I Decide who is a Jew ! ». The Papers of Dr. Karl Lueger, traduit en anglais et édité par Richard S. Geehr, Washington, University Press of America, 1982, p. 219-220.
  • [14]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 91.
  • [15]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 4 ; en français, p. 6. La pagination de Mein Kampf en français est celle de l’édition en ligne sur le site http://der-fuehrer.org/meinkampf/french/Mein%20Kampf-French.pdf
  • [16]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 92 ; Nicholas Goodrick-Clarke, « The Aryan Christ », in Olav Hammer (éd.), Alternative Christs, Cambridge, Cambridge University, 2009, p. 212.
  • [17]
    Olaf Blaschke, Katholizismus und Antisemitismus im Deutschen Kaiserreich, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1997, p. 115.
  • [18]
    Otto Weiß, « Zur Religiosität und Mentalität der Österreichischen Katholiken im 19. Jahrhundert, der Beitrag Hofbauers und der Redemptoristen », in Spicilegium historicum Congregationis SSmi Redemptoris, 43 :2, 1995, p. 368-369.
  • [19]
    Wilfried Daim, Der Mann, der Hitler die Ideen gab, Munich, Isar Verlag, 1958, p. 55.
  • [20]
    Aux États-Unis, frère Charles Coughlin, présentateur antisémite de la radio, publia également une revue intitulée Social Justice et reprenant à peu près mot pour mot le programme de Vogelsang ; Lueger, « I Decide who is a Jew ! », op. cit., p. 226.
  • [21]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 92. Les comptes rendus de Heiligenkreuz disent seulement que Lanz-Liebenfels était vanitati saeculi deditus et amore carnali captus, qu’il « se consacrait aux vanités de ce monde et était esclave de l’amour charnel ». Comme aucune poursuite pour sodomie ne fut entamée, que ce soit dans les tribunaux ecclésiastiques ou dans les tribunaux impériaux, et qu’aucune femme n’apparaît jamais dans la vie de Liebenfels ou dans les récits, on ne sait pas très bien ce que cela peut vouloir dire. Il s’agit peut-être d’une référence aux écrits théologiques hérétiques de Liebenfels, qui traitent d’étranges cultes sexuels et préconisent des amours non exclusives entre ariochrétiens de sang pur.
  • [22]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 118 ; en français, p. 58.
  • [23]
    Ibid., p. 106. En français, p. 51.
  • [24]
    Voir Norbert Miko, « Zur Mission des Kardinals Schönborn des Bischofs Bauer und des Pater Albert Maria Weiss, OP., im Jahre 1895 », Römische Historische Mitteilung, n° 5, 1961-1962.
  • [25]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 118-119 ; en français, p. 58. De même, curieusement, Hitler se plaint de ce que « les efforts antiallemands des Habsbourg ne trouvèrent point, surtout parmi le clergé supérieur, l’opposition qui s’imposait, et la défense même des intérêts allemands fut complètement négligée » ; en français, p. 58. Le fait qu’il singularisait le haut clergé dans sa condamnation témoigne que cette distinction lui avait été inculquée dès sa jeunesse.
  • [26]
    En France, le titre équivalent serait Majesté très chrétienne ; en Angleterre, Défenseur de la foi. (N.d.T.)
  • [27]
    Jörg Lanz von Liebenfels, « Die Krisis im Papstum », Das freie Wort, n° 4, 1904, p. 404.
  • [28]
    Loc. cit.
  • [29]
    Voir Joseph Scheicher, Erlebnisse und Erinnerungen, vol. 5, Vienne, Fromme, 1911, p. 163-167.
  • [30]
    Le terme de Mischling allait occuper une place majeure dans les catégories établies par les nazis pour classer les personnes ayant à la fois des ancêtres juifs et non-juifs. À part Lanz-Liebenfels et les nazis, aucune autre source ne fait référence à ce terme dans un contexte antisémite, ce qui signifie qu’il s’agit là certainement de l’une des principales contributions de Lanz-Liebenfels à la pseudoscience raciale nazie.
  • [31]
    Jörg Lanz von Liebenfels. Theo-Zoologie, Vienne, Moderner Verlag, 1905, p. 125.
  • [32]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 106 ; en français, p. 52.
  • [33]
    La présence d’un Johann Nepomuk Hiedler, grand-oncle de Hitler, suggère d’éventuels ancêtres tchèques, lesquels se sont avérés peu probables. Cette question a néanmoins fait l’objet de recherches sur ordre de Hitler (ainsi que les rumeurs de son ascendance juive, dont le caractère improbable est établi).
  • [34]
    Voir Jörg Lanz von Liebenfels, Die Theosophie und die assyrischen “Menschentiere”, Groß-Lichterfelde, Zillmann, 1907.
  • [35]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 34.
  • [36]
    Ibid.
  • [37]
  • [38]
    George L. Mosse, « The Mystical Origins of National Socialism », Journal of the History of Ideas, 22, n° 1, janvier-mars 1961, p. 82.
  • [39]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 199. Il s’agit d’un volume de Tagore. Sur la page de garde, elle écrivit en dédicace : « À Adolf Hitler, mon cher frère armane ». (N.d.T.)
  • [40]
    Hitler’s Table Talk, traduit en anglais par Norman Cameron et R. H. Stevens, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1953, p. 316. Cette édition de Table Talk fait l’objet de controverses, mais l’amour de Hitler pour Karl May, et notamment ce passage se retrouve également attesté ailleurs, en particulier in Timothy Ryback Hitler’s Private Library, New York, Knopf, 2010. En français, Henry Picker a édité Hitler, cet inconnu, suivi de Propos de table, Paris, Presses de la Cité, 1969. Dernièrement est parue une nouvelle édition sous le titre Hitler, propos intimes et politiques (1941-1942), traduit et présenté par François Delpla, Paris, Nouveau Monde éditions, 2016.
  • [41]
    Mein Kampf, op. cit., p. 4, ; en français, p. 6.
  • [42]
    Ian Kershaw, Hitler, t. 1 : 1889-1936 : Hubris, New York, W. W. Norton, 2000, p. 50. Kershaw cependant attribue par erreur les loyautés pangermanistes à Lanz-Liebenfels, en sorte que bien qu’il soit une autorité pour la personne de Hitler, cette estimation est peut-être erronée ; en français, Hitler, t. 1 : 1889-1936, Hubris, traduit par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Flammarion, 1999.
  • [43]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 37.
  • [44]
    Mein Kampf, op. cit., p. 123 ; en français, p. 60.
  • [45]
    Op. cit., p. 470 ; en français, p. 221.
  • [46]
    Op. cit., p. 316 ; en français, p. 151.
  • [47]
    Loc. cit. ; en français, p. 151.
  • [48]
    Amos Elon, The Pity of It All : A Portrait of the German-Jewish Epoch, 1743-1933, Londres, Allen Lane, 2003, p. 224. Peut-être apocryphe, la citation est souvent attribuée par erreur à Hermann Göring qui n’a certainement jamais prononcé cette phrase, puisqu’elle était déjà attribuée à Lueger dans les années 1930, bien avant sa prétendue mention par Göring. Elle résume cependant ce qu’Elon appelle l’antisémitisme gemütlich de Lueger.
  • [49]
    Cette idée était en fait si répandue dans les cercles ésotériques qu’un néopaïen antinazi comme Franz Bernhard Marby en fit la pierre angulaire de sa propre anthropologie, par ailleurs exempte des obsessions raciales et sexuelles de Lanz-Liebenfels. Friedrich Bernhard Marby, Marby-Runen-Gymnastik, Stuttgart, Marby-Verlag, 1932.
  • [50]
    Jörg Lanz von Liebenfels, « Ostara und der Reich des Blonden », Ostara, série III, 1, p. ii.
  • [51]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 130, 132 ; en français, p. 63 et 64.
  • [52]
    Jörg Lanz von Liebenfels, Das Buch der Psalmen Teutsch, Dusseldorf, Herbert Reichstein, 1926, p. 6. Hitler, de même, qualifie les Juifs de singes. Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 332.
  • [53]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 132. Hitler déclare en fait que les Juifs vont regretter l’antisémitisme chrétien-social : « Et le Juif s’habitua bientôt si bien à ce genre d’antisémitisme que sa disparition l’aurait sûrement plus chagriné que son existence ne le gênait » (en français, p. 64).
  • [54]
    Ibid., p. 196 ; en français, p. 92. Ailleurs (en français, p. 131), Hitler mentionne de nouveau l’Ebenbild Gottes, lorsqu’il évoque les dangers de la prostitution et la nécessité du mariage précoce pour préserver l’image de Dieu dans l’humanité.
  • [55]
    Jörg Lanz von Liebenfels, « Anthropozoon biblicum I », Vierteljahrschrift für Bibelkunde 1, 1903, p. 69.
  • [56]
    Lanz-Liebenfels, Theo-Zoologie, op. cit., p. 136.
  • [57]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 357 ; en français, p. 170.
  • [58]
    Ibid., p. 359 ; en français, p. 171.
  • [59]
    Mannheim, traducteur de Mein Kampf en anglais, choisit de traduire par « plunge into the abyss » (basculent dans l’abîme) ; Mannheim, « Translators Note », doc. cit., p. 327.
  • [60]
    Lanz-Liebenfels, Psalmen Teutsch, op. cit., p. 4. Le terme de « sodomie » chez Lanz-Liebenfels désigne principalement des rapports sexuels entre des hommes et des animaux.
    Par ailleurs, un texte de Charles Tresmontant intitulé « Les origines théosophiques du nazisme » traite des thèmes abordés dans cette phrase et explique, citations de Nietzsche à l’appui, ce que sont les Tschandalas. Il est publié sur le site http://fr.soc.religion.narkive.com/L9PEXjcz/un-texte-de-claude-tresmontant-sur-le-dualisme-nazi-et-ses-origines-theosophiques (consulté le 26 décembre 2017). (N.d.T.)
  • [61]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 97.
    Sur le Lebensborn, voir l’article très détaillé de Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Lebensborn (consulté le 26 décembre 2017). (N.d.T.)
  • [62]
    Lanz-Liebenfels, Theo-Zoologie, op. cit., p. 144.
  • [63]
    Jeu de mots dans l’original.
  • [64]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 275-276 ; en français, p. 131.
  • [65]
    Lanz-Liebenfels, Theo-Zoologie, op. cit., p. 149.
  • [66]
    Ibid., p. 148.
  • [67]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 359 ; en français, p. 171.
  • [68]
    Ibid., p. 314 ; en français, p. 150.
  • [69]
    Ibid., p. 317 ; en français, p. 151.
  • [70]
    Ibid., p. 320 ; en français, p. 152.
  • [71]
    Ibid., p. 272 ; en français, p. 129.
  • [72]
    Ibid., p. 70 ; en français, p. 36.
  • [73]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 61 ; en français, p. 31.
  • [74]
    Ibid., p. 239 ; en français, p. 113.
  • [75]
    Lanz-Liebenfels, Theo-Zoologie, op. cit., p. 8-14.
  • [76]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 334 ; en français, p. 159.
  • [77]
    Ibid., p. 335 ; en français, p. 160.
  • [78]
    Ibid., p. 336 ; en français, p. 160 : « par nature, le Juif ne peut posséder une organisation religieuse, puisqu’il ne connaît aucune forme d’idéalisme […] Sa vie n’est que de ce monde. »
  • [79]
    Loc. cit. ; en français, p. 160.
  • [80]
    Hitler, Mein Kampf, op. cit., p. 325.
  • [81]
    Ibid., p. 336 ; en français, p. 160.
  • [82]
    Ibid., p. 62 ; en français, p. 31.
  • [83]
    Ibid., p 270 ; en français, p. 129.
  • [84]
    Ian Kershaw, Hitler : A Biography, New York, W.W. Norton, 2010, p. 870.
  • [85]
    Ian Kershaw, Hitler, t. 1 : 1889-1936 : Hubris, New York, Penguin, 2000, p. 344.
  • [86]
    Albert Speer, Inside the Third Reich, traduit en anglais par Richard et Clara Winston, New York, MacMillan, 1970, p. 89 ; paru en français sous le titre Au cœur du Troisième Reich, traduit par Michel Brottier, Paris, Fayard et Pluriel, 2010.
  • [87]
    Richard Wagner, Gesammelte Schriften und Dichtungen, vol. III, Leipzig, E. W. Fritzsch, 1872, p. 256.
  • [88]
    Il est regrettable qu’on ne puisse pas en dire davantage sur la façon dont Hitler se percevait en tant qu’artiste, perception qui fait partie intégrante de sa psychologie et qu’il faut prendre en considération lorsqu’on étudie tous les aspects de sa conception du monde. Frederic Spotts, auteur d’un ouvrage en anglais qui fait autorité sur le festival de Bayreuth, propose une réflexion approfondie sur le sujet dans Hitler and the Power of Aesthetics, New York, Overlook, 2009.
  • [89]
    Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism, op. cit., p. 41 ; en français, « List nomma le projet d’un nouveau Carnuntum le “Bayreuth germano-autrichien” et il était évident qu’il prenait modèle sur l’exemple de Richard Wagner. »
  • [90]
    Ainsi, on l’a vu, même l’obsession de Hitler concernant Wagner ne peut être sortie de son contexte de l’Allemagne des Habsbourg, on l’a vu.
  • [91]
    On imagine aisément – et cela a été suggéré – que sa fixation sur l’« hygiène » sociale ou raciale constitue un prolongement – une véritable projection – de sa fixation sur sa propre santé qu’il percevait invariablement comme chancelante. L’ouvrage aujourd’hui quelque peu daté de Robert G. L. Waite, The Psychopathic God : Adolf Hitler (New York, Basic Book, 1977, réédité par Da Capo Press en 1993) effleure le sujet.
  • [92]
    Courant historiographique allemand très en vogue au xixe siècle, désignant la « voie particulière » empruntée par l’Allemagne dans son processus d’unification. (N.d.T.)

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.173

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions