Couverture de RHSHO_200

Article de revue

II. Bialystok

Pages 83 à 141

Notes

  • [1]
    Capitale de la Biélorussie. Les autorités soviétiques avaient interdit dans leur zone tous les partis politiques juifs ex-polonais et arrêté bon nombre de dirigeants et militants.
  • [2]
    En yiddish : Synagogue.
  • [3]
    Chandelier à sept branches, en souvenir du candélabre du Temple de Jérusalem.
  • [4]
    En hébreu : Shkhita. Ce terme désigne habituellement l’abattage du bétail et de la volaille suivant les règles de la loi juive.
  • [5]
    En hébreu : destruction. Ce terme fait référence à la destruction du Temple de Jérusalem par Nabuchodonosor en 586 avant l’ère chrétienne, et à celle du second Temple par Titus en 70. C’est le terme utilisé en yiddish pour désigner la Shoah ainsi que les grands massacres au cours des âges.
  • [6]
    Ce texte parut initialement dans le journal new-yorkais Bialystoker Shtime, en novembre-décembre 1946.
  • [7]
    Localité située à l’est de Bialystok, actuellement en Biélorussie.
  • [8]
    Localité située à 4 km au nord de Bialystok.
  • [9]
    En hébreu : Gzera ; en yiddish : Gzeire. Ce terme a toujours désigné une importante mesure prise par les autorités à l’encontre des Juifs.
  • [10]
    En yiddish : Di gele late. Pièce de tissu utilisée pour rapiécer un vêtement ou un autre tissu. Les Juifs appelaient ainsi par dérision la marque infamante.
  • [11]
    En hébreu : bouclier de David, en forme d’étoile à six branches.
  • [12]
    Localité située au nord-est de Bialystok, actuellement en Biélorussie.
  • [13]
    En polonais : Kasza. Gruau habituellement de sarrasin mais aussi d’orge.
  • [14]
    En hébreu : Emek Habakha. Référence aux Psaumes, LXXXI-7.
  • [15]
    En hébreu : Sela makhlekot. Référence à I Samuel XXIII-28, où le sens propre est « rocher de la séparation ».
  • [16]
    Jour de l’an juif, qui a lieu entre fin septembre et début octobre.
  • [17]
    Ce texte fut initialement rédigé pour la Commission historique juive en Pologne dans l’immédiat après-guerre, mais ne fut finalement pas publié, à l’exception d’un chapitre en traduction polonaise.
  • [18]
    Kielbasin est située non loin de Grodno, à environ 80 km de Bialystok.
  • [19]
    Localité située à 67 km au sud-ouest de Białystok.
  • [20]
    Localité située à environ 80 km au nord de Bialystok, près de Grajewo.
  • [21]
    En hébreu : sainte confrérie. Elle est chargée d’effectuer tous les rites à accomplir lors d’un décès, en vue de l’enterrement.
  • [22]
    Localité située à 85 km au nord-est de Bialystok, actuellement en Biélorussie.
  • [23]
    Camp de concentration situé à 36 km à l’est de Dantzig.
  • [24]
    Towarzystwo Ochrony Zdrowia (Société pour la protection de la santé) : organisation caritative juive.
  • [25]
    Camp de concentration situé à 65 km au nord de Prague où les détenus jouissaient de conditions de vie un peu moins dures avant d’être pour la plupart expédiés à Auschwitz.
  • [26]
    Voir le livre de Sam Hoffenberg, Le Camp de Poniatowa, Paris, Éditions Bibliophane-CDJC, 1988.
  • [27]
    Localité située à l’est de Bialystok, actuellement en Biélorussie.
  • [28]
    Eau-de-vie de fabrication domestique, de piètre qualité.
  • [29]
    Repas rituel le premier soir de la Pâque juive.
  • [30]
    Localité à 90 km au nord de Bialystok.
  • [31]
    Bojara, Nowosiolki, Zielona. Localités situées dans les environs de Bialystok.
  • [32]
    Localité à 3 km à l’est de Bialystok.

1Les textes traduits et présentés ici sont tirés du Yizkor-bukh de la communauté juive de la ville polonaise de Bialystok. Il a été publié en 1982 par les soins du Bialystoker Center à New York et comporte une traduction en anglais. Seuls les passages les plus significatifs relatifs à la Shoah ont été ici traduits du yiddish.

2La ville de Bialystok se trouve à 190 km au nord-est de Varsovie et à 60 km à l’ouest de la frontière biélorusse. La première implantation juive remonte à la seconde moitié du xvie siècle à la demande du seigneur local pour développer le commerce et l’artisanat. Après une brève occupation par la Prusse, consécutive au démembrement de la Pologne en 1795, Bialystok est rattachée à la Russie en 1807. La communauté juive se développe au xixe siècle grâce à l’industrie textile et de nombreuses filatures sont créées, dans lesquelles travaillent beaucoup d’ouvriers juifs. À la veille de la guerre, on compte 46 000 Juifs, soit près de la moitié de la population.

3En 1939, suite au pacte germano-soviétique, Bialystok est annexée par l’Union soviétique. En juin 1941, lors de l’invasion allemande, 50 000 Juifs vivent dans la ville et 350 000 dans la province. Dès le début de l’occupation, les Allemands se livrent à des massacres ; peu après, ils créent un ghetto avec un Judenrat. Les Aktionen se succèdent et la dernière s’échelonne du 16 au 23 août 1943, date à laquelle les derniers Juifs sont déportés vers les camps de la mort.

Sur la voie du khurban

4Pour les Juifs de Bialystok, comme partout ailleurs, l’attaque inattendue de Hitler contre l’Union soviétique à l’aube du 22 juin 1941 survint tel un violent orage dans un ciel serein. Les Juifs dormaient paisiblement dans la nuit du samedi au dimanche. On ne s’attendait à rien de particulier. Vers quatre heures du matin, on entendit un vrombissement d’avions. On crut d’abord qu’il s’agissait d’exercices de la flotte aérienne soviétique. Mais on entendit soudain des explosions : les bombes éclataient et on avait l’impression que toute la ville était bombardée. Quand on se mit à scruter le ciel, il apparut clairement qu’une bataille s’était engagée entre avions soviétiques et hitlériens. Quelques bombes tombèrent sur la base militaire soviétique et en particulier dans nombre de rues du quartier juif, faisant des morts et des blessés. En ouvrant la radio pour écouter les nouvelles de Berlin, la triste vérité apparut clairement, la guerre entre l’Allemagne hitlérienne et l’Union soviétique avait débuté. Bien que cela fût clair pour tout le monde, des officiers soviétiques à Bialystok persistaient à dire qu’il s’agissait d’exercices. Un peu plus tard, quand les chefs militaires soviétiques comprirent ce qui se passait, le chaos complet s’imposa. Ce fut le début de leur fuite pour s’éloigner de l’ennemi. Les officiers soviétiques et autres personnels militaires entassèrent dans leurs véhicules femmes et enfants ainsi que des affaires qu’il aurait été dommage de laisser sur place puis ils prirent la route.

Peur et désespoir

5Les Juifs furent pris de peur et de désespoir. Ce fut la panique, on ne savait que faire. On courait chez des parents, chez des amis, pour demander conseil. En voyant les régiments soviétiques quitter Bialystok et la région, la peur s’accrut encore parmi les Juifs. Nous nous sentions à l’abandon : d’un instant à l’autre allaient surgir les assassins nazis, ce qui signifiait souffrances et tourments, pillages et assassinats, car nous étions déjà au courant de ce que les assassins hitlériens faisaient aux Juifs en Pologne. Beaucoup de Juifs, surtout des jeunes, paniqués, se mirent à fuir la ville. Les routes furent rapidement submergées de nouveaux fugitifs qui se sauvaient, en particulier les Juifs. On essayait d’atteindre le plus vite possible le cœur de la Russie. Sur les routes où se précipitaient les Juifs apeurés s’étiraient de longues files de voitures, de tanks, de soldats soviétiques, des régiments entiers qui fuyaient la terrible peste. Il était pratiquement impossible de bouger dans cette masse épaisse de gens, mais la peur de ce qui allait arriver était si forte qu’elle balayait tous les obstacles rencontrés. Durant toute cette journée de dimanche, Bialystok ressemblait à un volcan en activité. La ville était agitée, en ébullition, comme à la veille d’une terrible explosion. Personne ne dormit de la nuit. On restait éveillé et en éveil, dans l’attente accompagnée de désespoir de ce qui allait arriver.

6Lundi 23 juin, au matin, on s’aperçut que les gardiens de la grande prison étaient partis. Plus de deux mille détenus se retrouvèrent en liberté. La prison fut incendiée aussitôt après, on voyait les flammes de loin. Des bandes d’ex-détenus parcouraient les rues en pillant les boutiques, les magasins et autres endroits. Parmi les détenus libérés figuraient des dirigeants de partis politiques juifs dont certains avaient été arrêtés le 19 juin. D’autres revinrent de même de la prison de Minsk [1].

7Sur tous les chemins et routes qu’ils empruntaient, les Juifs étaient rejoints par les avions de chasse nazis qui lâchaient des bombes incendiaires et tiraient à la mitrailleuse, causant de nombreuses victimes. Il y avait aussi des tanks et des véhicules soviétiques détruits, renversés. Mais la plupart des Juifs restèrent à Bialystok. Il y avait encore des gens pour croire que, peut-être, les Soviétiques repousseraient la brutale attaque de Hitler, mais hélas, quelle amère désillusion !

8Le jeudi 26 juin, on ne voyait plus un seul soldat soviétique dans les rues. Le vendredi à l’aube, il régnait un calme étrange, le calme avant la tempête.

L’arrivée des assassins

9Le vendredi 27 juin 1941, au matin, l’arrivée des assassins nazis marqua le début de la vie infernale pour les Juifs. Dès leur entrée en ville, ils se dirigèrent vers les rues juives très populeuses. Bon nombre d’entre eux lancèrent aussitôt dans les maisons juives des bombes incendiaires et des engins explosifs, d’où de nouvelles victimes. D’autres nazis, avec une brutalité sadique, sortirent de chez eux des hommes qui furent emmenés, accompagnés de coups, dans la grande shul[2]. Quand elle fut complètement bondée, la sainte maison de prière fut encerclée par les vandales nazis. Armés de pied en cap, les hitlériens jetèrent des bombes incendiaires à l’intérieur de la shul, qui devint aussitôt la proie des flammes. La grande shul où étaient confinés deux mille Juifs brûla vingt-quatre heures durant, jusqu’au samedi matin. C’est alors seulement que parvint l’ordre d’éteindre l’incendie. Pour cela, les nazis attrapèrent des Juifs chez eux et les frappèrent avant de les emmener de force pour éteindre le feu.

10Pendant l’infernal incendie, écrivit plus tard Refael Raizner, des tragédies déchirantes se jouèrent. Ne pouvant supporter la fumée et les gaz asphyxiants, un fils, à la demande de son père, le pendit à une menora [3] avec la ceinture de son pantalon. Il y eut de nombreux cas de gens qui s’ouvrirent mutuellement les veines pour abréger des souffrances insupportables. Un jeune homme audacieux, qui parvenait à respirer encore, grimpa jusqu’à une fenêtre dont il brisa plusieurs carreaux et tint un discours cinglant à l’encontre des nazis. Ceux-ci lui tirèrent dessus et il redescendit aussitôt. À cause du feu violent et de la fumée, les nazis durent reculer un peu. À ce moment surgit le gardien polonais de la shul, Bartoshka, qui, au péril de sa vie, ouvrit une petite porte latérale. Plusieurs Juifs s’enfuirent aussitôt par la ruelle et, parmi eux, le jeune homme qui fait ce discours. Pendant que des Juifs périssaient à l’intérieur de la shul en flammes, les criminels hitlériens parcouraient les cours des maisons des quartiers juifs d’où ils sortaient les hommes pour les fusiller sous les yeux de leur femme et de leurs enfants.

11À l’orphelinat se trouvaient alors soixante enfants juifs. Malgré le danger, Mme Gitl Khaikovski-Platz, depuis longtemps éducatrice d’orphelins, se fraya un chemin jusqu’à l’institution. Tandis que les assassins nazis incendiaient les maisons juives avoisinantes, brûlant vifs et tuant des milliers de Juifs, elle ne quitta pas les enfants et demeura avec eux pendant les heures de terreur. Quand elle apprit que le gardien polonais était parti dénoncer la présence d’enfants de communistes dans l’institution, elle les cacha dans une cave avec de l’eau jusqu’au cou et les sauva ainsi d’une mort certaine.

12L’incendie, qui dura deux jours, fit disparaître, outre la shul et deux mille Juifs, plus de trente rues du quartier juif, soit un tiers environ des habitations juives de Bialystok, qui furent ainsi rasées.

Le Judenrat et le début des épreuves

13Le dimanche 29 juin, le commandant des hitlériens convoqua le rabbin Gedalia Rozenman et l’ancien directeur de la communauté, l’ingénieur Refael Barash. Il leur ordonna de former un Judenrat par lequel les autorités nazies locales feraient passer leurs ordonnances relatives à tout ce qui concernait les Juifs. Tous deux en firent aussitôt part aux autres principaux dirigeants communautaires. Un Judenrat fut créé ; il comprenait vingt-quatre membres, dont deux femmes, et un comité directeur de cinq personnes. Le président officiel était Rozenman, mais celui qui le dirigea de fait tout le temps de son existence fut l’ingénieur Barash.

14Avant même l’entrée en fonction de ce conseil, les dirigeants nazis exigèrent la mise à disposition de milliers de Juifs, hommes et femmes, pour le travail obligatoire. Battus et maltraités, ils devaient travailler dans de très dures conditions. En même temps, les Juifs durent remettre aux nazis bijoux, fourrures, cuirs, couvertures de soie, coussins de duvet, etc. Chaque demande devait être scrupuleusement satisfaite dans un délai de quarante-huit heures sous peine de sévères sanctions. De plus, les gestapistes attrapaient sans cesse des Juifs dans la rue, soi-disant pour être envoyés au travail, mais en réalité pour les maltraiter. Les nazis avaient aussi l’habitude d’aller piller les maisons juives, ils emportaient dans des camions tout ce qui avait de la valeur après avoir barré des rues entières.

15Pour une grande partie de la population juive, en particulier pour les gens sans ressources et ceux dont les biens avaient été anéantis, brûlés ou pillés, la faim et la pauvreté commençaient à se faire sentir. La survie quotidienne était extrêmement difficile. Ils cherchaient différents moyens de subsister en espérant des temps meilleurs. Le résultat fut que, bien que les divers sévices et tourments auxquels on était sujet sur les lieux de travail fussent connus, plus de deux mille hommes et femmes se portèrent volontaires pour aller travailler chez les nazis. Ils avaient ainsi la possibilité de subsister quotidiennement, de survivre aux temps difficiles avec un peu de nourriture. De temps à autre, on réussissait aussi à se procurer quelques denrées qui étaient restées dans les anciens entrepôts soviétiques et qu’on rapportait chez soi. Dans un entrepôt où travaillaient plusieurs centaines de Juifs payés en denrées, il fut décidé que tous les travailleurs donneraient, sur leur salaire d’une semaine, une journée de nourriture pour les centaines d’orphelins affamés, ce qui permit à ces derniers de subsister pendant une longue période.

Les victimes du « jeudi »

16La première grande boucherie [4] perpétrée par les assassins nazis eut lieu le jeudi 3 juillet 1941. Dans la chronique du khurban[5] de Bialystok, les victimes sont désignées comme « ceux du jeudi ». L’historien Shimon Datner, témoin des crimes nazis, raconte [6] :

17

À 4 heures du matin, un certain nombre de rues furent barrées. Les nazis sortirent des maisons et des rues les hommes âgés de seize à soixante ans. Beaucoup de Juifs comprirent ce qui se passait et réussirent à se cacher. Environ mille hommes capturés furent emmenés au 60 rue Warszawska. Là eut lieu une sorte de sélection. Les ouvriers et artisans, après vérification qu’ils avaient les mains calleuses, furent mis à part et libérés. Ceux qui restaient, intellectuels, marchands et autres, furent retenus. Ils furent maltraités toute la nuit et toute la matinée du lendemain. Finalement, deux cents d’entre eux furent emmenés dans des camions en direction de la route de Wolkowysk [7]. Dès lors, on perdit leur trace. On apprit par la suite qu’ils avaient été fusillés à Petrasze, à deux kilomètres environ de la ville sur la route de Wasilkow [8].

« Le shabbat noir »

18Environ une semaine plus tard, le shabbat 12 juillet, survint une seconde boucherie encore plus importante. Les Juifs assassinés ce jour-là, au nombre de quelques milliers, furent désignés comme « ceux du shabbat ».

19

Ce shabbat, une bande de gestapistes, gendarmes hitlériens et simples assassins nazis déchaînés se répandirent dans les rues du quartier juif. Ils capturaient de tous côtés des Juifs, les emmenaient en se moquant d’eux et en les forçant à courir. Une partie des Juifs fut finalement embarquée dans des camions prépositionnés et envoyée vers une destination inconnue. D’autres durent avancer sous une grêle de coups. Certains avaient été battus alors qu’ils avaient été rassemblés sur le terrain de sport. Des Polonais racontèrent plus tard que, sur les routes, ils avaient vu conduire, pourchasser, harceler les malheureux Juifs terrorisés et tout blêmes, en direction de la route de Wasilkow. Le nombre de Juifs expulsés, battus et maltraités s’élevait entre quatre et cinq mille. Les hitlériens dirent qu’ils avaient été envoyés au travail, mais ils ne revinrent plus.
Cela causa une panique et une inquiétude indescriptibles parmi les femmes et enfants des Juifs emmenés et disparus. Peu après, le commandant des autorités hitlériennes locales déclara aux dirigeants du Judenrat que les Juifs retenus et envoyés au travail pourraient être libérés et ramenés une fois que les Juifs de Bialystok auraient, par l’intermédiaire du Judenrat, versé très rapidement une contribution de cinq kilos d’or, deux millions de roubles, cent kilos d’argent et autres objets de valeur. Le Judenrat convoqua une réunion urgente au cours de laquelle on traita de l’affaire, mais comme cela se passait habituellement, il n’y eut pas de grandes discussions, il n’y avait rien à débattre, il n’y avait qu’à se préoccuper au plus vite à rassembler et remettre ce qui était exigé par les hitlériens dans l’espoir que les quelques milliers de Juifs reviendraient effectivement. Mais ce ne fut, comme dans bien d’autres cas, qu’une escroquerie nazie de plus envers les malheureux Juifs.
Les femmes, les mères et les enfants des hommes raflés et emmenés avaient pris une part importante à la collecte des fonds. Ils avaient donné tous leurs bijoux, de très grosses sommes d’argent et tout ce qu’ils possédaient pour sauver et libérer leurs proches des mains des nazis. Le Judenrat avait spécialement nommé des couples de collecteurs qui se déplacèrent sans arrêt parmi les Juifs durant trois jours. Chacun donnait tout ce qu’il pouvait. Une fois la collecte terminée, une délégation du Judenrat avec à sa tête l’ingénieur Barash se rendit chez le commandant hitlérien, qui ne voulut pas la recevoir immédiatement, la faisant patienter assez longtemps dans le couloir. Quand elle fut enfin introduite, il déclara, avec au visage un sourire froidement cynique, que les Juifs retenus ne pouvaient être et ne seraient pas libérés : ils n’étaient plus là, ils avaient été emmenés en Allemagne pour travailler.
Les délégués, en entendant ces paroles prononcées de sang-froid, repartirent silencieux et le cœur serré, sans pouvoir échanger la moindre parole. À leur retour, un plénum fut convoqué. Quand les membres entendirent le compte rendu détaillé de la visite, l’impression fut atroce, il y eut d’abord un profond silence, puis un débat animé s’engagea. Il fut finalement décidé de ne pas révéler la réponse du commandant, mais de continuer à laisser croire que les Juifs retenus seraient bientôt libérés et reviendraient.
Mais de telles choses étaient difficiles à cacher très longtemps. Il y eut même des membres du Judenrat qui en parlèrent discrètement autour d’eux. Cela parvint également aux oreilles des femmes et des mères des disparus. Elles sentaient aussi que le Judenrat ne leur disait pas la vérité, qu’on leur cachait quelque chose. Aussi, presque chaque jour, faisaient-elles de bruyantes manifestations et demandes devant l’immeuble du Judenrat. De colère et d’amertume de voir qu’on les avait trompées, certaines se jetaient sur des membres du Judenrat pour les frapper. Non seulement on les avait abusées, mais on leur avait pris tout ce qu’elles possédaient.
Quelque temps plus tard, elles créèrent un comité qui collecta de diverses manières une grosse somme d’argent pour, par divers moyens, ramener les disparus. Malheureusement, tous leurs efforts furent vains et n’aboutirent à rien. Devant l’absence de résultats, le comité fut dissous par ses membres et l’argent fut restitué aux donateurs.

Le décret [9] de la marque distinctive jaune [10]

20Un jour avant le « shabbat noir », le vendredi 11 juillet, un nouveau décret des autorités nazies parut. La Gestapo imposait à tous les Juifs, sans exception, le port de la marque distinctive jaune sur leurs vêtements à partir de l’âge de dix ans. Elle devait avoir la forme d’un Magen David[11] et être portée devant, sur le côté gauche, et derrière, dans le dos.

Vie et lutte dans le ghetto

21Avant la marque de la honte, on parlait de la création d’un ghetto, mais beaucoup ne voulaient pas y croire, pensant que ce n’était qu’une rumeur comme tant d’autres C’est seulement au bout de quelques semaines d’occupation qu’elle fut soudain décidée.

22Les Juifs eurent trois jours pour déménager dans le ghetto, ce qui fut une nouvelle cause de panique car ils n’avaient pas de moyens de transport. Quelle tragédie de les voir, avec parmi eux des vieillards, des femmes et des enfants, traîner leurs affaires ou les tirer dans des charrettes, éprouvés et épuisés. Quand les paysans des alentours l’apprirent, ils flairèrent la bonne source de profit et vinrent en ville avec leurs carrioles à cheval pour aider les Juifs à transporter leurs affaires. Ils n’acceptaient pas d’argent qu’ils estimaient sans valeur mais réclamaient des vêtements, des meubles, des ustensiles domestiques, des bijoux, etc. Ce furent essentiellement les femmes et les enfants qui s’occupèrent du déménagement car la plupart des hommes, en particulier les plus jeunes et les plus aptes, avaient été emmenés pour effectuer divers travaux pénibles.

23Cette situation difficile fut aussi mise à profit par des crapules et des voyous. Ils assaillaient les Juifs désespérés, les battaient et les dépouillaient. Les assassins hitlériens assistaient à ces scènes, ils riaient et se moquaient des Juifs, ils prenaient aussi des photos pour les envoyer en Allemagne à leur famille et leurs amis pour montrer leur grande « victoire » sur le peuple juif. Suivant un ordre des autorités hitlériennes, le ghetto devait être hermétiquement clos à la date prévue, soit le vendredi 1er août 1941. Les Juifs durent eux-mêmes fournir les matériaux nécessaires à la construction (par eux-mêmes) d’une clôture. Près de 60 000 personnes furent ainsi enfermées dans ce ghetto-prison.

24Le ghetto comportait trois portes. À l’extérieur, il était placé sous la surveillance de gendarmes hitlériens et de leurs auxiliaires. À l’intérieur, les portes étaient gardées par la police juive, connue aussi sous le nom de « service d’ordre ». Les policiers n’avaient pas d’uniforme particulier. Ils portaient sur la tête une casquette avec l’inscription en allemand « Service d’ordre juif ». Ils avaient un gourdin ou une matraque caoutchoutée.

25Les premières heures après la fermeture du ghetto furent épouvantables. Les Juifs se sentaient si abattus, humiliés et offensés qu’ils avaient honte de se regarder dans les yeux, ils avaient l’impression de se retrouver en prison. Les femmes pleuraient spasmodiquement, les vieillards avaient eux aussi les larmes aux yeux. Mais comme toujours en pareil cas, les gens finirent par se calmer, on s’habitua peu à peu au malheur bien qu’avec de gros efforts et le cœur serré. On cherchait à se consoler et à se réconforter mutuellement. Même en ces temps difficiles, on ne perdait pas l’éternelle foi juive en espérant que cela ne durerait pas trop longtemps et que la défaite de Hitler surviendrait bientôt.

26Au début, beaucoup de familles traînaient dans la rue, faute d’endroit où s’installer, où faire sa toilette, où se reposer pour dormir, où manger à sa faim. Après avoir ainsi erré plusieurs jours en plein air, elles furent installées dans quelques shuls ainsi que dans des ateliers vides où elles furent entassées en grand nombre.

27Il est difficile de s’imaginer, écrira Refael Raizner, la vie en commun imposée dans ces lieux. Des cris, des hurlements, des disputes emplissaient l’air en permanence. Pour la moindre raison, une bagarre éclatait. Dans ces demeures communes, il n’y avait pas de fourneaux, les habitants étaient donc obligés de faire cuire un peu de soupe claire sur le gaz. Quand on passait devant les « kolkhozes », comme le ghetto les appela plus tard, le spectacle des dizaines de feux allumés, de la saleté qui régnait, des criailleries qui en émanaient, faisait une pénible et douloureuse impression. Au cours du premier semestre, les kolkhozes furent les premiers à subir les conséquences des durs décrets qui accablaient le ghetto. Un an plus tard, il ne s’y trouvait presque plus personne. Leurs occupants furent parmi les premiers à faire partie de la tragique « évacuation » vers Pruzana [12]. Seul un petit nombre d’entre eux réussit à se procurer un meilleur logement.

28Dès les premiers jours dans le ghetto, un emplacement fut réservé pour un cimetière.

29Chaque matin, des milliers de Juifs, hommes et femmes et même des jeunes, étaient conduits au travail dans diverses entreprises en ville ainsi que dans des lieux de travail de l’armée hitlérienne. Aussi bien le matin à la sortie du ghetto que le soir au retour, ils étaient rigoureusement contrôlés aux portes par les gardes hitlériens au cas où ils sortiraient ou rapporteraient quoi que ce soit. Les gardes veillaient en particulier à ce qu’ils n’aient pas de nourriture. Et pourtant, les Juifs se débrouillèrent pour introduire en fraude de la nourriture, malgré le grand danger que cela représentait. Cette contrebande fut l’un des plus importants moyens à l’époque pour maintenir en vie de nombreux Juifs qui souffraient de la faim.

Le journal du ghetto de Pessah Kaplan

30Pessah Kaplan était un écrivain juif connu, directeur du quotidien yiddish de Bialystok Notre vie. Dans le ghetto, il fut l’archiviste du Judenrat, qu’il connut ainsi de l’intérieur. Il tint son journal jusqu’à sa mort en mars 1943, et celui-ci fut retrouvé après la guerre dans les ruines du ghetto.

La formation du Judenrat et ses caractéristiques

31Dès le premier jour de l’entrée des Allemands à Bialystok, le commandant, un général, envoya chercher le rabbin Gedalia Rozenman et le reçut dans son bureau, dans les locaux de l’ancienne banque d’État, pour l’informer qu’il était nommé Obmann (président) des Juifs de Bialystok et qu’il devait former pour le lendemain un Judenrat de douze membres dont il lui soumettrait la liste. Impossible, bien entendu de refuser. La ville était comme déserte, les Juifs s’étaient dispersés en tous sens, ceux qui étaient restés s’étaient enfermés chez eux.

32Il convoqua donc les dirigeants communautaires qui collaboraient avec lui à la communauté. Graves et conscients des nécessités de l’heure, ils ne se dérobèrent pas et prirent sur eux la responsabilité de cette mission risquée. À l’heure dite fut remise la liste des douze noms qui fut portée à vingt-quatre quelques semaines plus tard, suite à une ordonnance des autorités. Et bien que les « huiles » du Judenrat aient plus d’une fois affirmé dans leurs déclarations publiques qu’ils n’étaient pas un organisme public mais un organe d’exécution des ordonnances des autorités allemandes, le Judenrat, était formé à presque 100 % de dirigeants communautaires reconnus et était considéré comme très compétent. On doit pourtant reconnaître que dans ces circonstances, il y eut néanmoins des manifestations de suffisance et d’autocratie.

33Dès le premier jour, les fonctions du Judenrat furent sous la dépendance des autorités. L’Obmann et son adjoint, l’ingénieur Barash, allaient chaque matin chez le représentant des autorités, écoutaient les ordres, revenaient et donnaient les instructions pour une mise en œuvre immédiate, la plus scrupuleuse possible. Une fois, pour un retard de cinq minutes, ils goûtèrent de la cravache sur leur dos. Une autre fois, pour une broutille, on leur demanda de laver pendant une demi-heure une voiture à mains nues. Tout ordre, aussi mesquin et insignifiant fût-il, était accompagné de l’avertissement « Sinon, on fusille ».

34Très vite, le rabbin, vu son âge et sa mauvaise santé, dut renoncer en pratique à ses fonctions et tout le travail fut à la charge de Barash qui porte jusqu’à aujourd’hui (mars 1943) le titre d’adjoint ; mais il est Obmann de fait et véritablement l’unique représentant de la population juive. Les entrevues avec les autorités ayant lieu plusieurs fois par jour, il obtint l’autorisation de se déplacer en fiacre. Il était considéré par le grand public comme le dictateur du ghetto. Il fut en fait le seul à en prendre constamment le pouls et à mener sans interruption le combat sur deux fronts. Soit avec les Allemands, pour écarter, réduire ou repousser de durs décrets, soit avec les Juifs pour pallier les défauts et les injustices dans notre propre intérêt. Ses principales qualités étaient sa formidable énergie, sa droiture, son obstination, sa parfaite précision et surtout ses mains propres. La tête haute, fier de son équité, il regardait tout le monde droit dans les yeux et il exigeait sans pitié la même chose de ses collaborateurs. Il se distinguait aussi par la rapidité de son jugement, son extraordinaire bon sens et son esprit logique, dans ses pensées comme dans ses paroles. Ses discours étaient ceux d’un homme d’État, courts, clairs, allant au fait sans paroles inutiles, avec un enchaînement logique. Ses façons dictatoriales correspondaient sans doute à son caractère, mais pas à ses convictions politiques. D’ailleurs, pour toute démarche responsable, il consultait le présidium, jusqu’à plusieurs fois par jour. De temps à autre avaient aussi lieu des séances du Judenrat selon un protocole précis, et lors de moments particulièrement graves, quand planait sur le ghetto un danger dont il devait être averti ; de grandes réunions publiques étaient alors organisées, où le rôle principal était tenu par le discours de l’ingénieur Barash qui était ensuite expliqué et décortiqué dans le ghetto comme parole de la Torah.

Les Allemands et le Judenrat

35Les relations avec les autorités étaient compliquées du fait du chaos qui régnait dans la hiérarchie des organes du pouvoir. Il y avait dans l’administration militaire, civile et policière, non une autorité, mais tout un conglomérat de pouvoirs dont chacun se prétendait supérieur aux autres et avait des exigences dictatoriales draconiennes. Bien souvent, elles différaient entre elles et on ne savait à laquelle obéir. En outre, on mettait sa vie en jeu car fréquentes étaient les menaces de fusiller la moitié ou la totalité du Judenrat, ou bien cent ou trois cents Juifs. Il existe même un document exigeant deux machines à écrire ; il fallait les fournir dans un délai d’une journée et si elles n’étaient pas livrées à l’heure et à la minute dites, deux membres du Judenrat seraient fusillés.

36Les choses auraient théoriquement dû être plus simples quand fut créée l’administration civile allemande du ghetto, seul organe avec lequel on devait officiellement entrer en contact. Pour éviter tout malentendu, l’administration avait remis au Judenrat une « lettre en béton », avec le sceau de l’État allemand, précisant qu’aucune autorité n’avait le droit de réquisitionner ou d’exiger quoi que ce soit, hormis l’administration du ghetto. La lettre était exposée sous verre sur le bureau de Barash. Cela réduisit partiellement l’anarchie. Cependant, le nombre de donneurs d’ordre et de seigneurs qui réclamaient ou exigeaient demeurait incroyablement grand et il fallait tous les satisfaire.

37Les exigences couvraient tous les domaines, elles n’épargnaient rien et il fallait y répondre. Un jour, un satrape eut envie de préparer pour ses hôtes de marque un repas avec des écrevisses. On fit donc parvenir au Judenrat l’ordre d’apporter dans un délai de quelques heures quelques centaines d’écrevisses sous peine de mort. Où en trouver, puisqu’il n’y en avait pas en ville ? Il se trouva des Juifs qui savaient de quels lacs on les faisait venir. On envoya un émissaire en traîneau pendant qu’on négociait une prolongation de délai et, le lendemain matin, on livra le nombre d’écrevisses exigé.

38Il y avait aussi une grande demande de vaisselle. Souvent, on exigeait des services de table avec l’indication précise de la forme des fourchettes, des couteaux, des assiettes, des soucoupes, et même de leur couleur. Le Judenrat envoyait alors ses émissaires chez ceux qui en possédaient, les rassemblait et les remettait. Cela arriva non pas une ou même dix fois, mais des dizaines de fois, car les autorités changeaient souvent. Un groupe s’en allait, un autre lui succédait. Les objets précédents avaient disparu et il fallait en fournir d’autres sans rechigner.

39Étaient particulièrement demandés la literie, les matelas, les meubles de bureau, ce qui obligea le Judenrat à organiser une réquisition permanente, volontaire ou forcée, de ces objets ainsi que de tapis de prix qu’on choisissait chez les gens les plus riches, soit gratuitement soit pour de l’argent, et dont on n’arrêtait pas d’orner les demeures des Allemands. Très grande aussi était la demande de vêtements et de chaussures qu’il fallait fournir en gros et au détail. Cela nécessitait de la part du Judenrat d’immenses efforts, tant physiques que financiers pour que tout soit disponible.

40Mais tout cela ne représentait qu’une faible partie des relations entre Judenrat et autorités. L’essentiel se composait de décrets, petits comme grands, particulièrement terribles, qui se déversaient chaque jour, parfois même à chaque heure, sur les têtes juives et le Judenrat devait rester en alerte pour les écarter ou les alléger. Il fallait à chaque fois avaler la pilule toxique tout en veillant à ne pas en être empoisonné et mourir. Le premier grand décret fut l’imposition d’une contribution d’un montant de cinq millions de roubles, cinq kilos d’or et trois cents kilos d’argent. Le Judenrat s’attaqua avec la plus grande énergie à la tâche en luttant sur deux fronts : d’un côté, servir d’intermédiaire pour réunir le montant, de l’autre, s’efforcer d’obtenir de la population la plus grande somme possible. C’était non seulement la vie des membres du Judenrat qui était en jeu, mais aussi celle de centaines d’autres Juifs. Le rabbinat lança un anathème et, en ville, il s’établit vite un climat de confiance envers le Judenrat. Les gens apportaient des centaines de roubles, d’autres donnaient leurs dernières pièces. Dix commissions travaillaient dans divers locaux et, partout, les gens faisaient la queue pour apporter de l’argent, de l’or et de l’argent-métal. Comme on réussit à effectuer le premier versement dans les délais, on trouva grâce aux yeux des autorités et on put commencer à demander une réduction de la somme d’argent et du poids d’or. Quand on apporta le second puis le troisième versement, on négocia finalement un rabais de deux millions de roubles et le Judenrat s’acquitta parfaitement de sa tâche.

41Cette ponctualité servit et aida le Judenrat en d’autres occasions et suscita même un certain respect pour ses représentants, surtout pour « l’Obmann » Barash, qui était reconnu comme un responsable capable, énergique et scrupuleux, sur lequel on pouvait compter.

42Le second décret à être durement ressenti fut le transfert dans le ghetto. On peut se figurer quelle effroyable et accablante impression produisit sur les Juifs ce décret moyenâgeux. Le Judenrat ne devait pas perdre la tête pour pouvoir tenir. Toutes les ordonnances devaient être scrupuleusement exécutées pour pouvoir bénéficier d’allégements et d’adoucissements. Et il est vrai que beaucoup furent accordés. Nous obtînmes un meilleur quartier, un plus grand nombre de rues, et beaucoup de maisons, grandes et importantes, dont les façades donnaient sur les limites du ghetto. Le terme du transfert fut reporté de plusieurs jours et la contribution de dix millions, exigée pour n’avoir pas nettoyé comme il convenait les logements abandonnés, fut finalement remise. Bien sûr, il fallut en même temps exiger des Juifs, avec la plus extrême rigueur, calme et ordre lors du déménagement sans laisser démolir les anciennes demeures comme certains s’y étaient attelés.

La police juive (service d’ordre)

43Les autorités avaient déclaré que le ghetto était une sorte d’État dans l’État, que le Judenrat avait dans cet espace les pleins pouvoirs illimités, pourvu qu’il réponde aux exigences des autorités. D’un autre côté, cela signifiait que les Allemands n’avaient aucun droit de s’immiscer dans les affaires du ghetto et qu’ils les laissaient entièrement à la charge du Judenrat.

44À cet effet, celui-ci créa d’abord sa propre police, placée sous le commandement de l’ancien commandant des pompiers, Izak Markus. Les policiers, au nombre de deux cents environ, presque tous des hommes jeunes et robustes, portaient un galon sur la casquette et un brassard sur le bras. Le ghetto avait été divisé en quatre secteurs avec un haut commandement. Le Judenrat avait beaucoup de mal à maintenir une police qui n’était pas payée à la hauteur de sa tâche et qui n’arrivait pas toujours à la remplir, mais dans l’ensemble, la machine fonctionnait bien.

45Cette police fut créée dès les premiers jours de l’occupation avant même l’instauration du ghetto. Outre ses tâches courantes pour maintenir l’ordre dans les rues, réglementer le commerce et réprimer la contrebande, elle devait, à la demande, aider les patrouilles allemandes à surveiller les portes du ghetto pour empêcher l’entrée en fraude de ce qui était interdit. Les policiers portaient aussi les invitations à se présenter pour le travail obligatoire ou pour « évacuation ». Ils devaient bien sûr empêcher les vols et arrêter les voleurs. Il y avait à cet effet une cave pour détention provisoire dans le bâtiment du Judenrat et une prison, avec cellules individuelles. Sur demande, les policiers emmenaient un détenu hors du ghetto pour le remettre aux mains de la Gestapo.

46Le Judenrat dut faire de gros efforts pour régler les rapports entre la population et la police. Le problème était que les Juifs, avec les cent grammes réglementaires de pain par jour, n’auraient plus eu qu’à passer très vite de vie à trépas, même avec les trois cents grammes du Judenrat et en ajoutant la soupe de la cuisine populaire. En outre, il fallait trafiquer, faire de la contrebande, spéculer, chercher un gagne-pain. Les policiers en avaient la possibilité et il pouvait se produire toutes sortes d’abus, comme demander un pot-de-vin, et la population les insultait souvent. D’où une démoralisation frisant l’anarchie – avec le danger que cela impliquait pour tout le ghetto.

47Après divers incidents, le Judenrat entreprit de nettoyer la police, il écarta les éléments indésirables, en envoya d’autres dans des camps de travail et, dans le même temps, demanda à la population, au moyen d’affiches et de réunions, d’obéir aux policiers, d’accéder à toutes leurs demandes et de se conduire poliment avec eux.

48Le Judenrat se mit ensuite à la recherche d’une équipe de jeunes gens honnêtes, sociables, et il les enrôla presque de force. Il faisait en vérité tout ce qu’il pouvait pour créer une bonne police et former le public à l’esprit d’obéissance, ce qu’il réussit dans une certaine mesure.

49Dans le cadre de ses possibilités, le Judenrat organisa aussi la justice par des juristes professionnels ou potentiels en différentes sections où étaient menés les procès, conformément aux règles de droit d’un État mais, bien entendu, les peines étaient fixées et exécutées en fonction des conditions du ghetto. Il y avait un tribunal dans chaque secteur de police.

La section finances du Judenrat

50Le ministre des Finances était Berl Subotnik. Il s’attacha à résoudre des problèmes financiers compliqués. Dès le début, on eut besoin d’argent pour satisfaire les exigences allemandes, mais plus tard, il fallut nous aussi avoir notre propre grand budget. Une commission spéciale institua un impôt direct qu’on préleva sur les plus fortunés et des taxes sur le pain, les loyers, la fourniture d’eau et d’électricité, etc. Plus tard, l’industrie et le travail hors du ghetto rapportèrent diverses sommes. Vu la situation instable du ghetto, il était difficile de déterminer l’impôt sur le revenu, compte tenu du bouleversement des situations anciennes et en particulier pour les commerçants, d’autant plus que beaucoup se livraient à la contrebande et au marché noir. C’est ainsi que le Judenrat fut amené à développer une section finances avec un très nombreux personnel.

Le ravitaillement

51Le Judenrat se préoccupait en priorité des besoins des fonctionnaires, des employés des institutions, hôpital, orphelinat, asile de vieillards, etc., et des travailleurs à l’intérieur et à l’extérieur du ghetto. Quelques détails ressortent.

52À partir d’une certaine quantité de seigle attribuée par les autorités, le Judenrat faisait cuire le pain par les boulangers et redistribuait à la population les rations de pain à un prix fixé. En outre, tous les travailleurs à l’intérieur ou à l’extérieur du ghetto, ainsi que les fonctionnaires, recevaient une ration s’élevant au début à 500 grammes, puis à 370 grammes et enfin à 300 grammes par jour. Le Judenrat réussit aussi à obtenir une certaine quantité de kashas[13] de diverses sortes, parfois une meilleure farine, du sucre, de l’huile et d’autres denrées.

53Les livraisons de charbon et de bois de chauffage par les autorités étaient limitées et attribuées en priorité aux institutions et aux fonctionnaires et beaucoup de logements n’étaient pas chauffés. Il en était de même pour les livraisons de pommes de terre. La viande que les autorités fournissaient était surtout constituée de têtes, de pieds de bœuf, d’intestins remplis d’excréments, de poumons, de rates, de foies, et même parfois de viande de porc recuite dont ne voulait pas la race des seigneurs. Il y eut pendant un certain temps de la viande de cheval, dont on s’abstenait au début mais qu’on finit par s’arracher.

54En 1942 fut mis en chantier sur une grande échelle le jardinage. Tous les jardins existants et tous les terrains non construits furent ensemencés. On récolta des centaines de tonnes de légumes de toutes sortes – concombres, betteraves, carottes, choux-raves, tomates, choux –, ce qui permit de satisfaire aux besoins des institutions et services sociaux et de faire baisser les prix du marché libre.

55Il y avait un manque criant de lait. Quelques dizaines de propriétaires de vaches vivaient dans le ghetto et le prix du lait était très élevé. Les autorités réquisitionnèrent un jour quelque quarante vaches et n’en laissèrent que quatre. Des Juifs réussirent à en réintroduire en fraude un certain nombre, mais le prix du lait devint exorbitant. Aussi le Judenrat créa-t-il son propre élevage pour fournir du lait aux institutions et à des malades individuels, ce qui fit baisser le prix du lait du marché libre.

La section travail

56Les exigences allemandes dans ce domaine furent, dès les premiers jours, très grandes et incroyablement capricieuses, presque impossibles à remplir. Elles étaient soudain formulées avec un court délai de quelques heures et il fallait fournir un nombre de travailleurs tel qu’on ne les avait pas sous la main, qu’on ne pouvait pas les réunir. En outre, les conditions de travail étaient souvent très dures, vraiment insupportables : pour la moindre chose, on était cruellement battu. Le Judenrat ne pouvait ni refuser, ni se récuser. Au moindre manquement, on menaçait ses responsables de les fusiller. Faute d’alternative, il dut envoyer au travail obligatoire des membres de son personnel. Des gens malhonnêtes à qui l’on envoyait une convocation ne se trouvaient pas chez eux et l’on devait prendre à leur place des gens honnêtes munis de cartes de travail qui faisaient correctement leur devoir. Le Judenrat finit par organiser une brigade de réserve de gens qui recevaient leur ration de pain à ne rien faire, en attente dans un local, ce qui permettait de répondre partiellement et dans l’instant aux exigences subites.

57Quand un jour, à l’improviste, on exigea la mise à disposition dans un bref délai, menaces à l’appui, de cent trente jeunes filles pour du travail forcé à Wolkowysk, le Judenrat dut utiliser un moyen dramatique. Il envoya sa propre police assiéger le local où se donnaient des cours professionnels pour réunir le nombre requis de jeunes filles parmi les élèves et les ouvrières – du reste, leur travail à Wołkowysk ne fut finalement pas pénible. Mais lors de l’Aktion d’extermination de la province (le 11 février 1943), leur vie fut en grand danger et le Judenrat dut déployer d’énormes efforts pour les libérer et les rapatrier.

Action sociale

58Le Judenrat créa un asile de vieillards et d’invalides de deux cents places qui subsista jusqu’à l’Aktion du 5 février 1943, au cours de laquelle il fut liquidé ; ses résidents furent parmi les premiers à être envoyés à la mort. Deux orphelinats furent également créés.

59Le Judenrat se préoccupa de fournir aux nécessiteux un repas chaud. Il y eut d’abord une cuisine pour l’intelligentsia qui n’avait pas de métier, mais elle fut progressivement ouverte à tous. Le repas coûtait dix pfennigs. Au début, on servait deux plats, une soupe et de la viande ou des légumes consistants et, plus tard, uniquement une soupe. Une seconde dut être créée pour des travailleurs pauvres, puis une troisième pour les policiers et les pompiers et leur famille. Chacune servait plus de mille repas par jour. Une cuisine casher fut également créée par les milieux orthodoxes.

Section santé et conditions sanitaires

60L’hôpital juif fut transféré dans le ghetto et agrandi pour les enfants ; une « Goutte de lait » fut créée pour les nourrissons. On mit aussi sur pied un dispensaire de soins, une dentisterie, et les pharmacies furent prises en charge par le Judenrat. Pour éviter les épidémies, ce dernier prit en charge le nettoyage des rues et l’évacuation des ordures hors du ghetto.

La section logement

61Le Judenrat nationalisa tous les logements et attribua trois mètres carrés par habitant, ce qui représente à peine plus que l’espace nécessaire pour ne pas être étouffé. La section tenait des registres et donnait des billets de logement. Sans son aval, personne ne pouvait occuper une pièce et les contrevenants étaient expulsés par la police. Cette tâche était source de nombreux imbroglios et cause de nombreuses plaintes et la section était une « vallée des pleurs [14] » et un « pic de querelles [15] » permanents.

62Il fut créé un important corps de cent quatre-vingt-dix gérants d’immeubles supervisés par quatre inspecteurs qui distribuaient les cartes de pain et percevaient les impôts. Pour chaque mètre carré, on payait un loyer et un impôt spécial au profit des autorités allemandes.

La section équipement de la maison

63Cette section tenait en réserve des objets de valeur, des meubles, de la literie, des vêtements, de la vaisselle, etc. (certains versés comme pots-de-vin), pour répondre immédiatement à toute demande des autorités. La section se chargeait de la fourniture de vêtements, de literie et autres aux nécessiteux, aux sans-abri, aux institutions, et elle avait créé un atelier de couture pour la réparation et la remise en état de vêtements usagés.

La section construction

64Elle était chargée de remodeler les locaux d’habitation en les découpant, d’en aménager d’autres pour servir d’ateliers ou y installer des institutions, de déplacer les clôtures du ghetto en fonction des demandes des autorités. Une partie des matériaux provenait de la destruction du quartier juif en vue de faire de Bialystok une ville purement allemande.

La section culture

65Il y eut, jusqu’en novembre 1942, date de l’Aktion au cours de laquelle les 200 000 Juifs de la province de Bialystok furent liquidés, deux écoles, l’une laïque de six niveaux où l’on enseignait le yiddish et l’hébreu à mille six cents enfants, l’autre orthodoxe, qui accueillait cinq cents enfants. Elles furent alors supprimées. La section développa aussi l’enseignement professionnel parallèlement à l’enseignement général qui fut par la suite abandonné.

La section statistiques

66Cette section s’occupait de l’enregistrement de la population en vue de la distribution des cartes de pain ainsi que de l’établissement de listes de gens conformément aux exigences des autorités.

La section industrie

67C’était une section très importante car l’industrie était considérée comme la bouée de sauvetage du ghetto, la branche sur laquelle on pouvait s’asseoir. C’est en raison du travail pour les autorités, disait-on, qu’on nous laisse vivre. Il fallait pour cela développer l’industrie sur une grande échelle. Le Judenrat mit en place des ateliers de toutes sortes et de toutes tailles : pour cordonniers, tailleurs, feutriers, bourreliers, menuisiers, tonneliers, charrons, électriciens, brossiers, cartonniers, ainsi que des fabriques de confitures, d’eau-de-vie, d’amidon.

68Mais l’essentiel était les grands ateliers qui travaillaient pour l’armée et occupaient des milliers de gens. Lors des sombres jours de panique de février 1943, ils servirent de refuge quand les bandes d’assassins fauchaient les vies comme du blé. Le Judenrat avait envisagé d’y faire travailler toute la population pour la sauver, mais ne put empêcher la boucherie. Il continua néanmoins par la suite à œuvrer dans cette voie.

Salles d’exposition du ghetto

69Reflet de l’essor de l’industrie du ghetto, une étonnante exposition fut organisée par l’administration civile du ghetto dans trois belles salles du fond de ses propres locaux. Y étaient exposées toutes sortes de productions : un magnifique harnachement, une selle, une paire de bottes pour cavalier, d’élégantes chaussures de femme, des brosses à chaussures, à ongles, à cheveux, etc., des vêtements en tricot, des chaussettes, des gants, des foulards, des chapeaux, des jeux de cartes, des pots de confiture, des objets de métal, de bois, des capotes en toile de soldats, pour éviter qu’ils soient vus en hiver dans la neige, des vestes et des pantalons pour soldats et civils. Deux jeunes filles parlant parfaitement l’allemand présentaient ces articles aux visiteurs en les invitant à se rendre dans les ateliers où ils étaient fabriqués.

70Cette exposition qui était la fierté de l’administration civile allemande du ghetto et du Judenrat subsista jusqu’au sinistre mois de novembre 1942, quand l’administration du ghetto passa aux mains de la Gestapo.

Autres sections

71Secrétariat. Il exista jusqu’en mars 1943. On y rédigeait tous les actes officiels en yiddish et en allemand concernant le ghetto. Il s’y trouvait aussi les archives du ghetto.

72Pompiers. Il y avait aussi une compagnie de pompiers qui disposait d’un véhicule avec une pompe à incendie.

73Services publics. L’eau et l’électricité étaient fournies par les autorités qui se faisaient payer globalement par le Judenrat, à charge pour celui-ci de percevoir les sommes dues individuellement, moyennant un pourcentage en supplément. Un gros problème était le manque de savon, y compris pour les Allemands, lesquels fournissaient un ersatz qui faisait de la mousse, ainsi que de la poudre de lavage.

La fin tragique s’annonce

74Au début, quand la vie dans le ghetto se fut « normalisée », il sembla que la période difficile se passerait sans décrets particuliers pour les Juifs. On se persuadait que, comme les nazis avaient besoin de la production que les Juifs étaient obligés de fournir à l’intérieur et à l’extérieur du ghetto, on les laisserait tranquilles. À l’époque, on avait déjà eu des échos de fugitifs où l’on parlait non seulement de durs décrets dans toute la région, mais aussi de la déportation des Juifs des petites localités. Il est vrai qu’au début, on ne savait pas où on les envoyait, mais on se disait entre nous, à voix basse, que le chemin qu’ils empruntaient les menait à la mort. Les Juifs de Bialystok avaient pourtant déjà eu une expérience quand des milliers de gens avaient été emmenés et qu’on ne les avait jamais revus.

75Et pourtant, les gens ne voulaient pas croire qu’il leur arriverait la même chose. Il faut dire que le Judenrat, formé trois semaines avant la création du ghetto, faisait aussi des efforts pour annuler divers décrets. Comme cela s’avéra plus tard, ses membres, ou tout au moins certains d’entre eux, savaient que les nazis s’apprêtaient à envoyer des Juifs en déportation. Les dirigeants avaient même, par divers moyens, fait traîner les choses. Mais cela ne suffit pas à faire obstacle aux plans nazis d’anéantissement des Juifs.

76Tout à coup, des bruits coururent que les nazis s’apprêtaient à emmener du ghetto un grand nombre de Juifs dans une direction inconnue. On ajoutait que c’était sous prétexte que le ghetto était bondé, qu’y étaient concentrés beaucoup trop de gens, d’où des risques de maladies et d’épidémies. Peu après, ces bruits devinrent une triste réalité. Avant la fête de Rosh-haShana[16] de 1941, le Judenrat fut avisé par la Gestapo que douze mille Juifs environ devraient quitter le ghetto. Les Juifs étaient censés partir en autobus et le Judenrat devrait encore payer pour cela. Il était en outre indiqué que les expulsés pourraient emporter leurs affaires.

77Pour évoquer la dureté de ce nouveau décret, écrit Refael Raizner dans son livre L’Anéantissement de la communauté juive de Bialystok, une session spéciale du Judenrat fut convoquée. La séance fut longue et douloureuse car il fallait décider qui serait à inclure parmi les douze mille. Le Judenrat et ses employés furent en outre avisés qu’ils n’en feraient pas partie, non plus que ceux qui travaillaient à l’extérieur du ghetto. N’étaient à prendre en compte que les Juifs du ghetto qui ne travaillaient pas. Il n’était pas facile pour les dirigeants de résoudre le problème du choix des Juifs que les nazis se préparaient à expulser. Ils trouvèrent finalement une solution : les premiers seraient les pauvres, puis viendraient ceux qui habitaient les maisons communes appelées kolkhozes. Et pour le reste manquant au total, on établirait des listes alphabétiques.

78Dès que cette décision fut rendue publique, écrit encore Raizner, ceux qui ne travaillaient pas cherchèrent tous les moyens pour s’insérer parmi ceux qui n’étaient pas destinés à être expulsés. Certains chefs juifs de groupes de travailleurs qui avaient la possibilité d’obtenir des emplois hors du ghetto pour de petites sommes d’argent auprès de leur patron allemand, ou même gratuitement, prenaient pour de tels « permis » de grosses sommes, même aux pauvres. Ils réclamaient dix à vingt-cinq dollars, ce qui, à l’époque, était une fortune pour les pauvres. Il y avait aussi des employés du Judenrat, mais non des responsables, qui vendaient pour très cher des emplois au Judenrat. Tout le monde, en particulier la plupart des pauvres, ne savait ni comment, ni auprès de qui on pouvait obtenir de tels emplois et, surtout, les pauvres n’avaient pas l’argent nécessaire. Il faut se souvenir qu’à cause du gigantesque incendie suite à l’arrivée des nazis, trente pour cent des Juifs de Bialystok avaient perdu jusqu’à leur chemise. Comment auraient-ils eu la possibilité de se procurer vingt-cinq dollars ? Aussi étaient-ils très en colère contre ces Juifs qui voulaient s’enrichir sur le compte du malheur d’autrui. Mais il n’y avait rien à faire et la plupart furent les victimes de la première expulsion de Bialystok, de même que les femmes et les enfants de « ceux du shabbat », qui étaient sans appui et dans le besoin.

79La veille de Rosh-haShana, de très nombreux Juifs reçurent l’ordre du Judenrat de se présenter le lendemain à huit heures du matin avec leurs paquets à la main sur la place Wyzwolenie où se trouvait l’église russe et d’où ils seraient expédiés à Pruzana. On pensait que les nazis ne les y amèneraient pas vivants et, même si c’était le cas, on était à peu près sûr qu’ils seraient condamnés à mourir de faim. Les gens désignés se présentèrent à l’endroit prévu à l’heure fixée avec leurs pauvres paquets. L’ordre avait été apporté à chacun d’eux par le service d’ordre. Les nouvelles les concernant se propagèrent aussitôt dans tout le ghetto, faisant une terrible impression et suscitant peur et panique chez jeunes et vieux. On sentit brusquement que c’était le début de la fin.

Le khurban de Bialystok et de ses environs

80Les textes présentés ci-après sont des extraits extrêmement succincts du texte de Shimon Datner qui apportent des compléments ou des précisions aux chapitres précédents. Ils se rapportent essentiellement aux années 1941 et 1942. Shimon Datner est un historien originaire de Bialystok qui a publié de nombreux articles dans le journal Bialistoker Shtime (La Voix de Bialystok), à New York. Il est demeuré en Pologne après la fin de la guerre[17].

Concernant Pruzana

81Très rapidement, une délégation du Judenrat de Pruzana vint demander de l’aide à celui de Bialystok, qui accorda une somme de 100 000 roubles plus, mensuellement, 50 000 roubles, soit 5 000 marks. Cela dura jusqu’en novembre 1942. Ceux qui ne s’étaient pas laissés évacuer, ne figurant plus sur les listes, n’avaient plus droit au pain ni à un logement et erraient comme des âmes en peine. Ils subsistèrent en travaillant à l’extérieur du ghetto ou en faisant de la contrebande. Des évacués, environ 1 500, revinrent au printemps 1942, les Allemands fermaient les yeux aux portes du ghetto. Toute distinction s’effaça à partir du sinistre mois de novembre.

Travail forcé

82Le 1er avril 1942, les autorités allemandes décrétèrent le travail obligatoire pour les hommes et les femmes de 15 à 60 ans dans tout le district de Bialystok, sous peine de sévères sanctions, y compris la peine de mort. Le Judenrat organisa des cours professionnels accélérés pour la formation de travailleurs qualifiés. Une partie travaillait dans les entreprises dépendant du Judenrat dans le ghetto, l’autre à l’extérieur, dans des entreprises allemandes ; ces derniers étaient au nombre de sept mille, pour un salaire de 1 à 1,2 mark pour dix à douze heures de travail, ce qui permettait l’achat de 500 grammes de pain. Malgré les dangers encourus, ils revenaient avec des sacs de pommes de terre ou de bois sur les épaules, avec des « charognes » cachées dans leurs poches ou ailleurs – on appelait ainsi les denrées ou toute marchandise qui entrait ou sortait en fraude par les portes du ghetto, avec l’accord tacite de certains gardes allemands moyennant des pots-de-vin. Il est à noter que le Judenrat accordait aux travailleurs extérieurs 230 grammes de pain par jour au prix de 45 pfennigs le kilo.

Les travailleurs dans le ghetto

83Le nombre d’employés du Judenrat, y compris les policiers, les administrateurs d’immeuble, etc., s’élevait en juillet 1942 à deux mille deux cents. Environ neuf mille travailleurs étaient employés dans les diverses entreprises du ghetto, dont la plupart directement par le Judenrat, ce qui souligne son rôle dans l’économie du ghetto comme fournisseur de travail et de pain. Le salaire initial fut pour tous de 500 grammes de pain par jour. À l’été 1942, la ration fut réduite à 370 grammes, mais les directeurs et les autres responsables reçurent une double ration qui fut supprimée durant les difficiles jours de novembre, et la ration journalière fut ramenée à 300 grammes. Au printemps 1943, elle fut rétablie à deux kilos et demi par semaine. Outre le pain, les employés et les travailleurs recevaient irrégulièrement diverses denrées alimentaires en plus ou moins grandes quantités et, en hiver, un demi-mètre cube de bois et 100 à 150 kilos de charbon. En principe, la rémunération en argent n’existait plus.

Durant le khurban de la province

84Ici encore, ce sont des extraits très succincts du texte où sont commentés les événements tirés des archives de Kaplan.

85Alors que les Juifs étaient éliminés des villes et villages de la province de Bialystok en ce tristement célèbre 2 novembre 1942 pour les rendre judenrein, Bialystok même en fut quitte pour la peur. Mais dans le même temps, un certain nombre de rues furent retirées du ghetto, dont l’étendue fut réduite de 2,5 hectares, ce qui rendit la question du logement particulièrement ardue. Les gens expulsés erraient dans les rues avec leurs affaires à la recherche d’un coin chez des amis, au moins d’un lit pour dormir. Le Judenrat s’efforça de leur apporter de l’aide.

86Autre aggravation, ce même jour : des patrouilles armées se tenaient aux portes du ghetto, empêchant les près de huit mille travailleurs de rejoindre leur poste de travail et supprimant ainsi toute possibilité de trafic de contrebande, d’où un accroissement de la pénurie alimentaire. Le Judenrat s’efforça de leur trouver du travail dans ses entreprises à l’intérieur du ghetto. Trois semaines plus tard, le 18 novembre, les portes du ghetto furent rouvertes et les travailleurs invités à retourner à leur ancienne place.

87Le 2 novembre toujours, le Judenrat débattait d’une exigence allemande de cinq millions de roubles à titre d’impôt de « capitation » ou de « logement ». Il fallait inciter les gens à payer volontairement, d’autant que les « amis allemands » s’étaient montrés assez compréhensifs pour que les versements se fassent à raison de 700 à 800 000 roubles tous les trois jours. Si l’on dépassait les délais, on aurait affaire aux sévères mesures de la Gestapo.

88La situation commença à se stabiliser à Bialystok dans la deuxième moitié de novembre. Mais dans la province, le tragique processus d’extermination se poursuivait pleinement. Des camps de transit de Kielbasin [18], Zambrow [19], Wolkowysk, Bogusze [20] partaient quotidiennement des transports de Juifs vers la mort. Certains réussirent à s’échapper des camps de transit, d’autres sautèrent des trains de la mort, des centaines d’autres s’étaient cachés et avaient ainsi évité d’être évacués. Affamés, sous la pluie et dans le froid, ils aspiraient à un lieu de repos : le ghetto de Bialystok. À leur grande surprise, cela se passa sans grandes difficultés. Même la Gestapo, nouveau maître du ghetto, laissait entrer les Juifs dans la… prison. Cela n’était valable que pour ceux qui étaient parvenus jusqu’à Bialystok ; pour ceux qui s’en étaient éloignés, une seule sentence : la mort. Ils étaient fusillés sur place sans autre forme de procès.

L’Aktion de février 1943

89Ce texte est tiré du livre en yiddish de Rafael Raizner L’ Anéantissement de la communauté juive de Bialystok 1943-1945, publié en 1948 par le Centre de Bialystok en Australie.

90Fin janvier 1943, des bruits commencèrent à courir. Le président du Judenrat, l’ingénieur Barash, aurait reçu de la Gestapo une injonction à dresser une liste de douze mille personnes à expédier au travail. Ces tristes rumeurs renforcèrent encore l’atmosphère oppressante dans laquelle vivaient les Juifs de Bialystok qui voyaient maintenant clairement que se rapprochait à pas de géant la terrible catastrophe.

91La jeune organisation d’autodéfense, encore petite en nombre, commença à se préparer fébrilement à sa tâche. De nouveaux membres furent recrutés. Et des camarades de confiance furent envoyés hors du ghetto pour se procurer le plus vite possible le plus d’armes possible. Une grande quantité d’acide fut distribuée à des femmes audacieuses ; au moment où les brigands nazis s’approcheraient d’elles, elles leur jetteraient l’acide à la figure. Mais on ne put faire grand-chose, il restait trop peu de temps.

92La plupart des Juifs eurent à nouveau recours aux anciens moyens, se préparer des cachettes. Ceux qui n’en avaient pas encore s’en construisaient secrètement à la hâte jour et nuit. Ceux qui en avaient déjà s’efforçaient de les améliorer. Il y en eut même qui y installaient l’eau et l’électricité. D’autres avaient des cachettes avec une issue hors du ghetto pouvant contenir cent personnes.

93La nouvelle se répandit à la vitesse de l’éclair que le Judenrat avait déjà les listes des Juifs réquisitionnés : tout d’abord, les vieux, les malades et les aliénés, puis ceux qui ne travaillaient pas. Comment avait été constituée la troisième liste, personne n’en savait rien, hormis les quelques responsables qui l’avaient établie, mais ils étaient tenus au secret.

94L’atmosphère était tendue au plus haut point, le terrible malheur était imminent. Au moment où l’on apprit que le Judenrat avait déjà les listes des douze mille victimes qu’il s’apprêtait à transmettre aux brigands nazis, le militant bien connu de longue date du syndicat des artisans et membre du Judenrat Tzvi Vider décida de mettre fin à ses jours chez lui, en se pendant, après avoir écrit une lettre au Judenrat et à sa femme. On parla de son acte avec le plus grand respect et on estima qu’il s’était conduit en héros. Ce suicide accrut le climat de désespoir.

95Le 3 février 1943 arriva une commission de la Gestapo qui examina attentivement la clôture et les murs du ghetto. Le 4 février, tous les permis de sortie furent retirés aux Juifs qui travaillaient hors du ghetto. Ce même jour, la Gestapo emporta les listes des douze mille Juifs et tous les registres du Judenrat. Mais il y eut aussi quelques rares cas où des membres dirigeants du parti hitlérien et des directeurs d’atelier à l’extérieur du ghetto dévoilèrent à leurs esclaves juifs ce qui se tramait contre eux. D’autres leur proposèrent même de rester à l’atelier pendant toute la durée de la boucherie. La plupart refusèrent, ne voulant ou ne pouvant pas, dans ces terribles circonstances, laisser à l’abandon leur famille dans le ghetto. Seuls quelques-uns acceptèrent et échappèrent ainsi à la boucherie de février.

96Après ces tristes nouvelles, il était devenu clair que le terrible malheur pouvait survenir à tout instant. Dans la nuit du 4 au 5 février, une grande partie de la population ne se coucha pas, attendant avec terreur l’horrible catastrophe.

Le début de la boucherie de février

97Le jeudi à 2 heures du matin, de très nombreux bandits nazis avec à leur tête le chef de la Gestapo, Friedl, pénétrèrent en voiture dans le ghetto et s’arrêtèrent devant le Judenrat. Ils ordonnèrent au service d’ordre juif de leur amener immédiatement le président, l’ingénieur Barash, pour le forcer à assister à leur criminelle besogne.

98Les tueurs nazis procédèrent aussitôt en sa présence à leur diabolique Aktion. Ils encerclèrent un certain nombre de rues dans lesquelles ils ouvrirent le feu à la mitrailleuse. Ce fut le prélude au bain de sang. Listes en mains, ils se précipitèrent dans les maisons du secteur. Mais les Juifs figurant sur les listes avaient entre-temps été mis au courant et ils avaient disparu. Quand les tueurs nazis s’aperçurent qu’ils ne trouvaient aucune des personnes mentionnées sur les listes, ils se mirent à procéder de leur propre initiative à la boucherie de façon particulièrement cruelle. Assaillant maison après maison, ils traînaient dehors tous ceux qu’ils trouvaient. Ceux qui ne pouvaient ou ne voulaient pas les suivre étaient tués sur place.

99Malgré l’heure tardive, la nouvelle que la boucherie avait commencé se propagea comme l’éclair dans le ghetto et, en quelques instants, quinze mille Juifs disparurent dans leurs cachettes. Vu la formidable précipitation à s’y précipiter, presque personne ne put emporter quoi que ce soit, pas même un peu d’eau. Tout fut laissé en l’état, constituant un bon butin pour les tueurs nazis. À 4 heures du matin, alors que la boucherie battait son plein, une partie des tueurs se précipita rue Kupiecka pour leur besogne de bandits.

Itzkhak Malmed arrose d’acide chlorhydrique un tueur nazi

100Quand les bandits nazis assaillirent la cour du 39 rue Kupiecka et y rassemblèrent tous les habitants, un audacieux jeune homme, Itzkhak Malmed, sortit de sa poche une bouteille d’acide chlorhydrique et la jeta à la figure d’un tueur nazi qui devint aveugle ; celui-ci essaya de se défendre, sortit son revolver et tira quelques coups. Les balles touchèrent un autre bandit nazi qui tomba mort. Malmed profita du tumulte ainsi créé pour disparaître.

101Le chef des bandits, Friedl, donna l’ordre d’emmener cent hommes, femmes et enfants de la cour dans le jardin de Praga où ils furent alignés contre un mur et fusillés à la mitrailleuse. Puis les tueurs nazis y emmenèrent un groupe de Juifs qu’ils obligèrent à creuser une grande fosse dans laquelle furent jetés les martyrs. Bon nombre d’entre eux vivaient encore et la mince couche de terre dont ils avaient été recouverts se souleva durant assez longtemps.

102Les tueurs nazis avaient entre-temps transporté leur Kamerad tué au Judenrat, l’avaient étendu sur le bureau de Barash et avaient dit à celui-ci : « Vois ce que tes criminels de Juifs ont fait ! » Ils avaient ajouté cyniquement : « Maintenant, nous allons aller nous venger et vous verrez ce dont nous sommes capables. »

103Après avoir accompli l’effroyable forfait, le chef de la bande, Friedl, ordonna qu’on lui amène Barash à qui il fit part des « belles actions de ses Juifs non-reconnaissants ». Il exigea de lui que le « criminel » lui soit présenté sous 24 heures, sinon il ne pourrait tenir sa promesse de n’expulser de Bialystok « que » douze mille Juifs : c’est tout le ghetto qui périrait.

104Dès que Malmed apprit le grave danger que couraient les Juifs à cause de son acte, il montra pour la deuxième fois son héroïsme et se livra aux tueurs nazis. Il fut pendu le lendemain au portail de la cour où il avait accompli son acte héroïque. Bien qu’il fût déjà à moitié mort des suites des tortures subies, il tint un discours véhément contre les assassins. Quelques instants après sa pendaison, la corde cassa. Le corps fut aussitôt criblé de balles et pendu à nouveau à la potence où il resta accroché deux jours entiers.

Des Juifs opposent une résistance

105Quand les bandits nazis entrèrent au 10 rue Kupiecka, les habitants opposèrent une résistance héroïque. Ils se battirent avec des haches, des couteaux, des barres de fer. La femme de Mendl Kurianski, admirable, arrosa les tueurs d’acide chlorhydrique et se prépara à incendier la maison. Les tueurs nazis commençaient à se replier, mais ils reçurent des renforts, se saisirent de la femme et la précipitèrent du deuxième étage puis jetèrent son enfant après elle. Elle essaya de se relever pour s’enfuir, mais elle fut criblée de balles et, ensanglantée, tomba sur le corps mort de son enfant.

106Quand Friedl apprit la nouvelle effronterie des Juifs, il arriva en courant comme un tigre enragé et, apercevant dans la cour les héroïques Juifs rassemblés, il s’approcha et leur tira à la file une balle dans la tête. En très peu de temps, un monceau de martyrs gisait dans la cour.

107À 8 heures du matin, la boucherie s’interrompit, les bandits étaient allés dévorer leur petit déjeuner. À 10 heures, ils revinrent en plus grand nombre avec des Ukrainiens et des Biélorusses et reprirent avec une ardeur de bêtes féroces leur sanglante besogne de dévoreurs d’hommes. Ils emmenèrent de force avec eux le service d’ordre juif et les pompiers du ghetto, avec leurs machines et leurs accessoires.

108Les nazis envoyaient les miliciens du service d’ordre dans les endroits où ils craignaient de recevoir une balle dans la tête tirée depuis les cachettes. Bien qu’en de nombreux cas, les miliciens aient découvert des planques, ils déclaraient au péril de leur vie aux tueurs nazis qu’il n’y avait rien. Que cela soit à leur louange. Dans de très rares cas, des miliciens criminels livrèrent des Juifs cachés à la Gestapo. Les pompiers juifs étaient obligés de grimper sur les toits pour rechercher ceux qui se dissimulaient et ils devaient briser avec des haches et des pinces les greniers masqués et les murs à double paroi. Mais personne dans le ghetto ne les accusa d’avoir trahi des Juifs.

109La boucherie dura toute la journée. Durant ce long vendredi, qui s’étira de 2 heures du matin à 5 heures du soir, les bandits nazis réussirent à découvrir près de trois mille Juifs qui furent emmenés à l’immeuble du Judenrat où se trouvait l’état-major de l’Aktion-boucherie. De là, les malheureux furent conduits en groupes au train où ils furent entassés dans des wagons dont les portes furent bloquées par des planches et, ce même jour, envoyés à Treblinka ou à Auschwitz.

Des dizaines de milliers dans les cachettes

110Dans une cachette qui pouvait contenir vingt à vingt-cinq personnes, ils étaient soixante-quinze à se précipiter, d’où un entassement terrible au point d’y étouffer, avec des querelles incessantes. Il n’était pas rare qu’à cause des vociférations, on n’entende même pas le pas lourd des bandits nazis quand ils s’approchaient de la cachette. À cause du bruit, ils se ruaient dans la maison, mettaient tout sens dessus dessous et, le plus souvent, la cachette était découverte.

111Un autre difficile problème se posait avec les innocents bébés. La plupart des mères avaient beau leur préparer des boissons soporifiques, il arriva plus d’une fois qu’à l’instant où les tueurs nazis se trouvaient en haut dans un appartement, un enfant se réveille en pleurant. Cet incident trahissait l’emplacement de la cachette. Dans de nombreux cas, des mères qui ne voulaient pas causer des dizaines de victimes à cause de leur enfant, lui jetaient dessus, au moindre sanglot, un oreiller qui l’étouffait instantanément.

112C’était aussi très dur pour ceux qui toussaient. Personne ne voulait d’eux dans la cachette, car la toux la plus légère pouvait causer la perte de dizaines de personnes. Mais ils niaient, prétendant qu’ils ne toussaient pas. Lorsqu’on ne les admettait pas de bon gré, certains menaçaient d’aller dénoncer tout le monde. Un grand tousseur qu’on avait expulsé d’une cachette, alla, dans sa grande fureur, la dénoncer et soixante personnes furent expédiées à Treblinka.

113À cause de l’extraordinaire entassement, il régnait une atmosphère si tendue qu’au moindre déplacement, nécessaire ou non, chacun était prêt à étrangler son voisin. Des dizaines de milliers de Juifs avec femme et enfants durent vivre plus d’une semaine dans ces terribles conditions.

114Très peu de Juifs savaient au tout début de la boucherie que les travailleurs des ateliers du ghetto avaient le droit de se trouver à leur poste de travail où ils ne couraient aucun danger. Même de nombreux employés du Judenrat n’en savaient rien. Les dirigeants de la Gestapo en avaient ce jour-là informé Barash, ajoutant que, pendant la durée de l’Aktion, aucun ne devait se montrer dans la rue. Dès que la nouvelle parvint dans les cachettes, les travailleurs concernés se rendirent avec femme et enfants à leur poste de travail. Des centaines de Juifs qui voulaient être sauvés se ruaient aux portes des ateliers, mais les gardes et les membres du service d’ordre ne laissaient entrer que ceux qui y travaillaient, les femmes et les enfants devaient faire demi-tour. Des scènes déchirantes se déroulèrent. Les familles ne voulaient pas partir, elles disaient que leur mari travaillant là, elles avaient le droit de rester avec lui. Ce n’était pourtant pas mauvaise volonté de la part des directeurs d’atelier ou des gardes, telle était l’ordonnance de la Gestapo.

Le deuxième jour de boucherie

115Le samedi 6 février, à 7 heures du matin précises selon la manière allemande, les assassins nazis reprirent comme prévu leur épouvantable boucherie, avec les mêmes méthodes et moyens que la veille. Mais le deuxième jour, il leur fut beaucoup plus difficile de trouver des Juifs, car ceux-ci avaient tiré les leçons des erreurs de la veille. Les bandits nazis étaient très remontés contre les Juifs assez « culottés » pour ne pas se laisser attraper aisément et c’est très mécontents qu’ils menèrent leur sauvage chasse à l’homme. Malgré leurs multiples efforts, ils attrapèrent moitié moins de victimes que la veille.

116La hideuse boucherie se déroulait comme suit : à midi pile, c’était la pause déjeuner et à 5 heures du soir précises, la boucherie s’interrompait ; à 5 heures et demie, il n’y avait plus de bandits nazis dans le ghetto.

117Beaucoup de Juifs savaient maintenant que, dans les ateliers du ghetto, la vie était assurée. Des masses de Juifs, sac au dos, se dirigèrent jusque tard dans la nuit vers ces nouveaux lieux de refuge. Comme le premier jour, seuls y furent admis ceux qui y travaillaient. Les gens étaient furieux qu’on ne laisse pas entrer leur femme et leurs enfants ou leurs parents.

118L’ingénieur Barash intervenait sans cesse auprès de la Gestapo pour que femmes et enfants de travailleurs se retrouvent avec eux. Les chefs gestapistes promettaient toujours qu’ils allaient sous peu satisfaire à cette demande.

119Le dimanche 7 février, il faisait déjà jour. Une heure se passa, puis une deuxième après l’heure habituelle du début de la boucherie. Tout était silencieux, on n’entendait rien, ni le bruit des voitures, ni le pas lourd des brutes, ni les signaux d’alarme de la machine des pompiers, ni aucun tir. Les plus hardis commencèrent à s’extraire de leur trou, s’attardèrent un court instant et revinrent en disant que tout était calme, que les tueurs nazis n’étaient pas venus ce jour-là.

120Au bout d’une demi-journée, on voyait davantage de Juifs, le visage blême et effrayé, traîner dans les rues et les cours. Ils cherchaient à se renseigner auprès de leurs proches sur ce qui se passait. Des femmes sortirent aussi de leur cachette pour faire cuire un peu de nourriture pour leurs petits enfants prostrés, qui n’avaient pas eu depuis trois jours la moindre cuiller de nourriture cuite dans la bouche.

Le troisième jour de boucherie

121Le lundi 8 février, à 7 heures du matin, la boucherie reprit, toutes les rues furent bloquées et, avec la même ardeur qu’auparavant, l’intrusion diabolique dans les maisons recommença. Les murs étaient fracassés, les planchers et les toits arrachés, les étables saccagées, la terre des cours et des jardins retournée. Résultat, les tueurs nazis capturèrent beaucoup moins de victimes que les deux premiers jours.

122Les femmes apprirent que Barash avait réussi à obtenir de la Gestapo qu’elles rejoignent avec leurs enfants leur mari. Jusqu’au milieu de la nuit, elles se dirigèrent vers les ateliers où avaient lieu de terribles bousculades. Elles se disputaient et se battaient pour entrer les premières. Les ateliers étaient bondés, à ne pouvoir y introduire une épingle.

123Que se passait-il à l’intérieur ? Là où étaient employés mille travailleurs en trois équipes et où il n’y avait de la place que pour trois cent cinquante personnes étaient rassemblés, avec les femmes et les enfants, deux bons milliers de gens. On peut donc se figurer l’entassement qui en résultait. De plus, on s’efforçait de réserver quelques pièces pour les petits enfants dont on se préoccupait plus spécialement, selon les possibilités, durant ces terribles journées.

124L’immeuble du Judenrat, dans lequel se trouvaient certains de ses membres et le service d’ordre, bénéficiait également de la protection de la Gestapo. La plupart des membres du Judenrat reçurent des permis de travail des ateliers où ils se trouvaient depuis le lundi, quelques-uns en reçurent de Barash. Les quatre locaux des commissariats du service d’ordre où se trouvaient les femmes et enfants de ses membres bénéficièrent également de la protection de la Gestapo.

125Les femmes et enfants des pompiers trouvèrent protection dans le garage des pompiers.

126Il arrivait que surgisse soudain dans les ateliers bondés le chef des bandits, Friedl, pour vérifier qu’il ne s’y trouvait pas de Juifs qui ne dépendaient pas de l’atelier. Bien entendu, il n’en manquait pas. Quand il réussissait à en découvrir, il les conduisait dehors et les abattait sur place ou, dans le meilleur des cas, il les expédiait dans un transport pour Treblinka.

Le quatrième jour de boucherie

127Quand les tueurs nazis constatèrent que le lundi ne leur avait pas livré le nombre de victimes prévu, ils commencèrent à mettre en œuvre, le mardi 9 février, une nouvelle tactique diabolique. Lorsqu’ils découvraient une cachette où le nombre de victimes était faible, ils proposaient aux Juifs mortellement effrayés de leur indiquer, pour être libérés, où se cachaient d’autres Juifs. Le désir de sauver leur propre vie obscurcissait tout sentiment humain chez certains qui acceptaient de le faire. La plupart des traîtres étaient relâchés, mais il arrivait aussi qu’après avoir obtenu des dénonciateurs les informations nécessaires, les tueurs nazis les exécutent en criant : « Tu meurs comme un traître aux Juifs ».

128Une cachette avait été découverte, dans laquelle se trouvait une femme avec un bébé dans les bras. Extrêmement énervée, elle le jeta dans le profond puits de la cour. À la vue de cette scène, un gestapiste à qui il restait, semble-t-il, des sentiments humains, ordonna, les larmes aux yeux, à trois membres du service d’ordre présents de le sauver. L’un d’eux descendit dans le puits le long d’une chaîne. Il s’en fallut de peu qu’il ne se noie lui-même, mais après de très gros efforts de ses camarades et du gestapiste, ils réussirent ensemble à remonter le bébé à moitié mort. Le gestapiste au « cœur tendre » utilisa ensuite tous les moyens pour le sauver. Alors qu’ils étaient très occupés à cela surgit soudain d’une cachette une vieille femme que le gestapiste remarqua et voulut arrêter. Mais les membres du service d’ordre lui dirent que la mère de l’enfant venait tout juste d’être emmenée à Treblinka, et que la vieille femme pourrait lui servir de mère. Le gestapiste y consentit, à condition que l’enfant soit immédiatement transporté à l’hôpital.

129Un enfant de l’orphelinat incita les autres enfants à mettre eux-mêmes fin à leurs jours car, de toute manière, c’est une misérable mort par gazage qui les attendait. Seuls deux orphelins le suivirent et tous trois se pendirent à l’entrée de l’institution. Mais par leur mort, ils sauvèrent tous les autres enfants de l’institution. L’emblème de la Croix-Rouge n’empêcha certes pas les bandes de tueurs nazis d’y pénétrer à plusieurs reprises, mais devant le terrible tableau, leur cœur assoiffé de sang eut un moment de faiblesse et, tête basse, ils quittèrent les lieux.

130Grâce à cette nouvelle tactique qui consistait à inciter les Juifs capturés à trahir leurs frères, le nombre de victimes fut bien plus grand que le lundi. Comme les jours précédents, la boucherie s’interrompit à 5 heures du soir. Quand il fit bien sombre, on sortit à nouveau des cachettes pour courir se réfugier dans les ateliers car la nouvelle s’était propagée que Barash avait réussi à obtenir de la Gestapo que les parents des travailleurs puissent également s’y trouver.

131Mardi soir, Barash reçut l’ordre de la Gestapo de déblayer les rues des centaines de tués qui les jonchaient. Ce même soir, il fit savoir à la Khevra-Kadisha[21] qu’elle inclue dans ses rangs davantage de gens. Tard dans la nuit, des centaines de personnes stationnaient devant son local pour être admis dans l’association afin de pouvoir, de cette manière, se sauver d’une mort imminente, car ses membres étaient protégés.

132Barash intervenait presque chaque jour auprès de la Gestapo pour faire libérer d’éminentes personnalités capturées dans des cachettes, mais il n’y parvint que très rarement.

Le cinquième jour de boucherie

133Le mercredi 10 février, l’épouvantable boucherie reprit. La nuit, une fois que les tueurs nazis eurent quitté le ghetto, les Juifs sortirent de leurs trous et se mirent à regarder autour d’eux ce qu’avaient commis les bandits durant les terribles cinq jours de boucherie : c’était l’horreur.

134Le mercredi, il y eut aussi des cas où les Juifs mirent fin à leurs jours. Ainsi un père ouvrit les veines de ses deux filles, de sa femme et les siennes ; son fils unique ne se laissa pas faire et s’échappa des mains nazies, mais, par la suite, il devint fou.

135Après qu’environ six mille Juifs eurent trouvé asile dans les ateliers, les cachettes furent nettement plus confortables et spacieuses. La nuit, on pouvait même y somnoler. Les femmes pouvaient se déplacer plus facilement et, dès qu’il faisait bien sombre, elles sortaient pour faire cuire quelque chose pour leurs petits enfants.

Le sixième jour de boucherie

136Le jeudi 11 février, quand les bandits de la Gestapo s’aperçurent que la déportation du nombre de Juifs fixé se déroulait trop lentement et qu’ils n’auraient pas terminé dans les délais prévus, ils se mirent à appliquer à une très grande échelle l’obligation pour les victimes découvertes de dénoncer leurs frères. Pour notre malheur, ils réussirent à accroître le nombre de dénonciateurs. Avec leur aide, plus de deux mille Juifs furent découverts ce jour-là.

137Le vendredi 12 février, dernier jour de la boucherie, le nombre de Juifs extraits des cachettes fut très faible. Apparemment, il s’en fallait de peu que le chiffre de victimes fixé soit atteint et même, parmi ceux qui furent découverts, davantage réussirent à s’échapper.

Terrible bilan des sept jours de boucherie

138Au bout de sept jours d’effroyables épreuves, les nerfs étaient à vif. Il était pratiquement impossible de rester dans les cachettes où les morts gisaient à côté des vivants, eux-mêmes à moitié morts. Si la hideuse boucherie avait duré plus longtemps, beaucoup n’auraient pu tenir et bon nombre avaient même songé à se rendre.

139Ce même jour, les membres du service d’ordre firent savoir dans les cachettes que c’était le dernier jour de massacre, mais presque personne ne voulut le croire car la même information avait été donnée mercredi et jeudi. La preuve, disaient les membres du service d’ordre, c’est qu’ils n’avaient pas été convoqués pour le lendemain samedi.

140Tous voulaient y croire et personne ne put fermer l’œil de la nuit. Samedi, à 7 heures du matin, toutes les oreilles étaient à l’affût, mais pas le moindre bruit. Les plus hardis s’armèrent de courage, sortirent faire un petit tour et revinrent : il n’y avait pas de bandits nazis dans le ghetto, mais il valait mieux rester cachés. Davantage de gens sortirent et revinrent une heure plus tard avec la bonne nouvelle : ils étaient allés dans la cour du Judenrat où des responsables leur avaient déclaré que la boucherie était terminée. La joie était indescriptible, on s’embrassait et on pleurait.

141L’aspect des rues était effroyable. Appartements pillés, nombreux murs de maisons démolis, toits arrachés. Dans des centaines de familles, il n’était resté aucun témoin vivant de la tragédie. Partout des cadavres. Dans bon nombre de logements, des gens qui s’étaient empoisonnés ou pendus. Par-ci par-là, des enfants morts, souvent étouffés par leurs propres parents. Les lamentations étaient déchirantes. On n’osait pas se regarder dans les yeux, tous se sentaient coupables. L’écume aux lèvres, on parlait des tout nouveaux dénonciateurs responsables de la mort de tant de Juifs.

Vengeance contre les dénonciateurs

142Les membres du service d’ordre, qui savaient qui avait dénoncé, arrêtèrent dès le samedi trois personnes prétendument accusées de pillage et méritant pour cela la mort. Après avoir été fortement tabassés, ces hommes furent pendus et laissés ainsi durant trois jours, et presque tout le monde alla les voir. Chacun avait honte et souffrait d’assister à son propre malheur. Mais on estimait qu’on ne devait pas sauver sa vie au prix de centaines d’autres victimes.

143Le dimanche, il parut dans le journal nazi Le Journal de Bialystok le cynique entrefilet suivant : « Dix mille Juifs ont été évacués du ghetto de Bialystok pour aller travailler en Allemagne ; deux mille, qui ne voulaient pas partir et opposaient de la résistance, ont été fusillés dans le ghetto. » Toute la journée, hommes, femmes et enfants parcouraient les rues comme des fous à la recherche de leurs proches. Un grand nombre de gens s’étaient précipités, tôt le matin, au cimetière du ghetto où gisaient en tas des centaines de victimes. Beaucoup reconnaissaient leurs proches, d’où des scènes déchirantes.

144La centaine de martyrs que les tueurs nazis avaient fusillés dans le jardin de Praga et recouverts d’une mince couche de terre, d’où émergeaient des mains et des pieds, furent exhumés par la Khevra-Kadisha, avec l’aide d’autres Juifs, et transportés au cimetière où ils furent enterrés avec les autres, dans trois fosses communes, l’une pour les hommes, l’autre pour les femmes et la troisième pour les enfants.

145Le triste bilan de la boucherie de février était le suivant : deux mille Juifs tués dans le ghetto, six transports de six mille victimes expédiés à Treblinka et quatre transports de quatre mille expédiés à Auschwitz.

Le dernier chapitre de l’antique communauté

Entre la vie et la mort

146À la mi-juillet 1943, la rumeur se répandit qu’une très importante commission devait arriver ; elle était attendue avec énormément d’inquiétude. Presque personne n’osa sortir dans la rue ce jour-là. Selon des rumeurs insistantes, cette commission serait la dernière, son avis déciderait de la vie ou de la mort. Suite à sa visite, Barash confia à ses proches collaborateurs qu’il n’était pas optimiste. Il était clair que Bialystok était sur le point d’être liquidé. Les optimistes du Judenrat espéraient encore réussir à repousser le malheur.

147Face à l’imminence de la catastrophe, l’organisation de résistance fit ses derniers préparatifs et réitéra ses ordres : les groupes de combat des ateliers devaient, avec les travailleurs sur place, mener une lutte acharnée pour empêcher l’entrée des bandits nazis dans les ateliers et, quand le combat deviendrait sans espoir, les incendier et continuer à se battre dans la rue. Telles étaient les consignes que l’héroïque jeunesse juive avait reçues.

148Depuis le jour où s’était propagée cette sinistre nouvelle, l’atmosphère dans le ghetto était devenue très tendue. On vivait dans la peur, la nervosité, la panique, le désespoir. Cela dura ainsi quatre semaines qui parurent une éternité. Les rumeurs se transformèrent finalement en triste réalité.

149Le samedi 14 août 1943 arriva une commission de la Gestapo qui inspecta la clôture et les portes du ghetto. Les travailleurs qui revinrent le soir de l’extérieur du ghetto rapportèrent que beaucoup de wagons vides avaient été amenés et que des bandits ukrainiens de la Gestapo nouvellement arrivés se promenaient en ville. Pour qu’on n’en sache rien, ils étaient relégués dans de nombreuses cours de la ville. Dans certains cas aussi, des Allemands reprirent leur montre non réparée au motif qu’ils devaient partir immédiatement. Les Juifs savaient parfaitement ce que cela signifiait, car les Allemands avaient agi de même avant la sinistre boucherie de février.

150Des personnalités dirigeantes du Judenrat tentèrent de persuader les Juifs, effrayés et nerveux, que dans les prochains mois, il n’arriverait rien de fâcheux parce que la Wehrmacht venait tout juste, ces dernières semaines, de passer de très nombreuses commandes qu’il faudrait des mois pour honorer. Les officiers de la Wehrmacht qui s’occupaient de ces commandes, assuraient les directeurs des ateliers avec lesquels ils entretenaient des relations soi-disant amicales, affirmaient que les Juifs n’étaient pas en danger pour l’instant et que toutes les rumeurs inquiétantes n’avaient aucun fondement. C’est avec ces nouvelles mauvaises et peu rassurantes que s’acheva le très tendu shabbat du 14 au 15 août. On attendait dans la peur le jour suivant.

151Le dimanche 15 fut calme. Une lueur d’espoir se fit timidement jour : peut-être les officiers de la Wehrmacht avaient-ils raison. On voulait se persuader que la peur était pour le moment exagérée. Les gens partirent se coucher en espérant que l’horreur ne viendrait pas tout de suite. Mais…

152Ceux qui habitaient près de la clôture du ghetto entendirent soudain, dans la nuit du 15 au 16, à 2 heures du matin, des bruits suspects, puis, peu après, très distinctement, le lourd pas des bottes cloutées des nazis. Il devint clair que de grands groupes de tueurs nazis se rapprochaient de la clôture. Cela suscita un épouvantable tumulte, on réveillait la population endormie à qui on faisait part de la terrible nouvelle. Les Juifs de Bialystok qui étaient encore près de 40 000, se retrouvèrent en quelques instants dans la rue, courant désemparés en tous sens dans l’obscurité. On s’interrogeait : est-ce la fin ? N’y a-t-il plus d’espoir ? Liquide-t-on maintenant tout le ghetto ou seulement une partie ? Personne ne pouvait donner de réponse.

153Sous la conduite du commandant du camp de Lublin, l’Obersturmführer Thumann, et avec l’aide du bandit gestapiste Friedl, plusieurs centaines de tueurs nazis lourdement armés entrèrent en voiture à 3 heures du matin dans le ghetto où ils occupèrent immédiatement les ateliers et l’immeuble du Judenrat. À 5 heures du matin, on apprit que les tueurs nazis avaient avisé Barash que les Juifs seraient transférés avec les machines des ateliers à Lublin, où ils continueraient à travailler. Dans l’ordonnance, il était aussi précisé que les Juifs qui habitaient certaines rues devaient se trouver avant 9 heures dans des lieux de rassemblement d’où ils seraient conduits à la gare. Ceux qui n’exécuteraient pas l’ordre et se trouveraient dans le secteur devenu interdit aux Juifs seraient tués sur place. Avec cette nouvelle, il fut clair pour tous qu’il s’agissait de la liquidation complète du ghetto. Les Juifs de cette partie de la ville, hommes, femmes et enfants, se rendirent, avec leur pauvre bagage sur les épaules, dans les quelques rues qui leur avaient été assignées et qui devinrent noires de monde. À 7 heures du matin, on ne pouvait plus y circuler.

154L’autodéfense n’était pas encore prête lors de l’attaque-surprise des tueurs nazis. En outre, suite à l’occupation des ateliers, le plan d’y mener le combat puis de les incendier était devenu caduc. Les dirigeants de l’autodéfense décidèrent, après délibération, de ne pas attendre 9 heures, heure de début de la boucherie, mais d’expliquer sur-le-champ à la population qu’on ne la conduisait pas à Lublin pour travailler, mais à Treblinka pour la gazer.

155Dans nombre d’endroits, les membres de l’autodéfense tinrent des discours explicatifs. L’un d’eux déclara entre autres, devant une grande foule : « La seule issue à notre situation est d’incendier nos maisons avec tout ce qui s’y trouve afin que notre ennemi mortel ne puisse en profiter. Saisissez-vous d’armes dont il y a suffisamment et essayons de nous frayer un chemin vers les forêts où se trouvent nos frères partisans. » Quand il eut terminé, la jeunesse, enflammée par ses paroles, se jeta sur les armes. L’autodéfense décida aussi que, pour que les ateliers du ghetto brûlent, il fallait mettre le feu à toutes les maisons qui se trouvaient à proximité. C’est ainsi qu’un petit nombre de Juifs réussiraient peut-être à s’échapper du ghetto.

Le ghetto en flammes

156À 8 heures du matin, plusieurs rues étaient en flammes ainsi que les grandes meules de foin dans les jardins du Judenrat. C’est dans ces rues que s’étaient rassemblés les Juifs de l’autre partie du ghetto. Mais devant le gigantesque incendie, ils ne pouvaient trouver d’endroit où se réfugier, aussi se précipitèrent-ils dans les jardins du Judenrat où ils furent bientôt une vingtaine de mille. Mais là, un autre malheur les attendait. Dès que les tueurs nazis constatèrent que des incendies avaient éclaté dans tout le ghetto, ils débutèrent le massacre, sans attendre 9 heures comme prévu. Ils tirèrent à la mitrailleuse des balcons et des fenêtres de l’extérieur du ghetto.

157La fusillade provoqua une terrible panique. Les gens marchaient les uns sur les autres. En un instant, des centaines de personnes gisaient à terre, tuées ou étouffées. La masse compacte des gens ne savait où se réfugier, car de part et d’autre des jardins, les maisons brûlaient ainsi que les meules de foin dans les jardins, aussi se jetèrent-ils au sol. Leurs hurlements et leurs lamentations s’entendaient à des kilomètres et les scènes qui se déroulaient sont indescriptibles.

158Dans la cour de l’hôpital juif, près d’un millier de personnes s’était rassemblé, croyant que, comme lors de la boucherie de février, l’hôpital serait épargné. Mais les brutes nazies ouvrirent le feu sur les gens dont la plupart périrent.

159Alors que se poursuivait le feu nourri des mitrailleuses à l’extérieur du ghetto, des troupes fraîches de nazis ukrainiens et biélorusses puissamment armés firent leur entrée dans le ghetto. Au moment où les tanks pénétrèrent, des grenades se mirent à voler de tous côtés, lancées par l’héroïque jeunesse juive. Suite à l’intense riposte, le chef de l’autodéfense, Tadek, tomba mort, mais il réussit auparavant, avec ses tirs précis, à envoyer dans l’autre monde quelques brutes nazies. L’héroïque Khava Khalef, en lançant la première grenade, tomba morte au même instant sous une grêle de balles nazies.

160Mais la sanglante boucherie fut menée comme sur un véritable champ de bataille. Dans l’immeuble du Judenrat se trouvait l’état-major, dans les rues circulaient des estafettes en moto avec mitraillettes et grenades. Des lignes téléphoniques furent spécialement tirées, grâce auxquelles les tueurs nazis étaient en contact permanent avec le centre des bandits dans l’immeuble du Judenrat. Dans la cour de celui-ci stationnait une armée nazie de sept cents hommes qui procédaient aux derniers préparatifs pour leurs crimes dévoreurs d’hommes. En outre, plus d’un millier de brutes nazies biélorusses et ukrainiennes encerclaient la clôture du ghetto. Plusieurs centaines d’hommes occupaient les ateliers du ghetto et un millier de bandits tout juste se tenaient prêts à conduire les victimes vers les lieux d’anéantissement. De sorte que plus de 3 000 bandits armés jusqu’aux dents participèrent à la liquidation finale des Juifs de Bialystok.

161Les tirs assassins depuis l’extérieur du ghetto cessèrent soudain et, au même instant, les sept cents tueurs nazis commencèrent à se faufiler dans les rues en ouvrant un feu nourri dans les rues et vers les maisons. De nombreuses balles de fusil tirées des fenêtres et des greniers se déversèrent pourtant sur les brutes nazies qui se glissaient le long des murs. Mais il ne leur fallut pas longtemps pour parvenir aux jardins du Judenrat où se trouvaient encore plus de quinze mille personnes. Des milliers de morts et de blessés gisaient déjà par terre. Quand les nazis arrivèrent, le groupe d’autodéfense engagea le combat avec les bandits nazis armés jusqu’aux dents.

L’héroïque jeunesse juive

162L’héroïque jeunesse juive se battit à la vie et à la mort. Là où un combattant tombait, deux autres surgissaient à sa place. Nos filles, prêtes au sacrifice, leur apportaient grenades et balles. Plus d’une tomba avant d’avoir atteint son but, mais cela n’empêcha pas d’autres héroïnes d’aider à leur tour à poursuivre le combat. Abrasha Galter, l’un des plus actifs combattants du ghetto, aperçut dans les jardins du Judenrat sa sœur qui se tordait de douleur après avoir reçu une balle nazie reçue en apportant des munitions aux combattants. Ne supportant pas de voir ses souffrances et ne voulant pas la voir tomber vivante aux mains des bandits, il lui tira une balle dans la tête et mit fin à sa courageuse vie. Il réussit plus tard à s’échapper du ghetto et à rejoindre les partisans avec qui il continua à se battre avec bravoure. Mais lors d’une puissante attaque d’un groupe important de bandits nazis contre un petit détachement de partisans, il tomba mort en héros.

163La courageuse résistance dans les jardins du Judenrat dura près d’une demi-journée et coûta aux brutes nazies quelques dizaines de morts et près d’une cinquantaine de blessés. Une grande partie des combattants périt dans ce combat, inégal et surhumain, qu’ils eurent à mener avec des moyens primitifs contre une force militaire fortement armée. Un certain nombre de combattants réussirent plus tard à s’échapper et continuèrent à lutter en divers endroits. Vers 4 heures du matin, la bataille dans les jardins était terminée. Les hommes, femmes et enfants, au nombre de plus de quinze mille, qui s’y trouvaient encore après la boucherie furent encerclés par les brutes nazies et, à coups de crosses de fusil sur la tête, poussés vers le terrain de Petrasze, spécialement aménagé pour faire souffrir les Juifs. C’est en effet sur ce terrain qu’avec les autres citoyens de Bialystok, ils avaient participé à la célébration des journées d’Octobre 1917 organisée par les autorités soviétiques en 1939.

164Alors qu’il ne restait plus de Juifs vivants dans les jardins, j’observai un long moment, du grenier où je me trouvais, au 1 rue Chmielno, et qui donnait sur les jardins, le terrible tableau qui s’offrait à mes yeux. Il n’y avait pratiquement aucun endroit où ne gisaient des hommes, des femmes et des enfants morts – ou à moitié morts et dont les faibles cris et gémissements parvenaient à mes oreilles. Ceux qui se débattaient encore imploraient un peu d’eau, d’autres criaient avec leurs dernières forces « Sauvez-nous », d’autres suppliaient « Tirez-moi une balle dans la tête, je ne peux plus supporter mes terribles souffrances ». Au milieu des milliers de cadavres qui jonchaient les jardins étaient dispersés les bagages des vingt mille Juifs qui se trouvaient là encore quelques heures plus tôt.

165Tandis que se déroulaient les combats dans les jardins, un groupe de tueurs nazis avait commencé à se faufiler rue Ciepla, suivi d’une voiture de pompiers pour éteindre les maisons en feu près de la clôture du ghetto. Mais des fenêtres et des greniers, les membres de l’autodéfense ouvrirent immédiatement le feu, ce qui provoqua une grande confusion dans les rangs des nazis. Les deux audacieux camarades, Shmuel Raizner et Nakhum Kozak, âgés de seize ans, se trouvaient au grenier du 12 rue Ciepla d’où, par des tirs bien ajustés, ils abattirent deux bandits nazis qui se tenaient près de la voiture de pompiers. Peu après, ils poursuivaient le combat ailleurs.

166Dès qu’il fit sombre, je sortis de ma cachette et, malgré le danger de mort, je rampai jusqu’aux maisons voisines, cherchant, furetant, appelant. Mais aucune réponse, pas âme qui vive. Je ne renonçai pas et me glissai vers les jardins où les balles volaient comme une pluie drue. Je rampai par-dessus les morts et les mourants qui gémissaient. Près de plusieurs mères mortes, je trouvai des enfants qui pleuraient et que les tueurs nazis n’avaient, semble-t-il, pas remarqués. En certains endroits, des adultes se manifestèrent et me demandèrent où se trouvaient les cachettes, dans les rues alentour. Je leur indiquai les maisons et deux d’entre eux vinrent avec moi. Il se mit soudain à pleuvoir. Le gigantesque incendie et sa lumière s’amenuisèrent et l’obscurité tomba. La pluie redoubla, un vrai déluge. Même la nature était contre nous…

167Il y eut des cas où des Juifs qui se sauvaient furent attrapés par des voyous polonais qui les livrèrent aux tueurs nazis, lesquels les tuaient sur-le-champ en présence des Polonais qui se réjouissaient en voyant assassiner des Juifs.

168Comme la plupart des Juifs qui avaient survécu espéraient pouvoir tenir longtemps dans leurs cachettes et que, pour cela, il leur fallait d’importantes provisions, ils sortaient malgré la terrible fusillade à la recherche de vivres dans les logements abandonnés où, le plus souvent, ils piétinaient dans l’obscurité des cadavres déchiquetés par des grenades. Puis, après avoir longuement cherché, la peur au ventre, ils retournaient dans les cachettes avec un peu de nourriture.

La boucherie du terrain de Petrasze

169La masse des vingt-cinq mille Juifs, hommes, femmes, enfants et vieillards fut concentrée dans un espace limité. On y étouffait, vu l’entassement et la chaleur qui régnaient là. Ils étaient entourés de trois cordons de bandits nazis armés jusqu’aux dents. Les Ukrainiens se tenaient face aux Juifs ; derrière eux, les Lettons et les Biélorusses. Le troisième cordon était formé de bandits nazis pur sang qui, avec des mitrailleuses en quantité, encerclaient sur une large étendue le terrain et la route allant de Bialystok à Wasilkow, ainsi que toutes les voies secondaires des alentours.

170Les brutes nazies les chassaient d’un point à un autre, les gens tombaient les uns sur les autres, ceux qui tombaient étaient piétinés par des centaines d’autres. Quand le harcèlement s’arrêtait un moment, les tueurs nazis se mettaient aussitôt à tirer dans la masse. La terrible soif fit également des centaines de victimes. Dans les moments de calme, on cédait aux bandits tout ce qu’on possédait pour un peu d’eau et, même alors, ils n’en apportaient pas ; et si l’un d’eux en apportait, la bousculade était telle que l’eau tombait par terre.

171Les tueurs nazis ukrainiens battaient à coups de bâton les Juifs qui se trouvaient près d’eux et arrachaient les doigts des femmes pour prendre leurs bagues. À cet enfer s’ajouta une soudaine averse, qui trempa les gens brisés au point que des centaines d’entre eux restèrent étendus par terre, sans forces. Le petit groupe de combattants du ghetto qui se trouvait là fut bestialement assassiné par les tueurs nazis.

172Mardi, deuxième jour de la boucherie, à 7 heures moins vingt, plus de huit cents tueurs nazis, commandés par les mêmes hommes que la veille, pénétrèrent dans le ghetto et installèrent leur état-major dans l’immeuble du Judenrat. Des lignes téléphoniques furent déroulées en de nouveaux endroits en toute hâte et, à 7 heures précises, les bandits nazis sortirent de la cour de l’immeuble, se divisant en « dizaines » sous les ordres d’un « dizainier », et se tinrent prêts à sauter comme des bêtes sauvages sur les Juifs qui survivaient encore dans le ghetto. Mais il n’y en avait plus dans les rues, tous s’étaient réfugiés dans leurs cachettes.

173À chaque coin de rue, les « dizaines » prenaient les instructions des « dizainiers » qui se trouvaient près des téléphones de campagne. La chasse dévoreuse d’hommes reprit. Un petit immeuble était assailli par une « dizaine », un grand immeuble par deux. En bouleversant les appartements, ils mettaient d’abord dans leurs poches les objets de valeur. S’ils soupçonnaient l’existence d’une cachette dans la maison, ils commençaient par crier qu’il fallait sortir, sinon ils feraient immédiatement sauter la maison. Personne ne répondait, les gens savaient déjà très bien ce qui les attendait, que les brutes fassent ce qu’elles veulent. Sans plus attendre, elles lançaient des grenades et aussitôt volaient dans les airs des fragments de corps. Au cours de la journée, chaque maison fut assaillie une dizaine de fois au moins et, à chaque fois, par un groupe différent.

La vie infernale dans les cachettes

174Ce que ressentaient la dizaine de milliers de Juifs qui se trouvaient encore dans les cachettes quand, presque toutes les heures, leur maison était assaillie par les tueurs nazis à l’affût de leur vie, seul celui qui l’a vécu peut le raconter.

175Une cachette pour vingt personnes en contenait soixante. On étouffait littéralement de l’entassement. Dans de telles conditions, des disputes éclataient, ce qui provoquait la découverte de la cachette. Dans bon nombre de cachettes, il y avait des petits enfants qui ne savaient ni ne comprenaient dans quelle situation terrible on se trouvait. Bien souvent, ils se mettaient à pleurer, et dès lors, les quelques Juifs de la cachette finissaient en victimes. La tension était extrême et il fallait avoir des nerfs d’acier pour tout supporter. Beaucoup n’y arrivaient pas et mettaient fin à leurs jours.

176Le triste bilan du deuxième jour de boucherie s’établissait ainsi : à l’aide de diverses techniques telles qu’appareils d’écoute, chiens de chasse, etc., les bandits nazis sortirent des cachettes deux mille Juifs. Une partie d’entre eux fut abattue sur place et le reste conduit au centre de rassemblement des victimes découvertes ce jour puis emmené le soir à Petrasze. Ce même jour, Iaakov Goldberg, responsable du ravitaillement du ghetto, fut fusillé par la Gestapo.

177Les travailleurs qui avaient provisoirement trouvé asile dans l’atelier de cartonnage furent expédiés à Grodno [22] et, de là, emmenés dans des camions hermétiquement clos à la prison de Lomza. Quelques-uns périrent étouffés en cours de route. Peu après, ils furent transférés dans le camp de concentration du Stutthof [23]. Comme il se trouvait parmi eux de nombreux tailleurs, qui eurent la possibilité de travailler dans des locaux fermés et chauffés et d’être mieux nourris, une vingtaine d’entre eux sur soixante-dix survécurent.

178Une partie du petit groupe de Juifs qui travaillaient encore pour les tueurs nazis reçut l’ordre de se présenter le lendemain mercredi pour réparer les parties incendiées de la clôture ; les autres durent se joindre au petit nombre de charretiers juifs qui restaient pour ramasser et enterrer les milliers de cadavres dans les rues et les jardins.

179Ainsi s’acheva le deuxième jour de la boucherie. Comme le premier, les tueurs nazis se retirèrent du ghetto à 6 heures du soir. Quand il fit bien noir, des ombres commencèrent à sortir des cachettes en rampant vers les maisons proches abandonnées à la recherche de nourriture, de pétrole, de bougies, d’allumettes. Quand, dans l’obscurité, d’autres Juifs s’introduisaient soudain, leur arrivée causait une terreur mortelle. Puis en parlant ensemble, on apprenait que les bandits avaient découvert beaucoup de cachettes, avaient démonté les horloges électriques et coupé la distribution d’eau dans les maisons afin de forcer les Juifs à faire du feu sur les fourneaux et à tirer l’eau de puits lointains, afin que les traces qu’ils laissaient facilitent la découverte des cachettes.

180Puis on se donnait mutuellement des conseils : s’approvisionner en eau ne devait se faire que la nuit ; que ceux qui pouvaient s’en passer ne fassent pas de cuisine pour l’instant, et que ceux qui devaient en faire en fassent dans un logement abandonné pas trop proche d’une cachette.

181Les camarades du groupe d’autodéfense qui subsistaient dans le ghetto firent plusieurs tentatives pour s’en échapper, mais à chaque fois il y eut des victimes et, pleins d’amertume, ils durent faire demi-tour. On essaya aussi de creuser sous la clôture, mais cela échoua également.

182À deux heures du matin arrivèrent sur le terrain de Petrasze plusieurs haut gradés SS avec, à leur tête, le bouffeur d’hommes Friedl et ils ordonnèrent que tout le monde se mette immédiatement en rangs. Mais personne ne voulait être dans les premiers rangs, ce qui déclencha une formidable bagarre et une grande confusion. Soudain, une grêle de balles s’abattit, ce qui accrût encore la panique. L’un des chefs de bandits ordonna d’interrompre les tirs et demanda aux Juifs de se calmer et de se mettre correctement en rangs, sinon tous périraient. Ses paroles eurent de l’effet et, en quelques minutes, le calme régna parmi la masse de gens paniqués et condamnés à mort.

183La commission de bandits parcourut les rangs. Ils tenaient à la main une sorte de canne qu’ils passaient au cou des plus robustes et des plus jeunes pour les tirer hors des rangs. Ceux qui ne voulaient pas se séparer de leur femme et de leurs enfants recevaient plusieurs coups de canne sur la tête et, meurtris, ils devaient les abandonner. C’est de cette manière que furent extraites, jusqu’à 6 heures du soir, trois mille personnes, dont quelques centaines de femmes, qui furent conduites dans une autre partie du terrain de Petrasze.

184Tandis qu’une commission cherchait à sélectionner les plus robustes, une autre commission séparait les plus âgés et les plus faibles pour les pousser vers des charrettes toutes prêtes qui les emmenèrent au cimetière du ghetto. Là, sur ordre de Friedl, les pompiers juifs avaient préalablement creusé un grand nombre de fosses de dix mètres de long sur deux mètres de large et trois mètres de profondeur. Dès qu’étaient amenés au cimetière quelques centaines de Juifs, le bouffeur d’hommes Friedl surgissait aussitôt en voiture et ordonnait de pousser les Juifs vers les fosses. Une fois les victimes épuisées placées debout devant leurs tombes ouvertes, Friedl tirait le premier coup de feu, aussitôt suivi d’une rafale de coups tirés par le groupe de bandits nazis. Ceux qui étaient mortellement atteints tombaient dans les fosses. Les bandits se précipitaient alors vers ceux qui se tenaient encore au bord et les jetaient dans les fosses qui étaient aussitôt recouvertes de terre.

Les enfants sauvés

185La commission nazie annonça qu’il fallait sortir de la masse les enfants de moins de dix ans pour les emmener ailleurs, où ils seraient bien traités. Les parents hésitaient car ils n’accordaient aucune confiance aux promesses alléchantes des bandits. Mais comme il n’y avait de toute façon plus rien à perdre, bon nombre de parents, le cœur déchiré, firent leurs adieux à leurs jeunes enfants qu’ils remirent aux mains des assassins. Douze cents enfants furent reconduits au ghetto, dans le bâtiment de la rue Fabryczna, en face de l’hôpital, où l’on s’occupa très bien d’eux, compte tenu des circonstances. Quelques dizaines de femmes les avaient accompagnés, qui s’étaient chargées de les tenir en ordre et de tout faire pour qu’ils ne manquent de rien ; la poignée de Juifs qui se trouvaient encore dans le ghetto et bénéficiaient de la protection de la Gestapo fit preuve des mêmes préoccupations. Telle avait été la volonté des tueurs nazis.

186Ce même jour, accompagné d’un gestapiste, le fabricant de chaussures Liberman était venu sur le terrain de Petrasze, car il avait besoin de quelques dizaines de cordonniers pour empaqueter les machines et les marchandises de l’atelier. Des centaines de bras se tendirent vers lui, mais le gestapiste n’autorisa que trente hommes à partir.

187Tout au long de la journée, tous les prétendus inaptes au travail furent conduits à la gare où ils furent enfournés dans des wagons de marchandises fermés, aux portes bloquées par des planches. Le lendemain, ils se retrouvèrent à Treblinka où ils furent gazés et brûlés.

188Le jour suivant, les scènes de la veille se répétèrent sur le terrain de Petrasze, avant déportation.

189Le troisième jour de la boucherie, les huit cents bandits revinrent dans le ghetto munis de haches, de pinces, de scies, avec lesquelles ils détruisaient les maisons au moindre soupçon qu’y vivaient des Juifs cachés. Attrapaient-ils quelqu’un, les tueurs, avec un sang-froid de bandits, le tuaient avec les haches et les pinces. Ce jour-là, des Juifs commencèrent à sortir de leur cachette. Ils s’étaient rendu compte qu’à cause de la coupure de l’électricité et de l’eau, ils ne pourraient de toute façon plus tenir le coup. C’est ainsi que trois cents d’entre eux se livrèrent volontairement aux assassins nazis.

L’héroïque résistance

190Rue Jurowca non loin de la clôture s’était caché un groupe de quatre-vingts membres de l’autodéfense qui étaient prêts à tenter de s’échapper du ghetto, les armes à la main, mais quelqu’un les avait aperçus car, à 2 heures du matin, ils furent soudain encerclés par cent bandits. Débuta alors un combat à la vie et à la mort. Les jeunes héros juifs se battirent comme des lions et plus d’un tueur nazi tomba sous leurs balles. Mais quand, après un âpre combat de trois heures, soixante d’entre eux furent tués, plusieurs bandits nazis réussirent à s’approcher de la cachette. La poignée de survivants opposa encore une résistance acharnée, mais ils furent arrosés de grenades et de balles. Quand les bandits nazis pénétrèrent dans la cachette, ils dépecèrent les cadavres à la hache et à la pince.

191Le triste bilan du troisième jour de boucherie fut d’environ mille Juifs découverts, une partie fut assassinée sur place, le reste envoyé à Treblinka. Suite à l’ordre de la Gestapo donné la veille, un grand nombre de charretiers durent, ce mercredi, se charger de ramasser et de transporter les martyrs au cimetière du ghetto. Ils durent aussi transporter les victimes du terrain de Petrasze. Les nazis ukrainiens jetaient sur les charrettes tous ceux qui s’étaient évanouis et ils ordonnèrent de les enterrer avec les morts. Certains évanouis étaient, en cours de route, revenus à eux et demandèrent aux charretiers à descendre de la charrette. Mais les bandits nazis ukrainiens s’y opposèrent et ordonnèrent de jeter dans les fosses les vivants avec les morts.

192Sur ordre de Friedl, le nombre de fosses fut augmenté, mais elles devaient être bien parallèles et de dimensions précises car, toutes les quelques heures, il venait en coup de vent regarder si le travail était bien fait. Une fois, il eut l’impression que l’un des fossoyeurs ne travaillait pas correctement, et il l’abattit sur-le-champ en disant aux autres que s’ils bâclaient leur tâche, ils subiraient le même sort.

193La Gestapo voulait évacuer dans les plus brefs délais les marchandises et les machines, aussi augmenta-t-elle le nombre de travailleurs. Comme ceux-ci ne pouvaient se trouver dans leur ancien logement au risque d’être emmenés avec les gens découverts, la Gestapo ordonna qu’ils se présentent le lendemain jeudi pour monter une clôture autour de l’immeuble du TOZ[24] et des rues voisines, constituant ainsi un petit ghetto provisoire.

194Comme les jours précédents, à six heures du soir précises, la fusillade reprit sur le ghetto et les Juifs sortirent à nouveau de leur cachette dans l’obscurité pour trouver un peu de nourriture et de l’eau. La situation dans les cachettes devenait de jour en jour plus désespérée avec le risque d’être découverts. Dans ces conditions, des Juifs se mirent à creuser de nouvelles cachettes où ils pourraient se réfugier en cas de besoin. Cette troisième nuit, un incendie éclata dans un immeuble non loin de celui du Judenrat ; vingt-six personnes furent carbonisées. On ne put déterminer son origine : les bandits nazis voulaient-ils liquider ainsi toutes les cachettes ?

195Ce mercredi 18 août commença et s’acheva par l’envoi des Juifs du terrain de Petrasze à Treblinka – pour la plupart ; en comptant les transports ultérieurs, une dizaine de milliers de Juifs furent dirigés vers Lublin, Poniatowa et Majdanek.

196L’auteur rapporte les conditions atroces du transport vers Treblinka.

197Le quatrième jour de la boucherie, les tueurs nazis utilisèrent un nouveau moyen pour détecter les Juifs cachés. Ils furetaient dans les maisons assaillies pendant une demi-heure et même parfois une heure. Puis presque tous partaient en martelant le sol de leurs pas. Deux tueurs restaient sur place ; ils étaient si silencieux qu’aucun des Juifs cachés n’entendait le moindre bruit. Ceux-ci qui n’en pouvaient plus d’attendre le moment du départ des tueurs nazis respiraient plus librement, se déplaçaient dans la cachette, toussaient. L’un des deux tueurs nazis en attente courait aussitôt sans bruit chercher un groupe important de brutes nazies qui assaillaient de tous côtés la maison en criant aux Juifs de sortir immédiatement, sinon ils périraient tous. L’attaque surprise jetait le trouble et ils ne faisaient même plus attention aux hurlements car ils savaient très bien que, de toute façon, ils étaient perdus. Les bandits nazis lançaient des grenades en plusieurs endroits de la maison et finissaient par découvrir l’entrée de la cachette dans laquelle ils lançaient encore quelques grenades. Alors, c’était la panique et, dans l’instant, la cachette explosait. À l’intérieur, bon nombre de corps étaient déchiquetés, les survivants, emmenés à l’extérieur, étaient sauvagement battus pour n’être pas sortis dès le premier appel. Après avoir été soumises à une fouille rigoureuse, au cours de laquelle les brutes nazies confisquaient l’argent et les bijoux, les victimes étaient emmenées à l’asile de nuit d’où elles étaient conduites non à Petrasze, mais directement à la gare, pour être, le soir même, expédiées à Treblinka.

198Grâce à ce moyen diabolique, plus de deux mille Juifs furent découverts ce jour-là, y compris des membres de l’autodéfense qui n’eurent aucune possibilité d’opposer la moindre résistance devant ces attaques surprises.

199Quand il fit bien sombre, même les plus audacieux eurent très peur de sortir pour voir ce qui s’était passé et préparer le minimum nécessaire au lendemain. Ce n’est que vers minuit que des jeunes osèrent se glisser au-dehors. D’après un décompte, le nombre estimé de Juifs cachés ne s’élevait plus qu’à environ deux mille personnes.

200La nuit, le principal point de rencontre des Juifs était les jardins du Judenrat. Affamés, ils venaient arracher des tomates, des concombres et autres légumes. (C’est là aussi que les brutes nazies venaient charger des camions entiers de fruits et légumes.) Une fois qu’on eut compris, après discussions, les nouvelles méthodes des tueurs nazis, il fut décidé qu’il fallait dormir dans la journée, à part quelques personnes de garde, et cuisiner et manger uniquement la nuit, en espérant ainsi échapper aux diverses ruses des bandits. Cette trouvaille gêna effectivement beaucoup les bandits nazis dans leur tâche diabolique de recherche des cachettes. À 2 heures du matin, deux nouveaux incendies éclatèrent, ce qui sema la peur parmi les Juifs qui pensaient que les bandits nazis incendiaient les maisons dans lesquelles ils soupçonnaient que se cachaient des Juifs.

201Le vendredi 20 août, cinquième jour de la boucherie, les tueurs liquidèrent plus de deux cents malades avec les médecins et les infirmières de l’hôpital. Les grands malades furent jetés par les brutes nazies sur des charrettes militaires à deux roues, disposées sur deux rangs ; ceux qui pouvaient se déplacer montaient au milieu des charrettes. Ils furent conduits sous bonne garde, sous la direction de Friedl, au cimetière. Là, cette brute assoiffée de sang ordonna que tous s’alignent au bord des fosses, puis il se précipita vers une mitrailleuse et fut le premier à tirer, avant de passer leur tour aux bandits nazis ukrainiens. En l’espace de dix minutes, plus de deux cents martyrs gisaient dans les fosses.

202Après en avoir fini avec l’hôpital, les tueurs nazis firent une longue pause. Puis ils s’en prirent à nouveau au ghetto. Ce jour-là, ils ne réussirent à découvrir qu’à peine deux cents victimes qui furent emmenées au cimetière où la plupart furent fusillées par Friedl. Le bilan du cinquième jour fut donc d’à peine quatre cents tués. La clôture qu’on avait commencé à élever autour du petit ghetto était achevée. Les Juifs qui bénéficiaient de la protection de la Gestapo y transférèrent les réserves de provisions du Judenrat. Il y avait aussi pour eux une boulangerie. Les « chanceux » espéraient pouvoir s’y maintenir assez longtemps pour survivre, mais leurs espoirs furent de courte durée.

203Les douze cents enfants ramenés de Petrasze avaient été installés dans plusieurs maisons où ils vivaient dans des conditions acceptables. Grâce aux entrepôts du Judenrat, ils étaient suffisamment nourris, un grand nombre de femmes s’occupaient d’eux et plusieurs médecins les soignaient.

204Tard dans la nuit, dans les jardins du Judenrat, on s’inquiéta fortement en particulier de la nouvelle nuisance : des voyous polonais en civil s’introduisaient la nuit dans le ghetto et se glissaient dans les maisons pour piller les biens juifs. Il arrivait qu’en cherchant dans une maison quelque chose à manger, on voie soudain surgir un individu qui connaissait le mot de passe. C’est quand il prononçait quelques mots qu’on se rendait compte qu’il n’était pas juif. De peur, on perdait tous ses moyens, on ne savait pas s’il venait seulement pour piller ou s’il était envoyé par les tueurs nazis pour repérer où se cachaient des Juifs. Le plus souvent cela se terminait bien. Il était difficile de trouver une réponse à cette nouvelle nuisance. La situation du millier de Juifs cachés devenait de jour en jour plus critique.

205Le samedi 21 août, sixième jour de l’effroyable boucherie, très peu de Juifs furent découverts, ce qui mit les bandits nazis dans une terrible colère. Dès qu’ils avaient le moindre soupçon d’une présence juive dans une maison, ils la démolissaient complètement. Quand cela ne suffisait pas, ils creusaient dans les cours et les jardins, mais, là non plus, ils ne trouvaient personne. D’après leurs calculs, il devait y avoir encore un grand nombre de Juifs dans le ghetto ; en fait, il n’en restait qu’un millier à peine, aux nerfs solides et bien contrôlés. Il n’y avait presque plus d’enfants parmi eux, ce qui rendait les cachettes difficiles à découvrir.

206Ce même jour, sept cents Juifs qui aidaient à liquider les ateliers du ghetto, reçurent des permis spéciaux et s’installèrent dans le petit ghetto. Les quelques dizaines de Juifs qui furent sortis de leur cachette furent abattus sur place. Samedi, à 2 heures de l’après-midi, les bandits nazis quittèrent le ghetto. Bien qu’ils fussent partis avec quatre heures d’avance, personne ne se glissa hors des cachettes avant qu’il fasse nuit noire. Ayant appris l’existence du petit ghetto, certains, plus audacieux, s’en approchèrent. Quand ils virent que la clôture n’était pratiquement pas surveillée, ils se faufilèrent à l’intérieur et obtinrent quantité de miches de pain, ce qui était très important pour eux, car la plupart des Juifs se nourrissaient uniquement de légumes des jardins.

207Les quelques membres de l’autodéfense qui subsistaient encore après cette sixième nuit de boucherie étaient découragés et résignés, et certains se suicidèrent ; seul un petit groupe était resté combatif et fit plusieurs vaines tentatives pour s’échapper du ghetto.

208Comme lors de la boucherie de février, les bandits nazis se « reposèrent » le dimanche, mais cette fois-ci, la peur était telle que personne n’osa sortir dans la journée.

La deuxième semaine de la boucherie

209Le lundi 23 août, quatre cents assassins hitlériens arrivèrent en voiture dans le ghetto. Répartis en groupes de cinq hommes, ils se déployèrent dans tout le ghetto. N’ayant découvert que très peu de cachettes au cours des deux derniers jours, ils se mirent à utiliser de nouvelles méthodes : chercher dans les poubelles s’il n’y avait pas des détritus récents ; examiner soigneusement les fourneaux pour voir si l’on n’y avait pas fait du feu ; dans de nombreuses maisons, faire des marques sur les fourneaux ou sur d’autres endroits. De cette manière, ils découvrirent le premier jour une centaine de Juifs. Mais le lendemain, une fois connues les ruses nazies, ceux qui devaient cuisiner le faisaient dans les maisons où il n’y avait plus de traces de vie et même là on faisait très attention à la fumée et au feu. On s’ingéniait, par divers moyens, à détourner la fumée. Tout devait se faire dans l’obscurité, d’une part pour ne pas éveiller l’attention de la garde nazie près de la clôture, d’autre part, parce qu’on n’était pas absolument sûr que des brutes nazies ne rôdaient pas la nuit dans le ghetto.

210Outre les sept cents ouvriers munis de permis, un grand nombre de Juifs travaillaient encore à l’empaquetage des machines et des marchandises des ateliers. Friedl s’avisa alors qu’il n’avait plus besoin d’eux. Il leur ordonna de quitter les ateliers et de se rassembler rue Kupiecka. De là, les inaptes furent expédiés à Treblinka, les autres au camp de travail de Poniatowa, près de Lublin.

211Le mardi, huitième jour de la boucherie, les Allemands ne découvrirent personne malgré leurs nouvelles méthodes.

Dans le petit ghetto

212Les Juifs y vivaient nerveux, troublés, perturbés ; toutes les quelques heures, on contrôlait qu’il ne s’y trouvait pas de Juifs sans permis et, après chaque contrôle, les tueurs nazis prévenaient que si on en découvrait un, les sept cents Juifs seraient emmenés pour être fusillés. Malgré cela, des gens cachés s’introduisaient en fraude. Dans le petit ghetto subsistaient encore, entre autres, le rabbin Rozenman avec sa femme et ses deux filles, Barash avec sa femme et son fils, etc.

213Le mercredi 25 août, il subsistait entre cinq et six cents Juifs cachés, mais les tueurs nazis devaient estimer que leur nombre était beaucoup plus élevé. Ils inventaient chaque jour de nouvelles méthodes pour les découvrir. Ils mesuraient la longueur de l’intérieur des greniers pour la comparer à celle de l’extérieur des maisons au cas où elle serait plus courte, de même dans les logements pour détecter les doubles parois, mais cela leur fut de peu d’utilité. Le soir, en partant, ils n’avaient découvert que quelques dizaines de Juifs qui furent pour la plupart fusillés sur place.

Les enfants en route pour leur dernier voyage

214Accompagnés de médecins et de quelques dizaines de femmes, dont l’épouse de Barash, les douze cents enfants du ghetto furent conduits sous bonne garde SS, dans les derniers jours du mois d’août, dans des wagons verrouillés pour être expédiés à Theresienstadt (Terezin) [25] où ils furent isolés dans des baraques séparées.

215Ils y restèrent trois mois dans de bonnes conditions, puis ils furent soudainement expédiés à Auschwitz avec leurs accompagnateurs où ils furent gazés à leur arrivée.

216Peu de Juifs furent découverts au cours des derniers jours de la semaine ; néanmoins, l’atmosphère devenait de plus en plus oppressante. Se nourrir était chaque jour plus dur. Même si l’on arrivait, la nuit, à se procurer de la farine, il était difficile de faire cuire du pain. Certains prenaient le risque de se rendre à cet effet nuitamment dans une boulangerie, mais les tueurs nazis détectaient que du pain avait été cuit et ils n’avaient de cesse de les découvrir.

217Au bout de deux semaines à traîner dans les cachettes, les gens étaient complètement épuisés, abattus, couverts de vermine, et certains, malades. Pour toutes ces raisons, bon nombre d’entre eux recommencèrent à s’introduire dans le petit ghetto où les conditions de vie étaient, pour l’instant, meilleures. À la fin de la deuxième semaine, on estimait à cinq cents au plus le nombre de Juifs cachés.

218Au début de la troisième semaine, on commença à parler de la liquidation imminente du petit ghetto, car ceux qui s’y trouvaient étaient à présent « en trop », puisque les machines et les matières premières avaient été déménagées et les cadavres jonchant les rues enlevés, ils n’avaient plus rien à faire.

Liquidation du petit ghetto

219À la fin de la semaine arriva l’ordre suivant lequel tous les Juifs, au nombre de plus de douze cents (sept cents avec permis, plus cinq cents issus des cachettes) seraient conduits à Lublin-Poniatowa.

220Le camp de Poniatowa était un camp de travail où les conditions de détention étaient meilleures. Il fut liquidé le 4 novembre 1943 dans les mêmes conditions que celui de Majdanek le 3 novembre, c’est-à-dire à la mitrailleuse au son des valses de Strauss. Quatorze mille cinq cents personnes furent exécutées. Tous les Juifs des camps de la région de Lublin furent ainsi éliminés dans le cadre de l’Aktion Erntefest (Fête de la moisson [26]).

221La quatrième semaine, la recherche des quelques centaines de Juifs cachés ne cessa pas. Ils étaient désespérés et résignés. La liquidation du petit ghetto les avait profondément marqués. Ils étaient devenus si amorphes et découragés que beaucoup ne se souciaient même plus d’être découverts, ils voulaient en finir au plus vite avec cette situation désespérée et sans perspective.

222Ceux qui avaient résolu de poursuivre la lutte pour la vie s’encourageaient mutuellement. Ils décidèrent de préparer de la nourriture pour une longue période et ils finirent par construire des fourneaux dans les cachettes de manière à rendre difficile à détecter la sortie de la fumée. On put ainsi cuire des galettes et préparer des mets chauds.

La cruelle fin

223Un mois plus tard, le 16 septembre 1943, l’Aktion prit fin : les tirs de nuit sur le ghetto cessèrent et, le même jour, une quarantaine de bandits nazis âgés prit la relève et s’installa dans l’ancien office du travail juif. De là partaient des patrouilles de deux hommes qui parcouraient le ghetto. Dès qu’ils entendaient quelque part le moindre bruit dans une maison, l’un d’eux courait chercher du renfort et, tous ensemble, ils se mettaient à rechercher les Juifs cachés, lesquels, le plus souvent, étaient découverts. Beaucoup réussissaient à s’enfuir car la garde était constituée de gens âgés ou invalides des mains desquels il était plus facile de s’échapper.

Pages d’un tragique journal

224Le 16 août 1943, après l’écrasement de la tentative de révolte, l’auteur, comme les autres Juifs, est envoyé avec sa femme, sa fille de 7 ans et son neveu sur le terrain de Petrasze. Quatre jours plus tard, ils sont conduits aux wagons où s’effectue un tri. Il fait partie des huit cents Juifs ramenés à Petrasze. Le lendemain, les SS sélectionnent quatre-vingts travailleurs, dont lui – soixante-dix hommes et dix femmes –, qui retournent en prison à Bialystok.

Dans la prison de Bialystok

225Après le premier cercle de l’enfer à l’air libre débuta pour nous le second cercle de l’enfer, derrière les barreaux de la prison. On nous enferma dans quatre cellules, hommes et femmes à part. Notre repas se composait, le matin, de 150 grammes de pain mélangé à des pommes de terre, de betteraves et autres ersatz ; à midi, d’une portion de choucroute ; et le soir, d’un peu de farine de seigle cuite à l’eau. On nous donnait aussi un peu d’eau à boire, mais les coups des gardiens de prison polonais et le travail de forçat étaient insupportables.

226Le cinquième jour, on nous conduisit en camion à 12 km de la ville dans une exploitation qui devait appartenir au chef de police de la SS de Bialystok. Le responsable, un Polonais de Poznan, nommé Olnetzki, était un redoutable sadique qui nous frappait à coups de bâton, de planche, et avec tout ce qui lui tombait sous la main. Les gendarmes se moquaient de nous, nous invectivaient et nous battaient. Ils s’amusaient à piquer dans nos parties charnues. Le plus dur était de charger des parties métalliques de ponts ce qui nécessitait des forces surhumaines. Par ailleurs, beaucoup tombèrent malades à cause de ces travaux. Une partie d’entre nous travaillait dans des ateliers spécialisés comme tailleurs, serruriers, cordonniers, etc., que le général SS avait ouverts en ville. De temps à autre, des Juifs découverts dans les bunkers, les greniers et les caves venaient nous rejoindre en prison. Les inaptes au travail étaient fusillés, les autres restaient avec nous.

Nous nous évadons

227C’était pire de jour en jour. La vie derrière les barreaux nous pesait. Le lendemain était encore plus nébuleux, tout était noir et obscur. Nous résolûmes de chercher un moyen de nous évader de la cage aux hommes, même au prix de notre vie car nous n’avions plus rien à perdre. Le plan fut de s’échapper et de rejoindre les partisans. Un nouveau venu parmi nous, Shatzman, et Henekh Lupe nous dirent qu’ils pourraient entrer en contact avec les partisans par l’intermédiaire en ville d’un chrétien, Iuzek. Le 1er novembre 1943, nous nous glissâmes heureusement hors de notre poste de travail. À la tombée de la nuit, nous nous enfuîmes à huit, rampant parfois à quatre pattes, et allâmes chez le chrétien. Mais nous fûmes déçus : il nous dit que le partisan qui devait venir nous chercher avait été tué et que lui-même ne pouvait rien faire pour nous, il ne pouvait même pas nous cacher. Il nous laissa entrer pour quelques heures dans l’étable à cochons ; mais, plus tard, il nous mit dehors, déclarant ne pas vouloir mettre pour nous sa vie en danger. Il nous dit qu’on devait sûrement nous pourchasser de tous côtés, ce qui était une évidence, car la disparition de huit Juifs mobilisait sans aucun doute toute la police.

228La nuit était glaciale, nous claquions des dents, nous étions affamés, déguenillés, isolés, pourchassés par des bêtes sauvages humaines, dépendant de la pitié d’un paysan impassible. Nous nous jetâmes à ses pieds, le suppliant de nous sauver. Il fut apparemment touché de nos prières car il promit de nous conduire dans la forêt chez les partisans. Il nous donna les indications : nous devions traverser une première forêt dans sa longueur, puis une seconde dans sa largeur, et nous trouverions alors, parmi les arbres, un tank détruit près duquel passaient habituellement les partisans. En les voyant, il suffirait de dire deux mots : « Marilka a envoyé » (c’était le nom d’une jeune Juive qui faisait le lien avec la ville et recrutait de nouveaux partisans). Devant notre insistance, il consentit à nous mener jusqu’à la forêt.

229Dans les profondes ténèbres de la nuit, à la faible lueur de sa lampe électrique, nous nous glissâmes hors de la ville par petits groupes espacés d’une centaine de mètres à la suite de notre guide. En cours de route, nous nous perdîmes de vue et, après avoir longtemps erré, nous nous retrouvâmes sur la route de Baranowicze [27], mais à cinq seulement, trois manquaient. Iuzek nous avait laissés à l’orée de la forêt et avait disparu. Nous étions à l’abandon, par un froid glacial en pleine nuit, sans savoir quelle direction prendre. Faute d’alternative, nous pénétrâmes dans la forêt et débuta alors le troisième cercle de l’enfer. De « Juifs de prison » nous étions devenus des « Juifs de forêt ».

Nous devenons des « Juifs de forêt »

230La question était de savoir si nous parviendrions à rejoindre les partisans ou si la forêt serait un piège. Nous suivîmes les indications du paysan. Affamés, frigorifiés, épuisés, nous nous enfonçâmes dans les bois. Nous marchâmes sans arrêt trois jours et deux nuits sans trouver le tank détruit ni la trace des partisans. Nous rencontrâmes une vingtaine de villageois qui se cachaient des Allemands car ils faisaient du trafic de samogon[28], mais nous eûmes peur de rester avec eux car il arrivait qu’un Juif soit tué pour une paire de bottes. Nous errions sans but et sans issue. Je tenais à peine sur mes jambes, épuisé par la dure marche, le froid, la faim. J’avais des hallucinations. Malgré le danger, je me traînai jusqu’à un village proche pour quémander un peu de nourriture, mais je fus repoussé de partout et revins les mains vides dans la forêt. Je décidai de retourner à Bialystok, escomptant que peut-être l’un de mes amis chrétiens me laisserait entrer pour me cacher et me sustenter. Je parvins le soir même chez lui sans encombre.

231Débuta alors le quatrième cercle de mon enfer, l’errance dans les greniers, les caves et les étables à cochons, d’un goy à un autre, comme un animal repoussé vers un piège tendu. Mon ami fut effrayé en me voyant, comme si j’étais un démon venu de l’autre monde, car il ne pouvait croire qu’il y avait encore des Juifs en vie. Il me donna à manger, de l’eau pour me laver les pieds et me laissa passer la nuit. Mais le lendemain, à cinq heures du matin, il me demanda de partir par peur de la vengeance des nazis. Je n’avais pas le choix : j’allai chez quelques autres chrétiens mais tous me repoussèrent. Une jeune chrétienne me laissa passer quelques heures dans la cave pendant la journée mais, la nuit, elle me renvoya craignant que son mari, qui revenait complètement ivre, me découvre. Elle m’indiqua une étable à cochons pour m’y cacher une demi-heure, mais le froid était vif. Me sentant frigorifié, sans forces, épuisé, à bout, je sortis à l’air libre sans me cacher malgré le danger, à la merci du sort. Je ne pouvais plus de toute façon supporter cette vie furtive d’une cachette à l’autre.

De retour derrière les barreaux

232Il ne fallut pas longtemps pour que les gendarmes m’attrapent et que je me retrouve derrière les barreaux de la prison. Les tueurs me battirent sauvagement et m’assurèrent que je serais pendu le lendemain. Ils confisquèrent ma ceinture, mes lacets et tout ce qui aurait pu servir à me suicider, pour avoir le plaisir d’exécuter la sentence. Après 72 heures passées dans les caves obscures de la prison, je fus enfermé dans un très petit local portant l’inscription : « Isolement complet ». On ne pouvait ni s’asseoir ni se coucher, il fallait tout le temps rester debout, même la nuit. Le lendemain, on me fit sortir à moitié nu, par un froid glacial et venteux, dans la cour de la prison. Je crus ma dernière heure arrivée, mais j’aperçus quarante Juifs débusqués dans des caves, des greniers et des refuges, qu’on venait d’amener là. Apparemment, on nous considérait encore comme aptes au travail et on nous réintégra dans la prison. Il y avait aussi vingt enfants qui furent fusillés quelques jours plus tard.

233Au soir du Seder de Pessah[29] 1944, on nous amena un transport de dix Juifs qui s’étaient cachés d’août 1943 à avril 1944. Nous étions maintenant cinquante hommes. Notre situation en prison était désespérée. On nous donnait de très faibles rations de nourriture et on nous battait cruellement. Nos contremaîtres ukrainiens nous obligeaient à nettoyer les selles humaines avec la langue. Les souffrances et les humiliations étaient épouvantables. Nous souhaitions la mort, nous l’attendions comme une délivrance.

Dans les forêts d’Augustow

234Voici qu’arriva un jour bien plus sinistre que les précédents. On nous mit tous dans le caisson spécial qui servait à emmener ceux qui devaient être fusillés et l’on nous conduisit sous une forte garde de gendarmes avec mitraillettes sur un terrain nu près des forêts d’Augustow [30]. On nous avait munis de pelles et de crochets de boucher comme dans les abattoirs. Nous ne savions pas à quoi cela pourrait servir, mais nous avions compris que quelque chose de hideux nous attendait. Le terrain où l’on nous déposa était entouré d’une clôture de barbelés et, tout autour, des gendarmes avec des mitraillettes nous dissuadaient de nous enfuir.

235On nous demanda de creuser de profondes fosses. Au début, nous pensions que nous préparions nos propres tombes mais, en creusant profondément dans le sol, nous heurtâmes des fosses communes emplies de cadavres de Juifs liquidés dans le ghetto de Bialystok. Nous reçûmes l’ordre de les extraire à l’aide des crochets de fer, de les déposer tête-bêche sur des bûchers, de les arroser de poix et d’y mettre le feu. Une équipe creusait, une seconde transportait les victimes, la troisième construisait le bûcher avec des rondins de bois de la forêt. Je faisais partie de la troisième équipe. Ce fut mon cinquième cercle, le plus sombre, de l’enfer sous les nazis. Nous travaillâmes ainsi deux semaines. Une fois les martyrs brûlés, on nous demanda de tamiser les cendres pour récupérer les bagues, montres, dents en or et autres objets précieux non fondus dans le feu et de les remettre à nos chefs. Quant aux cendres elles-mêmes, on les déversa dans une fosse profonde au-dessus de laquelle furent plantés des arbres pour effacer complètement la moindre trace du vandalisme nazi.

L’échec de notre conjuration

236Le 6 juin 1944, je trouvai par hasard un morceau de journal et j’appris ainsi que le combat en Europe avait commencé. Depuis un certain temps, l’attitude des nazis à notre égard avait changé, conséquence de leurs défaites. Ils étaient devenus encore plus brutaux. On nous ramena à la prison de Bialystok. La garde, autour de nous, fut renforcée, nous fûmes complètement isolés du monde extérieur et on nous avertit de ne pas tenter de parler de ce à quoi nous avions travaillé dans les forêts d’Augustow : celui qui en dirait le moindre mot serait fusillé sur-le-champ.

237Deux jours plus tard, on nous transféra dans des baraques à Bojara [31] pour aller travailler chaque matin très tôt près de Nowosiolki, puis sur la route de Zielona à Grabowka [32]. C’est là qu’avaient été fusillés des milliers de Juifs lors de la liquidation du ghetto.

238Devant l’avancée des Russes, les nazis ne resteraient plus très longtemps à Bialystok. Avec cinq autres camarades, nous décidâmes une nuit de tuer les gardes près de notre cellule et de nous enfuir. Cela devait avoir lieu au moment où, comme d’habitude, on nous arracherait au sommeil pour l’appel. Mais cette nuit-là, on ne nous réveilla pas à l’heure prévue et nous ne pûmes rien faire.

Devant notre propre fosse

239Le jeudi 13 juillet, nous observâmes un étrange changement. On nous entassa dans le caisson métallique, on nous conduisit sur un terrain à Grabowka et l’on nous ordonna de combler toutes les fosses ouvertes remplies de cadavres. Nous comprîmes alors que notre travail était terminé. Près de chacun de nous se tenait un gendarme avec une mitraillette. Je sus que notre fin était venue, ce n’était qu’une question d’heures. On nous déclara que le Hauptsturmführer Nachal arriverait à midi et donnerait ses ordres. Le temps s’écoulait comme de la poix, chaque minute était une éternité. L’heure du destin, midi, avait apparemment sonné puisque le Hauptsturmführer était arrivé.

240Une seule fosse était restée ouverte et cela nous avait tous frappés. On nous retira les pelles et tout le matériel et tout fut jeté au feu. On nous retira aussi les vestes et les chemises et on nous fit mettre en demi-cercle près de la fosse ouverte. Les soixante gendarmes en face de nous, le fusil pointé. Puis un ordre tombe : en avant dans la fosse, asseyez-vous.

La fuite sous une grêle de balles

241Notre dernière minute avait sonné. L’esprit était troublé, le sang se glaçait dans les veines, des roues de feu tournaient devant les yeux, mais en voyant l’ange de la mort en face, on savait ce qu’il fallait faire. J’eus à peine le temps de crier : « Camarades, sauvez-vous ! », que je m’élançai le premier pour rompre la chaîne des gendarmes. Cela se passa si soudainement qu’avant qu’ils se ressaisissent, nous avions déjà parcouru une bonne distance. Au-dessus de nos têtes s’abattit une grêle de balles, mêlée aux cris de douleur des blessés. Nous étions quatre-vingts en prison, mais une trentaine avaient été précédemment exécutés, dix avaient péri par la suite et nous, les quarante derniers, nous nous étions, entre la vie et la mort, arrachés des pièges nazis. Beaucoup d’entre nous tombèrent sous la grêle de balles.

242Je parvins avec cinq autres camarades légèrement blessés jusqu’à la route. Ce fut le sixième cercle de l’enfer de ma vie, une galopade sous un déluge de balles, pourchassé par les criminels nazis. En arrivant à la route, nous fûmes véritablement pris au piège. En face déboulaient, tels des anges de destruction, des voitures blindées qui ouvrirent aussitôt le feu sur nous. Nous reculâmes, mais par derrière, les soixante gendarmes nous tiraient dessus comme des chasseurs à la poursuite de leur proie. Nous voyions de nouvelles victimes ensanglantées éparses sur le terrain. Nous voyions aussi les gendarmes traîner les grands blessés dans la fosse.

243Le soir tombait. Nous nous glissâmes à quatre pattes dans un buisson et y passâmes la nuit. Le lendemain, nous partîmes en rampant jusqu’à parvenir à un marais où nous tombâmes dans la boue jusqu’au cou et au-delà. Un miracle que nous ne nous soyons pas noyés ! Nous restâmes trois jours et trois nuits allongés à l’air dans le froid, nus et affamés, sans manger ni boire. Dans des circonstances normales, nous n’aurions pu tenir, mais nous avions en nous des réserves de forces surhumaines. Le troisième jour, nous essayâmes de gagner une colonie polonaise voisine, mais on nous repoussa en nous menaçant de lancer les Allemands contre nous. Nous partîmes en courant.

244Le quatrième jour, nous trouvâmes, grâce à un camarade qui connaissait la région, une hutte de terre sur la chaussée Napoléon où nous nous cachâmes quatorze jours, dont dix sans la moindre goutte d’eau. Nous nous maintenions en vie uniquement avec des petits pois crus que nous allions cueillir dans les champs tous les trois jours. Le 26 juillet, nous essayâmes d’aller chercher notre nourriture, mais nous dûmes rebrousser chemin car la forêt était fortement assiégée. Nous ne savions pas si c’étaient par les Allemands ou par les Russes. Et ce fut pour moi le septième cercle de l’enfer : affamé, nu, vagabond, assiégé dans une profonde forêt par un ennemi inconnu.

Le salut arrive enfin

245Le 27 juillet 1944, nous entendîmes des chants soviétiques et nous sûmes que nos libérateurs étaient là. Nous sortîmes de la forêt et fûmes accueillis en camarades par les soldats russes qui nous donnèrent des vêtements et à manger et qui nous ramenèrent à Bialystok. Après avoir parcouru les sept cercles de l’enfer sous les nazis, c’était enfin la première fois que je respirais librement et que je reprenais goût à la vie. Nous étions cinq au total. Trois autres Juifs restés en ville se firent connaître.


Date de mise en ligne : 28/02/2017.

https://doi.org/10.3917/rhsho.200.0083

Notes

  • [1]
    Capitale de la Biélorussie. Les autorités soviétiques avaient interdit dans leur zone tous les partis politiques juifs ex-polonais et arrêté bon nombre de dirigeants et militants.
  • [2]
    En yiddish : Synagogue.
  • [3]
    Chandelier à sept branches, en souvenir du candélabre du Temple de Jérusalem.
  • [4]
    En hébreu : Shkhita. Ce terme désigne habituellement l’abattage du bétail et de la volaille suivant les règles de la loi juive.
  • [5]
    En hébreu : destruction. Ce terme fait référence à la destruction du Temple de Jérusalem par Nabuchodonosor en 586 avant l’ère chrétienne, et à celle du second Temple par Titus en 70. C’est le terme utilisé en yiddish pour désigner la Shoah ainsi que les grands massacres au cours des âges.
  • [6]
    Ce texte parut initialement dans le journal new-yorkais Bialystoker Shtime, en novembre-décembre 1946.
  • [7]
    Localité située à l’est de Bialystok, actuellement en Biélorussie.
  • [8]
    Localité située à 4 km au nord de Bialystok.
  • [9]
    En hébreu : Gzera ; en yiddish : Gzeire. Ce terme a toujours désigné une importante mesure prise par les autorités à l’encontre des Juifs.
  • [10]
    En yiddish : Di gele late. Pièce de tissu utilisée pour rapiécer un vêtement ou un autre tissu. Les Juifs appelaient ainsi par dérision la marque infamante.
  • [11]
    En hébreu : bouclier de David, en forme d’étoile à six branches.
  • [12]
    Localité située au nord-est de Bialystok, actuellement en Biélorussie.
  • [13]
    En polonais : Kasza. Gruau habituellement de sarrasin mais aussi d’orge.
  • [14]
    En hébreu : Emek Habakha. Référence aux Psaumes, LXXXI-7.
  • [15]
    En hébreu : Sela makhlekot. Référence à I Samuel XXIII-28, où le sens propre est « rocher de la séparation ».
  • [16]
    Jour de l’an juif, qui a lieu entre fin septembre et début octobre.
  • [17]
    Ce texte fut initialement rédigé pour la Commission historique juive en Pologne dans l’immédiat après-guerre, mais ne fut finalement pas publié, à l’exception d’un chapitre en traduction polonaise.
  • [18]
    Kielbasin est située non loin de Grodno, à environ 80 km de Bialystok.
  • [19]
    Localité située à 67 km au sud-ouest de Białystok.
  • [20]
    Localité située à environ 80 km au nord de Bialystok, près de Grajewo.
  • [21]
    En hébreu : sainte confrérie. Elle est chargée d’effectuer tous les rites à accomplir lors d’un décès, en vue de l’enterrement.
  • [22]
    Localité située à 85 km au nord-est de Bialystok, actuellement en Biélorussie.
  • [23]
    Camp de concentration situé à 36 km à l’est de Dantzig.
  • [24]
    Towarzystwo Ochrony Zdrowia (Société pour la protection de la santé) : organisation caritative juive.
  • [25]
    Camp de concentration situé à 65 km au nord de Prague où les détenus jouissaient de conditions de vie un peu moins dures avant d’être pour la plupart expédiés à Auschwitz.
  • [26]
    Voir le livre de Sam Hoffenberg, Le Camp de Poniatowa, Paris, Éditions Bibliophane-CDJC, 1988.
  • [27]
    Localité située à l’est de Bialystok, actuellement en Biélorussie.
  • [28]
    Eau-de-vie de fabrication domestique, de piètre qualité.
  • [29]
    Repas rituel le premier soir de la Pâque juive.
  • [30]
    Localité à 90 km au nord de Bialystok.
  • [31]
    Bojara, Nowosiolki, Zielona. Localités situées dans les environs de Bialystok.
  • [32]
    Localité à 3 km à l’est de Bialystok.
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