Couverture de RHPS_001

Article de revue

Avant-propos

Pages 10 à 13

1Berceau de l’Etat providence, l’Europe a forgé les systèmes de protection sociale qui circulent et inspirent les Etats dans le reste du monde depuis la fin du XIXe siècle et elle leur a donné des compétences plus larges qu’ailleurs. Or, les Européens ne se sont pas toujours appropriés ce patrimoine. Supposée connue, l’histoire de la protection sociale ne fait pas toujours partie du bagage scolaire transmis par l’école ou même par l’université.

2A l’heure où les systèmes de protection sociale sont partout fragilisés par les mutations du travail et de l’emploi, le vieillissement des populations, les déficits financiers et la montée en puissance du discours libéral, l’absence d’une publication consacrée à l’histoire de la protection sociale faisait défaut en France. Elle privait le débat public d’un lieu de rencontre et de réflexion. Elle entravait la construction, la diffusion et l’appropriation d’un savoir collectif sur un processus fondamental qui enracine l’identité des sociétés européennes dans un idéal de solidarité et de protection face aux aléas de la vie.

3Pour combler cet angle mort de la recherche, de l’enseignement et de l’édition, le Comité d’histoire de la Sécurité sociale a décidé de créer la première revue française d’histoire de la protection sociale. Le Comité scientifique du CHSS, qui en anime le comité de lecture, s’est fixé une ligne éditoriale tout à la fois respectueuse de la tradition du Comité d’histoire de la Sécurité sociale et soucieuse de s’articuler aux thématiques les plus récentes de la protection sociale.

Une publication scientifique

4La revue doit participer à la construction et à la transmission d’un savoir scientifique qui puisse donner à chacun les clefs pour réfléchir sur les enjeux des réformes qui se multiplient dans tous les pays aujourd’hui.

5Loin de se focaliser sur la seule phase de la Sécurité sociale, la revue doit embrasser dans la longue durée l’ensemble du processus de construction de la protection sociale pour en dégager les rythmes, les inflexions majeures, les déterminants démographiques, économiques, politiques et le rôle de frein ou d’accélérateur joué par les acteurs. L’intérêt porté à la rupture de 1945 puis à celle du tournant de la fin du XIXe siècle ne doit pas laisser dans l’ombre des phases d’accélération de la protection sociale, comme celle mise en œuvre en France par une droite modernisatrice pendant la seconde moitié des années 1920. Les échecs législatifs, tout aussi instructifs que les textes votés, méritent également l’attention pour prendre connaissance de l’éventail des possibles et la mesure des résistances qui donnent au processus français une grande lenteur.

6Les dispositifs, qu’ils soient proposés ou votés, qu’ils relèvent de la Sécurité sociale ou non, doivent être regardés par une approche renouvelée des institutions faisant la part belle au jeu des acteurs, au poids des réseaux, aux rapports de force. Inscrits dans un contexte temporel et spatial donné, ils se définissent, dans une démarche sociétale, par des interrelations avec l’environnement et, dans une perspective historique, par des re-jeux entre le passé et le présent. Reproduisant une certaine vision de la société et de sa segmentation, les contours des dispositifs se déclinent selon le sexe, selon la nationalité, selon la position sur le marché du travail ou dans la société. Les différentes composantes et le fonctionnement du système de protection sociale restent pour beaucoup très méconnus. L’approche comparative des dispositifs au niveau européen ou international est encouragée pour souligner la diversité et les spécificités des modèles. Au-delà des textes, la mise en application des dispositifs, leur adaptation technique et organisationnelle, que nécessite l’élargissement progressif des catégories bénéficiaires, et les pratiques professionnelles sont des champs à investiguer pour appréhender la réalité des systèmes de protection.

7Enfin, les performances comparées des systèmes de protection sociale sont à évaluer à l’aune des objectifs fixés et des aspirations des bénéficiaires, en termes d’égalité entre les hommes et les femmes, de redistribution et de bien-être. L’efficacité des systèmes ne se lit pas seulement aux progrès de la santé, au niveau des retraites ou des indemnités de chômage, mais de façon relative à la mesure des inégalités de santé, de revenus, de sécurité et de qualité de vie… Le consensus social établi autour du système de protection sociale est probablement un des meilleurs indicateurs de l’efficacité de celui-ci. A cet égard, la typologie de G. Esping-Andersen et l’abondante littérature qu’elle a engendrée pointent les performances inégales des trois modèles d’Etats-providence, social-démocrate, conservateur-corporatiste et libéral, mais aussi leur capacité inégale à se réformer et les modalités différentes pour le faire. Le débat reste ouvert et jusque-là la France lui donne peu d’échos. Aussi la revue d’histoire de la protection sociale a-t-elle vocation à devenir une tribune aidant à l’appropriation des savoirs comparés sur la protection sociale.

Une tribune ouverte

8Participer aux débats scientifiques internationaux implique de rassembler les énergies, de dépasser les cloisonnements disciplinaires, administratifs et nationaux et de s’appuyer sur les forces vives et l’expérience accumulée par les professionnels de l’Association pour l’Etude de l’histoire de la Sécurité sociale à laquelle la revue est adossée. La revue sera donc une tribune ouverte donnant la parole aux jeunes chercheurs comme aux chercheurs confirmés, aux professionnels de la Sécurité sociale comme aux universitaires, sans exclusive disciplinaire. Ainsi le dialogue et la collaboration entre des milieux qui se connaissent mal pourra se nouer et le passage de relais entre les générations sera facilité.

9Dès le premier numéro, est affirmée la volonté de dépasser les frontières nationales. La revue ouvre ses pages aux chercheurs étrangers et un réseau de correspondants étrangers sera tissé pour alimenter une démarche comparative encore trop peu développée dans l’historiographie française.

10En même temps qu’elles regardent au-delà des frontières, les thématiques tentent de gommer les divisions administratives qui ont des incidences sur les pratiques de recherche. La géométrie extrêmement mouvante des ministères sociaux, en France, crée des entre-deux qui sont autant d’angles morts de la connaissance. Aussi la revue s’autorisera-t-elle à investir ces terrains partagés et négligés tels que la protection contre le chômage, la santé au travail, les interactions entre la sphère de l’emploi salarié et la sphère domestique ou des solidarités familiales, les transitions dans les cycles de vie des hommes et des femmes (prise d’indépendance des enfants, mariage, maternité) qui sont modelés par les différents systèmes d’Etat-providence.

Un instrument d’émulation

11Articulée sur l’activité du Comité d’histoire de la Sécurité sociale, la revue a vocation à devenir un véritable instrument d’émulation de la recherche et d’enrichissement du patrimoine archivistique.

12Dès le numéro 2, elle donnera écho aux recherches récentes les plus brillantes entrées en compétition pour le Prix de thèse du CHSS. De même, les colloques organisés ou soutenus par le CHSS pourront fournir le matériau nécessaire à la réalisation de numéros thématiques qui, à terme, s’intercaleront entre les numéros annuels de la revue.

13L’émulation concerne également le patrimoine archivistique, aujourd’hui sous-exploité. L’ouverture d’une rubrique Actualités des archives vise à susciter une stratégie de préservation, de valorisation et de dépôt des archives des caisses dans les Archives départementales. Elle invite à recueillir des traces du passé (récits de vie, machines …) qui pourront être explorés par les enfants, les étudiants et les aider à prendre la mesure du rôle structurant de la protection sociale dans la construction des identités des sociétés européennes.

14Pierre Boisard, qui avait accepté, lors de sa succession, de nous apporter son expérience et son soutien en restant à nos côtés au sein du conseil scientifique, avait approuvé la ligne éditoriale de la Revue d’histoire de la protection sociale, inscrite à la fois dans la continuité et dans l’innovation. Délibérément tourné vers le dialogue, vers l’engagement social et syndical et vers tous ceux qui pouvaient continuer à diffuser la connaissance et l’esprit de justice sociale, Pierre Boisard aurait pu nous guider, avec toute la gentillesse et la rigueur qui le caractérisaient. En regrettant que le chemin partagé fût si court, nous nous associons à l’hommage qui lui est rendu par le Président Michel Lagrave.


Date de mise en ligne : 30/12/2015

https://doi.org/10.3917/rhps.001.0010

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