Couverture de RHSHO_207

Article de revue

Henri Minczeles

Pages 450 à 452

1C’était mon copain.

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2Juillet 1942. Convoyé par une employée de l’Assistance publique depuis la gare du Nord, j’arrive au sanatorium Paul-Doumer, dans l’Oise, pour soigner une maladie dont j’ignorais tout et dont je ne savais pas encore qu’elle allait marquer de son empreinte toute ma jeune existence. J’avais 16 ans. J’ai appris dès mon arrivée que j’étais le plus jeune du sana. Quelques semaines après, Pierre Makowski, avec qui je venais de nouer une relation amicale, m’a dit qu’un plus jeune que moi était arrivé. J’ai voulu connaître l’heureux garçon qui m’avait dépouillé de mon auréole. Je me souviens des premières paroles que nous avons échangées.

3Moi : C’est toi le plus jeune ? Tu es né quand ?

4Henri : Juin 1926.

5Moi : Oui, tu es le plus jeune. Et tu t’appelles ?

6Henri : Henri Minczelès.

7Moi : Ah bon, t’es grec ?

8Henri : Non, je suis polonais et (après un instant d’hésitation) juif pour vous servir.

9Cette petite conversation anodine scella une amitié qui a accompagné et enjolivé ma vie pendant 75 ans.

10Pendant l’hiver 1943-1944, toujours en traitement, mais revenus à la vie civile, nous nous promenions souvent dans ce Paris de l’Occupation, l’étoile jaune « cousue solidement » à hauteur du sein gauche. Il avait son brevet élémentaire et moi, uniquement le certificat d’études primaires. J’ai beaucoup appris de lui. J’étais fier de son amitié. Il m’a initié à la littérature, à l’histoire, à la géographie.

11Après la Libération, en novembre 1944, de retour à Paris après avoir évité de justesse l’arrestation, il m’a donné rendez-vous au siège du Bund, 110 rue Vieille du Temple. Là, j’ai fais la connaissance de garçons et de filles qui, ayant pour la plupart perdu tout ou partie de leur famille, éprouvaient le besoin de se réunir, de parler et parler encore des « événements ». Avec eux s’est créée spontanément, naturellement, une nouvelle famille, un substitut de celles qui avaient disparu dans la tourmente.

12De jours en jours, notre amitié à Henri et à moi, s’est fortifiée. Nous nous construisions ensemble, suivant les mêmes cours du soir, pour finalement entreprendre ensemble des cours de comptabilité par correspondance. Il est devenu comptable, mais sa véritable vocation était ailleurs. Il est entré au Centre de formation des journalistes, dont il est sorti diplômé. C’était là sa véritable vocation.

13À tous les événements importants de son existence, mariage, naissance des enfants, anniversaires, réveillons, voyages, j’étais à ses côtés, et il en en était de même en ce qui me concernait. Nous avions pris l’habitude, dans les années 1970, de partir tous les deux, seuls, à Juan-les-Pins, pour une escapade d’une semaine. De même, à Paris, nous nous donnions rendez-vous à la Porte Dorée pour faire ensemble plusieurs tours du lac et pour parler, parler encore de tout et de n’importe quoi. Nous étions heureux ensemble, tous les deux.

14Je ne dirai que quelques mots sur sa carrière d’historien et d’écrivain. D’autres le feront, mais dans toute son ascension qui débuta à l’âge de la retraite, et malgré sa fécondité historico-littéraire exceptionnelle et les nombreux prix qui lui ont été attribués, jusqu’à celui du Bnaï- Brith, décerné à Jérusalem, en présence du ministre Yitzhak Rabin, il est resté pour moi l’ami, le copain, le confident, le frère. Son absence sera difficile à assumer, pour sa femme, ses enfants, ses amis.

15Adieu Henri, mais peut-être n’est-ce qu’un au revoir…

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