Couverture de RHSHO_206

Article de revue

3. Primo Levi et le difficile rapport avec la population italienne

Pages 63 à 83

Notes

  • [1]
    Docteur en lettres, Elisabetta Ruffini s’est intéressée pour sa thèse à Primo Levi, Charlotte Delbo et la mémoire de la déportation en Italie et en France. Depuis 2009, elle dirige l’Institut de la Résistance de Bergame. Elle a publié divers articles et quelques livres, notamment, avec Marzia Luppi, Immagini dal silenzio, Luoghi, Il Memorial italiano di Auschwitz (Images du silence. Les lieux, le mémorial italien d’Auschwitz), 2005. Elle est également commissaire de l’exposition itinérante Charlotte Delbo. Une mémoire mille voix, organisé par l’Institut de la Résistance de Bergame en collaboration avec le CHRD de Lyon, la BNF et l’ACD.
  • [2]
    Primo Levi, « Le système périodique », in Primo Levi, Œuvres, Paris, Robert Laffont, 2007, p. 413.
  • [3]
    Voir l’interview de Primo Levi par Giorgio De Rienzo, publiée in Famiglia Cristiana (Famille chrétienne), 20 juillet 1975, p. 40.
  • [4]
    Ibid., p. 41.
  • [5]
    Primo Levi, « Le système périodique », op. cit., p. 414.
  • [6]
    Idem.
  • [7]
    Voir Primo Levi, Si c’est un homme : Appendice à l’édition scolaire, publiée pour la première fois en 1976, reprise dans Primo Levi, Œuvres, op. cit., p. 136.
  • [8]
    Voir Famiglia Cristiana, p. 41.
  • [9]
    Voir l’interview de Primo Levi par C. Paladini au théâtre Rossini de Pesaro en 1986 publiée in Paolo Sorcinelli (éd.), Lavoro, criminalità, alienazione mentale (Travail, criminalité, aliénation mentale), Ancône, Il Lavoro Editoriale, 1987, p. 148-149.
  • [10]
    Famiglia Cristiana, p. 41.
  • [11]
    Renzo Zorzi, « Insieme alla De Silva e oltre » (Ensemble chez De Silva et après) in Franco Antonicelli : dell’impegno culturale (Franco Antonicelli : de l’emploi culturel), province de Pavie, 1995, p. 58.
  • [12]
    Ibid. Zorzi affirme avoir choisi le titre de son livre alors que Levi, à diverses occasions, a soutenu que la décision venait du directeur Antonicelli.
  • [13]
    La recension parue en juillet 1947 dans L’Italia che scrive (L’Italie qui écrit) est citée par Marco Belpoliti in « Note ai testi. Se questo è un uomo », op. cit., t. I, p. 1384.
  • [14]
    Voir Renzo Zorzi, « Insieme alla De Silva e oltre », op. cit, p. 58.
  • [15]
    On retrouve la couverture de l’édition de Francesco De Silva in Alberto Cavaglion, Primo Levi e Se questo è un uomo (Primo Levi et Si c’est un homme), Turin, Loescher Editore, 1993, p. 6. Le dessin de Goya est un des croquis préparatoires pour les gravures Désastres de guerre.
  • [16]
    Ibid., p. 5.
  • [17]
    Le texte est à la fois cité in Marco Belpoliti, « Note ai testi. Se questo è un uomo », op. cit., t. I, p. 1385, et in Alberto Cavaglion, Primo Levi e Se questo è un uomo, op. cit. p. 5. On retrouve l’image de la dernière page du dépliant dans le livre de Cavaglion, p. 7.
  • [18]
    Primo Levi, « Il Sistema periodico » (Le système périodique) in Opere, op. cit., t. I, p. 897.
  • [19]
    Interview de Primo Levi par Rita Caccamo De Luca et Manuela Olagnero in Mondoperaio (Monde ouvrier), n° 3, 1984, p. 155.
  • [20]
    Cavaglion, Primo Levi e Se questo è un uomo, op. cit., p. 57.
  • [21]
    Ibid.
  • [22]
    Arrigo Cajumi, « Immagini indimenticabili » (Images inoubliables), La Stampa, 26 novembre 1947. L’article est cité in Ernesto Ferrero, « La fortuna critica » (La chance critique), in Ernesto Ferrero (éd.), Primo Levi : un’antologia della critica (Primo Levi : une anthologie de la critique), Turin, Einaudi, 1997, p. 303-305.
  • [23]
    Italo Calvino, « Un libro sui campi della morte. Se questo è un uomo » (Un livre sur les camps de la mort. Si c’est un homme), L’Unità, 6 mai 1948. Cet article est également cité in Ferrero, « La fortuna critica », art. cit., p. 306-307.
  • [24]
    Cavaglion, Primo Levi e Se questo è un uomo, op. cit., p. 59. Il est toutefois important de présenter le personnage de Cases : germaniste, milanais et juif, il était connu comme l’un des porte-parole les plus polémiques de la bourgeoisie juive, et pas seulement milanaise. Si son article aurait donc consenti à rompre le silence, il aurait aussi, dans une certaine mesure, contribué à le renforcer.
  • [25]
    Cesare Cases, « Levi racconta l’assurdo » (Levi raconte l’absurde), Bolletino della Comunità Israelitica di Milano (Bulletin de la communauté israélite de Milan), mai-juin 1948. Cet article est également cité in Ferrero, « La fortuna critica », op. cit., p. 308.
  • [26]
    Sorcinelli (éd.), Lavoro, criminalità, alienazione mentale, op. cit., p. 149.
  • [27]
    Ibid.
  • [28]
    Lidia Rolfi-Beccaria, « Testimonianza » (Témoignage), in Primo Levi et Alberto Cavaglion (éd.), Primo Levi per l’Aned, l’Aned per Primo Levi, Milan, Franco Angeli, 1997, p. 99.
  • [29]
    Voir entre autres, Mondoperaio, art. cit., p. 155.
  • [30]
    Belpoliti, « Note ai testi. Se questo è un uomo », op. cit., t. I, p. 1387.
  • [31]
    Primo Levi, Les Naufragés et les Rescapés, Paris, Gallimard, 1989, p. 164.
  • [32]
    Primo Levi, « Il tempo delle svastiche » (Le temps des croix gammées), Il Giornale dei genitori (Le Journal des parents), janvier 1960, reproduit in Levi, Opere, op. cit., t. I, p. 1222-1223.
  • [33]
    Tous les documents cités ici pour reconstruire l’histoire de cette exposition sont déposés aux archives de l’Institut historique de Modène. Une exposition a été montée sur ce sujet, accompagnée d’un catalogue : Marzia Luppi et Elisabetta Ruffini (dir.), Immagini dal silenzio (Images du silence), Carpi, Nuovagrafica, 2005.
  • [34]
    Une description précise de l’exposition est donnée par La Stampa (17 novembre 1959) et La Gazzetta del Popolo (18 novembre 1959).
  • [35]
    Voir la brochure Associazione Nazionale Ex Deportati Politici nei Campi Nazisti (Association nationale des anciens déportés politiques dans les camps nazis) dont la couverture est illustrée par un dessin d’Albe Steiner : l’arbre qui deviendra symbole de l’association.
  • [36]
    Marziano Bernardi, « Mai più un dolore come questo ritorno nella storia dell’uomo » (« Plus jamais une douleur comme ce retour dans l’histoire de l’homme »), La Stampa, 17 novembre 1959.
  • [37]
    Voir les lettres échangées entre Ennio Pacchioni et Marziano Bernardi qui sont conservées à l’Institut de la Résistance de Modène.
  • [38]
    « I giovani e la deportazione » (Les jeunes et la déportation), La Stampa, 3 décembre 1959 : cet article résume le contenu du très grand nombre de lettres arrivées au siège de l’Aned (cent lettres), auxquelles viennent s’ajouter celles adressées au siège du quotidien.
  • [39]
    La lettre de Primo Levi a été publiée dans La Stampa, à la rubrique « Lo Specchio dei tempi », le 3 décembre 1959. Cette lettre n’a jamais été publiée ni dans les œuvres complètes de Levi, ni dans d’autres recueils de l’auteur. Retrouvée en 2005, elle a été republiée pour la première fois in Elisabetta Ruffini, Il testimone e la ragazzina. Un lapsus di Primo Levi (Le témoin et la petite fille. Un lapsus de Primo Levi), Bergame, Assesorato alla Cultura/Istituto bergamasco per la storia della Resistenza e dell’eta contemporanea, Bergamo, 2006.
  • [40]
    La Stampa, 3 décembre 1959.
  • [41]
    Idem.
  • [42]
    La Stampa, 5 décembre 1959. Un exemplaire de ces cartes postales est conservé dans les archives de l’Institut historique de Modène.
  • [43]
    Ils ont été 1 300 à la première rencontre, le 4 décembre, et 1 500 le jour suivant. La Stampa, 5 et 6 décembre 1959.
  • [44]
    Idem.
  • [45]
    La Stampa, 5 et 6 décembre 1959.
  • [46]
    Lidia Rolfi-Beccaria, « Testimonianza », art. cit., p. 99-100. Lidia Rolfi-Beccaria date ces rencontres de 1958, mais en réalité elles ont eu lieu un an plus tard, à l’occasion du deuxième congrès national de l’Aned.
  • [47]
    La Stampa, 5 décembre 1959.
  • [48]
    La Stampa, 3 décembre 1959.
  • [49]
    La Stampa, 5 et 6 décembre 1959.
  • [50]
    Voir l’interview à plusieurs voix de Primo Levi, « Come ho pubblicato il mio primo libro » (Comment j’ai publié mon premier livre) avec Nico Orengo, Tuttolibri, 1er juin 1985 ; Mondoperaio, art. cit., p. 156 ; Sorcinelli (éd.), Lavoro, criminalità, alienazione mentale, op. cit., p. 149-150.
  • [51]
    Voir la conférence de Primo Levi à Berne en novembre 1976 parue in Gabriella Poli, Primo Levi et Giorgio Calcagno, Echi di una voce perduta (Échos d’une voix perdue), Milan, Mursia, 1992, p. 40.
  • [52]
    Luciana Nissim citée par Carlo Saletti in « Après Primo Levi », in Philippe Mesnard (éd.), Consciences de la Shoah : critique des discours et des représentations, Paris, Kimé, 2000, p. 156.
  • [53]
    Primo Levi, « Introduzione all’edizione scolastica di La Tregua » (Introduction à l’édition scolaire de La Trêve), in Levi, Opere, op. cit., t. I, p. 1144-1145.
  • [54]
    Voir l’interview de Primo Levi par Pier Mario Paoletti publiée in Primo Levi, Conversations et entretiens, Paris, Robert Laffont, 1998, p. 106.
  • [55]
    Ibid. Ce recueil a été édité par Marco Belpoliti à l’occasion du dixième anniversaire de la mort de Levi en 1997.
  • [56]
    Alberto Cavaglion, actes du colloque Primo Levi. La civiltà della memoria (Primo Levi. La civilisation de la mémoire), Orbassano, 29 octobre 1997, in I quaderni di Orbassano, 1997.
  • [57]
    Voir l’interview de Primo Levi, in Levi, Conversations et entretiens, op. cit., p. 108.
  • [58]
    Voir l’interview de Primo Levi par Germaine Greer, in Levi, Conversations et entretiens, op. cit., p. 82.
  • [59]
    Voir la conférence de Primo Levi « Lo scrittore, non scrittore », à Turin en 1976, in Levi, Opere, op. cit., t. I, p. 1204.
  • [60]
    Primo Levi, « L’altrui mestiere » (Le métier d’autrui), in Levi, Opere, op. cit., t. II, p. 631.
  • [61]
    Primo Levi, « Le système périodique », art. cit., p. 344.
  • [62]
    Levi, Conversazioni e interviste, op. cit., Turin, Einaudi, 1997, p. 88. L’interview n’apparaît pas dans la traduction française.
  • [63]
    Ibid., p. 86.
  • [64]
    Voir l’interview de Primo Levi par M. Spada, in Levi, Conversations et entretiens, op. cit., p. 251.
  • [65]
    Voir l’interview de Primo Levi par Silvia Giacomoni, in ibid., p. 118.
  • [66]
    Voir l’interview de Primo Levi par Roberto di Caro, ibid., p. 203.
  • [67]
    Racconti e Saggi (Récits et essais), qui réunit quinze récits et vingt essais, est le dernier livre de Levi publié en 1986, peu avant sa mort. Le volume fait partie d’une colonne dénommée « Terza pagine » (Troisième page) qui recueille des articles des collaborateurs les plus connus du quotidien turinois La Stampa. Il s’agit ici d’un extrait de la préface de Levi à la première édition de 1986.
  • [68]
    Voir l’interview de Primo Levi par Silvia Giacomoni, art. cit., p. 124.
  • [69]
    Ibid., p. 121.
  • [70]
    Scenario (présentation du mémorial aux autorités polonaises) in Archives de l’Aned, fonds Mémorial Auschwitz, Milan, Fondazione Memoria della Deportazione.
  • [71]
    Voir l’interview de Primo Levi par Giorgio Calcagno, in Levi, Conversations et entretiens, op. cit., p. 143-144.
  • [72]
    Giovanni Raboni, « Quando è scomodo il buon senso » (Quand le bon sens dérange), L’Unità, 3 septembre 1986.
  • [73]
    Pour plus de détails voir, entre autres, l’interview de Primo Levi par F. Colombo à l’occasion du prix Bergamo, premier prix littéraire que reçut le livre en avril 1978, in L’Eco di Bergamo, 9 octobre 1978.
  • [74]
    Primo Levi, Opere II : i romanzi e le poesie (Œuvres II : les romans et les poésies), Turin, Einaudi, 1988 et Opere III : racconti e saggi (Œuvres III : romans et essais), Turin, Einaudi, 1999. Le premier tome, publié en 1987 après la mort de Levi, comprenait une introduction de Cesare Cases.

1Depuis toujours, les rapports unissant Primo Levi aux Italiens et à la communauté juive relèvent d’un devoir de mémoire comme responsabilité collective à l’égard du passé, dans le but de forger une identité nationale. Partisan du mouvement antifasciste Giustizia e Libertà (Justice et Liberté), il est arrêté par la milice du régime en 1943, puis envoyé dans le camp d’internement des Juifs de Fossoli, avant d’être déporté à Auschwitz en février 1944. Survivant de la Shoah, Primo Levi retourne vivre à Turin après la guerre. Pendant près de quarante ans, il a raconté aux Italiens son expérience du Lager, avant de se donner la mort en 1987.

2Dans le cadre de cette contribution, il s’agit dans un premier temps de reconstruire l’histoire de la sortie du livre Si c’est un homme, paradigmatique de l’après-guerre italien, afin d’évaluer les enjeux de mémoire et d’oubli qui investissent l’espace public à travers la narration de la déportation.

3Dans un second temps, il sera question de croiser la reconnaissance de l’écrivain-Levi et la place accordée au témoin-Levi, afin de saisir le dialogue qui se tisse entre lui et les Italiens, et ce malgré sa vie solitaire de survivant face à la superficialité d’une société portée à oublier son passé.

4Enfin, il s’agira de mesurer les risques implicites du rôle de Levi, accrédité comme témoin par la société italienne, et son effort constant de rester un « homme de bonne mémoire ».

L’histoire de la publication de Si c’est un homme

5Si l’on connaît l’histoire de la publication de Si c’est un homme, il convient de revenir sur la place accordée au récit de la déportation dans l’Italie de l’après-guerre.

6Comme beaucoup d’anciens déportés, Primo Levi se trouva très tôt en proie au besoin irrépressible de raconter son expérience du Lager, tel un « vieux marin de Coleridge qui saisit par la manche, dans la rue, les gens conviés à des noces pour leur infliger son histoire de malédiction [2] ».

7À son retour du camp, il s’efforce d’attirer l’attention sur son histoire, la racontant aux personnes rencontrées dans les trains, dans les trams [3], pris de « vertige » entre le besoin de raconter et le manque de sollicitude d’une Italie engagée à se reconstruire après la guerre [4].

8La rédaction des premiers écrits de Levi remonte à l’époque où il travaillait pour l’usine d’Avigliana (propriété de Montecatini) qui l’avait engagé comme chimiste en janvier 1946 :

9

Personne ne s’occupait beaucoup de moi ; collègues, directeurs et ouvriers avaient autre chose à penser ; au fils qui ne revenait pas de Russie, au poêle sans bois, aux chaussures sans semelles, aux magasins sans approvisionnement, aux fenêtres sans vitres, au gel qui fendait les canalisations, à l’inflation, à la disette et aux virulentes querelles locales. On m’avait, d’un air bienveillant, concédé une table boiteuse au laboratoire, dans un recoin plein de bruit, de courants d’air et de gens qui allaient et venaient, portant des chiffons et des bidons. Aucune tâche définitive ne m’avait été assignée ; moi, chimiste vacant et en plein état d’aliénation (mais cela ne s’appelait pas encore ainsi), j’écrivais des pages et des pages de souvenirs qui m’empoisonnaient, mes collègues me regardant du coin de l’œil comme un déséquilibré inoffensif [5].

10Levi vécut le passage du désir frénétique de parler à l’écriture sans solution de continuité : « Je racontais comme pris de vertige de vive voix et par écrit, si bien que peu à peu, il allait en naître un livre [6]. » Il ne s’agit pas ici de raconter dans le détail la genèse de Si c’est un homme, mais plutôt de mettre l’accent sur l’urgence pour Levi et les autres survivants de communiquer : comme la parole, l’écriture naît d’un besoin presque impossible à maîtriser, qui pousse le témoin à arracher les mots au silence afin de partager avec les autres l’expérience vécue. Mais si personne ne peut empêcher le survivant de développer sa narration, personne ne lui prête attention.

Primo Levi au « Saccarello » de Superga, Italie, vers 1942-1943

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Primo Levi au « Saccarello » de Superga, Italie, vers 1942-1943

Archives de la Fondation CDEC de Milan, fond Anna Maria Levi, Inv. 363-006.

Primo Levi à la montage, dans les hauteurs de Cogne, Italie, juin 1943

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Primo Levi à la montage, dans les hauteurs de Cogne, Italie, juin 1943

Archives de la Fondation CDEC de Milan, Fonds Anna Maria Levi, inv. 363-017.

11Ce manque d’intérêt que rencontre Levi dans le microcosme particulier de l’usine d’Avigliana – d’où probablement sortit le texte dactylographié – se répète au moment de la recherche d’un éditeur, puis à la sortie de Si c’est un homme en 1947, dans le macrocosme plus vaste et plus complexe de la société italienne.

12Comme beaucoup de rescapés qui ont écrit après la guerre, non seulement Levi n’est pas un homme de lettres, mais, qui plus est, il n’a aucun lien avec le monde de l’édition, ce qui lui rend plus compliquée encore la tâche de trouver un éditeur.

13Quand il termine la rédaction de son manuscrit à la fin de l’année 1946, il le propose à plusieurs maisons prestigieuses [7], dont la plus célèbre, Einaudi de Turin, mais sans succès. Trente ans plus tard, il expliquait ce refus par le manque d’intérêt dans l’Italie de l’après-guerre, pour les récits des anciens déportés [8]. En 1986, il ajoutait :

14

[À] la fin de l’année 1946, […] Natalia Ginzburg, aujourd’hui une très bonne amie, avait refusé de le publier lorsqu’elle était rédactrice chez Einaudi. Veuve de Leone Ginzburg, Natalia sortait à peine d’une période éprouvante. De fait, je comprends bien son refus qui s’inscrivait par ailleurs dans un sentiment collectif. À cette époque, les gens avaient d’autres préoccupations, comme construire des maisons et trouver du travail. Sans compter le rationnement, les villes en ruines, l’occupation des Alliés en Italie. Les gens n’avaient pas envie de cela, mais d’autres choses, comme danser, faire la fête, mettre au monde des enfants [9].

15Comme la plupart des témoignages de cette période, le texte de Levi fut publié par « une petite maison d’édition [10] » : la Francesco De Silva. Fondée en 1942 à Turin, elle était dirigée par un antifasciste notoire, Franco Antonicelli. Renzo Zorzi, jeune rédacteur à l’époque, se souvient d’un quatre-pièces situé au-dessus de la librairie de la rue Viotti, à deux pas de la place San Carlo, en plein cœur de la ville [11].

16Arrêté par les Allemands fin 1943, Antonicelli ne reprend sa fonction de directeur qu’à la fin de la guerre. En 1947, Alessandro Galante Garrone, une autre figure notable de l’antifascisme turinois, lui propose de publier le texte de Levi qui n’a pas encore de titre définitif. Alors que l’auteur hésitait entre I sommersi e i salvati (Les Naufragés et les Rescapés) et Sul fondo (Sur le fond), Zorzi aurait proposé Se questo è un uomo (Si c’est un homme) [12], en référence au poème figurant en préambule.

17Poussé par l’enthousiasme de publier Si c’est un homme, Antonicelli fait paraître une publicité dans la revue littéraire L’Italia che scrive (L’Italie qui écrit) en juillet 1947 :

18

Se questo è un uomo (Si c’est un homme) de Primo Levi est une œuvre exceptionnelle, peut-être la plus importante de l’après-guerre, aux côtés du livre notoire, bien que différent, Cristo si è fermato a Eboli (Le Christ s’est arrêté à Eboli). C’est de la mémoire. C’est un document. C’est une œuvre d’art. On voit de plus en plus en Italie des histoires d’hommes qui ne sont pas des professionnels de la littérature, et Primo Levi en prend la tête [13].

19Quelques semaines plus tard, en octobre 1947, le livre sort en librairie dans la collection politique « Leone Ginzburg » [14]. Sur la couverture, un dessin de Goya montrant un homme, le visage au sol dans une mare de sang, les jambes et les bras grands ouverts, tranche entre le titre et le nom de l’auteur [15]. Il est accompagné d’un dépliant de quatre pages, comprenant une présentation anonyme de l’œuvre de Levi, vraisemblablement rédigée par Antonicelli [16]. Non seulement le directeur de la maison d’édition réaffirmait son enthousiasme pour le livre, mais il souhaitait surtout attirer l’attention des lecteurs sur le travail d’écriture remarquable fourni par l’auteur :

20

Ce livre est la révélation d’un écrivain nouveau. Levi a construit cette narration avec la simplicité qui est propre à celui qui a conformé le souvenir à la mesure de la réalité endurée. Néanmoins, son témoignage arrive à être celui d’un homme et d’un homme de lettres. Aucun livre, parmi ceux qui ont été publiés dans le monde entier sur ces tragiques expériences, n’a jamais atteint la valeur artistique de celui que la maison d’édition De Silva a publié [17].

21En prêtant une oreille attentive au travail de mémoire de Levi, Antonicelli prend la mesure de la force des mots et du langage pour faire partager et raconter aux autres l’expérience vécue.

22Pourtant, c’est avec une certaine mélancolie que Levi se remémore la sortie de Si c’est un homme en 1947. Il évoque sa déception dans un passage du Système périodique, où il se pose en « auteur découragé par un livre que je trouvais beau, mais que personne ne lisait [18] ». Il affirme d’ailleurs, à diverses reprises, que cette première édition de Si c’est un homme est « née presque morte [19] ».

23L’accueil de la critique fut certes chaleureux mais conventionnel. À juste titre, l’historien Alberto Cavaglion souligne le caractère « affectueux mais embarrassé » des articles parus à la sortie de la première édition de Si c’est un homme, qui se contentaient de dénoncer avec horreur les événements racontés, sans véritablement juger l’œuvre en tant que telle [20]. Trois articles font cependant exception.

24Le premier est publié dans La Stampa le 26 novembre 1947, sous le titre Immagini indimenticabili (Images inoubliables). Son auteur, Arrigo Cajumi, se présente comme le précurseur d’une dynastie de lecteurs de Levi partageant son refus de toute convention et rhétorique [21]. D’un côté, Cajumi met en avant la clarté et la concision du style de Levi, comparant l’écrivain à un « peintre splendide, sans ombre de rhétorique ou de déclamation ». De l’autre, il relève que les mots et les sentiments guident cette œuvre qui pivote autour d’une question centrale : « celle de l’homme qui vit sous l’arbitrage de l’homme dans le monde moderne [22] ». L’article se termine par une comparaison avec le livre d’Italo Calvino, Il sentiero dei nidi di ragno (Le sentier des nids d’araignée). Poussé probablement à la critique, ce dernier rédige un article paru dans L’Unità (L’Unité) le 6 mai 1948, dans lequel il exalte la capacité narrative de Levi de témoigner de l’expérience véritable des camps, un exercice d’écriture particulièrement difficile, voire impossible. Calvino conclut que Si c’est un homme « n’est pas seulement un témoignage très efficace, mais possède avant tout une véritable puissance narrative, qui en font une des plus belles œuvres de la littérature de la Seconde Guerre mondiale [23] ».

25Quelques jours plus tard, c’est au tour de Cesare Cases de prendre la parole dans le Bollettino della Comunità Israelitica di Milano (Bulletin de la communauté israélite de Milan), rompant avec le silence paradoxal de la communauté juive de la Péninsule [24]. Dans son article « Levi racconta l’assurdo » (« Levi raconte l’absurde »), Cases considère le besoin de Levi de communiquer avec les autres, évoqué dans sa préface, comme la clef de la réussite de son œuvre. Il affirme que Levi « est parvenu à témoigner de l’inhumain avec des mots humains, à ramener le domaine de la mort dans le monde des vivants ». Comparant Si c’est un homme à une œuvre d’art, il soutient que l’auteur a réussi à sonder sans compromis la vie dans les camps, si bien que « pour la première fois, on commence à découvrir ce que c’était, et non pas seulement à imaginer [25] ».

26Mais d’une manière générale, force est de constater que la première édition de Si c’est un homme n’a pas été encensée par la critique. Cela n’a pas affecté Levi, qui se présente pourtant dans les années 1980 comme un « auteur découragé » à l’époque, non pas à cause des commentaires (positifs par ailleurs), mais du grand nombre d’invendus [26] ; mille exemplaires sur les deux mille cinq cents publiés par Francesco De Silva qui ont disparu après la faillite de la maison d’édition dans l’inondation de Florence. Ainsi, Levi déclare en 1987 que « mille cinq cents copies ont été vendues, soit un total de trois mille lecteurs (car un livre est lu au moins par deux personnes) ; trois mille personnes ont donc lu à l’époque la première édition [27] ».

27Le découragement et la frustration de Levi en 1947 sont donc liés au manque d’intérêt du public. Comme il le dit à plusieurs reprises, cette première édition « naît presque morte », car elle n’a pas permis d’amorcer un dialogue avec les lecteurs. Alors que son intention était de former une conscience collective sur une histoire commune, qui ne concernait pas seulement la minorité de rescapés revenus des camps en « hommes libres », les premiers exemplaires de Si c’est un homme ont été achetés par les anciens détenus des camps et non par « les autres », comme le souligne une ancienne déportée piémontaise, Lidia Rolfi-Beccaria [28]. Ainsi les mots de Levi tombaient-ils dans l’oubli d’une société indifférente à son histoire, plongeant l’auteur dans une profonde mélancolie.

28Démoralisé, Levi abandonne l’idée d’écrire et reprend son métier de chimiste. À l’époque, il considère le travail d’écrivain comme une douce « utopie impossible à réaliser [29] ». Il ne renonce cependant pas à son rêve de faire éditer son livre chez Einaudi. Au début des années 1950, il est employé par la célèbre maison d’édition comme traducteur de livres scientifiques. Lors d’une réunion du Conseil éditorial, le 16 juillet 1952, Paolo Boringhieri propose de rééditer Si c’est un homme. Levi devra cependant attendre encore plusieurs années [30] avant que son œuvre, « après 10 ans de “mort apparente” […] ne revienne à la vie [31] ». Après la signature de son contrat chez Einaudi en 1955, le livre sort en 1958. Commence alors une seconde vie de Si c’est un homme qui consacre Levi porte-parole italien de la déportation.

Le dialogue malgré tout

29À notre époque de fracas et de papier, pleine de propagande ouverte et de suggestions, de rhétorique automatique, de compromis, de scandales et de lassitude, la voix de la vérité, loin de se perdre, acquiert un timbre nouveau, une importance plus évidente. Cela semble trop beau pour être vrai, mais c’est ainsi : la dévalorisation de la parole, écrite et dite, n’est pas définitive, n’est pas totale, quelque chose s’est sauvé. Même s’il apparaît étrange, y compris de nos jours, que celui qui dit la vérité suscite l’attention et soit cru [32].

30Ce texte de Levi fut publié dans Il Giornale dei Genitori, une revue fondée par Ada Gobetti et destinée à la jeunesse, au début des années 1960, une période marquée par deux événements majeurs : un retour du fascisme en Italie qui s’accompagne de croix gammées et d’inscriptions antisémites sur les murs de plusieurs villes (grandes et petites) ; surtout, pour la première fois, dans le sillage de la première Exposition nationale sur les camps nazis, des rencontres entre les jeunes générations et les anciens déportés sont organisées à Turin les 4 et 5 décembre 1959.

31À cette occasion, Levi est appelé à jouer un rôle majeur. Quatre ans plus tôt, il signe un contrat chez Einaudi. La même année, l’Italie célèbre le dixième anniversaire de la Libération. En septembre 1955, d’anciens déportés et plusieurs familles des victimes du camp de Fossoli – où Levi a été envoyé avant son départ pour Auschwitz – déposent une requête auprès du maire de Carpi (Modène), Bruno Losi : organiser une manifestation pour rappeler dignement la souffrance des déportés du camp. Prenant la tête de l’initiative, Losi mesure rapidement l’importance de l’enjeu de cette manifestation l’année de l’anniversaire de la libération de l’Italie, mais aussi de la libération des camps, en particulier celui de Fossoli, « le seul véritable camp de concentration en Italie » ; un lieu hautement symbolique, écrit-il dans sa présentation du projet, propice « à constituer un lien spirituel avec les sacrifiés et les morts italiens des camps d’extermination [33] ». C’est donc dans le cadre de la célébration de la Libération italienne que surgit l’histoire des déportés. La « Célébration nationale de la Résistance dans les camps » se tient à Fossoli les 8 et 9 décembre – le 8 décembre étant l’anniversaire de la remise de la médaille d’or de la Valeur militaire à la ville de Modène pour sa participation à la Résistance.

32Il n’est pas question ici de reconstituer dans le détail l’organisation de cette manifestation, mais plutôt de présenter les objectifs de ses promoteurs. Conscients de se trouver dans une situation d’absence de mémoire collective sur ces questions, ces derniers souhaitent un engagement total du pays, et faire du camp de Fossoli un lieu de mémoire nationale. Surtout, cette manifestation a pour objectif d’ouvrir la voie à tout un travail de mémoire, à travers l’organisation d’une exposition des camps et d’une publication spécifique à celui de Fossoli. Si nous ne disposons aujourd’hui d’aucune trace de cette publication, probablement restée à l’état de projet, l’exposition montée à Carpi à côté du camp de Fossoli a marqué un tournant dans le panorama mémoriel de la déportation et de l’univers concentrationnaire en Italie.

33Ainsi la première Exposition nationale sur les Lager nazis, qui s’est tenue sous les arcades du palais des Pio à Carpi, a permis de mettre en lumière en Italie la spécificité complexe de l’univers concentrationnaire à travers l’image de la déportation. Dans le panorama mémoriel de l’époque, la Célébration de la Résistance dans les camps contribuait à inscrire la déportation dans le sillage de la Résistance, comme sacrifice extrême dans la lutte pour la libération du pays. Mais cette conception de mémorisation du passé n’est pas partagée par les organisateurs, qui ne ménagent qu’une petite place, en ouverture de l’exposition, aux photographies de la Résistance, au profit des images des camps.

34Cédée à l’Institut historique de Modène, l’exposition a fait le tour de l’Italie. Dans chaque collectivité territoriale, elle a suscité une participation massive du public qui découvre des documents oubliés. À l’occasion du deuxième congrès de l’Association nationale des ex-déportés (Aned), l’exposition arrive à Turin en novembre 1959 [34]. Elle est montée au rez-de-chaussée du palais Carignano, dans les salles de l’Union culturelle, enrichie par l’Aned de quelques « reliques » (trois vêtements de bagnards, une gamelle, une cuillère) pour témoigner de la faim, du froid et de l’outrage [35].

35C’est la première fois que dans la ville de Turin, une exposition est intégralement consacrée à la déportation, la collectivité découvrant cette histoire dans sa réalité spécifique.

36Dès les premiers jours, l’exposition remporte un vif succès : face à l’afflux des visiteurs, les organisateurs décident de prolonger les horaires d’ouverture, puis, à deux reprises, sa date de clôture.

37

Les gens se pressent en silence et fixent longuement les scènes épouvantables. Ils lisent attentivement les légendes qui inévitablement répètent à l’unisson la même douleur. Dans l’espace petit et étouffant, personne n’est distrait [36].

38Au milieu de cette foule silencieuse, beaucoup de jeunes sont présents, bien que les écoles n’aient pas organisé de visites [37]. Parmi eux, une fillette, qui comme beaucoup de ses camarades, est allée voir l’exposition à trois reprises. Elle est effrayée. À l’école, elle en parle avec ses camarades. Tous incrédules, ils sont angoissés par les mêmes questions. Pendant la récréation, à la fin des cours, les jeunes discutent entre eux, ressassent les discours qui agitent la société. Certains doutent de la véracité des photos exposées, fruit d’une propagande anti-allemande. D’autres, en revanche, disent que tout est vrai. Les jeunes interrogent les professeurs qui ne sont pas enclins à la discussion. Entre deux soupirs, ils se contentent de répondre à leurs élèves : « Malheureusement ! ». Mais cela ne suffit pas à apaiser l’angoisse de la fillette qui écrit au journal de la ville pour connaître la vérité. Sa lettre, publiée le 29 novembre dans La Stampa à la rubrique « Lo Specchio dei tempi », est signée « la fille d’un fasciste qui voudrait savoir la vérité ».

39Cette lettre bouleverse la génération des adultes. Dans les jours qui suivent, La Stampa et l’Aned reçoivent une centaine de courriers, exprimant à l’unisson, avec étonnement et horreur, le terrible constat que « l’histoire d’hier », « les faits arrivés en plein cœur de l’Europe » étaient déjà tombés dans l’ignorance la plus totale [38].

40Deux semaines plus tard, La Stampa publie une lettre de Levi, signée au nom de l’Aned, qui n’est pas étonné de l’ignorance de la fillette [39]. Dans sa réponse, il exprime toute sa gratitude de survivant à cette « lectrice qui veut savoir la vérité » sur une histoire tombée dans l’oubli pendant quatorze ans : « Sa lettre est celle que nous attendions. » Pour Levi, c’est toute une génération de jeunes qui appelle les anciens déportés à prendre la parole pour témoigner. Dans le sillage et l’esprit de la réponse de Levi, l’association décide d’organiser deux rencontres, les 4 et 5 décembre. Pour s’assurer de la participation de ces jeunes « qui désirent connaître la vérité [40] », l’Aned distribue des invitations dans les écoles et associations étudiantes de la ville. En outre, elle fait appel à des hommes de la Résistance, en leur demandant de faire preuve de patience et de disponibilité envers ces jeunes, « pour répondre à toutes leurs questions sur la déportation, son origine, ses causes, ses conséquences [41] ».

41Intitulées à juste titre « Entretiens avec les jeunes », ces rencontres sont organisées en fonction des questions posées par les jeunes, rédigées sur des cartes postales distribuées à l’entrée [42]. Le débat se transforme en un dialogue intergénérationnel, car en les obligeant à participer activement aux rencontres, ils donnent la possibilité aux anciens déportés de témoigner, et par la même occasion, de les écouter comme des témoins fiables.

42La réaction de ces jeunes est surprenante. Rien ne les dissuade de participer en masse, ni la pluie battante, ni les tracts distribués par les néofascistes à l’entrée du palais Carignano [43]. Certes, leurs questions sont révélatrices d’une « mince connaissance de la tragédie épouvantable qui secoua le monde civil de 1939 jusqu’à 1945 [44] ». Néanmoins, leur attention et participation active au débat démontrent que les témoins et leurs histoires ont réussi à éveiller chez eux un « vif intérêt ».

43Entouré de ses camarades, Primo Levi répond aux questions. Il est le premier à prendre la parole le 4 décembre, dressant un bilan général des victimes et des survivants de la déportation. Le jour suivant, il compare la narration de son expérience à celle des autres survivants des camps, afin de mettre en avant la spécificité de l’univers concentrationnaire [45]. Nous ignorons si Primo Levi prend la parole en public pour la première fois le 4 décembre 1959, mais un journaliste de La Stampa décrit un Levi touché par l’« émotion ».

44Lidia Rolfi-Beccaria se souvient très bien de ces rencontres [46]. Elle affirme que, par la suite, Primo Levi était régulièrement invité pour faire entendre « la voix de la déportation » dans le Piémont [47].

45Mais auparavant, son nom était inconnu du grand public. Pourtant, après la publication de son témoignage en 1947, réédité chez Einaudi en 1958, il avait rédigé un article à la mémoire des déportés pour la Revue de la ville de Turin et du Piémont en 1955. Mais les journalistes de La Stampa continuent de le présenter régulièrement tantôt comme « l’auteur de Si c’est un homme » (lorsqu’il répond à la fillette qui « voudrait savoir ») [48], tantôt comme « l’écrivain Primo Levi, survivant du camp d’Auschwitz » (lorsqu’il intervient aux rencontres des 4 et 5 décembre) [49]. C’est à cette époque que son nom finit toutefois par se frayer un chemin dans la mémoire collective.

46L’exposition inaugurée à Carpi en 1955 et montée à Turin en 1959 a donc constitué un véritable tournant, non seulement dans l’histoire collective des déportés, mais aussi dans l’histoire personnelle de Primo Levi. Comme il le dit, la réédition de Si c’est un homme chez Einaudi en 1958 a marqué le début de sa carrière d’écrivain, mais aussi et surtout de son rôle de témoin [50]. Pour Levi, son succès d’écrivain tient moins au prestige de la maison d’édition qui a publié son livre qu’au dialogue amorcé avec le public qui lui a permis d’exprimer des idées limitées par l’étroitesse du livre.

Le risque du « gourou »

47Depuis le début des années 1960, Primo Levi incarne donc la voix de la déportation italienne. Nombre de ses camarades se reconnaissent dans ses « livres collectifs » [51] et préfèrent garder le silence pour le laisser parler, comme l’a avoué Luciana Nissim après la mort de son ami [52]. D’autant que la sortie d’un nouveau livre, La Trêve, en 1963, finit de consacrer Levi comme un écrivain de renom.

48Deux semaines après les rencontres avec les jeunes de Turin, le journal La Stampa publie un article de Levi dans lequel il annonce son projet, mis de côté après le succès mitigé de la première édition de Si c’est un homme, de raconter son retour d’Auschwitz. « L’ultimo della classe » (Le dernier de la classe), sorti les 19-20 décembre 1959, deviendra l’un des chapitres du livre que Levi écrit entre 1961 et 1962. Son entourage connaît bien cette histoire, pour l’avoir maintes et maintes fois entendue. Pour Levi, l’écoute des autres est indispensable afin de libérer les mots de l’écrivain qui, dans son double rôle de témoin-narrateur, est pris par un puissant besoin de raconter.

49

Cette nouvelle expérience, totalement étrangère au monde de mon travail quotidien, qui consiste à écrire, créer à partir de rien, chercher et trouver le mot juste, a été pour moi si intense et heureuse que je ne peux pas ne pas la retenter. J’avais encore beaucoup de choses à raconter : non plus terribles, fatales et nécessaires, mais des aventures joyeuses et tristes […] Je crois que l’on remarque facilement que cette dernière [édition] a été écrite par un homme différent : non pas seulement plus vieux de quinze ans, mais plus posé, plus attentif à la texture des phrases, plus conscient : en bref, plus écrivain dans tous les sens du terme, dans les bons comme les moins bons [53].

50Après avoir donné son accord à l’automne 1962, Einaudi signe un nouveau contrat avec l’écrivain le 4 décembre. Le livre sort dans la collection littéraire « I Coralli ». Il est accompagné, à la quatrième page, d’une présentation de l’œuvre, anonyme mais unanimement attribuée à Italo Calvino. Grâce à la critique élogieuse de Paolo Mondo, parue en avril 1963 dans la rubrique littéraire de la revue de référence L’Espresso, le livre devient rapidement un succès. En juillet, il obtient la troisième place du prix Strega, puis, en septembre, il remporte le prix Campiello.

51Les chroniqueurs du prix Campiello se souviennent d’un Levi désorienté par son propre succès. Tout en étant conscient de faire désormais partie du monde des hommes de lettres, l’écrivain avoue en effet avoir fait preuve de réserve :

52

C’était ma première entrée en chair et en os dans le monde littéraire […] Mais je me suis senti comme un corps étranger [54].

53Après la publication de La Trêve, Levi est régulièrement sollicité par les journalistes de la presse et de la télévision qui s’entretiennent avec lui sur les sujets les plus divers. Il devient rapidement un personnage public. Presque tous ses livres recevront des prix littéraires, à l’exception de Si c’est un homme. Par la suite, Einaudi envisage de publier La Trêve en édition scolaire (que Levi s’engage à préparer lui-même), puis de faire de même avec Si c’est un homme. « Le livre du retour », le récit picaresque des aventures dans une Europe à peine sortie de la guerre, ouvre donc la voie à la parole du témoin qui voulait faire entendre ce qu’avait été le Lager.

54L’arrivée de Levi dans l’espace public au début des années 1960 se fait donc au prix du silence sur l’expérience qui l’avait poussé à prendre la parole. Si lors de ses nombreuses interviews, il n’a jamais été interrogé sur Si c’est un homme, se contentant de répondre patiemment aux questions, il s’efforce cependant d’orienter la discussion sur son premier ouvrage, comme en témoigne son recueil d’entretiens [55].

55Il ne s’agit pas seulement de préciser ici que Levi était invité dans les écoles pour raconter l’expérience de la déportation, d’autant que ce n’est qu’à partir des années 1980 que l’historiographie italienne commence à s’intéresser à la question.

56Il s’agit avant tout de rappeler – avec Alberto Cavaglion [56] – que Levi, après la publication de La Trêve, déclare ne plus rien avoir à dire sur la déportation [57]. Ce n’est que vingt ans plus tard qu’il publie un livre sur le sujet : Les Naufragés et les Rescapés.

57Ainsi la société italienne a pendant longtemps prêté une oreille sourde à Levi. Tourmenté par le besoin de parler, ses mots tombent dans la passivité d’une société étourdie. Plus Levi gagne en notoriété, plus il prend le risque de ne plus être écouté avec attention, car ses récits confrontent la société à sa propre conscience du passé.

58Dans les années 1960-1970, Levi forge en Italie le mythe de l’écriture immédiate du témoin qui arrache les mots au silence. À diverses reprises, il affirme en effet avoir écrit Si c’est un homme sans préméditation et d’un seul jet. Dans les années 1980, il finit cependant par avouer que

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durant ces quarante dernières années, j’ai construit une sorte de légende autour de ce livre, en racontant que je l’avais écrit sans plan ni préméditation, d’un seul jet.
Les gens à qui j’en ai parlé ont accepté la légende. En réalité, écrire, ce n’est jamais spontané [58].

60La société se contente du mythe sans voir la prouesse de l’écriture accomplie par Levi. Invité à la conférence « Lo scrittore non scrittore » (« L’écrivain non-écrivain ») en 1976, il explique publiquement son travail d’écrivain :

61

Le levain de l’écriture était entré dans ma vie […] Dans mon premier livre, j’avais fait attention aux mots ; j’ai écrit le deuxième en étant conscient d’être capable de transmettre mon expérience et ce dans un but spécifique : écrire clair pour entrer en contact avec le public. C’était le cadeau que mon premier livre m’avait fait par l’audience qu’il avait eue : j’avais compris que si le fait de parler obscur signifiait peut-être s’adresser à la postérité, il était important d’être clair pour être compris de ceux à qui la page écrite était destinée [59].

62Paradoxalement, l’Italie a consacré Levi comme écrivain, sans relever le défi de son rôle de témoin. Ainsi au début des années 1980, il soutient que les souvenirs du camp continuent à occuper ses « heures de liberté », mais ne les exprime pas en public.

63À partir du milieu des années 1960, le parcours de Levi est souvent comparé au personnage mythologique du centaure – une métaphore que l’auteur utilise pour expliquer son être double à la sortie de son premier recueil de récits « fantabiologiques » (Histoires naturelles). Comme dans le cas du mythe de la narration immédiate, elle est reprise spontanément par le public et les critiques italiennes. Quant à Levi, il continue de multiplier les couples d’opposés : homme de science et écrivain, Juif et Italien, ancien déporté, mais non écrivain en prose et poésie sans relâche. La catégorie de l’hybridisme consent de mettre en avant le caractère hétérogène de Levi qui privilégie l’observation du monde sous des angles inédits, quitte à renoncer à l’assurance de l’assertion [60]. Néanmoins, elle tend à jouer une fonction consolatrice et à masquer les fractures qui traversent la vie et l’œuvre de l’écrivain à la recherche de clarté. Car cet exercice, qu’il pratique déjà à l’époque du fascisme, comme un « antidote [61] » à la rhétorique selon laquelle le régime n’a pas d’ennemis, devient par la suite le moyen pour l’écrivain de raconter aux autres le monde, au-delà des images d’Épinal, afin de révéler l’expérience et de partager la construction d’une conscience collective, à partir des choix des hommes. Est significative en ce sens son entrevue avec le journaliste américain Philip Roth :

64

Ph. R. : je dirais qu’il y a une seule âme capable et sans joncture : non seulement le survivant et l’homme de science ne sont pas inséparables, de même que l’écrivain et l’homme de science.
P. L. : il s’agit d’un diagnostic plus que d’une question. Je l’accepte et t’en remercie. [62]

65Après des années d’interviews, Philip Roth remet en question le mythe du « centaure ». En 1986, il se livre à une analyse à contre-poil du parcours de l’écrivain. Pour la première fois, Levi est précisément interrogé sur Si c’est un homme. L’auteur est manifestement heureux d’être enfin compris au-delà de l’image qu’il s’était construite, et que le public italien avait semble-t-il accepté.

66

Très bien ! tu as frappé juste [63].

67Levi a parfaitement conscience de son image immuable de vieux sage à la barbe blanche, régulièrement diffusée au fil des années dans la presse et à la télévision. Dans les années 1980, il appréhende même de devenir un « “rescapé professionnel”, presque un mercenaire [64]… » et de se retrouver prisonnier de l’image du témoin qui parle comme l’attend de lui la société. Le dialogue avec les nouvelles générations devient alors de plus en plus difficile, car si « le discours sur les Lager continue à être important, il n’est plus d’actualité [65] ». Surtout, il éprouve une certaine gêne face au public qui tend à le considérer comme « une espèce de gourou [66] ».

68Pour le témoin devenu écrivain, mais qui ne veut pas écrire seulement sur Auschwitz, de même que pour le survivant qui sait bien être un ancien déporté, mais qui ne veut pas endosser ce rôle à vie, il s’agit de conserver le timbre de sa voix de survivant pour ne pas se voir assimilé, « digéré », avec son histoire, par une société qui le considère comme un témoin accrédité, au risque de normaliser son discours et lui enlever les abîmes qu’il porte avec lui. Il s’agit donc de préserver la dissonance de la voix du témoin qui s’élève au-dessus du bruit ambiant de l’après-guerre et de persévérer contre la tentation de l’effacer dans la rhétorique de l’histoire de la patrie. Levi refuse que la voix du témoin soit réduite au décor par une mémoire collective en passe de devenir une simple justification du présent. Dans la préface de Racconti et saggi (Récits et essais), il donne une image de soi qui va à l’encontre du monument de son discours, invitant le lecteur à s’intéresser au présent enraciné dans l’expérience du passé.

69

Je prie le lecteur de ne pas se risquer ici à la recherche de messages. C’est un terme que je déteste et qui me met en crise, parce qu’il m’attribue un rôle qui n’est pas le mien, mais qui se réfère à un type d’humain dont je me méfie : le prophète, le voyant. Moi je suis un homme normal, de bonne mémoire, qui est tombé dans un tourbillon, dont je suis sorti par chance plus que par vertu, et qui depuis conserve une certaine curiosité pour les tourbillons, petits et grands, métaphoriques et matériels [67].

70Si le paramètre de la mémoire permet d’évaluer son être et son rôle par rapport aux autres, c’est dans la tension opposant l’exercice de la mémoire à l’oubli que Levi revendique son travail de témoin.

71

J’ai cessé de jouer au rescapé depuis que j’écris, mais j’en suis toujours un. La semaine prochaine, en compagnie de Nelo Risi et Lodovico Belgiojoso, j’organiserai un mémorial italien à Auschwitz [68].

72Lors de son interview avec Silvia Giacomoni, Levi annonce sa décision de ne plus accepter de rencontres avec les jeunes [69], mais ne renonce pas pour autant à son devoir de témoigner. Au contraire, face au dialogue interrompu avec une société italienne qui tend de plus en plus à mettre entre parenthèses le souvenir de la fracture de la Seconde Guerre mondiale, il s’engage activement aux côtés de l’Association nationale des anciens déportés dans la réalisation du mémorial italien d’Auschwitz, dont il restera un membre actif toute sa vie. S’il a déjà rédigé plusieurs plaques en mémoire de la déportation, Levi se trouve confronté à un nouveau défi bien plus important. Pour la première et unique fois de sa vie, il participe à la construction d’un site de la mémoire, le Memorial in onore dei caduti italiani dei campi di concenitramento nazisti (Mémorial en l’honneur des victimes italiennes des camps de concentration nazis), qui aspire à des retombées nationales et internationales. Aux côtés de l’architecte Lodovico Belgiojoso, du peintre Pupino Samonà et du metteur en scène Nelo Risi, il est chargé de « faire parler » l’œuvre qui sera réalisée dans la baraque 21 d’Auschwitz I, à la mémoire de la déportation italienne et qui vise à raconter l’histoire nationale de 1919 à 1945, soit depuis l’arrivée au pouvoir du fascisme jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il rédige un texte destiné dans un premier temps à inspirer le peintre chargé de dessiner le tunnel conçu par l’architecte, puis, une fois l’œuvre terminée, à accompagner le visiteur dans son parcours à l’intérieur du mémorial où résonne la musique de Ricordati cosa ti hanno fatto in Auschwitz (Souviens toi de ce qu’ils t’ont fait à Auschwitz) de Luigi Nono. En tant que témoin de la déportation, Levi continue de réfléchir aux moyens pour assurer la survie de la mémoire dans le futur. Ainsi le projet du mémorial, qui vise à impliquer totalement le visiteur, se présente comme un exercice de mémoire conçu par les survivants, Primo Levi in primis, pour établir un lien intergénérationnel. Si le mémorial cherche à susciter l’émotion afin d’éveiller la réflexion du public, Levi ne veut pas que le pavillon italien soit une simple exposition documentaire, mais un lieu où « l’imagination et l’émotion de chacun, plus que les images ou les textes, feront réaliser une tragédie à ne jamais oublier [70] ».

73Pour éviter que le discours stéréotypé ne fige la mémoire des camps dans les esprits, Levi rédige Les Naufragés et les Rescapés. Dans ce dernier livre, il revient sans compromis sur l’expérience des camps et dénonce la rhétorique de l’image consolidée dans/par la sensibilité collective. À sa sortie en 1986, il déclare avoir écrit ce livre

74

par besoin de vérité, pour aller contre la rhétorique […] Je suis prêt à accepter une certaine part de rhétorique, c’est indispensable pour vivre […] mais il faut un contre-chant, un commentaire en prose aux envolées de la rhétorique : c’est ce que j’ai essayé de faire, en sachant que j’allais froisser certaines sensibilités [71].

75Investi de son rôle de témoin, Levi revient aussi bien sur le sujet de son témoignage que sur la possibilité même du témoignage, par le biais de la force d’un discours intelligent qui remet en question les positions et les croyances acquises. Le livre part de Si c’est un homme – dont le titre est repris dans un des chapitres – et développe les thèmes de la narration qui portent à la réflexion de la condition humaine. Enfin, il évoque les questions qu’il continuait à se poser à ses « heures de liberté ». Dès sa sortie, la critique est unanime quant à son importance. Levi est particulièrement sensible au commentaire du poète Giovanni Raboni qui souligne « la noblesse des idées » et le caractère « polémique et irritant par essence » de sa nouvelle œuvre [72].

76Ce n’est pas la première fois que Levi prend à contre-poil les opinions courantes. Déjà à la sortie de La Clé à molette en 1978, il s’était opposé au discours qui dénonce le travail synonyme de souffrance et d’humiliation. Au contraire, il crée la polémique en soutenant que non seulement le travail est important dans la vie de l’homme, mais qu’il permet d’accéder au bonheur sur terre [73]. En revanche, dans Les Naufragés et les Rescapés, Levi remet en question son propre discours et son image de témoin, tant par rapport au passé qu’au présent.

77Levi, à la fois écrivain et témoin, est donc né à contre-courant, luttant toute sa vie contre le discours rhétorique et stéréotypé. Il était toutefois conscient du besoin de rhétorique implicite dans la construction de l’imaginaire d’une société. De même qu’il était convaincu de la nécessité de se montrer responsable vis-à-vis des mots prononcés, car « l’intelligence ne peut jamais partir en vacances », si l’on veut éviter que la superficialité, la passivité et le cynisme gagnent l’attitude collective face au réel.

78Le 11 avril 1987, le suicide de Levi bouleverse la société italienne.

79Il n’est pas question ici de chercher une réponse à un geste qui doit demeurer une interrogation ouverte, mais plutôt de révéler l’impact de cette mort, qui a contribué non seulement à un réveil d’intérêt pour l’œuvre de l’écrivain, mais aussi au processus de fixation de l’image de Levi comme témoin par excellence.

80D’un côté, Alberto Cavaglion a fait plusieurs fois remarquer que l’intérêt des académiciens pour l’œuvre de Levi ne commence qu’après la mort de l’écrivain. En témoignent les introductions des deuxième et troisième tomes de l’œuvre complète de Levi – programmée par la maison d’édition Einaudi peu de temps avant sa mort –, publiés respectivement en 1988 et 1990, rédigées par les universitaires Cesare Segre et Pier Vincenzo Mengaldo, deux grands noms de la critique littéraire [74].

81D’un autre côté, Levi s’est imposé dans l’espace public comme l’icône de la déportation, et notamment de la Shoah, qui a fait l’objet d’une attention particulière de la part de la société. Si le nom de Levi n’est connu dans les manuels scolaires que pour ses œuvres de fiction jusqu’aux années 1990, il incarne aujourd’hui le témoin de la Shoah par excellence. Son discours donne vie au fond de la pensée de la société italienne sur la déportation.

82Bien que cette reconnaissance soit indiscutable, elle a simplifié et donné une image rassurante du discours de Levi, comme l’illustre l’expression « zone grise » dans son dernier livre. Régulièrement reprise aujourd’hui, elle finit par justifier une absolution généralisée face à un passé que l’on a envie d’oublier. S’agissant du monument du Mémorial d’Auschwitz, oublié et abandonné à la poussière et aux injures du temps, il a été démantelé en décembre 2015 par l’État italien. Bien que, cette année-là, on fêtât le 70e anniversaire de la libération de l’Italie du nazi-fascisme, on n’enregistra aucune déclaration officielle et très peu d’indignations de la part des intellectuels.

83Levi, constructeur d’une mémoire problématique, risque aujourd’hui de succomber dans un contexte italien imprégné moins de mémoire que de mémoires – devenues religions avec leurs rites et leurs mythes. Levi a toujours encouragé ses concitoyens à raconter le passé, et en particulier la Seconde Guerre mondiale, comme un « tissu d’événements humains », vécus par des hommes parfois au prix de leur vie. C’est donc un héritage difficile que doit porter une nation en prise aujourd’hui à une mémoire de la guerre qui remet en question l’antifascisme comme racine de la citoyenneté.

Notes

  • [1]
    Docteur en lettres, Elisabetta Ruffini s’est intéressée pour sa thèse à Primo Levi, Charlotte Delbo et la mémoire de la déportation en Italie et en France. Depuis 2009, elle dirige l’Institut de la Résistance de Bergame. Elle a publié divers articles et quelques livres, notamment, avec Marzia Luppi, Immagini dal silenzio, Luoghi, Il Memorial italiano di Auschwitz (Images du silence. Les lieux, le mémorial italien d’Auschwitz), 2005. Elle est également commissaire de l’exposition itinérante Charlotte Delbo. Une mémoire mille voix, organisé par l’Institut de la Résistance de Bergame en collaboration avec le CHRD de Lyon, la BNF et l’ACD.
  • [2]
    Primo Levi, « Le système périodique », in Primo Levi, Œuvres, Paris, Robert Laffont, 2007, p. 413.
  • [3]
    Voir l’interview de Primo Levi par Giorgio De Rienzo, publiée in Famiglia Cristiana (Famille chrétienne), 20 juillet 1975, p. 40.
  • [4]
    Ibid., p. 41.
  • [5]
    Primo Levi, « Le système périodique », op. cit., p. 414.
  • [6]
    Idem.
  • [7]
    Voir Primo Levi, Si c’est un homme : Appendice à l’édition scolaire, publiée pour la première fois en 1976, reprise dans Primo Levi, Œuvres, op. cit., p. 136.
  • [8]
    Voir Famiglia Cristiana, p. 41.
  • [9]
    Voir l’interview de Primo Levi par C. Paladini au théâtre Rossini de Pesaro en 1986 publiée in Paolo Sorcinelli (éd.), Lavoro, criminalità, alienazione mentale (Travail, criminalité, aliénation mentale), Ancône, Il Lavoro Editoriale, 1987, p. 148-149.
  • [10]
    Famiglia Cristiana, p. 41.
  • [11]
    Renzo Zorzi, « Insieme alla De Silva e oltre » (Ensemble chez De Silva et après) in Franco Antonicelli : dell’impegno culturale (Franco Antonicelli : de l’emploi culturel), province de Pavie, 1995, p. 58.
  • [12]
    Ibid. Zorzi affirme avoir choisi le titre de son livre alors que Levi, à diverses occasions, a soutenu que la décision venait du directeur Antonicelli.
  • [13]
    La recension parue en juillet 1947 dans L’Italia che scrive (L’Italie qui écrit) est citée par Marco Belpoliti in « Note ai testi. Se questo è un uomo », op. cit., t. I, p. 1384.
  • [14]
    Voir Renzo Zorzi, « Insieme alla De Silva e oltre », op. cit, p. 58.
  • [15]
    On retrouve la couverture de l’édition de Francesco De Silva in Alberto Cavaglion, Primo Levi e Se questo è un uomo (Primo Levi et Si c’est un homme), Turin, Loescher Editore, 1993, p. 6. Le dessin de Goya est un des croquis préparatoires pour les gravures Désastres de guerre.
  • [16]
    Ibid., p. 5.
  • [17]
    Le texte est à la fois cité in Marco Belpoliti, « Note ai testi. Se questo è un uomo », op. cit., t. I, p. 1385, et in Alberto Cavaglion, Primo Levi e Se questo è un uomo, op. cit. p. 5. On retrouve l’image de la dernière page du dépliant dans le livre de Cavaglion, p. 7.
  • [18]
    Primo Levi, « Il Sistema periodico » (Le système périodique) in Opere, op. cit., t. I, p. 897.
  • [19]
    Interview de Primo Levi par Rita Caccamo De Luca et Manuela Olagnero in Mondoperaio (Monde ouvrier), n° 3, 1984, p. 155.
  • [20]
    Cavaglion, Primo Levi e Se questo è un uomo, op. cit., p. 57.
  • [21]
    Ibid.
  • [22]
    Arrigo Cajumi, « Immagini indimenticabili » (Images inoubliables), La Stampa, 26 novembre 1947. L’article est cité in Ernesto Ferrero, « La fortuna critica » (La chance critique), in Ernesto Ferrero (éd.), Primo Levi : un’antologia della critica (Primo Levi : une anthologie de la critique), Turin, Einaudi, 1997, p. 303-305.
  • [23]
    Italo Calvino, « Un libro sui campi della morte. Se questo è un uomo » (Un livre sur les camps de la mort. Si c’est un homme), L’Unità, 6 mai 1948. Cet article est également cité in Ferrero, « La fortuna critica », art. cit., p. 306-307.
  • [24]
    Cavaglion, Primo Levi e Se questo è un uomo, op. cit., p. 59. Il est toutefois important de présenter le personnage de Cases : germaniste, milanais et juif, il était connu comme l’un des porte-parole les plus polémiques de la bourgeoisie juive, et pas seulement milanaise. Si son article aurait donc consenti à rompre le silence, il aurait aussi, dans une certaine mesure, contribué à le renforcer.
  • [25]
    Cesare Cases, « Levi racconta l’assurdo » (Levi raconte l’absurde), Bolletino della Comunità Israelitica di Milano (Bulletin de la communauté israélite de Milan), mai-juin 1948. Cet article est également cité in Ferrero, « La fortuna critica », op. cit., p. 308.
  • [26]
    Sorcinelli (éd.), Lavoro, criminalità, alienazione mentale, op. cit., p. 149.
  • [27]
    Ibid.
  • [28]
    Lidia Rolfi-Beccaria, « Testimonianza » (Témoignage), in Primo Levi et Alberto Cavaglion (éd.), Primo Levi per l’Aned, l’Aned per Primo Levi, Milan, Franco Angeli, 1997, p. 99.
  • [29]
    Voir entre autres, Mondoperaio, art. cit., p. 155.
  • [30]
    Belpoliti, « Note ai testi. Se questo è un uomo », op. cit., t. I, p. 1387.
  • [31]
    Primo Levi, Les Naufragés et les Rescapés, Paris, Gallimard, 1989, p. 164.
  • [32]
    Primo Levi, « Il tempo delle svastiche » (Le temps des croix gammées), Il Giornale dei genitori (Le Journal des parents), janvier 1960, reproduit in Levi, Opere, op. cit., t. I, p. 1222-1223.
  • [33]
    Tous les documents cités ici pour reconstruire l’histoire de cette exposition sont déposés aux archives de l’Institut historique de Modène. Une exposition a été montée sur ce sujet, accompagnée d’un catalogue : Marzia Luppi et Elisabetta Ruffini (dir.), Immagini dal silenzio (Images du silence), Carpi, Nuovagrafica, 2005.
  • [34]
    Une description précise de l’exposition est donnée par La Stampa (17 novembre 1959) et La Gazzetta del Popolo (18 novembre 1959).
  • [35]
    Voir la brochure Associazione Nazionale Ex Deportati Politici nei Campi Nazisti (Association nationale des anciens déportés politiques dans les camps nazis) dont la couverture est illustrée par un dessin d’Albe Steiner : l’arbre qui deviendra symbole de l’association.
  • [36]
    Marziano Bernardi, « Mai più un dolore come questo ritorno nella storia dell’uomo » (« Plus jamais une douleur comme ce retour dans l’histoire de l’homme »), La Stampa, 17 novembre 1959.
  • [37]
    Voir les lettres échangées entre Ennio Pacchioni et Marziano Bernardi qui sont conservées à l’Institut de la Résistance de Modène.
  • [38]
    « I giovani e la deportazione » (Les jeunes et la déportation), La Stampa, 3 décembre 1959 : cet article résume le contenu du très grand nombre de lettres arrivées au siège de l’Aned (cent lettres), auxquelles viennent s’ajouter celles adressées au siège du quotidien.
  • [39]
    La lettre de Primo Levi a été publiée dans La Stampa, à la rubrique « Lo Specchio dei tempi », le 3 décembre 1959. Cette lettre n’a jamais été publiée ni dans les œuvres complètes de Levi, ni dans d’autres recueils de l’auteur. Retrouvée en 2005, elle a été republiée pour la première fois in Elisabetta Ruffini, Il testimone e la ragazzina. Un lapsus di Primo Levi (Le témoin et la petite fille. Un lapsus de Primo Levi), Bergame, Assesorato alla Cultura/Istituto bergamasco per la storia della Resistenza e dell’eta contemporanea, Bergamo, 2006.
  • [40]
    La Stampa, 3 décembre 1959.
  • [41]
    Idem.
  • [42]
    La Stampa, 5 décembre 1959. Un exemplaire de ces cartes postales est conservé dans les archives de l’Institut historique de Modène.
  • [43]
    Ils ont été 1 300 à la première rencontre, le 4 décembre, et 1 500 le jour suivant. La Stampa, 5 et 6 décembre 1959.
  • [44]
    Idem.
  • [45]
    La Stampa, 5 et 6 décembre 1959.
  • [46]
    Lidia Rolfi-Beccaria, « Testimonianza », art. cit., p. 99-100. Lidia Rolfi-Beccaria date ces rencontres de 1958, mais en réalité elles ont eu lieu un an plus tard, à l’occasion du deuxième congrès national de l’Aned.
  • [47]
    La Stampa, 5 décembre 1959.
  • [48]
    La Stampa, 3 décembre 1959.
  • [49]
    La Stampa, 5 et 6 décembre 1959.
  • [50]
    Voir l’interview à plusieurs voix de Primo Levi, « Come ho pubblicato il mio primo libro » (Comment j’ai publié mon premier livre) avec Nico Orengo, Tuttolibri, 1er juin 1985 ; Mondoperaio, art. cit., p. 156 ; Sorcinelli (éd.), Lavoro, criminalità, alienazione mentale, op. cit., p. 149-150.
  • [51]
    Voir la conférence de Primo Levi à Berne en novembre 1976 parue in Gabriella Poli, Primo Levi et Giorgio Calcagno, Echi di una voce perduta (Échos d’une voix perdue), Milan, Mursia, 1992, p. 40.
  • [52]
    Luciana Nissim citée par Carlo Saletti in « Après Primo Levi », in Philippe Mesnard (éd.), Consciences de la Shoah : critique des discours et des représentations, Paris, Kimé, 2000, p. 156.
  • [53]
    Primo Levi, « Introduzione all’edizione scolastica di La Tregua » (Introduction à l’édition scolaire de La Trêve), in Levi, Opere, op. cit., t. I, p. 1144-1145.
  • [54]
    Voir l’interview de Primo Levi par Pier Mario Paoletti publiée in Primo Levi, Conversations et entretiens, Paris, Robert Laffont, 1998, p. 106.
  • [55]
    Ibid. Ce recueil a été édité par Marco Belpoliti à l’occasion du dixième anniversaire de la mort de Levi en 1997.
  • [56]
    Alberto Cavaglion, actes du colloque Primo Levi. La civiltà della memoria (Primo Levi. La civilisation de la mémoire), Orbassano, 29 octobre 1997, in I quaderni di Orbassano, 1997.
  • [57]
    Voir l’interview de Primo Levi, in Levi, Conversations et entretiens, op. cit., p. 108.
  • [58]
    Voir l’interview de Primo Levi par Germaine Greer, in Levi, Conversations et entretiens, op. cit., p. 82.
  • [59]
    Voir la conférence de Primo Levi « Lo scrittore, non scrittore », à Turin en 1976, in Levi, Opere, op. cit., t. I, p. 1204.
  • [60]
    Primo Levi, « L’altrui mestiere » (Le métier d’autrui), in Levi, Opere, op. cit., t. II, p. 631.
  • [61]
    Primo Levi, « Le système périodique », art. cit., p. 344.
  • [62]
    Levi, Conversazioni e interviste, op. cit., Turin, Einaudi, 1997, p. 88. L’interview n’apparaît pas dans la traduction française.
  • [63]
    Ibid., p. 86.
  • [64]
    Voir l’interview de Primo Levi par M. Spada, in Levi, Conversations et entretiens, op. cit., p. 251.
  • [65]
    Voir l’interview de Primo Levi par Silvia Giacomoni, in ibid., p. 118.
  • [66]
    Voir l’interview de Primo Levi par Roberto di Caro, ibid., p. 203.
  • [67]
    Racconti e Saggi (Récits et essais), qui réunit quinze récits et vingt essais, est le dernier livre de Levi publié en 1986, peu avant sa mort. Le volume fait partie d’une colonne dénommée « Terza pagine » (Troisième page) qui recueille des articles des collaborateurs les plus connus du quotidien turinois La Stampa. Il s’agit ici d’un extrait de la préface de Levi à la première édition de 1986.
  • [68]
    Voir l’interview de Primo Levi par Silvia Giacomoni, art. cit., p. 124.
  • [69]
    Ibid., p. 121.
  • [70]
    Scenario (présentation du mémorial aux autorités polonaises) in Archives de l’Aned, fonds Mémorial Auschwitz, Milan, Fondazione Memoria della Deportazione.
  • [71]
    Voir l’interview de Primo Levi par Giorgio Calcagno, in Levi, Conversations et entretiens, op. cit., p. 143-144.
  • [72]
    Giovanni Raboni, « Quando è scomodo il buon senso » (Quand le bon sens dérange), L’Unità, 3 septembre 1986.
  • [73]
    Pour plus de détails voir, entre autres, l’interview de Primo Levi par F. Colombo à l’occasion du prix Bergamo, premier prix littéraire que reçut le livre en avril 1978, in L’Eco di Bergamo, 9 octobre 1978.
  • [74]
    Primo Levi, Opere II : i romanzi e le poesie (Œuvres II : les romans et les poésies), Turin, Einaudi, 1988 et Opere III : racconti e saggi (Œuvres III : romans et essais), Turin, Einaudi, 1999. Le premier tome, publié en 1987 après la mort de Levi, comprenait une introduction de Cesare Cases.
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