1 Stéphane Durand, Arlette Jouanna et Élie Pélaquier analysent tous les aspects des États de Languedoc, allant de la composition de l’assemblée, ses commissions administratives, sa correspondance avec les États d’autres provinces, à son intégration de plus en plus étroite dans la monarchie et ses conflits avec d’autres institutions qui résistèrent à la Couronne, à savoir le parlement de Toulouse et la cour des comptes, aides et finances de Montpellier. Le livre contient aussi un chapitre d’Henri Michel sur la politique des États au sujet de l’Église et un autre de Jean-Pierre Donnadieu sur la montée d’un mouvement révolutionnaire contre les États en 1788-1789.
2 Il y a très peu d’institutions de l’Ancien Régime, selon les auteurs, qui touchèrent d’aussi près la vie des gens. Les Languedociens dépendaient des États pour la réglementation des défrichements, les indemnités en raison de catastrophes, les ponts et chaussées, la taxation des denrées, la condition des manufactures et la fiscalité. Seuls quelques impôts indirects, l’armée et les tribunaux échappèrent au contrôle des États.
3 L’apogée des États se situe au XVIIIe siècle, quand ils développèrent un système complexe d’administration. S. Durand montre que les assemblées de diocèse, connues sous le nom d’assiettes, distribuèrent l’impôt, contractèrent les prêts, délibérèrent sur, et supervisèrent, l’entretien des routes régionales, et surveillèrent le logement de la maréchaussée, les casernes, les ateliers de charité et les salaires des instituteurs. Les assiettes s’occupèrent des épizooties, des mines de charbon, des cours d’accouchement ainsi que des requêtes des sujets et communautés. Ces assemblées, selon Jean Albisson, auteur en 1768 d’une compilation des lois de Languedoc, constituèrent « un des ressorts le plus actif de son administration, & le moyen le plus simple & le plus sûr de lier le bien particulier au bien général » (p. 118). Les membres des États, dans cette période de Lumières et de libéralisme, prirent l’initiative de rendre les cours d’eau navigables pour le commerce. Ils furent particulièrement attentifs à l’économie et l’agriculture, et s’engagèrent à accorder aux propriétaires la liberté d’exporter les céréales à l’étranger. Sans cette liberté, d’après les États, la province n’aurait pas les moyens de remplir ses engagements fiscaux envers le roi. Les exportations, reconnaît É. Pélaquier, représentèrent une petite portion de la production provinciale, mais perturbèrent néanmoins les marchés, parce que les excédents surpassèrent de peu la consommation intérieure. En 1760, une hausse rapide des prix amena la Couronne à contrer les États en rétablissant les contrôles sur le commerce.
4 Les membres des États constituaient un milieu envié dans la province. Ils bénéficiaient de toutes sortes de rémunérations, d’honneurs et de pouvoirs. Quelques familles en particulier ont maintenu des positions influentes pendant plusieurs décennies, voire la période entière couverte par ce livre. Les trésoriers de la bourse, qui maniaient les finances des États, se situaient au centre de toutes les affaires importantes. Ils drainaient des investissements grâce à leurs attaches dans la grande finance ; ils collectaient les recettes fiscales du Languedoc et en affectaient le produit aux projets qu’ils jugeaient importants et aux diverses parties prenantes. Leurs fortunes personnelles montèrent au même rythme que la richesse de la province. Les membres des États, montre A. Jouanna, considéraient ces sommes comme nécessaires à la gloire de l’État. Duvidal de Montferrier, le syndic général des États, écrit dans un mémoire à la fin des années 1770 que « les frais de fonctionnement de l’assemblée et les émoluments des députés convenaient à peine à “la pompe nécessaire dans l’assemblée d’une grande province” ; et ce n’est pas dans “la salle mesquine” où se tenaient les séances que l’on pouvait trouver de la “magnificence” » (p. 595). Montferrier affirmait que le roi recevait ainsi le produit des recettes fiscales sans accabler le peuple de charges supplémentaires d’officiers vénaux et que les travaux publics étaient mieux gérés par les États de Languedoc sans la corvée requise dans d’autres provinces.
5 Les intérêts dus aux créanciers d’emprunts contractés par les États de Languedoc pour le roi constituaient, selon É. Pélaquier, une des dépenses principales du trésorier. Pour couvrir les intérêts et les remboursements programmés, les États déduisaient certaines sommes du versement qu’ils faisaient annuellement au trésor royal. Des nobles et titulaires d’offices vénaux étaient les principaux investisseurs et récipiendaires d’intérêts de ces emprunts, se trouvant ainsi bénéficiaires de la recette d’impôts dont ils étaient par ailleurs exemptés.
6 Selon les auteurs, la dépendance du roi envers le crédit des États l’avait obligé à leur accorder de l’autonomie. Le roi sollicita des fonds pour un nombre croissant d’affaires, et les États demandèrent à les contrôler. Ainsi les membres des États de Languedoc préservèrent-ils leurs aspirations collectives et conservèrent-ils une culture commune grâce à laquelle ils surent défendre des principes constants face aux ministres toujours changeants du roi. Revers de la médaille, cette imbrication dans les réseaux royaux du crédit attacha les États au destin financier de la monarchie. L’endettement du roi envers les États atteignit 69 millions en 1789 et mit en péril leur capacité à maintenir l’infrastructure provinciale. Cette attache a également discrédité les États aux yeux des Languedociens. Au début des années 1760, et encore en 1788 et 1789, le parlement de Toulouse résista aux demandes fiscales de la Couronne. Les États se trouvèrent dans la situation impossible de persuader les contribuables qu’ils formaient des remparts solides contre les demandes excessives de la Couronne, en même temps qu’ils assurèrent le roi de leur docilité afin de ne pas perdre sa protection.
7 Dans l’ensemble, les auteurs concluent qu’en face d’un gouvernement qui n’avait pas de politique cohérente ou constante envers les États de Languedoc, cette institution agrandit par degrés sa juridiction dans le sens d’une gouvernance moderne du territoire (p. 905). Cette croissance administrative se produisit aux dépens de l’absolutisme. Les rois du XVIIIe siècle furent bien différents de Louis XIV. Bien sûr, les membres des États tenaient à la splendeur de la monarchie et comprenaient ses besoins. Cependant, au fur et à mesure que les États assumèrent des fonctions gouvernementales, l’autorité monarchique s’est affaiblie.
8 Les membres des États n’arrivèrent pas, en revanche, à convaincre les habitants du Languedoc des avantages de leur administration. Ils apparurent anachroniques dans une période où s’affirmaient de « nouvelles conceptions de la souveraineté et de la représentation politique » (p. 906). Les membres des États devaient leur siège aux possessions héréditaires, aux grâces du roi ou aux autres privilèges, et non au choix des Languedociens. À mes yeux, c’est justement cette exclusivité qui interdit toute représentation des États comme modernes. Une administration moderne, Max Weber le théorisa, ne se mesure pas dans l’ampleur de ses fonctions gouvernementales, mais plutôt dans l’uniformité des normes qui s’appliquent de la même façon à tous les citoyens et dans l’ouverture des fonctions administratives à tous les postulants selon des critères objectifs. Une administration bureaucratique poursuit des fins rationnelles et impersonnelles. Les États de Languedoc, en revanche, n’ont poursuivi que leur propre grandeur et surtout celle du roi. Dans l’ensemble, les États étaient totalement imbus du système des privilèges et, dans ce sens, ils étaient clairement féodaux.