Notes
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[1]
Gilead Morahg est professeur de littérature hébraïque à l’université de Winconsin, Madison (États-Unis).
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[2]
Voir Mosché Zuckermann, Shoah baheder haatoum (« Shoah dans la pièce étanche »), Tel Aviv, Hamehaber, 1993, pp. 19-22. Une version anglaise antérieure, mais conceptuellement identique de l’argument a paru dans Zuckermann, « The Curse of Forgetting : Israel and the Holocaust » (« La malédiction de l’oubli : Israël et la Shoah »), Telos : A Quaterly Journal of Critical Thought, n° 78, 1988-89, pp. 43-55. Pour un débat éclairant sur la dynamique culturelle qui a influencé la réaction littéraire d’Israël à la Shoah jusqu’au début des années 1980, voir Sidra deKoven Ezrahi, « Revisioning the Past : The Changing Legacy of the Holocaust in Hebrew Literature », Salamagundi, 68-69, 1985-86, p. 245-269.
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[3]
Pour un examen des premières œuvres d’Appelfeld, voir Alan Mintz, Hurban : Responses to Catastrophe in Hebrew Literature, New York, Columbia University Press, 1984. Autres études utiles sur Appelfeld : Guila Ramras-Rauch Aharon Appelfeld : The Holocaust and Beyond, Bloomington, Indiana University Press ,1994 ; Lily Rattok, Bayit al blima (« Une maison précaire : l’art narratif d’A. Appelfeld »), Tel Aviv, Heker, 1989 ; Yigal Schwartz, Kinat hayahid venetzah hashevet (« Lamentations de l’individu et éternité de la tribu. Aharon Appelfeld, Tableau de son monde »), Jérusalem, Magnes et Keter, 1996 ; et, dans ce volume, l’article de Masha Itzhaki (p. 89-98).
-
[4]
Édition française : Paris, Denoël, 2002.
-
[5]
Pour une étude plus complète (en anglais) sur les ouvrages de fiction portant sur la Shoah au milieu des années 1960, voir Sidra deKoven Ezrahi, By Words Alone : The Holocaust in Literature, Chicago, University of Chicago Press, 1980 pp. 103-107, 114-115, p. 127 ; Mintz, Hurban, op. cit., pp. 239-258 ; et Shaked, « Facing the Nightmare : Israeli Literature on the Holocaust », in Guila Ramras-Rauch et Joseph Michman-Melkman, Facing the Holocaust, Jewish Publications Society, 1985, p. 273-288.
-
[6]
Édition française : Paris, Stock, 1980.
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[7]
Pour un débat sur l’éventuelle influence exercée par Adam ressuscité de Kaniuk sur la littérature postérieure sur la Shoah, voir Yael S. Feldman, « Whose Story Is It, Anyway ? Ideology and Psychology in the Representation of the Shoah in Israeli Literature », in Saul Friedlander, Probing the Limits of Representation : Nazism and the “Final Solution”, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, pp. 223-239.
-
[8]
Pour un examen de la façon dont la littérature israélienne a supprimé d’autres aspects de l’expérience israélienne ne correspondant pas au récit sioniste, voir Yaron Ezrahi, Rubber Bullets : Power and Conscience in Modern Israel, New York, Farrar, 1997, pp. 186-187.
-
[9]
Shaked, « Les enfants », p. 312.
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[10]
Voir par exemple les ouvrages de Liebrecht, Semel, Buchan et Govrin (cf. la bibliographie à la fin de cet article).
-
[11]
Édition française : Paris, Seuil, 1991.
-
[12]
Pour des critiques représentatives des écrivains israéliens considérés comme ayant violé un « code moral » et franchi les « lignes rouges » éthiques en lançant des représentations imaginaires des horreurs de la Shoah, voir Avner Holtzman, « The Holocaust Theme in Israeli Fiction : A New Wave », Dappim Lemehkar besifrout, 10, 1996, pp. 147-154.
-
[13]
Outre Introduction à la littérature fantastique, de Tzvetan Todorov, Paris, Seuil, 1970 (version anglaise : The Fantastic : A Structural Approach to a Literary Genre, Ithaca, Cornell University Press, 1975), les ouvrages suivants m’ont aidé à comprendre le fantastique : Kathryn Hume, Fantasy and Mimesis : Responses to Reality in Western Literature, New York, Methuen, 1981 ; Rosemary Jackson, Fantasy, The Literature of Subversion, New York, Methuen, 1981 ; Eric S. Rabkin, The Fantastic in Literature, Princeton, Princeton University Press, 1976 ; et Julio Rodriguez-Luis, The Contemporary Praxis of the Fantastic : Borges and Cortázar, New York, Garland, 1991.
-
[14]
Todorov, op. cit., p. 158-159.
-
[15]
Rabkin, op. cit., p. 227. Pour un point de vue complémentaire, voir T. E. Apter, Fantasy Literature : An Approach to Reality, Londres, Macmillan, et Bloomington, Indiana University Press, 1982, pp. 6-11
-
[16]
Pour l’examen du fantastique dans la littérature de fiction israélienne, voir Ortsion Bartana, Hafantasia besipporet dor hamedina (« L’imaginaire dans la littérature israélienne des trente dernières années (1960-1989) »), Tel Aviv, Papyrus P, 1989, et Hillel Bartzel, Sipporet ivrit metarealistit (« Prose hébraïque méta-réaliste »), Ramat Gan, Israël, Massada, 1974.
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[17]
Pour une étude de recours au fantastique dans Les Anges arrivent de Ben-Ner, voir Guilead Morahg, « Subverting Dystopia : Yitzhak Ben-Ner’s Fiction of the Future », Prooftexts, 13 mars 1993, pp. 269-288.
Pour une vue d’ensemble de la nouvelle littérature d’Israël sur la Shoah, notamment les brèves études sur Una de D. Peleg et La Légende des lacs tristes d’I. Levi, voir
Avner Holtzman, « Trends in Israeli Holocaust Fiction in the 1980’s », Modern Hebrew Literature, 8-9, 1992, pp. 23-28. Pour d’autres études (en anglais) de Voir ci-dessous : amour de Grossman, voir Guershon Shaked, « The Children of the Heart and the Monster : David Grossman’s See Under : Love », Modern Judaism, 9 mars 1989, pp. 311-323 ; Naomi Sokoloff, « Reinventing Bruno Schulz, Cynthia Ozick’s The Messiah of Stockholm et David Grossman’s See Under : Love », AJS Review, The Journal of the Association for Jewish Studies, 13.1-2, 1988, pp. 171-191 ; et Imagining the Child in Modern Jewish Fiction, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1992, pp. 154-176 ; et “David Grossman : Translating the ‘Other’ in ‘Momik’ », in Leon Yudkin, Israeli Writers Consider the Outsider, Londres, Associated University Press, 1993, pp. 37-56, pp. 37-56. -
[18]
Les traductions de l’ouvrage de Grossman ont été constamment bien accueillies par la critique en Angleterre, en France, en Italie, en Allemagne et aux États-Unis. Dans sa critique de Voir ci-dessous : amour, Edmund White écrit que « c’est le roman majeur sur la Shoah parce qu’il s’agit précisément d’une enquête sur la difficulté à imaginer l’horreur à l’état pur. […] Dans quelques livres mythiques comme The Sound and the Fury (Le Bruit et la Fureur) de Faulkner, Le Tambour de Gunther Grass et Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez, de vastes conceptions de l’histoire sont exposées de façon novatrice. Voir ci-dessous : amour est peut-être un digne épigone de cette œuvre petite, mais géniale. »
-
[19]
David Grossman, Ayen erekh ahava, 1986. La version anglaise du roman est parue sous le titre See Under : Love, traduit en anglais par Betsy Rosenberg, New York, Simon, 1989. Pour la version française : Voir ci-dessous : amour, Paris, Seuil, 1991, traduit de l’hebreu par Judith Misrahi et Ami Barak. Les références de pages se rapportent aux versions en hébreu et en anglais (NDLR).
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[20]
Les Sonderkommandos étaient des « unités spéciales » de prisonniers chargés d’enlever les corps des chambres à gaz et de les transporter dans les fours crématoires.
-
[21]
Seuil, Paris, 1991, p. 29 [28]. Les numéros entre parenthèses mentionnent d’abord le numéro de la page du texte d’origine Ayen erekh : ‘ahava’, puis celui de la traduction en anglais See Under : Love. Bien que la traduction de ce livre soit plus réussie que celle de la plupart des romans en hébreu, j’ai souvent ressenti le besoin d’apporter ma propre traduction afin de préserver l’authenticité du texte d’origine. En conséquence, les citations figurant dans le présent article diffèrent souvent du texte de la traduction en anglais.
-
[22]
Op. cit., p. 75 [84-85].
-
[23]
Op. cit., pp. 100-101 [109], accent rajouté.
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[24]
La Rue des Crocodiles (1934) et Le Sanatorium au croque-mort (1937), réunis dans Bruno Schulz, The Complete Fiction of Bruno Schulz, traduit par Celina Wieniewska, New York, Walker, 1989 (version française : Bruno Schulz, Œuvres complètes, Paris, Denoël, 2004, traduit du polonais par Suzanne Arlet, Thérèse Douchy, Christophe Jezewski… [et al.]). Le manuscrit du Messie a été perdu et n’a jamais été retrouvé.
-
[25]
Op. cit., p. 142 [152].
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[26]
L’histoire finale de l’ouvrage de Schulz Le Sanatorium au croque-mort est intitulée « La dernière évasion du père ». Le père du narrateur finit par s’évader d’une vie qu’il déteste en se transformant en homard.
-
[27]
Op. cit., p. 106 [114].
-
[28]
Op. cit., pp. 129-130 [138-139].
-
[29]
Schulz, op. cit. (version anglaise), p. 139.
-
[30]
Cela souligne l’importance du modèle dans ce roman. Shlomo est en fait Shloma, fils de Tobias : Shlomo est l’équivalent hébreu de Shloma. Le nom du père de Shlomo, rarement mentionné, est Touvia (op. cit., p. 29 [28]), qui est l’équivalent hébreu de Tobias.
-
[31]
Op. cit., p. 157 [170].
-
[32]
Op. cit., p. 158 [170].
-
[33]
Op. cit., p. 158 [171].
-
[34]
Op. cit., p. 164 [178].
-
[35]
Op. cit., p. 163-164 [177].
-
[36]
Op. cit., p. 163 [177].
-
[37]
Op. cit., p. 152 [165].
-
[38]
Op. cit., p. 165-169 [179-184].
-
[39]
Op. cit., p. 266 [296].
-
[40]
Ce credo éthique et artistique est étonnamment voisin des conceptions de Mikhail Bakhtin. On peut soutenir que l’œuvre de Bakhtin relève des intertextes qui animent Voir ci-dessous : Amour. Pour un débat sur les aspects de la pensée de Bakhtin les plus en rapport avec ce roman, voir Gary Morson et Caryl Emreson, Mikhaïl Bakhtin : Creation of a Prosaics, Stanford, Stanford University Press, 1990, pp. 49-62 et 231-268.
-
[41]
(p. 174 [189])
-
[42]
Eric L. Santner, « History Beyond the Pleasure Principle : Some Thoughts on the Representation of Trauma », Saul Friedlander, Saul, Probing the Limits of Representation : Nazism and the “Final Solution”, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 320 [357-358].
-
[43]
Op. cit., p. 320 [357-358].
-
[44]
Op. cit., p. 320 [358].
1Compte tenu de l’impact de la Shoah sur l’histoire politique d’Israël et sur l’histoire personnelle de tant de ses habitants juifs, on s’attendrait à ce que les expériences de ce désastre occupent une place centrale dans les ouvrages de fiction écrits en Israël depuis son indépendance en 1948. Ce n’est pourtant pas le cas. Au cours des quatre premières décennies de l’État d’Israël, très peu d’œuvres littéraires cherchaient à donner réalité ces expériences en les transformant en un discours de fiction qui les rendrait émotionnellement et intellectuellement accessibles à ceux qui, heureusement, ne les avait pas connues, mais avaient été en grande partie formés par elles. L’absence quasi-totale de la Shoah dans la littérature d’Israël à ses débuts est une manifestation de l’orientation culturelle qui prévalait à l’époque. Élaborant la définition de son identité et de ses objectifs, la société israélienne naissante, nouvelle entité politique, avait tendance à éviter la tragédie et l’horreur du récent génocide juif en Europe [2]. Les exceptions littéraires les plus remarquables étaient les récits et nouvelles d’Aharon Appelfeld, écrivain accompli qui manifestait un intérêt soutenu pour la Shoah, ce qui relégua ses premières œuvres aux marges de la littérature israélienne [3].
2En 1961, les ondes de choc et la prise de conscience suscitées en Israël par le procès de Adolf Eichmann produisirent trois romans écrits par d’importants auteurs israéliens révélés immédiatement après la Shoah : Ni de ce temps, ni de ce lieu, de Yehouda Amichaï (1963), La Brigade de Hanokh Bartov (1965) et L’Affaire Chocolat de Haïm Gouri (1965 [4]). Aucune de ces œuvres ne comportait de scènes se déroulant à l’époque du désastre. La Brigade et L’Affaire Chocolat sont des tentatives avortées d’écrivains nés en Israël de pénétrer dans le monde intérieur des survivants de la Shoah. La Brigade et Ni de ce temps, ni de ce lieu présentent également des protagonistes israéliens qui estiment impossible d’agir selon leur désir pour faire payer les assassins nazis. Ce faisant, ils reflètent l’inutilité d’avoir recours à l’éthos israélien de l’action héroïque pour traiter de l’expérience de la Shoah. Mais aucun ouvrage ne suggère un moyen plus efficace.
3Sidra DeKoven Ezrahi a raison de souligner que ces romans « révèlent la frustration que suscitent les tentatives inutiles des Juifs après la Shoah de franchir d’un bond le fossé impossible à combler, et d’intégrer la Shoah dans le rêve [sioniste] révélé et la libération [5] ». Cependant, l’un de ces ouvrages, Ni de ce temps, ni de ce lieu d’Amihaï, recèle en germe ce qui s’avèrera finalement un mode plus prometteur pour tenter ce bond nécessaire. Dans son roman, Amihaï explore les possibilités narratives de combler le fossé du temps et de l’espace en s’écartant des conventions du réalisme qui prévalaient à l’époque en Israël et de faire en sorte que les expériences de son protagoniste se déroulent simultanément en Israël et dans l’Allemagne de l’après-guerre. La seule autre rupture importante du silence littéraire entourant la Shoah emprunte une orientation identique. Adam ressuscité de Yoram Kaniuk (1969 [6]) est le premier roman israélien qui tente de pénétrer de façon imaginaire dans le monde des camps de la mort. Roman profondément satirique peuplé de rescapés de la Shoah déséquilibrés et agissant sans considération des conventions d’une représentation réaliste, Adam ressuscité est un précurseur isolé des changements qui allaient se produire une décennie plus tard [7].
4Le long silence littéraire sur la Shoah a été systématiquement attribué au profond refus d’une culture traumatisée à l’idée de devoir accepter son expérience la plus abominable. Mais compte tenu de la persistance et de la précocité des références à la Shoah dans les discours politiques et idéologiques d’Israël, il est évident que le génocide était très présent dans la conscience collective du pays. Il est donc vraisemblable que l’absence prolongée du thème de la Shoah dans la littérature ne constitue pas la manifestation d’une amnésie nationale généralisée, mais plutôt la conséquence particulière d’un code culturel précis. Pendant de nombreuses années, le code culturel dominant en Israël s’articula sur le discours du sionisme idéologique. Dans ce discours, la Shoah était considérée comme l’inévitable aboutissement des conditions diasporiques et comme l’ultime manifestation d’une mentalité diasporique. En d’autres termes, la Shoah était l’exemple même de tout ce que le sionisme cherchait à rejeter. La nouvelle identité qu’il souhaitait forger devait être totalement déconnectée de l’histoire et de la psychologie du « Juif de Diaspora ». Le discours sioniste ne niait pas l’atrocité et l’horreur de la Shoah, mais il niait toute pertinence à ces événements pour l’expérience israélienne et pour la formation de l’identité israélienne. Et comme la littérature israélienne s’intéressait particulièrement aux questions d’expérience israélienne et d’identité israélienne, la Shoah en était en grande partie exclue [8]. Elle demeurait en toile de fond sombre et silencieuse d’une nouvelle et brillante réalité en pleine émergence. Les deux premières générations d’écrivains israéliens niaient implicitement tout lien avec les Juifs d’Europe assassinés en insistant sur la différence quasi-totale qui les séparait d’eux. Les victimes juives de la Shoah furent identifiées comme « autres », ce qui contribua à consolider l’identité des Israéliens qui se voulaient des « Juifs nouveaux ». En conséquence, ces victimes furent invariablement décrites comme une foule sans visage d’individus anonymes qui, dénués de l’héroïque résolution de leurs homologues israéliens, s’étaient laissés mener à l’abattoir comme des moutons.
5L’exclusion de la Shoah de la culture nationale d’Israël en pleine gestation fut renforcée par l’émergence d’une autre convention fort puissante, cultivée par les rescapés de la Shoah eux-mêmes. À leur arrivée en Israël, les rescapés furent engloutis par les impératifs de l’intégration dans une nouvelle société qu’ils étaient encouragés à considérer comme la leur, mais qui considérait l’ensemble de leur passé comme sans importance, voire honteux. Leur honte d’être des étrangers méprisés était souvent aggravée par la notion de culpabilité suscitée par les expériences de la survie. Il s’agissait non seulement de la culpabilité d’avoir survécu quand tant d’autres avaient péri, mais également de la culpabilité cachée et de la honte profonde pour ce qu’il avait souvent fallu faire pour survivre. Ils ressentaient intensément le besoin de se protéger, eux et leurs enfants, et de ne pas affronter les questions les plus douloureuses de la soumission, de la collaboration et de l’égoïsme souvent féroce qui avaient été nécessaires pour survivre.
6L’association de ces pressions exercées de l’intérieur et de l’extérieur en faveur d’un refus protecteur suscita un nouveau code puissant afférant au caractère sacro-saint de la Shoah, qui fut rapidement et totalement adopté par la société israélienne. Selon ce code, la vie des victimes de la Shoah était sanctifiée, et ce qu’ils avaient subi dans les ghettos et dans les camps était jugé inaccessible et incompréhensible à ceux qui ne l’avaient pas vécu. Les récits de ces survivants qui avaient choisi de témoigner étaient admis, voire encouragés. Mais toute tentative d’un non-rescapé de décrire ou d’expliquer ces expériences devenait l’intolérable violation d’un tabou sacro-saint [9].
7Les discours sur l’idéologie sioniste et l’inviolabilité de la Shoah se renforçaient l’un l’autre et fusionnèrent rapidement en un récit national qui découragea l’entreprise d’imagination à propos des expériences et détermina en grande partie le long silence littéraire sur le sujet. Cependant, la littérature produite en Israël depuis le milieu des années 1980 indique que, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre compte tenu des enjeux idéologiques, les écrivains israéliens sont de plus en plus nombreux à avoir découvert que, sans avoir vécu la Shoah, cet événement joue un rôle de premier plan dans leur vie. Leur œuvre est marquée par une conscience aiguë du fait que les blessures de l’histoire sont héréditaires et que l’identité israélienne est puissamment liée au malheur juif. Leurs nouvelles et leurs romans tentent d’exposer et d’explorer l’impact de la Shoah sur la vie des Israéliens d’aujourd’hui et sur l’actuelle dynamique de la société israélienne. Certaines de ces œuvres portent principalement sur la découverte et la description des profonds dégâts psychologiques résiduels qui envahissent la vie des descendants israéliens de la génération de la Shoah [10]. D’autres œuvres plus ambitieuses confirment les aperçus psychologiques du premier groupe, mais sont beaucoup plus audacieuses dans la quête de leurs implications existentielles. Leurs auteurs s’intéressent non seulement à la description des dégâts, mais sont disposés à prendre des risques considérables pour mettre à jour leur origine, observer leurs conséquences et explorer les perspectives de cicatrisation. Parmi ces œuvres, citons entre autres : Voir ci-dessous : amour de David Grossman (1986 [11]), Les anges arrivent de Yitzhak Ben-Ner (1987), Una de Dorit Peleg (1988), La Légende des lacs tristes d’Itamar Lévi (1989) et le roman de Ben-Ner, Des ours et une forêt (1995).
8Tous ces romans furent écrits au mépris du tabou mentionné plus haut, à savoir l’interdiction faite à des écrivains qui n’ont pas vécu ces supplices de donner une représentation imaginaire de cette expérience [12]. Chacun comprend une rencontre audacieuse avec les atrocités de l’univers concentrationnaire comme une étape essentielle du processus d’intégration de l’expérience de la Shoah dans l’identité de son protagoniste. Créer cette rencontre et examiner ses conséquences suppose l’abandon radical des normes culturelles en vigueur et la construction d’un nouveau type de discours. Défier les conventions du récit israélien sur la Shoah conduit invariablement – et peut-être inévitablement – les auteurs de ces romans à rechercher des modes littéraires peu orthodoxes, plus aptes à répondre aux exigences de leur récit iconoclaste. Fait révélateur, dans chaque cas, les stratégies narratives adoptées comprennent d’importants éléments empruntés au fantastique.
9Grâce aux travaux de Tzvetan Todorov et d’autres critiques qui ont affiné leurs réflexions sur la question, nous disposons aujourd’hui d’une conception assez précise du fantastique en tant que mode littéraire distinct. Le fantastique se définit par l’antinomie créée par la présence concomitante dans le texte de deux codes discursifs contradictoires et qui s’excluent mutuellement : le code de la nature, « réaliste » ou rationnel, et le code du surnaturel, « irréaliste », irrationnel ou – peut-être plus précisément – non naturel. Ces codes sont, de toute évidence, incompatibles. C’est pourquoi le fantastique construit à la fois sa structure et ses effets narratifs dans la contradiction qui voit un monde réaliste convaincant peu à peu gagné par des phénomènes peu naturels ou surnaturels, totalement impossibles dans un tel monde [13].
10Selon Todorov, « le fantastique nous permet de franchir certaines frontières inaccessibles tant que nous n’y avons pas recours ». Il donne accès à « certains thèmes tabous » interdits par les normes sociales, par des inhibitions psychologiques ou par une association des deux [14]. À la suite de Todorov, Rosemary Jackson s’intéresse plus particulièrement à la capacité du fantastique d’ouvrir des domaines d’expérience extérieurs au système de valeur dominant. Elle montre comment l’imaginaire cherche à compenser des manques résultant de contraintes culturelles, en retrouvant « le non-dit et le non-vu de la culture : ce qui a été passé sous silence, rendu invisible, occulté et rendu “absent” ». Eric Rabkin devance Rosemary Jackson lorsqu’il affirme que le fantastique représente un mode fondamental de recherche de la vérité et d’évaluation du réel, qui considère les concepts normatifs de la réalité comme rien de plus qu’un ensemble arbitraire de perspectives et d’espérances que nous étudions afin de survivre dans le présent [15]. Dans sa recherche des vérités cachées et passées sous silence, la littérature fantastique interroge et, invariablement, subvertit la validité de tels mécanismes de défense normatifs. Ces attributs font du fantastique un choix naturel pour les écrivains israéliens aspirant à pénétrer dans les domaines interdits de la psyché et de la culture, et ainsi à récupérer l’expérience étouffée de la Shoah.
11Étant donné qu’un tel usage du fantastique était inhabituel dans la fiction israélienne avant la parution des nouveaux romans sur la Shoah [16], la corrélation entre le désir de traiter des questions de la Shoah et la tendance à avoir recours au fantastique est plus que probable. Cette corrélation est évidente dans chacun des romans en question [17]. Comme le roman de Grossman est le premier et le plus accompli de ces ouvrages, et comme Grossman est aujourd’hui reconnu internationalement comme l’un des écrivains israéliens les plus importants, Voir ci-dessous : Amour offre un excellent exemple de cette nouvelle tendance de l’écriture israélienne [18].
12Voir ci-dessous : Amour [19] est l’histoire de Shlomo (Momik) Neuman, un enfant de rescapés de la Shoah. Élevé à Jérusalem dans les années 1950, il est entouré par le silence et la folie des survivants et devient obsédé par les mystères du monde que ces derniers essaient de cacher. Adulte, Shlomo devient écrivain et tente d’écrire l’histoire de son grand-père, Anshel Wasserman qui fut lui-même autrefois un auteur d’histoires d’aventures pour enfants, mais que Shlomo n’a connu que comme un rescapé des camps de la mort, déséquilibré et totalement incapable de s’exprimer. La première partie du roman, intitulée « Momik », relate les combats menés par Shlomo enfant pour donner un sens à son identité en tant qu’enfant de parents rendus incapables de parler du fait de leur passé et des horreurs auxquelles ils ont survécu. Il s’efforce de retrouver l’histoire que ses parents refusent de raconter et que son grand-père fou est incapable d’exprimer. Mais il est frustré par le silence des autres survivants et par les idées préconçues qui lui ont été inculquées du fait de son éducation israélienne.
13Dans « Momik », l’humour et la douleur surgissent en grande partie des efforts déployés par le garçon, dont la conscience a été forgée par les codes héroïques de la culture israélienne, pour utiliser ces codes dans ses tentatives de déchiffrer les bribes d’information qu’il glane auprès des survivants. L’un des nombreux exemples de cette distorsion résultant de la discordance discursive porte sur la réaction de Shlomo aux cauchemars de son père. Le père de Shlomo, qui a été contraint de rejoindre un Sonderkommando [20] dans l’un des camps de la mort, ne touche jamais son fils parce qu’il croit que ses mains sont souillées de sang. Il hurle de terreur dans son sommeil. Shlomo écoute ces cris et tente de leur donner un sens : « Ces cris sont vraiment étranges », pense-t-il,
mais pourquoi ai-je une logique et un cerveau […] ? Lorsqu’on enquête sur ces cris en plein jour, tout devient beaucoup plus simple et plus clair. Il s’avère qu’il y avait une guerre dans ce royaume, et mon papa était l’empereur là-bas, mais aussi le chef de guerre. Un commando, c’est ce qu’il était. Et il avait un ami (peut-être était-ce son adjoint) qui s’appelait Sonder. C’est un nom bizarre et c’est peut-être l’un de ces noms de la résistance comme ils en avaient dans la Haganah ou l’Irgoun. Ils vivaient tous dans un immense camp au nom compliqué. C’est là qu’ils s’entraînaient et c’est de là qu’ils partaient pour d’audacieuses missions qui étaient si secrètes que même aujourd’hui, on ne peut pas en dire un mot. Il y avait aussi des trains dans la région, mais ce point n’est pas très clair. Peut-être […] étaient-ils comme les trains que les Indiens avaient l’habitude d’attaquer ? Tout est si embrouillé. Dans le royaume de mon papa, il y avait aussi ces grands et glorieux épisodes appelés Aktions. Et parfois (probablement pour faire honneur aux habitants du royaume), ils avaient d’immenses défilés militaires, comme pour le jour de l’Indépendance. Gauche, droite, gauche, droite, hurle le père de Momik dans son sommeil [21].
15La partie « Momik » suit les frustrations répétées de Shlomo dans son effort pour affronter et appréhender l’expérience de la Shoah. À un moment donné, il conclut que les souffrances de ses parents sont causées par un monstre appelé la Bête nazie, qui se cache dans leur cave. Il entreprend d’affronter le monstre pour sauver ses parents de ses griffes. Dans le dernier épisode de la première partie, Shlomo recrute un groupe de vieux rescapés pour l’aider à attirer la Bête nazie hors de sa cachette. Lorsque cette entreprise échoue elle aussi, l’enfant renonce, s’effondre et finit par céder aux impératifs culturels qui encouragent une dissociation méprisante du monde des victimes et des rescapés de la Shoah. Alors que les vieux Juifs l’entourent et que son grand-père commence une fois de plus à marmonner son incompréhensible histoire, Shlomo est paralysé par la répulsion que lui inspirent ceux qu’il appelle désormais les « Juifs puants » :
Dans certains livres, il voyait que les goyim les appelaient Youpins. Il avait toujours pensé que c’était juste une insulte, mais il réalisa soudain à quel point ce terme leur convenait à la perfection, et il murmura « Youpins » ; il sentit alors une agréable chaleur se diffuser dans son ventre et son corps tout entier s’étoffer de muscles, et il dit à nouveau à voix haute « Youpins », et, de façon surprenante, cela lui donna de la force, il traversa la pièce, guetta grand-père Wasserman, se moqua de lui en disant que cela suffisait, tais-toi un peu, on en a marre de ton histoire [22].
17Mais l’histoire de Wasserman continue à le hanter, et les trois dernières parties du roman portent sur les efforts investis par Shlomo adulte pour traiter de l’expérience de la Shoah en reformulant le récit livré par son grand-père sur ses expériences dans le camp de la mort nazi. Élément caractéristique de la nouvelle littérature d’Israël sur la Shoah, cet effort narratif est un acte de récupération appréhendant la Shoah non pas comme la réalité historique des atroces événements qui se produisirent dans le passé, mais plutôt comme la réalité psychologique qui occupe une grande place dans le présent. Considéré sous son aspect le plus important, Voir ci-dessous : amour est une tentative d’affronter les conséquences de la Shoah qui continuent à affecter la vie d’un homme qui n’était pas encore né à l’époque des événements.
18« Ça parle de “lui”, dit Shlomo à propos du protagoniste de la nouvelle qu’il tente d’écrire, mais ça parle aussi de moi. Il est question de ma famille et de ce que la Bête nous a fait. [Ça] parle de la peur. Et de Grand-Père, que je ne parviens pas ramener à la vie, pas même dans la nouvelle. Et ça parle de mon incapacité à comprendre ma vie jusqu’à ce que j’apprenne à connaître ma vie non vécue Là-bas [23]. » L’aptitude à établir une liaison avec les dimensions humaines de l’univers concentrationnaire ou, comme le dit Shlomo, pour connaître la « vie non vécue Là-bas » est reconnue comme une exigence indispensable dans la tentative de mieux comprendre et de mieux intégrer la vie actuellement vécue ici. Cependant, pour Shlomo, il est extrêmement difficile d’établir cette liaison dans les limites normatives de sa culture.
19Pour reconstituer l’histoire de son grand-père, Shlomo doit restituer à Wasserman l’identité et la voix qui lui ont été déniées par la culture qui aspirait à le détruire. Mais les efforts qu’il investit en ce sens sont constamment entravés par les contraintes de la culture qui prétend sauver les rescapés de la Shoah et faire de leurs descendants des Juifs nouveaux. Malgré tous ses efforts, Shlomo ne peut entendre la voix de Wasserman ou trouver un moyen de raconter son histoire de façon authentique. Dans une ultime tentative de venir à bout de son impasse narrative, Shlomo consulte l’œuvre d’un autre écrivain dont les solutions poétiques apportées à des problèmes similaires lui donnent une direction, une inspiration et un espoir. C’est Bruno Schulz (1892-1942), l’énigmatique écrivain juif polonais assassiné dans la rue par un officier de la Gestapo pour régler un compte avec un de ses collègues.
20Au moment de sa mort, Schulz avait publié deux volumes d’histoires fantasmagoriques [24] et travaillait à un roman intitulé Le Messie. Pour Shlomo, Schulz est un champion de l’individualité et un précurseur de génie en littérature. Son œuvre exprime le désir de séparer la voix authentique, singulière de toutes les autres voix. Elle reflète une conscience d’autres domaines de la réalité exclus par les obstacles normatifs de la culture, ainsi qu’une capacité à se soustraire aux contraintes du discours conventionnel grâce à la création débridée d’une fiction fantastique. Shlomo s’inspire considérablement des méthodes et de la documentation de l’œuvre de Schulz. Il fait également de Schulz le personnage central de la deuxième partie du roman et confie à sa femme Ruthie :
Tu sais, le plus terrible pour moi à propos de la Shoah, c’est que là-bas, ils ont effacé l’individualité humaine. On n’accordait pas la moindre valeur à ta spécificité en tant que personne, à tes pensées, à ta personnalité, à ta biographie. […] Là-bas, chacun était réduit au plus bas niveau de l’existence. Seulement de la chair et du sang. C’est ça qui me rend fou. C’est la raison pour laquelle j’ai écrit Bruno [25].
22Lorsque Shlomo introduit Bruno dans sa nouvelle, il l’imagine en proie à un profond sentiment d’échec, semblable au sien. Le jour qui devait être le dernier de sa vie, Bruno a le sentiment de n’avoir pas été suffisamment vigilant et d’avoir laissé son œuvre subir les influences des conventions d’une culture qu’il méprise. L’idée qu’il est devenu complice d’une culture qui a gommé l’individualité, qui a déclenché une guerre mondiale pour aboutir à la Shoah, lui est tellement intolérable que Bruno décide de fuir la vie. Et Shlomo le lui permet. Dans un geste emprunté directement au monde narratif de Schulz [26], Shlomo procure à Bruno les moyens d’une fantastique évasion et d’une autre vie. Au lieu d’être assassiné dans la rue, il échappe à ses poursuivants, se précipite dans la mer et rejoint un banc de saumons. Par la suite, la mer acquiert elle aussi une dimension fantastique. Elle devient un turbulent personnage féminin, Mer, qui partage l’adoration de Shlomo pour Bruno ainsi que sa passion pour le récit de son histoire.
23Sauvage, informe et sans la moindre inhibition, Mer est l’incarnation du moi totalement authentique. Elle dispose donc d’une grande vitalité et d’un grand pouvoir. Mais elle avoue aussi avoir « un petit problème de santé » : elle ne peut communiquer avec les autres [27]. Étant entièrement contenu et non structure, Mer est inapte aux constructions médiatrices du langage qui rendent possibles la communication. Elle connaît l’histoire de l’autre vie de Bruno mieux que Shlomo, mais elle ne peut la raconter, pas même à elle-même. Et comme elle aspire à entendre cette histoire, elle a besoin de la coopération d’un conteur capable de transmuer ce qu’elle sait en mots qu’elle puisse comprendre. Au moment où il commence à conférer à l’histoire de Bruno cohérence et forme, le récit de Shlomo active également la capacité de Mer au langage. De façon hésitante au début, mais avec un enthousiasme et une lucidité croissante, Mer acquiert une voix et apporte sa contribution au récit de l’histoire.
24L’histoire complète de la vie de Bruno avec les saumons est élaborée grâce à un dialogue de plus en plus animé entre Shlomo et Mer. Leurs récits interactifs alternent, s’interpénètrent, avant de fusionner au moment culminant de l’épisode du Messie. C’est l’instant où Bruno achève sa libération des contraintes conventionnelles, trouve sa voix authentique et est enfin capable d’écrire son ouvrage définitif. Comme le dit Shlomo à Mer : « Ce n’est qu’à la fin de son voyage, seulement lorsqu’il était en toi qu’il a véritablement osé percer et cingler et écrire en toi en une danse de satyre effrénée, sa dernière nouvelle perdue, “Le Messie” [28]. »
25La partie intitulée « Bruno » fait contrepoint au monde de la vie adulte de Shlomo et au combat qu’il mène pour écrire l’histoire de son grand-père avec, en parallèle, le voyage fantastique de Bruno avec les saumons. Ce monde parallèle dessert le projet de Shlomo en permettant une exploration des perspectives narratives du fantastique dans un contexte moins chargé sur le plan émotionnel et moins entravé sur le plan culturel que le monde des camps de la mort auquel ce mode fantastique sera finalement appliqué. L’invention par Shlomo d’une autre vie a un autre objectif : retrouver le processus de libération au moment où Bruno, débarrassé du conformisme, de l’évasion et de la peur, peut créer son œuvre la plus pure et la plus authentique. C’est le niveau d’intégrité, de liberté et de courage dont Shlomo a besoin pour surmonter sa propre peur de voir les vérités et d’en parler, vérité que son propre monde n’est peut-être pas encore prêt à entendre. On peut prendre la mesure de la libération que Shlomo finit par atteindre grâce au processus de création de l’histoire de Bruno lorsqu’on considère l’audacieux saut narratif qu’il effectue en recréant l’épisode perdu du « Messie ». Dans un geste qui comprend le vif mépris de Schulz pour les contraintes du temps, la permanence du lieu et les conventions de vraisemblance, Shlomo se projette dans le monde de Bruno et devient un personnage du récit fantastique qu’il raconte.
26L’épisode « Messie » dans Voir ci-dessous : Amour commence lorsque Bruno Schulz, enfant, se tient à la fenêtre pour observer la place de la Trinité dans sa ville natale de Drohobycz, tout comme le faisait le personnage de Schulz, l’enfant Joseph, dans « L’Âge de génie », lorsqu’il vit Shloma, le fils de Tobias, récemment libéré de prison, et lui lança : « Il n’y a personne à la maison, monte un moment et je te montrerai mes dessins [29]. » À cet instant, Shlomo brise la barrière entre les deux récits et, avec un sentiment de grande libération, pénètre dans le monde de Bruno Schulz. « Et j’étais Shloma fils de Tobias, dit-il. J’étais lui à nouveau [30]. Pendant un instant j’étais libéré de prison [31]. » À la fenêtre, il aperçoit Bruno qui le reconnaît et l’appelle : « Monte, monte une minute, je te montrerai mes dessins. Il n’y a personne à la maison, Momik [32] ! » Cette transposition fantastique du temps et de l’espace permet à Shlomo d’être directement témoin des métamorphoses de la partie « Le Messie » et d’engager son protagoniste dans un dialogue sans médiateur :
« Qu’est-ce que c’est, Shlomo, demande Bruno, tandis que la place commence à se remplir des habitants de Drohobycz. Qu’est-ce qu’ils célèbrent tous ? »
« Le Messie », répond Bruno, à la fenêtre, esquissant un signe magique [33].
28Les événements de la nouvelle « Le Messie » reflètent le point de vue de Bruno sur la valeur précise et la puissance libératrice d’une voix singulière. Dans cette histoire, l’arrivée du Messie aboutit à la disparition du monde des conventions normatives. Chacun commence à parler avec la voix authentique de son être profond et devient l’artiste de sa propre vie. En conséquence, « les gens semblaient plus heureux et plus animés qu’ils ne l’avaient jamais été. Leur sang bouillonnait dans leurs veines comme du vin. […] Ils rayonnaient de l’intérieur. Partout, hommes et femmes écoutaient avec plaisir et étonnement leur propre ning [voix intérieure] et acquiesçaient dans la joie [34]. »
29Cette transformation messianique provoque la désintégration de toutes les structures sociales. Elle crée des relations agréables entre des étrangers qui, jusqu’alors, n’avaient aucune idée de leur véritable moi et de celui de l’autre et se découvrent désormais de profondes affinités. Mais elle aboutit aussi à la destruction des personnes qui sont perçues comme n’ayant pas de moi authentique parce qu’elles sont entièrement des constructions du discours dominant. L’une d’elles est la tante Retitia, avocate enflammée des vieilles conventions et maintenant réduite à « un amas d’étranges débris, comme de la sciure de bois grise [qui] était sans aucun doute le résidu tangible de tous les adjectifs, verbes et temps auxquels la tante servait de jonction. Un tas quelconque [35]. » Shlomo est scandalisé par le sort cruel réservé à Tante Retitia qu’il a toujours aimée, et par l’argument dédaigneux avancé par Bruno à propos de sa superfluité : « Des gens comme Tante Retitia, explique Bruno, sont les âmes d’occasion dont j’ai parlé ; celles dont l’être est un jour retiré de la véritable existence ; celles qui se nourrissent de la tension créatrice de la plupart des êtres humains qui sont indubitablement des artistes de premier plan. » En outre, ajoute-t-il d’un ton apaisant, « elle n’est pas vraiment morte puisqu’elle n’a jamais été véritablement vivante [36]. »
30Shlomo comprend que, quel que soit l’intérêt que peut présenter la vision de Bruno pour ceux qui l’entendent, son individualisme radical n’en est pas moins aussi impitoyable, discriminatoire et virulent que le discours totalitaire auquel il s’oppose. Jusqu’à ce moment, Shlomo était d’accord avec l’affirmation de Bruno sur la singularité de l’individu et approuvait sa décision d’abandonner un monde « dans lequel tout est dit au pluriel et où les gens sont pesés sur des balances en fer-blanc ». Après Bruno, il avait conclu : « Même le double est un pluriel, et les choses véritablement cruciales ne sont apparemment dites qu’à la première personne du singulier [37]. » Mais ayant conduit cette conviction jusqu’à sa conclusion narrative logique, Shlomo réalise alors que si l’individualisme d’exclusion prôné par Bruno peut constituer un antidote nécessaire face aux ravages d’un discours totalitaire, il n’est pas la véritable solution. Il en conclut qu’après tout, la première personne du singulier n’est peut-être pas la voix appropriée [38].
31Cette conclusion a de profondes implications pour le projet narratif de Shlomo. Le rejet du mode subjectif, du monologue par lequel se termine la partie « Bruno », est une conséquence d’un mode narratif alternatif qui commence se développer dans cette section et permet en fin de compte la création de l’histoire que Shlomo s’acharnait à raconter. La clé de la compréhension de l’histoire de Bruno comme de l’ensemble du roman est le fait que la création de cette histoire n’est pas le produit de l’imagination singulière de Shlomo qui lui a fait défaut à maintes reprises, mais le produit de son dialogue continu avec le personnage fantastique de Mer. En tant que tel, il nie le credo du monologue prôné par Bruno et introduit l’alternative du dialogue qui devient le mode de narration principal et la force éthique majeure dans les parties suivantes du roman.
32Le credo qui commence à se constituer dans la partie « Bruno », et qui continue à se développer dans le reste du roman, compense l’insistance de Bruno à défendre l’indépendance exclusive. Selon ce credo, la spécificité du moi dépend de son ouverture et de son aptitude à s’identifier à la spécificité d’autrui. La tension entre ces deux points de vue anime les deux dernières parties du roman dans des termes inspirés de ce que Shlomo a appris de sa rencontre avec Bruno, mais égayés par les leçons tirées de son dialogue avec Mer. En fin de compte, la conjonction des capacités du mode fantastique et des possibilités de narration sur le mode du dialogue conduit à un récit réussi de l’histoire de Wasserman. Cette réussite est accrue à son tour par l’effet heuristique que produit la création de son récit sur son auteur fictif. Au fur et à mesure de la progression du récit, Shlomo reconsidère son orientation éthique et artistique et en arrive à comprendre son échec initial en tant que personne et en tant qu’écrivain. Ces échecs commencèrent, dit-il,
à partir du moment où je désespérai de l’effort et commençais à considérer toute personne comme allant de soi. Et lorsque je cessai de tenter d’inventer un langage spécial pour lui, et de nouveaux noms pour chaque objet. Et à partir du moment où je ne pouvais plus dire « je » sans que le mot résonne avec ce son métallique qui répétait « nous ». Et lorsque je fis quelque chose pour me protéger contre la souffrance d’une autre personne. Contre l’autre personne. À partir du moment où je refusai de me mutiler : de m’arracher les paupières, de voir tout [39].
34Cette conception constitue une redéfinition radicale de la relation souhaitée entre un individu et un autre, ainsi que du rôle du langage dans cette relation. De ce point de vue, l’individu authentique est perçu comme dépendant de la société, sans toutefois s’y subsumer. Le langage n’est plus appréhendé exclusivement comme un instrument d’expression de soi, mais comme un moyen de communier avec autrui, aussi pleinement et aussi directement que possible. Le dialogue devient le mode préféré non seulement de l’interaction humaine, mais également de la narration littéraire [40].
35Par son aptitude à faire disparaître la barrière entre deux mondes parallèles de discours auparavant incapables de communiquer, la combinaison de l’action fantastique et de la narration dialogique s’avère particulièrement fructueuse dans le type d’histoire que Shlomo entend créer. Ce faisant, elle devient aussi un moyen efficace de reformuler des perspectives cachées et de recouvrer des vérités abrogées. Le potentiel que recèle cette stratégie narrative est encore exploré dans les histoires synchrones de la partie intitulée « Wasserman ». Il donne sa pleine mesure structurelle et thématique dans « L’encyclopédie complète de la vie de Kazik » qui clôt le roman.
36La fusion de l’imagination fantastique et de la narration dialogique qui marque l’apogée de la partie « Bruno » constitue le point de départ poétique de la partie suivante de Voir ci-dessous : amour. Juste au moment où il termine « Bruno » en se transportant fantastiquement comme un personnage participant au monde parallèle de Bruno Schulz, Shlomo commence « Wasserman » en se transportant lui-même dans l’univers parallèle des camps de la mort nazis. Tel est le mouvement de la transformation dans le roman. Il manifeste la conscience que prend fictivement l’auteur du fait qu’il ne pourra pas ré-exprimer de façon significative l’expérience de la Shoah sans susciter des voix qui expriment ce vécu. Il lui permet d’agir conformément à sa conception selon laquelle, pour récupérer ces voix, ses conceptions de la Shoah doivent être dégagées des formulations distantes du récit israélien conventionnel et développées de façon empathique jusqu’à l’extrême de l’impuissance et de l’horreur. Cela nécessite de briser le tabou culturel fondamental qu’est le caractère sacro-saint de la Shoah en pénétrant par l’imagination dans le monde des camps. Et c’est précisément ce qui se passe dans la partie « Wasserman ».
37« Wasserman » s’ouvre directement sur le monde concentrationnaire et situe à l’intérieur du camp aussi bien le personnage d’Anshel Wasserman que celui de Shlomo Neuman, l’auteur qui crée Wasserman. Ce déplacement fantastique, qui supprime les limites du temps et de l’espace, permet au protagoniste contemporain de pénétrer dans le monde des camps jusqu’alors interdit. Il fournit les conditions narratives nécessaires recherchées par Shlomo pour parvenir à une identification empathique et à une interaction dialogique avec les expériences concentrationnaires de son grand-père. À l’instar de Bruno, Wasserman est un personnage doté d’une nette dimension fantastique : c’est un homme qui ne peut pas être tué. Wasserman est introduit dans le monde du camp après avoir miraculeusement survécu à l’horreur de la mort dans une chambre à gaz dans laquelle tous les autres ont péri. Il est maintenant conduit précipitamment au bureau du commandant du camp, Neigel, qui tentera de réaliser avec son pistolet ce que ses subordonnés n’ont pas réussi par le gaz.
38Wasserman rencontre Shlomo devant la porte du commandant et le reconnaît instantanément. Mais il ne commence véritablement à communiquer avec son petit-fils qu’après que Shlomo a partagé emphatiquement l’expérience suivante : être victime d’une exécution sommaire. Neigel avance et appuie son pistolet sur la tempe de Wasserman. « Et soudain, je m’entends hurler », dit Shlomo. « Avec grand-père Anshel, je hurle d’épouvante et d’humiliation et le coup de feu éclate dans la pièce. » Wasserman découvre une fois de plus qu’il ne peut pas être tué. Mais il découvre aussi qu’il peut désormais transmettre ses expériences à Shlomo et c’est à ce moment qu’il admet reconnaître son petit-fils et annonce sa décision de participer au récit de sa propre histoire : « Sholem aleikhem, Shleimeleh, dit-il. Je te reconnais, bien que tu aies beaucoup changé. Ne me dis rien. Le temps manque et il y a beaucoup à faire. Nous avons une histoire à raconter [41]. »
39Son incursion fantastique dans le monde des camps libère Shlomo des contraintes de sa conception déterminée de ce monde et constitue un retour nécessaire au « lieu et à l’origine de la perte [42] ». En donnant une voix égale à l’optique de Wasserman, détenu dans un camp de la mort, le récit suscite des figurations dialogiques qui en arriveront progressivement à inclure les voix d’autres victimes, ainsi que la voix de plus en plus reconnaissable de Neigel, le commandant nazi. Il en résulte un récit véritablement polyphonique de plus en plus affranchi de l’univocité contraignante du discours dominant et qui donne voix, petit à petit, à des perspectives traditionnellement occultées.
40La présence fantastique de Shlomo dans le camp et sa communion empathique avec le caractère également fantastique de Wasserman permet au récit de conférer aux horreurs concentrationnaires une proximité immédiate et une authenticité originale. Mais ces mêmes qualités fantastiques permettent également au récit d’épargner aussi bien au narrateur qu’au lecteur les effets bouleversants d’une exposition directe à l’atrocité. La situation de Wasserman le place au cœur même de la puissance génocidaire. Il est témoin de l’horreur de la chambre à gaz, du hasard sanglant des exécutions et de la massivité de la déshumanisation et de l’extermination. Il est là et son angoisse est immense, et pourtant, on n’est jamais vraiment inquiet pour son sort. Le caractère fantastique de l’immortalité de Wasserman fournit une marge de sécurité émotionnelle qui évite à Shlomo (et au lecteur) d’être paralysé par l’épouvante, la pitié et la peine.
41Dans son projet, Shlomo a pour objectif ultime de communiquer une autre vision des victimes de la Shoah au monde de leurs descendants israéliens. Pour réaliser cette communication, il est nécessaire de briser les barrières discursives qui séparent ces deux mondes, la barrière la plus redoutable résidant dans l’incapacité du discours sioniste à comprendre, à accepter et à excuser la passivité des victimes juives face à l’agression nazie. La question de savoir pourquoi les Juifs d’Europe n’ont pas opposé de résistance à leurs assassins creuse un fossé entre la génération de la Shoah et les nouveaux Israéliens. Extraite des Psaumes (XLIV, 22), l’image des Juifs se soumettant passivement à la mort « comme des moutons menés à l’abattoir » est rapidement devenue l’expression israélienne dominante pour décrire les victimes juives de la Shoah. Cette formule exprime le mépris ressenti par les Israéliens qui l’utilisent et la honte des victimes de la Shoah qu’elle désigne. Elle signale également que leurs mondes s’excluent mutuellement. C’est cette désignation dont il faut se défaire si l’on veut entreprendre une véritable récupération de l’expérience de la Shoah. Voir ci-dessous : amour tente de combler le fossé entre ces deux mondes en inversant le contexte de leur rencontre.
42Historiquement, les rencontres entre les victimes de la Shoah et d’autres Israéliens se produisirent après la Libération et, le plus souvent, en Israël même. Les formulations littéraires de telles rencontres ont en général suivi ce qui était l’ordre chronologique des événements. Mais, par son recours au fantastique, Voir ci-dessous : amour est à même d’ignorer l’ordre des événements et de poursuivre son projet sur d’autres plans. Le roman présente la rencontre entre une victime de la Shoah et son petit-fils israélien dans le contexte imaginé du monde concentrationnaire, seul contexte, selon l’œuvre, dans lequel le thème crucial de la passivité peut être légitimement traité.
43La dernière partie du roman, de forme encyclopédique, consacre l’un de ses articles au sujet « Massacre, comme des moutons à l’abattoir ». Ici, Wasserman tente de formuler une explication de l’étrange passivité des victimes à laquelle il a participé. Wasserman reconnaît que lorsque son groupe était conduit à la chambre à gaz, accompagné par un seul garde ukrainien et sachant fort bien où il allait, il n’y eut pas d’idée de résistance ni même de protestation. Wasserman s’efforce d’expliquer ce consentement et lui confère une signification digne. Évoquant le moment du regroupement dans le corridor menant à la chambre à gaz, il dit :
Le même chant, je pense, se jouait en chacun de nous, une berceuse d’ahurissement, de chagrin et de désespoir. Et le grand métronome de Grand-Père La Mort œuvrait sans relâche à un rythme sec, hypnotique ; le rythme des gigantesques griffes construites ici seulement pour nous et qui nous aspirent et nous broient. Tic-tac, tic-tac, nous devenons partie intégrante de cette machinerie de mort. Eh oui ! Parce que ce ne sont pas des êtres humains qui marchent ici à la mort. Non, c’est seulement ce qui reste d’une personne après qu’elle a été totalement humiliée, après qu’elle a été privée de son moi et abandonnée avec seulement la forme humaine d’échafaudages métalliques, des articulations mécaniques qui n’ont pas d’âme et sont communes à tous. Et c’est véritablement le reflet cruel de leur propre image. Car ce ne sont pas des Juifs qui marchent ici vers leur mort, mais des miroirs vivants montrant dans une triste et interminable procession le reflet du monde qui leur inflige cela. […] Ainsi, par leur mort, ils le condamnent. Et, notre mort en masse, notre mort dénuée de toute signification, se reflètera désormais de toute éternité dans l’aride désolation de vos vies [43].
45Mais Shlomo, rédacteur en chef de « l’Encyclopédie », demeure sceptique. « Les mots de Wasserman ont été ici reproduits in extenso, dit-il, mais par souci d’équilibre, qu’il soit dit aussi : Pas même une insulte ? Vraiment ? Pas même une gifle à l’Ukrainien ? Comme ça ? Comme des moutons à l’abattoir [44] ? »
46Shlomo est toujours perturbé et rebuté par la criante absence de résistance chez les victimes. Mais la dynamique de sa rencontre fantastique avec le monde des camps a ouvert une brèche permettant la formulation d’un contraire, et une perspective jusqu’alors cachée qui émerge de ce monde. L’incursion de l’imaginaire dans le monde concentrationnaire donne une voix aux habitants de ce monde. Elle crée aussi l’empathie nécessaire pour que cette voix soit entendue par quelqu’un de l’extérieur. Si Shlomo n’est pas toujours d’accord avec tout ce que dit cette nouvelle voix, il ne refuse plus de l’écouter. C’est là une brèche considérable opérée dans la barrière entre les deux mondes et elle ouvre la perspective d’un dialogue entre eux. Un tel dialogue est essentiel au processus d’apaisement parce que les deux mondes opposés sont en fait contenus dans une seule psyché. Ils constituent des aspects non réconciliés du même moi. Le monde concentrationnaire que Shlomo observe maintenant et la voix de la victime qu’il entend sont un monde caché et une voix réduite au silence qui ont été libérés du dedans de lui-même. Dans Voir ci-dessous : amour, le franchissement fantastique des limites discursives ouvre la voie à un réexamen des prémisses fondamentales d’une vie façonnée par les exigences de parties méconnues du moi profond.
47Les efforts déployés par Shlomo pour se relier au monde de son grand-père sont finalement couronnés de succès parce qu’il utilise un mode fantastique pour pénétrer dans le monde des camps et engager un dialogue avec les internés. L’intégration d’éléments fantastiques dans le récit est une façon de reconnaître l’impossibilité de parvenir à une représentation authentique de l’expérience concentrationnaire. En même temps, cependant, le fantastique permet d’apporter une réponse authentique à cette expérience qui, bien que non représentable, continue à être très présente.
48Reconnaître un lien interne à l’expérience de la Shoah, c’est renoncer aux constructions héroïques du récit sioniste et découvrir un rapport d’empathie avec les formes extrêmes de la souffrance, de l’avilissement et de la désespérance de l’homme. Le fantastique fournit les moyens figurés nécessaires pour opérer la transition entre les catégories rationnellement construites du monde familier et les monstrueuses inversions de l’univers concentrationnaire. Par la distance qu’établit l’imaginaire et par l’alternative qu’il présente, le fantastique exerce une fonction protectrice, rendant supportable l’horreur sans en réduire la réalité. Comme en témoignent les ouvrages parus dans son sillage, Voir ci-dessous : amour, par son recours au fantastique, a puissamment contribué à déboulonner les conceptions exclusives du point de vue conventionnel d’Israël sur la Shoah et à l’ouvrir à un dialogue avec des voix importantes longtemps occultées.
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- Guershon Shaked, « Facing the Nightmare : Israeli Literature on the Holocaust », in Guila Ramras-Rauch et Joseph Michman-Melkman, Facing the Holocaust, Jewish Publications Society, 1985, pp. 273-288.
- Naomi Sokoloff, « David Grossman : Translating the ‘Other’ in ‘Momik’ », in Leon Yudkin, Israeli Writers Consider the Outsider, Londres, Associated University Press, 1993, pp. 37-56.
- Naomi Sokoloff, Imagining the Child in Modern Jewish Fiction, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1992.
- Naomi Sokoloff, « Reinventing Bruno Schulz, Cynthia Ozick’s The Messiah of Stockholm et David Grossman’s See Under : Love », AJS Review, The Journal of the Association for Jewish Studies, 13.1-2, 1988, pp. 171-191.
- Tzvetan Todorov, The Fantastic : A Structural Approach to a Literary Genre, Ithaca, Cornell University Press, 1975.
- Edmund White, Review of See Under : Love, by David Grossman, New York Times Book Review, 16 avril 1989, 7.
- Mosché Zuckermann, « The Curse of Forgetting : Israel and the Holocaust », Telos : A Quaterly Journal of Critical Thought 78, 1988-89, pp. 43-55.
- Mosché Zuckermann, Shoah baheder ha’atoum (« Shoah dans la pièce étanche »), Tel Aviv, Hamehaber, 1993.
Notes
-
[1]
Gilead Morahg est professeur de littérature hébraïque à l’université de Winconsin, Madison (États-Unis).
-
[2]
Voir Mosché Zuckermann, Shoah baheder haatoum (« Shoah dans la pièce étanche »), Tel Aviv, Hamehaber, 1993, pp. 19-22. Une version anglaise antérieure, mais conceptuellement identique de l’argument a paru dans Zuckermann, « The Curse of Forgetting : Israel and the Holocaust » (« La malédiction de l’oubli : Israël et la Shoah »), Telos : A Quaterly Journal of Critical Thought, n° 78, 1988-89, pp. 43-55. Pour un débat éclairant sur la dynamique culturelle qui a influencé la réaction littéraire d’Israël à la Shoah jusqu’au début des années 1980, voir Sidra deKoven Ezrahi, « Revisioning the Past : The Changing Legacy of the Holocaust in Hebrew Literature », Salamagundi, 68-69, 1985-86, p. 245-269.
-
[3]
Pour un examen des premières œuvres d’Appelfeld, voir Alan Mintz, Hurban : Responses to Catastrophe in Hebrew Literature, New York, Columbia University Press, 1984. Autres études utiles sur Appelfeld : Guila Ramras-Rauch Aharon Appelfeld : The Holocaust and Beyond, Bloomington, Indiana University Press ,1994 ; Lily Rattok, Bayit al blima (« Une maison précaire : l’art narratif d’A. Appelfeld »), Tel Aviv, Heker, 1989 ; Yigal Schwartz, Kinat hayahid venetzah hashevet (« Lamentations de l’individu et éternité de la tribu. Aharon Appelfeld, Tableau de son monde »), Jérusalem, Magnes et Keter, 1996 ; et, dans ce volume, l’article de Masha Itzhaki (p. 89-98).
-
[4]
Édition française : Paris, Denoël, 2002.
-
[5]
Pour une étude plus complète (en anglais) sur les ouvrages de fiction portant sur la Shoah au milieu des années 1960, voir Sidra deKoven Ezrahi, By Words Alone : The Holocaust in Literature, Chicago, University of Chicago Press, 1980 pp. 103-107, 114-115, p. 127 ; Mintz, Hurban, op. cit., pp. 239-258 ; et Shaked, « Facing the Nightmare : Israeli Literature on the Holocaust », in Guila Ramras-Rauch et Joseph Michman-Melkman, Facing the Holocaust, Jewish Publications Society, 1985, p. 273-288.
-
[6]
Édition française : Paris, Stock, 1980.
-
[7]
Pour un débat sur l’éventuelle influence exercée par Adam ressuscité de Kaniuk sur la littérature postérieure sur la Shoah, voir Yael S. Feldman, « Whose Story Is It, Anyway ? Ideology and Psychology in the Representation of the Shoah in Israeli Literature », in Saul Friedlander, Probing the Limits of Representation : Nazism and the “Final Solution”, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, pp. 223-239.
-
[8]
Pour un examen de la façon dont la littérature israélienne a supprimé d’autres aspects de l’expérience israélienne ne correspondant pas au récit sioniste, voir Yaron Ezrahi, Rubber Bullets : Power and Conscience in Modern Israel, New York, Farrar, 1997, pp. 186-187.
-
[9]
Shaked, « Les enfants », p. 312.
-
[10]
Voir par exemple les ouvrages de Liebrecht, Semel, Buchan et Govrin (cf. la bibliographie à la fin de cet article).
-
[11]
Édition française : Paris, Seuil, 1991.
-
[12]
Pour des critiques représentatives des écrivains israéliens considérés comme ayant violé un « code moral » et franchi les « lignes rouges » éthiques en lançant des représentations imaginaires des horreurs de la Shoah, voir Avner Holtzman, « The Holocaust Theme in Israeli Fiction : A New Wave », Dappim Lemehkar besifrout, 10, 1996, pp. 147-154.
-
[13]
Outre Introduction à la littérature fantastique, de Tzvetan Todorov, Paris, Seuil, 1970 (version anglaise : The Fantastic : A Structural Approach to a Literary Genre, Ithaca, Cornell University Press, 1975), les ouvrages suivants m’ont aidé à comprendre le fantastique : Kathryn Hume, Fantasy and Mimesis : Responses to Reality in Western Literature, New York, Methuen, 1981 ; Rosemary Jackson, Fantasy, The Literature of Subversion, New York, Methuen, 1981 ; Eric S. Rabkin, The Fantastic in Literature, Princeton, Princeton University Press, 1976 ; et Julio Rodriguez-Luis, The Contemporary Praxis of the Fantastic : Borges and Cortázar, New York, Garland, 1991.
-
[14]
Todorov, op. cit., p. 158-159.
-
[15]
Rabkin, op. cit., p. 227. Pour un point de vue complémentaire, voir T. E. Apter, Fantasy Literature : An Approach to Reality, Londres, Macmillan, et Bloomington, Indiana University Press, 1982, pp. 6-11
-
[16]
Pour l’examen du fantastique dans la littérature de fiction israélienne, voir Ortsion Bartana, Hafantasia besipporet dor hamedina (« L’imaginaire dans la littérature israélienne des trente dernières années (1960-1989) »), Tel Aviv, Papyrus P, 1989, et Hillel Bartzel, Sipporet ivrit metarealistit (« Prose hébraïque méta-réaliste »), Ramat Gan, Israël, Massada, 1974.
-
[17]
Pour une étude de recours au fantastique dans Les Anges arrivent de Ben-Ner, voir Guilead Morahg, « Subverting Dystopia : Yitzhak Ben-Ner’s Fiction of the Future », Prooftexts, 13 mars 1993, pp. 269-288.
Pour une vue d’ensemble de la nouvelle littérature d’Israël sur la Shoah, notamment les brèves études sur Una de D. Peleg et La Légende des lacs tristes d’I. Levi, voir
Avner Holtzman, « Trends in Israeli Holocaust Fiction in the 1980’s », Modern Hebrew Literature, 8-9, 1992, pp. 23-28. Pour d’autres études (en anglais) de Voir ci-dessous : amour de Grossman, voir Guershon Shaked, « The Children of the Heart and the Monster : David Grossman’s See Under : Love », Modern Judaism, 9 mars 1989, pp. 311-323 ; Naomi Sokoloff, « Reinventing Bruno Schulz, Cynthia Ozick’s The Messiah of Stockholm et David Grossman’s See Under : Love », AJS Review, The Journal of the Association for Jewish Studies, 13.1-2, 1988, pp. 171-191 ; et Imagining the Child in Modern Jewish Fiction, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1992, pp. 154-176 ; et “David Grossman : Translating the ‘Other’ in ‘Momik’ », in Leon Yudkin, Israeli Writers Consider the Outsider, Londres, Associated University Press, 1993, pp. 37-56, pp. 37-56. -
[18]
Les traductions de l’ouvrage de Grossman ont été constamment bien accueillies par la critique en Angleterre, en France, en Italie, en Allemagne et aux États-Unis. Dans sa critique de Voir ci-dessous : amour, Edmund White écrit que « c’est le roman majeur sur la Shoah parce qu’il s’agit précisément d’une enquête sur la difficulté à imaginer l’horreur à l’état pur. […] Dans quelques livres mythiques comme The Sound and the Fury (Le Bruit et la Fureur) de Faulkner, Le Tambour de Gunther Grass et Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez, de vastes conceptions de l’histoire sont exposées de façon novatrice. Voir ci-dessous : amour est peut-être un digne épigone de cette œuvre petite, mais géniale. »
-
[19]
David Grossman, Ayen erekh ahava, 1986. La version anglaise du roman est parue sous le titre See Under : Love, traduit en anglais par Betsy Rosenberg, New York, Simon, 1989. Pour la version française : Voir ci-dessous : amour, Paris, Seuil, 1991, traduit de l’hebreu par Judith Misrahi et Ami Barak. Les références de pages se rapportent aux versions en hébreu et en anglais (NDLR).
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[20]
Les Sonderkommandos étaient des « unités spéciales » de prisonniers chargés d’enlever les corps des chambres à gaz et de les transporter dans les fours crématoires.
-
[21]
Seuil, Paris, 1991, p. 29 [28]. Les numéros entre parenthèses mentionnent d’abord le numéro de la page du texte d’origine Ayen erekh : ‘ahava’, puis celui de la traduction en anglais See Under : Love. Bien que la traduction de ce livre soit plus réussie que celle de la plupart des romans en hébreu, j’ai souvent ressenti le besoin d’apporter ma propre traduction afin de préserver l’authenticité du texte d’origine. En conséquence, les citations figurant dans le présent article diffèrent souvent du texte de la traduction en anglais.
-
[22]
Op. cit., p. 75 [84-85].
-
[23]
Op. cit., pp. 100-101 [109], accent rajouté.
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[24]
La Rue des Crocodiles (1934) et Le Sanatorium au croque-mort (1937), réunis dans Bruno Schulz, The Complete Fiction of Bruno Schulz, traduit par Celina Wieniewska, New York, Walker, 1989 (version française : Bruno Schulz, Œuvres complètes, Paris, Denoël, 2004, traduit du polonais par Suzanne Arlet, Thérèse Douchy, Christophe Jezewski… [et al.]). Le manuscrit du Messie a été perdu et n’a jamais été retrouvé.
-
[25]
Op. cit., p. 142 [152].
-
[26]
L’histoire finale de l’ouvrage de Schulz Le Sanatorium au croque-mort est intitulée « La dernière évasion du père ». Le père du narrateur finit par s’évader d’une vie qu’il déteste en se transformant en homard.
-
[27]
Op. cit., p. 106 [114].
-
[28]
Op. cit., pp. 129-130 [138-139].
-
[29]
Schulz, op. cit. (version anglaise), p. 139.
-
[30]
Cela souligne l’importance du modèle dans ce roman. Shlomo est en fait Shloma, fils de Tobias : Shlomo est l’équivalent hébreu de Shloma. Le nom du père de Shlomo, rarement mentionné, est Touvia (op. cit., p. 29 [28]), qui est l’équivalent hébreu de Tobias.
-
[31]
Op. cit., p. 157 [170].
-
[32]
Op. cit., p. 158 [170].
-
[33]
Op. cit., p. 158 [171].
-
[34]
Op. cit., p. 164 [178].
-
[35]
Op. cit., p. 163-164 [177].
-
[36]
Op. cit., p. 163 [177].
-
[37]
Op. cit., p. 152 [165].
-
[38]
Op. cit., p. 165-169 [179-184].
-
[39]
Op. cit., p. 266 [296].
-
[40]
Ce credo éthique et artistique est étonnamment voisin des conceptions de Mikhail Bakhtin. On peut soutenir que l’œuvre de Bakhtin relève des intertextes qui animent Voir ci-dessous : Amour. Pour un débat sur les aspects de la pensée de Bakhtin les plus en rapport avec ce roman, voir Gary Morson et Caryl Emreson, Mikhaïl Bakhtin : Creation of a Prosaics, Stanford, Stanford University Press, 1990, pp. 49-62 et 231-268.
-
[41]
(p. 174 [189])
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[42]
Eric L. Santner, « History Beyond the Pleasure Principle : Some Thoughts on the Representation of Trauma », Saul Friedlander, Saul, Probing the Limits of Representation : Nazism and the “Final Solution”, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 320 [357-358].
-
[43]
Op. cit., p. 320 [357-358].
-
[44]
Op. cit., p. 320 [358].