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Article de revue

La Shoah entre histoire et mémoire. Une typologie des postures antisémites dans la Roumanie post-communiste (1989-2009)

Pages 479 à 530

Notes

  • [1]
    Cet article est une version augmentée de l’article rédigé à l’occasion de notre intervention à la conférence internationale intitulée La droite radicale dans l’Europe centrale et orientale de l’après-1989. Rôle des héritages de l’histoire, New York, New York University, 24-26 avril 2008.
  • [2]
    Professeur des universités, faculté d’Études européennes, université Babes-Bolyai, Cluj-Napoca, Roumanie.
  • [3]
    Alain Finkielkraut, Le Juif imaginaire, Paris, Seuil, 1980. Andrei Oisteanu, Imaginera Evreului in cultura romana. Studiu despre imagologie in context Est-Central European (« Inventer le Juif dans la culture roumaine. Étude des stéréotypes antisémites en Europe centrale et orientale »), Bucarest, Humanitas, 2001 (paru en anglais sous le titre Inventing the Jew :
    Antisemitic Stereotypes in Romanian and Other Central-East European Cultures, Lincoln, University of Nebraska Press, 2009).
  • [4]
    Michael Shafir, « Negation at the Top : Deconstructing the Holocaust Denial Salad in the Romanian Cucumber Season » (« Négationnisme au sommet : déconstruire le déni de la Shoah en Roumanie… »), in Xenopoliana, mars-avril 2003, p. 90-122. Voir aussi « Varieties of Antisemitism in Post-Communist East Central Europe » (« Variétés d’antisémitisme en Europe centrale et orientale postcommuniste »), in Andras Kovacs et Eszter Andor (dir.), Jewish Studies at the Central European University III, 2002-2003, Budapest, Central European University, 2003, p. 175-210.
  • [5]
    Michael Shafir, Holocaust Representation in Transitional Romania. An updated Motivational Typology (« Représentation de la Shoah dans la Roumanie transitionnelle : une nouvelle typologie motivationnelle »), in Holocaust Memory and Antisemitism in Central and Eastern Europe. Comparative Issues, Bucarest, Institut national pour l’étude de la Shoah en Roumanie Elie Wiesel, 2008, p. 117-172.
  • [6]
    Benedict Anderson, L’imaginaire national, op. cit.
  • [7]
    Jacques Rupnik, « Revolutie-Restauratie » (« Révolution-restauration »), in Lettre internationale, édition roumaine, avril 1992/1993, p. 4.
  • [8]
    Sorhin Antohi, Exercitiul distantei : discursuri, societati, metode (« Exercices de distanciation : discours, sociétés et méthodes »), Bucarest, Éditions Nemira, seconde édition, 1997, p. 292-316.
  • [9]
    Michael Shafir, « Reds, Pinks, Blacks and Blues. Radical Politics in Post-Communist East Central Europe » (« Rouges, roses, noirs et bleus. Politique radicale dans l’Europe centrale et orientale postcommuniste », Studia politica, février 2001, p. 397-446.
  • [10]
    Shari J. Cohen, Politics without a Past. The absence of history in postcommunist nationalism (« Politique sans passé. L’absence d’histoire dans le nationalisme postcommuniste »), Durham (Caroline du Nord), Duke University Press, 1999, p. 85-118.
  • [11]
    Michael Waller, « Adaptation of the Former Communist Parties of East Central Europe. A case of social democratization ? » (« Adaptation des anciens partis communistes d’Europe centrale et orientale. Étude de démocratisation sociale »), Party Politics, n°4, octobre 1995, p. 473-490 (consultable sur : http://www.partypolitics.org/Volume01/v01i4p473.htm).
  • [12]
    Curentul, 6 février 2007.
  • [13]
    Curentul, 6 février 2007.
  • [14]
    Ibid.
  • [15]
    Michael Shafir, « Reds, Pinks, Blacks and Blues », art. cit.
  • [16]
    Voir Ilya Prizel, « Jedwabne : Will the Right Questions Be Asked ? » (« Jedwabne : posera-t-on les bonnes questions ? »), in East European Politics and Societies, janvier 2002, p. 278-290.
  • [17]
    Ibid.
  • [18]
    Michael Shafir, « The Men of the Archangel Revisited. Anti-semitic formations among communist Romania’s intellectuals (« Le Retour des hommes de l’archange : formations antisémites parmi les intellectuels communistes roumains »), in Studies in Comparative Communism, 3, 1983, p. 223-243. Voir aussi Michael Shafir, « From Eminescu to Goga via Corneliu Vadim Tudor. A new round of antisemitism in romanian cultural life » (« D’Eminescu à Goga en passant par Corneliu Vadim Tudor : nouvelle ronde d’antisémitisme aux affaires culturelles roumaines »), in Soviet Jewish Affairs, mars 1984, p. 3-14.
  • [19]
    Michael Shafir, « L’ère postcommuniste », in Randolph L. Braham (dir.), The Tragedy of Roumanian Jewry, New York, Columbia University Press, 1994, p. 372-382.
  • [20]
    Michael Shafir, Intre negare si trivializare prin comparatie : Negarea Holocaustului in tarile postcomuniste din Europa Centrala si de Est (« Entre négation et “banalisation comparative” : la négation de la Shoah dans l’Europe centrale postcommuniste »), Iasi, Polirom, 2002, p. 87-104 (paru en anglais sous le titre Between denial and « comparative trivialization » : Holocaust negationism in post-Communist East Central Europe, Jérusalem, Université hébraïque, 2002).
  • [21]
    Andrew Janos, « Continuity and Change in Eastern Europe : strategies of post-communist politics » (« Continuité et changement en Europe de l’Est : stratégies politiques postcommunistes »), in East European Politics and Societies, août 1994, p. 24-25.
  • [22]
    Giovanni Sartori, Parties and Party Systems. A Framework for Analysis (« Partis et systèmes de Partis. Un schéma d’analyse »), Cambridge (MA), Cambridge University Press, 1979, p. 132-133 et passim.
  • [23]
    Alina Mungiu-Pippidi, « EU Accession Is No “End of History” » (« Adhérer à l’EU ne signifie pas “fin de l’Histoire” »), in Journal of Democracy, avril 1997, p. 11.
  • [24]
    Cas Mudde, « In the Name of the Peasantry, the Proletariat and the People. Populisms in Eastern Europe » (« Au nom de la paysannerie, du prolétariat et du peuple : populismes en Europe de l’Est »), in East European Politics and Societies, février 2000, p. 37.
  • [25]
    À part les néo-populistes mercantiles, il existe d’autres catégories de néo-populistes, reprises dans mon ouvrage Vox Populi, Vox Dei and the (Head-) Master’s Voice. Mass and intellectual neo-populism in contemporary Romania (« « Vox Populi, vox Dei et la voix du maître (principal) : Néo-populisme intellectuel et de masse dans la Roumanie contemporaine »), in Vaclav Nekvapil et Maria Staszkiewicz (dir.), Populism in Central Europe, Prague, Association for International Affairs AMO, 2007, p. 81-109. Voir aussi « From Historical to “Dialectical” Populism. The case in post-communist Romania » (« Du populisme historique au populisme dialectique : le cas de la Roumanie postcommuniste »), in Canadian Slovanic Papers, 2008, n°50, p. 1-2.
  • [26]
    Michael Shafir, « Profile : Gigi Becali » (« Portrait de Gigi Becali »), in Radio Free Europe/Radio Liberty, 13 décembre 2004. Ce texte est consultable à l’adresse suivante : http://www.rferl.org/content/article/1056373.html.
  • [27]
    Ziua, 2 mai 2007.
  • [28]
    Michael Shafir, « Portrait de Gigi Becali », op. cit.
  • [29]
    Ziua, 12 novembre 2004.
  • [30]
    Cotidianul, 22 décembre 2004, et Evenimentul Zilei, 16 février 2005.
  • [31]
    Mediafax, 30 mars 2005, et Gandul, 1er novembre 2006.
  • [32]
    Cotidianul, 18 novembre 2007.
  • [33]
    Vlad Hogea, Nationalistul (« Le Nationaliste »), Iasi, Editura Crater, 2001, p. 44.
  • [34]
    Vlad Hogea, Nationalistul, op. cit.
  • [35]
    Gandul, 1er novembre 2006.
  • [36]
    Cotidianul, 6 septembre 2006.
  • [37]
    Dinu Giurescu, Romania in al doilea razboi mondial (« La Roumanie dans la Seconde Guerre mondiale, 1939-1945 »), Bucarest, Editura ALL Educational, 1999, p. 70-91 (paru en anglais sous le titre Romania in the Second World War : 1939-1945, Boulder, East European Monographs, 2000).
  • [38]
    Cotidianu, 30 juillet 2008.
  • [39]
    Alex Mihai Stoenescu, Armata, maresalul si evreii (« L’armée, le maréchal et les Juifs »), Bucarest, RAO International Publishing Company, 1998, p. 280.
  • [40]
    Alex Mihai Stoenescu, Istoria loviturilor de stat din Romania (« Histoire des coups d’État en Roumanie »), volume 2, Bucarest, RAO International Publishing Company, 2002, p. 415-416.
  • [41]
    Ibid., p. 422.
  • [42]
    Ibid., p. 423-424.
  • [43]
    Stoenescu, Histoire des coups d’État en Roumanie, op. cit., volume 3, p. 142.
  • [44]
    Voir à ce sujet l’interview du secrétaire général du PNG, Catalin Dancu dans le quotidien israélien de langue roumaine Viata noastra du 16 novembre 2007.
  • [45]
    Interesul Public, 20 novembre 2007.
  • [46]
    Viata noastra, 16 et 22 novembre 2007.
  • [47]
    Voir Evenimentul Zilei et Cotidianul, 27 novembre 2007.
  • [48]
    Cf. Michael Shafir, « The Post-Communist Era. Romania’s ruling party formalizes relations with extremists » (« L’ère postcommuniste. Le parti dominant en Roumanie formalise ses relations extrémistes »), in Transition, 4, 1995, p. 42-46 et 64 ; « Anatomy of a Pre-Election Political Divorce » (« Analyse d’un divorce politique pré-électoral »), in Transition, 2, 1996, p. 45-49 ; « Marshal Ion Antonescu’s Post-Communist Rehabilitation : cui buono ? » (« La réhabilitation postcommuniste du maréchal Antonescu : qui de bon ? »), in Randolph L. Braham (dir.), The Destruction of Romanian and Ukrainian Jews During the Antonescu Era, New York, Columbia University Press, 1997, p. 349-410 ; « The Mind of Romania’s Radical Right » (« L’esprit de l’extrême droite roumaine »), in Sabrina P. Ramet (dir.), The Radical Right in Central and Eastern Europe, University Park, Penn State University Press, 1999, p. 213-232 ; « Marginalization or Mainstream ? The Extreme Right in Post-Communist Romania » (« Marginalisation ou courants dominants ? L’extrême droite dans la Roumanie postcommuniste »), in Paul Hainsworth (dir.), The Politics of the Extreme Right. From the Margins to the Mainstream, Londres, Pinter, 2000, p. 247-267.
  • [49]
    Michael Shafir, « Extreme Nationalist Brinkmanship in Romania » (« Stratégie de la corde raide nationaliste et extrémiste en Roumanie »), in RFE/RL Research Report, février 1993, p. 31-36.
  • [50]
    Realitatea evreiasca,16 avril-15 mai 1997.
  • [51]
    RFE/RL Newsline, 22 janvier 2001.
  • [52]
    Romania Libera, 27 février 2002.
  • [53]
    Monitorul oficial al Romaniei (« Journal officiel roumain »), n° 214, 28 mars 2002.
  • [54]
    Cf. Adevarul, 29-30 juin 2002 ; Cotidianul, 28 mai 2002 ; Mediafax, du 29 juin 2002.
  • [55]
    Mediafax, 31 juillet 2002.
  • [56]
    Mediafax et Cotidianul, respectivement du 9 et du 15 avril 2002.
  • [57]
    Interprétation tirée de Mediafax (5 juillet 2002) et de Currentul (29 mai 2002).
  • [58]
    Monitorul oficial al Romaniei, n° 377, 3 mai 2006.
  • [59]
    Tuvia Friling, Radu Ioanid et Mihai E. Ionescu (dir.), Comisia internationala pentru studierea Holocaustului in Romania : Raport final, Bucarest, Polirom, 2005.
  • [60]
    Ha’aretz, édition en langue anglaise, Tel Aviv, 25 juillet 2003.
  • [61]
    Michael Shaffir, « Negation at the Top », art. cit.
  • [62]
    Cf. Cotidianul, 3 juin 2006.
  • [63]
    Michael Shafir, « Memory, Memorials and Membership : Romanian Utilitarian Anti-Semitism and Marshal Antonescu » (« Mémoire, monuments et appartenance : l’antisémitisme utilitariste roumain et le maréchal Antonescu »), in Henry F. Carey (dir.), Romania Since 1989 : Politics, Economics and Society, Lanham, Lexington Books, 2004, p. 90.
  • [64]
    Maurice Halbwachs, La mémoire collective, préface de Jean Duvignaud, introduction de Jeanne Michel-Alexandre, Paris, PUF, 1968 (2de édition revue et augmentée).
  • [65]
    Alan S. Rosenbaum, « Introduction », in Alan S. Rosenbaum (dir.), Is the Holocaust unique ? Perspectives on comparative genocide (« La Shoah est-elle unique ? Perspectives sur le génocide comparatif »), Westview, Boulder, 1996 (1re édition).
  • [66]
    Michael Shafir, Between denial and « comparative trivialization » : Holocaust negationism in post-Communist East Central Europe (« Entre négation et “banalisation comparative” : la négation de la Shoah dans l’Europe centrale postcommuniste »), Jérusalem, Université hébraïque de Jérusalem, Vidal Sassoon International Center for the Study of Antisemitism, 2002, p. 125-134.
  • [67]
    Ilya Prizel, Jedwabne, art. cit.
  • [68]
    Norman Manea, « Felix culpa » (« Felix et sa coulpe »), La Nouvelle République, 5 août 1991.
  • [69]
    Pour de plus amples détails, voir Michael Shafir, « The man they love to hate : Norman Manea’s “Snail House” between Holocaust and Gulag » (« L’homme qu’ils adorent détester : la “maison d’escargot” de Norman Manea entre Shoah et Goulag »), in East European Jewish Affairs, janvier 2000, p. 60-81.
  • [70]
    Cf. Romania Libera, 7 mars 1998.
  • [71]
    Paul Goma, Saptamana rosie 28 iunie – 3 iulie 1940. Basarabia si evrei (« Semaine rouge 26 juin-3 juillet 1940 ou la Bessarabie et les Juifs »), Bucarest, Editura Vremea XXI, 2004, p. 273.
  • [72]
    Paul Goma, Saptamana rosie, op. cit., p. 244-245.
  • [73]
    Paul Goma, Saptamana rosie, op. cit., p. 186-187 et 195.
  • [74]
    Voir à ce sujet George Voicu, Teme antisemite in discursul public (« Le thème antisémite dans le discours public »), Bucarest, Ars Docendi, 2000, p. 117-123.
  • [75]
    Ion Coja, Legionarii nostri (« Nos légionnaires »), Bucarest, Editura Kogaion, 1997, p. 156-169.
  • [76]
    Ion Coja, Marele manipulator si asasinarea lui Culianu, Ceausescu, Iorga (« Le grand manipulateur et les assassinats de Culianu, Ceausescu et Iorga »), Bucarest, Editura Miracol, 1999.
  • [77]
    Cf. Romania Mare, 26 septembre 2003.
  • [78]
    Cf. Romania Mare, 23 janvier 2004.
  • [79]
    Permanente, n° 7, juillet 2001.
  • [80]
    Michael Shafir, Intre negare si trivializare, op. cit., p. 54-59.
  • [81]
    Cf. Ion Coja, Legionarii nostri, op. cit., p. 98-111 et Dilema, 25-31 août 1998.
  • [82]
    Tony Judt, « The Past is Another Country. Myth and memory in postwar Europe » (« Le passé est un autre pays : mythe et mémoire dans l’Europe d’après-guerre »), in Istvan Deak, Jan T. Gross et Tony Judt (dir.), The Politics of Retribution in Europe, Princeton, Princeton University Press, 2000, p. 296.
  • [83]
    Ioan Coja, Holocaust in Romania : Suita de marturii si documente adunate si commentate de Ion Coja in folosul parlamentarilor si al autoritatilor implicate in elaborarea, aprobarea si aplicarea Ordonantei de Urgenta nr. 31/2002 a Guvernului Romaniei (« La Shoah en Roumanie : Suite de témoignages et documents rassemblés et commentés par Ion Coja à l’usage des parlementaires et des autorités impliquées dans l’élaboration, l’approbation et l’implementation de l’Ordonance d’urgence du Gouvernement de la Roumanie n° 31/2002 »), Bucarest, Editura Kogaion, 2002.
  • [84]
    Cf. Romania Mare, 8 avril 2005.
  • [85]
    On pourra se reporter au site internet de Vatra Romaneasca (en roumain et en anglais) : http://vatraromaneasca.ro/.
  • [86]
    Cette interprétation est tirée de Romania Mare, 11 novembre 2005.
  • [87]
    Paul Goma, Saptamana rosie, op. cit., p. 79, 172, 265.
  • [88]
    Paul Goma, « Necititorii-acuzatorii nemilosi ai mei : Holocaustologii » (« Mes nonlecteurs, mes impitoyables accusateurs : les Holocaustologues »), in Tiuk, 11 avril 2005, http://www.tiuk.reea.net/8/goma.html#4.
  • [89]
    Alesandru Dutu et Constantin Botoran, Situatia evreilor din Romania 1939-1941 (« La situation juive en Roumanie 1939-1941 »), Bucarest, Editura Tara Noastra, Uniunea Vatra romaneasca, 2003.
  • [90]
    Cf. Flori Stanescu et Paul Goma, Dialog (« Dialogue »), Bucarest, Editura Vremea, 2008, p. 218.
  • [91]
    Cf. Romania Mare, 21 avril 2006.
  • [92]
    En français dans le texte.
  • [93]
    Cf. Romania Mare, 1er décembre 2006. C’est nous qui soulignons. L’écriture du mot shoah avec et sans majuscule figure dans le texte original en roumain.
  • [94]
    Cf. AlterMedia, 10 septembre 2008.
  • [95]
    Cf. Armin Heinen, Legiunea « Arhangelului Mihail » (« La légion de l’Archange Michel »), Bucarest, Humanitas, 2006, p. 114.

1Que l’antisémitisme soit l’un des legs de l’histoire avec lesquels nos sociétés postcommunistes européennes n’ont de choix que de composer, voici un truisme au bord de la banalité. Deux décennies ont passé depuis l’annus mirabilis que fut 1989, et l’on s’interroge toujours sur les causes de l’effondrement du communisme et ce vers quoi les sociétés se dirigent aujourd’hui. Certains parmi nous, s’avouant humblement « innocents » plutôt que prophètes en reconnaissant leur échec à prévoir la chute du communisme, croient cependant appartenir au royaume des « Élus » qui prétendent détenir la « Vérité ». Si ces derniers ont toujours su que le communisme serait amené à disparaître – sans vraiment pouvoir fournir la preuve de leurs prédictions –, les « innocents », eux, luttent pour écrire la vérité (en minuscule) et rejeter la banalité des truismes. Ils ne mettent point en doute que ce qui est réel n’est pas moins rationnel, mais questionneraient plutôt la rationalité de ce qui est présenté par les « Élus » comme réel.

2Restons un instant dans ce parallèle herméneutique en osant avancer que si la Bible accordait l’accès à la vérité indistinctement aux « innocents » et aux prophètes, elle a omis de prendre en considération cette dichotomie pseudo hégélienne. Serait-ce simplement dû au fait que les Saintes Écritures ne font pas usage de majuscules ? Leurs éditeurs n’auraient-ils pas dû être plus circonspects et tirer ce point au clair avec l’auteur ? Tant qu’ils ne nous en proposeront pas une nouvelle édition – et, serais-je tenté d’ajouter, l’éternelle opiniâtreté de son auteur ne nous en laisse que peu d’espoir –, nous allons devoir nous faire à l’idée que soit les « innocents » sont simplement incapables de saisir l’essence de la Vérité, et dans ce cas, leur unique recours est le repli vers une position agnostique, soit rien de ce que l’establishment des « Élus » juge comme Vérité constitutive ne peut être contesté, aussi tautologique ou banale que soit cette Vérité.

3L’antisémitisme postcommuniste européen offre une parfaite illustration de ce dilemme. Contester son existence revient à ignorer ce qui est réel – en d’autres termes, exact. De la Russie à l’ex-RDA, de la Hongrie et la Roumanie à la Serbie et la Croatie, de la Pologne à la République tchèque et la Slovaquie, voire même en Bulgarie et en Albanie, qui peuvent dans une certaine mesure se vanter d’endosser un antisémitisme d’entre-deux-guerres plus modéré que leurs voisins, la présence du fléau ou, au mieux, de composantes racistes à l’égard des Juifs, peut être vue comme un attribut propre à l’unification. Mais s’en tenir à cela reviendrait à escamoter l’évidence. Si l’on peut dire de l’antisémitisme qu’il est une « variable dépendante » (c’est-à-dire ce qui demande à être expliqué), un examen approfondi des raisons de sa propagation plutôt réussie dans l’ère postcommuniste devrait cependant mettre en évidence toutes sortes de « variables indépendantes » (ce qui explique un phénomène), visibles dans les postures de chaque mouvement, groupement associatif et parti politique affichant des tendances antisémites plus ou moins nuancées. Chaque groupe pourra, selon les cas, adopter des positions différentes et parfois contradictoires envers le passé (héritage de l’extrême droite d’entre-deux-guerres), le présent (héritage du communisme) et l’avenir (orientations vers une société « bien ordonnée »). Ils pourront aussi se conduire en adversaires politiques et/ou culturels, mais le fait qu’ils soient dans le même bain, aussi dérangeant que ce soit pour ce qu’il reste de communautés juives dans ces pays, ne permet pas de rationnaliser l’ensemble par une haine simpliste et ancestrale de ce qu’Alain Finkielkraut, et plus tard Andrei Oisteanu en Roumanie, ont appelé le « Juif imaginaire [3] ».

4Si mon propos se porte ici exclusivement sur la Roumanie, il me semble qu’il offre une dimension heuristique valable pour la plupart, voire pour l’ensemble des ex-pays communistes d’Europe. En effet, la première version de ma taxinomie motivationnelle – c’est-à-dire construite en fonction des motivations – couvrait toute la région autrefois appelée « Europe de l’Est [4] ». Plusieurs raisons m’ont contraint à réduire la portée de cette taxinomie – l’incapacité à accéder aux informations, contrairement à l’époque où je collaborais à Radio Free Europe (1985-2005), et aussi mes responsabilités actuelles en tant que professeur à l’université Babes-Bolyai de Cluj-Napoca, en Roumanie – qui, depuis, existe dans une version augmentée [5]. J’espère toutefois qu’elle n’en aura pas moins gagné en ampleur. Aussi, le lecteur coutumier des questions d’histoire contemporaine aura-t-il présent à l’esprit que mon propos n’est en rien définitif. En revanche, je me féliciterais qu’il puisse apporter une amélioration substantielle à mes précédents travaux.

5Mon postulat de départ est que les différentes postures d’antisémitisme postcommuniste n’obéissent pas nécessairement aux mêmes motivations. Concrètement, chaque catégorie taxinomique repose sur une motivation et une orientation temporelle qui lui sont propres. En revanche, ce qui les rassemble réside précisément dans le fait de tenter de répondre à ce que Benedict Anderson a appelé la production d’un « imaginaire national [6] », mais en termes plus positifs. Je pense ici, globalement, au besoin de communautés politiques, et en particulier de communautés postrévolutionnaires, c’est-à-dire à ce que Jacques Rupnik appelle « passé exploitable » ou « histoire instrumentalisable » [7]. À ma connaissance, Rupnik n’a jamais défini précisément les connotations de ce concept. Je prendrai donc la liberté de décrire cela comme une quête de référents passés positifs dont l’objet est de forger des identités nationales sereines. D’ailleurs, pour reprendre Sorin Antohi, le postcommunisme présuppose notamment le passage par une crise d’identité nationale [8]. Et, crise dans la crise, le fait d’assumer son passé antisémite est a fortiori une épreuve difficile pour un pays, car elle entraîne nécessairement d’avoir à assumer simultanément son passé communiste. C’est ce que j’ai appelé ailleurs crise du « double travail sur le passé » – double Vergangenheitsbewältigung. Celui des deux passés apparaissant comme le plus « exploitable » (ou le moins accablant) déterminerait ainsi ce dont la mémoire collective du groupe choisira de se souvenir et ce qu’elle refoulera. Les objectifs politiques actuellement recherchés ont, par ailleurs, autant d’incidence sur l’interprétation historique, dans la mesure où, comme chacun sait, la mémoire (et l’histoire) concerne avant tout le présent, autant qu’il est lié à ce qu’on appelle la légitimité politique.

6Pour ces raisons, il faut faire la distinction entre les différents « producteurs » d’antisémitisme : a) l’antisémitisme auto-disculpatoire et nostalgique, ou ce que j’ai appelé partis et mouvements de « retour radical » aux modèles d’extrême droite d’entre-deux-guerres ; b) l’antisémitisme auto-propulsé, ou ce que j’ai nommé partis et mouvements de « continuité radicale » basés sur des modèles que l’on retrouve dans les formes de communisme national exacerbé ; c) l’antisémitisme néo-populiste et mercantile, dans lequel l’antisémitisme est utilisé – ou refoulé – pour façonner l’image de ce qui « se vend » ou pas au plan national et international ; d) l’antisémitisme utilitariste, semblable en plusieurs points au précédent, à la différence qu’il est adopté par des partis, mouvements et personnalités reconnus « anti-antisémites » ; e) l’antisémitisme réactif, qui se définit essentiellement en terme de « martyrologie compétitive » Shoah-Goulag ; f) l’antisémitisme vengeur, où se retrouvent les adeptes de la simple haine des Juifs, quoi qu’ils fassent ou s’abstiennent de faire.

L’antisémitisme auto-disculpatoire et nostalgique : orientation « passé »

7L’antisémitisme auto-disculpatoire et nostalgique regroupe essentiellement les partis politiques et les personnalités appartenant à ce que j’ai appelé les mouvements de « retour radical [9] ». L’attribut « nostalgique » se justifie par le fait que cette classe voit son passé autoritaire de l’entre-deux-guerres comme un modèle pour résoudre les problèmes de transition actuels et construire l’avenir national. Dans ce cas, le terme de « nostalgie » ne doit pas être entendu dans le sens de simple contemplation. Il invoque, tant à la base qu’au centre du pouvoir politique, la notion d’activisme. Les membres du groupe sont dans l’ensemble soit très âgés, soit très jeunes, les tranches d’âges moyens étant assez faiblement représentées. Un fossé de génération se creuse ainsi entre les exilés associés aux régimes des années de guerre – dont bon nombre ont établi des liens à l’étranger – et les anciens prisonniers communistes libérés après de longues années de détention d’un côté, et les jeunes meneurs politiques en herbe, éduqués sous le communisme et à qui l’on a soigneusement caché la participation et la responsabilité de leur pays dans les crimes contre les Juifs de l’autre. C’est ce que Shari J. Cohen a nommé « politique publique de l’oubli [10] ».

8Concrètement, il s’agit d’affirmer que l’antisémitisme auto-disculpatoire et nostalgique repose sur un double héritage : celui des survivants de l’extrême droite d’entre-deux-guerres attachés à leurs états de service, et celui du communisme proprement dit. Ce dernier aspect a été largement ignoré au moment de traiter le phénomène de la résurrection de l’extrême droite dans les pays d’Europe postcommuniste. Il n’est relié à aucune autre catégorie si ce n’est à l’antisémitisme auto-propulsé, que nous verrons plus loin. Il serait toutefois erroné de penser l’Europe centrale et orientale postcommuniste en termes de « retour à l’histoire », en ce sens que l’histoire de la région ne présente aucune discontinuité durant toute la période communiste. Puisque le débat historiographique communiste s’est appliqué à minimiser la question de la responsabilité des pays envers l’antisémitisme, et surtout la Shoah, pourquoi des figures comme Corneliu Zelea Codreanu et le maréchal Ion Antonescu en Roumanie, l’amiral Miklos Horty et Ferenc Szalasi (le leader des Croix fléchés) en Hongrie, Andrej Hlinka et Jozef Tiso en Slovaquie ou encore Ante Pavelic en Croatie, ne resurgiraient-elles pas, soudain érigées en « héros nationaux » dont la seule faute eût soi-disant été d’avoir – plus ou moins contre leur gré – soutenu les troupes en lutte contre l’ennemi de leur nation ? Et dans ce cas, pourquoi d’autres grands noms encore moins salis par l’histoire, comme Roman Dmowski ou Jozef Pilsudski en Pologne, Dimitrije Ljotic en Serbie ou Alexander Tsankov et Ivan Donchev en Bulgarie, ne seraient-ils pas réhabilités en vaillants défenseurs de leur nation, alors que la zone entière est justement en train de traverser une « crise identitaire » ? Car, comme chacun sait, on entend par « transition » ce qui est « laissé derrière soi » (le socialisme ou prétendu tel) et non ce qui est à venir. Contrairement aux « partis héritiers » du postcommunisme, les autres formations politiques ne bénéficient pas de ce que Michael Waller nomme pertinemment la « continuité structurelle [11] ». Pour cette raison, invoquer une « continuité historique » se révèle a fortiori bien plus intéressant, et pas seulement pour les partis néo-radicaux, comme nous le verrons. Par ailleurs, rappelons que certains des leaders susmentionnés avaient été exécutés par les communistes en tant que criminels de guerre. Antonescu, Szalasi, Laszlo Bardossy et Tiso peuvent aussi bien réapparaître en vaillants modèles.

9Exemplifier de telles formations et associations politiques est monnaie courante. Cependant, d’une façon générale, on peut dire que, dans le contexte postcommuniste, elles tendent à être affectives plutôt qu’effectives, et offensantes plutôt qu’offensives. En effet, aucune des formations politiques représentatives de l’antisémitisme auto-exculpatoire et nostalgique n’a réussi à entrer dans les rangs parlementaires postcommunistes. Cela peut s’expliquer, du moins en partie, par le fait que « l’imaginaire national » qu’ils se sont efforcés de créer a bien peu à voir avec les réalités actuelles. La catégorie comprend certes les plus ardents anticommunistes qui soient, mais c’est précisément là que réside la raison de l’échec de ces formations à mobiliser à peine plus de quelques milliers d’adhérents, dont l’orientation vers le passé est simplement incompatible avec les problèmes urgents de leurs pays, sociaux ou politiques.

10En Roumanie, parmi ces mouvements et formations aujourd’hui pour la plupart disparus, on peut citer le Mouvement pour la Roumanie (MPR), fondé en 1992 et dirigé par Marian Munteanu (et la revue mensuelle Miscarea), ainsi que le Parti de Droite nationale de Radu Sorescu, fondé en 1993 (publiant par intermittence la revue Noua Dreapta) et le Parti néo-légionnaire Pour la Patrie, toujours en existence. Ces mouvements – ainsi qu’une pléthore d’émanations plus ou moins indépendantes comme la Fondation Manu – ont tous eu leurs successeurs, le plus récent d’entre eux étant l’organisation Nouvelle Droite (Noua Dreapta), menée par le jeune Tudor Ionescu et dont les leaders sont exclusivement des jeunes de moins de trente ans. Se range également dans cette catégorie le mouvement issu de la Garde de Fer et dirigé par Serban Suru. Les publications telles Permanente, Obiectiv Legionar, Puncte Cardinale et Noua Dreapta entre autres, manifestent sans équivoque leur appartenance à la posture d’antisémitisme auto-disculpatoire et nostalgique, tandis que d’autres, telles Rost ou Jurnalul Literar, sont à peine soucieuses de se distancier de ce qu’elles nomment des excès « non-emblématiques » de quelques « figures politiques et culturelles du passé ». Cependant, dans la plupart des cas, la distanciation s’accompagne toujours d’un discours apologiste. Assez, néanmoins, pour permettre à de dignes intellectuels de centre-droite de prêter leur autorité en collaborant avec ces publications, et de légitimer par ce biais l’antisémitisme et l’extrémisme.

11Qui finance ces publications ? Cela demeure un mystère. Certaines tirent manifestement sur des fonds en provenance de l’exil. Par exemple, les éditions Almatip, basées à Oradea, sont subventionnées de France par la Fondation Fronde. Dès que ce soutien financier vient à manquer, l’activité cesse. Ce fut le cas, à Timisoara, de Gazeta de Vest, tristement célèbre pour la production pro-légionnaire éditée par Gordian, sa propre maison d’édition. Certaines maisons d’édition parviennent néanmoins à dénicher, d’une manière ou d’une autre, de nouvelles sources de financement et à trouver leur place sur des niches bien spécifiques. Citons Editura Lucman à Bucarest, ou encore, sous des noms qu’il n’est pas toujours faciles d’associer, Editura Miracol, Antet XX Press, Sanziana, Samizdat et autres, appartenant selon toute vraisemblance à un groupe financé par le magnat du gaz et défenseur d’Antonescu, Iosif Constantin Dragan, mort en 2008 à l’âge de 91 ans. Il est difficile d’admettre que le marché soit assez vaste pour soutenir des initiatives aussi risquées. Et il n’est pas exclu que les financements proviennent, en dessous-de-table, de barons de l’industrie et de la finance locale qui tiennent à rester dans l’ombre, mais aussi de partis politiques qui se réclament de la droite dominante. Il en serait ainsi de Noua Dreapta, soutenue par ce qui s’appelait alors l’Union des forces de droite, absorbée entre-temps par l’organe souverain, le Parti national libéral (PNL). Et selon certains rapports, c’est aussi le cas de l’aile de la Garde de Fer menée par Suru, que l’on dit financée par George Becali, le leader du Parti de la Nouvelle Génération (PNG), lequel a par ailleurs envisagé de financer le mouvement d’extrême droite baptisé Groupe de la Nouvelle Droite [12]. Quoi qu’il en soit, il existe indéniablement une émulation d’outils et de techniques propagandistes de type extrême droite occidentale qui coûte de l’argent. Par exemple, le Groupe de la Nouvelle Droite, pour ne pas le nommer, organise régulièrement des concerts de rock où la musique raciste et agressive incite, on s’en doutera, à la xénophobie comme à la haine contre les minorités et contre les « communistes ». Mieux, le mouvement possède également son propre groupe de rock, « Brigade d’Assaut », dont les CD se vendent au côté de ceux de groupes allemands, italiens, suédois, hollandais, français, américains, serbes, russes et argentins, sans compter des DVD de propagande sur le mouvement légionnaire, des livres signés du négationniste roumain Ion Coja [13] et autres T-shirts et accessoires à son effigie.

12L’ingéniosité est aussi à l’œuvre. Des fondations se sont implantées en se protégeant derrières des étiquettes démocratiques imparables, avec le soutien financier de l’Occident non moins démocratique, affichant ouvertement leurs positions extrémistes sur leurs sites internet. Moins visibles et accessibles sont, toutefois, les financiers. Citons, par exemple, le Mouvement indépendant pour la Démocratie, la Fondation Civic Media, ou encore l’Agence de presse roumaine (équivalent de l’AFP), tous associés aux noms des frères journalistes George et Victor Roncea. En Roumanie comme ailleurs, l’internet est un moyen relativement abordable et déréglementé de diffuser des opinions de ce genre, le plus souvent au nom de la liberté d’expression. On pense notamment à AlterMedia Romania (http://ro.altermedia.info/). N’oublions pas ceux qui ne prennent même pas la peine de s’abriter derrière l’étiquette démocratique, comme Sentinela (http://www.fgmanu.ro/sentinela.php), proche de la Garde de Fer, qui appartient à la Fondation George Manu, mais aussi Pagina Romaniei Nationaliste (page de la Roumanie nationaliste), affiliée au Centre de documentation sur le mouvement légionnaire de Serban Suru (http://pages.prodigy.net/nnita/garda.html), ou encore NovoPress, AIM (Active Information Media) et, de nouveau, l’Agence de presse roumaine [14].

13Selon le quotidien Curentul, on aurait recensé en Roumanie 28 organisations d’extrême droite en activité sous une forme ou sous une autre, ainsi que 12 fondations et associations soutenues par des défenseurs de la Garde de Fer. Le quotidien cite des sources qu’il dit provenir des services secrets roumains, notamment son rapport de juin 1998-juin 1999.

14Disons pour terminer que trois thèmes majeurs dominent le discours politique rassemblé sous la posture auto-exculpatoire et nostalgique. Situons, au premier plan, le déni de la Shoah, au second plan les théories conspirationnistes donnant aux Juifs un rôle, soit unique, soit essentiel – en conjonction avec d’autres minorités ethniques –, et enfin le thème de la culpabilité dirigée contre les Juifs pour avoir créé, nourri et imposé le communisme au monde en général, et à son propre pays en particulier.

L’antisémitisme auto-propulsé : orientation « avenir »

15L’antisémitisme auto-propulsé partage avec l’antisémitisme auto-exculpatoire et nostalgique le même héritage communiste, à ceci près qu’il lui est autrement plus redevable. Dans le cas précédent, on pouvait aisément parler d’un héritage par omission, alors que dans le cas présent on a affaire à un héritage sur instruction. Les partis que l’on peut regrouper sous cette posture sont ceux de la « continuité radicale [15] ». Il y a entre le passé communiste et eux des liens personnels, idéologiques ou issus de la réunion des deux. Ces formations politiques poussent l’antisémitisme implicite, hérité du régime communiste, à un degré suprême, le transformant ainsi en héritage explicite. La mutation n’est pas accidentelle, elle est intentionnelle. Dans cette catégorie, l’antisémitisme est déterminant, il sert des objectifs de mobilisation. L’intention n’est plus, comme dans le cas des nostalgiques, de simplement s’affranchir du passé, mais de préparer l’avenir. En conséquence, l’instrumentalisation de l’antisémitisme permet à ces hommes politiques de fournir aux électeurs potentiels des « modèles » pour barrer le chemin aux mécanismes démocratiques de leurs adversaires. D’où leur orientation vers l’avenir plutôt que vers le passé, d’où aussi leur discours politique particulièrement agressif et offensant dès qu’il est question non pas simplement des Juifs, mais des adversaires politiques en général. Comme les antisémites nostalgiques, les antisémites autopropulsés s’adonnent à la « judaïsation » des adversaires politiques ; mais contrairement aux premiers, la manœuvre a pour but l’angle effectif et non affectif de la politique. Pour l’antisémite autopropulsé, le passé compte dans une certaine mesure, mais son degré de considération prend sa source dans son instrumentalisation. Autrement dit, l’antisémitisme auto-propulsé se réfère au « Juif générique » et, contrairement à l’antisémitisme auto-exculpatoire, il s’occupe peu du Juif « réellement existant ». Pour l’antisémite autopropulsé, le « Juif de sang » doit impérativement devenir un « Juif générique », car dans une situation où la présence physique juive est extrêmement réduite, la force de mobilisation antisémite viendrait à en pâtir. En ce sens, Zygmunt Bauman (cité dans l’essai de Ilya Prizel [16]) observe que, dans la Pologne postcommuniste, le terme « Juif » s’applique désormais à tout ce qui peut être opposable ou désobligeant, et a perdu toute référence réelle aux Juifs en tant que groupe ethnique et religieux [17]. Ajoutons cependant que le sens « générique » n’écarte pas pour autant la notion de « Juif de sang », qui continue à être instrumentalisée, quelle que soit son insignifiance quantitative et surtout sociologique.

16Les antisémites auto-propulsés « proposent » de nouveaux modèles de démocratie, s’arrangeant toutefois généralement pour les faire passer de manière implicite plutôt qu’explicite. Évidemment, dès l’instant où le mot démocratie est associé à la velléité extérieure d’instaurer la suprématie juive mondiale, les figures « patriotiques » à peine oubliées resurgissent, instantanément réhabilitée avec force ténacité. En Roumanie, il n’y a pas meilleure figure emblématique que le maréchal Antonescu pour servir ce discours. Le parti politique postcommuniste qui adhère le mieux à cette catégorie est le Parti de la Grande Roumanie (PRM). Le fait d’instrumentaliser le Juif générique pour sa seule quête du pouvoir s’est illustré à travers l’attitude du PRM lors des élections de 2004, et la facilité avec laquelle le parti écarta pour un temps l’antisémitisme de son discours, jusqu’à ce qu’on prenne conscience que la campagne du leader Corneliu Vadim Tudor était dirigée par une éminence grise israélienne et qu’on choisisse sa réintégration au cœur du sujet – en particulier lorsque la recette pro-européenne s’avéra inefficace dans les sondages. J’ajouterais que cela ne fait pas de Tudor et de son parti de simples antisémites par opportunisme électoral. La haine des Juifs affichée par ce leader politique est documentée, et l’on en retrouve la trace jusque dans la période communiste [18]. C’est justement cette différence qui définit la ligne de démarcation entre antisémite auto-propulsé et antisémite utilitariste, comme nous le verrons plus loin. Il importe toutefois de noter que, dans le premier cas, l’antisémitisme est plus instrumental que téléologique.

17Étiqueter les formations politiques des antisémites auto-propulsés à « droite » ou à « gauche » relève de l’interprétation subjective. Généralement, elles ont tendance à conjuguer idées et visions d’extrême droite avec notions d’extrême gauche. Toutefois, il ne saurait être tout à fait fortuit que, dans l’Europe centrale et orientale de la transition, tous les leaders politiques prônant l’antisémitisme aient, d’une manière ou d’une autre, été formés dans ou par les services secrets communistes, ou occupé sous le régime communiste des fonctions entraînant implicitement des contacts dans les renseignements. J’ai montré ailleurs qu’en Roumanie, l’existence de liens entre dirigeants du PRM et Securitate était indéniable [19]. Autre exemple : les débats du 18 décembre 2006 au Parlement roumain, précédés par les attaques antisémites contre le président de la Commission pour l’analyse de la dictature communiste en Roumanie, dans lesquelles le PRM a joué un rôle de premier ordre, sont une preuve supplémentaire de l’instrumentalisation de l’antisémitisme dans la course au – ou la défense du – pouvoir.

18Il existe une différence importante entre les antisémites nostalgiques et les antisémites auto-propulsés, du moins sur la question du souvenir. Les nostalgiques restent engagés dans la lutte pour réhabiliter leur passé. Ils ont donc tendance à restreindre le débat – ou du moins à l’orienter – sur le rôle joué par leurs prédécesseurs dans l’histoire de la Roumanie, se gardant généralement de déraper vers des sujets plus larges. Les antisémites auto-propulsés, quant à eux, élargissent la lutte à une dimension nationale. Tandis que les deux types d’antisémites s’engagent communément dans le déni de la Shoah, l’auto-propulsé a plutôt tendance à prendre une position paradoxalement plus catégorique que le nostalgique, considérant la participation dans la Shoah comme une injure nationale. Et si les deux affirment que la participation de la Roumanie à la Shoah est une invention de la « conspiration juive », les auto-propulsés se réfèrent plus fréquemment à la dimension du présent que les nostalgiques. Pour eux, les accusations sur la participation de la Roumanie dans le génocide des Juifs ont pour principal objet d’asservir les Roumains à travers un culte injustifié de la culpabilité, et de faire main basse sur les biens locaux par le biais de procédures de compensation, à leurs yeux tout aussi injustifiées. À la différence des nostalgiques, qui auraient tendance à renier la Shoah dans son ensemble, les auto-propulsés sont plutôt des négationnistes « sélectifs ». J’ai défini ailleurs cette propension par la formule « négationnisme spécifique au pays » ; en d’autres termes, ce n’est pas la Shoah au sens large qu’ils renient, mais plutôt la participation de certains sujets de la nation à l’acte criminel [20]. En Roumanie, c’est le vice-président du PRM, l’historien Gheorghe Buzatu, qui passe pour le plus virulent exemple de cette tendance. Mais ajoutons sans tarder que la frontière entre antisémitisme auto-propulsé et « antisémitisme vengeur » – que nous aborderons plus loin – est relativement resserrée et, dans le cas de Buzatu, fréquemment enjambée.

19L’antisémite nostalgique et l’antisémite auto-propulsé s’identifient tous les deux dans l’auto-persécution et l’externalisation de la culpabilité. Ensemble, ils cherchent à faire passer leurs propres groupes – voire la nation au sens large – comme une victime plutôt qu’un instigateur, et à attribuer l’existence de toute zone d’ombre à d’autres forces internes et/ou externes. Ils placent communément le Juif générique dans le rôle de l’adversaire des guerres intestines, parfois même au côté d’autres minorités nationales comme les Hongrois, au même titre qu’ils considèrent la Russie et la Hongrie révisionniste de l’amiral Horty comme l’un des exutoires d’externalisation de la culpabilité. Toutefois, si certains nationalistes auto-propulsés comme Tudor se distancient occasionnellement de la Garde de Fer – n’en oubliant pas pour autant de reprendre sa propagande dans leurs publications –, d’autres comme Buzatu collaborent avec les nostalgiques aux opérations de purification légionnaires. Mais Buzatu ne va pas jusqu’à l’argument sans cesse souligné par les nostalgiques, selon lequel ils ont été victimes à la fois du maréchal Antonescu et du régime communiste.

L’antisémitisme néo-populiste et mercantile : orientation « présent et avenir »

20Par « antisémitisme néo-populiste et mercantile », il faut entendre l’emploi de l’antisémitisme comme valeur marchande pour la défense d’intérêts personnels ou au nom du parti. Dans un premier temps, j’étais tenté d’intituler cette catégorie « antisémitisme populiste ». Mais tout antisémitisme utilisé dans un but électoral est, par définition et à plus d’un titre, un antisémitisme populiste. Cette dénomination s’appliquerait donc aussi bien aux auto-propulsés qu’aux utilitaristes que nous verrons plus loin. Vu sous cet angle, la plupart des leaders fascistes de l’entre-deux-guerres étaient des populistes. Ce qui les distingue des critères néo-populistes et mercantiles se résume en deux points. Premièrement, ils ont certes promu l’antisémitisme dans le discours, mais pas dans un sens mercantile. Deuxièmement, on peut dire que dans leur rapport à la démocratie, ils étaient partisans de l’antisystème.

21C’est précisément cet aspect qui exige d’associer également à l’antisémite mercantile l’étiquette de « néo-populiste ». J’emprunte le terme – non le sens – à Andrew Janos. Ce dernier distingue trois traditions ayant influencé les « choix stratégiques » des élites politiques postcommunistes : la tradition civique/libérale, la tradition technocratique et la tradition néo-populiste. Toutefois, ainsi qu’il le formule lui-même, l’ajout du préfixe « néo » au terme de populisme définit la notion de continuité davantage que celle de changement. Cela fait référence, d’un côté au culte d’appréhension égocentrée de « l’Autre » et à l’idée de monde globalisant, et de l’autre à celui de « symboles de la victime et du faible [21] ». Il n’y a ici pratiquement rien de « néo » pour qui connaît bien l’histoire de l’Europe centrale et orientale et a fortiori l’histoire du radicalisme européen. Pour donner sens au préfixe « néo », il me semble nécessaire d’introduire la notion sartorienne de « politique systémique et anti-système [22] ». J’emploie sciemment une terminologie conçue à l’origine pour les partis politiques. En effet, dans le contexte politique de l’après-1989, il me semble tout simplement impossible de conduire ceux-ci ouvertement en admettant un but final « anti-systémique », c’est-à-dire sans revendiquer l’existence de partis, de mouvements ou de personnalités « antisystème » dans l’Europe de l’Est postcommuniste. Et, nous le savons, il en existe assurément bon nombre. Toutefois, d’une manière ou d’une autre, ils sont tous conscients du fait qu’un tel aveu en ferait des parias au sein, et surtout, en dehors de leur communauté politique. Ceci explique dans une large mesure, comme l’a observé Alina Mungiu-Pippidi, le fait que

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les populistes radicaux d’Europe centrale et orientale soient éventuellement plus violents verbalement ou plus ouvertement antisémites que les populistes d’Europe de l’Ouest, mais qu’aucun de leurs programmes ne propose des mesures véritablement antidémocratiques, comme d’abolir des droits des groupes minoritaires. Les valeurs qu’ils revendiquent dans leurs discours ne sont ni libérales ni démocratiques, mais personne ne peut jusqu’à présent les accuser d’actions antidémocratiques [23].

23Ainsi, les « néo-populistes » sont-ils différents des populistes de l’entre-deux-guerres et, qui plus est, des populistes russes (les Narodnik) ou des pré-nazis allemands (völkisch). À la différence de leurs prédécesseurs, les néo-populistes ne dénoncent plus les « maux » du capitalisme au sens large, ils se contentent de s’en prendre à « l’avidité » des capitalistes qui ont prétendument oublié d’où ils viennent. Dans le néo-populisme, on distingue des capitalistes « vertueux » et des capitalistes « corrompus », et les premiers s’engagent dans l’autosacrifice en entrant en politique soi-disant contre leurs propres intérêts. Comme le souligne Cas Mudde, le néopopuliste s’accroche à l’image de « politicien réticent », pour qui la politique est une posture sacrificielle présentée comme un « mal nécessaire ». D’où le fait que le néo-populiste soit, du moins en apparence, un « systémique ». Non seulement, il ne revendique pas comme ses prédécesseurs des objectifs « de destruction du système », mais au contraire, la revendication est telle qu’il y est poussé pour préserver une démocratie authentique. Et, toujours selon Cas Mudde, la revendication est bâtie sur une forte dichotomie entre le « peuple innocent » d’une part – qu’ils ont à contre-cœur rallié à leur cause –, et « l’élite corrompue » d’autre part [24].

24Rien n’exclut, cependant, la présence de facteurs de continuité entre populisme et néo-populisme. Il est néanmoins frappant de constater que ces facteurs sont généralement reniés dès lors que les néo-populistes sont confrontés à des analogies gênantes révélées par leurs opposants ou par des critiques politiques étrangers. En outre, non seulement la machination démocratique est-elle perçue comme inévitable, mais les néo-populistes sont particulièrement talentueux pour mobiliser leur soutien en se métamorphosant eux-mêmes en l’incarnation toute personnelle d’arbitrages populaires ou issus des couches influentes de leurs sociétés [25].

25Le leader du PNG George Becali est un populiste qui s’efforce de prendre modèle sur la tradition de Silvio Berlusconi. Comme lui, en effet, c’est un homme d’affaires couronné de succès, et, comme lui, il est propriétaire de l’équipe de football la plus populaire du pays – le Steaua de Bucarest. Mais à la différence de Berlusconi, il manque à Becali une éducation en bonne et due forme, et il est connu pour avoir régulièrement proféré des déclarations antisémites et pour ses opinions pro-Garde de Fer.

26Afin d’asseoir ses positions de fervent chrétien, Becali s’engage dans d’authentiques actions caritatives, affirmant qu’il a été choisi par Dieu pour mettre ses richesses au service des nécessiteux et aider la Roumanie à surmonter ses difficultés. Il a, pour un temps, réussi à rafler les voix des électeurs désorientés et désillusionnés, qui se chiffraient en centaines de milliers. Alors qu’il a péniblement franchi la barre de 1,77 % des votes aux élections de 2004, les sondages de 2007 plaçaient l’homme et son parti en seconde position dans les préférences face à l’arrière-plan des partis parlementaires roumains en défaite et l’impasse conflictuelle entre ces derniers et le président Traian Basescu. Toujours en 2004, Becali, par ailleurs l’un des plus grands donateurs de l’Église orthodoxe roumaine, dont il finançait à lui seul la construction des lieux de culte, se disait prêt soutenir toute organisation religieuse, à l’exception des Juifs, qu’il présumait suffisamment infiltrés dans la politique roumaine pour n’avoir pas besoin de son aide [26]. En 2007, peu avant une visite en Israël qui finira par être annulée, il rejetait ces attaques discriminatoires et prétendait être prêt à s’engager dans l’action caritative en faveur des Juifs autant en Roumanie qu’en Israël. Comme beaucoup de politiciens dans son pays, il s’était entre temps persuadé que les Juifs pouvaient faire et défaire tout ce qu’ils voulaient, où ils voulaient, en particulier les batailles électorales en Roumanie. Il a désavoué par la même occasion toute trace d’antisémitisme, en déclarant que haïr les Juifs allait à l’encontre de ses croyances de fervent chrétien [27]. Ce qui ne l’empêche pas, toujours en 2004, d’appeler de ses vœux, sur la chaîne de télévision privée OTV, la canonisation du « Capitaine », le légionnaire Corneliu Zelea Codreanu [28] et, le 28 août 2004, dans une apparition télévisée, de clamer que « le mouvement légionnaire a montré sa grandeur dans ce pays en [rassemblant] toute l’élite de la nation, [telle que] les prêtres, les professeurs d’université et les étudiants [29] ».

27Si les candidats populistes aux présidentielles, prospères en affaires et adeptes du discours antisémite dans leurs actions de prosélytisme, ne sont pas un phénomène nouveau en Europe centrale et orientale – chacun se souvient de Stanislaw Tyminski, qui a réussi à se positionner en seconde place aux élections présidentielles de Pologne en 1990 –, ce sont généralement des exilés rentrés au pays. Contrairement à eux, Becali est un produit entièrement local, un ancien berger qui a fait fortune juste après la chute du régime communiste. Il attribue sa réussite financière à la chance, à sa foi en Dieu et – enfin et surtout – à sa famille, à qui il doit (selon ses propos tenus lors d’une interview pré-électorale en 2004) de lui avoir confié entre 150 000 et 180 000 dollars au moment de la chute du régime Ceausescu. Une forte somme d’argent pour quiconque dans le contexte et l’époque, a fortiori pour un simple berger lâché dans la nature au soir d’une ère répressive. Selon le tabloïd Atac, la fortune de Becali remonterait à son père Tase Becali. Berger d’origine aroumaine, Tase Becali se serait impliqué dans des affaires très lucratives de trafic de bétail, dont aurait allègrement profité tout un réseau de fonctionnaires communistes, de membres de la Securitate et de maquignons arabes.

28Toujours en 2004, Becali décide, à l’âge de 46 ans, d’entrer en politique. Et quoi de plus simple que de devenir tout bonnement président d’un parti fantôme ? Ce parti est établi en janvier 2000 par l’ancien maire de Bucarest, Viorel Lis, qui avait dû démissionner du PNG faute d’avoir décroché son siège au Conseil municipal de Bucarest. Becali s’est tout simplement offert le parti de Lis, s’évitant ainsi la peine de faire immatriculer une nouvelle formation politique. L’histoire ne dit pas s’il a acheté ce parti pour l’argent ou s’il a été poussé à en prendre le contrôle sous l’insistance de son ami Viorel Hrebenciuc, le responsable du Parti social démocrate (PSD), comme l’ont prétendu certains journalistes. En fait, dans cette version de l’histoire, l’intention du PSD aurait été de subtiliser des votes au PRM en créant une formation chrétienne-démocrate acceptable aux yeux de l’Occident et pouvant former un éventuel rapprochement de coalition. D’où la certitude, dans l’esprit de Becali, que tout s’acquiert avec de l’argent, y compris tout ce qui a pu lui manquer dans son éducation ou dans son expérience politique. Et le pire, c’est qu’il a probablement raison.

29Après avoir engagé comme conseiller l’expert en sciences politiques Dan Pavel en mars 2003, Becali a commencé à utiliser le discours politique fasciste de la Garde de Fer d’entre-deux-guerres. Pavel, qui était auparavant un spécialiste (et un opposant très en vue) de la renaissance légionnaire, ne s’est jamais prononcé sur la question. Il a simplement admis qu’il gagnerait bien plus d’argent en tant que consultant de Becali qu’en dix ans de professorat à l’université. Becali s’est tout d’abord exprimé avec le slogan « Tout pour le pays » (utilisé à un moment donné comme patronyme du Parti légionnaire). Il a ensuite promis de « faire briller la Roumanie comme le soleil dans le ciel ». Ces paroles sont empruntées presque littéralement à un célèbre chant légionnaire, et inspirées d’une lettre adressée par le « héros » légionnaire Ion Mota (peu avant sa mort en Espagne en 1937) au leader fasciste Corneliu Zelea Codreanu. Après les élections de 2004, Pavel rompt les liens avec Becali, au motif que le PNG est devenu un « parti fasciste », ayant en effet coopté certains membres du Groupe de la Nouvelle Droite [30]. Mais il fait bientôt marche arrière et réintègre le parti, avant d’en être nommé président en mars 2007, au moment de la nomination de « l’historien » Alex Mihai Stoenescu comme premier secrétaire [31]. En novembre de la même année, Pavel quitte une fois de plus le PNG, arguant cette fois-ci qu’il a été victime d’un « complot » fomenté par d’« infâmes collègues », Becali lui reprochant de ne pas travailler assez pour légitimer sa place de président [32].

30À la publication officielle des candidatures aux élections législatives européennes de 2007, les noms de Stoenescu et de Vlad Hogea, ancien député parlementaire du PRM, se trouvent sur la liste du PNG. Les deux hommes sont connus pour leurs opinions antisémites et leurs penchants en faveur du négationnisme et de la banalisation de la Shoah, Hogea étant par ailleurs célèbre pour ses positions racistes contre les Roms. Dans une série d’articles publiés en 2001, il glorifie par ces mots un tristement célèbre idéologue nazi : « [Le] temps est venu pour les nations de se libérer des chaînes de la contrainte juive, avant qu’il ne soit trop tard ! Julius Streicher n’avait-il pas raison (lui qui a été torturé et assassiné par la conspiration juive mondiale pour son courage) de dire : “Qui se bat contre les Juifs, se bat aussi contre Satan !” [33]. » L’argument en référence au peuple déicide n’en est pas absent, il est éloquent :

31

D’aucuns se demandent pourquoi les grandes figures de la conspiration juive mondiale sont si vindicatives et avides. La clé de cette énigme se trouve vraisemblablement dans le meurtre du Rédempteur par le peuple juif. Incapables de se libérer du péché qui pèse si lourd sur leurs épaules depuis 2000 ans, les antéchrists Judéo-Khazars ont tout fait pour vaincre leur complexe d’infériorité spirituelle en animalisant totalement leurs expériences émotionnelles.

32Il termine en citant, sur un ton approbateur, les foules clamant, lors de matches de football, des slogans anti-Roms et appelant Antonescu à se charger du sort de « ce million de corbeaux » en faisant appel aux méthodes qui ont déjà fait leurs preuves [34].

33Quant à Stoenescu, qui admet publiquement avoir été impliqué dans le service d’espionnage international de la Securitate [35], il est aussi connu pour ses multiples tentatives de blanchir le régime Antonescu et la Garde de Fer. Plus précisément, il s’est trouvé à un moment donné à la tête d’une équipe de cinq historiens roumains, à qui Becali aurait offert 400 000 euros pour produire une « histoire roumaine politiquement correcte [36] ». L’équipe était composée, entre autres, de Gheorghe Buzatu et Dinu C. Giurescu – ce dernier ayant néanmoins reconnu la responsabilité de la Roumanie dans l’extermination massive des Juifs de Transnistrie [37]. Voilà qui semble une fois de plus donner raison à Becali de croire que tout en Roumanie peut se vendre, mais ne signifie pas pour autant que toute commande payée ait été livrée. Car, en juin 2008, le magnat a déclaré que son équipe d’historiens n’était pas parvenue à ses fins et que l’argent avait été gaspillé [38].

34Un seul exemple du Vergangenheitsbewältigung (travail sur le passé) à la manière de Stoenescu suffit à expliquer ce qu’on aurait pu attendre de l’équipe d’historiens de Becali si son travail avait abouti. Il tente, en effet, de faire croire qu’il abhorre le sort des innocentes victimes du pogrom de Iasi de juin 1941 (dont il s’arrange au passage pour minimiser le nombre), et déplore l’existence des « trains de la mort ». Ce qui ne l’empêche pas de déclarer simultanément que les hommes et femmes qui périrent par milliers dans les trains de la mort furent victimes de « négligence » et non d’actes intentionnés, et qu’au final, la faute n’est à imputer qu’à eux-mêmes. Car, clame-t-il sans remettre un instant en cause cette fallacieuse escroquerie propagandiste, les Juifs embarqués dans les trains étaient soupçonnés d’être communistes et donc d’avoir ouvert le feu sur les soldats roumains et allemands. Le « tri » (triere) avait malheureusement eut lieu, mais sous la pression. Et Stoenescu de conclure que ce n’était bien évidemment pas la première fois dans l’Histoire qu’un peuple allait payer le tribut des actions d’une poignée de ses semblables – dans ce cas précis, seulement quelques communistes juifs [39].

35Dans un ouvrage en plusieurs volumes intitulé Histoire des coups d’État en Roumanie, Stoenescu tente de persuader ses lecteurs qu’à ses débuts, le mouvement légionnaire en Roumanie n’était aucunement antisémite. Le « Capitaine » Corneliu Zelea Codreanu « n’était pas né antisémite, mais leader anticommuniste ». Toutefois, il l’est devenu en réalisant que les nombreux Juifs, à l’époque étudiants dans les universités, étaient pour beaucoup gauchistes et, par conséquent, porteurs de la menace bolchevique [40]. Stoenescu retourne la situation, affirmant qu’il est dommageable de vouloir décrire le mouvement comme une manœuvre de droite juste à cause de son caractère antisémite, et qu’il est particulièrement regrettable pour les Juifs d’agir ainsi, car « quiconque explique le mouvement légionnaire par une position de droite, se met implicitement en position de considérer les Juifs comme étant de gauche, provoquant ainsi une réaction antisémite de droite [41] ». Stoenescu est ainsi ce que l’on peut appeler un « antisémite réactif » (nous le verrons plus loin), mais d’une espèce particulière : tout ce que font les Juifs est inévitablement mal. Selon lui, les Juifs impliqués dans les médias sont « les premiers qu’on devrait tenir pour responsables de la haine installée entre Roumains et Juifs ». Pendant des années, poursuit-il, les Juifs ont prétendu lutter pour leurs droits politiques et non raciaux, mais dès lors que leurs adversaires, vêtus d’uniformes légionnaires et armés de pistolets, se sont préparés à les pourchasser, ils ont commencé à hurler qu’en tant que Juifs, la raison de leur persécution était l’antisémitisme, non l’anticommunisme. Et dès lors, continue-t-il, si par le passé ils s’étaient peu à peu distanciés de leurs rabbins, ils sont redevenus Juifs du jour au lendemain. Beaucoup ont ensuite trouvé refuge en Union soviétique, « pour mieux revenir en vainqueurs à bord de leurs chars [42] ».

36Quoi qu’il en soit, selon Stoenescu, il n’y avait véritablement aucune raison pour eux d’aller chercher refuge en Union soviétique, car les « escadrons de la mort » légionnaires « n’étaient pas constitués en groupes d’assassins, ou organisés pour éliminer les adversaires politiques ». C’est la propagande communiste à elle seule qui les a dépeints de la sorte. Au contraire, ils ont été constitués « sur le principe du sacrifice, formés par des légionnaires prêts à risquer leurs vies, d’où leur nom mal inspiré ». Ces hommes étaient prêts à mourir, « non à donner la mort, il y a là une différence fondamentale ». Et Stoenescu s’étend en expliquant à ses lecteurs que la Légion a été persécutée par tous les régimes et son image défigurée du même coup. Et cette persécution « se poursuit encore aujourd’hui, en 2002 [43] ».

37Revenant à mon propos, les raisons pour lesquelles j’ai tenu à reprendre en détail ces deux auteurs sont nombreuses. Premièrement, il me semblait essentiel d’illustrer au mieux l’élément de continuité présent dans le néo-populisme roumain. Et je souhaite en même temps montrer que cet élément ne joue pas nécessairement, dans le néo-populisme, le rôle pivot qu’il a joué dans le populisme de l’entre-deux-guerres. L’antisémitisme n’est pas un credo central, mais une fonction selon les besoins du moment. Dès que Becali fut convaincu qu’être perçu comme un antisémite pouvait ébranler son intention de rejoindre le Parti populaire européen (raison pour laquelle il avait ajouté la précision « chrétien démocrate » à l’identité de son parti), il n’a pas hésité à éliminer Hogea et Stoenescu de la liste des candidats aux législatives européennes. Ainsi, comme cela a déjà été souligné, les néo-populistes insistent-ils pour véhiculer l’image que leur idée de formation politique est « systémique » et non « antisystème ». Pour le prouver, ni Stoenescu, ni Hogea n’ont été expulsés du PNG [44]. Disons qu’en quelque sorte, ils se sont retrouvés sur une « liste d’attente » et que, selon toute probabilité, ils auraient été de nouveau ramenés sur le devant de la scène si les circonstances politiques l’avaient exigé. Hogea a néanmoins démissionné fin novembre 2007 du parti de Becali, reprochant à l’homme de l’avoir « humilié » et au leader du parti d’être un « imposteur » politique, économique et sportif, et décrivant le PNG comme un « pseudo-parti imprégné de préjugés, d’auto-exclusion, de fanatisme, et vivant sous l’emprise du soupçon » et non comme « [une formation] militante chrétienne préoccupée par le sort du plus grand nombre, à commencer par les nécessiteux [45] ».

38Le PNG (ou PNG-CD comme il aime à s’appeler), après avoir subi l’épreuve du baptême de respectabilité, a lui aussi entrepris de réécrire sa propre histoire. Dans son interview avec le quotidien israélien de langue roumaine Viata Noastra, Catalin Dancu déclarait que la reprise de slogans légionnaires durant la campagne électorale de 2004 était due à une tradition héritée du parti de Viorel Lis, infiltré, selon lui, par de jeunes extrémistes de droite. Rien n’est plus irréaliste. Lis était certes un politicien corrompu, poussé à former son propre mouvement après avoir été expulsé du Parti national paysan chrétien démocrate, mais jamais il n’a manifesté la moindre sympathie pro-légionnaire, ni repris de tels slogans lors de ses campagnes. Encore moins était-il de ces leaders politiques qui admettent dans leurs rangs des membres de la Nouvelle Droite (n’hésitant pas, eux, à imprimer le visage de Codreanu sur leurs tee-shirts promotionnels) ou des antisémites notoires de l’espèce d’Hogea ou de Stoenescu.

39Aux élections législatives européennes de novembre 2007, premières du genre pour la Roumanie, le PNG-CD ne réussit pas à remporter le nombre de voix nécessaire pour obtenir un siège représentatif. Cette fois-ci, Becali avait fait campagne sous le slogan « au service de la Croix et du Peuple ». Becali envoya Dancu en Israël, dans l’espoir de glaner des voix parmi les ressortissants roumains mal informés de la communauté juive installée là-bas. À travers de longues interviews (publi-reportages électoraux) qui ont dû coûter une fortune [46], Dancu réfutait la présence de toute trace d’antisémitisme tant dans l’idéologie du PNG-CD que dans les positions de son leader. Sans effet. Le PNG-CD recueillit à peine 4,8 % des voix au scrutin. Juste sous (mais si près !) de la barre fatidique des 5 %. Au lieu d’accuser la fraude électorale, comme le fit le candidat Tudor (président du PRM), Becali admit en toute franchise que s’il avait pu anticiper ces résultats, il aurait tout simplement soudoyé les votes manquants. Il se hasarda ensuite à placer que le seul à blâmer dans cet échec était assurément Satan, que ses multiples attaques contre la communauté homosexuelle de Roumanie avait dû froisser. Avant de conclure qu’à quelque chose malheur est bon, puisque l’échec électoral lui avait économisé les frais d’achat de l’avion privé commandé pour ses fréquents allers-retours entre Bucarest et Bruxelles [47].

L’antisémitisme utilitariste : orientation « présent »

40« L’antisémitisme utilitariste » fait référence à l’exploitation occasionnelle du préjugé antisémite pour les besoins du moment par les politiciens qui, dans l’ensemble, ne sont probablement pas des antisémites avérés. Cette catégorie a souvent été surnommée « antisémitisme politique », mais sur ce point, il me semble qu’il s’agit d’une erreur conceptuelle. Dans le monde moderne (c’est-à-dire postérieur à l’émancipation des Juifs), toutes les opinions antisémites (même latentes) portent en elles un potentiel politique soit implicite, soit explicite.

41L’antisémitisme utilitariste est loin d’être un trait caractéristique du monde postcommuniste. Il n’en est pas moins répandu dans les pays de l’Occident. Ce qui importe n’est pas tant ce que disent les antisémites utilitaristes, mais ce qu’ils se retiennent de dire. En d’autres termes, le discours politique de l’antisémite utilitariste est davantage implicite qu’explicite. C’est en effet assez souvent un discours codé, jamais direct et éloquent comme chez l’antisémite auto-exculpatoire ou auto-propulsé, mais un discours qui signale implicitement aux interlocuteurs capables de le déchiffrer l’intention exacte qu’il convient de sous-entendre. En ce sens, ne pas se distancier des opinions antisémites dans l’espoir d’attirer le soutien des irréductibles du préjugé, voire aller jusqu’à forger avec eux des alliances politiques, peut être aussi révélateur que d’embrasser ouvertement leurs opinions. On pourrait se demander si de telles alliances ne sont pas le signe d’un manque de vision politique et si elles ne finissent pas le plus souvent par se retourner contre les antisémites utilitaristes eux-mêmes, mais c’est une tout autre affaire. C’est une affaire qui met cependant en évidence l’orientation singulièrement immédiate de l’antisémite utilitariste, lequel semble rallié au fait que seul compte ce qui sert le moment, et que le futur peut toujours se résoudre en repartant de zéro. Il n’est donc pas surprenant de voir le discours politique utilitariste devenir auto-contradictoire dès qu’on l’aborde sous un angle temporel différent.

42L’antisémitisme utilitariste se retrouve pareillement aux deux extrêmes, gauche et droite, de l’échiquier politique postcommuniste « dominant ». Cela non plus ne saurait être surprenant, puisque de ces deux extrémités, aucune n’ignore les dangers d’être dépeinte par d’autres adversaires politiques extrémistes comme manquant d’ancrage dans le passé du pays. « L’imaginaire national » et le besoin de le justifier sont par conséquent tout aussi primordiaux aux yeux de l’antisémite utilitariste qu’ils le sont pour l’antisémite auto-exculpatoire ou auto-propulsé. La mémoire utilitariste se calque avec précision sur celle des nostalgiques auto-exculpatoires et surtout sur celle des auto-propulsés afin d’en faire des alliés politiques potentiels.

43L’ancien président roumain Ion Iliescu est un exemple typique de politicien utilitariste. Lors de son mandat de 1992-1996, il était prêt à forger une coalition, informelle dans un premier temps, formelle ensuite, avec les mouvements de continuité radicale du PRM, du Parti de l’Unité nationale roumaine (PUNR) et du Parti travailliste (PSM), tous ouvertement antisémites – le PUNR étant de surcroît farouchement anti-hongrois et le PSM ajoutant à cela l’appui plus ouvert de ses postures à gauche [48]. Cette coalition ne fut pas sans montrer des signes de tension – car Iliescu était entre autres critiqué pour avoir prétendument consenti à faire « culpabiliser » la Roumanie pour son rôle dans la Shoah lors d’une visite au temple choral de Bucarest en 1993, et plus tard à l’occasion d’une visite au United States Holocaust Memorial Museum à Washington [49]. De nouveau candidat à la présidence, après s’être incliné en 1996 au profit d’Emil Constantinescu, Iliescu insista, lors d’une interview accordée au quotidien Adevarul le 12 octobre 2000, pour indiquer clairement aux électeurs qu’il mettait un point d’honneur à défendre avec vaillance les grands faits historiques de la Roumanie. Autrement dit, sa mémoire partagée. Ses détracteurs, se plaignit-il, avaient exagérément amplifié la situation en insinuant qu’il se couvrait dans un geste de politesse à l’intention de ses hôtes, mais personne n’a remarqué la différence entre son attitude et celle du président polonais Lech Walesa. Il tint, en effet, à souligner que lors d’une visite officielle à la Knesset, à l’inverse de Walesa, il s’était retenu de présenter des excuses pour la participation de ses compatriotes à la Shoah. Et il ajouta que la question exigeait toujours des éclaircissements de la part des historiens. Contrairement à Iliescu, Constantinescu avait, au cours de son mandat, reconnu la responsabilité de la Roumanie dans le « génocide » des Juifs, même s’il insistait en même temps sur un certain refus de son pays à livrer ses Juifs à Hitler [50].

44Lors d’un discours au temple choral de Bucarest le 21 janvier 2001, marquant le soixantième anniversaire du pogrom de Bucarest organisé par la Garde de Fer, Iliescu, alors réélu président, déclara que « l’aberration » légionnaire avait été un « délire d’intolérance et d’antisémitisme ». Il ajouta toutefois qu’hormis ce bref accès de « délire », la Roumanie n’avait pas contribué à écrire « la longue histoire européenne » de persécution des Juifs, de même qu’il était « significatif » de voir qu’il n’existait « aucun mot en roumain pour désigner un pogrom ». Il s’empressa d’ajouter qu’il était « injustifié d’attribuer à la Roumanie un nombre excessif et arbitraire de victimes juives pour créer un impact médiatique » et qu’enfin, l’image dénaturée de la Roumanie allait changer, dès l’instant que les « historiens roumains [entendre par là plutôt que juifs] s’empareraient du sujet [51] ».

45Début 2002, la Roumanie s’était entendue dire sans ménagement par les dignitaires américains de l’OTAN que les conditions d’admission à l’organisation imposaient à tout pays d’assumer son rôle dans la Seconde Guerre mondiale ; pour la Roumanie en particulier, il s’agissait de mettre un terme au culte du maréchal Antonescu que l’on persistait à entretenir dans le pays depuis 1990. Lors d’une visite officielle en Roumanie en février de la même année, Bruce Jackson, président de la délégation américaine à l’OTAN, ne mâcha pas ses mots : « Donnez-moi un bulldozer et je détruirai immédiatement toutes les statues d’Antonescu », avant d’ajouter que, pour adhérer aux valeurs démocratiques, il fallait préalablement affronter l’histoire et que ceci n’était « pas négociable » dans le processus d’admission à l’OTAN [52]. Bien que les défenseurs du culte d’Antonescu fussent majoritairement des proches du PRM, son éventail était effectivement bien plus large, impliquant, au-delà même de la sphère du parti, des historiens et autres intellectuels de renom. Entre six et huit statues avaient été érigées à la mémoire du maréchal, 25 rues et places rebaptisées, et, à Iasi, le « cimetière des héros » portait à présent le nom du dictateur. Le 18 mars, le ministère de la Défense inaugura un cours consacré à la Shoah dans le cadre du programme de l’École de Défense nationale de Bucarest, et dans son allocution, le Premier ministre Adrian Nastase déclara que « le futur ne pouvait se construire sur la falsification et la mystification », et que le pogrom de 1941 à Iasi, beaucoup de massacres en Bessarabie et Bucovine libérées, aussi bien que la déportation des Juifs de Transnistrie, n’avaient en aucun cas été différents […] de l’opération nazie connue sous le nom de “Solution finale” ». Dans son message, Nastase annonça que le gouvernement avait voté un décret d’urgence interdisant l’étalage de « symboles racistes ou fascistes », l’érection de statues ou de plaques commémoratives sur les hommes condamnés en Roumanie ou ailleurs pour « crimes contre la paix » et pour « crimes contre l’humanité », ainsi que l’appellation de rues et autres lieux en commémoration de ces individus. Exception faite seulement pour les musées où de telles représentations étaient autorisées au titre « d’activité scientifique » menée à l’écart de « l’espace public ». Le décret 31/2002, publié le 13 mars de la même année, déclarait également illégale toute organisation à « caractère fasciste, raciste et xénophobe » soutenant des idées « reposant sur des motifs ethniques, racistes ou religieux » et étendait cette interdiction à toutes les fondations, immatriculées ou pas, et à toute autre forme de rassemblement réunissant plus de trois personnes. Le décret prévoyait des peines allant d’une amende à 15 ans de prison ferme pour toute personne en infraction ou accusée de négationnisme [53].

46La bureaucratie roumaine s’était-elle enfin lancée sur la voie d’un véritable Vergangenheitsbewältigung, bien que cette voie fût imposée de l’extérieur ? Les signes restaient manifestement contradictoires, et tout ce qui relevait de l’intérieur était clairement destiné à adoucir la pilule prescrite aux Roumains par ces médecins étrangers. En parfaite contradiction avec son propre décret, le gouvernement décida d’exposer, dans ses locaux, les portraits de tous les chefs d’État roumains sans exception. Le portrait du maréchal y figurait, bien entendu, ce qui ne fut pas sans attirer l’attention de la délégation américaine du Comité Helsinki qui, dans une lettre de protestation, s’éleva contre ce geste et contre les tergiversations du gouvernement à retirer toutes les représentations d’Antonescu. Le ministre de la Culture Razvan Theodorescu avait pourtant affirmé, le 27 mai, que toutes les représentations d’Antonescu – à l’exception d’un buste exposé dans la cour d’une église de Bucarest, construite par ses soins – avaient été démantelées. Quant à la galerie de portraits officiels, Theodorescu expliqua que l’exposition était située hors de « l’espace public », donc dans les limites définies par le décret [54]. D’aucuns auraient pu lui rétorquer que le siège du gouvernement était au cœur même de « l’espace public ». Selon le Premier ministre Adrian Nastase, au 31 juillet, 14 des 25 rues portant le nom d’Antonescu avaient été rebaptisées et les 11 autres devaient l’être sous peu [55].

47Plus sérieusement, le sort du projet de loi devenait incertain. Généralement, les décrets d’urgence entrent en vigueur dès leur publication au journal officiel, mais doivent en principe être approuvés par le Parlement pour avoir force de loi. Les débats parlementaires ne fournirent aucune garantie en ce sens. Tandis que la Commission des droits de l’Homme approuva le texte sans amendement le 9 avril, les représentants du PNL à la Commission de Défense nationale (parmi lesquels l’ancien président du parti, Mircea Ionescu-Quintus) se joignirent aux représentants du PRM pour en exiger le retrait. L’argument avancé était que la Shoah était un concept diffus qui demandait à être clarifié, et qu’un texte interdisant le déni de la Shoah représentait une atteinte aux droits de l’Homme en général et à la liberté d’expression en particulier [56]. Après deux reports d’adoption, la Commission judiciaire accepta, le 5 juin, un texte amendé, basé sur une proposition de Gheorghe Buzatu, alors sénateur et premier secrétaire du PRM. Celui-ci proposait que la Shoah soit définie comme « l’extermination massive et systématique de la population juive en Europe, orchestrée par les autorités nazies pendant la Seconde Guerre mondiale ». Autrement dit, la Shoah n’avait par définition pas eu lieu en Roumanie, puisque l’extermination des Juifs n’y avait pas été « orchestrée par les autorités nazies ». Le même amendement avait été approuvé, le 29 mai, par la Commission aux affaires culturelles, reprenant trait pour trait l’argument de Buzatu [57]. La Commission judiciaire en profita pour réduire de 15 à 5 ans la peine maximale requise pour la création d’organisations à caractère « fasciste, raciste ou xénophobe ».

48L’argument était donc parfaitement en phase avec les vues de Buzatu et l’étrange « négationnisme sélectif » dont il est précisément question, lequel ne renie pas la Shoah comme un chapitre de l’histoire extérieur au pays, mais exclut les membres de la nation de toute implication dans sa perpétration. Le décret fut finalement adopté par le Parlement, après seulement quatre années de tergiversations [58]. Le retard était manifestement intentionnel. Une fois entérinée, la loi ne contenait pas les amendements proposés par Buzatu. Au lieu de cela, elle utilisait la définition de la Shoah contenue dans le rapport de la Commission internationale pour l’étude de la Shoah en Roumanie-Elie Wiesel (voir ci-dessous), définissant la Shoah comme « la persécution systématique et la destruction massive du peuple juif d’Europe par l’Allemagne nazie, soutenue par l’État, ses alliés et ses collaborateurs entre 1933 et 1945 », y précisant que la population Rom du pays avait également été soumise à la « déportation et à la destruction massive » – un léger écart par rapport à la formulation originelle de la Commission, qui mentionnait également « les invalides, les opposants politiques, les homosexuels et autres ». Bien que plus complets dans une définition globale de la Shoah, les passages retirés du projet de loi n’auraient pu s’appliquer à la Roumanie d’Antonescu [59].

49La création de la Commission Elie Wiesel est une véritable saga en soi. Elle eut lieu à la suite d’une bévue d’Iliescu, au cours d’une interview avec un journaliste du quotidien israélien Ha’aretz publiée le 25 juillet 2003 [60]. En s’engageant sur le sujet de « la banalisation de la Shoah », l’ancien président déclara à son interviewer que « la Shoah n’était pas réservée au sort de la population juive en Europe. Bien d’autres peuples, dont les Polonais, ont péri de la même façon ». Mais, rétorqua le journaliste, à cette époque, seuls les Juifs et les Gitans ont été « ciblés pour génocide ». Ce à quoi Iliescu répondit : « Je sais, mais il y en avait d’autres, qui étaient étiquetés communistes, et ils ont été victimisés de la même façon. Mon père était un activiste communiste et il a été envoyé dans un camp. Il est mort à l’âge de 44 ans, moins d’un an après son retour ». Bien qu’Iliescu eût admis que les massacres de Juifs avaient bien été perpétrés sur le territoire roumain, et qu’il eût fait remarquer que « les leaders de cette époque sont bien responsables de ces événements », il insista sur le fait qu’« il est impossible d’accuser le peuple roumain et la société roumaine de tout cela. Quand l’Allemagne a déclaré [sic !] la “Solution finale” – une décision qui était suivie par d’autres pays, dont la Hongrie –, Antonescu ne soutenait déjà plus cette politique. Au contraire, il a pris des dispositions de façon à protéger les Juifs. Cela, aussi, c’est la vérité historique ». Il poursuivit : « Antonescu avait aussi son côté positif. En 1944, lorsque la Hongrie de Horthy mettait en œuvre la “Solution finale” et transportait ses Juifs, dont les Transylvains du Nord placés sous contrôle hongrois, vers les camps de la mort, Antonescu, lui, avait déjà cessé de le faire. » Quant à la revendication des historiens selon laquelle le revirement politique envers les Juifs était dû à Stalingrad, Iliescu reconnut instantanément que ceci « était vrai », mais jugea le détail « sans importance ». On vit là, clairement, les deux positions s’entrechoquer, d’un côté la mémoire individuelle et subjective du président (le traitement de son père était loin de celui que subirent les Juifs) et la mémoire collective juive incarnée par le journaliste (nous reviendrons sur ce point plus loin). On vit là également un signe d’externalisation comparative de la culpabilité et d’auto-victimisation. Pour tenter d’étouffer le scandale international soulevé par cette interview, le président proposa la création de ce qui est aujourd’hui connu sous le nom de Commission Elie Wiesel, nommée tout simplement d’après le nom de son président [61].

50À ce jour, la plupart des mesures proposées par cette commission n’ont pas été mises en application. Mais, plus inquiétant encore, pratiquement personne n’a été condamné au regard des dispositions de la loi adoptée en 2006 contre la propagande fasciste et le maintien du culte voué à Antonescu, alors que les cas d’infraction sont criants (voir plus loin). Bien au contraire, mi-2006, un tribunal de Brasov a cassé le jugement visant un défenseur de la Garde de Fer, statuant sur le fait que le verdict rendu en instance inférieure contre Gheorghe Oprita – condamné en septembre 2005 à 30 mois de prison pour infraction au décret 31/2002 – équivalait à un déni anticonstitutionnel de la liberté d’expression. En prononçant sa condamnation, la cour d’appel de Brasov a invoqué le fait qu’« en Roumanie démocratique, exprimer ses opinions et ses convictions à propos du Mouvement Légionnaire ou de sa doctrine n’est pas interdit » ; il a ajouté que « l’existence de nombreuses organisations établies légalement, telles que le Mouvement Légionnaire, la Nouvelle Droite, etc., et de publications [diffusées] par leurs soins est une réalité que l’on ne peut tout simplement pas ignorer ». Ce qui a permis au tribunal de statuer que le Mouvement Légionnaire – jusqu’ici immatriculé sous le statut de fondation – pouvait désormais faire une demande d’immatriculation dans la rubrique de parti politique [62].

51Parce qu’elles sont en place depuis plus longtemps que les autres, la plupart des circonstances favorables à l’emploi de l’antisémitisme utilitariste sont illustrées dans ce chapitre par des exemples tirés du parti de gauche PSD. Cependant, les partis centristes, voire de centre-droite sont eux aussi prêts à recourir à ces tactiques si cela peut leur être utile. Les exemples les plus récents sont, entre autres, celui du PD-L (Parti démocratique-libéral), qui a conclu une alliance avec le PNG-CD de Becali, à l’issue des élections municipales de Bucarest en 2008. De même, début septembre 2008, le PD-L est intervenu en faveur de Tudor (le leader du PRM), lui évitant ainsi de perdre sa place de vice-président du Sénat – qui le place ainsi cinquième plus haut responsable du pays – en échange de son appui pour récupérer la présidence de certaines commissions parlementaires.

52L’antisémitisme utilitariste roumain donne ainsi clairement l’impression que bien peu de choses ont changé dans l’esprit des élites politiques de ce pays depuis le renversement du régime, il y a 21 ans. Ce que j’avais appelé « changement simulé », en référence aux prétendues réformes du régime Ceausescu, reste tout aussi éminemment caractéristique de la culture politique actuelle que de celle du régime précédent. Et c’est essentiellement à cause de pressions occidentales et d’un besoin d’afficher des positions européennes ou pseudo occidentales, et non tant à cause de l’internationalisation de ces valeurs, que la Roumanie a réussi à faire quelques pas dans le sens d’un vrai Vergangenheitsbewältigung[63].

L’antisémitisme réactif : orientation « passé-présent-futur »

53La catégorie d’antisémitisme réactif est probablement la plus large de toutes, et en même temps la plus difficile à définir. C’est aussi celle qui empiète le plus sur les quatre autres postures. Elle mérite cependant une approche analytique différente, car ses représentants ne sont pas stimulés principalement par la nostalgie d’un passé dont ils n’ont aucune raison de se disculper, ou par l’intention de fabriquer des « sémites » pour instrumentaliser leurs programmes politiques anti-démocratiques ; il ne leur échappe pas non plus que, d’une alliance politique même brève avec les antisémites, peuvent émaner des conséquences préjudiciables. Toutefois, les antisémites réactifs peuvent être perçus à tort comme relevant de l’une ou l’autre des quatre catégories précédentes par toute personne étrangère à leurs motivations initiales. Autrement dit, l’antisémite réactif est antisémite malgré lui. Pour paraphraser Hegel, c’est un antisémite « en lui-même », mais pas « pour lui-même ». Mais le plus obtus parmi eux pourrait bien, malgré tout, devenir antisémite « pour lui-même », comme le montre l’écrivain dissident anticommuniste Paul Goma (nous y reviendrons plus loin).

54Le discours politique de l’antisémite réactif est provoqué, avant tout, par des postures défensives observées à l’échelle collective, destinées à repousser toute protestation concernant l’histoire récente. La plupart du temps, ce discours reste simplement allusif, même s’il peut à l’occasion devenir abusif ; dans tous les cas, il signifie une tentative déterminée de « se montrer du doigt ». En effet, nulle part ailleurs que dans l’antisémitisme réactif, la « mémoire collective » n’est plus centrale et, en même temps, plus limitée dans sa subjectivité. Le meilleur moyen de le comprendre est de retourner aux théories d’un des pionniers de la mémoire collective : Maurice Halbwachs. Celui-ci distingue trois types de mémoire : individuelle (autobiographique), collective et historique, une distinction particulièrement intéressante dans le cas présent. Il a montré que, tandis que chacune des trois catégories est construite socialement et qu’il n’existe pas de mémoire en dehors du cadre social, le passé est constamment reconstruit et les expériences sociales de la vie familiale exercent souvent un impact significatif sur les modalités de cette reconstruction [64]. Le sociologue français livre toutes les clés pour comprendre l’un des aspects les plus frappants des sociétés européennes postcommunistes : la « martyrologie compétitive » Shoah-Goulag, comme la nomme si bien Alan S. Rosenbaum [65].

55Ayant traité cet aspect dans un ouvrage précédent [66], je me contenterai ici d’une seule facette, la plus fondamentale : l’antisémite réactif est précisément celui (il se situe aujourd’hui entre quarante et soixante, voire même soixante-dix ans) dont la socialisation familiale – et donc le facteur le plus influent de la mémoire collective – se remémore les premières années du stalinisme et du Goulag à travers les événements et les lieux où ses parents et grands-parents ont eu à subir les souffrances infligées. L’image, largement répandue, du « communisme apporté par les Juifs » – le zydokommuna en Pologne et le iudeocomunism en Roumanie – est automatiquement associée à des figures telles que celles de Jakub Berman en Pologne, de Matyas Rakosi en Hongrie et d’Ana Pauker en Roumanie. Si la généralisation est une démarche à la limite de l’absurde – comme l’a montré Ilya Prizel pour le cas de la Pologne [67], mais que l’on peut étendre à tous les pays d’Europe tombés sous domination soviétique –, elle n’en reste pas moins quasiment inévitable. D’où l’émergence d’un élément « compétitif » : entre les auteurs criminels sur place, voire les spectateurs passifs de la Shoah, et les Juifs qui auraient imposé ou profité du Goulag, qui a fait pire et à qui ? C’est ce qu’on a appelé le « double génocide » ou l’approche « symétrique », que l’on peut aborder sous trois angles temporels : orientation vers le passé, dans le sens d’« expliquer » l’antisémitisme par une soi-disant collaboration juive de grande envergure avec les Bolcheviks tant à l’aube de la Seconde Guerre mondiale qu’après l’établissement du communisme. Mais au même moment, orientation vers le présent, dans le sens de servir à refouler la pression nationale ou étrangère (israélienne, occidentale) imposant de lancer un processus de Vergangenheitsbewältigung ou de compenser les victimes, ou les deux. Enfin, orientation vers le futur, dans le sens d’une détermination à établir un modèle de société véritablement soulagée des spectres du passé, sans distinctions ethniques. Inversement, selon une équation « léniniste », cette approche du « double génocide » pose la question du Kto kogo – qui est-ce qui ? – et sous-entend alors que, soit les torts sont partagés (version édulcorée de la « martyrologie compétitive »), soit la balance penche plus fort du côté des « responsables » du Goulag.

56L’antisémitisme réactif tend à être déclenché généralement par un événement à rebondissements internationaux, plaçant l’image postcommuniste du pays en question sous un jour « dénaturé », négatif. Parmi les exemples en Roumanie, citons la réaction, en mars 1992, de Monica Lovinescu contre la publication par Norman Manea, écrivain roumain juif en exil, dans les colonnes de La Nouvelle République, d’un pamphlet sur le passé fasciste du théologien mondialement connu Mircea Eliade [68]. En Roumanie, après la chute du communisme, Eliade était pour ainsi dire érigé au rang d’idole intellectuelle nationale. Elle-même figure littéraire emblématique, jouissant d’une immense renommée en Roumanie, et fille du non moins célèbre critique littéraire et libre-penseur Eugen Lovinescu, Monica Lovinescu n’a cessé d’encourager, au micro de Radio Free Europe, le développement de la résistance intellectuelle au régime communiste, entre 1964 et 1992, avant que l’antenne de la radio munichoise ne ferme son siège à Paris. Lorsque le régime s’est lancé dans son absurde politique de défense du « national-communisme », Monica Lovinescu s’est, quant à elle, appliquée à être sa plus virulente opposante à l’Ouest. Elle a dénoncé les répercussions de l’idéologie légionnaire sur la propagande du régime, et s’est fait remarquer en prenant la défense de Manea. Mais une fois le spectre unissant les opposants au régime Ceausescu volatilisé, Lovinescu – dont la mère avait péri dans les prisons communistes – s’est retrouvée à la tête du mouvement dissident s’émouvant de voir les instigateurs communistes traînés en justice dans un « procès du communisme » à la Nuremberg. Parmi les opposants au régime – tant en Roumanie qu’à l’Ouest –, beaucoup étaient en désaccord avec ses positions. Elle en a alors fait ses principaux ennemis. Elle s’est indignée en particulier des efforts de réparations du passé fasciste de la Roumanie, considérant ces tentatives comme une dérive par rapport aux objectifs plus importants qui devaient désormais mobiliser toute l’attention. Et elle s’est même laissée persuader que les intérêts Juifs venaient après les préoccupations de son pays encore hanté par les récents troubles. Sa réaction au pamphlet de Manea de 1991, traitant du silence d’Eliade sur ce passé dans son œuvre autobiographique, a été révélatrice ; et son empressement à prendre position en faveur d’Eliade ne s’expliquait pas seulement par le lien d’amitié qui unissait les deux intellectuels. À lire Manea, disait-elle, « on se demande si on n’est pas victime d’une hallucination ». Était-ce la Garde de Fer qui était aux commandes pour seulement quelques mois, ou vice versa ? Sont-ce les défenseurs du communisme qui ont été jetés en prison par Antonescu et libérés seulement en 1964, ou des Légionnaires ? Et à quoi rêvait-on en 1989, à une Europe débarrassée d’une « terreur communiste » ou à la fin d’une terreur fasciste ? Manea et quelques autres penseurs qui, comme lui, s’interrogeaient – de près ou de loin – sur le soutien intellectuel roumain au fascisme et/ou à l’antisémitisme (y compris certains universitaires occidentaux), seraient aujourd’hui accusés par leurs très respectables pairs de vouloir « monopoliser les souffrances ». L’argument de type « soit l’un soit l’autre » tenu par Lovinescu serait repris par nombre de ses admirateurs en Roumanie, comme si affronter fascisme et communisme à la fois était incompatible, et comme si la notion de « terreur » fasciste avait été proprement explicitée par l’historiographie communiste, rendant ainsi superflu tout effort pour la réexaminer [69]. Les répercussions de l’article de Lovinescu se font toujours sentir près de vingt ans après sa publication, et en dépit du fait que le passé légionnaire d’Eliade ne soit plus en question. On n’a de cesse de clamer, quelque soit le contexte, que si les éventuelles zones d’ombres sur les penseurs roumains de l’entre-deux-guerres sont exagérément mises en évidence, la contribution des intellectuels juifs dans la politique stalinienne a été traitée avec négligence. Le « politiquement correct », suggère-t-on, a pris un tour aussi étouffant que le stalinisme et la doctrine zhdanovienne en leur temps.

57Un autre exemple est venu illustrer la posture d’antisémitisme réactif, après que l’ancien président Emil Constantinescu eut reconnu pour la première fois la responsabilité de la Roumanie dans la Shoah (à ne pas comprendre dans le sens de culpabilité), propos qu’il réitéra lors d’une visite officielle à l’Holocaust Memorial Museum à Washington. En réaction, Floricel Marinescu, historien sympathisant du régime, publia en mars 1998, dans le supplément hebdomadaire Aldine du quotidien Romania Libera, un pamphlet explosif reprenant intégralement tous les clichés utilisés dans l’argument du « double génocide ». Ainsi, disait-il, « d’un point de vue strictement quantitatif, le nombre de crimes perpétrés au nom de l’idéologie communiste dépasse de loin celui des crimes perpétrés au nom des idéologies nazie ou apparentées ». Toutefois, contrairement à Constantinescu, « aucun représentant juif [de Roumanie] n’a présenté d’excuses pour le rôle joué par certains Juifs dans les actions visant à ébranler l’État roumain, dans la bolchevisation du pays, ou dans les crimes et atrocités commises [par eux]. Proportionnellement parlant, les Roumains et la Roumanie ont enduré davantage aux mains du régime communiste, à l’avènement duquel les Juifs ont largement contribué, que les Juifs eux-mêmes n’ont jamais enduré de la part de l’État roumain durant le régime Antonescu… La Shoah rouge a été incomparablement plus sévère que le nazisme [70] ». Peu après la publication de ce pamphlet, Marinescu fut nommé conseiller présidentiel.

58Au cours des dernières années, l’un des plus saisissants exemples d’antisémitisme réactif nous a été apporté sous la plume de Paul Goma, écrivain en exil à Paris. Dès l’annonce de la création de la Commission Elie Wiesel, Goma s’est lancé dans la production d’une série d’articles, plus tard réunis dans un ouvrage, dans lesquels il cherchait à démontrer que les atrocités commises par les troupes roumaines en Bessarabie en 1941, après que l’occupant soviétique eut rétrocédé la province, n’étaient qu’une réponse des Juifs à celles commises en premier lieu contre les Roumains, perçus comme instruments des forces occupantes. Intitulé Semaine rouge 26 juin-3 juillet 1940 ou la Bessarabie et les Juifs, l’ouvrage créa l’agitation en Roumanie et dans la République de Moldavie voisine. Goma, lui-même natif de Bessarabie et qui a perdu une partie de sa famille pendant l’occupation de la province, n’y renie pas les crimes commis par l’armée et la police d’Antonescu en Bessarabie et en Transnistrie, bien qu’il tente d’en minimiser l’ampleur. Néanmoins, et sans craindre d’arguer qu’il n’a rien d’un « négationniste » (ce qui ne l’empêche pas d’engager des poursuites contre l’auteur de ces lignes et contre quantités d’écrivains juifs roumains ou d’origine roumaine, Elie Wiesel compris), il affirme sans le moindre ménagement que « la “Shoah roumaine” est un mensonge, une invention, une escroquerie, une menace non déguisée (du genre “La bourse ou la vie !”) [71] ». Il plaide pour vouer une « reconnaissance éternelle » à l’armée roumaine et à Antonescu, qu’il appelle « le maréchal libérateur », un « héros » et un « martyr [72] ». Et de poursuivre en écrivant qu’ayant été accoutumés à leur sort de victimes pendant 2 000 ans, les Juifs ne peuvent admettre l’existence d’aucun génocide autre que la Shoah. « La vérité est qu’ils ont été les complices impunis des communautés tombées aux mains du bolchevisme, et qu’ils continuent à jouer ce rôle aujourd’hui en Palestine. » Ils ont « monopolisé » et « se sont approprié les souffrances [73] ».

L’antisémitisme vengeur : orientation « Éternel »

59Par excès de précision et d’attention accordée à l’étude de ces postures racistes et à leurs facteurs déclencheurs, on risque de passer sur la plus simple et la plus ancienne forme d’antisémitisme qui soit : la haine pure et simple des Juifs pour tout ce qu’ils font ou se retiennent de faire. J’appelle cela « antisémitisme vengeur », non que les individus de ce groupe aient de bonnes raisons de ressentir un quelconque élan de vengeance, mais parce que les antisémites ont, jusque dans les temps les plus immémoriaux, « expliqué » leur réaction comme la réponse la plus naturelle qui soit à une provocation des Juifs envers le monde non-juif.

60Selon toute vraisemblance, le cas de Ion Coja, professeur de philologie à l’université de Bucarest, pourrait convenir à toutes les catégories précédentes sauf celle d’antisémitisme utilitariste. Loin de révéler des points de faiblesse dans la taxinomie, celle-ci montre que Coja utiliserait, selon les circonstances, des arguments différents pour justifier l’injustifiable. On n’en arriverait pas moins toujours aux mêmes conclusions.

61Selon lui, la Garde de Fer n’aurait commis aucune des atrocités qui lui ont été attribuées. C’est évident, puisqu’elle n’était même pas antisémite [74]. Le pogrom de Bucarest perpétré en janvier 1941 par la Garde de Fer n’a jamais existé, déclarait-il en 1997. Les 120 victimes dont on a retrouvé les corps pendus aux crochets de boucherie des abattoirs, flanqués de l’inscription « viande kascher », étaient selon lui une invention – la meilleure preuve étant que, lorsque les communistes avaient pris le pouvoir, personne n’avait été traîné en justice, alors qu’il y avait tant de Juifs parmi les leaders communistes du parti. Des Juifs avaient certainement péri pendant cette insurrection contre Antonescu, mais personne n’a jamais prouvé que la Garde de Fer était l’auteur des crimes [75]. Il avance aussi que l’assassinat de l’historien Nicolae Iorga pendant cette période n’avait pas été perpétré par la Garde de Fer, mais plutôt par le KGB infiltré au sein du mouvement. Et, secret bien gardé, que le KGB était aux mains de la « conspiration juive mondiale ». Ce même « pouvoir occulte » qui aurait ordonné l’assassinat de Nicolae Ceausescu et, par la même occasion, commandité la liquidation de l’universitaire roumain Ioan Petre Culianu aux États-Unis en mai 1991 – sous prétexte que ce dernier aurait découvert les dessous de sa conquête hégémonique d’envergure mondiale [76]. Après quelque temps, Coja se montra prêt à reconnaître que des Juifs avaient été tués lors du pogrom de Bucarest, mais il attribuait à présent les atrocités à leurs coreligionnaires en chemise verte. Ces Juifs-là, affirmait-il à présent, étaient des communistes servant les intérêts soviétiques : compromettre la Garde de Fer et troubler son entente avec Antonescu [77]. Et voilà qu’à peine quelques mois plus tard, Coja inversa de nouveau les rôles, prétendant cette fois être en possession d’une déclaration authentifiée, écrite de la main d’un nonagénaire, témoin oculaire des événements, selon qui les corps retrouvés pendus aux abattoirs étaient ceux de légionnaires massacrés par des Juifs [78]. Les victimes du pogrom devenaient ainsi les bourreaux et les bourreaux des victimes.

62Vers le milieu de l’année 2001, Buzatu et Coja présidèrent un symposium à Bucarest, dont le seul intitulé – « Y-a-t-il eu une Shoah en Roumanie ? » – était éloquent en soi. Le colloque s’organisait en deux panels, le premier examinant l’existence « douteuse » de la Shoah en Roumanie, et le second les raisons de l’existence d’un « anti-roumanisme puissamment institutionnalisé ». À l’issue de ce second panel fut créée, sous la présidence de Coja, une ligue roumaine pour la lutte contre l’anti-roumanisme. Les actes du colloque [79] expliquèrent, sur le ton caractéristique du négationnisme sélectif, que les Juifs « avaient souffert quasiment partout en Europe pendant ces années, sauf en Roumanie », ajoutant que « des témoignages de Juifs dignes de confiance » montraient clairement que « le peuple roumain avait eu pendant ces années une conduite qui faisait honneur à la dignité humaine ». Les participants n’hésitèrent pas à soutenir ces affirmations en apportant un certain nombre « d’arguments ». Citons, en exemple, la présentation des extraits de ce qui s’est appelé le témoignage 1955, une déclaration faite par l’ancien leader de la communauté juive roumaine, Wilhelm Filderman, devant un tribunal suisse. Il s’avère que ce document était un faux – ce n’était d’ailleurs ni la première, ni la dernière fois que Coja se permettait ainsi de fabriquer des « preuves » [80]. Les actes reprenaient également la position de Coja sur la non-participation de la Garde de Fer au pogrom de 1941 à Bucarest ; et, ainsi qu’il avait agi par le passé [81], les textes prétendaient à tort que le tribunal de Nuremberg aurait examiné tous les crimes contre l’humanité perpétrés pendant la guerre et qu’au cours des audiences, le mouvement légionnaire aurait, lui aussi, été passé en jugement. Toutefois, les procureurs auraient reconnu que le mouvement ne pouvait être accusé « d’actes répréhensibles ni de crimes génocides ». Comme chacun sait, le tribunal international de Nuremberg n’a jamais jugé d’autres crimes que ceux commis par les nazis allemands [82].

63Lorsqu’en mars 2002, le gouvernement roumain rendit public le décret d’urgence n° 31 cité plus haut, Coja publia immédiatement un pamphlet intitulé Shoah en Roumanie. Le véritable titre, qui apparaissait discrètement sur la troisième de couverture, était : Shoah en Roumanie ?[83] Une habile manœuvre dans le processus d’approbation du décret, en passe d’être examiné par les parlementaires et les autorités chargées de l’entériner pour en faire un texte de loi. Le document fut ensuite mis sur le marché, bien que les stipulations du décret 31/2000, à effet immédiat, auraient dû mener Coja tout droit en prison. Rien de la sorte ne s’est toutefois produit, premiers signes indicateurs que le changement était bien plus grave qu’un simple « simulacre ». Et on pouvait s’attendre à voir bien pire.

64La publication du rapport de la Commission Elie Wiesel fin 2004 déclencha la fureur de Coja et de ses amis. Il adressa d’abord une « lettre ouverte » au président américain George W. Bush, ainsi qu’au Congrès et au Département d’État, dans laquelle il exprimait son inquiétude devant une possible résurrection de l’antisémitisme dans son pays. Selon le professeur roumain, les raisons de ce danger étaient multiples. Il évoquait premièrement la pression américaine exercée sur la Roumanie pour traiter Antonescu en criminel de guerre, sans tenir compte du fait que « la plupart des Roumains ont de son régime une bonne, voire très bonne opinion ». Deuxièmement, l’indifférence au fait que « la majorité des leaders communistes étaient juifs, y compris ceux des institutions chargées de la répression politique, surtout entre 1944 et 1964 ». Troisièmement, la méconnaissance manifeste du rôle inquiétant de certains Juifs pendant les événements de décembre 1989, dans ce qui fut appelé « la révolution dérobée ». À cette époque, « les Juifs distingués par leur passé communiste “glorieux” dans les rangs du parti roumain avaient, sans vergogne, essayé de profiter au même moment de la chute du communisme ». Quatrièmement, la très rapide implication des Juifs dans les efforts de privatisation de l’économie roumaine, dont « l’essentiel consistait à transférer les possessions nationales roumaines des mains de l’État dans celles d’une oligarchie internationale de type mafieuse ». Parmi les « bénéficiaires sans foi ni loi, il y a beaucoup, beaucoup trop de Juifs » et la situation va forcément « un jour ou l’autre provoquer des réactions antisémites voire des déclarations publiques parmi les Roumains, qui seraient alors parfaitement en droit de réagir au nom de la légitime défense ». Enfin, de tels sentiments ne feraient que s’amplifier lorsque le peuple roumain apprendrait « le fait indiscutablement douloureux et insoutenable que, parallèlement à l’aliénation de l’économie roumaine, une véritable déferlante démographique est en train de s’abattre sur le pays ». Quelques 450 000 Juifs, continuait Coja, avaient récemment reçu la nationalité roumaine. On était manifestement devant une « secrète » mais « authentique invasion », précisément au moment où la Roumanie subissait « un déclin démographique sans précédent ». « Seul le nombre de Juifs […] s’est accru de 5 000-6 000 en 1990, à 460 000 », c’est-à-dire 75 000 fois plus. En conséquence, prévient Coja,

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nous attirons très sérieusement l’attention sur le fait que cet exode juif vers la Roumanie représente un acte d’agression contre les intérêts les plus vitaux de la nation, qui ne manquerait pas de déclencher une réaction de défense légitime de la part du peuple roumain. La responsabilité de telles conséquences incombe entièrement à ceux impliqués dans cette vague migratoire perfide et criminelle, et avant tout aux immigrants juifs [84].

66De toute évidence, Coja utilisait là une supercherie pour rejeter les conclusions du rapport de la Commission Elie Wiesel et faire simplement de l’incitation aux pogroms, tout en en fournissant les meilleurs arguments. Et cela devint très clair après quelques mois. Le 28 octobre suivant, Vatra Romaneasca[85], une association ultranationaliste dite « culturelle » présidée par Coja, organisa à Bucarest un débat public sur les prétendues « stratégies anti-roumaines » et la « déroumanisation du pays ». Les participants lancèrent un « appel du peuple roumain » pour attirer l’attention sur ce qu’ils disaient être « un outrage de la plus haute gravité pour l’avenir de la planète, un véritable crime contre l’humanité » dont la faute reposait sur « ces organisations et institutions juives à l’origine d’un programme de naturalisation et de transfert sur le territoire d’un million de Juifs, à l’insu et sans accord préalable du peuple roumain ». En moins de quelques mois, semblait-il, les 450 000 Juifs mentionnés sur l’appel aux autorités américaines rédigé par Coja auraient atteint la barre des 500 000, soit, selon le document en question, le nombre de Juifs ayant reçu la nationalité, « et donc le droit à la propriété », tout cela à l’insu du peuple roumain. Toujours selon l’appel signé par Coja, on avait affaire là à une « agression hors du commun, sans précédent dans l’histoire de l’humanité » qui pourrait fort bien provoquer dans le pays « une catastrophe démographique, voire un génocide antiroumain aussi infaillible demain que discret aujourd’hui [86] ». Se fiant à cette imposture revue et corrigée (rappelons que les antisémites roumains de l’entre-deux-guerres avaient estimé le nombre d’« envahisseurs juifs » à quelque deux millions), les gouvernements roumains en place après 1990 et les médias s’étaient accordés pour placer la censure sur toute information relative à ce complot. Le soi-disant programme stipulait que, dans la première phase de sa mise en œuvre, les Juifs devaient acquérir tout bien immobilier privé ou commercial et tout moyen de production disponible sur le marché, sans s’installer physiquement sur le territoire. Pour maquiller la manœuvre, au démarrage, seuls les plus âgés s’installeraient en Roumanie, se faisant passer pour des retraités désireux de dépenser leurs rentes dans le pays, ce qui inciterait certains Roumains « naïfs » à accueillir favorablement le « “retour” des Juifs ». Mais dès la barre du million atteinte et l’autorité juive « solidement établie, tous les Juifs seraient de nouveau “chez eux” sans la moindre forme légale pour s’y opposer » car alors, « le soi-disant “État de droit” verrait l’invasion juive d’un œil parfaitement légal ».

67Afin de « prouver » ses allégations, Coja n’hésita pas de nouveau à manipuler faits et chiffres. À l’instar des antisémites d’avant guerre, il affirma qu’en 1939, le nombre de Juifs en Roumanie était d’environ deux millions (il n’a jamais dépassé les 800 000), une minorité, écrivait-il, qui « dominait et contrôlait le commerce, la finance et l’industrie ». Ce « statut privilégié » avait fait des Juifs « la minorité la plus dangereuse et la plus difficile à tolérer, la plus répugnante » aux yeux des autres citoyens roumains. Non content de justifier les atrocités commises pendant la guerre contre les Juifs (qu’il ne cessait de renier), Coja faisait resurgir une vieille imposture antisémite, à savoir l’intention de faire de la Roumanie une nouvelle Palestine sous domination juive. La supercherie (tout aussi répandue, à l’époque, parmi les Polonais) allait jusqu’à appliquer à la Roumanie « l’expérience accumulée en Palestine », mais en suivant une « stratégie plus subtile et ingénieuse », bien que similaire en terme d’objectifs : aller jusqu’à usurper les droits qu’ont les Roumains dans leur pays sur leur pays à pouvoir la circonscrire. Il n’est pas sans importance de noter que Paul Goma « expose » également, avec force détails, un certain complot juif de même intention, bien que limité au triangle Bessarabie-Bucovine-Transnistrie, qu’il disait mené avec la bénédiction de Staline [87]. Visiblement, Coja semble être une source « d’information » indispensable pour Goma qui, en 2005, admit ouvertement que moins d’un tiers des « documents » utilisés pour Saptamana rosie étaient tirés de l’ouvrage interdit en 1994 à cause de pressions en provenance de la communauté juive [88]. L’ouvrage [89], qui reposait en grande partie sur des inventions et sur la propagande Antonescu, fut réédité par Vatra romaneasca en 2003. En 2008, ce n’était plus un quart du livre qui avait servi de source d’inspiration, mais une bonne « moitié » [90].

68Pour étayer ce point, Coja appliqua la fameuse technique de « judaïsation » des adversaires politiques, en prêtant à l’ancien président Ion Iliescu un grand-père et une épouse juifs, ainsi que des « origines juives dissimulées » aux présidents Emil Constantinescu et Traian Basescu, qui, à cause de leurs positions dirigeantes au sein de la communauté juive, étaient avertis qu’ils pourraient être accusés de « trahison ». Et Coja de poursuivre en écrivant que les accusations de participation roumaine dans la Shoah n’étaient autrement destinées qu’à « provoquer dans l’esprit des Roumains, et dans la mentalité communautariste, un sentiment de culpabilité nationale censé les exhorter à accepter l’intégration de centaines de milliers de Juifs ». Cet assentiment, affirmait-il, serait donc vu comme une « possibilité de se racheter des erreurs du passé, des crimes [prétendument] commis par nos parents ». Mais ces crimes avaient été « imaginés par la stratégie sioniste, et jamais perpétrés par les Roumains ». Coja continuait en émettant un « avis » à la « communauté internationale » que le Projet Israël en Roumanie (sic) « place le peuple roumain en situation de légitime défense et justifie toute réaction défensive ou punitive à l’égard des envahisseurs et de leurs complices ». Autrement dit, Coja était bel et bien en train de menacer la communauté juive. En apparence, rien ne s’est produit à la suite de la plainte lancée par Aurel Vainer, le président de la Fédération des Communautés juives de Roumanie (FJCR), auprès du ministère de l’Intérieur, qui mettait en évidence le fait que le fameux « appel des Roumains » revenait à provoquer l’incitation à la haine contre les Juifs et à « une apologie du nationalisme, mauvais souvenir d’idées xénophobes ayant entraîné la persécution des Juifs entre 1940 et 1944 [91] ». Bien que Vainer ait aussi indiqué que Coja enfreignait les dispositions du décret 31/2002, le bureau du Procureur général, qui avait pourtant reçu notification de la plainte, ne prit aucune mesure particulière à cet égard. L’affaire en est restée là – encore un exemple de « changement simulé ».

69C’est pourquoi Coja se sentit visiblement encouragé pour « continuer sa route ». Le 24 novembre 2006, il adressa une « lettre ouverte » au président Trian Basescu, publiée – tout comme « l’appel des Roumains » – dans Romania Mare, la revue hebdomadaire du PRM. Intitulé « Aucune Shoah n’a eu lieu en Roumanie », la lettre était une réponse à un discours de Basescu à l’Holocaust Memorial Museum à Washington, au cours duquel – comme son prédécesseur Ion Iliescu – il assumait la responsabilité de la Roumanie dans la Shoah et en déplorait les atrocités. Accusant Basescu d’ignorance, Coja écrivait : « On nous reproche le fait que nos parents aient tué ou permis, dans l’indifférence, la mort de centaines de milliers de Juifs, lors d’un génocide que nous, Roumains, en tant qu’êtres humains, étions incapables de concevoir ou d’imaginer. » Les photos qui ont provoqué l’émotion de Basescu, écrivait-il, étaient toutes des trucages. Les autorités roumaines en général, et le ministère public en particulier, devraient ouvrir une enquête sur les motifs qui ont encouragé de tels « menteurs et lâches » à accuser « mon père et les vôtres » d’avoir commis « de si terribles crimes ». Et, tout en adoptant une position désormais coutumière de « déni sélectif de la Shoah », il embraya sur une menace sans précédent :

70

Il n’y a eu aucune Shoah en Roumanie. Réjouissez-vous de cette nouvelle ! Pas même un semblant de Shoah. Ni shoah, ni génocide, ni pogrom ! Ni sous Antonescu, ni à aucune autre époque ! Nous avons perdu toute occasion de le faire. Mais qui sait, peut-être la ferons-nous, cette Shoah, en d’autres temps, et alors nous la ferons comme il se doit, avec toute garantie de réussite ! Avec témoins, avec documents, avec de vraies victimes, et tout ce qui s’ensuit. Avec toute la mise-en-place[92]  ! Mais, assurément, avec d’autres partenaires, et non avec les Juifs roumains d’aujourd’hui, qui ne sont rien qu’une bande de délateurs et de menteurs sans nom ! Ils craignent que si le monde apprenait comment nous les avons [réellement] traités, quelqu’un leur fasse pleinement payer le prix de tous les avantages dont ils ont largement profité[93].

71Le bureau du Procureur général fut de nouveau saisi par l’Institut national pour l’Étude de la Shoah en Roumanie et par le Centre d’observation et de lutte contre l’antisémitisme en Roumanie (MCO). La Fédération des Communautés juives adressa une deuxième plainte officielle, que son président, Aurel Vainer, appuya à titre personnel. Coja riposta en déposant une plainte contre la FJCR, au motif d’avoir reçu des menaces de mort de la part d’une organisation basée en Israël, après que la FJCR eut prétendument falsifié sa lettre ouverte à Basescu. Affirmant que sa vie était à présent en danger, il formula une demande de protection de la part des services secrets roumains. Une autre technique antisémite pratiquée dans le monde entier était en train de s’appliquer : l’auto-victimisation des agresseurs.

72Le 10 août 2008, Coja annonça avec jubilation que le bureau du Procureur général avait conclu à une absence de motifs permettant d’entamer des poursuites contre lui, que ce soit au titre d’infraction au « honteux et absurde » décret 31/2002, ou selon la loi pénale interdisant l’incitation à la haine raciale. Il ajouta qu’il entendait poursuivre la FJCR et son président et que, en cas de rejet de sa plainte, il avait l’intention de faire appel auprès des instances supérieures, notamment la Cour européenne des droits de l’Homme. « Nous vivons dans un monde où il ne convient plus d’être agacé ou dégoûté par ces hommes à l’odeur corporelle et au comportement puants », dit-il en une phrase manifestement tirée d’un idiome nazi ou légionnaire. « Il ne suffit plus de porter à son nez un mouchoir. Il faut à présent saisir le gueux par les cheveux et supprimer de force ce foyer de puanteur nauséabonde et tous les grippe-sous autour de nous, quels que soient les obstacles bureaucratiques pour y parvenir. » Ce message était loin d’être un langage codé. Il n’y avait pas plus clair. Et il n’est pas le moins du monde exagéré de conclure que ce message n’était qu’une conséquence directe de la politique de « changement simulé » pratiquée de façon répétitive par les autorités, dont le système judiciaire s’échine toujours et encore à faire le jeu. Pour le prouver, rappelons le souhait de Coja de voir sa riposte contre la FJCR, et contre Vainer, poursuivie dans toutes les instances où cela serait nécessaire, car, selon lui, la justice roumaine était « sur le droit chemin [94] ». Droit chemin, on pourra se le demander, mais on ne reniera pas le fait d’être bien, là, sur un chemin de droite. Ce qui nous rappelle l’attitude du procureur, lors du procès en acquittement de Corneliu Zelea Codreanu en 1925, poursuivi pour le meurtre de Ion Manciu, préfet de police de Iasi, le 25 octobre 1924. Au cours de ce procès, le procureur remercia l’accusé pour son « action patriotique [95] ».

Conclusions

73L’attitude de la Roumanie postcommuniste à l’égard des Juifs est, dans une large mesure, le reflet de la mémoire davantage que celui de l’histoire. La subjectivité de la mémoire n’est, en aucun cas, une réalité singulièrement roumaine. Il n’est donc pas surprenant que la mémoire juive soit encline à « sélectionner » dans l’antisémitisme des aspects dont la mémoire non-juive n’aurait pas conscience ou dont elle aurait « adopté une sélection ». Nous ne prétendons pas faire exception à cette règle. Mais, d’un autre côté, la mémoire non-juive roumaine a tendance à refléter cette idée andersonnienne d’« imaginaire national » cherchant à former une image positive du passé, un passé dans lequel ni l’antisémitisme, ni les contributions roumaines dans la Shoah ne peuvent se fondre facilement. Ce qui façonne les méthodes roumaines de travail sur la Shoah et sa négation pendant ces années n’est pas nécessairement anti-judaïque, bien que l’antisémitisme ait une influence auprès des négationnistes. De même qu’il y a hétérogénéité parmi les motivations antisémites, il y a hétérogénéité dans les instruments de déni de la Shoah. Par ailleurs, il n’y a pas plus d’homogénéité dans les orientations temporelles dont dépend chaque catégorie d’antisémites postcommunistes. Ainsi trouve-t-on, dans le grand panier de l’histoire de l’antisémitisme, les « pommes véreuses » incarnées par les antisémitismes nostalgique, auto-propulsé et vengeur, se mélanger avec ce que je nommerais les « poires fielleuses » que sont l’antisémitisme réactif et leurs cyniques compères néo-populiste-mercantile et utilitariste. Observer des mutations d’une catégorie à l’autre est assez fréquent, voire même prévisible. Mais ignorer ces distinctions et leurs nuances revient à encourager de telles mutations.

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Notes

  • [1]
    Cet article est une version augmentée de l’article rédigé à l’occasion de notre intervention à la conférence internationale intitulée La droite radicale dans l’Europe centrale et orientale de l’après-1989. Rôle des héritages de l’histoire, New York, New York University, 24-26 avril 2008.
  • [2]
    Professeur des universités, faculté d’Études européennes, université Babes-Bolyai, Cluj-Napoca, Roumanie.
  • [3]
    Alain Finkielkraut, Le Juif imaginaire, Paris, Seuil, 1980. Andrei Oisteanu, Imaginera Evreului in cultura romana. Studiu despre imagologie in context Est-Central European (« Inventer le Juif dans la culture roumaine. Étude des stéréotypes antisémites en Europe centrale et orientale »), Bucarest, Humanitas, 2001 (paru en anglais sous le titre Inventing the Jew :
    Antisemitic Stereotypes in Romanian and Other Central-East European Cultures, Lincoln, University of Nebraska Press, 2009).
  • [4]
    Michael Shafir, « Negation at the Top : Deconstructing the Holocaust Denial Salad in the Romanian Cucumber Season » (« Négationnisme au sommet : déconstruire le déni de la Shoah en Roumanie… »), in Xenopoliana, mars-avril 2003, p. 90-122. Voir aussi « Varieties of Antisemitism in Post-Communist East Central Europe » (« Variétés d’antisémitisme en Europe centrale et orientale postcommuniste »), in Andras Kovacs et Eszter Andor (dir.), Jewish Studies at the Central European University III, 2002-2003, Budapest, Central European University, 2003, p. 175-210.
  • [5]
    Michael Shafir, Holocaust Representation in Transitional Romania. An updated Motivational Typology (« Représentation de la Shoah dans la Roumanie transitionnelle : une nouvelle typologie motivationnelle »), in Holocaust Memory and Antisemitism in Central and Eastern Europe. Comparative Issues, Bucarest, Institut national pour l’étude de la Shoah en Roumanie Elie Wiesel, 2008, p. 117-172.
  • [6]
    Benedict Anderson, L’imaginaire national, op. cit.
  • [7]
    Jacques Rupnik, « Revolutie-Restauratie » (« Révolution-restauration »), in Lettre internationale, édition roumaine, avril 1992/1993, p. 4.
  • [8]
    Sorhin Antohi, Exercitiul distantei : discursuri, societati, metode (« Exercices de distanciation : discours, sociétés et méthodes »), Bucarest, Éditions Nemira, seconde édition, 1997, p. 292-316.
  • [9]
    Michael Shafir, « Reds, Pinks, Blacks and Blues. Radical Politics in Post-Communist East Central Europe » (« Rouges, roses, noirs et bleus. Politique radicale dans l’Europe centrale et orientale postcommuniste », Studia politica, février 2001, p. 397-446.
  • [10]
    Shari J. Cohen, Politics without a Past. The absence of history in postcommunist nationalism (« Politique sans passé. L’absence d’histoire dans le nationalisme postcommuniste »), Durham (Caroline du Nord), Duke University Press, 1999, p. 85-118.
  • [11]
    Michael Waller, « Adaptation of the Former Communist Parties of East Central Europe. A case of social democratization ? » (« Adaptation des anciens partis communistes d’Europe centrale et orientale. Étude de démocratisation sociale »), Party Politics, n°4, octobre 1995, p. 473-490 (consultable sur : http://www.partypolitics.org/Volume01/v01i4p473.htm).
  • [12]
    Curentul, 6 février 2007.
  • [13]
    Curentul, 6 février 2007.
  • [14]
    Ibid.
  • [15]
    Michael Shafir, « Reds, Pinks, Blacks and Blues », art. cit.
  • [16]
    Voir Ilya Prizel, « Jedwabne : Will the Right Questions Be Asked ? » (« Jedwabne : posera-t-on les bonnes questions ? »), in East European Politics and Societies, janvier 2002, p. 278-290.
  • [17]
    Ibid.
  • [18]
    Michael Shafir, « The Men of the Archangel Revisited. Anti-semitic formations among communist Romania’s intellectuals (« Le Retour des hommes de l’archange : formations antisémites parmi les intellectuels communistes roumains »), in Studies in Comparative Communism, 3, 1983, p. 223-243. Voir aussi Michael Shafir, « From Eminescu to Goga via Corneliu Vadim Tudor. A new round of antisemitism in romanian cultural life » (« D’Eminescu à Goga en passant par Corneliu Vadim Tudor : nouvelle ronde d’antisémitisme aux affaires culturelles roumaines »), in Soviet Jewish Affairs, mars 1984, p. 3-14.
  • [19]
    Michael Shafir, « L’ère postcommuniste », in Randolph L. Braham (dir.), The Tragedy of Roumanian Jewry, New York, Columbia University Press, 1994, p. 372-382.
  • [20]
    Michael Shafir, Intre negare si trivializare prin comparatie : Negarea Holocaustului in tarile postcomuniste din Europa Centrala si de Est (« Entre négation et “banalisation comparative” : la négation de la Shoah dans l’Europe centrale postcommuniste »), Iasi, Polirom, 2002, p. 87-104 (paru en anglais sous le titre Between denial and « comparative trivialization » : Holocaust negationism in post-Communist East Central Europe, Jérusalem, Université hébraïque, 2002).
  • [21]
    Andrew Janos, « Continuity and Change in Eastern Europe : strategies of post-communist politics » (« Continuité et changement en Europe de l’Est : stratégies politiques postcommunistes »), in East European Politics and Societies, août 1994, p. 24-25.
  • [22]
    Giovanni Sartori, Parties and Party Systems. A Framework for Analysis (« Partis et systèmes de Partis. Un schéma d’analyse »), Cambridge (MA), Cambridge University Press, 1979, p. 132-133 et passim.
  • [23]
    Alina Mungiu-Pippidi, « EU Accession Is No “End of History” » (« Adhérer à l’EU ne signifie pas “fin de l’Histoire” »), in Journal of Democracy, avril 1997, p. 11.
  • [24]
    Cas Mudde, « In the Name of the Peasantry, the Proletariat and the People. Populisms in Eastern Europe » (« Au nom de la paysannerie, du prolétariat et du peuple : populismes en Europe de l’Est »), in East European Politics and Societies, février 2000, p. 37.
  • [25]
    À part les néo-populistes mercantiles, il existe d’autres catégories de néo-populistes, reprises dans mon ouvrage Vox Populi, Vox Dei and the (Head-) Master’s Voice. Mass and intellectual neo-populism in contemporary Romania (« « Vox Populi, vox Dei et la voix du maître (principal) : Néo-populisme intellectuel et de masse dans la Roumanie contemporaine »), in Vaclav Nekvapil et Maria Staszkiewicz (dir.), Populism in Central Europe, Prague, Association for International Affairs AMO, 2007, p. 81-109. Voir aussi « From Historical to “Dialectical” Populism. The case in post-communist Romania » (« Du populisme historique au populisme dialectique : le cas de la Roumanie postcommuniste »), in Canadian Slovanic Papers, 2008, n°50, p. 1-2.
  • [26]
    Michael Shafir, « Profile : Gigi Becali » (« Portrait de Gigi Becali »), in Radio Free Europe/Radio Liberty, 13 décembre 2004. Ce texte est consultable à l’adresse suivante : http://www.rferl.org/content/article/1056373.html.
  • [27]
    Ziua, 2 mai 2007.
  • [28]
    Michael Shafir, « Portrait de Gigi Becali », op. cit.
  • [29]
    Ziua, 12 novembre 2004.
  • [30]
    Cotidianul, 22 décembre 2004, et Evenimentul Zilei, 16 février 2005.
  • [31]
    Mediafax, 30 mars 2005, et Gandul, 1er novembre 2006.
  • [32]
    Cotidianul, 18 novembre 2007.
  • [33]
    Vlad Hogea, Nationalistul (« Le Nationaliste »), Iasi, Editura Crater, 2001, p. 44.
  • [34]
    Vlad Hogea, Nationalistul, op. cit.
  • [35]
    Gandul, 1er novembre 2006.
  • [36]
    Cotidianul, 6 septembre 2006.
  • [37]
    Dinu Giurescu, Romania in al doilea razboi mondial (« La Roumanie dans la Seconde Guerre mondiale, 1939-1945 »), Bucarest, Editura ALL Educational, 1999, p. 70-91 (paru en anglais sous le titre Romania in the Second World War : 1939-1945, Boulder, East European Monographs, 2000).
  • [38]
    Cotidianu, 30 juillet 2008.
  • [39]
    Alex Mihai Stoenescu, Armata, maresalul si evreii (« L’armée, le maréchal et les Juifs »), Bucarest, RAO International Publishing Company, 1998, p. 280.
  • [40]
    Alex Mihai Stoenescu, Istoria loviturilor de stat din Romania (« Histoire des coups d’État en Roumanie »), volume 2, Bucarest, RAO International Publishing Company, 2002, p. 415-416.
  • [41]
    Ibid., p. 422.
  • [42]
    Ibid., p. 423-424.
  • [43]
    Stoenescu, Histoire des coups d’État en Roumanie, op. cit., volume 3, p. 142.
  • [44]
    Voir à ce sujet l’interview du secrétaire général du PNG, Catalin Dancu dans le quotidien israélien de langue roumaine Viata noastra du 16 novembre 2007.
  • [45]
    Interesul Public, 20 novembre 2007.
  • [46]
    Viata noastra, 16 et 22 novembre 2007.
  • [47]
    Voir Evenimentul Zilei et Cotidianul, 27 novembre 2007.
  • [48]
    Cf. Michael Shafir, « The Post-Communist Era. Romania’s ruling party formalizes relations with extremists » (« L’ère postcommuniste. Le parti dominant en Roumanie formalise ses relations extrémistes »), in Transition, 4, 1995, p. 42-46 et 64 ; « Anatomy of a Pre-Election Political Divorce » (« Analyse d’un divorce politique pré-électoral »), in Transition, 2, 1996, p. 45-49 ; « Marshal Ion Antonescu’s Post-Communist Rehabilitation : cui buono ? » (« La réhabilitation postcommuniste du maréchal Antonescu : qui de bon ? »), in Randolph L. Braham (dir.), The Destruction of Romanian and Ukrainian Jews During the Antonescu Era, New York, Columbia University Press, 1997, p. 349-410 ; « The Mind of Romania’s Radical Right » (« L’esprit de l’extrême droite roumaine »), in Sabrina P. Ramet (dir.), The Radical Right in Central and Eastern Europe, University Park, Penn State University Press, 1999, p. 213-232 ; « Marginalization or Mainstream ? The Extreme Right in Post-Communist Romania » (« Marginalisation ou courants dominants ? L’extrême droite dans la Roumanie postcommuniste »), in Paul Hainsworth (dir.), The Politics of the Extreme Right. From the Margins to the Mainstream, Londres, Pinter, 2000, p. 247-267.
  • [49]
    Michael Shafir, « Extreme Nationalist Brinkmanship in Romania » (« Stratégie de la corde raide nationaliste et extrémiste en Roumanie »), in RFE/RL Research Report, février 1993, p. 31-36.
  • [50]
    Realitatea evreiasca,16 avril-15 mai 1997.
  • [51]
    RFE/RL Newsline, 22 janvier 2001.
  • [52]
    Romania Libera, 27 février 2002.
  • [53]
    Monitorul oficial al Romaniei (« Journal officiel roumain »), n° 214, 28 mars 2002.
  • [54]
    Cf. Adevarul, 29-30 juin 2002 ; Cotidianul, 28 mai 2002 ; Mediafax, du 29 juin 2002.
  • [55]
    Mediafax, 31 juillet 2002.
  • [56]
    Mediafax et Cotidianul, respectivement du 9 et du 15 avril 2002.
  • [57]
    Interprétation tirée de Mediafax (5 juillet 2002) et de Currentul (29 mai 2002).
  • [58]
    Monitorul oficial al Romaniei, n° 377, 3 mai 2006.
  • [59]
    Tuvia Friling, Radu Ioanid et Mihai E. Ionescu (dir.), Comisia internationala pentru studierea Holocaustului in Romania : Raport final, Bucarest, Polirom, 2005.
  • [60]
    Ha’aretz, édition en langue anglaise, Tel Aviv, 25 juillet 2003.
  • [61]
    Michael Shaffir, « Negation at the Top », art. cit.
  • [62]
    Cf. Cotidianul, 3 juin 2006.
  • [63]
    Michael Shafir, « Memory, Memorials and Membership : Romanian Utilitarian Anti-Semitism and Marshal Antonescu » (« Mémoire, monuments et appartenance : l’antisémitisme utilitariste roumain et le maréchal Antonescu »), in Henry F. Carey (dir.), Romania Since 1989 : Politics, Economics and Society, Lanham, Lexington Books, 2004, p. 90.
  • [64]
    Maurice Halbwachs, La mémoire collective, préface de Jean Duvignaud, introduction de Jeanne Michel-Alexandre, Paris, PUF, 1968 (2de édition revue et augmentée).
  • [65]
    Alan S. Rosenbaum, « Introduction », in Alan S. Rosenbaum (dir.), Is the Holocaust unique ? Perspectives on comparative genocide (« La Shoah est-elle unique ? Perspectives sur le génocide comparatif »), Westview, Boulder, 1996 (1re édition).
  • [66]
    Michael Shafir, Between denial and « comparative trivialization » : Holocaust negationism in post-Communist East Central Europe (« Entre négation et “banalisation comparative” : la négation de la Shoah dans l’Europe centrale postcommuniste »), Jérusalem, Université hébraïque de Jérusalem, Vidal Sassoon International Center for the Study of Antisemitism, 2002, p. 125-134.
  • [67]
    Ilya Prizel, Jedwabne, art. cit.
  • [68]
    Norman Manea, « Felix culpa » (« Felix et sa coulpe »), La Nouvelle République, 5 août 1991.
  • [69]
    Pour de plus amples détails, voir Michael Shafir, « The man they love to hate : Norman Manea’s “Snail House” between Holocaust and Gulag » (« L’homme qu’ils adorent détester : la “maison d’escargot” de Norman Manea entre Shoah et Goulag »), in East European Jewish Affairs, janvier 2000, p. 60-81.
  • [70]
    Cf. Romania Libera, 7 mars 1998.
  • [71]
    Paul Goma, Saptamana rosie 28 iunie – 3 iulie 1940. Basarabia si evrei (« Semaine rouge 26 juin-3 juillet 1940 ou la Bessarabie et les Juifs »), Bucarest, Editura Vremea XXI, 2004, p. 273.
  • [72]
    Paul Goma, Saptamana rosie, op. cit., p. 244-245.
  • [73]
    Paul Goma, Saptamana rosie, op. cit., p. 186-187 et 195.
  • [74]
    Voir à ce sujet George Voicu, Teme antisemite in discursul public (« Le thème antisémite dans le discours public »), Bucarest, Ars Docendi, 2000, p. 117-123.
  • [75]
    Ion Coja, Legionarii nostri (« Nos légionnaires »), Bucarest, Editura Kogaion, 1997, p. 156-169.
  • [76]
    Ion Coja, Marele manipulator si asasinarea lui Culianu, Ceausescu, Iorga (« Le grand manipulateur et les assassinats de Culianu, Ceausescu et Iorga »), Bucarest, Editura Miracol, 1999.
  • [77]
    Cf. Romania Mare, 26 septembre 2003.
  • [78]
    Cf. Romania Mare, 23 janvier 2004.
  • [79]
    Permanente, n° 7, juillet 2001.
  • [80]
    Michael Shafir, Intre negare si trivializare, op. cit., p. 54-59.
  • [81]
    Cf. Ion Coja, Legionarii nostri, op. cit., p. 98-111 et Dilema, 25-31 août 1998.
  • [82]
    Tony Judt, « The Past is Another Country. Myth and memory in postwar Europe » (« Le passé est un autre pays : mythe et mémoire dans l’Europe d’après-guerre »), in Istvan Deak, Jan T. Gross et Tony Judt (dir.), The Politics of Retribution in Europe, Princeton, Princeton University Press, 2000, p. 296.
  • [83]
    Ioan Coja, Holocaust in Romania : Suita de marturii si documente adunate si commentate de Ion Coja in folosul parlamentarilor si al autoritatilor implicate in elaborarea, aprobarea si aplicarea Ordonantei de Urgenta nr. 31/2002 a Guvernului Romaniei (« La Shoah en Roumanie : Suite de témoignages et documents rassemblés et commentés par Ion Coja à l’usage des parlementaires et des autorités impliquées dans l’élaboration, l’approbation et l’implementation de l’Ordonance d’urgence du Gouvernement de la Roumanie n° 31/2002 »), Bucarest, Editura Kogaion, 2002.
  • [84]
    Cf. Romania Mare, 8 avril 2005.
  • [85]
    On pourra se reporter au site internet de Vatra Romaneasca (en roumain et en anglais) : http://vatraromaneasca.ro/.
  • [86]
    Cette interprétation est tirée de Romania Mare, 11 novembre 2005.
  • [87]
    Paul Goma, Saptamana rosie, op. cit., p. 79, 172, 265.
  • [88]
    Paul Goma, « Necititorii-acuzatorii nemilosi ai mei : Holocaustologii » (« Mes nonlecteurs, mes impitoyables accusateurs : les Holocaustologues »), in Tiuk, 11 avril 2005, http://www.tiuk.reea.net/8/goma.html#4.
  • [89]
    Alesandru Dutu et Constantin Botoran, Situatia evreilor din Romania 1939-1941 (« La situation juive en Roumanie 1939-1941 »), Bucarest, Editura Tara Noastra, Uniunea Vatra romaneasca, 2003.
  • [90]
    Cf. Flori Stanescu et Paul Goma, Dialog (« Dialogue »), Bucarest, Editura Vremea, 2008, p. 218.
  • [91]
    Cf. Romania Mare, 21 avril 2006.
  • [92]
    En français dans le texte.
  • [93]
    Cf. Romania Mare, 1er décembre 2006. C’est nous qui soulignons. L’écriture du mot shoah avec et sans majuscule figure dans le texte original en roumain.
  • [94]
    Cf. AlterMedia, 10 septembre 2008.
  • [95]
    Cf. Armin Heinen, Legiunea « Arhangelului Mihail » (« La légion de l’Archange Michel »), Bucarest, Humanitas, 2006, p. 114.
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