Notes
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[1]
Université Ben-Gourion et misée d’Histoire des combattants du ghetto (Lohamei haGhettaot).
-
[2]
Ce terme désigne à la fois la population juive et l’ensemble des institutions politiques, économiques et culturelles mises en place avant l’indépendance de l’État d’Israël. (N.d.T.)
-
[3]
Briefing interne (« Ne pas publier ») aux membres du ministère des Affaires étrangères, peu avant l’ouverture du procès, Archives de l’État d’Israël (AEI), Extérieur, 13352/9.
-
[4]
Haïm Gouri, Face à la cage de verre, Tel-Aviv, 1961, p. 11, en hébreu ; William Hull, The Struggle for a Soul, Garden City (New York), Doubleday, 1963 ; Harry Mulisch, Criminal Case 40/61, The Trial of Adolf Eichmann : an Eyewitness Account, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2005 (ce dernier livre parut en néerlandais en 1961).
-
[5]
Peter Papadatos, The Eichmann Trial, Londres, Stevens & Sons, 1964.
-
[6]
Gershom Sholem, Devarim bego : Pirkei Morashah ou-Tehia [« Explications et implications. Écrits sur l’héritage et la renaissance du judaïsme »], Tel-Aviv, Am Oved, 1975, ci-après Devarim bego. La lettre à Hannah Arendt qui figure dans ce livre fut écrite par Scholem en 1963. Jacob Robinson, Et ce qui n’est pas droit doit être redressé : les Juifs d’Europe face à la Shoah, à la lumière de la vérité historique et du procès Eichmann à Jérusalem et selon les normes internationales, Jérusalem, 1966 en hébreu (paru en anglais sous le titre And the Crook Shall Be Made Straight : The Eichmann Trial, the Jewish Catastrophe and Hannah Arendt’s Narrative, Philadelphie, Jewish Publication Society of America, 1965), ci-après Et ce qui n’est pas droit… Robinson était un historien juif américain qui contribua considérablement aux poursuites intentées par les Israéliens. Robert Kempner, Profession : exterminateur, la voie choisie par Eichmann, Jérusalem, 1963, en hébreu, ci-après, Profession : exterminateur.
-
[7]
Hannah Arendt, Eichmann in Jerusalem, A report on the Banality of Evil, New York, Viking Press, 1963 (traduit en français sous le titre Eichmann à Jérusalem, Rapport sur la banalité du mal, Gallimard, 1966, réédité dans la collection Quarto, 2002).
-
[8]
Moshé Perlman, Comment Eichmann fut capturé, Tel-Aviv, 1961, en hébreu (paru en anglais sous le titre The Capture and Trial of Adolf Eichmann, New York, Simon and Schuster, 1963).
-
[9]
Profession : exterminateur, op. cit., p. III.
-
[10]
Haïm Gouri, Face à la cage de verre, op. cit.
-
[11]
Voir ci-dessus, note 6.
-
[12]
Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du mal, Tel-Aviv, 2000, en hébreu.
-
[13]
Uri Avneri, La Croix gammée. Eichmann : l’homme et son époque, Tel-Aviv, 1965, en hébreu, ci-après La Croix gammée.
-
[14]
Sur le modèle anglo-saxon, en Israël, la majeure partie des livres importants sont édités avec une couverture rigide. (N.d.T.)
-
[15]
Pour de plus amples développements, voir Hanna Yablonka, « La loi et le droit contre les nazis et leurs collaborateurs – décrets d’application et conception du monde », Cathedra, n° 82, Jérusalem, 1997, pp. 135-153.
-
[16]
Pour de plus amples développements, voir Yehiam Weitz, L’Homme qui fut assassiné deux fois : la vie, le jugement et la mort d’Israël Kastner, Jérusalem, 1995, en hébreu.
-
[17]
Nathan Alterman, « Portrait », I, Davar, 9 juin 1961, p. 2.
-
[18]
Gideon Hausner, Le Procès de Jérusalem, Tel-Aviv, 1980, 2 volumes ; Isser Harel, La Maison de la rue Garibaldi, Tel-Aviv, 1975, en hébreu (paru en anglais sous le titre The House on Garibaldi Street, New York, Viking Press, 1975 ; paru en français sous le titre La Maison de la rue Garibaldi, Recherche et capture d’Adolf Eichmann, Paris, Laffont, 1976). Bien évidemment, ce livre ne pouvait paraître à l’époque du procès, compte tenu de la censure. Shimon Herman, Identité juive, regard psycho-social, Jérusalem, 1979, pp. 73-96, en hébreu. Il ne s’agit pas d’un ouvrage historiographique, mais l’analyse historico-sociale permet de le citer dans la bibliographie du présent article [ci-après Identité juive].
-
[19]
Voir par exemple Eliezer Don Yehiya, « Memory and Political Culture : Israeli Society and the Holocaust », Studies in Contemporary Jewry IX, 1993, pp. 139-161.
-
[20]
Yehiam Weitz, « Le procès Eichmann, un tournant », Dapim leHeker haShoah, n°11, 1993, pp. 175-188, ci-après « Le procès Eichmann ».
-
[21]
Identité juive, op. cit., p. 76.
-
[22]
Idit Zertal, La Nation et la Mort, histoire, mémoire, politique, Or Yehouda, 2002, en hébreu (paru en français sous le titre La Nation et la Mort : la Shoah dans le discours et la politique d’Israël, Paris, La Découverte, 2004). Ainsi que, dans une certaine mesure, Tom Segev, Le Septième Million, les Israéliens et la Shoah, Jérusalem, 1991, paru en français sous le titre,Le Septième Million, les Israéliens et le génocide, Paris, éditions Liana Levi, 1993). Ci-après Le Septième Million.
-
[23]
Yaacov Lozowick, Les Bureaucrates de Hitler, la police de sûreté nazie et la banalité du mal, Jérusalem, 2001, en hébreu (paru en anglais sous le titre Hitler’s Bureaucrats, The Nazi Security Police and the Banality of Evil, Londres et New York, Continuum International Publishing Group, 2005), ci-après Les Bureaucrates de Hitler. Elhanan Yakira, Post-sionisme, post-Shoah, trois chapitres sur le négationnisme, l’amnésie et la disqualification d’Israël, Tel-Aviv, 2006, en hébreu.
-
[24]
Motti Shalem, Dani Baltmann et al., BeShvil haZikaron (« Sur la voie de la mémoire »), BeEin Actuali, 40 ans après le procès Eichmann, 41, avril-mai 2001, en hébreu, ci-après, « Sur la voie de la mémoire ».
-
[25]
Gabriel Bach, « Considérations et réflexions, 30 ans après le procès Eichmann », pp. 4-15, Leora Bilsky, « Comme un phénix : Arendt à Jérusalem en l’an 2000 », pp. 16-23, Sari Reuveni, « “L’affaire hongroise” lors du procès Eichmann : quelques aspects », pp. 32-35 ; tous ces articles en hébreu se trouvent dans BeShvil haZikaron.
-
[26]
Daniel Gutwein, « L’individualisation de la Shoah, politique, mémoire et historiographie », Dapim leHeker haShoah, n° 15, 1998, pp. 7-52, ci-après « L’individualisation de la Shoah », à paraître en français.
-
[27]
Voir Eliezer Don Yehiya, « Memory and Political Culture », art. cit., ainsi que Yehiam Weitz, « Entre la catharsis et le combat au couteau – le “procès Eichmann” et “l’affaire Kastner” ; leur influence sur la société israélienne », in Daniel Gutwein et Menahem Mautner, Droit et histoire, Jérusalem, 1999, pp. 395-423.
-
[28]
Anita Shapira, Le Procès Eichmann, questions de perspective, Jérusalem, 2002. Il s’agit d’un article paru en brochure, se fondant sur la conférence donnée par Anita Shapira lors du colloque organisé à Jérusalem en 2001 par Yad Vashem et l’Université hébraïque, à l’occasion du 40e anniversaire du procès Eichmann, en hébreu. Ci-après, Questions de perspective. Ce texte est paru en anglais sous le titre « The Eichmann Trial : Changing Perspectives », in The Journal of Israeli History, vol. XXIII, n° 1, printemps 2004, pp. 19-39.
-
[29]
Tom Segev, Le Septième million, op. cit.
-
[30]
Hannah Yablonka, L’État d’Israël contre Adolf Eichmann, Tel-Aviv, 2001, ci-après L’État d’Israël contre Eichmann.
-
[31]
Leora Bilsky, « Judgment in the Shadow of the Holocaust », Theoretical Inquiries in Law, volume 1, n° 2, juillet 2000.
-
[32]
Penina Lahav, Israël en jugement, Shimon Agranat et le siècle sioniste, Tel-Aviv, 1999, en hébreu, pp. 203-227.
-
[33]
Voir Gabriel Bach, « Considérations et réflexions », art. cit., et Leora Bilsky, « Judgment in the Shadow of the Holocaust », art. cit.
-
[34]
David Bankier et Dan Michman, Holocaust Research in Context, The Emergence of Research Centers and Approaches, Jérusalem, à paraître.
-
[35]
Le livre parut d’abord sous forme d’une série d’articles publiés dans le prestigieux hebdomadaire américain The New Yorker. Publié en anglais en 1963, il a été réédité en 1964. Une trentaine d’années plus tard, il fit l’objet de deux autres éditions, en 1991 et en 1992. Il semble que ce phénomène soit lié au regain d’intérêt général, et non exclusivement israélien, pour les écrits d’Arendt, en particulier son analyse du procès Eichmann.
-
[36]
Questions de perspective, op. cit., p. 92.
-
[37]
Le Septième Million, op. cit., p. 338 (de l’édition en hébreu).
-
[38]
Ibid., p. 423 de l’édition en français.
-
[39]
P. 29 de l’édition en hébreu.
-
[40]
P. 28 de l’édition en hébreu.
-
[41]
Voir par exemple son attitude à l’égard du témoignage de Yehiel Dinur (KaZetnik), le témoin qui reflète le mieux le procès. Eichmann à Jérusalem, op. cit., pp. 233-234 de l’édition en hébreu.
-
[42]
P. 126 dans l’édition en hébreu.
-
[43]
Souligné dans l’original, pp. 262-263 de l’édition en hébreu.
-
[44]
P. 299 dans l’édition en hébreu.
-
[45]
La Nation et la Mort, op. cit. : « De la salle de Beit Haam aux murs du Temple » (pp. 135-178) et « Entre l’amour du monde et l’amour d’Israël » (pp. 179-223).
-
[46]
La Nation et la Mort, op. cit., p. 139.
-
[47]
Ibid., pp. 151-153.
-
[48]
Yaacov Lozowick, Les Bureaucrates de Hitler, op. cit.
-
[49]
Ibid., p. 11.
-
[50]
Ibid., p. 17.
-
[51]
Ibid., p. 14.
-
[52]
Ibid., p. 227.
-
[53]
Elhanan Yakira, Post-sionisme post-Shoah, op. cit.
-
[54]
Ibid., p. 173.
-
[55]
Ibid., p. 175.
-
[56]
Ibid., p. 176.
-
[57]
Ibid., p. 250.
-
[58]
Ibid., p. 240.
-
[59]
Voir Anita Shapira, Le Procès Eichmann, questions de perspective, op. cit.
-
[60]
Questions de perspective, op. cit., p. 9.
-
[61]
Terme désignant un Israélien né dans le pays.
-
[62]
Questions de perspective, op. cit., pp. 10-11.
-
[63]
Dans l’édition en français, sur les 688 pages du livre, 45 sont consacrées au procès Eichmann. (N.d.T.)
-
[64]
Le Septième Million, op. cit., p. 310 (p. 387 dans l’édition en français).
-
[65]
Ibid., op. cit., pp. 311-312.
-
[66]
Ibid., op. cit., pp. 319-325.
-
[67]
L’État d’Israël contre Adolf Eichmann, op. cit., pp. 59-67.
-
[68]
Cité par Davar, 21 juin 1960, p. 2.
-
[69]
Ben Gourion à Proskauer, 8 juillet 1960, Archives Ben Gourion (ci-après ABG), correspondance. Au cours de ces années, le Jewish American Committee s’opposait à l’idée que l’État d’Israël représentait les Juifs du monde.
-
[70]
La rencontre eut lieu en septembre 1960, peu avant le nouvel an juif (Rosh Hashanah) 5720. La réunion avec le comité de rédaction se tint le 13 septembre 1960, ci-après « Les réunions ».
-
[71]
Souligné par nous.
-
[72]
On trouve des échos de cet entretien intéressant dans le numéro de Rosh Hashanah de Maariv, daté du 21 septembre 1960. En manchette du journal, Ben Gourion était cité disant le contraire des propos tenus lors d’un entretien selon lesquels « l’opération Eichmann avait introduit une justice historique dans la vie de notre peuple, grâce à l’existence d’Israël ».
-
[73]
Journal de Ben Gourion, 18 avril 1961, ABG, journaux intimes.
-
[74]
Le nouvel An juif, en l’occurrence le 10 septembre 1961. (N.d.T.)
-
[75]
Rencontre entre Ben Gourion et Ben Porat, 2 septembre 1961, ibid. Rencontres ; id. dans la lettre à Enrico Prat, 13 septembre 1961, ibid. Correspondance ; Rencontre avec Rotter, l’un des dirigeants syndicalistes des États-Unis, Journal de Ben Gourion 14 mai 1961, ibid., journaux intimes.
-
[76]
Ces dernières années, on a émis l’hypothèse que le procès Eichmann avait été destiné à présenter au monde le bien-fondé des craintes d’Israël concernant les Arabes, et ce en prélude à la révélation des activités nucléaires. Je n’ai trouvé aucun justificatif dans les documents si ce n’est quelques vagues preuves indirectes, comme une question posée par Moshé Sneh : « La construction de la centrale nucléaire dans le Néguev s’effectue-t-elle sans la moindre aide de l’Allemagne de l’Ouest, directement ou par l’intermédiaire de la France ? » Moshé Sneh à Ben Gourion, 21 décembre 1960, ABG, Correspondance. Il y a peut-être là une explication partielle à l’insistance extérieure marquée accordée par Ben Gourion au procès durant la première époque. Il faut également rappeler, à cet égard, la conception déclarée de Ben Gourion concernant l’identité entre nazis et Arabes, leurs continuateurs, qui s’exprima par l’intervention de la ministre des Affaires étrangères dans l’élaboration de l’acte d’accusation.
-
[77]
Yehuda Bauer, Réactions à l’époque de la Shoah : Tentatives de survie, résistance, sauvetage, Tel-Aviv, 1983, en hébreu, p. 85 (paru en anglais sous le titre Jewish reactions to the Holocaust, Tel-Aviv, MOD Books, 1989).
-
[78]
On peut rapprocher ces propos de ceux tenus par l’écrivain Meyer Levin, à propos de la libération du camp d’Ohrdruf par les troupes américaines, le 4 avril 1945 : « Nous savions. Le monde en avait vaguement entendu parler. Mais jusqu’à présent, aucun d’entre nous n’avait vu cela. C’était comme si nous avions enfin pénétré à l’intérieur même de ce cœur noir et malfaisant », in Chronique de la Shoah, édité par l’Association B’nai Brit Golda Meir, de Nice, 2005, p. 591. (N.d.T.)
-
[79]
LaMerkhav, 10 septembre 1961, p. 5.
-
[80]
Liste de publications choisies (par ordre alphabétique des noms d’auteur) : Almog, Le Sabra – portrait, Tel-Aviv, 1997, en hébreu (ci-après, Le Sabra – portrait), pp. 142-144 ; Daniel Gutwein, « L’individualisation de la Shoah », op. cit., p. 7 ; Gershon Shaked, « Entre le Mur occidental et Massada – La Shoah et la conscience de soi dans la société israélienne », in Israël Gutman, Changements fondamentaux intervenus dans le peuple juif après la Shoah, Jérusalem, 1996 (ci-après « Entre le Mur occidental et Massada »), pp. 511-523 ; Anita Shapira, « Rencontre du Yishouv avec les rescapés » in Anita Shapira, Sur la ligne d’horizon, Tel-Aviv, 1989, en hébreu (ci-après « Rencontre du Yishouv »), pp. 325-355 ; Weitz, Le Procès Eichmann, op. cit. ; Irit Keinan, La faim ne s’est pas apaisée. Les rescapés de la Shoah et les émissaires d’Eretz Israël en Allemagne, 1945-1948, Tel-Aviv, 1996 (ci-après La faim ne s’est pas apaisée), pp. 196 et sq.
-
[81]
Shapira, « Rencontre du Yishouv », art. cit., p. 325.
-
[82]
Almog, Le Sabra – portrait, op. cit., pp. 142-143.
-
[83]
Irit Keinan, La faim ne s’est pas apaisée, op. cit., pp. 195-196 ; Tom Segev, Le Septième Million, op. cit., pp. 138-148. De façon significative, Segev a intitulé ce chapitre « Réduits au silence » (dans la version française, ce chapitre 9 est intitulé « Une barrière de sang et de silence », N.d.T.).
-
[84]
Gutwein, « L’individualisation de la Shoah », op. cit., pp. 7-9.
-
[85]
Weitz, op. cit., p. 188.
-
[86]
Shaked, Entre le Mur occidental et Massada, op. cit., p. 521.
1Au cours de la brève histoire de l’État d’Israël, seuls quelques événements peuvent être qualifiés de fondateurs dans la mesure où ils générèrent, outre des problèmes qui ne sont pas encore résolus aujourd’hui, un débat qui se perpétue jusqu’à nos jours. Ce fut le cas de la guerre d’Indépendance et de la grande vague d’immigration dite « en masse » (1949-1953). Ce fut le cas aussi du procès Eichmann.
2La guerre d’Indépendance mit en danger de mort le Yishouv [2], exigeant de lui une mobilisation totale de toutes les ressources humaines et matérielles à sa disposition. Cette guerre, qui coûta au Yishouv 1 % de sa population en quelques mois, aboutit à délimiter les frontières de l’État au-delà des lignes du plan de partage de la Palestine. Tous ces facteurs laissèrent une empreinte indélébile sur le caractère que revêtit l’État d’Israël. La guerre d’Indépendance précisa aux habitants d’Eretz Israël la signification historique de la création de l’État. Par ailleurs, le fait que la confrontation générale avec les États arabes et avec les Arabes d’Eretz Israël n’ait pas pris fin à l’époque fit de cette guerre un événement fondateur dont les répercussions sont aujourd’hui encore considérables.
3Il en va de même de la grande vague d’immigration qui modifia la structure démographique du Yishouv. La population, relativement jeune, homogène et principalement originaire d’Europe orientale, accueillit alors des Juifs venant de plusieurs dizaines de pays de la diaspora, dont beaucoup venus d’Asie et d’Afrique. Cette vague d’immigration, qui doubla le nombre de Juifs en Israël et fit d’eux la communauté majoritaire, détermina l’étendue du peuplement dans le pays et influa sur la culture nationale comme sur le clivage communautaire entre les Juifs originaires d’Europe et ceux d’Asie et d’Afrique, un clivage qui perdure dans le débat public en Israël.
4Au cours d’un briefing secret présenté aux membres du ministère à la veille de l’ouverture du procès Eichmann en avril 1961, Haïm Yahil, alors directeur général du ministère des Affaires étrangères, témoigna de l’importance dudit procès :
Il n’existe que deux choses qui soulignent le caractère spécifique d’Israël en tant qu’État juif […] L’une est la fonction de délivrance qu’assume l’État d’Israël en tant que pays où tout Juif, en tant que tel, a sa place. Le deuxième phénomène, c’est cet État qui restitue l’honneur de son peuple et qui juge ceux qui portent atteinte à la vie de la nation et à ses droits […] Je suis absolument convaincu qu’on peut, sans exagérer, placer le procès Eichmann – symbole effroyable, symbole de ce sinistre procès que nous intentons à nos persécuteurs qui voulaient notre extermination – sur le même plan que l’acte de délivrance, l’immigration et l’intégration de tant de membres de notre peuple dans notre pays. La grande différence, c’est que la fonction de délivrance réside dans l’acte solennel de la proclamation, suivie d’une mission de réalisation au fil des jours et des générations […] C’est pourquoi, ce procès revêt une telle portée historique. Cet événement peut, de façon déterminante, façonner le caractère de l’État, ainsi que la leçon que cette génération, celle des fondateurs de l’État, transmettra aux générations suivantes. Peut-être n’ai-je, depuis l’époque de la guerre d’Indépendance, jamais ressenti aussi intensément qu’en cette occasion que nous faisons l’histoire [3].
6Le procès Eichmann, qui débuta en avril 1961 et se termina environ un an plus tard par l’exécution du condamné, constitua un pôle d’attraction pour les journalistes et les juristes du monde entier. Il semble que ce fut l’un des événements les plus médiatisés de l’histoire du xxe siècle. S’il fut encore plus stimulant que le premier grand procès de Nuremberg (octobre 1945-novembre 1946) sur le plan intellectuel, ce fut précisément parce qu’était jugé là un homme dont l’activité quotidienne consistait à rendre possible l’extermination systématique des Juifs d’Europe. C’est pourquoi on souleva au cours du procès Eichmann des questions et des critiques concernant la place de l’individu dans le système dans lequel il agit, ainsi que ses décisions et ses choix. Près d’un demi-siècle plus tard, ces questions n’ont rien perdu de leur acuité.
7D’emblée, l’événement marqua les consciences et suscita un flot d’écrits, tant en Israël, où avait lieu le procès, que dans le monde. Une partie de ces premiers textes, qu’on peut qualifier d’« impressionnistes », furent écrits par ceux qui couvraient l’événement et qui, vers la fin du procès, publièrent leurs livres [4]. Ces ouvrages se caractérisaient par des réflexions personnelles inspirées par les événements qui entourèrent le procès, les propos entendus et la personnalité d’Eichmann. Outre ces ouvrages, il y eut aussi des textes juridiques comme le livre de l’avocat Papadatos [5].
8Une autre grande vague d’écrits parut dans les années 1990 et 2000, près de quarante ans plus tard. La chronologie de la présente étude s’articule donc autour de ces deux pôles.
9Cet article a pour thème principal les « textes israéliens » sur le procès Eichmann. Cette formulation nécessite une explication : s’agit-il d’auteurs israéliens qui rendirent compte du procès ou de livres écrits sur ce sujet et publiés en hébreu ? Dans le cas présent, il s’agit des ouvrages publiés en hébreu. Dans le contexte de la société israélienne, on reconnut l’influence des écrits sur le procès Eichmann, aussi bien ceux qui furent publiés en Israël que les textes traduits. D’ailleurs, même le choix des textes traduits publiés à l’étranger à l’intention des lecteurs lisant l’hébreu recelait de façon latente une certaine approche. Ainsi, le public israélien ne découvrit-il qu’un certain type de textes et de discours.
10Le clivage était net entre les écrits israéliens et les autres. Alors que les seconds portaient principalement sur l’analyse de divers aspects liés aux assassins (appelés aujourd’hui « persécuteurs »), et en particulier sur Eichmann, la plupart des Israéliens s’intéressèrent plutôt à l’attitude des victimes. En d’autres termes, alors que les uns mettaient l’accent sur « ce que firent les Allemands », les autres observaient ce qui s’était passé pour les Juifs, ceux qui furent pris dans la Shoah et ceux qui en entendirent parler seulement à la fin de la guerre. Un autre clivage s’établit entre le point de vue des personnes assassinées en tant que « victimes », ce qu’on appelle aujourd’hui l’optique universaliste de la Shoah, et le point de vue des personnes assassinées en tant que Juifs, victimes d’un crime spécifique sans précédent dans l’histoire de l’humanité.
11Parallèlement à la vague de publications « impressionnistes » émergea une littérature « de réaction [6] » qui fut traduite en hébreu, en particulier en réponse au livre de Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du mal [7], lequel, paradoxalement, n’était toujours pas traduit en hébreu (il ne le sera qu’en 2000…).
12L’examen des écrits israéliens sur le procès Eichmann, parus dans les années 1960, montre deux tendances principales : d’une part, l’enthousiasme suscité par l’indépendance et par les symboles de la souveraineté. Elle est illustrée par le livre de Moshé Perlman [8], présenté comme « fonctionnaire du bureau du Premier ministre » (une formule masquant une activité dans les services de sécurité), qui décrivit la capture d’Eichmann par les Israéliens. Dans la même mouvance, on peut mentionner l’entreprise littéraire ayant pour objet principal de montrer, par les modalités du procès, le sérieux de l’État d’Israël sur le plan juridique. Il s’agissait en particulier de convaincre le monde de l’importance du rôle d’Eichmann dans le système logistique de la mise en œuvre de la « Solution finale » et de tenter d’élucider l’énigme de « la bête qui est en l’homme », pour reprendre l’expression de Gideon Hausner dans l’introduction qu’il rédigea au livre de Kempner. Hausner, l’un des procureurs des procès de Nuremberg, avait participé à l’élaboration de l’acte d’accusation israélien [9].
13La deuxième tendance était le fait de ceux qui n’avaient pas vécu la Shoah et se livraient à un examen de conscience. Parmi eux, Haïm Gouri dans son livre Face à la cage de verre [10].
14Dans l’histoire de la société israélienne, les écrits sur le procès Eichmann – l’un des événements qui façonnèrent son caractère – s’inscrivent donc comme des textes de consensus, qui correspondaient aux besoins de l’establishment. De la controverse tumultueuse qui se déroula autour du livre de Hannah Arendt, la majorité des Israéliens ne connurent que les arguments formulés à son encontre, en particulier grâce à Gershom Scholem et Yaacov Robinson, mais également Kempner [11]. Le livre d’Arendt ne trouvait donc pas sa place dans le contexte israélien des années 1960 ; il appartenait plutôt à celui des années 1990, au terme desquelles il fut traduit en hébreu [12].
15À cet égard, il existe une exception : le livre de l’éternel opposant Uri Avneri. La Croix gammée parut d’abord dans les années 1960, sans que le besoin de le traduire se fasse sentir [13]. Publié en petit format, avec une couverture souple [14], il ressemblait par son aspect extérieur à un livre de la littérature populaire répandue en Israël au cours de ces années, qui comprenait un genre littéraire traitant des stalags et des héros du Far West comme Bill Carter. Ce livre reprenait la série des articles d’Avneri traitant d’Eichmann, publiés dans l’hebdomadaire dont il était rédacteur en chef, HaOlam hazé. La quatrième de couverture donnait d’emblée le ton et montrait la spécificité du livre : « Est-il possible qu’il y ait du nazisme en Israël ? Comment Hitler est-il devenu antisémite ? Quelles déviances sexuelles se cachaient derrière le caractère confidentiel qui entoure la vie privée du Führer ? Existe-t-il une analogie entre le culte voué par Ben Gourion et Moshé Dayan à la sécurité et le militarisme prussien ? »… Autant de questions que l’on passait sous silence dans l’Israël patriote et conservateur du début des années 1950.
16Dans le débat interne israélien, l’association de la comparution des témoins et des écrits sur ce phénomène par deux des auteurs marquant de l’époque, Haïm Gouri et Nathan Alterman, fit découvrir les rescapés de la Shoah et ouvrit un nouveau chapitre dans lequel la « mise en accusation de la victime » s’estompa lentement, comme en témoignent les procès des kapos des années 1950 [15], ainsi que ce qu’on appelle le « procès Kastner [16] », pour laisser la place à une mise en accusation de l’assassin. Mais ce ne fut pas tout car, parallèlement, le prestige public et institutionnel des rescapés de la Shoah fut rehaussé en Israël. Selon la formule de Nathan Alterman, les choses se présentèrent ainsi :
Nous savions tous que, parmi nous, circulaient des gens de ce monde-là. Nous les rencontrions quotidiennement dans la rue, dans les bureaux où nous nous rendions pour nos affaires, dans les magasins, au marché […] sur le bras de tel employé qui nous tendait un formulaire par le guichet, sur le bras d’un artisan penché sur ses outils, sur le bras de la receveuse qui nous rendait la monnaie dans l’autobus, se révélait soudain à nous, de temps en temps, au-dessus de la paume, un numéro tatoué, le numéro bleuâtre qui se fondait dans le réseau des veines, ce maudit numéro indélébile. Nous savions qu’il y avait parmi nous des gens de ce monde-là, mais il semblait que ce ne fut qu’au cours de ce procès terrible et grandiose, au fur et à mesure que se suivaient les témoins de là-bas à la barre, que nous fîmes le lien, dans notre conscience entre ces êtres distincts et les personnes étrangères et anonymes que nous avions croisées un nombre infini de fois ; la prise de conscience soudaine et évidente surgissait soudain que ces êtres n’étaient pas seulement une collection d’individus, mais avaient une nature propre et affirmée et étaient dotés de caractéristiques et habités par les souvenirs […] Ils faisaient partie de façon indissoluble de la nature et de l’image du peuple vivant auquel nous appartenons […] Ce fut le procès de Jérusalem qui détermina cette marque de reconnaissance et la révéla comme l’un des faits fondamentaux de l’expérience juive nationale [17].
18Au cours des années 1970 et 1980, en Israël et dans le monde, l’événement fit l’objet de peu d’écrits [18], mais ce ne fut là qu’un intermède. Il s’agissait pour l’essentiel de souvenirs des personnes qui furent parties prenantes au procès. Isser Harel était le chef du Mossad qui captura Eichmann en Argentine et l’amena en Israël. Dans son livre, devenu un best-seller, il racontait en détail sa version des événements [19]. Il en va de même du livre de Gideon Hausner, procureur au procès, qui publia sa version du déroulement du procès. Ce texte allait servir de source historique aux chercheurs de la deuxième grande vague d’écrits sur le procès. Les chercheurs en disqualifièrent des pans entiers. Le livre de Harel était et demeure la seule source pour connaître les détails de ce qui se passa en coulisses pour la préparation du procès. Source problématique, mais unique. Elle n’a par ailleurs qu’une valeur temporaire, on l’a vu.
19Au cours des années 1990 et dans les premières années du xxie siècle fut publiée une nouvelle vague d’écrits sur les thèmes suivants : le procès, l’empreinte qu’il laissa, la banalité du mal, l’homme Eichmann et la place du procès dans la mémoire collective israélienne de la Shoah.
20Dans les années 1960, il s’agissait d’une actualité brûlante, celle du choc qui accompagna l’annonce spectaculaire par Ben Gourion de la capture d’Eichmann, et le procès qui produisit une expérience cathartique dans la société israélienne. Au cours de ces années, on ne pouvait imaginer que rien ne fut écrit autour du procès, et la proximité des événements ne pouvait que susciter des textes polémiques, journalistiques ou d’ordre émotionnel.
21Quelque trente ans plus tard commença la deuxième vague de publications en hébreu sur le procès Eichmann, suscitée semble-t-il par deux types de facteurs : des changements fondamentaux dans la prise de conscience qui commencèrent à se produire dans la société israélienne et, parallèlement, des évolutions qu’on peut qualifier de « structurelles ». Parmi ces dernières, on peut citer le fait qu’au début des années 1990, les archives sur le procès Eichmann furent ouvertes à la consultation : documents issus du ministère de la Justice et du ministère des Affaires étrangères, ainsi que, bien sûr, tous les documents du bureau 06 de la police qui avait préparé le procès. Autre facteur d’ordre chronologique : au début des années 2000, quarante années s’étaient écoulées depuis le procès, et dans la perspective de cet « anniversaire » pour ainsi dire, une littérature relativement abondante avait paru. L’exemple le plus marquant en est probablement la traduction en hébreu du livre de Hannah Arendt.
22Parmi tous les facteurs liés à la prise de conscience qui conduisit à la deuxième vague de publications, il faut en mentionner plus particulièrement deux : en premier lieu, l’intérêt sans cesse croissant du public israélien pour le thème de la Shoah qui devenait une composante centrale de l’identité israélienne [20]. De nombreux Israéliens considérèrent le procès Eichmann comme l’un des moments décisifs de l’attitude de la société israélienne à l’égard de la Shoah [21]. Ainsi que l’écrivit Shimon Herman : « Un chapitre d’histoire a été projeté avec une puissance toute particulière du passé vers le présent, lorsque des rescapés de la Shoah ont raconté – et, d’une certaine façon ont revécu – l’histoire de l’extermination des Juifs d’Europe. Il semblait, du moins à ceux qui ne se trouvaient pas en Europe à cette époque, que le choc de l’influence exercée par la Shoah, tel qu’il se reflétait dans la perspective du procès, était plus fort que celui des récits qui avaient filtré peu à peu à l’époque où les événements s’étaient produits [22]. »
23Ce phénomène s’accompagna d’un renforcement du statut des rescapés de la Shoah dans la société israélienne, ainsi que du sentiment d’urgence lié à leur vieillissement. Un autre changement tint au phénomène historiographique des « nouveaux historiens » adeptes d’une « écriture critique ». Ce changement avait commencé en fait parmi les sociologues. Ces historiens réexaminaient le récit sioniste dans une optique dite post-sioniste. Le procès Eichmann était vu comme un événement fondateur du nationalisme israélien, mais avec un regard moins favorable et dans un esprit critique sur le rôle joué par la Shoah, dans l’identité israélienne et dans l’argumentaire israélien en vigueur dans le conflit israélo-palestinien.
24Les textes des années 1990 et 2000 s’articulent autour de trois axes :
- Les textes critiques portant sur le procès Eichmann, ainsi que sur son influence comme certains passages du livre d’Idit Zertal, La Nation et la Mort [23]. L’un des aspects principaux de ce livre consiste en une analyse favorable des conclusions de Hannah Arendt. Dans cette catégorie se classent aussi les textes critiques dont les principaux auteurs sont l’historien Yaacov Lozowick et le philosophe Elhanan Yakira [24]. Cette critique comprend également l’attitude polémique à l’égard du livre de Hannah Arendt des années 1960.
- Les textes de l’historiographie classique qui réexaminent, avec le recul du temps et à la lumière des nouveaux documents mis à jour, le procès et l’impact exercé sur la société israélienne. Particulièrement importante à cet égard fut la parution d’un numéro particulier de la revue BeShvil haZikaron [25] (« Sur la voie de la mémoire ») comprenant des articles de juristes comme Leora Bilsky, spécialiste de l’association entre droit et histoire, Gabriel Bach, procureur au procès Eichmann, ainsi que d’historiens tels que Sari Reuveni [26]. D’autres articles parurent dans les années 1990, ceux de Daniel Gutwein [27], Yehiam Weitz [28], Anita Shapira [29]. Au début des années 1990 parut le livre de Tom Segev sur les Israéliens et la Shoah, qui comprenait un chapitre sur le procès Eichmann [30]. Enfin, notre livre L’État d’Israël contre Adolf Eichmann [31] relève également de cette catégorie.
- Les textes juridiques à connotation historique parmi lesquels se distinguent la revue de la faculté de droit de l’université de Tel-Aviv [32], des chapitres du livre de Penina Lahav sur le juge Agranat [33], Leora Bilsky [34] et les actes des deux colloques internationaux organisés par Yad Vashem en 2004 et 2006. Au cours du premier colloque célébrant le 50e anniversaire de Yad Vashem, une séance fut consacrée aux procès de la Shoah ; le second colloque avait pour thème « Droit et Shoah : les procès de la Seconde Guerre mondiale, représentation, conscience et mémoire ». Les actes du premier colloque devaient être publiés au moment précis où nous écrivons [35]. Sur le plan historiographique, ce genre ne diffère guère des thèmes des écrits historiographiques et ne sera donc pas traité à part. Par ailleurs, on y trouve une nouveauté sur le plan juridique, en particulier dans l’analyse de Penina Lahav : les dilemmes qui accompagnèrent le rejet par la Cour suprême de l’appel interjeté par Eichmann. Mais cet aspect n’est pas au cœur du présent article.
Textes critiques et polémiques
25On l’a vu, ce ne fut qu’en l’an 2000 que fut traduit le livre de Hannah Arendt, l’un des principaux penseurs du xxe siècle, Eichmann à Jérusalem, paru en anglais près de quarante ans plus tôt [36]. Pour la première fois, de nombreux Israéliens qui ne lisent pas l’anglais purent ainsi prendre connaissance de ce livre controversé. Jusqu’alors, ainsi que nous l’avons dit, nombre d’entre eux n’avaient lu que d’âpres critiques du livre, recensant de nombreuses inexactitudes factuelles et des interprétations erronées, et reprochant à l’auteur son manque « d’amour pour Israël [37] », sa haine de soi si caractéristique des Juifs [38]. Dans la formulation de Gershom Scholem, l’un des plus grands spécialistes de la Kabbale et de la mystique juive,
dans la tradition juive, il existe un concept difficile à définir et pourtant bien concret, que nous appelons Ahavat Israël, l’amour d’Israël. En vous, chère Hannah, comme en beaucoup d’intellectuels issus de la gauche allemande, je n’en trouve que peu de traces. Un débat comme celui que vous tentez d’instaurer dans votre livre me semble réclamer – vous me pardonnerez ces expressions – les procédés les plus traditionnels, les plus circonspects, les plus exigeants, précisément à cause des sentiments suscités par le sujet. Ce sujet, c’est la destruction du tiers de notre peuple… L’histoire des souffrances de notre peuple est, certes, grevée d’un certain nombre de personnages discutables qui méritent ou qui ont reçu leur juste châtiment : comment aurait-il pu en être autrement dans une tragédie qui s’est déroulée à une si terrible échelle ? Cependant, parler de tout cela sur un ton aussi inconvenant va dans le sens de ces Allemands que votre livre met plus d’éloquence à condamner qu’il n’en met à déplorer le sort de votre peuple ; ce n’est pas la manière adéquate d’aborder le théâtre de cette tragédie.
27Par ailleurs, nombreux sont les Israéliens qui savent l’anglais et le lisent aisément. Ainsi, avant même la parution du livre en hébreu, de nombreux admirateurs d’Arendt issus du monde intellectuel israélien achetèrent son livre, « l’un des livres essentiels sur le génocide, méritant un véritable débat » écrivait Tom Segev [39].
28Le livre d’Arendt exprimait une hostilité non dissimulée à l’égard du Premier ministre de l’époque, David Ben Gourion, ainsi qu’à l’égard de celui qu’elle considérait comme le personnage principal du procès, Gideon Hausner. Voici l’essentiel de son argumentation.
29Le procès aurait dû être limité à celui d’une personne, d’un homme – Adolf Eichmann, assis sur le banc des accusés. « Le rôle du tribunal à Jérusalem était de rendre la justice [40]. » Cette attitude s’opposait à l’approche de Ben Gourion cité dans son livre : « Ce n’est pas un homme, à titre individuel qui est aussi au banc des accusés […], mais l’antisémitisme tout au long de l’histoire [41]. » Par la suite, Arendt protesta contre le paragraphe principal de l’acte d’accusation dressé contre Eichmann à partir de la formulation de la loi pour rendre justice face aux nazis et à leurs collaborateurs, à savoir le premier paragraphe sur « les crimes contre les Juifs ». Selon elle, le meurtre des Juifs faisait partie de la catégorie juridique des « crimes contre l’humanité », et il n’y avait pas lieu de les traiter à part. Hannah Arendt touchait ainsi sans le vouloir à l’un des futurs débats qui allait se dérouler en Israël, celui de la place de la Shoah entre le particulier et l’universel, la tendance à la perspective universaliste de la Shoah étant souvent perçue comme une tentative de minimiser la gravité du meurtre des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
30À l’égard des témoins et des témoignages, Arendt adopta une attitude froide et hautaine ; de toute façon, elle les considérait comme n’ayant aucun rapport avec le procès. Et ce, en opposition totale avec la tendance à accorder une place centrale aux témoins dans le débat en Israël, aux sentiments des Israéliens et à leur conscience [42].
31Mais plus que tout, elle concentra son attention sur les dirigeants juifs et le concept majeur de son livre : « la banalité du mal ».
32Concernant les premiers, Arendt déclara que, sans la coopération des Judenräte, il eut été plus difficile pour les nazis de perpétrer l’extermination en masse. Pour reprendre ses propos : « Pour les Juifs, ce rôle rempli par les dirigeants juifs dans l’extermination de leur peuple est sans nul doute le chapitre le plus sombre dans cette histoire entièrement sombre [43]. »
33Le premier endroit du livre mentionnant ce concept est la description des derniers moments d’Eichmann. Voici ce qu’il déclara en cette occasion : « Vive l’Allemagne, vive l’Argentine, vive l’Autriche, je ne les oublierai pas. » Ce à quoi Hannah Arendt réagit en écrivant : « Face à la mort, il trouva le cliché auquel on recourt dans les eulogies funèbres. À l’ombre de la potence, pour la dernière fois, il s’égara ; l’état d’esprit “d’exaltation” dans lequel il se trouvait lui fit oublier qu’il s’agissait de sa propre fin. C’était comme si, en ces derniers instants, il résumait l’enseignement que nous avait transmis cette leçon enseignée depuis si longtemps : celle de la méchanceté de l’homme, à quel point elle est terrifiante, indicible en mots et inconcevable en esprit, à savoir la banalité du mal [44]. »
34Une telle approche se fondait sur la compréhension d’un nouveau type de criminel, terriblement normal. Ni pervers, ni sadique. Exécutant ses crimes en ne sachant pas ou en ne ressentant pas qu’il fait le mal. Pour reprendre l’expression d’Arendt : « C’était une absence totale de réflexion – n’ayant rien à voir avec la bêtise – qui l’avait rendu apte à devenir l’un des plus grands criminels de l’époque, et en même temps “banal”, voire dérisoire, puisque, avec tous les efforts du monde, on ne peut trouver en Eichmann la moindre épaisseur diabolique, c’est encore loin d’être un phénomène ordinaire… L’enseignement qu’on pouvait en tirer à Jérusalem, c’est que, en fait, un tel éloignement du réel et une telle absence de réflexion pouvaient causer plus de destruction que tous les instincts du mal qui peuvent exister en l’homme [45]. »
35Idit Zertal est, semble-t-il, l’auteur principal qui s’intéressa à Hannah Arendt lors de la deuxième grande vague de textes. Paru en 2002, son ouvrage La Nation et la Mort : histoire, mémoire et politique, comprenait deux chapitres sur le procès Eichmann et sur Hannah Arendt [46].
36À la page 160 de son livre, Zertal résume l’essentiel de son approche :
En organisant le procès comme un spectacle moral fascinant et comme un discours expiatoire, rédempteur et réparateur, Ben Gourion n’établit pas seulement un lien différé entre les jeunes d’Israël coupés du passé, refusant de se relier à « l’histoire juive » de leurs pères, et leurs grands-parents assassinés. Il transforma même la Shoah en un événement susceptible d’être réparé, expié, et créa un lien inéluctable, déterminant, entre les souffrances et la mort des Juifs dans l’exil, et le mérite de la création et de l’existence de l’État d’Israël, ainsi que son mode d’existence et ses diverses pratiques, principalement ses pratiques de la force. Le procès conféra une nouvelle signification à la guerre contre l’ennemi nazi. Un ennemi revêtait l’allure d’un autre. La défense du pays devint une mission sacrée, porteuse du fardeau de la catastrophe juive absolue et de son expiation. Et la leçon fut tirée à maintes reprises et intériorisée par la génération des jeunes Israéliens […] pour lesquels le procès avait été la première rencontre, stupéfiante, douloureuse, avec la Shoah.
38En d’autres termes, le procès Eichmann fut un événement qui suscita un bouleversement dans la prise de conscience de l’opinion publique. Affronter la Shoah devint une affirmation de la force, de la souveraineté, de la domination. Tout cela s’effectua sous la direction de Ben Gourion dans ce que Zertal appela « la grande pédagogie nationale [47] ». Ainsi s’opéra la diabolisation des Arabes et l’amplification de l’image du mufti pendant la Seconde Guerre mondiale. Chez Zertal, la périodisation s’effectue aussi selon cette perspective. Dans les années 1950, celles de la consolidation des bases et de l’infrastructure matérielle de l’État, il n’était pas possible de se consacrer au souvenir des souffrances des Juifs d’Europe. Lorsque, dans les années 1960, l’étape formatrice s’estompa, et que Ben Gourion, sa personnalité et son régime devinrent de plus en plus controversés, le moment arriva d’examiner le grand projet de l’élaboration de la conscience nationale unie et disciplinée. Le procès Eichmann constitua, à cet égard, un instrument parfait. La Shoah fut mobilisée pour recréer l’union nationale sous l’inspiration et sous la direction de Ben Gourion [48].
39Peu avant la publication du livre d’Idit Zertal, en 2001, avait paru en allemand la thèse de doctorat de Yaacov Lozowick [49], directeur depuis nombre d’années les Archives de Yad Vashem. Ce livre peut aussi se lire comme une interprétation du procès Eichmann, dont de nombreux extraits sont d’ailleurs cités. L’introduction débute ainsi :
Par une claire journée de printemps, en avril 1961, s’ouvrit à Jérusalem un important événement historique, le procès Eichmann. […] Au fur et à mesure que se déroulait le procès d’Adolf Eichmann, il s’avéra que son histoire n’était pas l’histoire d’un individu, ni même le cœur de l’histoire. Plus importants étaient les récits des rescapés de la Shoah qui se présentèrent à la barre les uns après les autres et passionnèrent des millions de téléspectateurs. Hommes et femmes ordinaires, d’un ton calme et plein de respect pour les juges et leur fonction, décrivirent des situations insoutenables, inimaginables. Leurs récits montraient que, même lorsqu’ils se trouvèrent au cœur de l’enfer, ils manifestèrent plus d’humanité que n’en manifestèrent jamais leurs persécuteurs […]. L’histoire de l’extermination des Juifs d’Europe fut soudain le récit de personnes et non celui de livres, et la société israélienne en fut irréversiblement transformée.
Un autre remous se produisit dans la salle du tribunal à Jérusalem, bien qu’il ne revêtît toute sa signification que quelques années plus tard : la controverse entre le procureur général Gideon Hausner et Hannah Arendt […] sur l’attitude à adopter à l’égard d’Eichmann, homme monstrueux ou petit employé [50].
41Au-delà de ce qu’écrit Lozowick sur les changements intervenus dans la société israélienne, le livre tout entier constitue une réfutation systématique de la théorie de la banalisation du mal. Tout en recourant aux témoignages du procès Eichmann et aux documents d’archives sur ce thème, Lozowick arrive à des conclusions opposées à celles d’Arendt. Selon lui
Au fur et à mesure que je creusais les choses, les explications données par Arendt augmentaient mon malaise […] Je découvris qu’il s’agissait d’un groupe de gens parfaitement conscients de leurs actes, animés d’une forte motivation idéologique, pleins d’initiatives et de ressources dont la contribution alla au-delà de ce qui était nécessaire […] Certes, la plupart restèrent assis derrière leur bureau et non derrière des mitrailleuses, mais, de temps à autre, certains d’entre eux étaient amenés à se retrouver devant de véritables Juifs en chair et en os et à trancher leur sort : ils le faisaient sans sourciller, et de façon cruelle. Les faits […] sont l’opposé de ce qu’a vu Hannah Arendt. Il n’y avait rien de banal chez Eichmann et consorts [51].
43En ce qui concerne la controverse entre Arendt et Hausner, Lozowick écrit :
La grandeur historique d’Hausner consista en ce que, ayant donné la parole aux rescapés de la Shoah, il se rendit compte que, tout en étant dépourvus de toute possibilité d’exercer une influence, ils étaient demeurés des êtres dignes et avaient conservé la capacité de prendre des décisions morales. Ils étaient sujets, et non objets. Ils agirent et ne subirent pas. Au contraire, Hannah Arendt prit l’officier SS puissant, exterminateur en masse, lui ôta la capacité de réflexion et en fit en objet, une poupée manipulée [52].
45Au concept de banalité du mal, Lozowick opposa un nouveau concept, celui des « alpinistes du mal » :
De même qu’il n’existe pas d’homme qui arrive au sommet de l’Everest par inadvertance, de même Eichmann et ses collègues n’en sont pas arrivés à assassiner des Juifs par erreur, sans le vouloir, ou par obéissance aveugle à des ordres, ni en jouant le rôle d’une petite vis dans les rouages d’une grande machine. Ils travaillèrent dur, investirent réflexion, initiative, énergie et efforts soutenus pendant plusieurs années. Ils furent les alpinistes du mal [53].
47C’est presque au moment même où ces lignes étaient écrites que parut en Israël le livre d’Elhanan Yakira, directeur du département de philosophie à l’Université hébraïque de Jérusalem [54]. Des pans entiers de cet ouvrage constituent une critique cinglante du livre de Hannah Arendt et des écrits de ses épigones, en particulier Idit Zertal. Dès sa sortie, il suscita un grand intérêt et des controverses animées.
48Le point de départ du livre n’a rien d’historique. Il s’ancre en profondeur dans le débat politique israélien du début du xxie siècle pour tenter de réfuter l’argument selon lequel la Shoah est le traumatisme autour duquel s’est élaborée la conscience victimaire de la communauté israélienne. « Cette conscience est la source de bien des maux. Elle est en fait la source de tous ses péchés et de toutes les injustices commises par l’État juif » selon la formulation quelque peu ironique, pleine de défi, de Yakira [55]. En d’autres termes, il s’insurge contre l’affirmation selon laquelle la Shoah ou son instrumentalisation est la source de tout mal. Au cœur du discours de Yakira se trouve, dans ce contexte, le procès Eichmann, lequel est selon lui la principale base idéologique de l’écriture accusatrice de Zertal dans son livre La Nation et la Mort. Yakira le formule ainsi :
Après le procès et à cause de lui […] la Shoah se trouva soudain dans tout. Mais bien sûr, et c’est là une grande innovation de la part d’Idit Zertal qui procède à une manipulation et à une instrumentalisation. Rien à faire. Si l’on se tait, c’est un crime contre les victimes assassinées, parce qu’on les oublie et qu’on réduit au silence leurs souffrances. Si l’on parle de la Shoah et que l’on s’en souvient, c’est un crime d’Israël contre les victimes parce qu’on les instrumentalise et parce qu’on utilise leur souvenir et le souvenir de leurs souffrances pour envoyer nos fils tuer des Arabes [56].
50Dans sa critique, Yakira soutient qu’à l’instar de Hannah Arendt, Zertal voyait elle aussi en Ben Gourion le « mal dans l’histoire ». Le procès était exclusivement son œuvre… Il en fut ainsi pour le créateur du « nouveau discours israélien sur la Shoah dans la perspective de la domination [57] ». Par la suite, Yakira proteste vigoureusement sur plus de 57 pages contre les écrits d’Arendt. Pour lui, fondamentalement,
l’un des arguments principaux de l’antisionisme israélien et juif porte sur l’utilisation à mauvais escient de la Shoah… C’est tout le contraire qui est vrai : la véritable utilisation à mauvais escient de la Shoah est principalement le fait des contempteurs du sionisme et d’Israël. Contrairement à ce que l’on pense dans certains milieux, les attaques lancées contre Israël au moyen de la Shoah sont aussi beaucoup plus importantes et beaucoup plus efficaces que son utilisation au profit du sionisme. Qui plus est, l’argument répandu sur l’utilisation à mauvais escient de la Shoah par les sionistes et leurs alliés est un élément important de l’utilisation qu’en font les ennemis d’Israël. Paradoxalement, l’efficacité de la propagande anti-israélienne ou post-sioniste utilisant la Shoah se fonde dans une large mesure sur l’apparence d’une critique de l’utilisation de la Shoah pour les besoins de l’État sioniste. Le livre de Hannah Arendt sur le procès Eichmann joua un rôle déterminant pour rendre cet argument respectable, répandu et efficace parmi les contempteurs d’Israël, dans le pays et à l’étranger [58].
52Yakira présente une perspective nouvelle du débat sur la Shoah entre spécificité et universel, et ce dans l’actuel contexte israélien qui traite de l’identité israélienne et juive et du dialogue entre les deux, la Shoah occupant une place centrale et complexe dans les deux identités. « Ce qui est en cause ici dans les plateaux de la balance, c’est la légitimité et la validité du point de vue de la victime, et en particulier son droit à faire entendre sa voix sans avoir besoin de s’excuser et sans que le point de vue prétendument universaliste la fasse taire [59]. »
53La majeure partie des textes du deuxième type rédigés lors de la vague d’écrits des années 1990 et 2000 traitent donc de la tentative de comprendre la pénétration de la Shoah au cœur de ces identités juive et israélienne, tout en observant le rôle déterminant assigné au procès Eichmann dans ce processus.
54Entre les lignes, on trouve dans la nouvelle vague du débat, aux côtés de la question des éléments constitutifs de l’identité nationale juive et israélienne, le degré d’identification avec la collectivité nationale ou la capacité de l’observer, déconnectée de l’ordre du jour politique, en général « d’opposition ». Tous ces éléments s’agencent dans le contexte plus large du débat post-moderne selon lequel rien n’est véritablement tel qu’il semble être. Il n’est pas de valeurs absolues, il n’existe ni vérité ni mensonge, tout est en terrain flou et fonction du regard de l’observateur.
55L’une des tentatives les plus intéressantes d’établir une comparaison entre ces deux approches est celle d’Anita Shapira, lors de la conférence qu’elle a donnée à l’ouverture du colloque commémorant le 40e anniversaire du procès Eichmann – colloque organisé par Yad Vashem et l’Université hébraïque de Jérusalem en avril 2001 [60].
56Anita Shapira a opposé Haïm Gouri et Hannah Arendt. Elle voyait en eux les représentants de « deux civilisations juives antithétiques [61] », une Juive d’origine allemande et un jeune sabra [62] israélien. Chacun venait chercher quelque chose d’autre dans le procès. Hannah Arendt souhaitait montrer que Ben Gourion avait créé le procès-spectacle et l’avait façonné ; elle voulait que le procès mette en relief la médiocrité de son gouvernement. Gouri était venu au procès avec « le sentiment de participer à un moment historique et d’appartenir très intensément à la collectivité qui mettait Eichmann en accusation ». Il arriva donc au procès « sans objectif précis ». Pour l’essentiel, Shapira explique ainsi les choses : « Elle se rendit [au procès] décidée à ne pas démordre de ses positions, et c’est pourquoi elle trouva ce qu’elle cherchait. Lui se rendit au procès avec les idées préconçues de l’Israélien moyen, mais en ressortit autre qu’il n’était entré [63]. »
57Cet article d’Anita Shapira peut se lire comme une analyse, nettement critique, de l’approche d’Arendt. Mais il donne également un aperçu de l’un des centres d’écriture sur le procès Eichmann tel qu’il s’exprima dans les années 2000. Il s’agit d’écrits d’historiens issus du cocon des universités israéliennes qui traitèrent non de Hannah Arendt, mais de la société israélienne et du procès Eichmann.
Textes historiographiques
58Au début des années 1990, Tom Segev publia son livre Le Septième Million, les Israéliens et le génocide, ouvrage volumineux, qui couvrait la période des années 1930 jusqu’aux années 1990. Sur plus de 600 pages, le livre ne consacrait que 35 pages environ au procès Eichmann [64]. Segev, qui avait lancé la vague des écrits d’auteurs israéliens sur le procès dans les années 1990, illustrait le grand changement intervenu dans les textes portant sur les Israéliens et la Shoah. Et ce dans une perspective historique permettant désormais aux chercheurs d’examiner l’impact durable du procès sur les Israéliens. À cet égard, un autre aspect suscita l’intérêt des chercheurs : le fait que nombre de ceux qui étaient adolescents à l’époque du procès étaient devenus, en trois ou quatre décennies, un groupe social portant sur ses épaules les systèmes culturels et politiques de l’État. Il y eut donc un intérêt soutenu pour dévoiler l’ampleur de l’influence du procès et de l’histoire sur eux, véritable clé pour que les Israéliens comprennent leurs choix existentiels.
59En décrivant les réactions des Israéliens à l’annonce la capture d’Eichmann par Ben Gourion à la Knesset, Segev affirmait : « Le mot-clé, dans tout ce qui était dit et écrit à ce moment-là était “nous” : depuis la déclaration d’Indépendance, les Israéliens n’avaient plus éprouvé un tel sentiment d’unité nationale. » Segev consacrait une part centrale du chapitre à l’analyse de ce qui motiva Ben Gourion à organiser le procès. Parmi les conclusions principales, il y eut l’approche instrumentaliste du procès adoptée par Ben Gourion : les gains politiques que le Premier ministre d’Israël estimait pouvoir tirer du procès. Selon Segev, Ben Gourion
pensait en termes d’histoire et de philosophie, et il se rendait compte que la révolution israélienne avait laissé un certain nombre de problèmes fondamentaux en suspens. L’avenir de l’État n’était pas garanti, la majeure partie des Juifs n’avaient pas immigré, et Israël n’était pas devenu le centre du monde juif. Le retrait du Sinaï […] était présenté comme une capitulation […], les jeunes Israéliens perdaient l’esprit pionnier, et plutôt que dans le Néguev, leur centre de gravité se situait quelque part entre Tel-Aviv et New York. Le procès était censé leur inculquer l’orgueil national et leur rappeler qu’Israël était le seul pays au monde qui garantissait la sécurité aux Juifs [65].
61Segev développait ce point et voyait parmi les objectifs du procès une sorte de récupération de l’héritage de la Shoah par le Mapaï, une façon de laver l’opprobre s’attachant à ce parti à l’époque du procès Kastner. Il s’inspira principalement du livre d’Hausner pour décrire ses hésitations concernant l’ampleur du récit de la Shoah pendant le procès, sa sensibilité aux rapports entre Israël et l’Allemagne, la question du choix des témoins et son intérêt pour l’éducation de la jeunesse [66].
62Près de dix ans après la publication du Septième Million, et précisément 40 ans après l’ouverture du procès, parut L’État d’Israël contre Adolf Eichmann, qui examinait pour la première fois les préparatifs du procès d’après les documents d’archives auxquels le public eut accès de plus en plus aisément dans les années 1990. Ce livre, qui ne traitait pas du tout de Hannah Arendt, portait sur deux aspects : la préparation du procès et son impact sur la société israélienne. Ou, plus exactement, sur trois composantes de la société israélienne : les rescapés de la Shoah, les jeunes et la population juive non européenne qui, dans les années 1960, constituait déjà près de la moitié de la population juive d’Israël.
63La thèse principale de ce livre était différente de l’interprétation de Tom Segev, Ben Gourion étant cette fois-ci décrit comme à la remorque de l’événement et non comme son initiateur, puisqu’il n’en avait pas parfaitement saisi la puissance et parce que ce n’est que plus tard qu’il fut convaincu de son énorme influence sur l’opinion publique israélienne. Le thème de l’instrumentalisation attribuée à Ben Gourion dans le livre de Segev et, ultérieurement dans celui d’Idit Zertal, n’apparaît pas ici.
Deux époques se distinguent dans la description de l’attitude de Ben Gourion à l’égard du procès. La première est l’année 1960, époque où Eichmann fut capturé, amené en Israël et où se déroulèrent les débats publics et internationaux sur la question du droit d’Israël de le juger ainsi que sur la légitimité de son enlèvement. Le tout à l’ombre de la crise dans les relations entre Israël et l’Argentine, pays où Eichmann avait été enlevé. La deuxième époque commence peu avant l’ouverture du procès qui devint un événement collectif d’une forte puissance émotionnelle dans la société israélienne [67].
65Au cours de la première époque, il semble que Ben Gourion ne saisit pas du tout la puissance collective que recelait le procès. Plutôt ampoulée, fort peu caractéristique de l’homme, sa rhétorique s’adressait principalement à l’extérieur. Elle était également imprégnée de concepts visant à mettre en évidence la primauté de l’État d’Israël pour le peuple juif. On en trouve un exemple dans la lettre qu’il adressa au quotidien Le Monde : « Le procès Eichmann fut le procès de Nuremberg du peuple juif [68] ». Il s’adressa par ailleurs au juge Joseph Proskauer, président d’honneur du Jewish American Committee, en réponse à sa lettre parue dans le Washington Post qui niait le droit d’Israël de juger Eichmann.
Les nazis ont assassiné aussi d’autres peuples, Polonais, Russes, Tchèques, etc. Ces peuples ont combattu l’Allemagne nazie, l’ont détruite et punie. Seuls les six millions de Juifs n’ont pas eu leur libérateur national, tant que l’État d’Israël n’était pas créé […] L’État juif (qui porte le nom d’Israël) est l’héritier des six millions de Juifs assassinés, l’unique héritier, car ces millions de personnes, contrairement à l’opinion du Washington Post, se considéraient comme membres du peuple juif [69].
67On trouve là une sorte d’allusion au contexte dans lequel Ben Gourion plaçait le procès dans un premier temps, le contexte du monde extérieur, celui de la politique internationale et de l’attitude à l’égard des Juifs du monde, deux niveaux sur lesquels Ben Gourion entendait fonder la centralité de l’État et l’ancrer dans la conscience juive.
68À cette époque, Ben Gourion n’avait pas vraiment saisi la signification du procès pour le pays et la société israélienne.
69Au cours d’une réunion du comité des rédacteurs, Arieh Dissentchik, rédacteur en chef de Maariv, demanda au Premier ministre de citer l’événement le plus important en Israël pour l’année 5720 [70] (1960). Ben Gourion répondit : « Je ne sais pas s’il y eut un événement marquant cette année. » « Eichmann ? » insista le journaliste Shalom Rosenfeld. La réponse de Ben Gourion est sidérante : « Eichmann – sur le plan journalistique –, ce fut un événement marquant [71]. » Dissentchik ne renonce pas : « Sur le plan de l’histoire ? » Et Ben Gourion, égal à lui-même : « Ce fut un événement sur le plan journalistique, pas au mauvais sens du terme. » Et il ajoute, semble-t-il avec humour : « Un journal n’est pas toujours une mauvaise chose, vous [Dissentchik] pensez que c’est mauvais, moi non [72]. »
70À l’approche de l’ouverture du procès, Ben Gourion réalise que celui-ci exerce une très forte influence sur l’opinion publique israélienne. Cette idée se renforce en lui au fur et à mesure que se déroulent les débats. Dans son journal, la veille de l’anniversaire de l’Indépendance en 1961, il note : « Je me suis attelé à la préparation de l’émission pour le jour de l’Indépendance. J’ai décidé de commencer par deux événements de l’année : le contact avec Bar Kokhba [découverte de rouleaux enfouis] et le procès Eichmann [73]. »
71Le soir de Rosh Hashanah 5722 [74], Ben Gourion rencontre le journaliste Yeshayaou Ben Porat. Contrairement à l’année précédente, en réponse à la question de Ben Porat sur les principaux événements de l’année, Ben Gourion répond : « Eh bien, cette année […] deux choses se sont produites : l’une, à la gloire d’Israël, est le procès Eichmann, l’honneur induit par le procès et l’enseignement qu’on peut en tirer ; et une chose dont j’ai choisi de ne pas parler, tâche sombre sur l’histoire juive comme il n’y en eut jamais en Israël et comme j’espère qu’il n’y en aura pas. Je ne veux pas en parler [il s’agissait de l’affaire Lavon ou de l’affaire d’espionnage d’Israël Bar [75]]. »
72Les aspects décisifs pour Ben Gourion montrent que, fondamentalement, pour lui, le procès qui allait se dérouler en Israël constituait un instrument. En particulier, les propos tenus étaient destinés au monde extérieur. Sur le plan intérieur, c’est-à-dire israélien, il ne saisit que plus tard la signification pleine et entière du procès. En ce qui concerne le monde extérieur, les relations avec l’Allemagne étaient essentielles pour Ben Gourion. Sur cette question, il intervint aussi directement tout au long du procès aux moments les plus sensibles des relations entre les deux pays. C’est pourquoi, en ce qui concernait la capture d’Adolf Eichmann et son jugement en Israël, Ben Gourion, loin d’avoir réfléchi et planifié les choses, suivit plutôt les événements et, dans une certaine mesure, on peut dire qu’il fut entraîné par eux [76].
73Dans un autre domaine, du point de vue de la société israélienne dans son ensemble, le livre Réactions à l’époque de la Shoah éclaire la nature du changement que provoqua le procès Eichmann dans l’attitude de la société israélienne à l’égard de la Shoah. On passe de l’information à la connaissance :
Les chercheurs étudiant la Shoah étaient parfaitement au courant du « problème d’information et de conscience [77] », relevant de la théorie de la connaissance, à savoir le fossé cognitif existant et le fossé temporel entre l’afflux de quantités d’informations et leur interprétation par la connaissance, connaissance réelle permettant l’élaboration d’une prise de conscience aboutissant à une action, et ce aussi bien au niveau de l’individu qu’à celui de la collectivité.
75Le problème de l’information et de la connaissance ne se cantonne pas à l’époque de la Shoah. On le retrouve également dans les années qui suivirent cette tragédie. En Israël, l’information sur la Shoah affluait, mais l’élaboration de cette information en une connaissance et une prise de conscience furent lents, et probablement ne pouvait-il en être autrement. Il ne faut d’ailleurs pas l’attribuer uniquement au caractère atypique de l’information, à sa puissance émotionnelle et au vaste mécanisme de refoulement dû à l’implication personnelle d’une importante partie de la population du pays. Le procès Eichmann suscita un double bouleversement : d’une part, il transmua une information en connaissance et en prise de conscience, de l’autre, il relia la Shoah à l’éthos national, processus qui, chez les rescapés – il faut le souligner –, avait commencé dès les années 1950.
76En plein déroulement du procès, et peu avant son dénouement, Haïm Gouri formulait ainsi les choses :
Car enfin, nous savions ces choses-là, non ! ?
Nous savions, oui. Même avant le procès Eichmann, nous savions. Les chercheurs, les historiens et les compilateurs s’étaient livrés à un travail sans fin en Israël et à l’étranger ; ils nous avaient fourni toute une documentation, et bon nombre de personnes avaient fermé les yeux sur ces documents. Yad Vashem existait, de même que le musée de la Shoah et de la Révolte dans Beit Yitzhak Katznelson, au kibboutz Lohamei Haghettaot.
Or, lorsque ces documents parvinrent sur le bureau des procureurs et furent intégrés dans l’acte d’accusation, lorsque ces documents surgirent du silence des archives, il sembla alors qu’ils parlaient pour la première fois, et que cette connaissance-là fut différente de la connaissance précédente [78].
Il se produisit en eux un changement identique à celui que subissent les choses qui, de théoriques, prennent corps, et se libéra en eux une énorme énergie, celle du « désormais, je saisis ».
Désormais, pour eux, la Shoah se déroulait maintenant, et non à une date passée, située entre ces années-là [les années 1940] et le début du procès.
Ces archives commencèrent à prendre vie, une vie terrible, et nous eûmes un moment le sentiment d’être envahis par le chaos. Mais le chaos céda la place à l’ordre cruel des faits et des précisions ; du sein du brouillard de la généralisation, nous vîmes cette destruction se reconstituer dans ses détails [79].
78Cette nouvelle connaissance remit à l’ordre du jour des expressions qui étaient passées dans la langue commune et admises dans une grande partie du public israélien, par exemple « aller à la mort comme des moutons à l’abattoir », ou des associations telles « Shoah et héroïsme », « Shoah et renaissance ».
79Cette nouvelle connaissance conduisit à un examen de conscience approfondi pour tout ce qui concernait « le Yishouv et la Shoah » : les Juifs d’Eretz Israël firent-ils tout ce qui était en leur pouvoir pour leurs frères pris au piège en Europe ? Enfin, le procès et l’expérience de la Shoah qu’il mit à jour amorcèrent un changement profond dans les composantes de l’identité nationale israélienne, un changement dont les signes peuvent être observés dans la société israélienne au cours des quarante années qui suivirent.
80De nombreux travaux historiques réalisés dans les années 1990 et 2000 portèrent sur la complexité de la conscience de la Shoah dans la société israélienne et tentèrent d’y déceler les moments-clés, l’un des plus marquants, peut-être le plus marquant étant le procès Eichmann [80]. Dans nombre de ces travaux, on trouve une affligeante description du gouffre creusé entre les résidants du Yishouv ou nés en Eretz Israël et les rescapés de la Shoah, ainsi qu’entre les premiers récits sur la Shoah, phénomène sans précédent au point qu’il fut très difficile de les accepter et de les intégrer. Comme le montre Anita Shapira : « Le Yishouv savait et ne savait pas qu’il y avait eu une Shoah, le Yishouv avait souffert et n’avait pas souffert de la catastrophe. Il n’y avait pas eu d’intériorisation de la Shoah en tant qu’élément formateur de l’éthos national. En fait, ce ne fut qu’après le procès Eichmann que la Shoah devint l’affaire des rescapés en particulier, et celle du peuple d’Israël tout entier [81]. » S’inséra également le principe complexe de « disqualification de l’exil » qui, selon les auteurs valorisait le nouvel Israélien, courageux, fier, sûr de lui, et dénigrait les Juifs d’Europe, passifs, terrorisés, massacrés en masse. Oz Almog déclara à cet égard que « la place centrale consacrée à l’épopée des partisans dans la conscience de la Shoah, conduisit à une certaine distanciation vis-à-vis des victimes, et souvent même à un certain émoussement de la sensibilité dans le Yishouv pour tout ce qui avait trait à la Shoah, et ce, jusqu’au procès Eichmann ». Il ajoutait que « l’éthos de la disqualification de l’exil avait également exercé une influence sur l’attitude à l’égard des rescapés de la Shoah en Israël […] Cette image du Juif de l’exil, physiquement et psychologiquement fragile, opposé à l’Hébreu sain et fort, était ancrée dans l’éthos pionnier [82] ».
81Il en résulta ce qu’on appela « le grand silence », c’est-à-dire le refoulement de la Shoah dans la conscience israélienne. Les expressions les plus nettes de ce refoulement furent l’absence de la Shoah dans le système éducatif, la réticence à entendre parler de ce sujet ou à en parler, et sa place marginale dans le débat public. Comme l’expliqua Irit Keinan :
Les difficultés de dialogue entre les rescapés et la société et ses responsables suscitèrent la « relation du silence » […] Ce processus, qui accentua l’isolement et le sentiment d’anomalie, renforça chez les rescapés l’impression qu’ils ne pouvaient pas partager ce vécu de la Shoah si ce n’est avec d’autres rescapés. En Israël, le changement ne commença à se faire sentir qu’après le procès Eichmann en 1961, procès qui, pour la première fois, révéla au monde entier des témoignages de rescapés et en fit même un centre d’intérêt général [83].
83Chez la plupart des chercheurs, la description est identique, mais tous présentent le procès Eichmann comme un tournant spectaculaire. Shapira affirme que la Shoah a été séquestrée par les rescapés qui en ont privé le peuple d’Israël ; Almog parle du brouillage de la distinction entre le Juif d’exil et le Juif hébreu. Daniel Gutwein adopte une perspective différente, puisqu’il distingue trois phases principales du processus d’élaboration de la mémoire collective de la Shoah en Israël. Selon lui, à chacune de ces phases, une mémoire dominante se distingue qui marginalise les autres mémoires. La première phase, qu’il qualifie de « dichotomique », commence « avec le choc de la découverte des atrocités de la Shoah », et se caractérise par une réaction dichotomique : un mélange d’identification avec les victimes et leurs souffrances d’une part, une critique de leur comportement et l’utilisation de leurs souvenirs d’autre part. Le clivage s’exprima pour l’essentiel dans le statut accordé à la révolte des ghettos – donnée en exemple –, assorti de la critique de « ceux qui allèrent comme des moutons à l’abattoir ». Gutwein désigne la deuxième phase comme une « appropriation collective de la mémoire » et la fait commencer avec le procès Eichmann. Le fait de s’identifier aux victimes écarte toute critique concernant leur comportement. La mémoire de la Shoah permet de s’identifier à l’exil tout en établissant un parallèle entre le destin juif et le destin israélien. La troisième phase, celle de la « mémoire individuelle », commence dans les années 1980 et se caractérise par la transformation de la Shoah en expérience personnelle portant surtout sur le sort des Juifs en tant qu’individus : en tant que victimes, en tant que déportés, en tant que rescapés ou en tant que membres de la deuxième génération. Tout comme Almog, Gutwein voit lui aussi dans le procès Eichmann l’événement qui renforça l’empathie pour les victimes de la Shoah, avec leurs récits et leur passé [84]. Weitz partage une conception identique, bien qu’il la formule de façon légèrement différente : « Le procès Eichmann fut une expérience unificatrice et purificatrice […] Il fut la catharsis grâce à laquelle [les rescapés] furent lavés de l’opprobre qui s’attachait à eux et à nombre de leurs dirigeants depuis les années 1950. Cette délivrance fut une condition sine qua non pour pouvoir adopter de nouvelles approches [85]. » Gershon Shaked, spécialiste de la littérature, décrivit ce tournant sur un mode littéraire :
Le procès Eichmann […] mit en évidence l’ampleur de l’extermination et l’horreur impuissante de ceux qui y furent confrontés [à la Shoah]. Les livres de Haïm Gouri, né en Eretz Israël, parus après le procès Eichmann, Face à la cage de verre (1962), L’Affaire chocolat (1965), constituent un témoignage déterminant du tournant radical intervenu dans l’attitude des habitants d’Israël à l’égard de la question. Au cours de ces années pénétra dans le cercle de la littérature hébraïque la conscience que les victimes et les rescapés faisaient partie de l’expérience israélienne et qu’ils avaient une légitimité littéraire et sociale, au même titre que les nouveaux Hébreux [86].
85Tous les auteurs – historiens, sociologues ou critiques littéraires – ont ressenti à sa mesure l’impact exercé par le procès sur l’opinion publique. En marge, on peut ajouter que le public connaissait la plupart des auteurs et leur biographie, avait entendu leur voix et les avaient vus. Avec un peu d’audace, on peut affirmer que le procès fut aussi pour eux, sur le plan personnel, une expérience formatrice. Leurs écrits peuvent donc être considérés comme une quête de soi. Tous y virent un tournant qui aboutit, dans la société israélienne, à l’ouverture des cœurs en faveur des rescapés, de leurs récits et vers le monde spirituel et culturel dont ils provenaient. Cette ouverture suscita à son tour une profonde nostalgie de leur monde. Ce processus se poursuit jusqu’à aujourd’hui et se renforce même, compte tenu de la disparition extrêmement rapide de la génération des rescapés du paysage humain d’Israël.
Notes
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[1]
Université Ben-Gourion et misée d’Histoire des combattants du ghetto (Lohamei haGhettaot).
-
[2]
Ce terme désigne à la fois la population juive et l’ensemble des institutions politiques, économiques et culturelles mises en place avant l’indépendance de l’État d’Israël. (N.d.T.)
-
[3]
Briefing interne (« Ne pas publier ») aux membres du ministère des Affaires étrangères, peu avant l’ouverture du procès, Archives de l’État d’Israël (AEI), Extérieur, 13352/9.
-
[4]
Haïm Gouri, Face à la cage de verre, Tel-Aviv, 1961, p. 11, en hébreu ; William Hull, The Struggle for a Soul, Garden City (New York), Doubleday, 1963 ; Harry Mulisch, Criminal Case 40/61, The Trial of Adolf Eichmann : an Eyewitness Account, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2005 (ce dernier livre parut en néerlandais en 1961).
-
[5]
Peter Papadatos, The Eichmann Trial, Londres, Stevens & Sons, 1964.
-
[6]
Gershom Sholem, Devarim bego : Pirkei Morashah ou-Tehia [« Explications et implications. Écrits sur l’héritage et la renaissance du judaïsme »], Tel-Aviv, Am Oved, 1975, ci-après Devarim bego. La lettre à Hannah Arendt qui figure dans ce livre fut écrite par Scholem en 1963. Jacob Robinson, Et ce qui n’est pas droit doit être redressé : les Juifs d’Europe face à la Shoah, à la lumière de la vérité historique et du procès Eichmann à Jérusalem et selon les normes internationales, Jérusalem, 1966 en hébreu (paru en anglais sous le titre And the Crook Shall Be Made Straight : The Eichmann Trial, the Jewish Catastrophe and Hannah Arendt’s Narrative, Philadelphie, Jewish Publication Society of America, 1965), ci-après Et ce qui n’est pas droit… Robinson était un historien juif américain qui contribua considérablement aux poursuites intentées par les Israéliens. Robert Kempner, Profession : exterminateur, la voie choisie par Eichmann, Jérusalem, 1963, en hébreu, ci-après, Profession : exterminateur.
-
[7]
Hannah Arendt, Eichmann in Jerusalem, A report on the Banality of Evil, New York, Viking Press, 1963 (traduit en français sous le titre Eichmann à Jérusalem, Rapport sur la banalité du mal, Gallimard, 1966, réédité dans la collection Quarto, 2002).
-
[8]
Moshé Perlman, Comment Eichmann fut capturé, Tel-Aviv, 1961, en hébreu (paru en anglais sous le titre The Capture and Trial of Adolf Eichmann, New York, Simon and Schuster, 1963).
-
[9]
Profession : exterminateur, op. cit., p. III.
-
[10]
Haïm Gouri, Face à la cage de verre, op. cit.
-
[11]
Voir ci-dessus, note 6.
-
[12]
Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du mal, Tel-Aviv, 2000, en hébreu.
-
[13]
Uri Avneri, La Croix gammée. Eichmann : l’homme et son époque, Tel-Aviv, 1965, en hébreu, ci-après La Croix gammée.
-
[14]
Sur le modèle anglo-saxon, en Israël, la majeure partie des livres importants sont édités avec une couverture rigide. (N.d.T.)
-
[15]
Pour de plus amples développements, voir Hanna Yablonka, « La loi et le droit contre les nazis et leurs collaborateurs – décrets d’application et conception du monde », Cathedra, n° 82, Jérusalem, 1997, pp. 135-153.
-
[16]
Pour de plus amples développements, voir Yehiam Weitz, L’Homme qui fut assassiné deux fois : la vie, le jugement et la mort d’Israël Kastner, Jérusalem, 1995, en hébreu.
-
[17]
Nathan Alterman, « Portrait », I, Davar, 9 juin 1961, p. 2.
-
[18]
Gideon Hausner, Le Procès de Jérusalem, Tel-Aviv, 1980, 2 volumes ; Isser Harel, La Maison de la rue Garibaldi, Tel-Aviv, 1975, en hébreu (paru en anglais sous le titre The House on Garibaldi Street, New York, Viking Press, 1975 ; paru en français sous le titre La Maison de la rue Garibaldi, Recherche et capture d’Adolf Eichmann, Paris, Laffont, 1976). Bien évidemment, ce livre ne pouvait paraître à l’époque du procès, compte tenu de la censure. Shimon Herman, Identité juive, regard psycho-social, Jérusalem, 1979, pp. 73-96, en hébreu. Il ne s’agit pas d’un ouvrage historiographique, mais l’analyse historico-sociale permet de le citer dans la bibliographie du présent article [ci-après Identité juive].
-
[19]
Voir par exemple Eliezer Don Yehiya, « Memory and Political Culture : Israeli Society and the Holocaust », Studies in Contemporary Jewry IX, 1993, pp. 139-161.
-
[20]
Yehiam Weitz, « Le procès Eichmann, un tournant », Dapim leHeker haShoah, n°11, 1993, pp. 175-188, ci-après « Le procès Eichmann ».
-
[21]
Identité juive, op. cit., p. 76.
-
[22]
Idit Zertal, La Nation et la Mort, histoire, mémoire, politique, Or Yehouda, 2002, en hébreu (paru en français sous le titre La Nation et la Mort : la Shoah dans le discours et la politique d’Israël, Paris, La Découverte, 2004). Ainsi que, dans une certaine mesure, Tom Segev, Le Septième Million, les Israéliens et la Shoah, Jérusalem, 1991, paru en français sous le titre,Le Septième Million, les Israéliens et le génocide, Paris, éditions Liana Levi, 1993). Ci-après Le Septième Million.
-
[23]
Yaacov Lozowick, Les Bureaucrates de Hitler, la police de sûreté nazie et la banalité du mal, Jérusalem, 2001, en hébreu (paru en anglais sous le titre Hitler’s Bureaucrats, The Nazi Security Police and the Banality of Evil, Londres et New York, Continuum International Publishing Group, 2005), ci-après Les Bureaucrates de Hitler. Elhanan Yakira, Post-sionisme, post-Shoah, trois chapitres sur le négationnisme, l’amnésie et la disqualification d’Israël, Tel-Aviv, 2006, en hébreu.
-
[24]
Motti Shalem, Dani Baltmann et al., BeShvil haZikaron (« Sur la voie de la mémoire »), BeEin Actuali, 40 ans après le procès Eichmann, 41, avril-mai 2001, en hébreu, ci-après, « Sur la voie de la mémoire ».
-
[25]
Gabriel Bach, « Considérations et réflexions, 30 ans après le procès Eichmann », pp. 4-15, Leora Bilsky, « Comme un phénix : Arendt à Jérusalem en l’an 2000 », pp. 16-23, Sari Reuveni, « “L’affaire hongroise” lors du procès Eichmann : quelques aspects », pp. 32-35 ; tous ces articles en hébreu se trouvent dans BeShvil haZikaron.
-
[26]
Daniel Gutwein, « L’individualisation de la Shoah, politique, mémoire et historiographie », Dapim leHeker haShoah, n° 15, 1998, pp. 7-52, ci-après « L’individualisation de la Shoah », à paraître en français.
-
[27]
Voir Eliezer Don Yehiya, « Memory and Political Culture », art. cit., ainsi que Yehiam Weitz, « Entre la catharsis et le combat au couteau – le “procès Eichmann” et “l’affaire Kastner” ; leur influence sur la société israélienne », in Daniel Gutwein et Menahem Mautner, Droit et histoire, Jérusalem, 1999, pp. 395-423.
-
[28]
Anita Shapira, Le Procès Eichmann, questions de perspective, Jérusalem, 2002. Il s’agit d’un article paru en brochure, se fondant sur la conférence donnée par Anita Shapira lors du colloque organisé à Jérusalem en 2001 par Yad Vashem et l’Université hébraïque, à l’occasion du 40e anniversaire du procès Eichmann, en hébreu. Ci-après, Questions de perspective. Ce texte est paru en anglais sous le titre « The Eichmann Trial : Changing Perspectives », in The Journal of Israeli History, vol. XXIII, n° 1, printemps 2004, pp. 19-39.
-
[29]
Tom Segev, Le Septième million, op. cit.
-
[30]
Hannah Yablonka, L’État d’Israël contre Adolf Eichmann, Tel-Aviv, 2001, ci-après L’État d’Israël contre Eichmann.
-
[31]
Leora Bilsky, « Judgment in the Shadow of the Holocaust », Theoretical Inquiries in Law, volume 1, n° 2, juillet 2000.
-
[32]
Penina Lahav, Israël en jugement, Shimon Agranat et le siècle sioniste, Tel-Aviv, 1999, en hébreu, pp. 203-227.
-
[33]
Voir Gabriel Bach, « Considérations et réflexions », art. cit., et Leora Bilsky, « Judgment in the Shadow of the Holocaust », art. cit.
-
[34]
David Bankier et Dan Michman, Holocaust Research in Context, The Emergence of Research Centers and Approaches, Jérusalem, à paraître.
-
[35]
Le livre parut d’abord sous forme d’une série d’articles publiés dans le prestigieux hebdomadaire américain The New Yorker. Publié en anglais en 1963, il a été réédité en 1964. Une trentaine d’années plus tard, il fit l’objet de deux autres éditions, en 1991 et en 1992. Il semble que ce phénomène soit lié au regain d’intérêt général, et non exclusivement israélien, pour les écrits d’Arendt, en particulier son analyse du procès Eichmann.
-
[36]
Questions de perspective, op. cit., p. 92.
-
[37]
Le Septième Million, op. cit., p. 338 (de l’édition en hébreu).
-
[38]
Ibid., p. 423 de l’édition en français.
-
[39]
P. 29 de l’édition en hébreu.
-
[40]
P. 28 de l’édition en hébreu.
-
[41]
Voir par exemple son attitude à l’égard du témoignage de Yehiel Dinur (KaZetnik), le témoin qui reflète le mieux le procès. Eichmann à Jérusalem, op. cit., pp. 233-234 de l’édition en hébreu.
-
[42]
P. 126 dans l’édition en hébreu.
-
[43]
Souligné dans l’original, pp. 262-263 de l’édition en hébreu.
-
[44]
P. 299 dans l’édition en hébreu.
-
[45]
La Nation et la Mort, op. cit. : « De la salle de Beit Haam aux murs du Temple » (pp. 135-178) et « Entre l’amour du monde et l’amour d’Israël » (pp. 179-223).
-
[46]
La Nation et la Mort, op. cit., p. 139.
-
[47]
Ibid., pp. 151-153.
-
[48]
Yaacov Lozowick, Les Bureaucrates de Hitler, op. cit.
-
[49]
Ibid., p. 11.
-
[50]
Ibid., p. 17.
-
[51]
Ibid., p. 14.
-
[52]
Ibid., p. 227.
-
[53]
Elhanan Yakira, Post-sionisme post-Shoah, op. cit.
-
[54]
Ibid., p. 173.
-
[55]
Ibid., p. 175.
-
[56]
Ibid., p. 176.
-
[57]
Ibid., p. 250.
-
[58]
Ibid., p. 240.
-
[59]
Voir Anita Shapira, Le Procès Eichmann, questions de perspective, op. cit.
-
[60]
Questions de perspective, op. cit., p. 9.
-
[61]
Terme désignant un Israélien né dans le pays.
-
[62]
Questions de perspective, op. cit., pp. 10-11.
-
[63]
Dans l’édition en français, sur les 688 pages du livre, 45 sont consacrées au procès Eichmann. (N.d.T.)
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[64]
Le Septième Million, op. cit., p. 310 (p. 387 dans l’édition en français).
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[65]
Ibid., op. cit., pp. 311-312.
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[66]
Ibid., op. cit., pp. 319-325.
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[67]
L’État d’Israël contre Adolf Eichmann, op. cit., pp. 59-67.
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[68]
Cité par Davar, 21 juin 1960, p. 2.
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[69]
Ben Gourion à Proskauer, 8 juillet 1960, Archives Ben Gourion (ci-après ABG), correspondance. Au cours de ces années, le Jewish American Committee s’opposait à l’idée que l’État d’Israël représentait les Juifs du monde.
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[70]
La rencontre eut lieu en septembre 1960, peu avant le nouvel an juif (Rosh Hashanah) 5720. La réunion avec le comité de rédaction se tint le 13 septembre 1960, ci-après « Les réunions ».
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[71]
Souligné par nous.
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[72]
On trouve des échos de cet entretien intéressant dans le numéro de Rosh Hashanah de Maariv, daté du 21 septembre 1960. En manchette du journal, Ben Gourion était cité disant le contraire des propos tenus lors d’un entretien selon lesquels « l’opération Eichmann avait introduit une justice historique dans la vie de notre peuple, grâce à l’existence d’Israël ».
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[73]
Journal de Ben Gourion, 18 avril 1961, ABG, journaux intimes.
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[74]
Le nouvel An juif, en l’occurrence le 10 septembre 1961. (N.d.T.)
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[75]
Rencontre entre Ben Gourion et Ben Porat, 2 septembre 1961, ibid. Rencontres ; id. dans la lettre à Enrico Prat, 13 septembre 1961, ibid. Correspondance ; Rencontre avec Rotter, l’un des dirigeants syndicalistes des États-Unis, Journal de Ben Gourion 14 mai 1961, ibid., journaux intimes.
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[76]
Ces dernières années, on a émis l’hypothèse que le procès Eichmann avait été destiné à présenter au monde le bien-fondé des craintes d’Israël concernant les Arabes, et ce en prélude à la révélation des activités nucléaires. Je n’ai trouvé aucun justificatif dans les documents si ce n’est quelques vagues preuves indirectes, comme une question posée par Moshé Sneh : « La construction de la centrale nucléaire dans le Néguev s’effectue-t-elle sans la moindre aide de l’Allemagne de l’Ouest, directement ou par l’intermédiaire de la France ? » Moshé Sneh à Ben Gourion, 21 décembre 1960, ABG, Correspondance. Il y a peut-être là une explication partielle à l’insistance extérieure marquée accordée par Ben Gourion au procès durant la première époque. Il faut également rappeler, à cet égard, la conception déclarée de Ben Gourion concernant l’identité entre nazis et Arabes, leurs continuateurs, qui s’exprima par l’intervention de la ministre des Affaires étrangères dans l’élaboration de l’acte d’accusation.
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[77]
Yehuda Bauer, Réactions à l’époque de la Shoah : Tentatives de survie, résistance, sauvetage, Tel-Aviv, 1983, en hébreu, p. 85 (paru en anglais sous le titre Jewish reactions to the Holocaust, Tel-Aviv, MOD Books, 1989).
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[78]
On peut rapprocher ces propos de ceux tenus par l’écrivain Meyer Levin, à propos de la libération du camp d’Ohrdruf par les troupes américaines, le 4 avril 1945 : « Nous savions. Le monde en avait vaguement entendu parler. Mais jusqu’à présent, aucun d’entre nous n’avait vu cela. C’était comme si nous avions enfin pénétré à l’intérieur même de ce cœur noir et malfaisant », in Chronique de la Shoah, édité par l’Association B’nai Brit Golda Meir, de Nice, 2005, p. 591. (N.d.T.)
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[79]
LaMerkhav, 10 septembre 1961, p. 5.
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[80]
Liste de publications choisies (par ordre alphabétique des noms d’auteur) : Almog, Le Sabra – portrait, Tel-Aviv, 1997, en hébreu (ci-après, Le Sabra – portrait), pp. 142-144 ; Daniel Gutwein, « L’individualisation de la Shoah », op. cit., p. 7 ; Gershon Shaked, « Entre le Mur occidental et Massada – La Shoah et la conscience de soi dans la société israélienne », in Israël Gutman, Changements fondamentaux intervenus dans le peuple juif après la Shoah, Jérusalem, 1996 (ci-après « Entre le Mur occidental et Massada »), pp. 511-523 ; Anita Shapira, « Rencontre du Yishouv avec les rescapés » in Anita Shapira, Sur la ligne d’horizon, Tel-Aviv, 1989, en hébreu (ci-après « Rencontre du Yishouv »), pp. 325-355 ; Weitz, Le Procès Eichmann, op. cit. ; Irit Keinan, La faim ne s’est pas apaisée. Les rescapés de la Shoah et les émissaires d’Eretz Israël en Allemagne, 1945-1948, Tel-Aviv, 1996 (ci-après La faim ne s’est pas apaisée), pp. 196 et sq.
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[81]
Shapira, « Rencontre du Yishouv », art. cit., p. 325.
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[82]
Almog, Le Sabra – portrait, op. cit., pp. 142-143.
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[83]
Irit Keinan, La faim ne s’est pas apaisée, op. cit., pp. 195-196 ; Tom Segev, Le Septième Million, op. cit., pp. 138-148. De façon significative, Segev a intitulé ce chapitre « Réduits au silence » (dans la version française, ce chapitre 9 est intitulé « Une barrière de sang et de silence », N.d.T.).
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[84]
Gutwein, « L’individualisation de la Shoah », op. cit., pp. 7-9.
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[85]
Weitz, op. cit., p. 188.
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[86]
Shaked, Entre le Mur occidental et Massada, op. cit., p. 521.