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Article de revue

La littérature arménienne et la Catastrophe : actualité critique

Pages 397 à 424

Notes

  • [1]
    Cette analyse s'appuie sur Cinquante ans de littérature arménienne en France. Du même à l'autre de Krikor Beledian, Éditions du CNRS, 2001, et sur Writers of Disaster. Armenian Literature in the Twentieth Century, tome I : The National Revolution de Marc Nichanian, Taderon Press, Gomidas Institute, Princeton et Londres, 2002.
  • [2]
    Je reprends ici les interrogations que j'avais soulevées dans « Actualité d'une négation, inactualité d'une littérature », publié en annexe des Actes du colloque organisé à la Sorbonne en avril 1998 par le CDCA, Actualité du génocide des Arméniens (Édipol, 1999) ; colloque d'où, malgré son ambition et son importance, toute perspective littéraire était absente.
  • [3]
    Comme le montre l'apparition de ce champ dans le cadre de la littérature comparée, dont témoignait la thèse de K. Beledian, dirigée par Pierre Brunel et soutenue à Paris IV, qui a donné lieu à ce livre publié au CNRS. Voir aussi l'énorme et précieux travail de Léon Ketcheyan, Zabel Essayan (1878-1943) : sa vie et son temps. Traduction annotée de l'autobiographie et de la correspondance. Thèse dirigée par Jean-Pierre Mahé à l'École Pratique des Hautes Études (mars 2002) devant un jury d'historiens, philologues et comparatistes. Une traduction de Dans les Ruines, de Z. Essayan, est en préparation. L. Ketcheyan a présenté un recueil de textes de et sur cet auteur traduits de l'arménien dans L'Intranquille, n° 6-7, Paris, 2001. Le même numéro contient une pénétrante lecture philosophique du Bois de Vincennes de Nigoghos Sarafian, « Méditer la désespérance » (n° 6-7, 2001).
    Cette revue, dirigée par Ph. Bouchereau et Fr. Pejoska, poursuit depuis plusieurs années un important travail de réflexion sur le génocide, avec une attention particulière portée à l'histoire arménienne : L'Intranquille a publié la toute première traduction française de V. Dadrian, présentée par Nichanian (n° 2-3, 1994), ainsi qu'un article de celui-ci (« L'Empire du sacrifice », n° 1, 1992) et, récemment, d'H. Piralian (« Quand l'autre disparaît : éclipse ou destruction ? », n° 6-7). On trouve une autre analyse intéressante, à caractère analytique, du texte de Sarafian dans l'ouvrage de J. Altounian, La Survivance. Traduire le trauma collectif, Dunod, 2000 (« Un père transmet les traces d'une patrie perdue »). Certains textes arméniens contemporains sont abordés dans une perspective analytique par H. Piralian dans le prolongement de Génocide et transmission, L'Harmattan, 1994 : « Écriture(s) du génocidaire : de l'Arménie à l'ex-Yougoslavie », in C. Coquio (sous la dir. de), Parler des camps, penser les génocides, Albin Michel, 1999, et « Rupture de généalogie et identité perdue : à partir de deux nouvelles récentes, turque et arménienne », in C. Coquio (sous la dir. de), L'Histoire trouée. Négation et témoignage, Actes du colloque des 17-19 septembre 2002 à Paris IV, à paraître à L'Atalante.
  • [1]
    On en trouve un exemple dans le livre de R. Peroomian, Literary Responses to Catastrophes. A Comparison of the Armenian and the Jewish Experience. Scholars Press, Atlanta, Georgia, 1993. La perspective comparatiste ici s'autorise des analogies et ressemblances de surface, thématiques et stylistiques, entre deux littératures travaillées par le genre de la lamentation, sans que soient interprétées leurs différences constitutives à la lumière de l'histoire arménienne et de l'histoire juive.
  • [2]
    Comme le font déjà les travaux de R. Kévorkian. Voir le récent travail d'Yves Ternon, Mardin 1915. Anatomie pathologique d'une destruction, Revue d'histoire arménienne, t. IV, 2002.
  • [1]
    Arménie-diaspora, mémoire et modernité, Les Temps modernes, juillet-septembre 1988 : M. Nichanian, « L'écrit et le mutisme. Introduction à la littérature arménienne moderne », p. 317-348 ; K. Beledian, « Phénix ou Robinson sauvé du naufrage », p. 349-378. On trouve dans le même numéro un texte de J. Altounian, « De l'Arménie perdue à la Normandie sans place » ; cet article faisait suite à la publication, dès 1975, d'autres articles sur la transmission traumatique chez les descendants des survivants, et, en 1982, à celle du témoignage de déportation de son père, Vahram Altounian (traduit de l'arménien par K. Beledian). Ces textes parus aux Temps modernes ont été recueillis dans « Ouvrez-moi seulement les chemins d'Arménie. Un génocide aux déserts de l'inconscient », Les Belles Lettres, 1990.
  • [1]
    Voir la première partie de l'essai de K. Beledian, « L'expérience de la catastrophe dans la littérature arménienne », Revue d'Histoire arménienne contemporaine, Annales de la Bibliothèque Nubar, 1.1, 1995, p. 127-197.
  • [1]
    L'œuvre fondatrice et l'histoire tragique de Komitas (Soghomon G. Sohomonian, 1869-1935) en ont fait une figure sacrée de l'histoire arménienne. Grand compositeur musical en même temps qu'ethnographe, Komitas voulait intégrer dans un art moderne le patrimoine populaire arménien. Devenu fou au moment du génocide, il fut interné dans un asile turc, puis, transféré en France grâce à ses protecteurs, mourut à un âge avancé dans un hôpital de la banlieue parisienne.
  • [2]
    Comme cela avait été le cas quelques décennies plus tôt en Serbie, où les recueils de contes de Vuk Karadzic jouèrent un rôle fondateur dans la naissance d'une littérature nationale moderne.
  • [3]
    Voir le texte de M. Nichanian, « Entre l'archive et l'épopée. Essai sur la mémoire de la Catastrophe », à paraître dans Génocide et catastrophe.
  • [1]
    Cet entretien de H. Oshagan (1883-1948) a été plusieurs fois commenté par M. Nichanian (cf. « Hagop Oshagan tel qu'en lui-même », Dissonanze 1, Milan, 1984). Le titre du roman Mnatsortats (Paralipomènes), publié au Caire en 1931-1934, puis au Liban en 1988, fait référence, dans la tradition biblique, aux livres qui parlent des « choses omises ». Il est souvent traduit abusivement par « Remnants », Les Rescapés).
  • [2]
    Voir sur ce point A. Wieviorka, L'Ère du témoin. Plon, 1998.
  • [3]
    Voir en France M. Hovanessian, Le Lien communautaire – Trois générations d'Arméniens, Paris, Colin, 1992.
  • [1]
    Les deux langues ne se sont néanmoins pas fondues en une seule. Les écrivains qui, nés à Constantinople ou ailleurs en Arménie occidentale, choisirent Erevan, durent s'adapter à l'arménien oriental.
  • [2]
    L'existence d'une réception littéraire à Beyrouth n'a pas favorisé l'éclosion de mouvements ni d'œuvres importantes, sauf à partir des années 1960 – qui ont vu naître l'œuvre de K.. Beledian.
  • [1]
    Cette œuvre littéraire importante est publiée pour l'essentiel à Beyrouth (Fragments pour une chambre, 1978 ; Drame, 1980 ; Seuils (récits), 1997 ; Combat, 1997 ; Le Coup, 1998), mais aussi à Erevan (Er, 1992 ; Fragments du père, 1993), aux États-Unis (Signe, récit, 2000), à Bruxelles (Les Arméniens, 1994), à Venise (Grégoire de Narek dans les limites du langage, 1985), à Paris (Objets et débris, 1978 ; Lieux, 1983 ; Mantras, 1986 ; Issue, 1993).
  • [2]
    M. Nichanian a soutenu en 1979 un doctorat dirigé par J.-L. Nancy à Strasbourg, « La question générale du fondement (Kant, Husserl, Heidegger) ». Il a travaillé dans le cadre du . Collège International de Philosophie (cf. « Holocauste et Catastrophe », Revue du Collège International de Philosophie, 12, 1988), et a participé à plusieurs séminaires consacrés à Antoine Berman.
  • [3]
    Cf. supra l'extrait de l'ouvrage sur Franz Werfel.
  • [1]
    Grâce au travail de Z. Essayan en particulier, qui avait passé de nombreuses années en France et fit jouer ses relations parisiennes (le journaliste B. Bareilles en particulier).
  • [2]
    Un peu à la manière des films d'Atom Egoyan, avant que, dans Ararat, il n'égare son efficace esthétique du trouble et de l'allusion dans la confrontation directe avec l'événement et le « problème » de sa représentation.
  • [1]
    Cf. K. Beledian, « Le retour de la Catastrophe », art. cit.
  • [1]
    Daniel Varoujan dans le cercle de feu. Essai pour une poétique de la catastrophe. Antélias, Liban, 1988.
  • [2]
    Complete Bibliography of Hagop Oshagan, Open Letter Publishing, Los Angeles, 1999. Voir, pour une présentation de l'œuvre en français, « Hagop Oshagan tel qu'en lui-même », Dissonanze, Milan, 1984.
  • [3]
    Une trentaine d'articles en arménien, publiés surtout dans les périodiques Haratch et Horizon, et dans la revue Kam (rédigée par l'auteur), portent sur les écrivains Oshagan (Hagop et Vahe), Zarian, Vorpuni, Chahnour, Tcharents. Une dizaine de textes en anglais, publiés dans des revues ou issus de colloques (dont plusieurs organisés par R. Hovanessian à Los Angeles), portent sur Totovents, Essayan, Mahari, Chahnour, et des questions théoriques : historiographie et négation, littérature et violence, mythe et roman.
  • [4]
    « La dénégation au cœur du génocide », in Rwanda, un génocide du xxe siècle, Paris, L'Harmattan, 1996.
  • [5]
    Cf. « Le fait et le droit », Lignes, septembre 1995 ; « Lettre ouverte à Pierre Vidal-Naquet », publiée par Y. Ternon dans Du négationnisme. Mémoire et Tabou, Desclée de Brouwer, 1999 ; « L'archive, le témoignage et la honte », in C. Coquio (sous la dir. de), L'Histoire trouée, négation et témoignage, Actes du colloque de septembre 2002 à Paris IV, à paraître.
  • [1]
    « L'archive et la preuve : les procès de la visée génocidaire », préface à V. Dadrian, « Le génocide devant le droit. Le cas arménien durant la Première Guerre mondiale », L'Intranquille, n° 2-3, 1994.
  • [2]
    « Sarafian, la conquête de l'exil », préface à N. Sarafian, Le Bois de Vincennes, Éditions Parenthèses, 1993.
  • [3]
    Travaux présentés en 1999 et 2002 dans le cadre de l'Association Internationale de Recherche sur les Crimes contre l'Humanité et les Génocides (www.aircrige.org).
  • [1]
    Cf. « L'Empire du sacrifice », L'Intranquille, n° 1, Paris, 1992.
  • [1]
    Dans l'avant-propos du roman Les Plaies d'Arménie, Apovian mettait en scène le fils du roi Crésus, muet depuis trente ans, recouvrant soudain la parole le jour où son père est menacé de mort. Voir « L'écrit et le mutisme », art. cit.
  • [2]
    Panorama de la littérature arménienne occidentale, 10 vol, 1945-1982.
  • [3]
    Auquel Nichanian a consacré un livre : Charents, Poet of The Revolution, Mazda Press, 2003.
  • [1]
    Proche de Tcharents, Mahari fut condamné à l'exil peu après la disparition de celui-ci en 1937, puis revint pour être déporté en Sibérie un peu plus tard.
  • [1]
    « L'expérience de la Catastrophe dans la littérature arménienne », Revue d'histoire arménienne contemporaine, t. I, 1995 ; « La Catastrophe et l'expérience des limites du langage dans la littérature de langue arménienne », in C. Coquio (sous la dir. de), Parler des camps, penser les génocides, Albin Michel, 1999 ; « Le retour de la Catastrophe », in L'histoire trouée, op. cit. En allemand, voir en particulier, « Dichtung des Armenier zwischen Lobesang und Katastroph », et « Faszination Konstantinopel », Armenien Wiederendeckung einer alten Kulturlandschaft, Museum Bochum, 1995.
  • [1]
    On y trouve un intéressant passage sur l'autodépassement de la critique chez Hagop Oshagan.
  • [1]
    Beledian utilise Berman et Benjamin à propos de la traduction, Blanchot et Nancy à propos de la « communauté », Lévi-Strauss, Kristeva, Todorov, Ricœur, Levinas et Marienstras sur les notions d'étrangeté, d'identité, d'altérité et de diaspora, Sh. Felman sur littérature et folie...
  • [1]
    Cité p. 266. Voir aussi son récit « Les Fantômes », qui évoque un trajet de Constantinople à Marseille : « Nous, émigrés, nous sommes à présent des morts, des morts vivants. Et la pensée que je suis un mort que ce navire va emporter vers des fosses étrangères me secoue avec force et me fait frissonner » (cité p. 113). Ce récit parut en 1941 ; le nazisme fut souvent vécu par les Arméniens comme une menace renouvelée.
  • [1]
    Alors que cette pratique de la traduction faisait partie de la culture arménienne depuis le Ve siècle. Le livre de Beledian offre des réponses à ces énigmes profondes. Le travail de Nichanian, traducteur en arménien de W. Benjamin et F. Nietzsche, est une réponse en acte.
  • [2]
    Mélodies mélodies, 1933, cité par Beledian p. 182.
  • [1]
    Cet autre à majuscule ne peut être assumé par aucun lecteur – en particulier féminin, car il prend souvent les traits de la femme fatale parce que étrangère. Cette altérité mythique rend à son tour cette littérature étrangère au lecteur, qui voit un enfermement là où l'écrivain imagine une ouverture. Ce monde fantasmatique lui apparaît ainsi aliéné et daté. C'est aussi pourquoi le livre de Beledian est précieux : cherchant le sens de l'échec et la valeur d'une telle fréquentation des limites, il interprète l'alternative et l'ambivalence comme formes issues de la Catastrophe.
  • [2]
    Voir aussi « Le tapis oriental », poème en prose d'Harout Gosdantian, publié en 1933 dans La Sagesse des jours ; et « Le Tapis d'Orient », première partie d'un triptyque romanesque, Sur les chemins du doute, publié à Paris en 1936 par Louisa Aslanian (Lass), qui fut arrêtée pour faits de résistance et gazée à Auschwitz (Beledian p. 261).
  • [3]
    Dans La Trahison des Haralez, deuxième volet d'une Histoire illustrée des Arméniens, traduite à la NRF en février 1977 par A. Missakian. Ibid. p. 200.
    – 1. Cité par Beledian p. 153. Zartarian est par ailleurs l'auteur du roman Notre vie (1934).
  • [2]
    Un peu plus tard, Scholem dira à l'auteur d'Eichmann à Jérusalem qu'elle manquait d'amour pour le peuple juif- à quoi Arendt répondra qu'elle n'éprouvait d'amour que pour les individus.
  • [1]
    « Les survivants d'un génocide sont des exilés de nulle part », La Survivance, op. cit.
  • [1]
    Jean Cayrol, « De la mort à la vie », Esprit, septembre 1949. Nuit et brouillard, Paris, Fayard, 1997, p. 76, 83, 106.
  • [1]
    C'est ici que le travail d'H. Piralian et celui de J. Altounian prennent tout leur sens. Voir en particulier le chapitre « Effets d'un héritage clandestin dans la vie psychique », dans La Survivance, p. 68 sqq.
« Et si je trace une esquisse de cette littérature un peu clandestine, qui s'insère dans la vraie, qui s'infiltre au hasard des catastrophes et des bouleversements, c'est qu'elle doit prendre rang parmi celles qui portent témoignage de la plus grande tuerie d'âmes. »
Jean Cayrol. De la mort à la vie, 1949.

1Il y a une différence saisissante entre l'activité critique publique consacrée aujourd'hui à la littérature de la Shoah, et l'actualité critique, réelle mais cachée, qui concerne la littérature de la Catastrophe arménienne  [2]. Cette littérature semble pourtant susciter depuis quelques années, dans les études littéraires, orientales et comparatistes, un intérêt nouveau [3]. Cet intérêt, lié au processus de (re)connaissance du génocide arménien, reste néanmoins très en marge de celui-ci, comme si le corpus de textes issu de la mémoire et de la pensée arméniennes relatives au génocide ne relevait pas lui aussi d'une histoire de l'événement. On sait que l'historiographie du génocide juif a connu en partie ce phénomène, dû à la nécessaire restriction des critères cognitifs dans la démarche historienne, et aux enjeux spécifiques de « l'établissement des faits » dans le cas d'un génocide. Mais il prend ici une ampleur et une longévité particulières.

2Il existe depuis longtemps une histoire de la Shoah, c'est-à-dire de la Catastrophe juive et pas seulement du génocide perpétré par les nazis. Les témoignages littéraires qui en sont issus commencent par ailleurs à entrer, pour une part, dans un « patrimoine » commun en voie de scolarisation – fait d'importance indépendant des jugements qu'on peut porter sur lui. S'il existe bien aussi une histoire de l'Aghed, c'est-à-dire de la Catastrophe arménienne, particulièrement dans la littérature, elle éprouve une difficulté persistante à s'imposer face à l'historiographie du génocide commis par les Jeunes-Turcs. Par ailleurs, cette littérature n'est entrée dans aucun cycle d'intégration culturelle européen, et n'y joue pas un tel rôle de transmission – y compris au sein de la communauté arménienne. Ces décalages sont eux-mêmes à interpréter. Ils concernent des impensés méthodologiques partagés et des singularités propres à l'histoire culturelle arménienne.

3Rejeter hors du champ historiographique le génocide en tant qu'il a été vécu, symbolisé et pensé reviendrait à fixer le seuil de l'événement en deçà de sa portée anthropologique, culturelle, éthique et philosophique, dont nul n'ignore qu'elle est essentielle dans le cas d'un génocide. Mais tout se passe comme si l'histoire du génocide arménien devait, appelée à fournir une stricte analyse des faits à cause du réel retard pris dans ce domaine – lui-même lié à l'avance prise par la négation, et à sa perpétuation – exclure une perspective « littéraire » secondaire, voire néfaste parce que subjective et, partant, confuse ; et comme si donc les textes et les idées, ne relevant pas des « faits », n'étaient pas susceptibles d'une histoire ni d'une interprétation. Or, c'est l'exclusion a priori de tout discours subjectif qui se montre facteur de confusion, semblant soustraire le sens de l'événement à la factualité historique, et ignorer l'histoire et la fonctionnalité spécifiques des systèmes d'intelligibilité inhérents à la littérature et à sa critique.

4L'étude des textes et l'histoire des idées se sont différenciées selon des traditions diverses – philologie, théorie critique, philosophie, littérature comparée...– qui postulent chacune leurs règles et leur propre historicisme. Mal pratiquées, elles peuvent donner lieu à une confusion qui ne fera que s'aggraver dans une perspective comparatiste précoce  [1]. Mais leur légitimité n'est pas plus en défaut ici qu'ailleurs, même si elles doivent, comme chaque science humaine, réajuster leurs méthodes face à l'événement génocidaire. Ces méthodes sont nécessaires dès lors qu'on intègre dans l'histoire de cet événement celle de sa « réception » écrite, et ceci dans tous les champs du savoir et des pratiques symboliques. Cette intégration, qui ne s'arrête pas à « l'histoire de la mémoire », mais requiert aussi la philologie, la poétique et l'esthétique, semble acquise aujourd'hui pour la Shoah ; elle est à peine esquissée pour la Catastrophe arménienne.

5Il ne s'agit pas ici d'alimenter une rivalité disciplinaire insensée, mais au contraire d'activer une dialectique naturelle : plus le champ historiographique s'étoffera et s'imposera face à la négation, en faisant de celle-ci un objet d'histoire et de réflexion autonome – comme c'est le cas depuis une quinzaine d'années pour le génocide des Juifs-, plus l'historien intégrera le témoignage dans ses archives  [2], et plus le champ littéraire se constituera à son tour comme document de langue et de pensée autonome. Son déchiffrement reste sourd à une logique positiviste qui, quelle que soit la factualité des textes, ne saurait être la sienne dès lors que l'objet historique – le texte – se constitue par la forme et la valeur de son sens. Il y a donc une autre histoire à écrire. Ou plutôt, puisqu'elle s'écrit déjà depuis plusieurs années dans des œuvres dont je veux donner un aperçu, cette histoire reste à intégrer de plein droit à l'histoire de l'événement entendu comme Catastrophe, et pas seulement comme génocide.

6Seule une lecture serrée des textes, accompagnée d'un surplomb interprétatif propre à fonder une périodisation historique, permet d'éviter les défauts du comparatisme, hiérarchisation et simplification – qui sont souvent deux modes d'incompréhension, voire de négation. Ce que nie le refus de comprendre n'est pas ici le crime du génocide, mais la résonance inédite d'une catastrophe vécue : catastrophe d'une nation sans territoire ni « centre », atteinte dans sa culture et sa langue, et par là catastrophe intime de chacun des sujets pris, du fait de leur naissance, puis de leur survivance, dans ces unités effondrées. La prise en charge de cet effondrement, qui fut portée par les écrivains arméniens à un état de conscience et un degré de responsabilité inouïs, forme, qu'on le veuille ou non, une culture particulière, constituée de discours affiliés et recyclés, mais aussi de poétiques et de créations singulières, nouvelles dans l'histoire des hommes. Cette culture nécessite un travail lui aussi particulier.

7En 1988, la revue Les Temps modernes créait un petit événement en consacrant un numéro spécial à l'Arménie. Ce volume contenait les premiers articles publiés en France de Marc Nichanian et Krikor Beledian [1]. Les années 2001 et 2002 ont vu paraître, de Beledian, Cinquante ans de littérature arménienne en France. Du même à l'autre ; de Nichanian, Writers of Disaster. Armenian Literature in the Twentieth Century. I : The National Revolution. Ces deux livres, publiés l'un en France, l'autre aux États-Unis, marquent une étape importante dans l'accomplissement public de recherches personnelles. Mais ils sont, dans les deux cas, la partie émergée d'un iceberg. Je voudrais ici dessiner la forme de l'iceberg, pour y saisir l'actualité critique de la littérature envisagée : celle, écrite en langue arménienne, qui entre en relation avec les événements de 1915, mais traite surtout d'« exil » et de « dispersion » ; c'est-à-dire d'une « Catastrophe » qui précède le génocide et lui succède différemment. Cette extension du thème catastrophique et son recouvrement par les thèmes de l'exil et de l'étranger sont une marque spécifique de la mémoire arménienne, qui va de pair avec l'évitement littéraire du témoignage. Ce point nécessite quelques précisions préalables.

8Une des singularités du destin historique arménien vient du fait qu'il existe un exil d'avant le génocide – c'est l'existence persécutée et dénuée de « centre » étatique des Arméniens depuis la chute du royaume de Cilicie – et un autre d'après le génocide, qui est sans retour possible. La défaite et la persécution des Arméniens – par les Perses, les Arabes, puis les Turcs – a été vécue comme un exil sans qu'une véritable culture diasporique se soit développée avant le génocide. Une littérature de la catastrophe s'est constituée, dès le Ve siècle, dans le genre de la chronique (Agathange, Lazare de Pharbe, Sébéos et Ghéwond...) qui a donné naissance à la lamentation. Ce genre, inauguré par le « Chant des lamentations » concluant L'Histoire des Arméniens de Moïse de Khorène, monument fondateur de l'historiographie arménienne, s'est accompli dans le Livre de chants de lamentations (1002) de Grégoire de Narek, qui fondait une poétique de la Catastrophe dissociée du récit historique. Si l'on repère ici des analogies avec la tradition juive, les différences sont plus significatives : tout en se référant fréquemment à la Bible et à l'histoire des Juifs, la plainte porte aussi sur l'absence de prophètes arméniens : la comparaison avec l'histoire juive est ainsi vécue comme élément de déréliction métaphysique absolue  [1].

9D'autre part, tandis que le judaïsme s'est assimilé les principes de l'histoire moderne sous les auspices de la science du judaïsme au xixe siècle, dont l'héritage allait former les futurs historiens de la Shoah, l'histoire arménienne, qui s'était écrite dans les récits des chroniqueurs pendant des siècles, a commencé alors à être prise en charge par les écrivains en même temps que le patrimoine oral arménien : c'est même à travers cette mission historico-ethnographique que la littérature arménienne, au milieu du xixe siècle, à l'initiative d'Apovian (Les Plaies d'Arménie), puis à l'exemple de ce que Komitas créait dans l'art musical [1], pensa sa modernité fondatrice. Cette vocation, par quoi le rêve arménien signait son affiliation à l'Europe romantique, exigeait la création d'une littérature émancipée des modèles antiques gréco-latins comme de la tradition chrétienne, capable de faire fusionner les langues écrites et orales. Elle coïncidait ici [2] avec la tâche de refonder une nation pour unifier un peuple – dont les élites dispersées autour d'Adana, Constantinople, Tiflis et Erevan, parlaient deux arméniens différents, l'occidental et l'oriental. C'est chargés de cette mission virtuelle que les écrivains durent affronter la Catastrophe, qui fut aussi celle de ce projet d'unification culturelle [3]. L'effort des survivants consista à traduire et repenser cette mission dans une nouvelle littérature arménienne autofondatrice, qui fut ainsi pour une part inchoative et critique. Si cette injonction d'écrire avait bien pour fonction de tenter un deuil, elle ne se confondit pas avec celle de témoigner. Il semble même qu'il n'ait pu y avoir, pour les écrivains arméniens, de subjectivation littéraire de la catastrophe sous la forme du témoignage de rescapé. Ou plutôt pas de fondation possible d'une telle tradition, donc de transmission sous cette forme générique.

10Si la Catastrophe arménienne s'est si mal transmise, et si peu par la littérature et le témoignage, c'est donc pour des raisons culturelles autant que socio-économiques. Il faut, pour comprendre cette béance, faire la part décisive du sinistre infligé à une population décimée et dispersée, manquant d'institutions, de publics, de lieux d'expression, d'édition et de diffusion – et Beledian donne ici des informations essentielles pour ce qui concerne la France. Vient ensuite le rôle du déni séculaire, mis en lumière par Nichanian : déni qui obligeait les écrivains, devenus collecteurs de témoignages, à faire infiniment preuve – cet impératif entrant en rivalité avec l'intentionnalité littéraire, comme l'ont éprouvé les premiers grands témoins, Zabel Essayan (Dans les ruines, 1911), Mikaël Chambdandjian (Le Tribut de la pensée arménienne à la catastrophe, 1919), Aram Andonian (En ces sombres jours, 1919), puis Hagop Oshagan qui, tentant d'en hériter dans la forme romanesque (Paralipomènes, 1931-1934), réfléchit ces contradictions (« À l'ombre des cèdres », 1934) [1]. Il y a enfin la prégnance de l'idée de nation, qui s'élabora, indépendamment des organes nationalistes, à travers l'idéal de l'art chez les écrivains exilés, sous des formes étrangères au témoignage littéraire individuel.

11La diaspora arménienne d'après le génocide – qui cette fois s'étendait des États-Unis en Égypte, en passant par Alep, Beyrouth, Jérusalem, Tiflis, Erevan, Venise et Paris – était nourrie de l'ancienne poésie de la lamentation, et de cette modernité porteuse d'un mythe national voué à la mémoire de lui-même. Elle ne disposait ni d'une historiographie moderne, ni d'une culture de la diaspora analogue à celle des Juifs, qui avaient fait de l'exil et de la destruction l'objet même du Zakhor, du « souviens-toi ». Or, si cette culture juive de l'exil fut détruite elle aussi par le génocide, elle joua un rôle décisif dans la réactualisation de l'impératif sacré de conservation des traces : on la voit à l'œuvre d'une manière saisissante dans les ghettos polonais, où s'organisèrent les premiers archivages fondateurs d'une histoire interne de la Shoah [2], et où d'innombrables témoins se mirent à écrire – parfois dans une forme littéraire, nouvelle pour eux. Il y eut pourtant aussi une compulsion à témoigner chez les Arméniens survivants, comme en atteste la profusion des récits et monographies recueillis par les organisations communautaires – relayées depuis peu par les institutions scientifiques, en particulier aux États-Unis – dont le déchiffrage et la traduction restent à faire [3]. La trace écrite tendit à prendre là aussi un caractère sacré. Mais cette sacralisation ne s'imposa pas à l'échelle d'une collectivité avec la même autorité : elle s'élabora chez les écrivains à la faveur d'une autorité symbolique reconstruite, en l'absence des « Pères » et dans la pensée de cette absence, c'est-à-dire dans le registre esthétique.

12Le deuil sacré porta donc sur les Pères, mais pas sur la nation arménienne à réinventer. C'est pourquoi, sans doute, il ne prit pas longtemps la forme du témoignage individuel. Le témoignage lui-même, constamment obligé de faire preuve, ne put élaborer la forme littéraire d'un deuil. En outre, la création d'une Arménie indépendante et sa soviétisation donnèrent un nouveau visage, de substitution, à l'idée de nation arménienne. Celle-ci dut se confondre avec l'espérance communiste, c'est-à-dire se fondre dans l'idéologie stalinienne : cette « nation »-là fut donc elle aussi détruite, cette fois sous l'effet d'une étatisation forcenée, qui prit l'allure d'une nouvelle catastrophe pour les écrivains arméniens : quels que soient les compromis de chacun, les rescapés du génocide disparurent les uns après les autres au Goulag – y compris Zabel Essayan, qui, avant de succomber au mirage soviétique, avait été le premier grand témoin des massacres. Au-delà du nouveau clivage, qui n'était plus linguistique  [1] mais idéologique (nationaliste/communiste), la persistance d'un mythe national, y compris dans des formes dénégatrices (Essayan), nostalgiques et esthètes (Sarafian, Oshagan), nihilistes et iconoclastes (Chahnour, Tcharents, Mahari), fut un des traits d'unité de cette littérature éclatée, un élément de culture diasporique.

13Attentifs à ces singularités, Nichanian et Beledian élargissent leur champ d'étude à la réalité pré- et post-catastrophique, en appuyant l'interprétation des textes sur une histoire culturelle au long cours. Cet élargissement va de pair avec une exclusivité accordée à la littérature écrite dans la langue arménienne, à la fois en Turquie jusqu'en 1922, puis en Europe, au Moyen-Orient et en Arménie soviétique  [2] Ainsi, la formation et le type d'approche de ces deux auteurs, linguistes, philologues, traducteurs, historiens de la littérature et interprètes des textes, donnent un accès privilégié à cette littérature. En « passeurs », ils mettent en relation des domaines étrangers les uns aux autres – ce qui s'accompagne d'une méditation sur « l'étrangèreté intérieure » et « l'épreuve de l'étranger ». Beledian, qui enseigne à l'Inalco et à l'Université catholique de Lyon, est par ailleurs écrivain  [1]. Nichanian, qui enseigne en études arméniennes à l'Université de Columbia, est par ailleurs traducteur et philosophe  [2]. Tous deux écrivent aussi en arménien, et héritent en penseurs de la littérature dont ils traitent. Leur lecture, à la fois empathique et critique, permet de relayer les questions posées par cette littérature et de comprendre sa généalogie. Tous deux s'interrogent sur le rapport du langage humain à la violence génocidaire, sur les limites de l'art dans sa capacité d'intégrer cette violence, enfin sur la relation qu'élabora la littérature arménienne moderne, ébranlée par la Catastrophe, avec d'un côté les formes de la tradition arménienne – poétique de la lamentation, mythe national, forme épique – et de l'autre, le monde européen et ses modernités. Cette plongée dans la langue et cet élargissement dans l'histoire semblent nécessaires pour saisir la teneur du rapport de cette littérature à la Catastrophe, et ses différences frappantes avec la « mémoire » littéraire de la Shoah. Sans quoi ces différences risquent d'être perçues en termes de déficit, dès lors qu'une étude des conditions de création, de diffusion et de réception n'est pas engagée dans tous les champs concernés : histoire événementielle, anthropologie culturelle, sociologie et histoire de la littérature.

14On peut néanmoins partir de cet apparent déficit, qui serait de deux sortes : défaut d'une littérature comparable à celle de la Shoah, qu'il s'agisse de Primo Levi, Élie Wiesel ou Imre Kertész ; défaut de témoignage rendu célèbre ; défaut de transmission. À considérer en effet les rayons de librairies, voire les bibliothèques nationales, on pouvait hier encore, une fois lu Les Quarante jours de Musa Dagh de Franz Werfel [3], se croire fondé à poser deux questions : Où est la littérature arménienne de la catastrophe ? Où sont les témoignages internes du génocide ? Mais cette double question, qui est bien celle de la langue et du lieu, se précise en se démultipliant comme suit. 1. Si la littérature de la catastrophe s'est écrite en langue arménienne, où s'est-elle écrite, dans quel pays hors l'Arménie peut-on la lire, dans quelle(s) langue(s) l'a-t-on traduite ? Or, les livres de Beledian et Nichanian montrent clairement, l'un pour la France, l'autre pour l'Arménie soviétique, que s'il y a déficit, ce n'est pas d'écriture, mais de réception, traduction et publication. 2. Puisqu'un grand nombre de témoignages arméniens ont en revanche été traduits, pendant et après la guerre  [1], pourquoi n'ont-ils que peu ou pas été des vecteurs de transmission (y compris historiographique) ? 3. Quel rapport y a-t-il entre cet échec du témoignage à transmettre et les difficultés propres à la littérature arménienne ? 4. Une « littérature de la catastrophe » relève-t-elle forcément du « témoignage » ? Qu'en a-t-il été ici des témoignages concernant la littérature, comment la littérature a-t-elle envisagé le témoignage ?

15Les travaux évoqués donnent certaines réponses à ces questions. Leur examen précis d'un système culturel et linguistique complexe fait saisir un paradoxe : les témoignages du génocide n'ont pris que rarement forme littéraire, et la littérature de la Catastrophe n'est qu'exceptionnellement une littérature de témoignage ; pourtant, ce sont bien les écrivains arméniens qui se sont investis de la tâche d'affronter la catastrophe, y compris et surtout dans leur langue. L'impératif de témoigner et la nécessité de faire œuvre n'ont pas donné lieu à l'élaboration d'une littérature de témoignage, mais à deux pratiques presque toujours distinctes : témoigner de ce qu'on a vu et recueillir à l'infini les témoignages d'un côté, afin d'attester la destruction niée ; de l'autre refaire exister la « nation » arménienne par une langue littérarisée. Dans cette configuration, c'est l'ensemble de la littérature qui, chargée de transposer la communauté dans une langue organique, quoique en partie détruite, se pense intégralement comme « trace » et par là « témoignage » de la Catastrophe. Une telle littérature peut ne parler que de la Catastrophe sans jamais l'évoquer ni la représenter directement [2].

16Beledian et Nichanian explorent ce paradoxe avec minutie, en se plongeant dans chaque œuvre concernée pour reconstituer un univers éclaté, mais animé de « principes » et de « paradigmes », et qui, comme tel, forme une certaine culture : celle de la diaspora post-catastrophique. Ils explorent en particulier, dans cette littérature, ce que Beledian a appelé le « principe esthétique » à l'œuvre chez les écrivains de la revue Mehyan, qui parut à Constantinople à la veille du génocide : Daniel Varoujan, Hagop Oshagan, Kostan Zarian, Keram Parseguian... Par eux, une fonction historique décisive fut attribuée à la littérature arménienne moderne, chargée de faire exister la nation à travers une « esthétique de la langue ». Cette représentation identitaire, qui héritait des idées romantiques d'individu et de nation, a survécu à cette génération d'écrivains, en partie décimée par le génocide, pour nourrir en exil une conception essentiellement littéraire de la « nation » arménienne – comparable en certains points au sionisme culturel d'Ahad Haam. C'est donc armés de cette esthétique subtile, mais politiquement fragile, que les écrivains arméniens ont voulu et cru pouvoir assimiler la Catastrophe, en lui répondant par la littérature et dans la langue arménienne. Cette littérature, hantée par le mythe national, suivit volontiers les voies du symbole, de la métaphore et de la suggestion, assimilant des schèmes d'époque – symbolisme, décadentisme, nietzschéisme, vitalisme – peu propices à ce corps à corps du réel et du verbe qu'est l'élaboration littéraire du témoignage de rescapé. Pour toutes ces raisons, cette littérature n'aurait pu se développer dans la forme du récit du survivant telle que la littérature de la Shoah nous l'a rendue familière.

17La littérature arménienne, fauchée quand naquirent ensemble l'idée de littérature moderne et celle de nation sans État, était trop nostalgique d'unité collective et de forme totalisante pour revendiquer comme création artistique autosuffisante un témoignage intense fortement individué. Ou plutôt, l'exigence d'individuation s'y manifesta sur un mode essentiellement esthétique : il fallait, plus encore que témoigner de la Catastrophe, lui répondre, c'est-à-dire transfigurer l'événement en le faisant passer dans la langue. Il semble donc que ce soit la sacralisation du principe esthétique comme idéal national face à la Catastrophe qui ait maintenu dissociés l'écriture littéraire et le témoignage. Aucun écrivain rescapé n'a pris le lecteur par la main en lui racontant sa désintégration d'homme, comme le feront Levi, Antelme et Améry, méditant la teneur commune d'une expérience personnelle. Les écrivains arméniens issus de Constantinople avaient aussi à célébrer le deuil de la désintégration arménienne, et ce deuil était impossible. Levi et Améry ne se préoccupaient d'aucune nation juive, et ils avaient fait par ailleurs du sacrifice assumé de la forme esthétique un autre principe d'écriture, quasi expérimental, où le dépouillement du style s'autorisait de son sujet.

18Lorsque le témoin arménien vise le dépouillement, il se dépouille aussi de la littérature – ce que Levi et Améry ne firent qu'apparemment. Lorsque l'écrivain arménien témoigne, c'est comme observateur, dont l'activité littéraire, si elle n'est pas volontairement suspendue pour des raisons éthiques (Z. Essayan), consiste à livrer des tableaux frappants (A. Andonian) plus qu'à composer le récit d'un effondrement intime. Et lorsque le romancier, dans les années 1930, tente de composer un grand récit polyphonique capable de reconstituer l'histoire du peuple arménien jusqu'à la déportation, comme l'a fait Oshagan dans son énorme Mnatsortats, il se heurte, au seuil de la partie finale, à l'idée du témoignage infini qu'il faudrait collecter avant de pouvoir écrire. Ainsi la forme romanesque, chargée de restituer le tout d'une histoire et d'un peuple, à l'image des anciens chroniqueurs et à la manière des romanciers modernes – contradiction qui aurait pu nourrir une authentique création si elle s'était affrontée à une guerre – rencontra les mêmes obstacles que la langue esthétisée dont rêvaient les écrivains de Mehyan vingt ans plus tôt. En l'absence d'un travail historiographique autonome, les écrivains se voyaient investis d'une tâche impossible : à la fois répondre esthétiquement à la Catastrophe en ressuscitant « l'âme » arménienne par un travail sur la langue, et, transmettant les témoignages, attester aux yeux du monde une destruction qu'ils savaient n'avoir pas à prouver.

19Mais ainsi, chaque écrivain était amené, s'il réfléchissait les contradictions de son projet, à formuler ce qui n'avait encore été pensé par quiconque, et qui allait l'être ensuite au point de travailler en profondeur toute la culture occidentale : la violence génocidaire résiste non seulement à la figuration littéraire, mais à la perception et au sens. C'est pourquoi les essais de formalisation esthétique de ces écrivains, accompagnés de leurs réflexions critiques et autocritiques, sont d'un intérêt précieux pour la recherche actuelle sur le génocide et ses retombées. La manière dont ils se sont affrontés à la Catastrophe génocidaire constitue un phénomène inédit dans l'histoire des hommes : elle montre à l'œuvre un travail d'initiation à la fonction du témoignage (Essayan, Chambdandjian), et de compréhension intime des contradictions propres à une littérature de témoignage, à un moment où la position de témoin ne s'est pas culturellement constituée. La réflexion des apories rencontrées fait penser ce qui, dans la symbolisation esthétique, résiste à la destruction génocidaire au point de la nier : ce qui, dans l'essai d'unification littéraire, échoue à rendre compte de l'unité désintégrée. L'interprétation de ces textes enfouis, loin d'être une tâche marginale et désespérée sur un matériau perdu, opère donc dans le champ de la pensée critique et de l'anthropologie un travail dont il faut saisir la teneur, aujourd'hui cruciale.

20Beledian et Nichanian éclairent ces apories comme de l'intérieur : héritant de ce « principe esthétique », ils l'interprètent quand il se met en place à Constantinople en 1914 (Mehyan), puis après le génocide : autour des revues Barstravank à Constantinople [1], puis Menk à Paris. Les deux critiques reviendront dans leurs livres prochains (Perspectives sur la catastrophe ; Writers of Disasters, 2) sur les deux grandes œuvres qui ont « aimanté » leur propre travail : Daniel Varoujan et son « paganisme » chez Beledian, qui a consacré à ce poète un important essai poétique en arménien  [1] ; Hagop Oshagan, à qui Nichanian a consacré une multitude d'articles en trois langues et une Bibliographie complète[2]. Afin d'en dire un peu plus de ces deux entreprises critiques, je commencerai par un aperçu sur l'ensemble des productions de Nichanian, puis terminerai par quelques réflexions sur le livre-somme de Beledian.

I. Marc Nichanian : la violence, le mythe et le deuil

21Outre le volume récemment paru, Writers of Disasters. Armenian Literature in the Twentieth Century, 1, qui sera donc suivi d'un second, consacré au groupe de Mehyan et ses héritiers, Nichanian a publié en français, en anglais et en arménien [3] un grand nombre d'articles portant sur deux domaines distincts : 1. les enjeux et les formes du processus de négation depuis le génocide [4] jusqu'aux débats récents (« affaires » Lewis et Veinstein) et la question du rapport entre histoire, deuil et droit [5] ; 2. le rapport des écrivains arméniens à la Catastrophe, tel qu'il s'exprime dans le travail sur la langue et son idéalisation. Son œuvre française consiste en plusieurs volumes parus ou à paraître : son livre Âges et usages de la langue arménienne (Paris, Entente, 1989) ; les textes composant le recueil intitulé Génocide et Catastrophe, en préparation ; ses préfaces aux éditions françaises des livres de l'historien V. Dadrian [1] et de l'écrivain N. Sarafian [2]. C'est dans sa propre traduction enfin qu'on peut lire les travaux de l'historien Vahakn Dadrian sur le génocide arménien (Autopsie du génocide arménien, Bruxelles, Complexe, 1995 ; Histoire du génocide arménien, Paris, Stock, 1996). D'autre part, sa recherche sur la littérature et l'histoire arméniennes s'articule à une critique des discours dans d'autres champs (théorie de la traduction, philosophie de l'histoire) – voire à propos d'autres événements (Kosovo, Afrique du Sud [3]).

22Cette œuvre critique est affiliée à deux traditions distinctes : l'une, philologique, est nourrie aux sources d'une culture arménienne dont il est à la fois l'héritier et l'historien ; l'autre, philosophique, hérite d'une tradition herméneutique issue du romantisme allemand, passée par les formes modernes du messianisme juif (W. Benjamin et F. Rosenzweig), et les penseurs français du nihilisme critique (J. Derrida, J.-L. Nancy). Ces filiations croisées animent les écrits de Nichanian d'une tension théorique particulière sur le terrain de la langue et de l'esthétique. D'autre part, ses travaux montrent une attention soutenue au savoir historiographique dans ses acquis et ses limites, ainsi qu'à l'actualité politique. Il traverse ainsi divers champs armé d'une méthode interprétative propre. Cette méthode consiste à chercher dans certains textes littéraires et philosophiques des instruments conceptuels permettant d'interpréter les données historiographiques et poétiques, en vue d'une anthropologie de la violence moderne. Anthropologie paradoxale, puisqu'elle porte sur les formes de l'inhumain comme désintégration du symbolique et interdit du deuil par destruction de la tombe et de l'archive. C'est ainsi par une confrontation des faits historiques et des textes littéraires que sont pensées à la fois la Catastrophe et la littérature, la violence étatique et la fonction de l'écrit dans la modernité. Dans le commentaire, la théorie se construit ses propres instruments critiques, dont le corpus alternatif entre en discussion avec telle pratique chez l'historien, le linguiste et le philologue : pratique « positiviste » qui ignore ou feint d'ignorer la destruction génocidaire de l'archive en sa demande de preuve et son déni du témoignage ; approche factuelle ou « sociologique » de la langue arménienne, qui ne fait pas le lien entre dispersion de la langue et avènement de la « Catastrophe » ; approche hagiographique ou idéologique des textes littéraires cédant au mirage de la « centralité », voire au nationalisme, inapte à prendre la mesure de la Catastrophe et des conditions d'existence de la pensée en diaspora.

23Cette œuvre critique développe ainsi une herméneutique des formes modernes de la violence extrême, politique d'un côté, symbolique de l'autre, en même temps qu'une histoire intellectuelle de la langue et de la littérature arménienne moderne. L'une vise à produire une autre histoire de l'événement, qui serait non plus celle d'un génocide dénié par les criminels et leurs héritiers, mais celle de la Catastrophe arménienne, écrite à partir du mutisme des victimes, de la parole des témoins et de la pensée artistique, recueillie à travers les échecs autant que les réussites formelles ; l'autre veut être une autre histoire de la langue, visant à saisir l'origine et le devenir de la dispersion catastrophique, en son lien paradoxal avec l'éveil de la conscience nationale et la sacralisation moderne de l'art. Ces deux pans se recoupent en plusieurs points essentiels, nœuds conceptuels qu'on peut désigner par trois mots : sacrifice, deuil, diaspora.

24La notion de sacrifice, extraite de la sphère esthétique à partir d'une lecture critique d'Oshagan [1], permet de penser la différence entre le mode d'exercice du pouvoir exercé par l'Empire ottoman, et le projet d'anéantissement propre à l'État turc modernisé, le passage d'une violence sacrificielle à une violence immotivée. À quoi correspond le saut, dans la littérature arménienne, d'une ancienne violence de « style » intégrant la violence sacrificielle, à une violence de « thème » qui échoue à « intégrer » la Catastrophe génocidaire dans la langue. La notion de deuil est elle aussi traitée sur deux plans, épistémologique et poétique à la fois : celui de l'interdit du deuil infligé par le bourreau à la victime, constitutif de l'inhumain génocidaire, qui se prépare dans la destruction des archives et s'achève dans la négation du témoignage ; celui de l'expérience littéraire du deuil, qui cherche à surmonter l'expérience catastrophique en éprouvant les limites du langage, mais aussi en héritant d'un certain idéal de l'art, tentant un deuil incertain du mythe national arménien. Quant à la notion de diaspora, elle surplombe toute l'œuvre à la manière d'une exigence de pensée qui relaie les deux autres : seule la compréhension du deuil impossible et du sacrifice périmé permet de saisir le caractère définitif de la vie en diaspora, et d'imaginer les nouvelles conditions d'existence culturelle de la communauté dispersée.

25Ces trois notions sont travaillées à des niveaux différents dans ses textes. Âges et usages de la langue arménienne, au-delà de l'exposé historique et linguistique érudit, cherchait à saisir la dynamique souterraine de la dispersion et de l'éclatement, à partir des projets de littérarisation et d'unification de la langue arménienne, du Moyen Âge à la modernité. Cette histoire de la langue, scandée par ses moments de rupture, se transformait en analyse d'une crise et en généalogie de la Catastrophe, paradoxalement ponctuée par des projets liés de modernité esthétique et de renaissance nationale : celui qui naît de l'épreuve du « mutisme » mis en scène littéraire par Apovian en 1840  [1], allégorisant sous le signe du pressentiment du désastre la déchirure nécessaire d'une aliénation culturelle ; puis celui, inspiré par le « paradigme de Komitas », qu'imaginait en 1914 le groupe de Mehyan : « principe esthétique » dont Hagop Oshagan expérimenta la crise radicale dans les années 1930 en renonçant à achever Mnatsortats, épopée négative impossible, dont l'immense Panorama de la littérature arménienne, intégrant son propre « Témoignage » d'écrivain, devint le pendant ou le substitut réflexif [2]. Enseignant la littérature arménienne à Jérusalem, où il vécut le reste de sa vie après s'être réfugié en Bulgarie, puis au Caire, puis à Chypre, Oshagan s'efforça de prendre en charge, à partir de son expérience de la démesure et de l'inachèvement, la transmission critique de l'intégralité de la production littéraire arménienne. La teneur de ce projet fait qu'on peut parler d'un « paradigme d'Oshagan », paradigme critique mis en lumière et à l'essai ensuite par Nichanian. Ainsi l'histoire alternative de la langue devient-elle, chez celui-ci, celle d'une idée de nation et d'un idéal de l'art, inspirée par cette figure maîtresse de la diaspora arménienne.

26Writers of Disasters poursuit l'exploration de ces paradigmes. L'ensemble de la série est placé sous le signe de « deux poètes assassinés » : Daniel Varoujan, inspirateur du groupe de Mehyan, raflé le 24 avril 1915 et déporté en Asie Mineure, où il fut déchiqueté au couteau un jour d'été où il se révolta ; Yeghishé Tcharents  [3], arrêté à Erevan en juillet 1937, condamné pour nationalisme antirévolutionnaire, mort détenu dans un hôpital le 27 novembre 1937, et dont la légende dit qu'il se fit exploser la tête contre les murs du NKVD. L'un, né en Asie Mineure, avait fait ses études à Constantinople, Venise et Gand. Puis, revenu dans son pays, il avait évoqué les massacres de Cilicie dans une série de poèmes, dont Dans les cendres de Cilicie et Le Carnage. Tcharents, lui, avait passé son enfance à Kars, s'était engagé parmi les bataillons arméniens en 1915, puis dans la guerre civile qui suivit la révolution russe, puis dans celle qui déchira l'Arménie caucasienne (1921). Auteur célébré du Requiem pour Komitas, où il rendait hommage au maître vénéré, et du Pays Naïri, où il chantait le deuil de la patrie arménienne, il s'empêtra dans des propos sur la « forme nationale » et le « contenu prolétarien » qui lui aliénèrent l'estime de Mandelstam et le conduisirent chez Beria.

27C'est cette seconde « famille », celle des écrivains morts en Arménie soviétique, déportés ou exécutés, qu'évoque ce premier volume sous la forme de quatre monographies (suivies d'une série de traductions précieuses) : 1. le tournant historique et la question du deuil dans la poésie de Yeghishé Tcharents ; 2. Gourguen Mahari : les flammes de Van ; 3. Zabel Essayan : la fm du témoignage et le tournant catastrophique. 4. Vahan Totovents : le simulacre et la foi prêtée. Chaque étude construit sa propre problématique, posant en majeur une question que les autres retrouvent en mineur : celle du témoignage comme tentative de deuil et des limites du témoignage littéraire, à partir de l'œuvre de Z. Essayan, dont l'auteur tente d'expliquer le revirement idéologique par la violente désillusion éprouvée après le génocide à l'égard de toute espérance nationale ; celle de la littérature comme deuil du mythe, et plus précisément du deuil littéraire du mythe national, dans l'œuvre de Y. Tcharents (Le Pays Naïri), et dans un roman tardif de G. Mahari, Les Vergers en feu paru à Erevan en 1966 – après une vie passée pour une grande part en exil et en déportation  [1]. Chez Mahari, dont la réflexion centrale porte sur les auteurs et les absents de l'Histoire, ce deuil passa par celui du père : il fallut quarante ans de détour, d'attente et de persécution pour qu'un roman soit, exceptionnellement, directement consacré à la Catastrophe : Les Vergers en feu « raconte » la résistance et l'évacuation de Van en juin 1915. Mais par sa forme dialogique et son parti pris satirique, le roman, d'ailleurs dédié au romancier le plus iconoclaste de la diaspora française, Chahan Chahnour, s'interdit toute dénonciation ou exaltation héroïque – provoquant ainsi l'irritation des nationalistes, qui en trafiquèrent l'édition et la lecture dès 1967, deux ans avant la mort de l'auteur. La lecture de l'œuvre romanesque de V. Totovents, enfin, se fait à travers un autre paradigme : celui de la « simulation ». Car cette œuvre, commencée après le génocide sous le signe d'une critique radicale de toute foi, fut prise dans le piège fatal de l'allégeance mensongère au communisme, que son auteur s'appliqua à renier secrètement sans plus pouvoir garantir l'intégrité de son écriture, dans un jeu de simulacres avoisinant la folie et égarant ses lecteurs.

28L'intérêt profond de l'ouvrage, qui lit ces textes à contre-courant d'une lecture nationaliste, consiste dans son déchiffrement des détours et subtilités de chacun des auteurs, qui, diversement issus de la Catastrophe, se retrouvaient cette fois aux prises avec l'idéologie soviétique. Leurs stratégies littéraires, où s'exprime un résidu d'arménité, plus ou moins assumé, sont interprétées comme répliques formelles à une double crise de croyance : celle qu'a provoquée le génocide, puis, au-delà du nouvel espoir communiste, celle que fait vivre au jour le jour la chape de plomb du totalitarisme. Ces interprétations, qui sont autant de variations sur le désespoir, la foi et le déguisement, mettent encore en jeu la langue : chez ces écrivains venus d'Arménie occidentale, obligés de s'adapter à l'arménien oriental, les traits d'écriture qui rappelaient leur culture et leur langue d'origine, tout en parlant contre eux politiquement, devenaient des traits diasporiques en pleine Arménie.

29À la Sorbonne, en mars 1996, Marc Nichanian avait organisé un colloque sur le thème « Exil et diaspora », dont l'argument était une question : la recherche du sens est-elle possible au travers d'une communauté désintégrée et d'une langue sans patrie, capables (ou non ?) de se mesurer à la Catastrophe et de traduire, dans une langue vivante, la mémoire interdite de deuil et le caractère définitif de l'exil ? La grande question, celle du sens possible après la Catastrophe, surplombe toutes les interrogations menées dans cette œuvre. La petite, posée entre parenthèses à l'intérieur de l'autre, fait mesurer l'intensité de l'inquiétude qui l'anime : son défi.

II. Krikor Beledian : la cachette de l'exil et la langue magique

30Beledian a consacré jusqu'ici quelques grands articles, en français et en allemand, à la poétique de la Catastrophe chez les écrivains issus d'Arménie occidentale qui, réfugiés en Europe ou en Orient, écrivirent aux lendemains du génocide, et éprouvèrent à la fois les limites de la littérature et celles du témoignage [1]. Le livre récemment paru se concentre sur la littérature arménienne en France, et sur la manière dont les écrivains ont masqué la Catastrophe, évité le témoignage et contourné ses limites. L'envergure de ce travail est propre à combler l'immense lacune que constitue la méconnaissance, en France, de la littérature qui s'y est pourtant développée, comme en cachette, depuis les années 1920, au point de faire de Paris le centre littéraire de la diaspora arménienne. Il présente une analyse périodique d'auteurs arméniens majeurs – Chahan Chahnour, Hagop Oshagan, Vazken Chouchanian, Nigoghos Sarafian, Zareh Vorpouni, Zabel Essayan – ainsi que de nombreux textes moins connus, étudiés à travers les revues arméniennes et dans leurs rapports à la culture française. Or, ce corpus de textes forme un matériau littéraire et critique des plus singuliers, en constante interrogation sur lui-même, sur son mode de survie, d'existence et de transmission. Par sa connaissance intime et savante de ces textes et son usage de concepts externes, ajustés à leur objet avec un naturel dû à une formation philosophique autant que philologique, l'auteur nous fait pénétrer progressivement un véritable continent noir. Sa démarche critique s'y réfléchit implicitement, mais lucidement, dans une littérature elle-même volontiers réflexive.

31L'étude, chronologiquement structurée en cinq parties, commence par la période dite de « formation » (1922-1928) : après un historique des groupes et revues de l'époque, l'auteur présente l'état sinistré de la communauté diasporique aux lendemains de la Première Guerre mondiale et du génocide, et interprète en termes socio-économiques sa stérilité littéraire, dont le reflet dans certains textes est analysé à travers une étude de poétique axée sur la figure de la femme de Loth transformée en statue de sel. La deuxième partie, « l'explosion créatrice (1924-1934) », présente un précieux gros plan du groupe dit de l'« École de Paris » ou « Jeunes de Paris », analysant le foisonnement des revues, et le caractère novateur et les contradictions destructrices de l'une des plus importantes d'entre elles (Menk, Nous), qui tente paradoxalement d'hériter, en diaspora, des idéaux esthétiques et nationaux du groupe de Mehyan. Cette décennie voit l'essor du genre romanesque, où s'écrit, dissimulée et codée, une histoire nationale en décomposition. L'auteur y analyse le rapport d'une écriture poétique aux mythes ancestraux et à la Catastrophe récente, et les effets symboliques d'une violence extrême qui déchire la transmission en faisant disparaître les pères  [1]. La troisième partie (« Vers l'éparpillement » 1935- 1940), étudie les clivages politiques des milieux littéraires arméniens confrontés au fascisme, et l'essor d'une production poétique nouvelle ; la quatrième (« Le reflux » 1940-1941) expose les termes nouveaux d'une crise d'identité paralysante, placée sous le signe de Hamlet, et les formes diversifiées – du tragique à la satire – d'une production dramaturgique vivace. La cinquième enfin (« La reprise » 1952-1972) analyse les signes d'une ouverture nouvelle à la pensée politique, et certaines figures de la modernité liées à l'idée de destruction ou d'absence. Pour chaque période, un surplomb synthétique, souvent couronné d'une figure symbolique, permet d'embrasser une production d'abord étudiée de près dans son profil socio-historique, puis dans ses formes et sa teneur poétiques. Tel genre littéraire est interprété, dans son essor ou son évolution, comme forme mouvante d'une interrogation sur soi, oscillation ou glissement d'une hantise de l'identité à l'intégration de l'altérité, formant une littérature de l'exil plus ou moins nostalgique ou novatrice.

32Ce livre touffu fait tout bonnement découvrir au lecteur français une chose étrange : la présence souterraine, dans son pays, d'une littérature « étrangère » vivant dans des milieux et selon ses règles propres. Il suscite ainsi une réflexion inédite sur le phénomène diasporique, sur les modes d'institutionnalisation de la littérature, sur les conditions de transmission d'un monde d'affects et de pensées issu d'une rupture d'humanité, et sur le sentiment d'étrangeté intérieure propre à l'exilé d'après la Catastrophe. L'étude des textes arméniens est émaillée de citations théoriques dont le réseau finit par construire l'intelligibilité d'un matériau a priori opaque  [1]. Leurs concepts viennent éclairer ceux que les écrivains arméniens ont eux-mêmes tissés en secret au fil de leurs œuvres. Il est parfois fait référence aux témoignages des camps nazis et à la réflexion qu'ils ont suscitée, sans que ces comparaisons ne soient une finalité. Car c'est la relation clivée et mouvante de l'arménité à la langue et à la nation françaises qui constitue ici l'objet comparatiste. Du reste, l'objet de l'étude n'est pas le génocide, même si celui-ci est le réel centre de gravité de cette littérature : l'auteur montre à quel point celle-ci contourne l'événement dont elle porte la trace, mais non le témoignage – différence qui constitue l'héritage spécifique de cette littérature d'après-Catastrophe. C'est ainsi sur le thème de l'exil que se focalise l'analyse, en tant que déplacement du thème catastrophique : celui-ci apparaît caché, dit l'auteur, dans les « plis thématiques de l'exil » : le désert, la débâcle, le chômage, l'hôpital, la maladie, l'impuissance, la nuit, la forêt, la tentation de vivre et la vie comme vol, viol, inceste, vieillissement...

33Cet univers caché dont les repères propres, occidentaux et orientaux, se mêlent parfois jusqu'au paradoxe et la paralysie, fait porter au lecteur un œil différent sur la culture et la nation françaises. Il lui fait éprouver, en même temps que la stupeur d'une découverte, un sentiment proche de l'inquiétante étrangeté : car ce monde inconnu, lui, connaissait le sien de très près. Ce sentiment s'éclaire en particulier à la lecture, au milieu de ces 500 pages, d'un poème très français, dont nous croyions bien connaître l'auteur, nommé Armen Lubin :

Du haut en bas une ligne axiale me divise
Me divise sans disjoindre les deux volets
De l'échelle double et de la double identité,
L'homme qui se divise s'enténèbre cependant.
Et la nuit qui me porte atteinte en montant,
Côté ombre qui se ramifie et côté sang,
C'est l'ombre à deux couleurs, la pâle et la sombre,
L'hésitante d'une part, et celle qui me surprend.

34De l'auteur de ces vers publiés dans un recueil intitulé Feux contre feux, salué alors par Philippe Jaccottet, il a été longuement question déjà dans le livre de Beledian, mais sous un autre nom : Chahan Chahnour. Commentant ce poème, Beledian écrit qu'il est le « point nodal dans la poésie d'Armen Lubin », parce qu'il articule « la double identité du poète » au destin de « l'homme égaré de naissance » qui est « allé trop loin dans le déchiqueté » (p 393). Lire le livre de Beledian, c'est découvrir ainsi qu'Armen Lubin, connu en France pour Le Passager clandestin, Transfert nocturne et d'autres proses sarcastiques, était le nom d'emprunt d'un homme né en 1903 près de Constantinople, dans un lointain pays d'Orient quitté en 1922 pour la France, où il était devenu photographe et journaliste ; que cet homme avait baigné dans les milieux littéraires arméniens à Paris, fréquenté les milieux d'Haratch et Menk ; qu'un de ses livres, La Retraite sans fanfare, était devenu un classique de la diaspora arménienne en faisant scandale, Chahnour s'étant fait une spécialité de malmener sa communauté dans ses cultes et ses nostalgies. Soudain s'éclaire le sens d'un incroyable parcours identitaire et linguistique. Le soin que Chahnour apporta à sa blessure d'exil comme à sa lucidité dévorante, prit la forme – comme chez Kafka – d'une tuberculose, qui le fit vivre plus de vingt ans dans les sanatoriums... et changer de nom pour devenir « Armen Lubin ». Après trente ans d'absence à la langue arménienne, la double blessure le fit revenir à sa langue initiale, en 1957. Ce n'est que trois ans avant sa mort, en 1971, que Chahnour parla enfin d'un « soleil noir » qui s'était jusque-là caché dans ses textes, comme dans ses poumons : la catastrophe de 1915.

35Chez Chahnour, le changement de langue même n'eut pas raison de cette cachette illuminée. Beledian commente encore ainsi le poème de Lubin : « Le Moi clivé, déchiré mais non disjoint, est habité par une nuit quasi originelle, constitutive de l'être même de l'exilé. » Dans « À la nuit venue », le poète apparaît comme l'exilé qui veille et fixe la flamme, à l'heure où disparaît le dernier oiseau : « Mais lorsqu'on est en terre d'exil et exilé, / Plus on est réveillé plus on est exilé. » Le parcours qui fait aller « du même à l'autre » ne fait jamais cesser d'être un étranger à soi-même, ni de rendre équivalents le réveil et l'exil. Car c'est la nuit, donnée de naissance, qui fait que l'homme s'enténèbre et se divise en ombres colorées. C'est pourquoi cet exil-réveil ressemble tant à un ensommeillement – Chahnour reposant en Lubin et inversement : le réveil total est impossible, qui verrait l'extinction des feux de cette contre-nuit.

36Quelque chose de grave, dans l'exil, accompagne chaque geste au cœur du plaisir et de sa douceur, endort et dévitalise toute réalité vivante. C'est ce que dit aussi Bedros Zaroyan, dans « L'un de mes jours », qui conte la morne journée d'un jeune Arménien travaillant à la Bourse de Paris :

37Lorsque les rives sont étrangères, étrangère est la langue. Le ciel est chaud mais lointain, le ciel est bleu mais froid, le vent est bon mais il souffle la mort[1].

38Cet homme qui sent, se rêve et se pense à travers l'exil, c'est celui qui, de naissance, fut l'enfant de la Catastrophe et ne reviendra jamais en deçà, ni chez lui. L'exil est ce mauvais rêve d'où l'on ne finit jamais de se réveiller, ce Bois de Vincennes féerique et nauséeux qui s'étend jusqu'à la mer Noire et frappe son promeneur d'un sommeil lourd, comme le dit la trouble incantation du Bois de Vincennes de Nigoghos Sarafian. Dans ce bois enchanté de la survie, chacun est un criminel né, prostitué d'âme et de corps, forcé de plonger dans l'autre comme dans un gouffre, de vivre dans la honte et la faute, de désirer des putains étrangères et d'aimer d'amour sa sœur, de tuer son père et d'ignorer sa mère, de survivre au souvenir infini d'une grand-mère rescapée.

39Ce savoir enfoui de la violence et cet art des traces, pourtant, ne portent pas seulement le désespoir et l'errance. Ils sont animés d'une espérance, violente elle aussi, dans les pouvoirs de la langue et de la littérature. Au moment même où l'on tue un père et une mère qui ne cesseront jamais de mourir, la langue maternelle devient l'objet d'une foi particulière : foi en ce qui reste et doit rester caché, et qui de ce fait devient magique. Il y a chez ces auteurs un investissement passionné de la littérature comme territoire de l'âme, agent possible de différenciation individuelle et collective au sein de l'exil. L'intérêt du mouvement des « Jeunes de Paris », fondateurs de la revue Menk, est précisément ce « Nous » inchoatif par lequel ils se désignent, sans doctrine ni programme – ce dont se moqua Zabel Essayan au plus fort de son endoctrinement soviétique, et qui ne pouvait pas non plus séduire les nationalistes. Le seul programme de ces auteurs tenait, de fait, dans leur année de naissance, qui leur suggérait de s'égarer ensemble : beau programme, en réalité, pour une culture de la diaspora. Si cette tentative de communauté échoua à créer un Nous durable, elle fut la première création commune d'un désir et d'une forme d'existence en exil. Cette forme devenait artistique, et ce désir de vivre en diaspora se confondait avec celui d'écrire en arménien : le cas Chahnour-Lubin fut une exception. La plupart du temps, « l'épreuve de l'étranger » ne fit pas écrire dans la langue française, ni traduire cette langue dans la langue arménienne  [1].

40Cette croyance dans la magie d'une langue à la fois morte et vivante comportait un danger majeur : celui de construire un exil intérieur absolu. On peut devenir fou en parlant cette langue de personne, mais on peut aussi le devenir en feignant d'ignorer cette langue maternelle, devenue celle d'un « nous » introuvable. C'est ce qui arrive au personnage-narrateur d'un conte de Chavarch Nartouni (1898-1968) intitulé « Nostalgie de la langue arménienne » : cet homme, qui n'a pas parlé depuis longtemps arménien et à qui un psychiatre grec dit un jour, comme un oracle : « Tu oublieras ta langue », se met à rêver qu'il parle arménien avec un chat, puis part monologuer dans les champs, afin, dit-il, « que personne n'entende mon délire et ne me prenne pour un fou  [2] ». La « nostalgie » est cette foi qui donne la force d'enfouir la Catastrophe dans la langue, et voue la littérature à cet enfouissement. Pourtant, ce désir esthétique où prend forme la vie d'après la Catastrophe n'ignore pas le temps historique : il fait même parler parfois de « révolution littéraire ». Mais l'événement littéraire cache l'autre, et le nouveau « Nous » qui l'appelle, malade de l'ancien Nous détruit, ne peut faire exister qu'à demi le « Je » qui fait écrire. Face à ce « Je » malade d'un Nous impossible, il y a un « Autre » mythique, unifié sous les espèces de l'étranger, qui à la fois attire et aliène, constamment sexualisé, sans intériorité, qui ne correspond à aucun lecteur effectivement étranger  [1].

41Face à ce monde clivé, faisant œuvre critique, l'auteur prend le relais d'une réflexion menée déjà par certains de ces écrivains. Ceux de la revue Menk en particulier ont porté leurs efforts sur la nécessité de fonder une tradition tout en détruisant le mode de transmission jusque-là consacré qui, selon eux, avait mené le peuple arménien à la Catastrophe. Car si la littérature se rêve capable d'inventer une patrie spirituelle, il arrive à ces mêmes écrivains d'incriminer la littérature pour sa responsabilité dans la catastrophe. Cette réflexion sur une transmission destructive est des plus parlantes aujourd'hui pour qui a lu Kafka, Benjamin, Celan et Adorno, mais aussi les grands témoins et artistes de la « connaissance négative » issue des camps, Varlam Chalamov ou Imre Kertész : chez eux en effet, le témoignage fortement subjectivé et littérarisé de la destruction met en œuvre une critique de l'inhumain à l'œuvre dans la culture héritée, qui conduit à penser la destructivité nécessaire de modes de transmission adéquats à cet héritage.

42On peut dessiner la courbe critique que connaît cette littérature de l'exil en suivant les avatars d'un motif apparemment exotique, qui revient de loin en loin dans les textes évoqués : celui du tapis d'Orient. J'en évoquerai pour finir deux apparitions [2] « Un brin de cœur tendre », nouvelle de Chahnour publiée en 1933  [3], narre la rencontre de deux exilés arméniens à Paris : Yébraksé, une vieille femme énergique et bavarde – mais qui porte au front « un destin noir d'Arménienne »– part pour Clamart avec au bras un tapis, qu'elle veut secouer chez des amis car sa concierge lui interdit de le faire de sa fenêtre. Elle rencontre dans le bus un jeune homme, Noraïr, qui la prie de l'accompagner pour porter de sa part une lettre à l'hôtel où il loge. La vieille femme transmet la lettre à l'hôtel et en profite pour secouer là son tapis, mais elle glisse et il tombe par la fenêtre. On apprendra que la lettre de Noraïr annonçait son suicide et léguait ce qu'il possédait à cette vieille messagère.

43Le second texte est un aphorisme de Hratch Zartarian, dans Le Temps et ses mystères :

44Comme la matière du tapis est la laine, la matière du roman est la vie. La vie comprise avec cette objectivité précise qui est celle de la science moderne quand elle veut produire, par exemple un instrument en acier. À travers cette vie objective, d'une manière aussi inflexible, doit passer la vie que propose l'auteur, comme il veut que cela soit1.

45Le tapis n'est plus la figure d'une vie orientale infiniment déplacée, perdue comme la vie. Il est l'allégorie de la forme littéraire comme vouloir individuel passé dans une vie objective. Cet imaginaire critique, où l'Orient semble disparaître dans l'idée d'art et de science à la fois, s'apparente au désir d'une littérature pensante exprimé dans Menk. C'est ce désir de pensée qui avait fait dire au personnage révolté de Chahnour, dans la Retraite sans fanfare : « L'Arménien est stérile, sans descendance, sans fruit. L'Arménien est vide, nul, vain, futile... Nous ne sommes pas nés. Tous nos pères ont été des eunuques. » Lignes qui lui avaient valu d'être appelé traître, ou, comme l'avait dit Chouchanian, désigné comme « un Homme qui n'a pas d'Ararat au fond de son âme  [2] ».

46Les jeunes Arméniens de Paris savaient sans doute qu'ils n'avaient pas d'Ararat au fond de leur âme, et que « l'âme » arménienne dont avaient rêvé leurs pères était un mythe. Certains savaient qu'au fond de l'âme il n'y a rien parce que l'âme n'a pas de fond, et que la croyance en ce fond peut empêcher l'écrivain de faire de la laine un « tapis » : de faire d'un désir subjectif une vie objective, y compris en terre étrangère. À la place de l'Ararat il fallait reconnaître, pour dire « Je », qu'il n'y avait plus rien. Lorsque Chahnour devint Lubin, il intitula l'un des premiers livres signés sous ce nom : Fouiller avec rien. Mais l'autre « Rien » alors avait déjà pris la liberté de fouiller ses poumons.

47Voilà comme les écrivains arméniens auront « témoigné » de la Catastrophe – sans la représenter, en l'évitant toujours, mais en la faisant rayonner de l'intérieur d'une langue qui devenait, au-delà de toute haine des pères et de tout changement de nom, la seule Arménie possible. Après un génocide, il n'y a plus d'exil, dit Janine Altounian à propos de l'écrivain Jean Améry, Juif autrichien rescapé d'Auschwitz et exilé en France  [1]. Il n'y a plus d'exil parce qu'il n'y a aucun retour possible. L'État arménien né à Erevan, c'est-à-dire en Arménie orientale, petite république brutalement soviétisée deux ans après sa naissance, n'a rien à voir avec le pays rêvé par la génération littéraire de 1914. Ce rêve a été lui aussi déchiqueté par le génocide. Le retour à Constantinople, s'il était parfois envisageable, ne pouvait pas être un retour à cette Arménie-là, mais à l'État turc, c'est-à-dire au pays du crime. Quant au « rapatriement » à Erevan, qui eut lieu pour beaucoup d'Arméniens à la fin des années 1940, il ne pouvait être un retour – pas plus qu'Israël ne fut le lieu d'un « retour » pour les Juifs du Yiddishland. C'est ce retour impossible qui fait que la Catastrophe n'est jamais terminée, et qu'il revient à la littérature de dire cet inachèvement. Tous ces écrivains arméniens parlent donc d'un exil impossible, qui s'éternise par là même dans une nostalgie sans objet : cette « nation » qui n'existe plus n'a jamais été réalisée de leur vivant. Le centre a toujours fait défaut.

48C'est pourquoi cette littérature tend à brouiller la frontière entre Catastrophe et Exil. La vie douce et mortelle des humains en exil est hantée par des Créatures au bois dormant, consciences et esprits frappés d'un charme au fond atroce : celui de l'homme « qui est allé trop loin dans le déchiqueté ». Cette littérature présente une humanité sous emprise, comme tombée en catalepsie, où tous vivent sous l'empire de puissances mythiques. Ce monde est imaginaire mais réel, car l'éveil n'est que l'exil conscient de lui-même, qui montre la puissance de désintégration à l'œuvre ici et maintenant. Cet imaginaire est animé du désir violent de secouer son propre empire pour vivre et non plus survivre, se libérer des pères morts d'une catastrophe sans fin. Mais la libération dont rêve l'endormi ne saurait avoir lieu tant que cette catastrophe continue d'être tue par le monde. Le sommeil des autres alentour fait que celui de l'exilé est plus agité que tout autre. La violence de chaque « tentative » d'exister, pour reprendre un titre de roman de Zareh Vorpouni (1902-1980), fait écho à celle de la destruction, qui s'interrompt d'autant moins que le monde l'ignore. La littérature arménienne semble suivre le cours de cette ignorance en un savoir sourd, et lui répondre par un savoir intime de la Catastrophe diffusé dans le présent malade de l'exil, savoir dont le seul refuge est la langue. Vivre après, c'est exister sous la forme du double, son âme dans la langue survivante et vivre dans une littérature écrite pour elle. Le « témoignage littéraire » n'est donc pas le récit de l'expérience du génocide, mais le document métaphorique d'une vie d'exil. Un langage déplacé pour une vie déplacée. L'écrivain arménien d'après la Catastrophe ressemble trait pour trait au héros « lazaréen » imaginé par Jean Cayrol après sa propre expérience de déportation :

49Tout passe par un secret avant d'arriver jusqu 'à ce prisonnier volontaire, car il appartient à quelque chose qui n'appartient à personne. Sa solitude est un répit. Il n'est éveillé que dans son secret [...] le héros lazaréen n'est jamais là où il se trouve. Il doit accomplir un immense travail de réflexion, penser sans cesse qu'il est là et non pas ailleurs, car il a vécu dans un monde qui ne se trouvait nulle part et dont les frontières ne sont pas marquées puisque ce sont celles de la mort. [...] La réalité n'est pas simple pour lui ; il doit la penser avant de la voir ; [...] La communauté lazaréenne est une communauté aux abois, hâtive, saugrenue [...] L'homme y devient sauvage, informe, et toute œuvre en porte la marque, la griffe. Elle fait mal si on s'approche[1].

50On peut ainsi reposer la question du témoignage absent. Pourquoi ne pas pouvoir ou vouloir raconter, sinon par éclats, ou en marge, ce qui a été vécu là-bas, et que le monde n'a pas voulu ou pu connaître ? N'y a-t-il pas un rapport intime entre le fait d'écrire dans une langue souterraine, destinée à la destruction, et celui de « cacher la catastrophe dans les plis thématiques de l'exil » ? Pourquoi cette littérature compose-t-elle sciemment cet effacement ? Où en trouve-t-elle le courage et la protection – sinon dans la langue ? Seule l'idée que la langue et la vie, confondues dans l'art, forment un seul et même témoignage, peut exempter de la tâche de témoigner. Mais à qui un tel « témoignage » est-il destiné ? À cette question-là, toute réponse est refusée : peu importe le destin d'un texte à qui vivra de toute façon ailleurs. Walter Benjamin avait écrit que le bruit de l'œuvre était celui d'un arbre s'écroulant en l'absence de quiconque pour l'entendre.

51On sait en quels termes ambigus Imre Kertész a formulé la critique ironique de la « culture de l'holocauste », ou d'« Auschwitz comme culture », reniés et assumés par lui à la fois. S'il existe bien aussi une « culture de la catastrophe » arménienne, elle ne saurait faire l'objet de la même ironie : sa critique ne peut coïncider, comme chez Kertész, avec le processus culturel dans l'Occident moderne, où la littérature arménienne n'existe qu'à l'état de chose enfouie, voire niée ; d'autre part, cette littérature de la Catastrophe est traversée d'ironie elle-même, mais d'une ironie spécifique, différemment travaillée par la perte et la négation. C'est donc en un autre sens que cette culture de la catastrophe est elle aussi reniée et assumée par les héritiers : assumée dans l'écriture et le parler d'une langue privée, ou nocturne, elle est reniée dans l'appartenance diurne à une communauté d'accueil et un espace public où cette culture, restée étrangère et méconnue, n'a été l'agent d'aucune transmission. Dans cet espace public en effet, c'est le « génocide » en tant que fait avéré, et la hantise de sa « reconnaissance », qui ont pris toute la place de cette transmission. Or, pour un événement d'une telle sorte, une transmission qui se limite aux formes du droit, de la politique et de l'histoire, s'apparente à une mutilation.

52Il est à la fois légitime et dérisoire de se demander pourquoi cette mutilation se répète depuis bientôt cent ans, et pourquoi les Arméniens semblent en partie avoir intériorisé ce phénomène – en le taisant derrière une revendication de reconnaissance par ailleurs légitime. Ce phénomène faisant partie de la Catastrophe, il relève d'une interprétation historico-culturelle, dont les aspects psychologiques ne peuvent être envisagés qu'à partir de là  [1]. Paradoxalement, ce faux oubli d'une littérature par son propre peuple peut se comprendre à partir de ce qu'a dit d'elle-même cette littérature, dans son rapport idéalisé avec la Catastrophe : de son besoin fou de croire en la magie d'une langue littéraire, de son étrange art de masquer, de son incertain renoncement à transmettre.

Notes

  • [1]
    Cette analyse s'appuie sur Cinquante ans de littérature arménienne en France. Du même à l'autre de Krikor Beledian, Éditions du CNRS, 2001, et sur Writers of Disaster. Armenian Literature in the Twentieth Century, tome I : The National Revolution de Marc Nichanian, Taderon Press, Gomidas Institute, Princeton et Londres, 2002.
  • [2]
    Je reprends ici les interrogations que j'avais soulevées dans « Actualité d'une négation, inactualité d'une littérature », publié en annexe des Actes du colloque organisé à la Sorbonne en avril 1998 par le CDCA, Actualité du génocide des Arméniens (Édipol, 1999) ; colloque d'où, malgré son ambition et son importance, toute perspective littéraire était absente.
  • [3]
    Comme le montre l'apparition de ce champ dans le cadre de la littérature comparée, dont témoignait la thèse de K. Beledian, dirigée par Pierre Brunel et soutenue à Paris IV, qui a donné lieu à ce livre publié au CNRS. Voir aussi l'énorme et précieux travail de Léon Ketcheyan, Zabel Essayan (1878-1943) : sa vie et son temps. Traduction annotée de l'autobiographie et de la correspondance. Thèse dirigée par Jean-Pierre Mahé à l'École Pratique des Hautes Études (mars 2002) devant un jury d'historiens, philologues et comparatistes. Une traduction de Dans les Ruines, de Z. Essayan, est en préparation. L. Ketcheyan a présenté un recueil de textes de et sur cet auteur traduits de l'arménien dans L'Intranquille, n° 6-7, Paris, 2001. Le même numéro contient une pénétrante lecture philosophique du Bois de Vincennes de Nigoghos Sarafian, « Méditer la désespérance » (n° 6-7, 2001).
    Cette revue, dirigée par Ph. Bouchereau et Fr. Pejoska, poursuit depuis plusieurs années un important travail de réflexion sur le génocide, avec une attention particulière portée à l'histoire arménienne : L'Intranquille a publié la toute première traduction française de V. Dadrian, présentée par Nichanian (n° 2-3, 1994), ainsi qu'un article de celui-ci (« L'Empire du sacrifice », n° 1, 1992) et, récemment, d'H. Piralian (« Quand l'autre disparaît : éclipse ou destruction ? », n° 6-7). On trouve une autre analyse intéressante, à caractère analytique, du texte de Sarafian dans l'ouvrage de J. Altounian, La Survivance. Traduire le trauma collectif, Dunod, 2000 (« Un père transmet les traces d'une patrie perdue »). Certains textes arméniens contemporains sont abordés dans une perspective analytique par H. Piralian dans le prolongement de Génocide et transmission, L'Harmattan, 1994 : « Écriture(s) du génocidaire : de l'Arménie à l'ex-Yougoslavie », in C. Coquio (sous la dir. de), Parler des camps, penser les génocides, Albin Michel, 1999, et « Rupture de généalogie et identité perdue : à partir de deux nouvelles récentes, turque et arménienne », in C. Coquio (sous la dir. de), L'Histoire trouée. Négation et témoignage, Actes du colloque des 17-19 septembre 2002 à Paris IV, à paraître à L'Atalante.
  • [1]
    On en trouve un exemple dans le livre de R. Peroomian, Literary Responses to Catastrophes. A Comparison of the Armenian and the Jewish Experience. Scholars Press, Atlanta, Georgia, 1993. La perspective comparatiste ici s'autorise des analogies et ressemblances de surface, thématiques et stylistiques, entre deux littératures travaillées par le genre de la lamentation, sans que soient interprétées leurs différences constitutives à la lumière de l'histoire arménienne et de l'histoire juive.
  • [2]
    Comme le font déjà les travaux de R. Kévorkian. Voir le récent travail d'Yves Ternon, Mardin 1915. Anatomie pathologique d'une destruction, Revue d'histoire arménienne, t. IV, 2002.
  • [1]
    Arménie-diaspora, mémoire et modernité, Les Temps modernes, juillet-septembre 1988 : M. Nichanian, « L'écrit et le mutisme. Introduction à la littérature arménienne moderne », p. 317-348 ; K. Beledian, « Phénix ou Robinson sauvé du naufrage », p. 349-378. On trouve dans le même numéro un texte de J. Altounian, « De l'Arménie perdue à la Normandie sans place » ; cet article faisait suite à la publication, dès 1975, d'autres articles sur la transmission traumatique chez les descendants des survivants, et, en 1982, à celle du témoignage de déportation de son père, Vahram Altounian (traduit de l'arménien par K. Beledian). Ces textes parus aux Temps modernes ont été recueillis dans « Ouvrez-moi seulement les chemins d'Arménie. Un génocide aux déserts de l'inconscient », Les Belles Lettres, 1990.
  • [1]
    Voir la première partie de l'essai de K. Beledian, « L'expérience de la catastrophe dans la littérature arménienne », Revue d'Histoire arménienne contemporaine, Annales de la Bibliothèque Nubar, 1.1, 1995, p. 127-197.
  • [1]
    L'œuvre fondatrice et l'histoire tragique de Komitas (Soghomon G. Sohomonian, 1869-1935) en ont fait une figure sacrée de l'histoire arménienne. Grand compositeur musical en même temps qu'ethnographe, Komitas voulait intégrer dans un art moderne le patrimoine populaire arménien. Devenu fou au moment du génocide, il fut interné dans un asile turc, puis, transféré en France grâce à ses protecteurs, mourut à un âge avancé dans un hôpital de la banlieue parisienne.
  • [2]
    Comme cela avait été le cas quelques décennies plus tôt en Serbie, où les recueils de contes de Vuk Karadzic jouèrent un rôle fondateur dans la naissance d'une littérature nationale moderne.
  • [3]
    Voir le texte de M. Nichanian, « Entre l'archive et l'épopée. Essai sur la mémoire de la Catastrophe », à paraître dans Génocide et catastrophe.
  • [1]
    Cet entretien de H. Oshagan (1883-1948) a été plusieurs fois commenté par M. Nichanian (cf. « Hagop Oshagan tel qu'en lui-même », Dissonanze 1, Milan, 1984). Le titre du roman Mnatsortats (Paralipomènes), publié au Caire en 1931-1934, puis au Liban en 1988, fait référence, dans la tradition biblique, aux livres qui parlent des « choses omises ». Il est souvent traduit abusivement par « Remnants », Les Rescapés).
  • [2]
    Voir sur ce point A. Wieviorka, L'Ère du témoin. Plon, 1998.
  • [3]
    Voir en France M. Hovanessian, Le Lien communautaire – Trois générations d'Arméniens, Paris, Colin, 1992.
  • [1]
    Les deux langues ne se sont néanmoins pas fondues en une seule. Les écrivains qui, nés à Constantinople ou ailleurs en Arménie occidentale, choisirent Erevan, durent s'adapter à l'arménien oriental.
  • [2]
    L'existence d'une réception littéraire à Beyrouth n'a pas favorisé l'éclosion de mouvements ni d'œuvres importantes, sauf à partir des années 1960 – qui ont vu naître l'œuvre de K.. Beledian.
  • [1]
    Cette œuvre littéraire importante est publiée pour l'essentiel à Beyrouth (Fragments pour une chambre, 1978 ; Drame, 1980 ; Seuils (récits), 1997 ; Combat, 1997 ; Le Coup, 1998), mais aussi à Erevan (Er, 1992 ; Fragments du père, 1993), aux États-Unis (Signe, récit, 2000), à Bruxelles (Les Arméniens, 1994), à Venise (Grégoire de Narek dans les limites du langage, 1985), à Paris (Objets et débris, 1978 ; Lieux, 1983 ; Mantras, 1986 ; Issue, 1993).
  • [2]
    M. Nichanian a soutenu en 1979 un doctorat dirigé par J.-L. Nancy à Strasbourg, « La question générale du fondement (Kant, Husserl, Heidegger) ». Il a travaillé dans le cadre du . Collège International de Philosophie (cf. « Holocauste et Catastrophe », Revue du Collège International de Philosophie, 12, 1988), et a participé à plusieurs séminaires consacrés à Antoine Berman.
  • [3]
    Cf. supra l'extrait de l'ouvrage sur Franz Werfel.
  • [1]
    Grâce au travail de Z. Essayan en particulier, qui avait passé de nombreuses années en France et fit jouer ses relations parisiennes (le journaliste B. Bareilles en particulier).
  • [2]
    Un peu à la manière des films d'Atom Egoyan, avant que, dans Ararat, il n'égare son efficace esthétique du trouble et de l'allusion dans la confrontation directe avec l'événement et le « problème » de sa représentation.
  • [1]
    Cf. K. Beledian, « Le retour de la Catastrophe », art. cit.
  • [1]
    Daniel Varoujan dans le cercle de feu. Essai pour une poétique de la catastrophe. Antélias, Liban, 1988.
  • [2]
    Complete Bibliography of Hagop Oshagan, Open Letter Publishing, Los Angeles, 1999. Voir, pour une présentation de l'œuvre en français, « Hagop Oshagan tel qu'en lui-même », Dissonanze, Milan, 1984.
  • [3]
    Une trentaine d'articles en arménien, publiés surtout dans les périodiques Haratch et Horizon, et dans la revue Kam (rédigée par l'auteur), portent sur les écrivains Oshagan (Hagop et Vahe), Zarian, Vorpuni, Chahnour, Tcharents. Une dizaine de textes en anglais, publiés dans des revues ou issus de colloques (dont plusieurs organisés par R. Hovanessian à Los Angeles), portent sur Totovents, Essayan, Mahari, Chahnour, et des questions théoriques : historiographie et négation, littérature et violence, mythe et roman.
  • [4]
    « La dénégation au cœur du génocide », in Rwanda, un génocide du xxe siècle, Paris, L'Harmattan, 1996.
  • [5]
    Cf. « Le fait et le droit », Lignes, septembre 1995 ; « Lettre ouverte à Pierre Vidal-Naquet », publiée par Y. Ternon dans Du négationnisme. Mémoire et Tabou, Desclée de Brouwer, 1999 ; « L'archive, le témoignage et la honte », in C. Coquio (sous la dir. de), L'Histoire trouée, négation et témoignage, Actes du colloque de septembre 2002 à Paris IV, à paraître.
  • [1]
    « L'archive et la preuve : les procès de la visée génocidaire », préface à V. Dadrian, « Le génocide devant le droit. Le cas arménien durant la Première Guerre mondiale », L'Intranquille, n° 2-3, 1994.
  • [2]
    « Sarafian, la conquête de l'exil », préface à N. Sarafian, Le Bois de Vincennes, Éditions Parenthèses, 1993.
  • [3]
    Travaux présentés en 1999 et 2002 dans le cadre de l'Association Internationale de Recherche sur les Crimes contre l'Humanité et les Génocides (www.aircrige.org).
  • [1]
    Cf. « L'Empire du sacrifice », L'Intranquille, n° 1, Paris, 1992.
  • [1]
    Dans l'avant-propos du roman Les Plaies d'Arménie, Apovian mettait en scène le fils du roi Crésus, muet depuis trente ans, recouvrant soudain la parole le jour où son père est menacé de mort. Voir « L'écrit et le mutisme », art. cit.
  • [2]
    Panorama de la littérature arménienne occidentale, 10 vol, 1945-1982.
  • [3]
    Auquel Nichanian a consacré un livre : Charents, Poet of The Revolution, Mazda Press, 2003.
  • [1]
    Proche de Tcharents, Mahari fut condamné à l'exil peu après la disparition de celui-ci en 1937, puis revint pour être déporté en Sibérie un peu plus tard.
  • [1]
    « L'expérience de la Catastrophe dans la littérature arménienne », Revue d'histoire arménienne contemporaine, t. I, 1995 ; « La Catastrophe et l'expérience des limites du langage dans la littérature de langue arménienne », in C. Coquio (sous la dir. de), Parler des camps, penser les génocides, Albin Michel, 1999 ; « Le retour de la Catastrophe », in L'histoire trouée, op. cit. En allemand, voir en particulier, « Dichtung des Armenier zwischen Lobesang und Katastroph », et « Faszination Konstantinopel », Armenien Wiederendeckung einer alten Kulturlandschaft, Museum Bochum, 1995.
  • [1]
    On y trouve un intéressant passage sur l'autodépassement de la critique chez Hagop Oshagan.
  • [1]
    Beledian utilise Berman et Benjamin à propos de la traduction, Blanchot et Nancy à propos de la « communauté », Lévi-Strauss, Kristeva, Todorov, Ricœur, Levinas et Marienstras sur les notions d'étrangeté, d'identité, d'altérité et de diaspora, Sh. Felman sur littérature et folie...
  • [1]
    Cité p. 266. Voir aussi son récit « Les Fantômes », qui évoque un trajet de Constantinople à Marseille : « Nous, émigrés, nous sommes à présent des morts, des morts vivants. Et la pensée que je suis un mort que ce navire va emporter vers des fosses étrangères me secoue avec force et me fait frissonner » (cité p. 113). Ce récit parut en 1941 ; le nazisme fut souvent vécu par les Arméniens comme une menace renouvelée.
  • [1]
    Alors que cette pratique de la traduction faisait partie de la culture arménienne depuis le Ve siècle. Le livre de Beledian offre des réponses à ces énigmes profondes. Le travail de Nichanian, traducteur en arménien de W. Benjamin et F. Nietzsche, est une réponse en acte.
  • [2]
    Mélodies mélodies, 1933, cité par Beledian p. 182.
  • [1]
    Cet autre à majuscule ne peut être assumé par aucun lecteur – en particulier féminin, car il prend souvent les traits de la femme fatale parce que étrangère. Cette altérité mythique rend à son tour cette littérature étrangère au lecteur, qui voit un enfermement là où l'écrivain imagine une ouverture. Ce monde fantasmatique lui apparaît ainsi aliéné et daté. C'est aussi pourquoi le livre de Beledian est précieux : cherchant le sens de l'échec et la valeur d'une telle fréquentation des limites, il interprète l'alternative et l'ambivalence comme formes issues de la Catastrophe.
  • [2]
    Voir aussi « Le tapis oriental », poème en prose d'Harout Gosdantian, publié en 1933 dans La Sagesse des jours ; et « Le Tapis d'Orient », première partie d'un triptyque romanesque, Sur les chemins du doute, publié à Paris en 1936 par Louisa Aslanian (Lass), qui fut arrêtée pour faits de résistance et gazée à Auschwitz (Beledian p. 261).
  • [3]
    Dans La Trahison des Haralez, deuxième volet d'une Histoire illustrée des Arméniens, traduite à la NRF en février 1977 par A. Missakian. Ibid. p. 200.
    – 1. Cité par Beledian p. 153. Zartarian est par ailleurs l'auteur du roman Notre vie (1934).
  • [2]
    Un peu plus tard, Scholem dira à l'auteur d'Eichmann à Jérusalem qu'elle manquait d'amour pour le peuple juif- à quoi Arendt répondra qu'elle n'éprouvait d'amour que pour les individus.
  • [1]
    « Les survivants d'un génocide sont des exilés de nulle part », La Survivance, op. cit.
  • [1]
    Jean Cayrol, « De la mort à la vie », Esprit, septembre 1949. Nuit et brouillard, Paris, Fayard, 1997, p. 76, 83, 106.
  • [1]
    C'est ici que le travail d'H. Piralian et celui de J. Altounian prennent tout leur sens. Voir en particulier le chapitre « Effets d'un héritage clandestin dans la vie psychique », dans La Survivance, p. 68 sqq.
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