Couverture de RHMC_642

Article de revue

Comment être vénitien ? Identification des immigrants et « droit d’habiter » à Venise au XVIe siècle

Pages 69 à 92

Notes

  • [1]
    L’histoire des étrangers à Venise s’est principalement concentrée sur des groupes spécifiques, en particulier ceux dont la langue, la religion ou l’origine ethnique rendaient l’extranéité la plus manifeste (par exemple les juifs, les Allemands ou les Grecs), qui ont été privilégiés par rapport aux nombreux immigrants venus de la péninsule Italienne. On peut citer, parmi les travaux les plus importants : Hans-Georg BECK, Manoussos MANOUSSACAS, Agostino PERTUSI (éd.), Venezia, centro di mediazione tra Oriente e Occidente (secoli XV-XVI). Aspetti e problemi, 2 vol., Florence, Olschki, 1977 ; Donatella CALABI, « Gli stranieri e la città », in Alberto TENENTI, Ugo TUCCI (éd.), Storia di Venezia dalle origini alla caduta della Serenissima, vol. 5, Il Rinascimento : società ed economia, Rome, Istituto della Enciclopedia Italiana, 1996, p. 913-946 ; Brunehilde IMHAUS, Le minoranze orientali a Venezia, 1300- 1510, Rome, Il Veltro, 1997 ; Robert Charles DAVIS, Benjamin RAVID (éd.), The Jews of Early Modern Venice, Baltimore et Londres, Johns Hopkins University Press, 2001 ; Maartje VAN GELDER, Trading Places : The Netherlandish Merchants in Early Modern Venice, Leyde, Brill, 2009 ; Ermanno ORLANDO, Migrazioni mediterranee. Migranti, minoranze e matrimoni a Venezia nel basso medioevo, Bologne, Il Mulino, 2014 ; Philippe BRAUNSTEIN, Les Allemands à Venise, 1380-1520, Rome, École française de Rome, 2016. Plus récemment, des travaux majeurs comme celui d’Ella Natalie ROTHMAN, Brokering Empire : Trans-Imperial Subjects Between Venice and Istanbul, Ithaca, Cornell University Press, 2012, ont introduit une approche critique plus fine de la construction des catégories de « Vénitiens » et « étrangers » au sein de l’empire vénitien.
  • [2]
    Claire JUDDE DE LARIVIÈRE, Rosa M. SALZBERG, « “Le peuple est la cité”. L’idée de popolo et la condition des popolani à Venise (XVe-XVIe siècles) », Annales HSS, 68-4, 2013, p. 1113-1140. On distingue traditionnellement trois groupes sociaux et juridiques majeurs dans la société vénitienne : les patriciens (ou nobles), les citoyens et les popolani.
  • [3]
    Il s’agit là des droits et devoirs reconnus, en général, aux citoyens dans les cités italiennes de la fin du Moyen Âge. Notons qu’à Venise la situation reste très spécifique, puisque seuls les nobles ont des droits politiques, et que les impôts directs ne sont payés que par ceux qui possèdent des biens immobiliers dont la valeur dépasse une certaine somme, à savoir les nobles et les citoyens les plus riches. À propos des droits de citoyenneté à Venise : Reinhold C. MUELLER, Immigrazione e cittadinanza nella Venezia medievale, Rome, Viella, 2010 ; Anna BELLAVITIS, Identité, mariage, mobilité sociale. Citoyennes et citoyens à Venise au XVIe siècle, Rome, École française de Rome, 2001.
  • [4]
    Sur la question de la citoyenneté et de l’appartenance, voir en particulier Tamar HERZOG, Defining Nations. Immigrants and Citizens in Early Modern Spain and Spanish America, New Haven, Yale University Press, 2003 ; Pietro COSTA, Cittadinanza, Rome et Bari, Laterza, 2005. Voir également Patrick GILLI, « Comment cesser d’être étranger : citoyens et non-citoyens dans la pensée juridique italienne de la fi n du Moyen Âge », in L’Étranger au Moyen Âge. XXXe congrès de la S.H.M.E.S. (Göttingen, juin 1999), Paris, Publications de la Sorbonne, 2000, p. 59-77, pour la question qui nous intéresse ici, ce ne sont pas seulement les femmes, les enfants et les miséreux qui sont exclus de la citoyenneté à Venise, mais bien une immense majorité de la population (p. 59).
  • [5]
    Pour des questions similaires appliquées à d’autres cités européennes aux époques médiévale et moderne : Bert DE MUNCK, Anne WINTER (éd.), Gated Communities ? Regulating Migration in Early Modern Cities, Farnham, Ashgate, 2012 ; Cédric QUERTIER, Roxane CHILÀ, Nicolas PLUCHOT (éd.), « Arriver » en ville. Les migrants en milieu urbain au Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2013.
  • [6]
    Gérard NOIRIEL (éd.), L’identification. Genèse d’un travail d’État, Paris, Belin, 2007. Voir également note 36.
  • [7]
    Daniele BELTRAMI, Storia della popolazione di Venezia dalla fine del secolo XVI alla caduta della Repubblica, Padoue, Cedam, 1954, p. 59.
  • [8]
    Philippe DE COMMYNES, Mémoires, éd. Joël Blanchard, Paris, Librairie générale française, 2001, livre VII, chap. XVIII, p. 557 ; Francesco SANSOVINO, Venetia citta nobilissima et singolare, descritta in XIIII Libri, Bergame, Leading, 2002, f° 136v.
  • [9]
    Girolamo PRIULI, I Diarii (1494-1512), éd. Arturo Segre, Città di Castello, Lapi, 1912, vol. 2, p. 78 (l’égalité est ici entendue en termes fiscaux).
  • [10]
    Simona CERUTTI, Étrangers. Étude d’une condition d’incertitude dans une société d’Ancien Régime, Montrouge, Bayard, 2012. Voir aussi E. N. ROTHMAN, Brokering Empire…, op. cit., p. 248, sur les définitions différentes de l’extranéité en fonction des circonstances.
  • [11]
    S. CERUTTI, Étrangers…, op. cit., p. 14.
  • [12]
    Thomas NAIL, The Figure of the Migrant, Stanford, Stanford University Press, 2015, p. 3, qui insiste sur cet écart, l’un des obstacles majeurs selon lui dans le champ de l’histoire des migrations.
  • [13]
    Sur le processus de définition des groupes patriciens et citoyens : C. JUDDE DE LARIVIÈRE, R. M. SALZBERG, « “Le peuple est la cité”… », art. cit., p. 1121-1125.
  • [14]
    R. C. MUELLER, Immigrazione…, op. cit. Pour des exemples d’immigrants appartenant à une élite et obtenant la citoyenneté : Blake DE MARIA, Becoming Venetian : Immigrants and the Arts in Early Modern Venice, New Haven, Yale University Press, 2010. Sur l’usage du mécanisme de citoyenneté dans différents contextes urbains, voir aussi Beatrice DEL BO (éd.), Cittadinanza e mestieri. Radicamento urbano e integrazione nelle città bassomedievali (secc. XIII-XVI), Rome, Viella, 2014.
  • [15]
    Voir notes 3 et 4.
  • [16]
    E. N. ROTHMAN, Brokering Empire…, op. cit., p. 59 ; T. HERZOG, Defining Nations…, op. cit., p. 4-5.
  • [17]
    Archivio di Stato di Venezia (désormais ASVe), Avogaria di Comun, Miscellanea Penale, 278, n° 20.
  • [18]
    On retrouve ces mêmes usages à Trévise : Matthieu SCHERMAN, « Trévise et ses migrants au XVe siècle », in C. QUERTIER, R. CHILÀ, N. PLUCHOT (éd.), « Arriver » en ville…, op. cit., p. 65-76, p. 67-68.
  • [19]
    ASVe, Avogaria di Comun, Miscellanea Penale, 122, n° 24, c. 1.
  • [20]
    Stella Mary NEWTON, « Venice and the dress of foreigners », in Peter MCNEIL (éd.), Fashion : Critical and Primary Sources, vol. 1, Late Medieval to Renaissance, Oxford, Berg, 2009, p. 222-233, p. 226.
  • [21]
    ASVe, Avogaria di Comun, Miscellanea Penale, 323, n° 19, c. 7.
  • [22]
    ASVe, Avogaria di Comun, Miscellanea Penale, 183, n° 11.
  • [23]
    C. JUDDE DE LARIVIÈRE, « Senses of neighbourhood (vicinanza) in sixteenth-century Venice », in Bronach KANE, Simon SANDALL (éd.), The Experience of Neighbourhood in Late Medieval and Early Modern Europe, Londres, Routledge (à paraître en 2017).
  • [24]
    ASVe, Avogaria di Comun, Miscellanea Penale, 324, n° 21.
  • [25]
    ASVe, Avogaria di Comun, Miscellanea Penale, 29, n° 14.
  • [26]
    Monica CHOJNACKA, Working Women of Early Modern Venice, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2001.
  • [27]
    Ibidem, p. 96-97. Les popolani les plus fragiles, les domestiques et les travailleurs sans qualification en particulier, étaient amenés à déménager fréquemment. L’instabilité géographique était inhérente à la fragilité économique, et les migrants partageaient ainsi la condition de ces popolani qui n’étaient pas liés à un quartier ou à un voisinage. À propos de la mobilité des immigrants dans différents voisinages : R. M. SALZBERG, « The margins in the centre : Working around Rialto in sixteenth-century Venice », in Andrew SPICER, Jane L. STEVENS CRAWSHAW (éd.), The Place of the Social Margins 1350-1750, New York et Londres, Routledge, 2017, p. 135-152 ; P. BRAUNSTEIN, « Cannaregio, zona di transito ? », in D. CALABI, Paola LANARO (éd.), La città italiana e i luoghi degli stranieri, XIV-XVIII secolo, Rome, Laterza, 1998, p. 52-62.
  • [28]
    Patricia ALLERSTON, « Reconstructing the second-hand clothes trade in sixteenth- and seventeenth-century Venice », Costume. The Journal of the Costume Society, 33, 1999, p. 46-56.
  • [29]
    Elio ZORZI, Osterie veneziane, Bologne, Zanichelli, 1928, p. 214.
  • [30]
    Claude GAUVARD, « La fama, une parole fondatrice », Médiévales, 24, 1993, p. 5-13 ; Thelma FENSTER, Daniel Lord SMAIL (éd.), Fama. The Politics of Talk and Reputation in Medieval Europe, Ithaca, Cornell University Press, 2003.
  • [31]
    ASVe, Avogaria di Comun, Miscellanea Penale, 465, n° 12.
  • [32]
    Alessandro BUONO, « La manutenzione dell’identità. Il riconoscimento degli eredi legittimi nello Stato di Milano e nella Repubblica di Venezia (secoli XVII e XVIII) », Quaderni storici, 50-148, 2015, p. 231-265.
  • [33]
    C. JUDDE DE LARIVIÈRE, « La frontière rapprochée. La société vénitienne au temps de la ligue de Cambrai (1508-1516) », in Michel BERTRAND, Natividad PLANAS (éd.), Les sociétés de frontière de la Méditerranée à l’Atlantique (XVIe-XVIIIe siècle), Madrid, Casa de Velázquez, 2011, p. 125-137.
  • [34]
    P. BRAUNSTEIN, Les Allemands…, op. cit.
  • [35]
    C. JUDDE DE LARIVIÈRE, La révolte des boules de neige : Murano face à Venise, 1511, Paris, Fayard, 2014, p. 123-127.
  • [36]
    Voir en particulier Valentin GROEBNER, Who Are You ? Identification, Deception, and Surveillance in Early Modern Europe [2004], New York, Zone Books, 2007 ; G. NOIRIEL (éd.), L’identification…, op. cit. ; Ilsen ABOUT, Vincent DENIS, Histoire de l’identification des personnes, Paris, La Découverte, 2010. Sur les documents d’identité, voir également Daniel NORDMAN, « Sauf-conduits et passeports, en France, à la Renaissance », in Jean CEARD, Jean-Claude MARGOLIN (éd.), Voyager à la Renaissance, Paris, Maisonneuve et Larose, 1987, p. 145-158 ; John TORPEY, The Invention of the Passport : Surveillance, Citizenship and the State, Cambridge, Cambridge University Press, 2000 ; Jane CAPLAN, J. TORPEY (éd.), Documenting Individual Identity : The Development of State Practices in the Modern World, Princeton et Oxford, Princeton University Press, 2001 ; Daniel ROCHE, Humeurs vagabondes. De la circulation des hommes et de l’utilité des voyages, Paris, Fayard, 2003, p. 359-477.
  • [37]
    V. GROEBNER, Who Are You ?…, op. cit., p. 159.
  • [38]
    R. M. SALZBERG, Ephemeral City : Cheap Print and Urban Culture in Renaissance Venice, Manchester, Manchester University Press, 2014.
  • [39]
    La plupart des villes européennes avaient des murailles ou des portes, et c’était là que la procédure d’identification des étrangers commençait. Voir les différentes contributions dans Hilde GREEFS, A. WINTER (éd.), The Regulation of Migration and the Materiality of Identification in European Cities, 1500-2000, Londres, Routledge (à paraître en 2017).
  • [40]
    ASVe, Consiglio di Dieci, Minuti dei Proclami, 1519, filza 2, n° 104-105.
  • [41]
    ASVe, Provveditori alla Sanità, 725, c. 25v, 19 octobre 1495.
  • [42]
    Sur le rôle des provveditori alla Sanità, en charge de l’hygiène et de la santé, et leurs tentatives pour contrôler les personnes mobiles dans la lagune : R. M. SALZBERG, « Controlling and documenting migration via urban “spaces of arrival” in early modern Venice », in H. GREEFS, A. WINTER (éd.), The Regulation…, op. cit. (à paraître), et plus bas, notes 46 et 47.
  • [43]
    Cette tendance à enregistrer les nouveaux arrivants est commune à toute l’Europe à partir du milieu du XVIe siècle : V. GROEBNER, Who Are You ?…, op. cit., p. 200.
  • [44]
    ASVe, Giustizia Nuova, B. 1, cc. 70r-v.
  • [45]
    Ibidem, cc. 29r-30v, 51r-52r. Sur des pratiques similaires de contrôle des lieux d’arrivée au XVIIIe siècle : Vincent MILLIOT, « La surveillance des migrants et des lieux d’accueil à Paris du XVIe siècle aux années 1830 », in D. ROCHE (éd.), La ville promise. Mobilité et accueil à Paris (fin XVIIe-début XIXe siècle), Paris, Fayard, 2000, p. 21-76. Pour plus de détails sur la régulation du secteur de l’hospitalité et sur le contrôle des immigrants : R. M. SALZBERG, « Controlling and documenting… », art. cit.
  • [46]
    ASVe, Provveditori alla Sanita, 726, cc. 316, 28 novembre 1522. Ils réitèrent l’interdiction en 1524 et en 1532. Nelli-Elena VANZAN MARCHINI (éd.), Le leggi di sanità della Repubblica di Venezia, vol. 1, Vicence, Centro Italiano di storia sanitaria e ospitaliera del Veneto & Neri Pozza, 1995, c. 83, c. 206. Les provveditori alla Sanità vénitiens sont parmi les premiers en Europe à délivrer des bollette ou bollettini di sanità : V. GROEBNER, Who Are You ?…, op. cit., p. 176.
  • [47]
    Voir par exemple ASVe, Provveditori alla Sanità, 725, c. 690, 6 septembre 1498.
  • [48]
    ASVe, Giustizia Nuova, B. 1, cc. 152r-155r ; ASVe, Esecutori contro la bestemmia, B. 54, cc. 63v-64r (1589). En 1574, le Sénat augmente la taxe que devaient payer les tenanciers de logis, tout en essayant d’accroître le nombre d’osterie officielles, qui n’étaient plus que seize.
  • [49]
    ASVe, Esecutori contro la bestemmia, B. 54, cc. 63v-64r (1589).
  • [50]
    À propos des esecutori : Renzo DEROSAS, « Moralità e giustizia a Venezia nel ‘500-’600 : gli Esecutori contro la bestemmia », in Gaetano COZZI (éd.), Stato, società e giustizia nella Repubblica veneta (sec. XV-XVIII), vol. 1, Rome, Jouvence, 1981, p. 433-528, p. 452 ; Elizabeth HORODOWICH, Language and Statecraft in Early Modern Venice, Cambridge, Cambridge University Press, 2008.
  • [51]
    ASVe, Esecutori contro la bestemmia, B. 54, cc. 61r-v. Pour des détails sur ces opérations de police : R. M. SALZBERG, « Controlling and documenting… », art. cit.
  • [52]
    ASVe, Consiglio dei dieci, Comuni, reg. 64, 3 septembre 1545 cité par R. DEROSAS, « Moralità e giustizia… », art. cit.
  • [53]
    Jean-François CHAUVARD, « Come mai certi individui non hanno cognome ? Pratiche di registrazione a Venezia attorno al Concilio di Trento », in Andrea ADDOBBATI, Roberto BIZZOCCHI, Gregorio SALINERO (éd.), L’Italia dei cognomi. L’antroponimia italiana nel quadro mediterraneo, Pise, Pisa University Press, 2013, p. 345-364. Pour un exemple de la façon dont ces fedi di stato libero permettent d’étudier les migrants : Andrea ZANNINI, « L’altra Bergamo in laguna : la comunità bergamasca a Venezia », in Marco CATTINI, Marzio Achille ROMANI (éd.), Storia economica e sociale di Bergamo, I, Il tempo della Serenissima, vol. 2, Il lungo cinquecento, Bergame, Fondazione per la storia economica e sociale di Bergamo, Istituto di studi e ricerche, 1998, p. 175-193.
  • [54]
    Fynes MORYSON, An Itinerary […] Containing His Ten Yeeres Travell through the Twelue Dominions of Germany, Bohmerland, Sweitzerland, Netherland, Denmarke, Poland, Italy, Turky, France, England, Scotland, and Ireland […], Londres, Beale, 1617, livre 1, p. 90.
  • [55]
    Voir par exemple E. N. ROTHMAN, Brokering Empire…, op. cit. Plus généralement, voir Cecilia NUBOLA, Andreas WÜRGLER (éd.), Suppliche e « gravamina » : Politica, amministrazione, giustizia in Europa, secoli XIV-XVIII, Bologne, Il Mulino, 2002 et en particulier Marina GARBELLOTTI, « I privilegi della residenza. Suppliche di cittadini, abitanti e forestieri al Consiglio di Rovereto (secoli XVII-XVIII) », ibidem, p. 227-260.
  • [56]
    ASVe, Esecutori contro la bestemmia, B. 57, vol. 1, cc. 267r-v. Pour d’autres exemples de ce type de demandes : ibidem, cc. 250v, 253v, 259r, 261r-v, 264v-265r, 270r.
  • [57]
    En 1295 par exemple, les statuts du métier de calfat établissaient que les électeurs des représentants de la guilde devaient être tirés au sort parmi les membres de plus de vingt-cinq ans qui résidaient à Venise depuis au moins dix ans : Giorgetta BONFIGLIO DOSIO, « Le Arti cittadine », in Giorgio CRACCO, Gherardo ORTALLI (éd.), Storia di Venezia dalle origini alla caduta della Serenissima, vol. 2, L’età del comune, Rome, Istituto Treccani per l’enciclopedia italiana, 1995, p. 577-625. En 1258, le Grand Conseil décrète que quiconque a vécu dix ans ou plus dans la ville peut être reconnu comme venetus : R. C. MUELLER, Immigrazione…, op. cit., p. 20. Dix ans était aussi la période requise pour devenir un citoyen de Brescia, une ville appartenant au Stato vénitien : Leonida TEDOLDI, « Diventare popolo : Cittadinanza e pratiche sociali a Brescia durante l’età veneta (XV-XVIII secolo) », Ricerche storiche, 32-2/3, 2002, p. 263-280, p. 267-268.
  • [58]
    ASVe, Esecutori contro la bestemmia, B. 57, vol. 1, cc. 287v-288r.
  • [59]
    James R. BROWN, I. ABOUT, Gayle LONERGAN (éd.), Identification and Registration Practices in Transnational Perspective. People, Papers and Practices, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2013, en particulier p. 5-6. Voir aussi A. BUONO, « Identificazione e registrazione dell’identità. Una proposta metodologica », Mediterranea. Ricerche storiche, 30, 2014, p. 107-120.
  • [60]
    ASVe, Giustizia Nuova, B. 5.
  • [61]
    E. ORLANDO, Migrazioni mediterranee…, op. cit., en particulier p. 57-59.
  • [62]
    ASVe, Esecutori contro la bestemmia, B. 54, cc. 61r, 62v.
  • [63]
    P. BRAUNSTEIN, Les Allemands…, op. cit., chapitre 3.
  • [64]
    E. ORLANDO, Migrazioni mediterranee…, op. cit., p. 83-88.
  • [65]
    ASVe, Giustizia Nuova, B. 5, reg. 12, c. 150v. À partir de la fin du Moyen Âge, Venise disposait également d’un réseau de case di comunità qui hébergeaient les visiteurs venus des communautés sujettes, comme les Frioulans ou les Bergamasques. Ils étaient moins surveillés que les Allemands au sein du Fondaco : R. M. SALZBERG, « Controlling and documenting… », art. cit.
  • [66]
    D. CALABI, Ludovica GALEAZZO, Martina MASSARO (éd.), Venezia, gli Ebrei e l’Europa. 1516-2016, Venise, Marsilio, 2016.
  • [67]
    Pier Cesare IOLY ZORATTINI (éd.), Processi del S. Uffizio di Venezia contro ebrei e giudaizzanti, 14 vol., Florence, Olschki, 1980-1999. Les juifs furent dans un premier temps dispensés d’acquérir un bollettino pour séjourner à Venise, sans doute parce qu’ils étaient surveillés dans le ghetto. En 1612 toutefois, l’obligation de s’enregistrer dès l’arrivée dans la ville fut étendue à tous les juifs. On considérait en effet qu’ils trouvaient trop facilement l’hospitalité à Venise « sans qu’aucune magistrature n’ait la moindre information sur leur venue et leur arrivée, ce qui cause désordre et confusion » : ASVe, Esecutori contro la bestemmia, B. 54, cc. 68r-v.
  • [68]
    À propos de l’établissement du Fondaco dei Turchi : E. N. ROTHMAN, Brokering Empire…, op. cit., chap. 1 ; Mathieu GRENET, « Institution de la coexistence et pratiques de la différence : le Fondaco dei Turchi de Venise (XVIe-XVIIIe siècle) », Revue d’histoire maritime, 17, 2013, p. 273-301.
  • [69]
    M. VAN GELDER, Trading Places…, op. cit.
  • [70]
    N.-E. VANZAN MARCHINI, Le leggi…, op. cit., vol. 1, p. 262-263 ; vol. 2 (1998), p. 415. À propos du contexte de ces expulsions : Brian S. PULLAN, Rich and Poor in Renaissance Venice : The Social Institutions of A Catholic State, to 1620, Oxford, Blackwell, 1971, partie 2. Pour des procédures similaires en Europe : Jason Philip COY, « Beggars at the gates : Banishment and exclusion in sixteenth-century Ulm », The Sixteenth Century Journal, 39-3, 2008, p. 619-638.
  • [71]
    ASVe, Senato Terra, reg. 36, c. 184v, 21 décembre 1549 ; ibidem, reg. 41, 15 juillet 1558.
  • [72]
    A. BUONO, « La manutenzione… », art. cit., p. 255.

1 Venise était une cité en perpétuel mouvement. Gouvernée par un groupe nobiliaire devenu célèbre pour sa stabilité et sa longévité au pouvoir, la ville abritait néanmoins une société diverse et complexe, bien plus fluide et mobile que son élite dirigeante. Cité accueillante, elle attirait dès le Moyen Âge des dizaines de milliers d’immigrants qui venaient s’y installer de façon plus ou moins permanente. Certains n’y restaient que quelques mois avant de regagner leur région d’origine ou de repartir vers des horizons plus prometteurs ; d’autres y demeuraient de façon pérenne. Tous contribuaient à l’essor démographique et économique de la ville qui, à l’image de la plupart des grandes cités européennes de l’époque, avait besoin de ce flux migratoire pour maintenir son dynamisme et continuer de croître [1].

2 La majorité des immigrants rejoignant Venise provenaient de l’empire vénitien qui s’étendait de la mer Égée à la Dalmatie, et des rives italiennes de l’Adriatique jusqu’aux Alpes. D’autres arrivaient dans la lagune depuis les cités et régions de la péninsule italienne, ou de plus loin en Europe ou en Méditerranée. Tous étaient attirés par les opportunités de travail et les vastes marchés que la capitale animait. Durant les périodes de guerre et de disette, Venise devenait également un lieu de refuge.

3 Comme nous l’avons analysé dans un précédent article, la grande majorité des immigrants arrivant à Venise intégrait un groupe large et hétérogène, le popolo, qui représentait environ 85 % de la population [2]. Le popolo reste toutefois difficile à saisir en termes juridiques et les popolani, natifs de Venise ou d’ailleurs, avaient une condition incertaine. Comme c’était généralement le cas à l’époque, les gens du peuple étaient exclus du gouvernement et des activités commerciales les plus rémunératrices. Plutôt que par leur statut, les popolani, natifs ou non, étaient essentiellement définis par leur faiblesse juridique, qui ne signifiait pas pour autant qu’ils étaient dénués de droits. Vivre à Venise impliquait d’avoir le « droit d’habiter » la ville, même s’il n’est pas aisé de délimiter ce que celui-ci recouvrait précisément. Jusqu’à la fin du Moyen Âge, il ne semblait pas explicitement défini par la loi lorsqu’il s’appliquait aux popolani qui ne pouvaient pas revendiquer le statut juridique de cittadino. Il relevait sans doute autant d’une pratique sociale communautaire et tacite que d’un cadre juridique en cours de stabilisation. Pour les gens ordinaires qui n’appartenaient ni au groupe nobiliaire ni au groupe citoyen, être habitants de Venise signifiait pouvoir y résider et donc y travailler, s’y marier, recevoir l’aumône, avoir recours à la justice, posséder des biens, présenter suppliques et requêtes à l’État, et circuler vers et en dehors de la lagune. Mais cela ne recouvrait pas les droits et devoirs plus classiquement attachés à la citoyenneté, droits politiques et devoirs fiscaux en particulier [3]. Si l’historiographie a bien exploré la question des droits des citoyens et la différence entre citoyens et étrangers, à Venise comme ailleurs, elle demeure beaucoup plus lacunaire lorsqu’il s’agit de se placer à l’échelle des dizaines de milliers d’immigrants ordinaires qui composaient une partie du popolo[4]. Ainsi reste-t-il encore délicat de déterminer comment le « droit d’habiter » était défini et attribué.

4 Nous voudrions considérer cette question en la replaçant dans le contexte spécifique du XVIe siècle, au moment où évoluaient ce que signifiait « habiter » la ville et les modalités selon lesquelles un étranger pouvait venir s’installer à Venise [5]. Au début de la période moderne, la République modifia la façon dont elle considérait les nouveaux arrivants et le sort qu’elle leur réservait. La mise en place de nouvelles techniques d’identification participait d’un mouvement plus général de renforcement des moyens de contrôle et de surveillance de la population, accompagné d’un perfectionnement des méthodes d’enregistrement et d’identification des personnes [6]. Dans le même temps, les guerres d’Italie, les conflits contre les Ottomans, les famines successives et les épidémies de peste affaiblissaient Venise, tout en entraînant de nouveaux mouvements migratoires vers la lagune. La Sérénissime fut alors traversée de débats sur la légitimité de la présence de ces nouveaux arrivants et sur la façon dont ils devaient être accueillis.

5 Ainsi, durant les deux premiers tiers du XVIe siècle, la population de la ville passa d’environ 110000 à presque 170000 habitants. Après la grande peste de 1575-1576, qui entraîna la mort d’un tiers de la population, seul le mouvement d’immigration soutenu et régulier permit à Venise de se remettre de la crise démographique et économique causée par la maladie [7]. Malgré cela, les épidémies, les guerres et les mouvements d’hétérodoxie religieuse qui divisaient la Chrétienté occidentale furent de plus en plus fréquemment perçus comme des menaces et donnèrent lieu, tout au long du siècle, à l’élaboration d’un discours prônant la nécessité de contrôler la mobilité des étrangers. Les autorités vénitiennes produisirent une série de mesures visant à surveiller plus étroitement qui entrait et sortait de la lagune. Il s’agissait pour cela d’identifier ces personnes, en précisant leur identité individuelle mais aussi en considérant les catégories collectives auxquelles les rattacher. Dans ce contexte de redéfinition juridique, de nouvelles conditions d’entrée furent édictées, de même que de nouvelles règles administratives encadrant les mouvements, qui impliquaient la redéfinition de l’identité de ces immigrants et des droits auxquels ils pouvaient accéder.

6 Dès lors, en se plaçant à l’échelle des habitants ordinaires qui peuplaient la ville, et en considérant la question du point de vue des pratiques plutôt que de celui de la théorie juridique et politique, que signifiait être « vénitien », « habitant » et « étranger » au début de l’époque moderne à Venise ? Comment les immigrants étaient-ils identifiés, individuellement et collectivement, lorsqu’ils s’installaient dans la ville et comment obtenaient-ils le droit d’habiter, de façon à ne plus être un forestier mais un habitant (et répétons-le, pas un citoyen) ? Pour répondre à ces questions, nous voudrions mettre en perspective la question des droits avec celle des processus d’identification qui permettaient de déterminer qui pouvait accéder à ces droits. Notre objectif est d’analyser l’évolution de ces processus en considérant successivement les pratiques d’identification communautaires et sociales, puis les pratiques administratives et institutionnalisées, qui participaient à établir qui avait des droits et quels droits. L’inclusion et l’intégration (ou le rejet et la marginalisation) étaient tout autant négociées localement dans le voisinage, la rue ou l’atelier, au sein du groupe des popolani, qu’elles étaient déterminées par la loi. Les formes d’identification standardisées, et enregistrées sous une forme écrite, mises en place par le gouvernement vénitien au XVIe siècle prenaient appui sur d’anciennes pratiques communautaires d’identification et d’intégration sociale. En comprenant les rapports entre ces deux types de pratiques d’identification et d’attribution des droits, et la façon dont ils évoluèrent au cours du XVIe siècle, il s’agira d’observer comment se transformait la définition de l’appartenance urbaine et ce que recouvrait le droit d’habiter la ville pour des personnes qui n’y étaient pas nées.

Citoyens, habitants, étrangers

7 Au XVIe siècle, les récits de voyage, les descriptions de la ville, la littérature comme le théâtre véhiculaient le topos d’une Venise cosmopolite, où résonnait la cacophonie des langues et des dialectes. Une ville peuplée d’étrangers : tel était l’un des principaux lieux communs qui circulait sur la cité, comme en témoignent par exemple la célèbre déclaration de l’ambassadeur français Philippe de Commynes pour qui « la pluspart de leur peuple est estranger » (1494) ou la description faite par le vénitien Francesco Sansovino dans son guide de la ville (1581) « fréquentée par de nombreuses personnes de toutes les langues et pays » [8]. À l’image d’autres grandes capitales européennes, telles Naples ou Paris, Venise était représentée sous les traits d’une Babel accueillante, où se pressaient les sujets de l’empire comme les étrangers venus de destinations plus lointaines. Le chroniqueur vénitien Girolamo Priuli (1500) affirmait ainsi que les gouvernants étaient attentifs à faire « égalité à tous, en les couvrant tous du même manteau ; et les sujets des terres soumises à l’État vénitien, les étrangers etiam les habitants de la ville de Venise connaissent l’égalité » [9].

8 Dans la réalité, l’intégration des immigrants à la cité dépendait de plusieurs éléments et en particulier de leur terre de naissance, de leur religion et de leur statut social ou professionnel d’origine. Les nouveaux arrivants n’étaient pas tous accueillis à bras ouverts, ni ne jouissaient des mêmes droits. La définition de leur statut et de leurs droits relevait en effet de mécanismes complexes [10]. Ainsi, chaque ville ou État créait « ses propres étrangers » [11], et il faut donc considérer les particularités vénitiennes pour comprendre comment les étrangers y étaient définis et identifiés par les autres habitants comme par l’État.

9 La première difficulté tient au fait que la majorité des sources traditionnellement considérées pour définir l’extranéité ont été produites du point de vue – et dans l’intérêt – des membres les plus statiques et sédentaires de la société, à savoir les patriciens [12]. On s’est ainsi principalement intéressé à la question des étrangers en partant des statuts, lois et traités émis par les gouvernants. Or ceux-ci, nés à Venise et appartenant à des lignages installés de longue date dans la lagune, définissaient ce que signifiait être « vénitien » et « étranger » selon leur propre expérience et leurs propres catégories. Puisqu’ils avaient établi un monopole sur la condition même de « vénétianité », leurs définitions de l’étranger ne prenaient pas nécessairement en compte la question des habitants ordinaires de la ville.

10 Ainsi, dans les derniers siècles du Moyen Âge, lorsque les patriciens avaient déterminé les limites juridiques de leur propre groupe, ils avaient exclu toute possibilité pour des non natifs de devenir nobles, exception faite des quelques descendants de familles princières ou dirigeantes étrangères, qui pouvaient prétendre à des titres honorifiques ou épouser des membres du patriciat [13]. C’est en clarifiant le statut des cittadini – les citoyens ou bourgeois de Venise – que les gouvernants avaient été contraints d’affiner leur définition de l’étranger. Les citoyens constituaient une « seconde élite », jouissant de droits économiques et fiscaux (mais pas politiques, dans le cas de Venise, puisque le patriciat gardait le monopole des fonctions gouvernementales). Parmi eux, certains étaient nés à Venise et appartenaient à d’anciennes familles vénitiennes (les cittadini originari) ; d’autres étaient des immigrés aisés – artisans qualifiés jusqu’au XVe siècle, puis marchands ou hommes de droit à partir du moment où le travail manuel fut considéré comme disqualifiant – qui rejoignaient la lagune à la recherche d’opportunités économiques (cittadini par privilège). Pour prétendre au statut de citoyen, et jouir des droits qui lui étaient attachés, il fallait remplir un certain nombre de critères dont la formalisation juridique fit l’objet d’un long travail institutionnel qui aboutit à la fin du XVIe siècle [14]. À Venise, il existait donc une définition propre de la citoyenneté, limitée par rapport à celle de nombreux autres États ou cités de l’époque : être habitant n’était pas être citoyen, et le statut de cittadino était suffisamment encadré pour n’être attribué qu’à une part restreinte de la population, aux alentours de 8 à 10 % environ (les patriciens représentaient quant à eux environ 5 %).

11 La définition d’une citoyenneté vénitienne, reposant sur un statut juridique plus ou moins clair, impliquait par conséquent une catégorie inverse, celle d’étranger, et ce couple étranger/citoyen a été bien analysé par l’historiographie [15]. Mais comme l’a récemment rappelé Natalie Rothman, « on a accordé beaucoup moins d’attention à la manière dont on négociait et pratiquait l’appartenance à la cité, au-delà de l’acte légal de naturalisation » [16]. C’est en effet précisément au-delà de cet acte de naturalisation que se jouait l’appartenance à la cité de la majorité des immigrants à Venise, pour qui la question de la citoyenneté ne se posait pas et ne se poserait jamais. Pour la plupart d’entre eux, l’activité professionnelle comme le niveau économique excluaient tout espoir de pouvoir aspirer à ce statut difficile, coûteux et long à obtenir, et ils étaient dans leur immense majorité des travailleurs ordinaires, immigrants, migrants itinérants, réfugiés, de condition économique souvent fragile. Ces hommes et ces femmes travaillaient avec leurs mains et pratiquaient les « arts mécaniques » qui rendaient impossible une quelconque prétention à la citoyenneté : marins venus servir sur les navires marchands, ouvriers et travailleurs qui constituaient la principale main-d’œuvre des ateliers et des chantiers, domestiques et barcaruoli se mettant au service des habitants et de l’État. Leur installation à Venise, la place qu’ils y trouvaient, les droits auxquels ils pouvaient prétendre n’étaient pas déterminés par la citoyenneté. Et pourtant, ils parvenaient progressivement à s’installer, s’intégrer à un voisinage, se marier, travailler, acter en justice : autant de signes qu’ils étaient devenus « habitants » de Venise.

12 Les sources attestent la présence d’habitants d’origines géographiques variées dans les quartiers vénitiens. Citons par exemple ce procès mené par l’Avogaria di Comun en juillet 1508 après la mort de Girolamo Gambaro, un calfat habitant la Calle delle Vele (la rue des Voiles) dans le sestier de Cannaregio, au nord de Venise [17]. Parmi la quinzaine de témoins appelés à déposer devant les magistrats, on retrouve maître Gregorio, un Allemand, Antonio, un vendeur de fruits bergamasque, Donna Pasqua, épouse de Francesco de Parenzo en Croatie, Isabetta épouse de Venturini, un Padouan, Clara veuve de Simeone, un Grec fabricant de velours, ainsi qu’un Alexio et une Anastasia dont les prénoms laissent supposer une origine grecque. Tous habitaient Santa Sofia, la même paroisse que le défunt, et révélaient, dans leurs déclarations à la cour, leur capacité à identifier les voisins et à commenter les allers et venues des uns et des autres dans le voisinage. Ces travailleurs, boutiquiers et domestiques, nés à Venise ou identifiés par une origine géographique étrangère (leur lieu de naissance, celui de leur père, voire une origine plus ancienne) habitaient donc le même voisinage. Tous étaient des « habitants » de la ville, même s’ils étaient immigrants ou enfants d’immigrants, et il paraît donc légitime à ce stade de s’interroger sur la pertinence de les appeler « étrangers ».

13 Car ils étaient bien désignés comme « habitants », une catégorie que les sources du XVIe siècle utilisaient fréquemment pour évoquer ceux qui nous intéressent ici. Dans les archives judiciaires par exemple, à l’identité des témoins successifs était ajoutée la mention « habitant de » telle ou telle paroisse, de même qu’on retrouve la terminologie dans les lois vénitiennes. Toutefois, malgré l’usage abondant de ce terme dans les documents, on ignore encore s’il recouvrait une définition légale claire.

Forestier, de quelque part ou d’ailleurs

14 Une autre catégorie fréquemment employée dans les sources normatives de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne est celle de forestier (étranger) et ses antonymes, cittadino, nativo ou terrier. Dans les Statuts de métier (mariegole) et les archives des guildes, forestier renvoyait aux travailleurs nés hors de Venise, dont l’activité faisait l’objet de fréquentes régulations. En fonction du contexte politique et économique spécifique dans lequel il était employé, le terme pouvait être plus ou moins précis, qualifiant différentes formes d’extranéité : les sujets du Stato vénitien, les Italiens, les visiteurs temporaires ou les personnes installées dans la lagune depuis plus longtemps. Il s’agissait d’une dénomination générale qui englobait semble-t-il tous ceux qui n’étaient pas nés à Venise.

15 Dans les archives judiciaires qui donnent accès aux catégories employées par les justiciables, forestier apparaît plus rarement [18]. Les juges l’utilisaient dans leurs questions, mais les accusés ou les témoins en faisaient un usage moins spontané. Pour ces derniers, forestier désignait les étrangers non identifiés, visiteurs de passage ou personnes récemment arrivées qui n’appartenaient pas au voisinage donc à la cité. En 1556, par exemple, Andrea dal Dagno porta plainte après avoir été agressé alors qu’il se rendait à San Marco : s’il avait identifié l’un de ses agresseurs, l’autre était « un forestier qui m’est inconnu » [19]. L’usage le plus fréquent du terme, dans les archives judiciaires, était sans doute dans l’expression « vestito (habillé) alla forestier » [20]. « Comment étaient ses vêtements ? » demandèrent les magistrats à un témoin lors du procès organisé en 1556 après une bagarre survenue à l’auberge de San Geremia. « Alla forestiera », avec un manteau noir (tabaro scuro) répondit-il [21]. Une vingtaine d’années plus tard, en 1574, un incendie détruisit plusieurs des étals installés place Saint-Marc pour la très populaire foire de la Sensa [22]. Les magistrats interrogèrent plusieurs témoins présents sur les lieux et tous s’accordèrent sur l’accoutrement du principal suspect, « habillé alla forestier ». L’expression n’était pas particulièrement précise, mais renvoyait plutôt à une mode vestimentaire qui ne ressemblait pas à celle des autres habitants.

16 Le forestier était donc celui qui n’appartenait pas à la communauté, et qui n’était pas identifiable. La catégorie désignait son extranéité faute de pouvoir justement dire qui il était. Cela n’était cependant pas le cas des immigrants installés à Venise pour y demeurer, qui étaient connus et reconnus, car ils travaillaient et habitaient le voisinage [23]. S’ils devaient qualifier leurs voisins, les habitants se référaient spécifiquement à leur origine géographique, voire religieuse, mais ne les appelaient pas forestier. En mai 1526, un procès fut instruit après une violente bagarre survenue à deux pas de Rialto, entre différents artisans habitant le campo San Bartolomeo [24]. Parmi les principaux témoins se trouvaient un maître Zuan, allemand, et Alvise et Zuan, toscans, dont les voisins attestèrent de la présence en les désignant par leur origine géographique : « un maître Zuan, allemand, tailleur » ou « ces différents Toscans que vous avez interrogés ».

17 Une fois qu’on était installé à Venise, on pouvait continuer d’être qualifié d’allemand ou de toscan tout en étant habitant d’un quartier et de la ville. En 1550, un long procès fut instruit contre un ecclésiastique accusé d’avoir eu une relation avec une femme du patriciat. Parmi les très nombreux témoins interrogés, furent auditionnés un maître Zuan Marin de Spolète (Spoleto en Italie centrale) de la paroisse de Santa Fosca ou trois barcaruoli, Marco fils de Gabriel de Ferrare « habitant dans la paroisse de San Marcuola à côté de la Misericordia », Mario padouan barcaruol « habitant à la Giudecca » et Alessandro de Piove di Sacco (un bourg de Vénétie) « habitant la contrada de Sant’Agnese » [25]. Ces désignations révèlent qu’on était d’abord habitant d’une paroisse (confinio ou contrada en vénitien) avant d’être habitant de la ville. C’est parce qu’ils étaient rattachés à un voisinage et à une paroisse, ces unités territoriales de taille limitée, où l’interconnaissance permettait l’identification, que les immigrants en venaient à appartenir à la ville. On devenait habitant de Venise parce qu’on était reconnu comme tel par ses voisins.

18 Le forestier n’appartenait pas à la communauté et venait d’un ailleurs vague, tandis que le voisin venait d’un lieu identifié, un pays, une région, une ville que l’on pouvait nommer. L’usage que les gouvernants faisaient de la catégorie forestier semblait révéler une capacité à conceptualiser la catégorie abstraite de l’ailleurs, d’où venaient tous ceux qui n’étaient pas nés à Venise. À l’opposé, cet « ailleurs » était rarement nommé par les gens ordinaires, qui rattachaient l’identité à un lieu spécifique : le voisinage, la paroisse, la terra ou Venise, Bergame, les régions de langue grecque, mais pas « l’ailleurs », un mot qu’on ne retrouve quasiment jamais dans les archives judiciaires. En revanche, il existait bien une opposition entre Venise (Venezia, la terra) et « en-dehors » de Venise (fuori). La terra désignait la ville et la lagune, mais en général pas l’État territorial dans son ensemble ; Trévise ou Padoue, qui dépendaient politiquement de Venise, n’étaient pas intégrées à cette expression de terra.

Comment devient-on habitant ?

19 Ceux qui n’étaient pas nés à Venise pouvaient obtenir le droit d’habiter, et de forestier devenir habitant. Mais comment se fixaient ces catégories d’identification et qui les produisait ? Jusqu’au XVe siècle, et avant la généralisation de l’enregistrement des naissances et de l’usage des papiers d’identité, c’était aux voisins et aux habitants que revenait ce travail d’intégration et d’identification. La production des catégories permettant de désigner les personnes relevait d’un processus local et collectif et d’un accord tacite plutôt que d’une décision administrative. C’étaient les popolani qui négociaient et jugeaient les différences et les appartenances.

20 Le processus d’installation dans la ville et d’acquisition des droits était progressif. Dans un premier temps, les immigrants venaient habiter à proximité de leurs compatriotes, dans les quartiers, les rues, les voisinages où ceux-ci reconstituaient des communautés d’intérêt dont témoigne encore aujourd’hui la topographie vénitienne (comme les Calle degli Albanesi, Chiesa dei Greci, Campo dei Mori). Les spécialisations professionnelles de certains groupes participaient de ce phénomène : les imprimeurs allemands ou les soyeux toscans à proximité de Rialto par exemple. Pour autant, même s’ils avaient tendance à se rassembler, les groupes « nationaux » ou religieux ne constituaient pas des communautés hermétiquement séparées du reste de la société. Les travaux de Monica Chojnacka sur les femmes ont ainsi montré la grande mixité des voisinages [26]. Car lorsqu’ils ne rejoignaient pas des communautés spécifiques, les immigrants qui arrivaient à Venise tendaient à s’installer dans des zones où ils savaient pouvoir trouver facilement un logis temporaire [27]. Dans un cas comme dans l’autre, s’installant à proximité de leurs compatriotes ou dans des quartiers mixtes, les nouveaux arrivants entraient en contact avec les habitants de Venise. Les relations quotidiennes, sur la place de l’église paroissiale, dans la taverne ou dans l’atelier permettaient l’atténuation progressive des différences. La conscience d’appartenir à des mondes différents s’estompait en général, tandis que se renforçait le sentiment d’appartenir à une paroisse puis à la ville.

21 Le voisinage, la cour, le campo (la place), la rue étaient les lieux où s’acquérait le droit d’habiter, en intégrant une communauté de connaissance et de reconnaissance, première étape vers l’obtention d’autres droits. Même si on pouvait longtemps rester « de Bergame » ou « grec », on faisait désormais partie d’une communauté locale. La cohabitation dans ces lieux resserrés et densément peuplés contribuait à l’émergence d’usages sociaux partagés – auxquels chacun contribuait, natifs comme non natifs – et c’était là qu’on commençait à intégrer Venise, tout en participant, à son tour, à faire la ville. On y apprenait la langue et les usages locaux, y adoptait les styles vestimentaires vénitiens qui permettaient de se fondre dans la population. Un marché très actif de vêtements d’occasion assurait la circulation des habits dans la ville, passant d’un groupe social et ethnique à l’autre, au fur et à mesure qu’ils étaient vendus, reprisés, transformés et revendus à nouveau [28]. Au début du XXe siècle, l’écrivain Elio Zorzi rapportait encore comment les jeunes femmes originaires du Frioul venues travailler à Venise comme domestiques étaient identifiées par le foulard qu’elles portaient sur la tête, comme c’était déjà le cas au XVIe siècle. Elles l’abandonnaient progressivement après quelques années de résidence, adoptant des manières de s’habiller qui ressemblaient de plus en plus à celles des Vénitiennes [29].

22 L’intégration à la cité ouvrait à son tour d’autres possibilités : celle d’appartenir à une guilde ou à une confraternité par exemple, de se marier, de bénéficier de l’aumône, d’acquérir des biens. Ces droits étaient réservés à ceux qui étaient connus et identifiés par les autres habitants, une communauté de connaissance et de réputation qui décidait qui pouvait accéder à quoi [30]. La communauté avait le pouvoir d’exclure ceux qui auraient pu la mettre en péril et d’intégrer ceux qui pouvaient contribuer à son essor. Avant que n’émerge une pratique systématique d’enregistrement des personnes, l’identité se forgeait dans cet espace partagé, où l’on gardait la mémoire des événements. Les habitants, natifs ou pas, hommes et femmes, vieillards et enfants, savaient ce qui se passait, pouvaient nommer les voisins, les reconnaître, dater leur arrivée dans la paroisse, attester leur réputation et leur appartenance à la communauté. En 1505, un procès fut instruit suite à l’assassinat d’un certain Matteo. Le principal accusé, Tommaso Taiacalce, était un ami du défunt et il expliqua le connaître de longue date : « Je l’ai connu quand nous étions enfants (puto), à San Giacomo dell’Orio, où je suis né et où il demeurait (stava) et nous étions voisins ; et depuis que nous sommes garzoni, nous nous connaissons » [31]. Maître Zuan de Olivaro, le barbier de San Stae, une paroisse à proximité, disait lui aussi connaître Matteo « depuis qu’il était enfant ». Bernardo de Bergame, un tanneur et vendeur de grains qui habitait San Giacomo dell’Orio fut lui aussi interrogé et confirma qu’il connaissait le défunt. « Depuis quand habites-tu la paroisse ? » lui demandèrent les juges pour vérifier la valeur de son témoignage. « Je vous dirais, ça fait peut-être trente ans ».

23 Dans les différents voisinages, les habitants étaient ainsi à l’origine d’un véritable « cadastre oral » [32] transmis par la tradition. Il enregistrait les compétences professionnelles des uns et des autres, les réputations, les ressources, et servait également au contrôle de la population. Ce savoir diffus constituait une source d’information majeure pour les autorités. Pour déterminer si tel résident était natif de la lagune ou pas, pour établir les généalogies et les appartenances, les gouvernants devaient se fier à ce savoir local et à la mémoire collective, qui représentaient bien souvent l’unique source d’information, en l’absence de registres et documents écrits.

24 Cette connaissance partagée n’empêchait évidemment pas les tensions et les éventuels conflits. Dans les contextes de crise, les frontières pouvaient se reformer et se renforcer, tout en exacerbant les différences. Durant la ligue de Cambrai, à partir de 1508, Venise perdit temporairement la Terre ferme voisine, et les sujets qui se rallièrent à l’empereur germanique ou au roi de France furent du même coup considérés comme des ennemis ou des traîtres. Nombre de Padouans et d’habitants de l’État territorial vénitien se réfugièrent à Venise et vinrent s’installer où ils pouvaient, suscitant chez les habitants un sentiment mêlé de pitié et d’hostilité [33]. À la même époque, les nombreux Allemands qui habitaient la cité subirent eux aussi les effets de la conjoncture politique, à mesure que les troupes impériales progressaient en Italie [34]. En 1508, une famille de boulangers allemands qui était installée dans la lagune depuis plus de vingt ans, à Venise puis à Murano, commença à devenir la cible de railleries et de l’hostilité des habitants. « Nous sommes marcheschi » se défendirent-ils, affirmant ainsi leur attachement à la République et à son saint patron, saint Marc [35].

25 Les habitants voyaient, entendaient, estimaient, jugeaient, et le pouvoir utilisait à son tour cette connaissance partagée pour les contrôler. La justice, en particulier, prenait au sérieux ces déclarations et témoignages qui émanaient de la population. Collectivement, les popolani participaient ainsi à l’élaboration et à la construction d’un savoir sur la société, dont l’État avait besoin pour déterminer qui appartenait et qui n’appartenait pas à la communauté, qui avait le droit d’habiter ou pas.

Administrer l’identification

26 La bureaucratie vénitienne accrut pourtant ses outils de connaissance à partir de la fin du XVe siècle et de nouvelles modalités d’identification émergèrent, modifiant à leur tour ce que signifiait avoir le droit d’habiter, et comment un tel droit pouvait être acquis. La conjoncture politique et économique expliquait en partie ces nouvelles mesures : la rapide croissance démographique, les pressions extérieures qui menaçaient la prédominance économique et politique de Venise, les épidémies récurrentes de peste et l’apparition de nouvelles maladies comme la syphilis, de même que l’hétérodoxie religieuse et la « corruption morale » qui étaient fréquemment dénoncées par l’Église et les patriciens. Ces transformations s’inscrivaient également dans un processus plus général par lequel, tout au long de l’époque moderne, l’Europe connut le passage de procédures d’identification fondées sur des signes extérieurs (le béret, la rouelle ou tout autre signe jaune que devaient porter les juifs, par exemple) à un système reposant sur des documents produits par les institutions [36].

27 Venise fut l’un des principaux et premiers espaces politiques à promouvoir les documents écrits et imprimés alors que le papier était en train de devenir « la matrice, le matériau fondateur de la mémoire » et de l’identification des personnes en mobilité [37]. Comme d’autres cités et États d’Italie du Nord, la République baignait dans une culture de l’écrit qui s’était développée dans les derniers siècles du Moyen Âge, en particulier grâce à une chancellerie toujours plus large et efficace. Venise était également l’une des capitales de l’imprimerie européenne. Alors même que les imprimeurs vénitiens produisaient les milliers de livres qui alimentaient les marchés européens, les institutions se mettaient elles aussi à rédiger de très nombreux papiers et imprimés éphémères, bollettini et licenze dont certains allaient servir à l’identification des personnes ou à l’attestation de droits spécifiques [38]. Ces papiers, délivrés aux habitants de la ville, permettaient désormais de garder la mémoire des décisions prises, tandis que l’usage croissant de formulaires standardisés favorisait l’uniformisation des catégories administratives.

28 Ainsi, à partir du début du XVIe siècle, le gouvernement imposa à ceux qui venaient d’ailleurs un certain nombre de procédures administratives avant l’installation dans la ville, et l’obtention de l’équivalent de « permis de séjour » qui sanctionnait cette étape intermédiaire entre l’arrivée dans la lagune et l’acquisition du droit d’habiter. Mais puisque Venise n’avait ni portes ni murs d’enceinte, il fallait agir sur les espaces de transit et d’accueil : les bateaux qui les conduisaient dans la lagune, puis les auberges (osterie) et les logis (albergarie, camere locande) où ils étaient hébergés [39]. Pour fonctionner, le nouveau système d’identification nécessitait la collaboration et la participation de différents acteurs : les agents subalternes qui étaient chargés de faire appliquer ces règles (scribes, secrétaires, policiers), les barcaruoli qui menaient les nouveaux arrivants dans la lagune, les aubergistes et propriétaires de logis qui les accueillaient et, enfin, les immigrants eux-mêmes, qui devaient s’accommoder de ces nouvelles règles.

29 Aux bateliers revenait d’informer ceux qu’ils conduisaient à Venise au sujet des lois et des contrôles en vigueur, en rappelant par exemple aux visiteurs les normes relatives au port d’armes [40]. Il leur fallait également contrôler l’entrée des immigrants suspectés de pouvoir menacer la santé physique ou morale des habitants. Ils avaient ainsi pour mission d’empêcher les vagabonds et les mendiants de venir à Venise durant les périodes de disette [41]. On attendait donc des barcaruoli qu’ils soient capables d’identifier qui pouvait entrer ou pas dans la lagune, en évaluant les apparences, les vêtements, les accents, voire en exigeant la présentation de documents tels que les licences accordées aux mendiants garantissant que ceux-ci provenaient de lieux exempts de la peste [42]. Il incombait ensuite aux aubergistes et aux logeurs de prendre le relais, leurs établissements devenant le lieu idéal pour surveiller les allers et venues des visiteurs temporaires et de ceux qui voulaient s’installer à Venise, connaître leur lieu d’origine, évaluer leurs compétences, et savoir quelles étaient leurs intentions dans la ville. Ainsi, à partir au moins du XVe siècle, les aubergistes reçurent l’obligation de tenir une liste de leurs hôtes et de la communiquer quotidiennement à l’office de la Giustizia Nuova, alors en charge de ces questions [43]. En 1510, on rendit obligatoire pour tous ceux qui arrivaient à Venise de résider pendant quelques jours dans l’une des osterie officielles situées dans les zones centrales de San Marco ou Rialto (une vingtaine environ), dans l’attente de recevoir l’autorisation de se déplacer vers un autre logement [44]. Cette décision venait en réaction à la multiplication des logis informels qui étaient rapidement apparus dans toute la ville pour accueillir les nombreux immigrants et voyageurs dont le contrôle devenait de plus en plus difficile. Dans le même esprit, les propriétaires de logis devaient désormais demander au gouvernement une licence pour chacun de leurs hôtes, à laquelle correspondait le paiement de frais spécifiques, et ils avaient eux aussi l’obligation de déclarer aux autorités qui ils hébergeaient [45]. D’autres règles encore furent imposées aux aubergistes et aux propriétaires de logis tout au long de la période. Durant les épidémies de peste, par exemple, ils ne pouvaient héberger d’hôtes étrangers qui n’auraient pas produit un bollettino di sanità[46]. Il leur était également interdit de loger des populations considérées comme indésirables, telles que les « vauriens » (birbanti, furfanti) et mendiants (mendicanti, questuanti) considérés comme des sources de désordre social, en particulier pendant les périodes de disette [47].

30 Les aubergistes et les propriétaires de logis devinrent ainsi des acteurs essentiels du processus de contrôle, car c’étaient eux qui enregistraient et vérifiaient les identités avant d’en rendre compte aux institutions qui se chargeaient ensuite de déterminer le sort à réserver à chacun, accueillis à bras ouverts pour certains, avec suspicion voire hostilité pour d’autres. Insistons sur le fait que de nombreux logeurs étaient eux-mêmes des immigrants arrivés plus ou moins récemment. Beaucoup des aubergistes et de leurs employés venaient en effet de Terre ferme (particulièrement de la région de Bergame). Nombreux étaient aussi ceux qui étaient originaires du nord de l’Europe, en particulier ceux qui tenaient les osterie réservées en priorité aux Allemands et autres oltramontani, étrangers venus « d’au-delà des Alpes ». De la même façon, les innombrables habitants qui louaient leur maison ou des chambres aux immigrants étaient eux-mêmes bien souvent d’origine étrangère. Un grand nombre d’entre eux étaient d’ailleurs des femmes, en particulier des veuves ou épouses d’artisans, originaires de Grèce, de Dalmatie ou de l’arrière-pays vénitien.

31 Tout au long du XVIe siècle, les autorités vénitiennes consentirent des efforts croissants pour réguler le secteur de l’hospitalité et s’assurer qu’il était entre les mains d’habitants fiables, qui se plieraient à l’obligation de déclarer leurs hôtes. En 1569, puis à nouveau en 1574, un tournant décisif eut lieu lorsque le Sénat décréta que seuls les sujets vénitiens (suditi della Signoria Nostra) pouvaient tenir les logis, révélant ainsi qui était considéré comme digne de confiance pour participer à l’enregistrement et à l’identification des immigrants [48]. Les sources révèlent néanmoins que de nombreux habitants parvenaient à contourner la loi, comme certains logeurs d’origine étrangère qui laissaient leurs épouses vénitiennes réclamer et obtenir les licences nécessaires [49]. Ces tentatives continues de réformer le système sont bien la preuve des difficultés inhérentes à la surveillance des immigrants et des visiteurs qui se déplaçaient d’un logis à l’autre, des osterie bien contrôlées des quartiers centraux de la ville, tenues par des aubergistes membres de la guilde, jusqu’au vaste réseau de logis informels et parfois clandestins, dans les maisons privées, offerts par tout type d’habitant.

Se déclarer aux autorités

32 À la fin du siècle, à partir de 1583, il fut décidé de modifier l’institution en charge de la surveillance et de l’enregistrement des immigrants. Les exécuteurs contre le Blasphème (esecutori contro la Bestemmia) se virent confier cette mission, car on espérait qu’ils seraient plus efficaces que la Giustizia Nuova. L’institution des esecutori, créée dans les années 1530, était directement contrôlée par le Conseil des Dix en charge de la sécurité de l’État. Les exécuteurs s’étaient vu attribuer un vaste éventail de fonctions relatives au contrôle des crimes et délits menaçant l’ordre moral, religieux ou social, condamnant les blasphémateurs comme les imprimeurs de textes licencieux, et tous ceux qui chantaient, dansaient ou pariaient dans l’espace public au mépris des lois en vigueur [50]. S’ajoutait désormais la surveillance des immigrants, un indice supplémentaire que ceux-ci étaient perçus comme une potentielle menace contre la stabilité et la prospérité vénitiennes. Les exécuteurs devaient encadrer les demandes d’enregistrement de façon plus étroite, et disposaient de gardes qui faisaient des visites régulières aux établissements afin de vérifier que les règles étaient bien appliquées [51].

33 Dans le même temps, les immigrants eux-mêmes eurent à se plier à de nouvelles règles pour obtenir les documents écrits les autorisant à se déplacer ou à résider dans des endroits spécifiques. Au moins à partir de 1545, les nouveaux arrivants devaient se déclarer eux-mêmes aux autorités compétentes (les sette savi alla Giustizia Nuova) pour obtenir une autorisation écrite (bollettino) leur garantissant de pouvoir séjourner à Venise, que ce soit pour une période courte ou dans l’intention de trouver un travail et de s’installer durablement [52]. Lorsque les exécuteurs contre le Blasphème prirent le relais, il leur revint de punir et condamner les étrangers qui n’avaient pas réussi à obtenir ce type d’autorisation écrite, ainsi que les tenanciers d’auberges et les propriétaires de logis qui les avaient hébergés sans autorisation. L’obligation de s’auto-déclarer accompagnait le renforcement des contrôles par les institutions et l’augmentation de leurs moyens d’identification.

34 Les immigrants qui voulaient s’installer à Venise devaient donc se procurer un document les autorisant à séjourner dans la ville pour une période déterminée, avant de pouvoir résider de façon définitive et d’acquérir le droit d’habiter la ville. S’installer ne relevait plus seulement d’un accord au sein du voisinage mais était désormais sanctionné par les autorités contrôlant qui entrait dans la ville et avec quelles intentions. L’activité que ces nouveaux arrivants désiraient exercer, le temps qu’ils comptaient passer à Venise, les connaissances et relations qu’ils avaient dans la cité entraient en ligne de compte dans la réponse apportée à leur demande. Un nouveau système d’enregistrement et d’identification reposait donc maintenant sur un ensemble de papiers, certificats, licences et bollettini dont le nombre était en constante augmentation. Dans ce contexte, l’attribution d’un document écrit – le sauf-conduit permettant au voyageur de circuler comme le papier attestant du droit de séjourner dans la ville – devenait l’élément qui marquait la différence. Celui qui n’appartenait pas à la ville, le visiteur comme l’immigrant, était celui qui devait disposer d’un document écrit, dont la possession lui garantissait le droit de demeurer dans la lagune et d’y travailler.

35 Cette surveillance croissante des étrangers et immigrants participait d’un phénomène plus général de multiplication des pratiques d’enregistrement et de production documentaire caractéristiques de la période post-tridentine. Les habitants étaient l’objet d’un contrôle croissant de la part de l’Église, par le biais des recensements dans les paroisses (status animarum), des nécrologies que devaient tenir les prêtres ou des fedi di stato libero (attestation de célibat) que les immigrants qui voulaient se marier à Venise devaient obtenir de la cour patriarcale [53]. En parallèle, l’État multipliait lui aussi la tenue de listes d’habitants – listes d’impôt ou de conscription, recensements, etc. – qui participaient de l’encadrement des populations par le biais de l’enregistrement écrit.

36 Pour autant, il reste difficile de savoir comment les visiteurs et les immigrants concevaient ces mesures, et interagissaient avec le système de régulation. Les traces de ces procédures d’identification et de contrôle à l’entrée de la lagune ne sont pas faciles à trouver dans les archives. On peut faire l’hypothèse qu’elles étaient l’objet de discussions sur les routes, dans les tavernes et à bord des barques qui rejoignaient Venise. Les voyageurs plus aisés mentionnaient parfois ces règles, comme l’Anglais Fynes Moryson qui visita Venise au début des années 1590 et rapportait :

37

« Aucun étranger ne peut rester dans la ville plus d’une nuit, sans l’autorisation d’un des magistrats employés à cet effet ; mais le jour suivant, en leur communiquant quelque raison de votre venue dans la ville, ils vous délivreront facilement l’autorisation de rester plus longtemps, et après cela, vous ne devriez plus avoir de problème, quelle que soit la durée de votre séjour, du moment que votre hôte, après quelques jours, leur rende compte de votre séjour » [54].

38 Les immigrants pouvaient également chercher à négocier avec les institutions, comme le montrent les suppliques adressées au gouvernement, dont on possède de nombreux exemples à partir de la fin du XVIe siècle. Celles-ci révèlent plusieurs cas de candidats à l’installation à Venise qui demandaient certains privilèges en raison de leur origine géographique [55]. À partir des années 1580, après le renforcement des procédures d’enregistrement, les immigrants pouvant justifier d’un certain statut et niveau économique, ainsi que d’une période de résidence à Venise (les commerçants ou les artisans qualifiés en particulier) commencèrent à déposer des demandes d’exemption pour ne plus avoir à refaire continuellement une demande de bollettino. En 1595, par exemple, Agostino di Giovan Battista, originaire de Milan et spécialisé dans le travail de l’émail, expliqua qu’il résidait depuis sept ans à Venise où il avait installé sa boutique dans les Mercerie. Il obtint une exemption, après avoir présenté en appui de sa demande une attestation écrite (fede) produite par le prêtre de sa paroisse qui affirmait qu’il avait épousé une femme à Venise, et que leur fils y avait été baptisé [56]. D’autres montraient des documents prouvant leur longue résidence dans la ville, tels que des attestations d’appartenance aux guildes ou de leur mariage avec des femmes nées à Venise, preuves de leur intégration et de leur appartenance sociale. En 1597, les exécuteurs contre le Blasphème décidèrent qu’un étranger devait avoir résidé dix ans à Venise pour pouvoir réclamer l’exemption de bollettino. Ils reprenaient ainsi un usage ancien dans la lagune comme dans de nombreux États et villes de l’époque, selon lequel dix ans étaient la durée qui marquait l’appartenance à un lieu [57]. De façon notable, à la même époque, il fut décrété qu’il fallait dix ans supplémentaires (c’est-à-dire vingt ans au total) pour qu’un étranger puisse tenir un logis ouvert aux autres étrangers, selon les règles énoncées plus haut [58].

39 En définitive, la mise en place de ces nouvelles procédures d’identification au XVIe siècle recouvre des enjeux complexes. Comme l’a montré l’historiographie récente consacrée à l’identification, les documents d’identité avaient une ambivalence certaine : d’un côté, ils symbolisaient le contrôle croissant imposé par les autorités et impliquaient la limitation du mouvement ; de l’autre, ils confirmaient des droits acquis dans la pratique [59]. Les procédures d’identification administratives garantissaient en effet aux immigrants une forme de reconnaissance et des droits, que le document écrit incarnait et matérialisait. Reste à savoir si les habitants ordinaires – natifs et immigrants installés depuis longtemps – qui vivaient et travaillaient avec les immigrants plus récemment arrivés acceptaient ces règlements et reproduisaient les catégories d’identification qu’ils impliquaient, une question pour laquelle nous manquons encore d’éléments de réponse.

Distinctions et différenciations

40 Enfin, à mesure que l’appareil institutionnel pour contrôler l’installation des nouveaux arrivants se renforçait, les distinctions faites entre les immigrants s’accentuaient. Celles entre les catholiques et les autres religions, les sujets de l’État vénitien et les autres, les Italiens et ceux qui venaient d’en dehors de la péninsule, devenaient de plus en plus explicites. Les lois du XVIe siècle ne s’appliquaient pas toujours de la même façon à tous, et leur validité variait en fonction de l’origine des habitants et des enjeux politiques et religieux qu’impliquait leur arrivée à Venise. Après la perte des colonies vénitiennes en mer Égée et celle d’une partie des territoires dans la Terre ferme voisine, de nombreux sujets de la République cherchèrent refuge dans la capitale. Jusqu’alors, la catégorie de forestier telle qu’elle était employée par les institutions intégrait tous ceux qui n’étaient pas nés dans la lagune, y compris les sujets des territoires sous domination vénitienne arrivant de Bergame ou Vicence, de Grèce ou de Dalmatie [60]. Mais les choses changèrent en même temps que la situation géopolitique et les procédures administratives.

41 La religion restait l’un des critères principaux pour établir les distinctions entre les immigrants. Ainsi, comme l’a montré Ermanno Orlando, ceux venus d’Italie, qui partageaient avec les Vénitiens la religion catholique et une langue commune – sinon similaire du moins très proche – bénéficiaient d’une intégration plus facile [61]. En comparaison, il devenait plus difficile pour les chrétiens d’Orient, et encore davantage pour les juifs, les musulmans et les protestants de s’installer dans la ville. Certains d’entre eux pouvaient toutefois bénéficier d’un traitement spécifique, tels ceux qui arrivaient avec des lettres d’introduction délivrées par des dignitaires étrangers, qui les exemptaient de se faire enregistrer par les exécuteurs contre le Blasphème. Il en était de même pour les marins, des Grecs et des Dalmates pour la plupart, dont les mouvements permanents vers et en dehors de la lagune rendaient leur surveillance presque impossible [62].

42 Pour les autres, les contrôles étaient plus intenses, et se manifestaient en particulier par l’institutionnalisation de lieux qui leur étaient spécifiquement réservés. Les chrétiens non catholiques, grecs ou allemands, étaient largement tolérés tant qu’ils ne faisaient pas de prosélytisme. Toutefois, l’attitude envers ces groupes, en particulier les chrétiens réformés, devint plus suspicieuse et intolérante à mesure que le siècle avançait. Les Allemands disposaient depuis longtemps (1228) d’un fondouk (fondaco) situé sur le Grand Canal, juste à côté du pont du Rialto, une reconnaissance de la taille de la communauté et de l’importance de son activité commerciale [63]. Lieu de résidence et entrepôt, le fondaco était un centre d’hébergement où l’on pouvait bénéficier d’une assistance commerciale, d’un espace d’accueil, et d’un lieu de stockage pour les marchandises. Cet espace, générateur de droits, était le lieu de production d’un ensemble considérable de papiers, documents écrits, attestations, liés en particulier à l’intense activité commerciale qui s’y tenait. Mais après la Réforme, le Fondaco dei Tedeschi fut plus étroitement surveillé [64]. À partir de 1531, tous les Allemands qui arrivaient dans la ville furent obligés de loger soit au Fondaco, soit dans une des trois auberges qui accueillaient spécifiquement les oltramontani. Cela permettait aux autorités de garder un œil sur eux au moment où l’on redoutait l’extension de la Réforme [65]. Nombreux furent ainsi les procès menés par le Saint-Office qui cherchait à contrôler l’activité des habitants venant de terres réformées, soupçonnés d’avoir abjuré le catholicisme.

43 La ségrégation spatiale dans Venise venait renforcer les distinctions religieuses, et entraînait des usages différenciés. Pour les autorités, l’identification des étrangers devenait plus aisée puisqu’elle reposait précisément sur les lieux de résidence et d’activité. Ainsi, le confinement et la ségrégation spatiale imposés d’abord aux juifs puis aux musulmans au cours du XVIe siècle participaient de ce mouvement général de surveillance différenciée. La fondation du Ghetto et l’établissement du Fondaco dei Turchi au XVIe siècle en témoignent, même si de façon différente. Après 1516, les juifs qui désiraient s’installer à Venise ne pouvaient le faire qu’à l’intérieur du Ghetto et devaient respecter certaines conditions, en particulier en matière d’activité économique et de pratiques sociales [66]. Les procès du Saint-Office contre les juifs et « judaïsants » montrent la préoccupation constante des inquisiteurs d’imposer aux juifs de Venise de pratiquer leurs activités dans les limites du Ghetto, et de vivre, se nourrir ou se vêtir selon des règles édictées par l’institution [67]. Quant aux marchands musulmans, ils furent à l’initiative de la pétition pour la création d’un fondaco, un lieu de protection qui sanctionnait la reconnaissance par les autorités de la valeur de leur rôle commercial. Installé dans une auberge à Rialto puis dans un palais sur le Grand Canal (1621), le Fondaco dei Turchi reflète néanmoins la politique de séparation physique des étrangers qui étaient simultanément perçus comme une menace et un profit pour l’économie vénitienne [68]. Enfermés de façon plus ou moins stricte dans ces espaces contrôlés, les groupes ethniques n’étaient pas privés de droits, mais se voyaient plutôt attribuer des droits circonstanciés de résider et travailler à Venise. Ils avaient ainsi un accès contrôlé aux ressources locales, tout en étant séparés et distingués du reste de la population majoritairement catholique.

44 Si l’origine ethnique ou la religion étaient des facteurs discriminants évidents, les compétences potentielles des immigrants et leurs statuts étaient donc pris en compte dans la détermination des droits qu’ils pouvaient obtenir. Même si les juifs et les musulmans étaient souvent considérés comme suspects, ils offraient des services essentiels, en particulier pour le commerce avec le Levant. Cela encourageait le gouvernement vénitien à les laisser s’installer dans la ville, en leur offrant sa protection et un certain nombre de droits, tout en imposant leur surveillance. Les marchands allemands et hollandais, souvent protestants, jouaient eux aussi un rôle majeur en matière économique et commerciale, ce qui encourageait l’État à favoriser leur accueil [69].

45 Les immigrants pauvres qui ne pouvaient se prévaloir des mêmes compétences économiques ni des mêmes réseaux de relations, quand bien même ils étaient d’origine italienne ou catholique, recevaient parfois un traitement moins favorable. Durant les périodes de disette et de crise, ou dans les contextes d’épidémie, les autorités vénitiennes ordonnaient l’expulsion des mendiants étrangers, vagabonds et prostituées, sans considération pour leur origine. C’était une fois encore aux bateliers et conducteurs du traghetto que revenait de les mener hors de Venise [70]. De la même façon, en 1549, le Sénat décréta que tous les Gitans (zingari) devaient être expulsés du Stato vénitien. En 1558, on ajouta qu’ils pouvaient être tués s’ils étaient trouvés sur le territoire [71]. Ainsi les groupes les plus fragiles ou les plus marginalisés faisaient-ils l’objet d’un rejet et d’une hostilité, en particulier dans les moments de tension sociale ou politique.

46 Venise continuait néanmoins d’être la ville cosmopolite qu’elle avait toujours été, et de nombreuses personnes nées en dehors de la lagune venaient habiter la cité, rejoignant leurs compatriotes, se rapprochant des ateliers et chantiers qui réclamaient de la main-d’œuvre, et participant à la construction sociale d’un espace composite. Mais certains groupes ethniques ou religieux se voyaient dans le même temps dans l’obligation de demeurer dans des espaces spécifiques. La reconnaissance des distinctions entre les immigrants et les obligations de résider dans des lieux bien définis étaient donc une autre facette du travail d’identification mené par l’État au XVIe siècle. Ici, identifier revenait à distinguer les lieux, en séparant ceux où résidaient les « étrangers » de leurs voisins vénitiens. Mais il s’agissait également de différencier les immigrants eux-mêmes, ceux appartenant à d’autres confessions qui étaient soumis à des conditions d’entrée et de résidence plus dures, et les « Italiens » de la péninsule.

47 Le XVIe siècle vit ainsi l’émergence de nouvelles catégorisations liées à l’origine géographique ou religieuse, dont dépendait l’attribution des droits. Ces catégories venaient sanctionner légalement et juridiquement des usages qui relevaient jusqu’alors de la pratique. La ségrégation spatiale comme la standardisation des catégories administratives conduisaient à l’attribution de droits différenciés, accordés ou refusés en fonction des personnes et du contexte.

48 Au XVIe siècle, Venise établit plus clairement qui pouvait obtenir des droits et comment ces droits pouvaient être acquis. Plutôt que selon un processus linéaire, les changements et réformes survenus dans ce domaine advinrent durant des périodes de crise suscitées par les guerres, épidémies, famines qui firent des mouvements de population des sujets de préoccupations politiques. Le droit d’habiter était progressivement encadré par la loi et était sanctionné par l’attribution de papiers. Les gens pouvaient toujours venir à Venise et s’y installer, mais ils devaient maintenant obtenir des documents attestant leur identité et leur droit de séjourner, puis d’habiter la ville. Les autorités publiques prenaient une place croissante dans la stabilisation et la standardisation de l’identité, et l’État préemptait les pratiques d’identification. Jusqu’alors, seules les naissances des patriciens et dans une certaine mesure des citoyens avaient été officiellement enregistrées. Leurs droits politiques et économiques étaient étroitement conditionnés par ces preuves écrites. Désormais cette possibilité était étendue à d’autres habitants. Pour les artisans, le droit de rejoindre une guilde et de pratiquer une activité contrôlée et qualifiée, dépendait de ces documents. Il était ainsi de plus en plus dans l’intérêt des immigrants eux-mêmes d’accumuler des écrits prouvant leur statut et leurs droits [72].

49 Les nouvelles procédures d’identification, la standardisation de catégories, les nouveaux types de supports écrits restaient largement influencés par les pratiques communautaires précédentes. Les populations continuaient de participer à l’identification des habitants, de même que les immigrants eux-mêmes interagissaient avec l’État dans son travail de construction de procédures d’identification. La circulation des usages et des catégories était constante entre la société et l’État. Mais à cette société de l’interconnaissance s’ajoutaient et se mêlaient désormais des contrôles publics et des règles de droit. Au XVIe siècle, dans un contexte de tensions politiques internationales et de difficultés économiques, et face à l’arrivée de nombreux immigrants dans la lagune, le gouvernement vénitien renforçait son contrôle sur la population en imposant de nouvelles catégories et de nouvelles distinctions – ethniques, religieuses, linguistiques. Celles-ci, largement inspirées des usages locaux et des pratiques communautaires, finirent par modifier les contours et la définition du popolo lui-même.


Mots-clés éditeurs : siècle, e, migration, identification, citoyenneté, XVI, peuple, Venise

Date de mise en ligne : 21/09/2017

https://doi.org/10.3917/rhmc.642.0069

Notes

  • [1]
    L’histoire des étrangers à Venise s’est principalement concentrée sur des groupes spécifiques, en particulier ceux dont la langue, la religion ou l’origine ethnique rendaient l’extranéité la plus manifeste (par exemple les juifs, les Allemands ou les Grecs), qui ont été privilégiés par rapport aux nombreux immigrants venus de la péninsule Italienne. On peut citer, parmi les travaux les plus importants : Hans-Georg BECK, Manoussos MANOUSSACAS, Agostino PERTUSI (éd.), Venezia, centro di mediazione tra Oriente e Occidente (secoli XV-XVI). Aspetti e problemi, 2 vol., Florence, Olschki, 1977 ; Donatella CALABI, « Gli stranieri e la città », in Alberto TENENTI, Ugo TUCCI (éd.), Storia di Venezia dalle origini alla caduta della Serenissima, vol. 5, Il Rinascimento : società ed economia, Rome, Istituto della Enciclopedia Italiana, 1996, p. 913-946 ; Brunehilde IMHAUS, Le minoranze orientali a Venezia, 1300- 1510, Rome, Il Veltro, 1997 ; Robert Charles DAVIS, Benjamin RAVID (éd.), The Jews of Early Modern Venice, Baltimore et Londres, Johns Hopkins University Press, 2001 ; Maartje VAN GELDER, Trading Places : The Netherlandish Merchants in Early Modern Venice, Leyde, Brill, 2009 ; Ermanno ORLANDO, Migrazioni mediterranee. Migranti, minoranze e matrimoni a Venezia nel basso medioevo, Bologne, Il Mulino, 2014 ; Philippe BRAUNSTEIN, Les Allemands à Venise, 1380-1520, Rome, École française de Rome, 2016. Plus récemment, des travaux majeurs comme celui d’Ella Natalie ROTHMAN, Brokering Empire : Trans-Imperial Subjects Between Venice and Istanbul, Ithaca, Cornell University Press, 2012, ont introduit une approche critique plus fine de la construction des catégories de « Vénitiens » et « étrangers » au sein de l’empire vénitien.
  • [2]
    Claire JUDDE DE LARIVIÈRE, Rosa M. SALZBERG, « “Le peuple est la cité”. L’idée de popolo et la condition des popolani à Venise (XVe-XVIe siècles) », Annales HSS, 68-4, 2013, p. 1113-1140. On distingue traditionnellement trois groupes sociaux et juridiques majeurs dans la société vénitienne : les patriciens (ou nobles), les citoyens et les popolani.
  • [3]
    Il s’agit là des droits et devoirs reconnus, en général, aux citoyens dans les cités italiennes de la fin du Moyen Âge. Notons qu’à Venise la situation reste très spécifique, puisque seuls les nobles ont des droits politiques, et que les impôts directs ne sont payés que par ceux qui possèdent des biens immobiliers dont la valeur dépasse une certaine somme, à savoir les nobles et les citoyens les plus riches. À propos des droits de citoyenneté à Venise : Reinhold C. MUELLER, Immigrazione e cittadinanza nella Venezia medievale, Rome, Viella, 2010 ; Anna BELLAVITIS, Identité, mariage, mobilité sociale. Citoyennes et citoyens à Venise au XVIe siècle, Rome, École française de Rome, 2001.
  • [4]
    Sur la question de la citoyenneté et de l’appartenance, voir en particulier Tamar HERZOG, Defining Nations. Immigrants and Citizens in Early Modern Spain and Spanish America, New Haven, Yale University Press, 2003 ; Pietro COSTA, Cittadinanza, Rome et Bari, Laterza, 2005. Voir également Patrick GILLI, « Comment cesser d’être étranger : citoyens et non-citoyens dans la pensée juridique italienne de la fi n du Moyen Âge », in L’Étranger au Moyen Âge. XXXe congrès de la S.H.M.E.S. (Göttingen, juin 1999), Paris, Publications de la Sorbonne, 2000, p. 59-77, pour la question qui nous intéresse ici, ce ne sont pas seulement les femmes, les enfants et les miséreux qui sont exclus de la citoyenneté à Venise, mais bien une immense majorité de la population (p. 59).
  • [5]
    Pour des questions similaires appliquées à d’autres cités européennes aux époques médiévale et moderne : Bert DE MUNCK, Anne WINTER (éd.), Gated Communities ? Regulating Migration in Early Modern Cities, Farnham, Ashgate, 2012 ; Cédric QUERTIER, Roxane CHILÀ, Nicolas PLUCHOT (éd.), « Arriver » en ville. Les migrants en milieu urbain au Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2013.
  • [6]
    Gérard NOIRIEL (éd.), L’identification. Genèse d’un travail d’État, Paris, Belin, 2007. Voir également note 36.
  • [7]
    Daniele BELTRAMI, Storia della popolazione di Venezia dalla fine del secolo XVI alla caduta della Repubblica, Padoue, Cedam, 1954, p. 59.
  • [8]
    Philippe DE COMMYNES, Mémoires, éd. Joël Blanchard, Paris, Librairie générale française, 2001, livre VII, chap. XVIII, p. 557 ; Francesco SANSOVINO, Venetia citta nobilissima et singolare, descritta in XIIII Libri, Bergame, Leading, 2002, f° 136v.
  • [9]
    Girolamo PRIULI, I Diarii (1494-1512), éd. Arturo Segre, Città di Castello, Lapi, 1912, vol. 2, p. 78 (l’égalité est ici entendue en termes fiscaux).
  • [10]
    Simona CERUTTI, Étrangers. Étude d’une condition d’incertitude dans une société d’Ancien Régime, Montrouge, Bayard, 2012. Voir aussi E. N. ROTHMAN, Brokering Empire…, op. cit., p. 248, sur les définitions différentes de l’extranéité en fonction des circonstances.
  • [11]
    S. CERUTTI, Étrangers…, op. cit., p. 14.
  • [12]
    Thomas NAIL, The Figure of the Migrant, Stanford, Stanford University Press, 2015, p. 3, qui insiste sur cet écart, l’un des obstacles majeurs selon lui dans le champ de l’histoire des migrations.
  • [13]
    Sur le processus de définition des groupes patriciens et citoyens : C. JUDDE DE LARIVIÈRE, R. M. SALZBERG, « “Le peuple est la cité”… », art. cit., p. 1121-1125.
  • [14]
    R. C. MUELLER, Immigrazione…, op. cit. Pour des exemples d’immigrants appartenant à une élite et obtenant la citoyenneté : Blake DE MARIA, Becoming Venetian : Immigrants and the Arts in Early Modern Venice, New Haven, Yale University Press, 2010. Sur l’usage du mécanisme de citoyenneté dans différents contextes urbains, voir aussi Beatrice DEL BO (éd.), Cittadinanza e mestieri. Radicamento urbano e integrazione nelle città bassomedievali (secc. XIII-XVI), Rome, Viella, 2014.
  • [15]
    Voir notes 3 et 4.
  • [16]
    E. N. ROTHMAN, Brokering Empire…, op. cit., p. 59 ; T. HERZOG, Defining Nations…, op. cit., p. 4-5.
  • [17]
    Archivio di Stato di Venezia (désormais ASVe), Avogaria di Comun, Miscellanea Penale, 278, n° 20.
  • [18]
    On retrouve ces mêmes usages à Trévise : Matthieu SCHERMAN, « Trévise et ses migrants au XVe siècle », in C. QUERTIER, R. CHILÀ, N. PLUCHOT (éd.), « Arriver » en ville…, op. cit., p. 65-76, p. 67-68.
  • [19]
    ASVe, Avogaria di Comun, Miscellanea Penale, 122, n° 24, c. 1.
  • [20]
    Stella Mary NEWTON, « Venice and the dress of foreigners », in Peter MCNEIL (éd.), Fashion : Critical and Primary Sources, vol. 1, Late Medieval to Renaissance, Oxford, Berg, 2009, p. 222-233, p. 226.
  • [21]
    ASVe, Avogaria di Comun, Miscellanea Penale, 323, n° 19, c. 7.
  • [22]
    ASVe, Avogaria di Comun, Miscellanea Penale, 183, n° 11.
  • [23]
    C. JUDDE DE LARIVIÈRE, « Senses of neighbourhood (vicinanza) in sixteenth-century Venice », in Bronach KANE, Simon SANDALL (éd.), The Experience of Neighbourhood in Late Medieval and Early Modern Europe, Londres, Routledge (à paraître en 2017).
  • [24]
    ASVe, Avogaria di Comun, Miscellanea Penale, 324, n° 21.
  • [25]
    ASVe, Avogaria di Comun, Miscellanea Penale, 29, n° 14.
  • [26]
    Monica CHOJNACKA, Working Women of Early Modern Venice, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2001.
  • [27]
    Ibidem, p. 96-97. Les popolani les plus fragiles, les domestiques et les travailleurs sans qualification en particulier, étaient amenés à déménager fréquemment. L’instabilité géographique était inhérente à la fragilité économique, et les migrants partageaient ainsi la condition de ces popolani qui n’étaient pas liés à un quartier ou à un voisinage. À propos de la mobilité des immigrants dans différents voisinages : R. M. SALZBERG, « The margins in the centre : Working around Rialto in sixteenth-century Venice », in Andrew SPICER, Jane L. STEVENS CRAWSHAW (éd.), The Place of the Social Margins 1350-1750, New York et Londres, Routledge, 2017, p. 135-152 ; P. BRAUNSTEIN, « Cannaregio, zona di transito ? », in D. CALABI, Paola LANARO (éd.), La città italiana e i luoghi degli stranieri, XIV-XVIII secolo, Rome, Laterza, 1998, p. 52-62.
  • [28]
    Patricia ALLERSTON, « Reconstructing the second-hand clothes trade in sixteenth- and seventeenth-century Venice », Costume. The Journal of the Costume Society, 33, 1999, p. 46-56.
  • [29]
    Elio ZORZI, Osterie veneziane, Bologne, Zanichelli, 1928, p. 214.
  • [30]
    Claude GAUVARD, « La fama, une parole fondatrice », Médiévales, 24, 1993, p. 5-13 ; Thelma FENSTER, Daniel Lord SMAIL (éd.), Fama. The Politics of Talk and Reputation in Medieval Europe, Ithaca, Cornell University Press, 2003.
  • [31]
    ASVe, Avogaria di Comun, Miscellanea Penale, 465, n° 12.
  • [32]
    Alessandro BUONO, « La manutenzione dell’identità. Il riconoscimento degli eredi legittimi nello Stato di Milano e nella Repubblica di Venezia (secoli XVII e XVIII) », Quaderni storici, 50-148, 2015, p. 231-265.
  • [33]
    C. JUDDE DE LARIVIÈRE, « La frontière rapprochée. La société vénitienne au temps de la ligue de Cambrai (1508-1516) », in Michel BERTRAND, Natividad PLANAS (éd.), Les sociétés de frontière de la Méditerranée à l’Atlantique (XVIe-XVIIIe siècle), Madrid, Casa de Velázquez, 2011, p. 125-137.
  • [34]
    P. BRAUNSTEIN, Les Allemands…, op. cit.
  • [35]
    C. JUDDE DE LARIVIÈRE, La révolte des boules de neige : Murano face à Venise, 1511, Paris, Fayard, 2014, p. 123-127.
  • [36]
    Voir en particulier Valentin GROEBNER, Who Are You ? Identification, Deception, and Surveillance in Early Modern Europe [2004], New York, Zone Books, 2007 ; G. NOIRIEL (éd.), L’identification…, op. cit. ; Ilsen ABOUT, Vincent DENIS, Histoire de l’identification des personnes, Paris, La Découverte, 2010. Sur les documents d’identité, voir également Daniel NORDMAN, « Sauf-conduits et passeports, en France, à la Renaissance », in Jean CEARD, Jean-Claude MARGOLIN (éd.), Voyager à la Renaissance, Paris, Maisonneuve et Larose, 1987, p. 145-158 ; John TORPEY, The Invention of the Passport : Surveillance, Citizenship and the State, Cambridge, Cambridge University Press, 2000 ; Jane CAPLAN, J. TORPEY (éd.), Documenting Individual Identity : The Development of State Practices in the Modern World, Princeton et Oxford, Princeton University Press, 2001 ; Daniel ROCHE, Humeurs vagabondes. De la circulation des hommes et de l’utilité des voyages, Paris, Fayard, 2003, p. 359-477.
  • [37]
    V. GROEBNER, Who Are You ?…, op. cit., p. 159.
  • [38]
    R. M. SALZBERG, Ephemeral City : Cheap Print and Urban Culture in Renaissance Venice, Manchester, Manchester University Press, 2014.
  • [39]
    La plupart des villes européennes avaient des murailles ou des portes, et c’était là que la procédure d’identification des étrangers commençait. Voir les différentes contributions dans Hilde GREEFS, A. WINTER (éd.), The Regulation of Migration and the Materiality of Identification in European Cities, 1500-2000, Londres, Routledge (à paraître en 2017).
  • [40]
    ASVe, Consiglio di Dieci, Minuti dei Proclami, 1519, filza 2, n° 104-105.
  • [41]
    ASVe, Provveditori alla Sanità, 725, c. 25v, 19 octobre 1495.
  • [42]
    Sur le rôle des provveditori alla Sanità, en charge de l’hygiène et de la santé, et leurs tentatives pour contrôler les personnes mobiles dans la lagune : R. M. SALZBERG, « Controlling and documenting migration via urban “spaces of arrival” in early modern Venice », in H. GREEFS, A. WINTER (éd.), The Regulation…, op. cit. (à paraître), et plus bas, notes 46 et 47.
  • [43]
    Cette tendance à enregistrer les nouveaux arrivants est commune à toute l’Europe à partir du milieu du XVIe siècle : V. GROEBNER, Who Are You ?…, op. cit., p. 200.
  • [44]
    ASVe, Giustizia Nuova, B. 1, cc. 70r-v.
  • [45]
    Ibidem, cc. 29r-30v, 51r-52r. Sur des pratiques similaires de contrôle des lieux d’arrivée au XVIIIe siècle : Vincent MILLIOT, « La surveillance des migrants et des lieux d’accueil à Paris du XVIe siècle aux années 1830 », in D. ROCHE (éd.), La ville promise. Mobilité et accueil à Paris (fin XVIIe-début XIXe siècle), Paris, Fayard, 2000, p. 21-76. Pour plus de détails sur la régulation du secteur de l’hospitalité et sur le contrôle des immigrants : R. M. SALZBERG, « Controlling and documenting… », art. cit.
  • [46]
    ASVe, Provveditori alla Sanita, 726, cc. 316, 28 novembre 1522. Ils réitèrent l’interdiction en 1524 et en 1532. Nelli-Elena VANZAN MARCHINI (éd.), Le leggi di sanità della Repubblica di Venezia, vol. 1, Vicence, Centro Italiano di storia sanitaria e ospitaliera del Veneto & Neri Pozza, 1995, c. 83, c. 206. Les provveditori alla Sanità vénitiens sont parmi les premiers en Europe à délivrer des bollette ou bollettini di sanità : V. GROEBNER, Who Are You ?…, op. cit., p. 176.
  • [47]
    Voir par exemple ASVe, Provveditori alla Sanità, 725, c. 690, 6 septembre 1498.
  • [48]
    ASVe, Giustizia Nuova, B. 1, cc. 152r-155r ; ASVe, Esecutori contro la bestemmia, B. 54, cc. 63v-64r (1589). En 1574, le Sénat augmente la taxe que devaient payer les tenanciers de logis, tout en essayant d’accroître le nombre d’osterie officielles, qui n’étaient plus que seize.
  • [49]
    ASVe, Esecutori contro la bestemmia, B. 54, cc. 63v-64r (1589).
  • [50]
    À propos des esecutori : Renzo DEROSAS, « Moralità e giustizia a Venezia nel ‘500-’600 : gli Esecutori contro la bestemmia », in Gaetano COZZI (éd.), Stato, società e giustizia nella Repubblica veneta (sec. XV-XVIII), vol. 1, Rome, Jouvence, 1981, p. 433-528, p. 452 ; Elizabeth HORODOWICH, Language and Statecraft in Early Modern Venice, Cambridge, Cambridge University Press, 2008.
  • [51]
    ASVe, Esecutori contro la bestemmia, B. 54, cc. 61r-v. Pour des détails sur ces opérations de police : R. M. SALZBERG, « Controlling and documenting… », art. cit.
  • [52]
    ASVe, Consiglio dei dieci, Comuni, reg. 64, 3 septembre 1545 cité par R. DEROSAS, « Moralità e giustizia… », art. cit.
  • [53]
    Jean-François CHAUVARD, « Come mai certi individui non hanno cognome ? Pratiche di registrazione a Venezia attorno al Concilio di Trento », in Andrea ADDOBBATI, Roberto BIZZOCCHI, Gregorio SALINERO (éd.), L’Italia dei cognomi. L’antroponimia italiana nel quadro mediterraneo, Pise, Pisa University Press, 2013, p. 345-364. Pour un exemple de la façon dont ces fedi di stato libero permettent d’étudier les migrants : Andrea ZANNINI, « L’altra Bergamo in laguna : la comunità bergamasca a Venezia », in Marco CATTINI, Marzio Achille ROMANI (éd.), Storia economica e sociale di Bergamo, I, Il tempo della Serenissima, vol. 2, Il lungo cinquecento, Bergame, Fondazione per la storia economica e sociale di Bergamo, Istituto di studi e ricerche, 1998, p. 175-193.
  • [54]
    Fynes MORYSON, An Itinerary […] Containing His Ten Yeeres Travell through the Twelue Dominions of Germany, Bohmerland, Sweitzerland, Netherland, Denmarke, Poland, Italy, Turky, France, England, Scotland, and Ireland […], Londres, Beale, 1617, livre 1, p. 90.
  • [55]
    Voir par exemple E. N. ROTHMAN, Brokering Empire…, op. cit. Plus généralement, voir Cecilia NUBOLA, Andreas WÜRGLER (éd.), Suppliche e « gravamina » : Politica, amministrazione, giustizia in Europa, secoli XIV-XVIII, Bologne, Il Mulino, 2002 et en particulier Marina GARBELLOTTI, « I privilegi della residenza. Suppliche di cittadini, abitanti e forestieri al Consiglio di Rovereto (secoli XVII-XVIII) », ibidem, p. 227-260.
  • [56]
    ASVe, Esecutori contro la bestemmia, B. 57, vol. 1, cc. 267r-v. Pour d’autres exemples de ce type de demandes : ibidem, cc. 250v, 253v, 259r, 261r-v, 264v-265r, 270r.
  • [57]
    En 1295 par exemple, les statuts du métier de calfat établissaient que les électeurs des représentants de la guilde devaient être tirés au sort parmi les membres de plus de vingt-cinq ans qui résidaient à Venise depuis au moins dix ans : Giorgetta BONFIGLIO DOSIO, « Le Arti cittadine », in Giorgio CRACCO, Gherardo ORTALLI (éd.), Storia di Venezia dalle origini alla caduta della Serenissima, vol. 2, L’età del comune, Rome, Istituto Treccani per l’enciclopedia italiana, 1995, p. 577-625. En 1258, le Grand Conseil décrète que quiconque a vécu dix ans ou plus dans la ville peut être reconnu comme venetus : R. C. MUELLER, Immigrazione…, op. cit., p. 20. Dix ans était aussi la période requise pour devenir un citoyen de Brescia, une ville appartenant au Stato vénitien : Leonida TEDOLDI, « Diventare popolo : Cittadinanza e pratiche sociali a Brescia durante l’età veneta (XV-XVIII secolo) », Ricerche storiche, 32-2/3, 2002, p. 263-280, p. 267-268.
  • [58]
    ASVe, Esecutori contro la bestemmia, B. 57, vol. 1, cc. 287v-288r.
  • [59]
    James R. BROWN, I. ABOUT, Gayle LONERGAN (éd.), Identification and Registration Practices in Transnational Perspective. People, Papers and Practices, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2013, en particulier p. 5-6. Voir aussi A. BUONO, « Identificazione e registrazione dell’identità. Una proposta metodologica », Mediterranea. Ricerche storiche, 30, 2014, p. 107-120.
  • [60]
    ASVe, Giustizia Nuova, B. 5.
  • [61]
    E. ORLANDO, Migrazioni mediterranee…, op. cit., en particulier p. 57-59.
  • [62]
    ASVe, Esecutori contro la bestemmia, B. 54, cc. 61r, 62v.
  • [63]
    P. BRAUNSTEIN, Les Allemands…, op. cit., chapitre 3.
  • [64]
    E. ORLANDO, Migrazioni mediterranee…, op. cit., p. 83-88.
  • [65]
    ASVe, Giustizia Nuova, B. 5, reg. 12, c. 150v. À partir de la fin du Moyen Âge, Venise disposait également d’un réseau de case di comunità qui hébergeaient les visiteurs venus des communautés sujettes, comme les Frioulans ou les Bergamasques. Ils étaient moins surveillés que les Allemands au sein du Fondaco : R. M. SALZBERG, « Controlling and documenting… », art. cit.
  • [66]
    D. CALABI, Ludovica GALEAZZO, Martina MASSARO (éd.), Venezia, gli Ebrei e l’Europa. 1516-2016, Venise, Marsilio, 2016.
  • [67]
    Pier Cesare IOLY ZORATTINI (éd.), Processi del S. Uffizio di Venezia contro ebrei e giudaizzanti, 14 vol., Florence, Olschki, 1980-1999. Les juifs furent dans un premier temps dispensés d’acquérir un bollettino pour séjourner à Venise, sans doute parce qu’ils étaient surveillés dans le ghetto. En 1612 toutefois, l’obligation de s’enregistrer dès l’arrivée dans la ville fut étendue à tous les juifs. On considérait en effet qu’ils trouvaient trop facilement l’hospitalité à Venise « sans qu’aucune magistrature n’ait la moindre information sur leur venue et leur arrivée, ce qui cause désordre et confusion » : ASVe, Esecutori contro la bestemmia, B. 54, cc. 68r-v.
  • [68]
    À propos de l’établissement du Fondaco dei Turchi : E. N. ROTHMAN, Brokering Empire…, op. cit., chap. 1 ; Mathieu GRENET, « Institution de la coexistence et pratiques de la différence : le Fondaco dei Turchi de Venise (XVIe-XVIIIe siècle) », Revue d’histoire maritime, 17, 2013, p. 273-301.
  • [69]
    M. VAN GELDER, Trading Places…, op. cit.
  • [70]
    N.-E. VANZAN MARCHINI, Le leggi…, op. cit., vol. 1, p. 262-263 ; vol. 2 (1998), p. 415. À propos du contexte de ces expulsions : Brian S. PULLAN, Rich and Poor in Renaissance Venice : The Social Institutions of A Catholic State, to 1620, Oxford, Blackwell, 1971, partie 2. Pour des procédures similaires en Europe : Jason Philip COY, « Beggars at the gates : Banishment and exclusion in sixteenth-century Ulm », The Sixteenth Century Journal, 39-3, 2008, p. 619-638.
  • [71]
    ASVe, Senato Terra, reg. 36, c. 184v, 21 décembre 1549 ; ibidem, reg. 41, 15 juillet 1558.
  • [72]
    A. BUONO, « La manutenzione… », art. cit., p. 255.

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