Couverture de RHSHO_193

Article de revue

Voilà ce qui vous serait arrivé...

Les témoins dans l’enseignement de la Shoah

Pages 307 à 315

Notes

  • [1]
    Professeur agrégé d’histoire, académie de Créteil.
  • [2]
    Cet article s’appuie sur la bibliographie suivante : Charles Baron, « Ouverture officielle », actes du colloque « De Nuremberg à La Haye. Juger le crime contre l’humanité » organisé les 20 et 21 mai 2006, Paris, Grand Orient de France, 2006 ; Isabelle Choko, Mes deux vies, Paris, éditions Caractères 2004 ; Jules Fainzang, Mémoire de déportation, Mémoire du xxe siècle, Paris, L’Harmattan, 2002 ; Ida Grinspan et Bertrand Poirot-Delpech, J’ai pas pleuré, Paris, Laffont, 2002.

1« Ma conscience envers l’extermination des Juifs s’est renforcée grâce au témoignage bien réel de Charles Baron. Je ne peux sûrement pas ressentir ce qu’il a vécu, mais je pense maintenant pouvoir le comprendre un minimum. » « Entendre quelqu’un parler de sa propre expérience, c’est tellement plus percutant qu’un livre ou même un film. » « [L’histoire de Charles Baron] ne provoque pas les mêmes effets quand c’est un ancien déporté qui la raconte que lorsque c’est le professeur. »

2Deux classes d’élèves de troisième ont écouté Charles Baron pendant deux heures, avec une qualité d’attention qu’ils manifestent rarement dans d’autres circonstances. Il s’est présenté brièvement. Puis il a raconté son arrestation en 1942 à l’âge de 16 ans par la police française à Saint-Rémy-lès-Chevreuse après une visite à ses grands-parents, alors qu’il rentrait sur Paris, et son transfert à Drancy, puis l’atroce voyage dans des wagons à bestiaux, et enfin ses trois terrifiantes années dans huit camps différents, dont celui de Birkenau. Charles Baron ne s’accorde qu’un temps de parole limité. Il préfère répondre aux questions des élèves. Ces derniers les ont préparées avec leurs professeurs d’histoire et de français : elles sont l’aboutissement d’un assemblage d’informations collectées durant le cours d’histoire, mais aussi au cours des lectures faites en français et de la projection de films. Le témoignage d’un déporté n’intervient jamais sans cette préparation minimale.

3Au niveau des classes de troisième, puisque je n’ai pas d’autre expérience, les questions portent le plus souvent sur des points très concrets de la vie au camp : la nourriture, le sommeil, les relations entre détenus, les évasions (dans une sorte d’espoir qu’il était possible de s’en sortir), l’envie ou non du suicide, le travail. Elles tournent aussi autour de la question de la survie de la personne. D’autres portent sur le retour, en particulier la vie après, sur le plan matériel et surtout psychologique, avec les thèmes du pardon, de la foi et de la politique. De la part de ces élèves, très peu de questions (pour ne pas dire aucune) portent sur la déshumanisation ; pourtant, la plupart d’entre eux ont lu Primo Levi. Ils ne perçoivent réellement cette dimension qu’au travers du témoignage de celui qui raconte.

4Il faut souvent aux élèves un temps d’adaptation avant d’oser prendre la parole, malgré les feuilles sur lesquelles ils ont inscrit ce qu’ils souhaitent demander. On les sent intimidés, dans la crainte d’être maladroits. Parfois aussi, les questions préparées sont totalement oubliées et ils restent suspendus au récit de celui qui parle. Mais à d’autres moments des questions surgies de nulle part (est-ce de leur inconscient ?) surprennent, parfois désagréablement : « Est-ce que vous mangiez du porc ? Est-ce que vous avez rencontré Hitler ? Comment faisiez-vous pour avoir des rapports sexuels, ou faire l’amour ? » Heureusement, Charles Baron précise toujours que pour lui, il n’y a pas de questions taboues !

5À la fin de son intervention, selon les classes, les élèves s’en vont après un salut de remerciements, impressionnés, visiblement incapables de parler. Il arrive, certaines années, qu’ils entourent la table ou le bureau, demandent des explications complémentaires, regardent des documents apportés et présentés par Charles Baron, et il faut alors des impératifs horaires stricts pour les arracher à ces échanges.

6En tant que professeur d’histoire, depuis que je me suis engagée dans le travail sur la mémoire de la Shoah, j’ai eu recours au témoignage des survivants [2]. Les remarques des élèves citées en introduction de cet article me semblent à elles seules expliquer le rôle et l’utilité de ces interventions directes des rescapés. Intuitivement, il m’a semblé que la parole et le contact avec les déportés pouvaient aider à la prise de conscience.

7Dans un premier temps, plusieurs rescapés intervenaient en même temps devant un public où se mêlaient élèves, parents et enseignants. Ils témoignaient chacun de leur vécu sur des points précis. Certains d’entre eux, Henri Grinholz et Jacques Grimberg, ne sont plus là. Ce dernier avait réussi, à la suite de son témoignage, à entraîner des élèves dans la commémoration du 50e anniversaire de la rafle du Vél’ d’Hiv. Leurs témoignages ont été consignés par écrit et un dossier remis à chaque élève.

8Puis Charles Baron a témoigné seul – à l’exception d’une fois, lorsqu’il était accompagné d’Yvette Lévy, venue parler de la spécificité de la condition des femmes déportées. Depuis douze ans déjà, il se rend chaque année au collège Léon Jouhaux de Livry-Gargan pour parler devant au moins cinquante élèves. Mais il témoigne depuis plus de 25 ans devant des élèves, dans tous les types d’établissements, dans toute la France et à l’étranger. J’ai rencontré d’autres rescapés qui témoignent dans les classes, certains depuis longtemps, d’autres depuis peu. Yvette Lévy et Ida Grinspan, sont, de longue date, des militantes de la mémoire. Isabelle Choko et Jules Fainzang ont apporté leur témoignage plus récemment.

9Chacun s’engage dans cette démarche avec sa personnalité propre, son origine sociale et nationale, son histoire spécifique et donc avec ses motivations propres. Ils témoignent directement dans les classes, mais aussi pour la plupart d’entre eux au cours de voyages scolaires qu’ils accompagnent. Avec le temps, ils ont souvent établi non une méthodologie, mais une analyse de ce qu’ils pensent devoir être leur témoignage et sa nature, et surtout le rôle qu’il devrait remplir. La plupart estiment de leur devoir de témoigner, pour ceux qui ne sont pas revenus, et expliquent que c’est la perspective de raconter un jour ce qu’ils vivaient au camp qui les a aidés à survivre. Même s’ils comprennent ceux qui ne le font pas : « Je leur en veux un peu », dit l’un d’eux.

10« Je ne veux pas raconter ce qu’il y a dans les livres, dit Charles Baron, mais je parle en disant à ces jeunes : “Voilà ce qui vous serait arrivé si vous aviez eu mon âge et aviez été un jeune Juif en France pendant l’Occupation.” Je ne parle que de mon expérience, de ce que j’ai vécu moi-même. J’estime ne pas avoir à raconter ce que mes copains ont vécu. Je ne veux pas extrapoler, mais être honnête. Je ne veux dire que ma vérité, de ce que j’ai vécu à un endroit précis, à un moment précis. Le but n’est pas de raconter nos vies. »

11« Nous avons tous des expériences différentes, même si l’on retrouve des points communs entre elles. Moi, j’ai été déporté en 1942, j’étais un garçon, j’avais 16 ans et j’ai connu trois ans de déportation », dit encore Charles Baron. Pour d’autres, la déportation a commencé en 1944. Yvette Lévy avait 18 ans lorsqu’elle a été arrêtée dans un foyer du 18e arrondissement de Paris. Ida Grinspan avait 14 ans en janvier 1944, lorsque la police française l’a retrouvée dans le village du Poitou où ses parents, des Juifs polonais, l’avaient cachée, et qu’elle est arrivée à Auschwitz avec sa mère. Quant à Isabelle Choko, elle a connu quatre années d’enfermement au ghetto de Lodz, en Pologne, pour être ensuite déportée à Auschwitz puis au camp de Bergen-Belsen, où sa mère, déportée avec elle, est morte dans ses bras.

12Au travers de leurs récits, la spécificité de la condition et du vécu des femmes apparaît nettement : les humiliations de la tonte et de la nudité ressenties beaucoup plus violemment que par un homme, des expériences de solidarité entre détenues que, par exemple, n’a pas connues Charles Baron. « De plus, ajoute-t-il, quand je suis arrivé à Auschwitz, j’avais déjà deux ans de camp derrière moi. Je n’ai pas découvert de la même façon les SS. Et puis, je suis arrivé seul, j’ai été déboussolé. Sur la durée, j’ai plus souffert que d’autres, mais je me suis adapté par paliers, je n’ai pas connu le choc de l’arrivée de nuit à Auschwitz, les hurlements, les chiens, les brutalités. » Tout cela fait des différences entre les déportés, et aussi évidemment, dans les témoignages. Chacun de ceux-ci est donc unique, comme le souligne Ida Grinspan.

13Pour ceux qui témoignent depuis peu, l’exercice n’a pas été évident. Jules Fainzang raconte être allé dans des séminaires pour apprendre à témoigner, à dire l’indicible, à savoir quels mots employer « parce que je ne suis pas enseignant ». Il est né à Varsovie, mais sa famille a émigré à Anvers, ville qu’elle a dû quitter en mai 1940, lors de l’invasion allemande. Il a été arrêté dans le sud de la France par la gendarmerie française en 1942. Pour Isabelle Choko, témoigner n’a pas non plus été facile. Elle a, dit-elle, longtemps rejeté tout ce qui concernait la guerre et s’est tue. Mais une réflexion sur elle-même l’a amenée à s’engager à travers sa participation à l’amicale de Bergen-Belsen, le camp où était morte sa mère.

14La part de l’émotion dans ces témoignages ? « Je ne veux pas raconter de choses larmoyantes. Je ne peux plus pleurer, alors ce n’est pas la peine de faire sortir des larmes des autres », dit Charles Baron. Et Jules Fainzang de raconter qu’au cours d’un voyage à Auschwitz, il a craqué devant la vitrine remplie de cheveux de femmes. Observant le malaise et la gêne des élèves face à ses larmes et ses paroles, il s’est promis de ne plus y céder. Pour Ida Grinspan, les larmes du témoin fragilisent le témoignage et les élèves ont besoin que le récit conserve une certaine distance. L’attitude du témoin marque en effet profondément les élèves. Ceux qui ont entendu Charles Baron sont frappés par la distance qu’il semble avoir prise par rapport à ce qu’il a vécu, ce qui ne les empêche pas de mesurer l’atrocité de sa vie de déporté. « J’ai été très frappé par le détachement qu’il a manifesté et l’absence de rancune et de haine qu’il y avait dans son témoignage. J’ai apprécié qu’il n’ait pas de haine à l’égard des jeunes Allemands d’aujourd’hui, qui, eux, n’y sont pour rien », dit Anthony Azouerat.

15La peur de perturber les élèves est très présente dans l’esprit des témoins. Certains estiment ne pas pouvoir parler à des élèves de sixième, encore moins de CM2. Ils pensent que pour ces derniers, il serait souhaitable (selon la proposition de Sam Braun) de n’aborder le sujet qu’à travers l’action des Justes, de montrer comment un être peut en sauver un autre et, ainsi, fuir une idéologie mortifère. « Les enfants c’est la vie. Je ne veux pas leur donner la mort, ce serait passer à côté des vrais problèmes », dit Sam Braun, en allusion aux propositions du président de la République (février 2008).

16Les témoins se heurtent-ils à des difficultés lorsqu’ils interviennent ? Ceux que j’ai rencontrés n’en ont, dans l’ensemble, jamais connu de graves, même si l’un d’eux juge « le public des élèves de province très dissipé et très vindicatif ». D’autres ne supportent pas les « questions idiotes ». Suivant les périodes, le témoignage a été plus ou moins difficile. C’est ainsi, raconte Yvette Lévy, lors de la deuxième Intifada, il lui avait été difficile de se faire entendre. D’autres, sans verser dans l’angélisme, trouvent qu’ils n’ont jamais rencontré de problèmes graves, qu’ils n’ont pas eu à supporter de questions agressives. Mais Ida Grinspan, par exemple, met une note à toutes les interventions qu’elle fait à travers la France, évaluant ainsi la qualité du déroulement de la rencontre avec les élèves. Une fois, raconte-t-elle, au lycée Edgar Quinet, une lycéenne lui a demandé pourquoi les Juifs qui avaient tant souffert se comportaient en Palestine comme ils le faisaient. Et elle a quitté la salle sans attendre la réponse. Mais elle a été la seule, ajoute-t-elle.

17L’incident le plus sérieux s’est produit lors d’un voyage à Auschwitz où elle accompagnait une classe du lycée Jean Jaurès de Montreuil. Un élève a dit : « Ils ont bien fait de les brûler. » « Je n’ai pas entendu ces propos, dit Ida Grinspan, mais il aurait fallu travailler avec lui, lui expliquer, lui parler, et l’exclure du lycée ne résolvait pas le problème. Peut-être la préparation n’avait-elle pas été suffisante ? Je ne vois pas d’autre explication », dit-elle.

18Le but que recherchent les témoins en se rendant devant les élèves correspond à ce que peuvent attendre les enseignants de ces récits. Leur souci est notamment, comme le dit Ida Grinspan, « de montrer la valeur d’un témoignage et que rien ne peut le remplacer ». Les rescapés estiment qu’il permet d’approcher une réalité, surtout pour les élèves qui n’effectueront jamais le voyage sur les lieux. « Certains élèves viennent nous toucher après notre intervention comme pour vérifier une réalité. Nous sommes quelque chose de tangible », dit Jules Fainzang. « Et puis nous voulons surtout essayer de faire comprendre, de transmettre. J’ai besoin d’être cru, et quand un gosse m’écrit “je vous ai écouté et je vous crois”, j’ai l’impression d’avoir atteint mon but. Mais faire comprendre est extrêmement difficile, parce que peut-être tout cela est-il au-delà de la compréhension », dit Charles Baron. Certains élèves, devant la vitrine des cheveux de femmes au musée d’Auschwitz, n’ont-ils pas demandé au témoin qui les accompagnait s’il s’agissait de vrais cheveux ?

19Accompagner les voyages est une autre forme de témoignage qui paraît à Jules Fainzang presque plus importante que de témoigner devant une classe. Il lui semble que le choc du voyage est nécessaire pour appréhender la réalité : « Si ça n’était pas dur, ça ne vaudrait rien. » Avis largement partagé par Serge Klarsfeld : « C’est une sorte de pèlerinage de morale politique. Il se fait à l’âge où on fait les choix décisifs de la vie et le choc aide à choisir du bon côté. »

20Charles Baron insiste sur le rôle qui lui semble être celui du témoin, différent pour lui de celui du guide : « Notre rôle est différent de celui des guides, parce que nous avons vécu des chose qu’ils ne connaissent pas. [Il est arrivé que] je parle, par exemple, du rôle des médecins et de ce qu’ils ont fait dans les camps ; un élève n’arrivait pas à croire ce que je disais de ces médecins et il est venu me dire : “Vous êtes sûr que c’était des médecins ?” Je veux qu’il sache et nous sommes là pour remettre les pendules à l’heure. Et je peux aussi raconter que c’est grâce à un médecin que j’ai été sauvé de la mort parce qu’en voyant ma fiche, au cours d’une sélection, l’un d’eux m’a demandé si je voulais revoir Paris et il a changé ma fiche de boîte. »

21Serge Klarsfeld qui organise d’importants voyages à Auschwitz, à partir de la région de Lyon, estime qu’ils font, avec les témoignages, partie intégrante de la pédagogie liée à la Shoah, pour mieux faire comprendre la tragédie. Des témoins accompagnent toujours les voyages qu’il organise. « Le témoin raconte une histoire qui a l’avantage de s’imposer, même si elle peut être critiquée. Elle est irremplaçable, alors que les guides émettaient souvent des idées historiques fausses. » Le discours des guides polonais a en effet longtemps été très empreint de nationalisme, mais leur formation s’est largement améliorée et ils intègrent les remarques ou souvenirs que leurs transmettent les anciens déportés.

22Il est cependant certain que les témoignages sont relativement récents, comme le souligne encore Serge Klarsfeld, puisque qu’à la Libération, pas un seul Juif n’avait été interviewé, et dans les années 1950 non plus. Ce n’est que dans les années 1970 que l’intérêt a commencé à se manifester. Et les anciens déportés se sont peu à peu mis à accompagner des voyages dans les années 1980. « On ne nous a pas entendus à notre retour, on ne nous a pas écoutés, dit Charles Baron. Il s’agissait presque d’une négation de notre souffrance. Mon oncle ne m’a-t-il pas dit, en me revoyant après trois années de camp : “Mon pauvre Charles, si tu savais comme on a eu faim.” C’était insupportable à entendre, alors que nous étions presque seuls au monde et que notre famille avait été assassinée là-bas. Nous n’étions pas reconnus alors nous nous sommes tus. » Les élèves demandent souvent aux témoins comment ils se sont réadaptés à la vie normale et comment on se remet d’un traumatisme tel que celui de la déportation et du camp, si on s’en remet. Et la réponse de Charles Baron – « Je n’ai jamais quitté le camp » – les laisse sous le choc. Il n’empêche que leur présence devant eux et la vie qu’ils ont malgré tout réussi à construire à leur retour, est ressentie comme une formidable leçon.

23Tous les témoins sont frappés de l’impact de leur témoignage, des lettres qu’ils reçoivent après leur récit, des échanges qui se poursuivent comme ces messages que Jules Fainzang et une jeune fille musulmane continuent à s’envoyer lors de leurs fêtes religieuses respectives. Certains publics – plus particulièrement motivés, comme les écoles catholiques – sont particulièrement réceptifs, ainsi que le racontent Yvette Lévy et Isabelle Choko. Cette dernière, qui s’affirme non croyante et laïque, sourit quand elle explique vouloir dépasser la haine qui détruit et être plutôt portée sur le pardon, « ce qui est très chrétien ».

24Les retombées d’un témoignage portent loin. Les déportés sont souvent amenés à parler des autres génocides et peuvent parfois dire qu’ils sont leur désespoir, alors que les jeunes (comme eux d’ailleurs) recherchent des raisons d’espérer. Bien sûr, la politique, avec les rapports entre Israël et la Palestine, est également très présente. Jules Fainzang raconte que dans un collège de Seine-Saint-Denis, un élève l’a laissé partir après son intervention, mais l’a rattrapé pour lui demander ce qu’il pensait de la situation en Palestine. Quand il a affirmé qu’il y aurait un jour là-bas deux États, le jeune homme lui a serré la main. Mes élèves, quant à eux, ont été particulièrement sensibles au message de Charles Baron : « On ne choisit pas la couleur de sa peau, ni sa religion. Nous appartenons tous à la même espèce humaine. »

25Certains enseignants critiquent l’utilisation des témoignages dont ils ne voient pas l’intérêt et estiment qu’ils n’apportent rien de plus que ce qu’eux-mêmes transmettent. Des penseurs, des philosophes manifestent ouvertement, quand ils se trouvent en présence d’un déporté, que la pensée est supérieure au témoignage pour lequel ils ne semblent pas manifester d’intérêt.

26Pourtant le témoin me semble permettre aux auditeurs, ici aux élèves d’entrer dans l’histoire, de se l’approprier en l’intégrant au présent et à l’avenir. En effet, de nombreux élèves se vivent déjà comme une forme de témoins auprès de ceux qui ne savent pas ou n’ont pas essayé de savoir, y compris leurs parents et leurs copains. Ils témoignent déjà, avec leurs propres mots, comme le montre le long texte intitulé « Ida », composé en l’honneur d’Ida Grinspan par Jean Basse, sur une musique rap de P. Calabrese. En voici quelques extraits :

27

C’est l’histoire d’une enfant d’une môme d’une petite Juive que l’horreur la peur les maux de la vie poursuivent. Mémoire de cette triste page de l’histoire faut pleurer pour y croire moi j’dédie ce récit à toutes les victimes de l’espoir celles qui ont pris cette douche un soir (puis disparues dans l’four crématoire) mais aussi pour celles qu’ont vécu la victoire j’rappe cette histoire elle a existé il ne faudra jamais oublier cette sombre vérité.
Elle n’a jamais pleuré pas même en juillet 42 lorsque ses jolis ptis yeux bleus ont lu l’cœur chaud sur cette feuille d’papier glacé que maman est partie pour l’cachot humiliée arrêtée embarquée pour Drancy station de triage de la honte de la haine c’est alors que noyée dans toute la peine du monde qu’elle prend conscience du danger mais elle n’est qu’un enfant d’douze ans qui espérera toujours retrouver sa maman.

Notes

  • [1]
    Professeur agrégé d’histoire, académie de Créteil.
  • [2]
    Cet article s’appuie sur la bibliographie suivante : Charles Baron, « Ouverture officielle », actes du colloque « De Nuremberg à La Haye. Juger le crime contre l’humanité » organisé les 20 et 21 mai 2006, Paris, Grand Orient de France, 2006 ; Isabelle Choko, Mes deux vies, Paris, éditions Caractères 2004 ; Jules Fainzang, Mémoire de déportation, Mémoire du xxe siècle, Paris, L’Harmattan, 2002 ; Ida Grinspan et Bertrand Poirot-Delpech, J’ai pas pleuré, Paris, Laffont, 2002.
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