Depuis les pages lumineuses de Bremond, Pierre de Bérulle n’a jamais cessé de représenter un barycentre, parfois inaperçu, des recherches sur la spiritualité française de la première modernité. Au cours du dernier siècle, les chercheurs s’y sont penchés à plusieurs reprises et à partir de points d’accroche variés et parfois discordants. On a ainsi appris à mieux connaître le Bérulle théologien (Rosaire Bellemare, Paul Cochois, Jean Orcibal), l’auteur spirituel et fondateur de l’Oratoire (Michel Dupuy, Fernand Guillén Preckler), le cardinal et acteur majeur d’une reforme (et d’une diplomatie) ecclésiale conduite à l’échelle européenne (Michel Houssaye, Leszek Kołakowski, Yves Krumenacker, Stéphane-Marie Morgain), l’humaniste controversiste (Jean Dagens), et le compagnon de route, voire l’inspirateur secret des philosophes les moins disponibles à se mêler des questions théologiques (Étienne Gilson, Henri Gouhier). Ce prisme bariolé d’interprétations multiples trouve sa raison d’être dans la situation singulière de l’œuvre de Bérulle, qui dans ses pages conjugue la plus haute technicité théologique, les exigences stylistiques imposées par le désir de proposer une spiritualité nouvelle à un lectorat dont le goût était déjà assez formé par une littérature de piété extrêmement riche, et les instances circonstancielles liées à des enjeux de pouvoir et à des contextes politiques fort complexes. Mais il y a plus. Car cette complexité déjà avérée de la pensée de Bérulle a révélé des articulations ultérieures et insoupçonnées grâce à l’édition de ses œuvres complètes dirigées par le regretté Michel Dupuy…