Couverture de RHSHO_193

Article de revue

Premiers pas. Un sujet difficile dans un collège difficile...

Pages 347 à 356

Notes

  • [1]
    Professeur d’histoire-géographie en collège, académie d’Aix-Marseille.
  • [2]
    Bulletin officiel.
  • [3]
    Catherine Coquio et Aurélia Kalisky, L’Enfant et le Génocide, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2007.
  • [4]
    Laurence Corbel, Jean-Pierre Costet, Benoît Falaize, Alexandre Méricskay, Krystel Mut, Entre mémoire et savoir, l’enseignement de la Shoah et des guerres de décolonisation, Rapport de recherche de l’équipe de l’académie de Versailles, 2000-2003, INRP, Paris, 2003.

1Dans un article du Monde diplomatique publié en 2004 et intitulé « Peut-on encore enseigner la Shoah ? », Benoît Falaize pose la question de l’enseignement de sujets sensibles dans les quartiers difficiles. Comme il s’attache à le montrer, le problème n’est pas de savoir si l’on peut enseigner la Shoah, mais comment le faire. En effet, le thème en lui-même pose un certain nombre de problèmes pédagogiques : comment ne pas substituer l’émotion à la connaissance ? Comment faire de l’histoire en utilisant la mémoire ? Comment replacer cet événement dans le temps long ?

2Tout enseignant se pose ces questions car le sujet est délicat à aborder, a fortiori dans les quartiers dits sensibles : les enseignants qui traitent ce sujet en zones d’éducation prioritaire (ZEP) doivent de surcroît se préparer à affronter d’autres difficultés : le comportement des élèves, leurs critiques, leurs a priori… Doit-on alors tout mettre en œuvre pour éviter leurs réactions ? Comment faire face à la provocation ? Comment adapter sa pédagogie pour enseigner au mieux la Shoah dans ce contexte ? Jeune enseignante dans un collège de la banlieue de Marseille, je me suis posée ces questions et tente d’y répondre.

3Avant de préparer la leçon sur la Shoah, il m’a semblé important de fixer les objectifs que je voulais atteindre. Ils ont été des fils directeurs qui ont guidé la préparation et la réalisation de mon cours.

4L’enseignement de la Shoah me semble avoir trois finalités majeures. Il est tout d’abord primordial de le traiter et de l’aborder comme un fait d’histoire. L’élève doit comprendre et connaître les principaux faits relatifs au génocide. L’enseignant doit donc faire preuve de rigueur scientifique (se documenter, garder son objectivité, appliquer une démarche historique, avoir un regard critique, etc.) et pédagogique (respect du temps conseillé dans le BO[2], utilisation des documents, production des élèves conforme aux instructions officielles). Il ne doit pas oublier qu’il est nécessaire de rendre l’événement intelligible aux élèves alors que la tentation de faire jouer l’émotion au détriment de l’analyse historique est forte. Cependant, sur un tel sujet, ne pas solliciter la sensibilité est impossible et revient à occulter une composante essentielle de cet épisode. Nous devons donc trouver un équilibre, accepter la dimension émotionnelle pour pouvoir la dépasser.

5La question de la Shoah a également un objectif civique. Elle est un moyen de contribuer au rejet de l’intolérance, du racisme et de la xénophobie. Nous devons montrer aux élèves ce qui a conduit à ce génocide afin de les éduquer à la prévention des crimes contre l’humanité. Leur faire comprendre que cet événement résulte d’un long processus reposant sur le rejet de l’autre. Il est nécessaire qu’ils prennent conscience que de telles horreurs se sont à nouveau produites et qu’elles peuvent survenir encore. Nous les amenons à comprendre le passé pour mieux appréhender le futur.

6Cet enseignement, enfin, joue un rôle dans la constitution de notre mémoire collective. Bien que cet objectif soit discutable (inutile de rappeler ici les différences entre histoire et mémoire), on ne peut nier que les enseignants participent à son élaboration. Mais dans quelle mesure ?

7Au-delà de ces objectifs, il est, en outre, important de s’adapter à son public. Il ne s’agit pas de modifier notre discours, car l’histoire ne change pas, mais d’adapter la pédagogie en fonction du niveau des élèves. Ainsi le choix des documents, le travail demandé, les questions, varient selon qu’on enseigne en ZEP ou dans des quartiers plus favorisés.

8Je travaille dans une ville située dans la banlieue nord de Marseille. Mon établissement n’est pas classé ZEP, mais une partie des élèves vit dans les cités des quartiers nord, alors que l’autre partie est issue de catégories socioprofessionnelles moyennes à élevées. Notre public est donc mixte et nous rencontrons parfois les mêmes difficultés que dans des ZEP. Environ 30 % des élèves sont immigrés ou enfants d’immigrés, avec une forte proportion d’origine maghrébine – nous verrons plus loin pourquoi ce détail est important. Le niveau (sur la base des résultats du brevet des collèges) y est moyen, avec de fortes disparités. Cette mixité sociale et culturelle est intéressante et enrichissante, mais elle pose des problèmes : des différences de niveau qui ne sont pas faciles à gérer et les élèves issus de milieux variés ne se comprennent pas toujours.

9Les programmes officiels nous invitent à aborder « la politique d’extermination des Juifs et des Tsiganes » dans le chapitre sur la Seconde Guerre mondiale en « utilisant des témoignages filmographiques sur la déportation ». Selon les instructions, ce chapitre doit durer 5 à 6 heures : nous ne pouvons donc consacrer qu’une séance d’une heure à l’étude « des génocides ». Or, si nous voulons donner toute leur dimension à ces événements, il me semble impossible d’y consacrer si peu de temps. J’ai donc fait le choix de prendre quelques libertés en organisant cette séance sur 2 heures.

10Par ailleurs, la Shoah peut être abordée dans d’autres leçons. Dans le chapitre sur la crise des années 1930 et l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il nous est demandé d’expliquer « les pratiques totalitaires d’un régime fondé sur le mythe d’une race pure », ce qui nous permet d’étudier l’idéologie nazie et les politiques d’exclusion dont ont été victimes les Juifs. Nous pouvons également parler des mesures antisémites prises par le régime de Vichy à travers l’étude du « Statut des Juifs » et aborder le rôle de l’État français dans la déportation des Juifs de France.

11Je présente ici deux séances sur la politique d’extermination : la première correspond à la leçon que j’ai enseignée à mes élèves il y a deux ans, la seconde est celle que j’ai menée cette année et pour laquelle j’ai tenté d’intégrer ce que j’ai appris durant le stage d’été organisé par le Mémorial de la Shoah. Je souhaite ainsi montrer ce que m’a concrètement apporté cette formation.

12La première leçon posait la question suivante : comment s’organisent les génocides des Juifs et des Tsiganes ? J’ai choisi de baser mon cours sur le témoignage tiré du journal de Dawid Sierakowiak, jeune Juif polonais enfermé dans le ghetto de Lodz. Ce texte, issu de L’Enfant et le Génocide[3], me paraissait intéressant dans la mesure où il permettait de retracer chronologiquement ce qu’ont vécu les Juifs de Pologne. L’auteur y aborde l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes, les humiliations et le travail forcé, le port de l’étoile, l’enfermement dans le ghetto, les conditions de vie et les déportations. J’ai volontairement choisi le témoignage d’un enfant de 15 ans pour que les élèves, par identification, comprennent mieux ce que les victimes ont pu ressentir. Il ne me semble pas envisageable de traiter cette histoire sans utiliser de témoignages, ou en niant le côté émotionnel. Mais trop insister sur l’émotionnel peut conduire à limiter l’analyse historique, fondement de notre enseignement. J’ai donc essayé de choisir un document intéressant sur le plan historique et émotionnel sans être trop poignant. En revanche, je me suis refusée à utiliser des images choquantes (libération des camps, Nuit et Brouillard) qui répondraient à la curiosité morbide de certains élèves et qui en traumatiseraient d’autres. Ces images ne permettent pas à mon sens d’historiciser la Shoah – alors que notre but est, comme je l’ai souligné, de traiter et d’analyser le sujet comme un fait d’histoire.

13Mes élèves étaient donc amenés à lire des extraits du journal du jeune garçon afin de remplir une frise chronologique. Ils devaient placer les faits qui permettaient de comprendre comment les nazis sont passés de l’exclusion à l’extermination. La correction de cet exercice fut l’occasion d’expliquer, de contextualiser et d’élargir ce que décrit le témoin. Je leur ai présenté les décisions prises par le Reich : lois antisémites, humiliations, mise à l’écart, Endlösung.

14C’est ici aussi que j’ai abordé ce que le père Desbois a appelé « la Shoah par balle », afin qu’ils comprennent que la Shoah ne se résume pas aux chambres à gaz. Je les ai ensuite fait travailler sur un extrait du livre de Martin Gray, Au nom de tous les miens, dans lequel il décrit l’arrivée des déportés à Treblinka et évoque le système de mise à mort. Il s’agissait ici de comprendre comment les nazis avaient organisé l’extermination des Juifs d’Europe. Le troisième document était une carte présentant les différents camps du Reich, ce qui m’a permis de faire la distinction entre camp de concentration et d’extermination et de développer quelques exemples, comme Auschwitz ou le Struthof-Natzwiller. Pour terminer, les élèves ont dû rédiger une synthèse à partir des documents, de leur frise et des apports magistraux.

15Ma participation au stage d’été, proposé par le Mémorial de la Shoah, m’a permis de prendre du recul et d’analyser les travaux que j’avais réalisés jusque-là avec mes élèves. Il m’est apparu que je n’inscrivais pas suffisamment la Shoah dans le temps long. Si l’idéologie nazie a été abordée dans un chapitre précédent, les intervenants ont souligné le fait qu’il était utile d’insister sur l’avant-guerre et de rappeler les événements ayant précédé l’extermination des Juifs : les lois de Nuremberg, la Nuit de Cristal… Ils nous ont également montré qu’il fallait distinguer le sort réservé aux Juifs d’Europe de l’Est de ceux de l’Ouest. Or, mon cours ne se basait que sur des témoignages de Juifs polonais. Il aurait donc été plus judicieux de leur proposer un document évoquant, par exemple, le parcours d’un Juif français. De plus, le travail proposé ne reposait quasiment que sur des témoignages ; or ceux-ci ne font pas l’histoire et il est important que les élèves le comprennent. L’exploitation d’autres sources (travaux d’historiens, photos, documents émanant de l’administration allemande, etc.) est donc nécessaire. La mallette pédagogique offerte par le Mémorial m’a permis de disposer de documents auxquels j’aurais eu difficilement accès et de varier ainsi les supports. Enfin, ce stage m’a donné l’opportunité de renforcer mes connaissances et de repenser la Shoah, car j’ai peu étudié cette question, que ce soit à l’université ou dans mon parcours d’enseignante. Or, un tel enseignement requiert un important niveau de formation et de connaissances.

16Forte de cette expérience, j’ai retravaillé mes cours pour tenter de mettre en pratique ce que j’avais appris. L’objectif de cette nouvelle leçon était d’aboutir à la réalisation d’une frise chronologique allant de 1933 à 1945, pour inscrire la Shoah dans le temps long. Comme lors du cours précédent, je n’ai pas souhaité utiliser d’images choquantes et j’ai tenté de varier les documents.

17J’ai commencé mon cours en revenant sur Hitler et les Juifs : Mein Kampf, les lois antisémites, la Nuit de Cristal… Je voulais ainsi montrer aux élèves que la Shoah n’est pas arrivée par hasard dans les années 1940, mais qu’elle était l’aboutissement d’un long processus.

18Le travail qui a suivi reposait sur quatre documents offrant les possibilités d’avoir une vision chronologique et de différencier le traitement des Juifs de l’Europe de l’Est de ceux de l’Europe de l’Ouest. Les élèves étudiaient tout d’abord une photo du ghetto de Varsovie et le témoignage d’un soldat de l’Ordnungspolizei traitant des massacres à l’Est. Ces documents permettaient de montrer le sort réservé aux Juifs polonais. Puis les questions portaient sur un rapport d’Hans Frank de décembre 1941 évoquant la volonté d’extermination totale des Juifs. Ce texte me paraît particulièrement important car, comme s’accorde à le penser une grande partie des historiens, il permet de montrer que le génocide n’avait pas été prévu ni pensé auparavant et que cet événement s’inscrit dans la guerre. Les élèves comprennent alors que la période 1941/1942 constitue un tournant, dans la mesure où le génocide est officiellement organisé. Enfin, nous avons travaillé sur le témoignage filmé d’une ancienne déportée de France, Ida Grinspan. Avant de visionner cet extrait, j’ai souhaité prendre le temps de contextualiser ce témoignage afin que les élèves perçoivent qu’il est une source comme les autres et qu’il ne faut pas le sacraliser. Il a permis de faire comprendre le sort réservé aux Juifs d’Europe de l’Ouest et d’évoquer les camps.

19Pour finir la leçon, nous avons complété la frise qui visait à souligner les étapes et les principaux faits qui conduisent au génocide et à sa réalisation à l’Est comme à l’Ouest. Afin d’insister sur la dimension civique de cette leçon, je me suis efforcée de conclure en élargissant sur les autres génocides du xxe siècle afin de leur montrer que la Shoah n’est pas unique et que de tels faits peuvent se reproduire. Je souhaitais ainsi mettre en évidence que toute haine peut conduire à l’horreur et qu’il est de notre responsabilité d’agir pour l’éviter.

20Pour ancrer ce qui venait d’être étudié, j’ai demandé aux élèves de rédiger une synthèse s’appuyant sur la frise réalisée en classe. Il est alors apparu qu’une grande partie d’entre eux a réussi à adopter une démarche historique en évitant le « pathos » et est parvenu à replacer l’événement dans son contexte en respectant la chronologie. Mais beaucoup ont eu des difficultés à distinguer le sort des Juifs de l’Est de ceux de l’Ouest, traitant plutôt le sujet comme un tout. Ceci est probablement dû au fait que la frise insistait davantage sur la dimension temporelle que géographique. Ce travail comporte donc encore des imperfections et seule l’expérience me permettra d’améliorer mon enseignement. Cependant, j’ai tout fait pour avoir une démarche historique et pour que les élèves comprennent au mieux la Shoah sans tomber dans le piège de l’émotionnel.

21La formation proposée par le Mémorial n’a cependant pas répondu à un point qui me pose problème : l’intégration du génocide des Tsiganes. On peut aisément comprendre pourquoi, mais selon les instructions officielles, il doit être traité avec le génocide juif. C’est particulièrement difficile dans la mesure où les processus et les raisons invoquées par les nazis ne sont pas les mêmes. De plus, nous disposons de peu de travaux et de documents. Je me suis donc contentée de l’évoquer oralement, mais ceci est loin de me satisfaire.

22Comment ont réagi mes élèves ? J’ai préparé ce cours non sans une certaine appréhension, car j’ai parfois en face de moi des élèves provocateurs dont certains sont issus de l’immigration maghrébine. Or, comme le montre l’enquête menée par l’Institut national de recherche pédagogique (INRP) en 2007 [4], de nombreux enseignants craignent les réactions de certains élèves issus de l’immigration qui peuvent parfois contester ou critiquer l’enseignement de la Shoah. Comme tout enseignant, je me suis demandée comment je pouvais faire face à cela. Faut-il punir ? Ne pas réagir ? Répondre ? Il s’est avéré que mes a priori n’étaient pas toujours fondés : la plupart du temps, cette leçon s’est très bien passée. J’ai constaté que, quels que soient leur niveau et leur milieu d’origine, la plupart des élèves portent une attention particulière à cette leçon.

23J’ai cependant dû faire face à quelques situations déstabilisantes. Ainsi, alors que je commençais la leçon sur la Shoah avec une classe assez difficile composée de nombreux enfants musulmans, quelques élèves se sont mis à dire à mi-voix qu’ils « s’en foutaient puisque c’était des Juifs ». Sur le coup, j’ai choisi de ne pas réagir et de continuer mon cours. Au terme des deux heures, un élève particulièrement provocateur lève la main et me dit : « C’est bien fait pour eux, parce que c’était des Juifs ». C’est alors qu’avant même de pouvoir répondre, deux filles d’origine maghrébine l’interpellent et lui rétorquent « qu’il ne pouvait pas dire ça, car ce qu’ils avaient vécu était horrible et que leur appartenance religieuse n’y changeait rien ». Ce fut un moment très fort : j’étais fière de ces deux élèves et contente d’avoir pu contribuer à ce qu’elles voient les choses autrement. J’ai alors mesuré l’importance de cette leçon et sa dimension presque plus civique qu’historique.

24Dans une autre classe, un élève a comparé la Shoah à l’attitude d’Israël envers les Palestiniens. J’ai décidé d’expliquer brièvement le conflit et ce qu’il s’y passait afin de lui montrer que les deux événements n’avaient aucun rapport. Au terme de mon explication, l’élève a dit : « Ah oui, c’est pas bien ce qu’ils font là-bas, mais c’est pas la même chose. » Il a probablement gardé ses a priori sur ce conflit, mais il ne dira plus que c’est un génocide.

25La situation qui m’a le plus déstabilisée s’est produite lorsque trois élèves issus de catégories favorisées se sont « amusés » à imaginer d’autres systèmes de mise à mort que les chambres à gaz pour tuer plus de personnes. Je ne m’étais absolument pas préparée à ce genre de situation et me suis sentie totalement démunie. Trouvant cette attitude choquante et déplacée, je me suis énervée, bien qu’il y ait eu probablement mieux à faire. Cette expérience m’a montré que les problèmes n’étaient pas forcément toujours là où on les attendait et qu’enseigner la Shoah à des élèves issus des cités n’était pas forcément plus compliqué ; les difficultés rencontrées ne sont simplement pas les mêmes.

26Malgré ces quelques situations problématiques, la grande majorité des élèves est particulièrement attentive et intéressée. Dans mon établissement, le plus gros risque est alors, à mon sens, de passer plus de temps sur cette leçon parce que les élèves posent de nombreuses questions. Ce qui est loin d’être grave.

27L’intérêt particulier porté par les élèves m’a encouragée à monter des projets, moyen d’approfondir et de participer au travail de mémoire. Ils ne se substituent pas au cours – ni donc au travail historique – mais le complètent. J’ai tout d’abord réalisé un projet en partenariat avec le Crif de Marseille sur les procès de Nuremberg. Il ne portait pas exclusivement sur la Shoah, dans la mesure où aucun des accusés de ce procès n’a été jugé pour génocide, mais il amenait à travailler sur cette notion et sur celle de crime contre l’humanité. C’était également l’occasion non seulement d’évoquer les jugements, les condamnations des criminels nazis (dont Eichmann) et la naissance des tribunaux internationaux, mais aussi de faire des liens avec l’actualité. Les élèves, ravis de participer à ce projet, ont été marqués par la journée passée au tribunal de commerce de Marseille lors de laquelle ils ont présenté leur travail (une biographie de Göring). Ils ont particulièrement gardé en mémoire la lecture faite par une ancienne déportée du témoignage sur Auschwitz prononcé par Marie-Claude Vaillant-Couturier au procès de Nuremberg.

28Par la suite, j’ai monté un projet sur le camp des Milles. Il me semblait important que les élèves prennent conscience qu’à moins de 30 kilomètres de chez eux a existé un camp d’internement d’où plus de 2 000 Juifs ont été déportés vers Auschwitz-Birkenau. Ce travail a été un moyen de les sensibiliser à leur patrimoine local et de leur faire concrètement comprendre ce qu’a été la collaboration du régime de Vichy. En effet, la proximité des Milles les renvoie à la réalité et vaut plus que les paroles du professeur. Après une visite du camp (qui est encore en travaux), les élèves ont réalisé, par groupes, des panneaux d’exposition qui seront affichés au CDI puis à la bibliothèque municipale. Ce travail vise certes à sensibiliser mes élèves, mais aussi à leur montrer qu’ils peuvent être des « passeurs » de mémoire. En effet, la réalisation d’une exposition est un moyen de faire connaître l’existence de ce camp et l’ouverture prochaine d’un mémorial auprès de leurs camarades et des habitants de leur commune. J’ai donc pris le parti de faire participer les élèves à la constitution de la mémoire collective.

29Enseigner la Shoah est délicat tant les enjeux civiques, politiques et pédagogiques sont prégnants. Malgré les difficultés que j’ai pu rencontrer, c’est une leçon que j’ai plaisir à préparer et surtout à enseigner. Les élèves sont, la plupart du temps, intéressés voire passionnés par le sujet et ils déplorent souvent de ne pouvoir lui consacrer plus de temps. Un exemple pour illustrer mon propos : j’ai annoncé à mes élèves qu’un ancien déporté viendrait les rencontrer dans quelques semaines. Ils se sont montrés enthousiastes et très impatients, au point de m’en parler toutes les semaines.

30Je suis jeune enseignante et j’espère que j’éprouverai toujours autant de plaisir à monter des projets, à travailler à partir de nouvelles sources (documentaire, film, littérature…) et à faire passer la dimension civique de la Shoah aux jeunes. Savoir que l’on contribue par cet enseignement à favoriser la tolérance n’a pas de prix.


Date de mise en ligne : 28/02/2017.

https://doi.org/10.3917/rhsho.193.0347

Notes

  • [1]
    Professeur d’histoire-géographie en collège, académie d’Aix-Marseille.
  • [2]
    Bulletin officiel.
  • [3]
    Catherine Coquio et Aurélia Kalisky, L’Enfant et le Génocide, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2007.
  • [4]
    Laurence Corbel, Jean-Pierre Costet, Benoît Falaize, Alexandre Méricskay, Krystel Mut, Entre mémoire et savoir, l’enseignement de la Shoah et des guerres de décolonisation, Rapport de recherche de l’équipe de l’académie de Versailles, 2000-2003, INRP, Paris, 2003.
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