1 Ce livre, sous-titré Mythologies contemporaines (hommage à Roland Barthes ?), est issu de trois colloques successifs, à Grenoble en mars 2011, Vizille en mars 2012 et à nouveau Grenoble en avril 2012. Ce rappel des origines est important pour expliquer le nombre des articles (vingt-six) et la diversité des approches développées dans ce livre qui compte trois parties et huit sous-parties. On y entend les échos de la Révolution française dans divers pays du bassin méditerranéen et ses avatars dans les romans ou au cinéma ; on y rappelle les commémorations du Bicentenaire ; on y lit des analyses croisées du célèbre manga japonais, La rose de Versailles, avec Lady Oscar, le film de J. Demy ; on y réfléchit enfi n sur l’organisation des parcs de loisirs inspirés par l’histoire de la contre-révolution et des victimes de la Révolution, comme au Puy-du-Fou. Un livre foisonnant, dont il est délicat de rendre compte, sauf à résumer plus ou moins longuement chacun des articles.
2 Dans une longue introduction (53 p.), Martial Poirson explicite de façon assez complexe le sous-titre « Mythologies révolutionnaires » en rappelant la pensée du G. Durand des Structures anthropologiques de l’imaginaire (Paris 1960). La contribution, brillante au demeurant, aurait gagné à éviter un vocabulaire insolite (le concept d’affordance par exemple) et des constructions grammaticales qui ralentissent la lecture sans apporter grand-chose à la compréhension. Après une belle citation de Napoléon, du moins telle que la rapporte Balzac (« Robespierre est un procès jugé avant d’avoir été plaidé »), M. Poirson développe les lignes directrices de l’ouvrage : une réflexion sur les enjeux historiographiques du Bicentenaire, le souvenir de la Révolution, mais aussi tout le marketing accompagnant livres, films et spectacles vivants. Notons pourtant une coquille, p. 41, note 4 : lire « arrageois » et non pas « arriégeois » !
3 La première partie, « Échos et postures politiques » compte huit articles, répartis sous trois rubriques dont la première porte sur la lecture et/ou l’appropriation de la Révolution française (Algérie : P. Pellerin ; Égypte : S. Neaimi ; Tunisie : A. Ben Amor) et montre son rôle d’idéal pour les indépendantistes algériens, de moteur pour le langage des foules manifestant en Égypte et en Tunisie. La section suivante réunit trois communications. S. Bianchi fait un retour, assorti de nombreuses statistiques, sur les célébrations du Bicentenaire dans l’Essonne et nous apprend qu’environ 28 % des fêtes ont pris appui sur des événements locaux. Sans concession à l’égard de nos parlementaires, M. Biard pointe les amalgames et les sottises proférés sous couvert de références à la Révolution. Plein d’humour, cet article montre le niveau affligeant des représentants du peuple français. S. Loncle et O. Ritz évoquent l’initiative du journal L’Humanité qui, dans un hors-série lancé en 2009, a confié à des personnalités le soin de brosser le portrait de trente-six « grands noms » de la Révolution. Avec le recul, on est parfois surpris des résultats. Enfin deux articles sont regroupés sous le titre « L’autre mémoire de la Révolution française », celui de P. Chopelin et celui de J.-C. Martin. Ce dernier, fidèle à son idée que la Contre-Révolution fait couple avec la Révolution, étudie trois lieux fonctionnant sur ce modèle : le fameux Puy-du-Fou en Vendée, le musée Andreas Hofer à St Léonard-en-Passieria dans le Trentin qui célèbre la mémoire d’un aubergiste instigateur de soulèvements contre les Français, enfin Estrella, centre de ralliement des Carlistes en Navarre dans les années 1870. Chacun de ces lieux magnifie une mémoire d’insurrection destinée à construire un fort sentiment d’appartenance locale et donc une identité revendiquée. L’article de P. Chopelin, qui concerne ceux qui furent les victimes de la Révolution au nom de la religion, est particulièrement intéressant car il examine comment les imaginaires ont pu être transformés (en particulier par les manuels scolaires de l’enseignement privé ou certaines émissions de la chaîne de télévision KTO qui travestissent la vérité). Sous le titre « Médiations artistiques », la deuxième partie se subdivise en deux sous-parties. La première, sur les arts du récit et du spectacle, aborde bien sûr le cas Marie-Antoinette, reine du peuple pour M. Delon. G. Gengembre poursuit avec une communication détaillée sur les romans historiques des XIXe et XXe siècles qui contribuent au brouillage du sens même s’ils entretiennent une mémoire frémissante. Se déplaçant vers le roman policier anglais, I. Durand explique comment le roman d’Anne Perry, À l’ombre de la guillotine (publié en 2000) a créé un imaginaire apocalyptique, angoissant et angoissé de la Révolution française. Le travail de M. Poirson sur les pièces de théâtre consacrées à l’époque révolutionnaire corrobore ce traitement d’un sujet plus fréquemment vu comme un repoussoir que comme un moment de liberté. Nous restons dans les arts du divertissement avec les cinq communications de la seconde sous-section. Des figures mythiques de la Révolution française ont été transposées au cinéma : Robespierre étudié par A. De Baecque, la Marseillaise – ou plutôt les Marseillaises – par J.-C. Bonnet. La bande dessinée n’est pas absente, comme le montre P. Bourdin dans un article très original sur l’œuvre de Franck Giroud et Vincent Lacaf. Enfin, R. Buclon montre que la publicité commerciale n’a retenu de la figure de Napoléon que le geste de la main glissée dans le gilet, l’image de l’empereur à cheval et à la guerre. Après avoir passé brièvement en revue les jeux vidéo, J. Mak, dit Mack, en conclut que la Révolution en est absente (mais l’article a sans doute été écrit avant la parution d’Assassin’s Creed en 2011).
4 La troisième et dernière partie, « Transferts internationaux et réinterprétations » compte sept articles, répartis en trois sous-parties. La première, passage obligé de nos jours pour qui étudie la Révolution française, s’intitule « Marie-Antoinette, icône pop ». C. Seth revient sur le fi lm de Sofia Coppola (2006) et tente un parallèle avec les épouses successives de Nicolas Sarkozy. D. Polanz examine les stéréotypes construits autour de la reine par les films et la foule d’objets qui font de Marie-Antoinette une icône marketing. Étude plus sémiologique : G. Spielman s’interroge « de quoi Marie-Antoinette est-elle le nom ? » en explorant les thèmes habituels. La seconde sous-partie est consacrée à ses avatars. La contribution de N. Alzas, qui part de l’étude du peuple contre les élites depuis Les deux orphelines et Le Mouron rouge, est très intéressante. Elle conclut que la vision actuelle de la Révolution française, très négative, est le fruit du culte exagéré des victimes. C. Cave explique comment le cahier des charges de son film a contraint Jacques Demy à transformer le personnage de lady Oscar tandis que C. Triolaire, fin connaisseur des mangas, compare l’œuvre d’Ikéda (La rose de Versailles) et ses variantes à celle de Demy (Lady Oscar). Enfin, dans la dernière sous-partie, P. Dupuy explore un champ méconnu car difficile à traiter : la musique. L’article de J. Douthwaite, consacré à un parallèle entre le Marat de David et une œuvre brésilienne de Vik Muniz, Sebastiao, lui permet de suggérer que la présence des immondices dans cette dernière œuvre serait un clin d’œil au sort de la dépouille de Marat, jetée à l’égout après avoir été extraite hors du Panthéon.
5 Comme souvent pour l’édition des actes de colloque, les articles ne sont pas tous de qualité égale, mais le livre est accompagné d’un appareil de notes nombreuses et précises, d’une bibliographie et d’un index des noms propres tout à fait nécessaires.