Notes
-
[1]
Marcel RONCAYOLO, « L’aménagement du territoire XVIIIe-XXe siècle », in Jacques REVEL (éd.), Histoire de la France, vol 1 : L’espace français, Paris, Seuil, 1989, p. 531.
-
[2]
Gwenaël NIERADZIK, « La construction du réseau de canaux français et son financement boursier (1821-1868) », in Georges GALLAIS-HAMONNO (éd.), Le marché financier français au XIXe siècle, vol. 2 : aspects quantitatifs des acteurs et des instruments à la Bourse de Paris, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 459-506 ; Reed G. GEIGER, Planning the French Canals : Bureaucracy, Politics, and Entreprise under the Restoration, Newark-Londres-Toronto, Associated University Presses, 1994 ; Antoine PICON, L’invention de l’ingénieur moderne, Paris, Presses de l’École nationale des ponts et chaussées, p. 333-337 ; Pierre PINON, « Des projets des Lumières aux réalisations de la Restauration », in ID. (éd.), Un canal… des canaux…, Paris, Picard/Caisse nationale des monuments historiques et des sites, 1986, p. 33-60.
-
[3]
Donald Francis MCKENZIE, La bibliographie et la sociologie des textes, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 1991.
-
[4]
Pierre KARILA-COHEN, « Les préfets ne sont pas des collègues. Retour sur une enquête », Genèses, 79, 2010, p. 116-134.
-
[5]
Sur cette capacité d’action des écrits, voir notamment Christian JOUHAUD, Dinah RIBARD et Nicolas SCHAPIRA, Histoire, Littérature, Témoignage, Paris, Gallimard, « Folio histoire », 2009, p. 9-21.
-
[6]
Roger CHARTIER (éd.), Les usages de l’imprimé, Paris, Fayard, 1987 ; C. JOUHAUD et Alain VIALA (éd.), De la publication. Entre Renaissance et Lumières, Paris, Fayard, 2002 ; Jack GOODY, Pouvoirs et savoirs de l’écrit, Paris, La Dispute, 2007.
-
[7]
La carte qui mesure 58,4 cm sur 57,4 cm est ramenée, par pliage, aux dimensions du livre, soit 18,6 cm sur 24,7 cm.
-
[8]
Rapport au roi sur la navigation intérieure de la France, Paris, Imprimerie royale, 1820, p. 1 et 5.
-
[9]
Voir Éric SZULMAN, « La navigation intérieure de Colbert à la Révolution : genèse d’une catégorie d’action publique et émergence de la notion de réseau », doctorat, Université Paris 1, 2011, sous la direction de Dominique Margairaz.
-
[10]
Rapport au roi…, op. cit, p. 20.
-
[11]
Ibidem, p. 2 et 5.
-
[12]
Ibid., p. 10.
-
[13]
L’usage de couleurs pour distinguer les voies d’eau existantes et projetées, ainsi que les voies d’eau naturelles et artificielles, n’est pas une innovation. La « Carte physique et hydrographique de la France, ou Carte figurative des navigations naturelles de ce Royaume, des navigations artificielles déjà existantes de celles dont l’establissement est ordonné et de celles qui sont désirables pour compléter le système général de la navigation intérieure », jointe au Système général, physique et économique des navigations naturelles et artificielles de l’intérieur de la France et de leur coordination avec les routes de terre de MARIVETZ en 1788 avait déjà recours à un semblable procédé.
-
[14]
Là encore, on retrouve une manière de faire déjà présente sur la Carte général des fleuves, des rivières et des principaux ruisseaux de France avec les canaux existants ou meme projettés. À l’usage de la navigation intérieure du Royaume, réalisée par l’ingénieur géographe du roi Dupain-Triel en 1781.
-
[15]
Rapport au roi…, op. cit, p. 17-18.
-
[16]
Arthur-Auguste BEUGNOT, Vie de Becquey, Paris, Firmin Didot frères, 1852.
-
[17]
Aurelian CRAIUTU, Le Centre introuvable : la pensée politique des doctrinaires sous la Restauration, Paris, Plon, 2006.
-
[18]
A.-A. BEUGNOT, Vie…, op. cit., p. 80.
-
[19]
Pierre-Simon GIRARD, Précis historique sur la navigation intérieure, Paris, Firmin Didot, 1818.
-
[20]
J.-B. SAY, Des canaux de navigation dans l’état actuel de la France, Paris, Chez Déterville, avril 1818, p. 8. Sur la diffusion des idées de Jean-Baptiste Say, notamment ses cours à l’Athénée à partir de 1815, voir Lucette LE VAN-LEMESLE, Le juste ou le riche. L’enseignement de l’économie politique 1815-1950, Paris, Comité pour l’Histoire Économique et Financière de la France, 2004, p. 47-71.
-
[21]
J.-B. SAY, De l’importance du port de la Villette, Paris, Chez Déterville, 1818, p. 371.
-
[22]
J.-B. SAY, Des canaux…, op. cit., p. 19. Sur la création du canal de l’Ourcq, voir Frédéric GRABER, Paris a besoin d’eau. Projet, dispute et délibération technique dans la France napoléonienne, Paris, CNRS Éditions, 2009.
-
[23]
Alexandre DE LABORDE, De l’esprit d’association dans tous les intérêts de la communauté, ou Essai sur le complément du bien-être et de la richesse en France par le complément des institutions, Paris, Gide fils, 1818.
-
[24]
« Opinion du M. le comte Berthollet sur le projet de loi relatif à la fixation du budgets des recettes de 1819 », in Chambre des Pairs, Impressions diverses, session de 1818, tome IV, Paris, Imprimerie de P. Didot, 1819, Impression n° 137, n. p.
-
[25]
Il fait référence au rapport présenté à la Convention par Marragon, au projet du ministre de l’Intérieur François de Neufchâteau ou au Mémoire historique sur la navigation intérieure de Raup-Baptestin imprimé en 1800. Pour une analyse de ces projets, voir Anne CONCHON, « Les transports intérieurs sous la Révolution : une politique de l’espace », Annales historiques de la Révolution française, 352, 2008-2, p. 5-28. Sur le projet du Directoire visant à coordonner l’élaboration de réseaux régionaux, voir Dominique MARGAIRAZ, François de Neufchâteau. Biographie intellectuelle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2005, p. 289 sq.
-
[26]
Notamment le travail de l’astronome DE LALANDE (Des canaux de navigation et spécialement du canal du Languedoc, Paris, Veuve Desaint, 1778) ou celui du baron DE MARIVETZ, qui rédige en collaboration avec GOUSSIER en 1788 Système général…, op. cit, ouvrage qui reprend et complète un texte publié huit ans plus tôt dans Physique du monde. Pour ces auteurs, il revient à l’État d’exécuter ce système global. Sur ces projets et tentatives d’Ancien Régime, voir É. SZULMAN, « La navigation… », thèse cit.
-
[27]
Sur la pensée des économiste libéraux, voir Francis DÉMIER, « Économistes libéraux et “services publics” dans la France du premier XIXe siècle », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 52-3, juillet-septembre 2005, p. 33-50.
-
[28]
Parmi les ingénieurs qui ont fait le voyage avant 1820, on peut citer l’ingénieur du Génie maritime Charles DUPIN. Ce dernier fait paraître dès 1818, en prélude à des publications plus conséquentes, Mémoires sur la marine et les ponts et chaussées de France et d’Angleterre, qui rassemble notamment ses écrits présentés à l’Académie des sciences. L’ouvrage est diffusé par Goeury, le libraire attitré des ingénieurs et de l’École des Ponts et Chaussées. Les ingénieurs des Ponts et Chaussées Girard et Joseph Cordier ont également traversé la Manche. J. CORDIER fait paraître en 1819 Histoire de la navigation intérieure, et particulièrement de celle de l’Angleterre et de la France ; suivie d’un recueil des actes, lois et ordonnances de concession rendus dans les deux royaumes, qui comprend une traduction de l’ouvrage anglais : John PHILLIPS, The General History of Inland Navigation ; Containing a Complete Account of the all Canals of the United Kingdom, Londres, Architectural library high Holborn, and C. and R. Baldwin, 1803. Le livre de Cordier, qui place en exergue une citation de la Richesse des nations d’Adam Smith, fait notamment l’objet d’une recension, le 17 juillet 1819, dans Le Censeur européen, organe de presse de l’opposition libérale, sous la plume d’Auguste Comte, et Girard en livre un compte rendu dans la toute récente Revue encyclopédique (novembre et décembre 1819).
-
[29]
Analyse raisonnée des principes fondamentaux de l’économie politique, Paris, Bachelier, 1804.
-
[30]
Circulaire de l’administration générale des ponts et chaussées et des mines aux préfets de département, n° 7, 12 août 1819.
-
[31]
Bibliothèque de l’Institut de France (désormais BIF). Papiers de la famille Dutens. Ms 2703, journal du 6 avril 1814 à août 1818. Il est difficile de dire si les deux hommes envisageaient déjà à cette époque un plan national ou si les « affaires » en question étaient seulement relatives au canal du Berry, dont Dutens s’occupait.
-
[32]
Joseph DUTENS, Mémoires sur les travaux publics de l’Angleterre, suivis d’un mémoire sur l’esprit d’association et sur les différens modes de concession, Paris, Imprimerie royale, 1819.
-
[33]
Circulaire n° 7 du 12 août 1819, p. 2. Propos soulignés par nous.
-
[34]
Un compte-rendu anonyme de l’ouvrage de Dutens paru dans une revue anglaise se moque de ces précautions introductives qui accompagnent son invitation à imiter ce qui se pratique outre-Manche : « Aware, however, (from the example of M. Dupin) that such a recommendation would not be well received without some preparatory sacrifice to the national vanity, the author assures them, in an Introduction of some length, that in arts and science the English are far inferior to the French… », Quaterly Review, 1820, p. 58-59.
-
[35]
Rapport au roi…, op. cit, p. 19. Sur l’histoire des concessions dans les travaux publics, ses usages et ses modalités, voir pour le XVIIIe siècle : Anne-Sophie CONDETTE-MARCANT, Bâtir une généralité : le droit des travaux publics dans la généralité d’Amiens au XVIIIe siècle, Paris, Comité pour l’Histoire Économique et Financière de la France, 2001 ; A. CONCHON, « Financer la construction des infrastructures de transport : la concession aux XVIIe et XVIIIe siècles », Entreprises et histoire, 38, juin 2005, p. 55-70 ; et, pour les voies navigables, É. SZULMAN, « La navigation… », op. cit. Pour une perspective de longue durée, voir Georges RIBEILL, « Les concessions de travaux publics : une vieille tradition française d’économie mixte » in N. MONTEL (éd.), Acteurs privés et acteurs : une histoire du partage des rôles, Paris, Centre de prospective et de veille scientifique, « Techniques, Territoires et Sociétés », juin 1994, 27, p. 11-19.
-
[36]
Présente sous l’Ancien Régime, la pratique de la concession a perduré durant l’Empire. Au début de la Restauration, les bassins du port du Havre ou les ponts de Bordeaux et Livourne sont également concédés. Mais c’est la formule d’association avec l’industrie privée expérimentée pour l’achèvement des canaux parisiens qui véritablement sert de banc d’essai au programme national.
-
[37]
Pour une première tentative, R. G. GEIGER, Planing…, op. cit.
-
[38]
Outre le secrétariat général et un dépôt des cartes et plans, cette direction administrative comprend cinq services : un bureau du personnel, une division du matériel et du contentieux des routes et des ponts, une division de la navigation intérieure, une division des mines et un bureau de la comptabilité. Chaque division regroupe plusieurs bureaux. Une organisation hiérarchique classe les employés du surnuméraire, au bas de l’échelle, au chef de division, au sommet, en passant par l’expéditionnaire, le rédacteur et le chef de bureau. Si certains ont fait des études de droit, la plupart de ces employés se sont formés sur le tas au travail administratif. Sous l’autorité du directeur sont également placés l’École royale des Ponts et Chaussées, où les élèves sortis de l’École polytechnique qui se destinent à entrer dans le corps d’ingénieurs éponyme complètent leur formation, et le Conseil général des Ponts et Chaussées, qui regroupe le haut de la hiérarchie, les inspecteurs, et formule des avis sur les projets de travaux.
-
[39]
Archives Nationales, Paris (désormais AN), F14 138591 et2.
-
[40]
AN, F14 138592. DUTENS, « État des dépenses à faire pour le perfectionnement de la navigation intérieure de la France », 5 avril 1820, 70 pages.
-
[41]
AN, F14 11401. Dossier personnel de Cheppe.
-
[42]
Le Moniteur universel, 27 septembre 1819, p. 1263-1264 ; 28 octobre 1819, p. 1387 et 4 janvier 1820, p. 14-15.
-
[43]
BIF, Ms 2703, journal d’août 1818 au 17 juin 1820, 12 février 1820. Mis à la retraite en 1815, l’ingénieur Sutil s’est occupé pendant quinze ans du canal de Bourgogne.
-
[44]
AN, LH/2272/74, dossier de Légion d’honneur de Ravinet.
-
[45]
AN, F14 22202. Dossier personnel de Dutens. Lettre à Becquey, 28 mars 1820 et « Note de dépenses relative à l’ouvrage sur la navigation intérieure du Royaume », 1821. J. DUTENS, Histoire de la navigation intérieure de la France avec une exposition des canaux à entreprendre pour en compléter le système, Paris, A. Sautelet, 1829, vol. 1, p. X.
-
[46]
Barnabé BRISSON, Essai sur le système général de navigation intérieure de la France, Paris, Carilian-Goeury, 1829, p. i.
-
[47]
Brisson se saisit de ce problème à l’issue d’un stage scolaire durant lequel il est employé au projet du canal de jonction du Rhône au Rhin. AN, F14 21821. Dossier personnel de Brisson. Lettre de Brisson à Crétet, 11 prairial an X (1er juin 1802). Il mène ce travail en collaboration avec un de ses camarades, décédé l’année suivante. Bibliothèque de l’École des ponts et chaussées (BEPC dans ce qui suit). Ms 2113. Dupuis-Torcy et Brisson, « Mémoire sur l’art de projeter les canaux », an X.
-
[48]
BEPC, Ms 2701. Ce manuscrit qui porte pour titre « Mémoire sur l’art de projeter les canaux de navigation de Brisson et Dupuis » semble être le texte lu par Dupuis à l’Académie des sciences et admis à paraître dans le recueil des travaux des savants étrangers.
-
[49]
Journal de l’École polytechnique, vol. 7, n° 14, 1808, p. 191-254.
-
[50]
AN, F14 138592. Lettre de Becquey à Brisson, 8 décembre 1819.
-
[51]
BIF. Ms 2703, journal d’août 1818 au 17 juin 1820, 3 janvier 1820.
-
[52]
Ibidem, 4 janvier 1820.
-
[53]
Ibid., 26 janvier 1820. Voir note 35.
-
[54]
AN, F14 138592. Lettre de Brisson à Becquey, 10 novembre 1819.
-
[55]
B. BRISSON, Essai…, op. cit., p. 3-4.
-
[56]
J. DUTENS, Histoire…, op. cit., p. vj-vij.
-
[57]
DULEAU, « avertissement de l’éditeur », in B. BRISSON, Essai…, op. cit., p. ij.
-
[58]
« Tableau de la navigation intérieure de la France. Observations préliminaires », in Rapport au roi…, op. cit., p. 27-30.
-
[59]
D. MARGAIRAZ, « L’invention d’une catégorie administrative : la navigation intérieure, XVIIIe-XIXe siècles », Bibliothèque de l’École des chartes, 166-1, janvier-juin 2008, p. 119-144.
-
[60]
Rapport au roi…, op. cit, p. 2.
-
[61]
Ibidem, p. 26.
-
[62]
Jean PETOT, Histoire de l’administration des Ponts et Chaussées, 1599-1815, Paris, Marcel Rivière et Cie, 1958, p. 405-435.
-
[63]
Dutens est promu inspecteur divisionnaire le 11 avril 1821. Brisson est nommé professeur à l’École des ponts et chaussées le 26 juillet 1820, puis inspecteur de l’établissement le 1er mai 1821.
-
[64]
AN, F14 7076.
-
[65]
Le Moniteur universel, 2 septembre 1820, p. 1213-1216.
-
[66]
Annales des mines, 1821, t. VI, p. 3-82.
-
[67]
AN, F14 7076. Commission des canaux.
-
[68]
AN, F14 138592. Lettre du gouverneur de la banque de France à Becquey, 30 août 1820.
-
[69]
Sur la co-construction des formes de la description statistique et des relations entre l’État et le marché, voir Alain DESROSIÈRES, « Historiciser l’action publique ; l’État, le marché et les statistiques », in Pascale LABORIER et Danny TROM (éd.), Historicités de l’action publique, Paris, PUF, 2003, p. 207-221.
-
[70]
Louis HÉRICART-FERRAND DE THURY, Rapport fait au nom de la commission centrale sur les quatre projets de lois relatifs à l’achèvement des canaux… (11 juin 1821), Paris, Imprimerie de Hacquart, 1821.
-
[71]
A.-A. BEUGNOT, Vie…, op. cit., p. 194.
-
[72]
AN, F14 138592. Lettre de Bouessel à Becquey, 15 février 1821.
-
[73]
JOMARD, « Analyse du Rapport sur la navigation intérieure de la France », Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, octobre 1820, p. 282-287.
-
[74]
Rapport au Roy sur la navigation intérieure de la France, par M. Becquey… Extrait par M. Héricart de Thury, Paris, Imprimerie de Mme Huzard, 1820.
-
[75]
Reed G. GEIGER, Planning…, op. cit., p. 15.
-
[76]
AN, F14 7076. Cette pétition est signée par les douze inspecteurs qui ne font pas partie de la commission des canaux.
-
[77]
AN, F14 138592. Lettre de Rothschild frères et Laffite, 7 février 1821.
-
[78]
Bertrand GILLE, La banque et le crédit en France de 1815 à 1848, Paris, PUF, 1959, p. 110.
-
[79]
Rapport au roi sur la situation des canaux au 31 mars 1823 [1824, 1825 ; 1826, 1827, 1828 et 1829], Paris, Imprimerie royale, 1823 [1824, 1825 ; 1826, 1827, 1828 et 1829].
-
[80]
Sur la nouveauté que représente cette statistique routière par rapport à celles qui l’ont précédée : Bernard LEPETIT, Chemins de terre et voies d’eau. Réseaux de transports. Organisation de l’espace, Paris, Éditions de l’EHESS, 1984.
-
[81]
Navier se rend en Angleterre en septembre 1821 puis en mars 1823. Il publie à son retour Rapport à M. Becquey, directeur général des ponts et chaussées et des mines, et mémoire sur les ponts suspendus, Paris, Imprimerie royale, 1823. Cordier effectue, quant à lui, un deuxième voyage, à ses frais comme le premier, de juillet à septembre 1822, pour y examiner le système d’entretien des routes et visiter les grands ouvrages en construction. À son retour, il fait paraître de nouvelles traductions : J. CORDIER, Essais sur la construction des routes, des ponts suspendus, des barrages, etc., extraits de divers ouvrages anglais, Lille, Reboux-Leroy, 1823.
-
[82]
Aux « Observations préliminaires », copieuse introduction rédigée par Becquey, succèdent des tableaux de chiffres, élaborés par l’ingénieur Legrand, évaluant, par département et par route, les dépenses nécessaires. Une carte confectionnée par Dubréna est jointe, qui figure les routes existantes, à terminer ou à ouvrir, renumérotées et divisées en trois classes.
-
[83]
Les phares ou feux sont répartis en trois ordres. Leurs caractéristiques physiques sont fonction de leur ordre. Le rapport souligne en outre l’importance des études menées par l’ingénieur Augustin Fresnel. Le document comprend un rapport, approuvé par la commission des phares présidée par Becquey le 20 mai 1825, un tableau de la distribution générale des feux sur les côtes de France et une carte, établie au dépôt des ponts et chaussées par Dubréna, sur laquelle sont indiquées la position et la nature des divers feux établis ou à établir. Les phares de 1er ordre y sont représentés en jaune, ceux de 2e ordre en violet et ceux de 3e ordre en rouge.
-
[84]
Cette actualisation du Tableau géographique de la navigation intérieure du territoire républicain français publié par Dupain-Triel en 1793 se fonde sur plusieurs documents figurés : une carte hydrographique de la France, à l’échelle de 1/500000e, commencée sous la direction de Prony, au bureau du cadastre, la carte de Cassini et les cartes hydrographiques départementales, mais aussi les plans particuliers établis par les ingénieurs pour des projets de canaux. TARBÉ DE VAUXCLAIRS, Dictionnaire des travaux publics, civils, militaires et maritimes, Paris, Chez Carilian-Goeury, 1835, p. 110-111.
-
[85]
Le volume qui concerne les droits de navigation permet la préparation d’un projet de loi tendant à les uniformiser présenté en 1824.
-
[86]
Théodore RAVINET, Code des ponts et chaussées et des mines ou collection complète des lois, arrêtés, décrets, ordonnances, règlemens et circulaires concernant le service des ponts et chaussées et des mines, jusqu’au 1er janvier 1829, Paris, Carilian-Goeury, 1829, 3 vol.
-
[87]
J. DUTENS, Histoire…, op. cit, et B. BRISSON, Essai…, op. cit.
-
[88]
DULEAU, « Avertissement de l’éditeur », in B. BRISSON, Essai…, op. cit., p. i.
-
[89]
Le texte de cette ordonnance est le fruit des travaux d’une commission administrativo-parlementaire nommée par le roi le 12 août 1828 pour tenter de trouver une issue à la crise financière et politique déclenchée par la demande de crédits supplémentaires. Menés dans un contexte marqué par la contestation de la centralisation, les travaux de cette commission des routes et des canaux s’étalent sur près d’une année. Sur ce contexte, voir Rudolf VON THADDEN, La centralisation contestée. L’administration napoléonienne, enjeu politique de la Restauration, 1814-1830 (1972), Arles, Actes Sud, 1989. Sur les débats à la Chambre des députés en juillet 1828, puis au sein de cette commission qui tente de réformer les modes de fonctionnement du « système des ponts et chaussées », voir N. MONTEL, « Une revue des savoirs d’État. De la genèse à la fabrique des Annales des ponts et chaussées au XIXe siècle », dossier d’habilitation à diriger des recherches, Université Paris 1, 2008, vol. 2, p. 46-57. Sur l’enquête publique au XIXe siècle et une analyse des écrits adressés aux pouvoirs en pareille circonstance : N. MONTEL, Faire le Grand Paris. Avis des habitants consultés en 1859, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, à paraître.
1 Paru en 1820, le Rapport au roi sur la navigation intérieure de la France est considéré comme une référence centrale de l’histoire de l’aménagement du territoire au XIXe siècle [1]. Attribué à Louis Becquey, cet ouvrage est également cité par nombre d’études relevant de l’histoire économique, de l’histoire des ingénieurs ou de l’histoire des voies de communication, sa citation venant attester de l’existence d’un vaste projet de perfectionnement et d’extension du réseau de voies navigables français [2]. Mais cette lecture n’épuise pas les enseignements que l’on peut en tirer. En la plaçant au cœur d’une enquête particulière, on se propose de modifier le regard porté jusque-là sur cette publication et d’en enrichir l’analyse.
2 Cette enquête s’inscrit dans une perspective qui accorde une attention particulière aux écrits du passé, les envisageant non pas seulement comme des textes, mais plus largement comme des objets sociaux. Considérer les écrits comme des objets conduit à examiner les significations dont leurs formes matérielles singulières sont porteuses [3]. Voir en eux des artefacts sociaux façonnés dans des contextes historiques précis et par des individus impliqués dans des situations singulières permet, en outre, d’approfondir la critique des sources de l’histoire telle que l’ont définie les historiens de l’école méthodique et d’en circonscrire les usages [4]. Productions historiquement situées, les documents écrits ne sont pas non plus sans effets : ils agissent sur le cours de l’histoire [5]. En plaçant les écrits au centre des investigations et en ne les reléguant pas aux notes de bas de page du récit historique, il s’agit, autrement dit, d’envisager ces vestiges du passé parvenus jusqu’à nous non pas comme des supports inertes d’informations, mais comme des agents à part entière de l’histoire, celle qui se déroule aussi bien que celle qui s’écrit. En analysant le Rapport au roi dans cette optique, c’est un moment singulier de l’histoire de l’action publique étatique, des savoirs de l’aménagement et des pouvoirs de l’imprimé [6], mais surtout de leurs relations, que cette étude se propose principalement d’éclairer. C’est aussi l’apport d’une socio-histoire des écrits à l’écriture de l’histoire qu’elle voudrait illustrer.
3 Au regard de la littérature existante à l’époque de sa parution, le Rapport au roi sort de l’ordinaire. Ce qui frappe de prime abord, c’est le fait qu’une administration publie. Ce n’est pas la première fois qu’une administration étatique s’empare de l’imprimé et rend publics ses travaux, mais la démarche est toutefois encore suffisamment rare, en ce début du XIXe siècle, pour susciter la curiosité de l’historien. Si cette publication retient en définitive l’attention et mérite qu’on s’y attarde, c’est principalement parce qu’elle rend compte de la mise en place d’une nouvelle figure de l’État aménageur à l’époque de la Seconde Restauration, une nouvelle figure dont elle est le signe tangible et qu’elle permet aujourd’hui d’appréhender, mais aussi à laquelle elle contribue en son temps à donner forme et consistance.
4 On examinera d’abord en quoi le contenu et la forme de ce livre en fondent l’originalité, et on analysera tant le contexte singulier dans lequel il paraît que la trajectoire de l’administrateur auquel il est attribué. Pour rendre compte de la participation de cet ouvrage à la définition et à la mise en œuvre d’une réforme de l’État aménageur, deux moments de son histoire seront ensuite plus particulièrement scrutés. On se focalisera d’abord sur la production matérielle et intellectuelle de cet imprimé, afin d’identifier les différents individus qui participent à son élaboration et de mettre en évidence la pluralité de savoirs auxquels il est adossé. Ces investigations conduiront à explorer une branche de l’univers administratif dans ses modes de fonctionnement les plus concrets mais aussi à examiner les outils matériels et les catégories d’analyse mobilisés par l’administration pour concevoir un aménagement hydraulique de la France. L’examen des conditions et modalités de diffusion immédiate du Rapport au roi permettra, dans un dernier temps, d’interroger ses pouvoirs attendus puis les divers effets pratiques obtenus par sa mise en circulation. Symptomatique d’une approche centralisée de l’action publique mais aussi d’une confiscation administrative de la définition de l’intérêt général, le document cristallisera les mécontentements à la veille de la Révolution de Juillet.
LA PUBLICATION D’UN PROGRAMME ET D’UN MANIFESTE
5 Le document original permet de constater immédiatement, à la vue et au toucher, qu’il ne s’agit pas d’une production imprimée ordinaire. Sa facture soignée mais aussi la qualité du papier employé, son fort grammage et sa couleur bien blanche, encore près de deux siècles après son impression, signalent d’emblée à celui qui l’a entre les mains une publication visant, par son aspect d’abord, à attirer puis à retenir l’attention du lecteur. Sur la première page de cet ouvrage au format in 4° figurent, dans l’ordre de la lecture, un titre (Rapport au roi sur la navigation intérieure de la France), un dessin, puis un lieu et le nom de l’imprimeur (À Paris, Imprimerie nationale), enfin une date (1820). La mention de sa confection par l’imprimerie royale, surmontée par le dessin des armoiries de la Maison de Bourbon entourées d’une couronne de laurier, signale d’emblée au lecteur un document officiel. Tout autant que les informations présentes, celles qui manquent peuvent aussi être notées. On relèvera ainsi l’absence d’un nom d’auteur, bien que l’ouvrage soit la plupart du temps attribué dans les bibliothèques qui le conservent, et notamment à la Bibliothèque nationale de France, à Becquey. Or si celui-ci signe l’un des textes contenus dans ce livre, le titre du volume reprend lui celui du premier texte, qui n’a pas été écrit par Becquey. L’ouvrage est en réalité composite. Il comprend plusieurs éléments reliés ensemble : deux textes et des tableaux statistiques, qu’une pagination unique composée de soixante-quinze numéros rassemble, et une carte pliée [7].
Un plan d’aménagement du territoire au service d’un projet politique et économique
6 Les textes proposés à la lecture sont disposés dans un ordre chronologiquement inverse de celui de leur écriture respective. Cet agencement rend compte également de l’ordre des positions de leurs rédacteurs respectifs dans la hiérarchie politico-administrative et reflète le processus de décision intervenu. Le premier des éléments donnés à lire est un rapport au roi signé du ministre de l’Intérieur Siméon, au bas duquel se trouve la mention « approuvé » suivie de la signature royale : Louis. Daté du 16 août 1820, ce texte de quatre pages expose succinctement l’objet du livre, à savoir la définition d’un vaste programme de canaux à réaliser sur l’ensemble du territoire national, en justifie la nécessité et en présente la teneur. Il conclut en renvoyant au texte suivant, dont il demande au roi la publication. Ce propos ministériel liminaire assume la fonction de préface à l’ouvrage. Au-delà de l’autorisation de le faire confectionner par l’imprimerie d’État, l’imprimatur royal marque l’approbation gouvernementale au projet exposé. Le second texte, daté du 4 août, est le rapport à ce ministre du directeur général des Ponts et Chaussées et des mines, le conseiller d’État Becquey. Relevant du ministère de l’Intérieur depuis sa création en 1791, l’administration des Ponts et Chaussées est en effet confiée depuis le règlement d’organisation du Conseil d’État du 26 décembre 1799 à l’un de ses membres. Du 17 septembre 1817 au 19 mai 1830, Becquey dirige cette branche de l’administration publique. Sur vingt-deux pages, son rapport présente en détail les finalités du plan proposé et rend compte des principes généraux qui le fondent. Le fait que le ministre ne se soit pas approprié le travail de l’administrateur placé sous sa tutelle traduit la part d’autonomie acquise par cette direction particulière au sein du ministère de l’Intérieur depuis 1800.
7 L’originalité du livre ne réside pas seulement dans son aspect extérieur, sa forme composite ou sa provenance administrative. Le fait qu’il expose les grandes lignes d’une politique publique à mener et non pas les résultats d’une action passée lui confère également un statut singulier au sein de la littérature produite par l’État. Selon le ministre, le document préfigure un « vaste système de navigation intérieure » et, pour l’administrateur, il propose « un système complet de communications par eau » [8]. Le terme de « système », employé par les deux hommes et déjà utilisé au XVIIIe siècle [9], désigne un projet qui ne se limite pas à une réalisation ponctuelle isolée mais au contraire coordonne une multitude de travaux à réaliser sur l’ensemble du territoire national et surtout tient compte des relations d’interdépendance entre différents types de voies d’eau, existantes et à créer, naturelles et artificielles. Selon Becquey,
« un canal d’ailleurs ne doit pas être considéré isolément du système général dont il n’est le plus souvent qu’une ramification. Il y a entre les différentes parties de ce système des relations essentielles ; et l’ouverture d’une nouvelle communication exerce une influence notable sur celles qui, déjà exécutées, s’y rattachent directement ou par l’intermédiaire d’une autre ligne » [10].
9 Sous leur plume, le terme de système renvoie aussi à l’idée d’un ensemble qui vise l’exhaustivité. Pour Siméon, il s’agit d’« un plan où seraient indiqués tous les canaux qui peuvent, dans tous les sens, traverser la France », tandis que Becquey ambitionne de « présenter le tableau des ouvrages qu’il serait nécessaire d’entreprendre pour donner à notre navigation intérieure tous les développements qu’elle peut recevoir » [11].
10 Non datée et non signée, la partie de l’ouvrage qui fait suite aux textes renferme les détails du système, exposés au moyen d’un tableau de la navigation intérieure et d’une carte de France, destinée à en « faciliter l’intelligence » [12]. Le tableau, qui dresse l’inventaire des fleuves dont la navigabilité doit être étendue et des voies d’eau artificielles existantes, commencées ou à créer, s’organise en trois parties. Il distingue deux classes de canaux, mais aussi les travaux à terminer de ceux à entreprendre. Appliquées aux canaux, ces catégories de classement, qui visent à définir à la fois leurs caractéristiques physiques, en premier lieu leur largeur, et à rendre compte du degré de priorité de leur exécution, s’inspirent de celles en usage pour les routes. En définissant trois classes de routes, le décret impérial du 16 décembre 1811 avait en effet avant tout pour objectif de hiérarchiser l’affectation des crédits de construction et d’entretien entre les différentes voies de terre. Les deux critères qui structurent le tableau de la navigation intègrent une dimension temporelle, dont la prise en compte fonde l’originalité du système présenté par rapport à ceux qui l’ont précédés.
11 C’est un programme hiérarchisé de travaux que décrivent le tableau et la carte du Rapport au roi de 1820. Les canaux considérés de première classe sont ceux qui appartiennent à une ligne permettant de joindre deux mers. La première partie du tableau de la navigation intérieure dresse la liste de ces sept canaux jugés prioritaires, en fournit un descriptif rapide ainsi que la longueur et l’estimation chiffrée de la dépense. La deuxième partie fait de même pour les travaux à terminer de quatorze canaux, définis comme de seconde classe et répartis entre cinq régions (ouest, nord, est, sud et centre). Dans la troisième partie, une présentation tabulaire réunit les descriptions et estimations des travaux à entreprendre pour les canaux de seconde classe, également regroupés par régions. La carte de la navigation intérieure de la France reprend une partie de ces informations statistiques, qu’elle donne à voir de façon synoptique et au moyen de couleurs mais aussi complète. Elle permet de visualiser le tracé de chacun des canaux et leur classe, les grandes lignes étant représentées en rouge et les lignes secondaires en jaune. S’y trouvent également figurés les canaux déjà exécutés dont les tracés sont surlignés en bleu, ceux en construction matérialisés par un trait noir continu et ceux en projet dessinés au moyen d’une ligne pointillée [13]. De petites ancres placées le long des voies d’eaux naturelles viennent en outre préciser les points où commencent la navigation ou le flottage [14] et des « hachures en forme de petites montagnes » circonscrivent les bassins fluviaux.
12 Le programme national d’aménagement des voies d’eau présenté par l’administrateur dans ce document prospectif est au service d’un projet économique et politique. En développant un système général de navigation intérieure, il s’agit d’une part de créer des voies de communication utiles au commerce, à l’agriculture et à l’industrie et d’autre part de construire par des infrastructures matérielles l’unité de la nation. Cet ensemble de canaux vise, selon les termes de Becquey, à « rapprocher par des moyens artificiels des territoires que la nature a séparés », mais aussi à « lier entre elles et assembler les diverses parties d’un grand tout, ce qui contribue à les maintenir sous une même loi politique et sous un même gouvernement » [15]. Armature liquide solidarisant les territoires et unifiant l’espace du Royaume, le système de voies d’eau projeté vise ainsi tout à la fois à remodeler le territoire national, à fluidifier le marché intérieur, à irriguer les esprits et à renforcer le pouvoir royal.
13 La trajectoire et les convictions politiques de cet administrateur [16] mais aussi un contexte marqué par l’essor des idées libérales contribuent à éclairer les choix qui ont présidé à l’élaboration de ce plan. Après des études de droit, Becquey entre dans l’administration des finances comme contrôleur des vingtièmes, avant de se lancer en politique. Député à l’assemblée de Champagne en 1787, il est élu à l’Assemblée législative quatre ans plus tard. Après le 9 thermidor de l’an II, il fait partie avec Royer-Collard et Beugnot, dont il est proche du fait notamment de leur commune origine champenoise, du comité royaliste qui correspond avec Louis XVIII. Défenseur zélé du trône, il accepte néanmoins en 1810 les fonctions de membre du conseil de l’Université impériale. Récompensant ses engagements passés, la Restauration le nomme d’abord directeur général de l’agriculture, du commerce et des arts et manufactures le 16 mai 1814. Promu sous-secrétaire d’État au département de l’Intérieur en 1816, il accepte, à la disparition de cette fonction, de prendre la tête de la direction générale des Ponts et Chaussées et des mines. Il poursuit en parallèle une carrière politique, étant réélu député de la Haute-Marne de 1815 à 1830. Siégeant au centre droit, il appartient au groupe des doctrinaires. Favorables à une monarchie constitutionnelle, ces royalistes libéraux défendent scrupuleusement la Charte, à la rédaction de laquelle Beugnot a participé. Admettant les acquis de la Révolution, ils rejettent tout à la fois les nostalgies de l’Ancien Régime et la politique des ultras et défendent l’idée d’un « juste milieu » en politique [17]. Souhaitant réconcilier l’autorité avec la liberté, les doctrinaires refusent l’individualisme et le « laisser-faire laisser-passer » des libéraux plus radicaux. L’action de l’administrateur Becquey à la direction générale des Ponts et Chaussées traduit concrètement ce positionnement politique soucieux de compromis et de conciliation, davantage que de réforme profonde ou de remise en cause brutale des institutions existantes. Trouver un juste milieu entre le fonctionnement de l’administration des Ponts et Chaussées hérité de l’époque impériale et les exhortations croissantes de certains libéraux à confier le développement des infrastructures de transports à des compagnies privées, autrement dit définir les modalités pratiques d’une économie que l’on baptisera par la suite mixte, est la tâche à laquelle s’attelle ce lecteur assidu des écrits d’économie politique [18].
14 L’idée de développer un système général de communications par eau à l’échelle du Royaume n’est pas nouvelle, mais la Restauration lui redonne de l’actualité et Becquey parvient à donner une forme convaincante au projet. Bien qu’il n’y fasse pas allusion, le texte qu’il signe dans le Rapport au roi de 1820 se nourrit d’un certain nombre de prises de parole dans les sphères savante et politique mais aussi d’écrits diffusés dans l’espace public qui lui sont contemporains. Loin d’être né d’une initiative isolée de l’administration, ce projet d’extension du réseau navigable se construit en effet en relation tacite avec un ensemble de propositions formulées peu de temps auparavant, mais s’inscrit aussi dans la continuité de tentatives bien plus anciennes, qu’il ne mentionne pas davantage. Le Rapport au roi est enchâssé dans un environnement textuel dont la connaissance importe à son interprétation. Dans la séance publique de l’Académie royale des sciences du 16 mars 1818, l’ingénieur des Ponts et Chaussées Girard, membre de l’Institut depuis les Cent-Jours, donne lecture d’un Précis historique sur la navigation intérieure. Du haut de cette tribune prestigieuse, invoquant les progrès de l’hydraulique, il invite son administration à entreprendre la mise en œuvre d’un réseau de voies navigables sur toute l’étendue du territoire [19]. Le mois suivant, l’économiste Say lui emboîte le pas en publiant une brochure intitulée Des canaux de navigation dans l’état actuel de la France, dans lequel il dresse un plaidoyer pour le développement des voies d’eau artificielles, au nom cette fois des principes de l’économie politique : « En deux mots, tous les moyens de communication sont bons, en ce qu’ils multiplient les valeurs qui sont des richesses ; et parmi les moyens de communication, les meilleurs sont les canaux » [20]. L’économiste y reprend également des développements sur le cas parisien et l’importance du port de la Villette, publiés peu de temps auparavant [21]. Ces interventions dans l’espace public, placées sous l’autorité des sciences physiques ou économiques, entendent influer sur des débats d’actualité et des discussions en cours sur l’achèvement des canaux parisiens [22]. Parmi les références bibliographiques de Say figure le livre paru la même année de Laborde, sous le titre De l’esprit d’association dans tous les intérêts de la communauté. Consacrant un chapitre à la promotion de l’essor des canaux français, de Laborde en appelle à la constitution d’une compagnie générale, plus apte que l’administration à ses yeux, à mettre en œuvre un « canevas » de voies navigables [23]. Du succès rencontré par cet ouvrage témoignent ses rééditions successives et la reprise de l’expression « esprit d’association ». La nécessité d’un développement de la navigation intérieure est également soulignée par le comte Berthollet, dans la séance du 16 juillet 1819 de la Chambre des pairs [24]. Citant les écrits récents de Say, Laborde ou Girard, mais aussi des projets de l’époque révolutionnaire visant à établir un plan général de voies d’eau articulées les unes aux autres et sillonnant la France [25] ou encore des travaux, avortés ou inachevés, de l’Ancien Régime [26], le chimiste appelle, pour sa part, de ses vœux une baisse des droits perçus sur le transport fluvial et préconise la réalisation préalable d’un nivellement général de la France. Bien que ces différentes propositions divergent sur les meilleurs moyens à mettre en œuvre pour parvenir à l’extension des voies navigables, le consensus qui se dégage sur l’objectif à atteindre crée les conditions favorables de son affichage comme priorité politique. L’administration s’en saisit et formalise son propre projet, à travers le Rapport au roi de 1820. Elle reprend ce faisant publiquement la main et se replace au centre de la réalisation d’une entreprise dont certains auteurs voulaient l’écarter.
De l’État ingénieur à l’État planificateur
15 Pour bon nombre d’ingénieurs ou d’économistes libéraux de la période [27], qu’ils se soient déjà rendus en Angleterre [28] ou pas, les infrastructures de communication développées outre-Manche depuis un demi-siècle, et tout particulièrement les canaux, seraient à l’origine de l’enviable prospérité économique britannique et la France n’aurait déjà que trop tardé à suivre son exemple. S’agissant de la conception et de la mise en œuvre du programme de canaux, Becquey se réfère lui aussi explicitement à ce modèle anglais et reprend à son compte cette rhétorique récurrente du retard français, déjà présente au XVIIIe siècle. Pour l’administrateur, cette invocation de l’expérience britannique n’est cependant ni une concession passagère à l’air du temps ni seulement une caution abstraite ou incantatoire servant à justifier son action. La comparaison avec ce pays rival constitue, au contraire, pendant quinze ans, un moteur puissant et constant de son action à la tête de la direction des Ponts et Chaussées et des mines. Elle le conduit notamment à financer plusieurs voyages d’ingénieur outre-Manche. La première de ces missions est confiée à l’ingénieur des Ponts et Chaussées Dutens. Chargé de la construction du canal du Berry depuis 1808, par ailleurs auteur en 1804 d’un ouvrage d’économie politique qui le montre acquis aux idées physiocratiques [29], ce dernier est envoyé en Angleterre en mars 1818. « J’ai désiré obtenir des notions certaines sur les travaux publics de l’Angleterre, sur les formes de leur administration, et particulièrement sur le système de navigation intérieure » [30] se justifiera l’administrateur. Dans son journal, l’ingénieur note, quant à lui, à la date du 9 février 1818 : « allé diner chez M. Becquey. Il me dit qu’il songe à nos affaires et au voyage qu’il croit qu’il faudra que je fasse » [31]. Cette annotation rapide renseigne sur la volonté de l’administrateur de fonder son action sur des renseignements avérés recueillis directement sur place. Sa démarche est marquée par le pragmatisme. Si des principes de l’économie politique guident sa réflexion, sa pratique d’administrateur le montre soucieux de ne pas en faire une application mécanique. En confiant cette mission d’étude à un ingénieur, Becquey choisit un homme qui, mieux que lui, pourra convaincre les membres du corps auquel il appartient d’acclimater en France des pratiques qui ont cours dans un pays dépourvu d’institutions professionnelles comparables à la leur. Il n’ignore pas en effet que nombre d’entre eux sont hostiles à des changements susceptibles de remettre plus ou moins directement en cause leurs prérogatives.
16 Le rapport rédigé par Dutens à l’issue de son séjour anglais de quatre mois est publié en 1819 [32]. Sorti des presses de l’imprimerie royale, il est distribué à l’ensemble des préfets et des ingénieurs en chef des Ponts et Chaussées des départements, accompagnant une circulaire inhabituellement longue de six pages dans laquelle Becquey expose un certain nombre d’idées qu’il reprendra dans la publication de 1820. Il y écrit notamment :
« Ce n’est donc pas à une science plus avancée qu’il faut attribuer cette multiplicité de canaux qui sillonnent le sol de l’Angleterre. […] C’est dans des moyens pratiques d’un succès plus rapide et qu’il nous sera facile d’imiter, mais surtout c’est dans les formes de l’administration des travaux, dans les différents modes de concession où se manifeste une connaissance approfondie de tous les intérêts, c’est dans les fréquents appels faits aux capitaux particuliers, dans la confiance qu’on a su inspirer aux spéculateurs, en un mot, c’est dans l’esprit d’association qu’il faut chercher l’origine de tous ces établissements » [33].
18 Mettant en avant le savoir-faire anglais, Becquey prend aussi bien garde, suivant en cela l’exemple de Dutens, de ne pas déprécier la science des ingénieurs français [34]. Quant à la décision de l’administrateur de faire circuler l’ouvrage parmi les fonctionnaires en charge des travaux publics à la tête de chacun des départements, c’est-à-dire d’utiliser le livre comme moyen de faire évoluer les idées et de préparer les esprits des agents de l’État à la réforme, elle relève d’une pratique qui, semble-t-il, ne connaît guère de précédents. Elle suggère une manière neuve de penser la relation hiérarchique entre un responsable administratif et ses subordonnés, les considérant non plus comme de simples exécutants des ordres reçus de Paris, mais comme des personnes à convaincre du bien fondé des changements à engager. Introduisant une rupture dans les modes d’action en usage au sein de l’univers administratif, l’élaboration et la diffusion de cet imprimé renvoient aussi à la perception qu’a l’administrateur de l’importance de la force d’inertie que peuvent opposer les services qu’ils dirigent à son action volontariste.
19 Dans le Rapport au roi, Becquey retient du modèle anglais principalement deux idées. La première repose sur le constat que, contrairement à la France, les canaux creusés en Angleterre sont des voies d’eau de petite largeur, moins coûteux à construire. Elle le conduit à considérer nécessaire que la France renonce à concevoir exclusivement des canaux de grands gabarits permettant aux embarcations de se croiser. Le développement d’un système de « petite navigation » est également défendu par Laborde, Girard ou Say. La seconde idée a trait au mode de financement. Le réseau de canaux anglais s’est principalement développé par des initiatives particulières de grands propriétaires riverains et de compagnies privées concessionnaires, auxquels des lois ont fourni des garanties. Bien que la concession rémunérée par un péage ait été la formule dominante au XVIIIe siècle en France pour la construction des canaux, couplée à la fin du siècle avec des financements publics, elle n’a permis la réalisation que d’un nombre très limité d’ouvrages. Becquey propose, à l’instar de l’Angleterre, d’encourager plus fermement des associations de particuliers à investir dans la réalisation de nouvelles voies d’eau, de stimuler les investissements privés en offrant aux spéculateurs des garanties, notamment financières, de la part de l’État. Il invite à concilier les intérêts de l’État et des concessionnaires, à travers notamment de nouvelles modalités de concession [35]. Il ouvre la porte à des négociations à la fois sur leur durée, n’écartant pas l’idée qu’elles puissent être perpétuelles en dépit du débat juridique sur l’inaliénabilité des voies d’eau du domaine public, et sur les tarifs des droits imposés à la navigation. Il se propose ainsi de généraliser le recours à la concession et d’en faire évoluer les formes, tout en admettant que les travaux les moins rentables, mais néanmoins stratégiques, soient pris en charge par l’État [36].
20 Ce que Becquey défend et définit avec ce rapport, c’est en définitive une nouvelle figure de l’État aménageur et un nouveau rôle pour l’administration des ponts et chaussées. Par l’élaboration de ce programme d’extension du réseau navigable français et l’affirmation de la volonté de recourir à des compagnies privées pour leur réalisation et leur financement, la figure affichée de l’État n’est plus celle qui avait majoritairement prévalu depuis le début du siècle, à savoir un État ingénieur, mais celle d’un État planificateur. C’est aussi celle d’un État régulateur de l’économie, qui stimule et fédère les initiatives particulières et apporte des garanties aux investisseurs. Ce tournant opéré dans les conceptions du rôle de l’État doit à la propagation en France des idées économiques libérales. Mais il s’inscrit aussi dans un contexte où la volonté de développer les voies de communications, qui s’affirme avec la paix retrouvée, est confrontée à de sévères difficultés budgétaires. À la Restauration, une large part du budget étatique passe en effet dans le remboursement de l’indemnité de guerre à la Prusse et les ressources de l’État ne permettent pas d’envisager la réalisation à court terme de ce plan de canaux. Cette configuration politique et économique contribue à l’émergence d’une nouvelle conception de l’intervention publique dans le domaine de l’aménagement dont le Rapport au roi de 1820 constitue le manifeste et sa publication le signe. Les modalités d’élaboration du document témoignent, quant à elles, de transformations à l’œuvre au sein de l’administration des Ponts et Chaussées.
UNE PRODUCTION COLLECTIVE ADOSSÉE À UNE PLURALITÉ DE SAVOIRS
21 Entrer dans les détails de la fabrication du Rapport au roi, c’est d’abord s’aventurer dans les coulisses, guère visitées jusqu’ici, du fonctionnement pratique de l’appareil bureaucratique d’État sous la Restauration, et tenter de cerner concrètement le travail de l’administrateur Becquey [37]. C’est aussi mettre au jour les collaborateurs invisibles du principal signataire de la publication. Le directeur a autorité sur un demi-millier d’ingénieurs des Ponts et Chaussées disséminés sur le territoire national, et qui localement dépendent également du préfet, mais aussi sur les soixante-dix employés qui travaillent dans les bureaux de l’administration centrale parisienne [38]. Grâce aux archives de cette administration, il est possible d’identifier plusieurs individus ayant apporté leur concours à la conception et à l’élaboration matérielle du tableau statistique et de la carte inclus dans l’ouvrage publié en 1820. Cette identification permet de spécifier les collaborations dont l’administrateur a bénéficié et les types de savoirs mobilisés pour le confectionner.
La mobilisation de savoirs pour l’action
22 Le premier de ces hommes de l’ombre est Dutens, déjà évoqué. Les archives de l’administration centrale des Ponts et Chaussées, aujourd’hui conservées aux Archives nationales dans la sous-série F14, constituent les principales ressources documentaires disponibles pour écrire l’histoire de cette branche de l’appareil d’État. Considérés comme des documents personnels par leurs producteurs, les papiers des administrateurs ou des ministres en sont malheureusement généralement absents. Tout en confirmant cette règle générale, certains documents de travail relatifs au plan de canaux ayant appartenu à Becquey, acquis par les Archives nationales en 1964, peuvent être retrouvés dans ce même fonds [39]. Parmi eux figure un manuscrit signé par Dutens et daté du 5 avril 1820. Cet écrit expose l’architecture générale d’un système de voies d’eau et livre une estimation tant de la dépense que des revenus à attendre de chacune des parties. Le montant total de la dépense de ce plan est évalué à 237 millions de francs, sans que l’on sache toutefois précisément la méthode utilisée pour chiffrer les coûts particuliers [40]. Les notes brèves mais quotidiennes consignées dans son journal apportent toutefois des renseignements sur les conditions pratiques de réalisation de ce travail de cabinet. Elles permettent notamment d’établir les nombreuses visites de Dutens à l’administration centrale et ses rencontres avec de Cheppe. Entré comme surnuméraire en 1802 à dix-huit ans dans l’administration des ponts et chaussées, ce dernier est, à l’arrivée de Becquey, promu sous-chef de la division du personnel et du secrétariat, en charge du bureau de l’enregistrement du courrier, mais aussi secrétaire du directeur général [41]. Bras droit de l’administrateur, de Cheppe rend compte du livre de Dutens sur les travaux publics en Angleterre dans trois longs articles du Moniteur universel [42]. Tout porte à croire que, lors de leurs rencontres régulières, Dutens se faisait prêter par de Cheppe des dossiers conservés dans les archives vivantes de l’administration relatifs à la navigation intérieure, notamment les traces des anciens projets de canaux et des renseignements sur les travaux entamés mais non achevés par manque de crédits. Becquey lui-même approvisionne l’ingénieur en matériaux documentaires. Le 12 février 1820, Dutens écrit dans son journal : « M. Becquey. Il me dit qu’il me communiquera un travail de Sutil » [43], puis, cinq jours plus tard : « allé chez M. Becquey. Il me donne le travail sur les rivières ». Au 7 du même mois, il note « allé chez M. Becquey, il me dit que je ferai ce que je voudrais – tant mieux si c’est long ». Le 3 avril suivant, il consigne « allé chez M. Becquey. Il me demande des nouvelles de mon travail » et, trois jours plus tard, « allé porté mon travail sur la dépense à faire relativement à la navigation à M. Becquey – il en paraît content et doit le présenter à M. le duc de Richelieu », ce dernier présidant le Conseil des ministres. Des sources complémentaires permettent d’établir que, pour la réalisation de ce travail, Dutens reçoit l’aide d’un secrétaire, petite main anonyme, mais aussi d’un autre employé, le rédacteur Ravinet. Entré en 1808, également en qualité de surnuméraire, à la direction générale des ponts et chaussées, ce dernier travaille depuis lors à la division de la navigation intérieure [44]. Il effectue en 1819 des recherches de renseignements dans les papiers de l’administration pour le compte de l’ingénieur [45]. Le document élaboré par Dutens mêle ainsi considérations économiques implicites et savoir-faire classiques d’un ingénieur expérimenté dans la construction de canaux et l’art du devis, mais s’appuie aussi sur des savoirs administratifs tacites, fondés sur un travail d’accumulation d’informations, de capitalisation de connaissances et de classement de dossiers qui s’accomplit de longue date et de manière invisible au sein de l’administration parisienne.
23 Un autre ingénieur des Ponts et Chaussées alimente par ses travaux le Rapport au roi. Il s’agit de Brisson [46]. Plus jeune que Dutens, il appartient à la première génération formée à l’École polytechnique. En 1819, il rencontre Becquey au cours d’un déplacement que l’administrateur effectue dans la ville de Châlons-sur-Marne. Il lui parle d’un travail effectué dix-huit ans plus tôt [47], présenté à l’Académie des sciences en 1802 [48] et publié partiellement six ans plus tard dans le Journal de l’École polytechnique sous le titre « Essais sur l’art de projeter les canaux de navigation » [49]. Cet écrit savant qui relève, selon son auteur, de la géographie physique était resté jusque-là sans application pratique. Il suscite immédiatement l’intérêt de l’administrateur, confronté comme l’ensemble de ses prédécesseurs à un problème de temps. En effet, les temporalités du projet politique et du projet de l’ingénieur ne coïncident généralement pas, car la définition du tracé d’un canal requiert des études de terrain assez longues, que l’élaboration d’un système national demanderait au surplus de multiplier. Si la méthode développée par Brisson apparaît providentielle à l’administrateur, c’est parce qu’elle permet de pallier cette difficulté et de déterminer dans un temps relativement court l’esquisse du tracé d’un canal, au moyen d’un travail de cabinet fondé sur un examen minutieux des cartes disponibles. En décembre 1819, Becquey demande à Brisson de quitter Châlons et de venir toutes affaires cessantes à Paris afin de l’associer à Dutens [50]. Le 30 du même mois, ce dernier note dans son journal : « Vu M. Brisson. Il passera un mois, prendra des notes, retournera faire son travail chez lui l’adressera à M. le directeur général. Il ne paraît s’occuper que de la partie des projets. Son mémoire ne doit avoir que 150p. in 8° » [51]. À en croire toujours ce journal personnel, les deux hommes se rencontrent de nouveau deux fois au cours du mois de janvier 1820 et là se borne leur coopération. La première de ces rencontres a lieu lors d’un dîner chez Becquey, au cours duquel Brisson et Dutens se retrouvent assis côte à côte. Des conversations de la soirée, Dutens retient deux choses : « causé avec Brisson. Il me dit que M. Becquey n’a pas des idées bien fixées, qu’il aurait du donner un programme », puis « je dis à M. Becquey que M. Brisson traitera la navigation en ingénieur. Il me dit que ce n’est pas seulement cela ». Ainsi, l’administrateur n’a pas fixé de cadre au travail des deux ingénieurs, qui se connaissent assez mal. Ils vont en définitive travailler chacun de leur côté, Becquey entretenant semble-t-il au surplus une certaine concurrence entre eux. Le lendemain, Dutens se rend chez l’ingénieur Navier, qui l’aide à se faire une opinion sur la nature de la contribution que pourra apporter Brisson à l’entreprise en lui prêtant les écrits de ce dernier [52]. Le journal manuscrit, dans lequel ce provincial en séjour temporaire à Paris consigne quotidiennement qui il a vu ou cherché à voir dans la journée et où il a dîné, révèle une intense sociabilité entre les ingénieurs des Ponts et Chaussées résidant dans la capitale où, par ailleurs, Mme Prony, la femme du directeur de l’École des Ponts et Chaussées, et Mme Girard tiennent salon. Dutens revoit Brisson le 18 janvier à un dîner chez l’inspecteur Tarbé de Vauxclairs, vice-président du Conseil général des Ponts et Chaussées, au cours duquel celui-là lui « parle de la remarque des anglais (quarter review) ». C’est chez Girard, huit jours plus tard, qu’il trouve et lit l’exemplaire de la revue britannique évoquant son travail sur l’Angleterre [53].
24 La difficulté que s’emploie à résoudre la méthode de Brisson tient au fait qu’aucune carte n’indique de manière précise les reliefs dont la connaissance est pourtant indispensable à la définition du tracé des canaux. La méthode qu’il a mise au point lui permet de déduire cette conformation du terrain des indications fournies indirectement par la position des cours d’eau existants figurée sur des cartes réduites de Cassini. En tenant compte du cheminement naturel des eaux, il reconstitue reliefs et lignes de crêtes séparant les différents bassins hydrographiques qu’il s’agit de relier. Cette géomorphologie mentalement reconstituée du territoire lui permet de quadriller de manière quasi systématique l’espace national de nouvelles voies d’eau et de tracer une architecture optimale du réseau de canaux. De cette première esquisse du travail réalisé par Brisson, il ne reste malheureusement plus de trace [54]. Seule nous en est parvenue une version ultérieure dans laquelle cet ingénieur expose « un plan général et systématique, dans lequel toutes les communications navigables qu’il est utile et en même temps possible d’ouvrir, soient comprises et classées suivant leur importance », un plan par lequel sont désignées à l’examen des ingénieurs « les lignes suivant lesquelles des considérations générales donnent lieu de penser qu’il est possible de créer des navigations artificielles » [55].
25 Le tableau finalement proposé dans le Rapport au roi emprunte largement aux travaux réalisés par ces deux ingénieurs, sans en reprendre toutefois aucun exactement mais en les combinant. Des témoignages exprimés a posteriori permettent de se faire une idée plus précise de la nature de ces emprunts. En 1829, il est clair pour Dutens que son projet prévalut et eut la faveur de Becquey :
« Sur ma proposition et après avoir pris l’opinion de plusieurs inspecteurs-généraux et divisionnaires, M. le directeur-général des Ponts-et-Chaussées se décida à présenter, dans son rapport au Roi, du 4 août 1820, le tableau des différentes lignes dont se compose l’ensemble de la navigation intérieure de la France, lui donnant la préférence sur un autre projet qui lui avait été proposé et suivant lequel toutes ces lignes, se dirigeant comme d’un centre vers la circonférence, fussent parties de Paris pour se rendre aux différens points des frontières ».
27 De ce projet concurrent, qui n’est autre que celui de Brisson, il livre une critique sans concession qui lève au surplus le voile sur quelques-uns des présupposés ayant guidé la conception des systèmes proposés :
« Cette dernière co-ordination des lignes navigables, toute systématique, toute arbitraire, et uniquement imaginée à l’instar de celles des grandes routes pour la facilité des bureaux de l’administration, m’a paru autant en opposition avec les faits physiques qu’avec les faits moraux, avec les réalités géologiques et hydrographiques qu’avec les exigences commerciales et avec l’histoire des vues et des travaux qui ont occupé à la fois le Gouvernement et les particuliers pendant plusieurs siècles » [56].
29 Au contraire, pour l’ingénieur Duleau, qui se charge, à la fin de l’année 1828, d’achever l’édition des travaux de Brisson, interrompue par le décès brutal le 25 septembre de leur auteur, « les considérations neuves et fécondes qui en font la base, et les nombreux résultats que M. Brisson avait réunis, ont servi à M. le directeur général des Ponts et Chaussées pour la formation du tableau joint au Mémoire de 1820 sur la navigation intérieure de la France », précisant en note que Dutens « fut aussi consulté pour ce grand travail » [57]. Ces deux représentations d’une même réalité confirment le caractère collectif de la production de l’ouvrage attribué au seul Becquey. Elles suggèrent le rôle de chef d’orchestre mais aussi le travail de négociations et de définition d’un compromis effectué par l’administrateur, qui en définitive a retenu à la fois l’idée de considérer les lignes réunissant deux mers comme les artères principales du système et le principe des tracés de canaux « projetés que par aperçu, d’après l’appréciation des besoins du pays, la position des cours d’eau, et la conformation que les meilleures cartes assignent au terrain » [58]. Ces témoignages, qui font apparaître au surplus le rôle joué par d’autres ingénieurs, révèlent enfin les désaccords profonds qui divisent les deux principaux instigateurs du plan de canalisation. Ces désaccords qui touchent à la manière de concevoir l’aménagement du territoire montrent combien il peut être réducteur, et en même temps vain, de vouloir définir « une pensée » de l’ingénieur des Ponts et Chaussées en la matière.
30 Enfin, ce portrait de groupe des collaborateurs serait incomplet si l’on omettait de signaler la participation à la confection de la publication de 1820 d’un autre employé de la direction générale : le chef du dépôt des cartes et plans, l’ancien élève ingénieur-géographe Dubréna. Becquey a recours à ses compétences pour l’élaboration d’un fonds de carte, à l’échelle 1 : 1872000, et la traduction graphique du système navigable décrit par le tableau statistique. Dubréna dessine, ce faisant, le domaine public des eaux présent et futur, rassemblant au total 25178 kilomètres de voies d’eau, sur une carte gravée sur cuivre par Orgiazzi, attaché au dépôt général de la guerre.
31 L’analyse de la fabrique du Rapport au roi sur la navigation intérieure de la France montre ainsi la mobilisation et l’articulation de savoirsde provenance différente, développés en France ou importés d’Angleterre, mais fait aussi se rencontrer et mêle des savoirs de nature distincte : des savoirs administratifs sur la navigation intérieure [59], des savoirs économiques sur le transport par voie d’eau ou les partenariats financiers privés-publics pour la construction des infrastructures, des savoirs statistiques et cartographiques, enfin des savoirs de l’ingénieur, qui portent à la fois sur l’architecture hydraulique, l’art du devis et la science du tracé des canaux. En assemblant et solidarisant différents modes de représentation – le texte, les chiffres et la représentation figurée –, l’ouvrage publié traduit matériellement cette coalition de ressources cognitives. Ce document hybride rend compte d’un moment d’interactions, et constitue le lieu de convergence, de savoirs diversifiés mobilisés pour l’action publique.
Une nouvelle alliance entre l’administrateur et les ingénieurs
32 Il illustre aussi les relations particulières nouées sous la Restauration entre pouvoir administrativo-politique et savoirs iconoclastes des ingénieurs. Les savoirs portés par Dutens ou Brisson et mobilisés pour ce travail ont en effet pour point commun de ne pas seulement appartenir au socle traditionnel des connaissances partagées au sein de leur corps d’appartenance, mais d’avoir aussi été développés à leur marge et par des incursions sur d’autres territoires, celui de l’économie politique pour l’un, celui de la science géographique pour l’autre. Les travaux de préfiguration du système de voies d’eau élaborés par chacun d’eux ont fourni à l’administrateur des méthodes, des catégories d’analyse et des outils d’objectivation, mais aussi des instruments de légitimation de son projet d’aménagement du territoire. Disposés dans l’ouvrage après les textes, les tableaux de chiffres et la carte figurant les tracés des futurs canaux servent de substrat justificateur aux discours et viennent tacitement attester des études approfondies conduites par l’administration. Ces matériaux contribuent notamment à naturaliser l’idée d’un nécessaire développement tous azimuts des voies navigables sur le sol français. Armant l’action administrative, ce rassemblement de « faits positifs » sert aussi à convaincre de l’intérêt et du sérieux de ce plan d’aménagement du territoire. Les argumentaires politico-administratifs en faveur du programme de canaux s’appuient explicitement sur les savoirs des ingénieurs qui le cautionnent. « Il est bon et louable d’avoir embrassé la matière tout entière, de montrer tout ce que la nature et l’art nous fournissent de ressources, et le dernier terme de la perfection où peut arriver l’habileté des ingénieurs » [60], écrit Siméon. Par la juxtaposition des productions scripturaires du ministre, de l’administrateur et des ingénieurs, le Rapport au Roi donne une traduction matérielle au type nouveau de coopération qui s’est instauré entre eux. Il assemble et solidarise des productions scripturaires appartenant à des univers différents et dont les cheminements et destinataires étaient jusque-là distincts. Leurs différents auteurs s’en trouvent, eux aussi, rendus solidaires.
33 Le document publié constitue le signe tangible d’une alliance scellée entre l’administrateur et le corps des ponts et chaussées qui va bien au-delà de l’aide directe apportée à la confection du document par deux de ses membres. L’ultime paragraphe du texte de Becquey renseigne sur ce point :
« Je terminerai en faisant observer que la France a l’avantage unique de pouvoir charger de l’exécution de ces travaux un corps d’ingénieurs qui y portera cet esprit de suite et cette noble émulation qu’il serait difficile de rencontrer au même degré dans les autres États qui ne possèdent pas une semblable institution. La supériorité de connaissances des ingénieurs français est avouée en Europe ; et il appartient à celui qui, chaque jour, est le témoin de leurs efforts et de leurs succès, d’assurer à Votre Excellence qu’il n’y a rien de bien, rien d’utile et de vraiment patriotique, qu’on ne doive attendre des lumières, de la délicatesse et du dévouement de ces hommes distingués » [61].
35 Les ingénieurs des Ponts et Chaussées dont la mission était jusque là d’intervenir dans les travaux qui s’exécutent sur des ressources publiques pouvaient en effet légitimement craindre de se retrouver largement évincés de la réalisation du plan concocté. En les rassurant sur leur participation à la mise en œuvre du programme, l’administrateur lève les obstacles qu’aurait pu faire naître la défense de leurs intérêts particuliers et les autorise implicitement à travailler pour des compagnies privées. Il ne tarde pas, par ailleurs, à leur faire une place au sein même de l’administration centrale, ce qui était jusque-là inédit. S’il prenait l’avis des ingénieurs, parfois directement auprès des individus concernés, Napoléon Ier se gardait bien de leur déléguer trop de pouvoir ou d’octroyer à ces experts techniques des positions décisionnelles dans les rouages administratifs centraux, proches du gouvernement [62]. Leur collaboration avec Becquey donne un sérieux coup accélérateur aux carrières personnelles de Dutens et Brisson. Ils se voient récompenser par des promotions et proposer des fonctions très convoitées à Paris, qui leur permettent notamment les années suivantes de faire partie de la commission de pilotage et de suivi de l’exécution du plan de canaux [63]. Placée auprès du directeur général, cette commission officieuse est créée en août 1821 [64]. En font partie l’inspecteur général Tarbé de Vauxclairs, les inspecteurs divisionnaires Dutens et Bérigny et l’ingénieur en chef Brisson, l’ingénieur ordinaire Legrand en assurant le secrétariat. Le document publié en 1820 n’a cependant pas pour unique fonction d’exposer un projet auquel des ingénieurs ont et vont prêter main-forte : il est aussi le principal outil matériel de sa réalisation.
USAGES ET POUVOIRS DE LA PUBLICATION ADMINISTRATIVE
36 Contrairement à ce que son titre semble indiquer, l’ouvrage n’est pas uniquement destiné au roi. Imprimé aux frais de l’État, le Rapport au roi est largement diffusé par l’administration. À la différence des ouvrages édités par des libraires privés, il n’est pas en vente mais distribué gratuitement par la direction générale des ponts et chaussées à un ensemble de destinataires choisis. En faisant sortir des bureaux des documents qui jusque-là appartenaient la littérature grise de l’administration pour les mettre dans l’espace public, il s’agit pour cette dernière de montrer qu’elle est active, mais aussi de convaincre un certain nombre de destinataires de participer à la mise en œuvre du projet proposé. Cette publication sert ainsi d’une part d’instrument de médiation entre l’administration et différentes sphères sociales et d’autre part de levier et de ressort à l’action administrative. Les textes du ministre et de l’administrateur sont également rendus publics par le biais des organes officiels. Ils paraissent dans le Moniteur universel [65] et les Annales des mines reproduisent l’ensemble du document à l’exception de la carte [66].
Un instrument de médiation et un outil pour la réforme
37 Les destinataires de l’ouvrage renseignent sur les publics auxquels l’administration entend s’adresser prioritairement et sur les enjeux du recours à la publication. Deux espaces de diffusion sont privilégiés qui visent chacun un lectorat particulier. Le premier groupe est constitué par les hommes d’affaires, les banquiers et les propriétaires locaux, invités à solliciter des concessions pour entreprendre la construction de parties de ce programme de voies d’eau artificielles. Interlocuteurs habituels du ministre de l’Intérieur, les préfets reçoivent un exemplaire du Rapport au roi, non pas seulement comme destinataires finaux mais surtout comme relais départementaux de l’administration centrale. Ils sont invités en effet par Becquey à en faire imprimer de larges extraits dans un journal de leur département, afin de diffuser localement cet appel aux investisseurs et aux propriétaires [67]. L’ouvrage diffusé a pour double objectif de fournir un cadre aux initiatives privées et de les stimuler. Le gouverneur de la banque de France est, pour sa part, chargé de faire circuler des exemplaires du Rapport dans le milieu des financiers et de faire parvenir aux principaux concernés cet appel à la mobilisation de capitaux pour la mise en œuvre de la politique d’aménagement conçue par l’administration [68]. La distribution du document vise ainsi à enclencher une nouvelle dynamique, à orienter l’attitude des acteurs économiques et à conjuguer plus étroitement les efforts de l’État et les forces du marché. Quant aux informations de détails sur les dépenses de chacune des voies d’eau, elles permettent aux financiers de composer le bouquet d’affaires auxquelles ils pourront prétendre prendre part [69].
38 Destinée à reconfigurer les relations entre pouvoirs publics et investisseurs privés, la publication vise également à participer à la redéfinition des rapports entre l’administration et le Parlement, qui s’opère sous la Restauration. Un exemplaire du Rapport au roi est en effet adressé à l’ensemble des membres des Chambres [70]. Sous la Restauration, celles-ci n’ont pas encore l’initiative des lois, qui reste du ressort du roi, mais les votent. Cette distribution aux parlementaires s’inscrit ainsi dans le contexte des relations nouvelles instaurées entre les pouvoirs exécutif et législatif par la charte constitutionnelle de 1814. Elle est, pour l’administration, un moyen de trouver des relais supplémentaires pour faire connaître son projet, mais surtout de préparer le vote des lois de concessions et l’approbation de leurs modalités particulières. Dans l’enceinte de la Chambre des députés, l’ouvrage est remarqué, à en croire le biographe de Becquey :
« à l’époque où il fut mis au jour, le rapport […] était une œuvre d’un caractère tout nouveau, et la sensation qu’il produisit n’a rien qui doive surprendre. L’on n’avait encore vu, ni sous l’ancien ni sous le nouveau régime, l’administration exposer avec autant de savoir, d’intelligence et de grandeur, ses vues sur l’amélioration d’une des sources les plus fécondes de la richesse publique, ni appeler, avec cette franchise et cette confiance, les citoyens à lui venir en aide. Un progrès dans les usages du gouvernement constitutionnel s’était accompli » [71].
40 La publication de cet ouvrage, qui divulgue des informations détenues par l’administration et tenues jusque-là pour confidentielles, traduit ainsi concrètement le rôle qu’elle entend jouer auprès du pouvoir législatif dans une période où s’expérimente le parlementarisme.
41 Secondairement, le Rapport est également diffusé dans d’autres univers. Un exemplaire est adressé aux inspecteurs et ingénieurs en chef des Ponts et Chaussées, afin de les informer des projets en gestation. Des louanges plus ou moins appuyées à l’égard de Becquey et de son programme de travaux accompagnent les accusés de réception que les fonctionnaires sont habitués à rédiger en réponse aux circulaires. Une voix discordante se fait toutefois entendre, celle de l’inspecteur divisionnaire Bouessel. Ce dernier émet en effet des réserves importantes. À ses yeux, le plan directeur d’aménagement des voies d’eau exposé souffre d’omissions et même comporte quelques aberrations :
« Par exemple, on y donne au canal de Nantes à Brest un embranchement de Rohan sur Saint-Brieuc par la traverse de la haute chaine de montagnes d’aré : on pourra en faire la reconnaissance, mais jusqu’à présent, il n’est encore tombé dans l’esprit de personne d’étudier cette chaine sous le rapport du passage d’un canal » ;
43 mais surtout, il repose sur des principes discutables :
« La belle idée des grandes lignes de 1re classe à travers toute la France n’est pas à l’abri d’objections. Cette nomenclature ou classification est-elle d’accord avec les opérations du commerce intérieur ? Les principales expéditions de ce commerce ne sont-elles pas dirigées de tous les ports sur la capitale plutôt que d’une mer à l’autre ? N’y aurait-il pas plusieurs motifs de faire pivoter le système sur Paris ? La capitale et les grandes villes ne sont-elles pas plutôt des centres que des points de passage ? […] un établissement de navigation peut-il devenir l’objet des spéculations avant que l’agriculture et l’industrie aient des produits à mettre dans le commerce ? » [72]
45 Critiquant ainsi indirectement tout à la fois le travail de Brisson et celui de Dutens, cet inspecteur pointe aussi du doigt un programme défini de manière surplombante et en haut lieu, sans consultation des élites économiques locales et sans faire appel aux savoirs des ingénieurs de terrain.
46 On notera enfin que l’ouvrage est envoyé aux principales sociétés savantes. Ces dernières ne manquent pas de s’en faire l’écho. Tandis que la Société d’encouragement pour l’industrie nationale en livre un compte rendu dans son Bulletin [73], le vice-président de la Société royale et centrale d’agriculture, l’ingénieur des Mines Héricart de Thury, en fait imprimer un extrait [74], probablement pour le diffuser aux sociétés départementales que son association fédère. Ses promoteurs s’attendent à ce que, localement, le programme suscite l’intérêt : « ce vaste plan éveillera l’attention dans tous les départemens : chacun y verra ce que sa contrée et ses propriétés pourront acquérir de nouvelle valeur », expose le ministre Siméon. Instrument administratif de planification, le Rapport au Roi est ainsi destiné tout à la fois à éclairer l’opinion publique sur le projet gouvernemental, à convaincre les capitalistes français de participer à sa réalisation et à préparer les délibérations des assemblées législatives.
Les effets concrets de la diffusion du Rapport au roi
47 La distribution du document constitue le point de départ de la mise en œuvre du programme exposé et le principal instrument des réformes à engager. Elle a pour impact immédiat de permettre à l’administration d’identifier ses futurs partenaires. Le document sert, en outre, de base de discussions et de cadre de négociations entre les différentes parties prenantes de cette politique d’aménagement associant intervention de l’État et initiatives privées.
48 Ces débats et négociations débouchent sur le vote des lois des 5 août 1821 et 14 août 1822 qui, pour un coût total de 126 millions de francs, autorisent la construction de dix nouvelles voies d’eau artificielles s’étendant sur 2252 kilomètres [75]. Ces lois fixent également, au terme de débats animés, tant les conditions des emprunts consentis à l’État par les compagnies financières concessionnaires pour leur réalisation que les modalités de leur exploitation et de leur entretien. En échange de l’argent prêté, les banquiers obtiennent de percevoir des intérêts garantis par l’État pendant la durée des travaux, avant que les recettes de l’exploitation des canaux ne prennent le relais et servent à rembourser intérêts et amortissement du capital. L’emprunt remboursé, l’État et les compagnies concessionnaires doivent se partager le produit net des péages, ces dernières obtenant en outre un droit de regard sur la fixation des tarifs des droits de navigation. La durée des concessions est fixée à 99 ans. Dans cette formule inédite, mélange de concession et d’emprunt, l’État assume la plus grande part des risques. Quant aux canaux réalisés en vertu de ces lois, ils ne concrétisent qu’une petite fraction du programme initial et n’appartiennent pas tous aux lignes jugées prioritaires. Ils définissent un ensemble de voies d’eau artificielles passé à la postérité sous le nom de plan Becquey.
49 Avec le Rapport au roi, Becquey inaugure une nouvelle manière de faire qui non seulement transforme les relations de l’État avec les particuliers et définit des modalités inédites de concession mais bouleverse les pratiques administratives. Elle lui permet notamment de s’affranchir d’un certain nombre de procédures établies au fil du temps. Trois d’entre elles méritent d’être relevées. La première concerne l’étude préalable des projets approuvés par les Chambres. En cas de concessions de canaux, la procédure habituelle voulait que les projets proposés par des particuliers soient soumis à une approbation administrative requérant l’expertise du Conseil général des Ponts et Chaussées. Or ici, les projets sont conçus par l’administration. Mais ils n’ont pas pour autant suivi la procédure d’instruction des projets qui a habituellement cours. Ils n’ont ainsi été ni actualisés localement par l’ingénieur ordinaire au moyen d’études de terrain, ni validés par l’ingénieur en chef de département, ni approuvés par le Conseil général des Ponts et Chaussées. Court-circuitée au moment de l’établissement du programme de travaux, la haute assemblée du corps l’est également par la suite par la commission des canaux. C’était en effet jusque-là le rôle exclusif du conseil que d’assumer la fonction d’évaluation des projets de travaux et de formuler des avis sur les concessions dont se charge cette commission. La prestigieuse assemblée s’émeut par une pétition datée du 26 février 1822 du camouflet que lui inflige ainsi le directeur général. Outre le fait d’avoir été mis sur la touche, ce qui frappe les signataires de la pétition, ce sont les libertés prises par Becquey avec la sacro-sainte hiérarchie du corps et la façon dont il a bousculé les prérogatives attachées aux différents grades :
« Les membres soussignés du conseil des ponts et chaussées ont vu de plus une inconvenance trop marquée à ce que les projets d’un inspecteur général et d’un inspecteur divisionnaire fussent discutés, appréciés et jugés par l’ingénieur en chef, même par l’ingénieur ordinaire qui, quoiqu’étrangers au conseil, font partie de la commission » [76].
51 Brisson et Legrand sont ici directement visés. Conséquence probable de cette protestation collective, le premier est nommé le 1er mai 1822 secrétaire du Conseil général des Ponts et Chaussées : il ne pouvait plus dès lors être véritablement considéré comme un étranger à l’organisme. Plutôt que de réformer en profondeur cette institution, ou de mettre d’office à la retraite ses membres les plus rétifs à sa politique, Becquey choisit ainsi de la contourner. Enfin, il faut noter que les négociations intervenues avec les concessionnaires se sont effectuées dans le huis clos du cabinet de l’administrateur et que le choix des compagnies, présenté aux Chambres et validé par elles, s’est opéré dans une totale opacité, notamment sans aucune transparence des règles de concurrence. C’est en particulier l’offre faite par une compagnie associant les frères Rothschild à Laffite de prêter les 240 millions nécessaires à la réalisation de l’ensemble du programme qui est écartée [77], le gouvernement ne souhaitant pas, semble-t-il, se lier à un groupe bancaire trop puissant, de surcroît impliquant l’un des membres les plus éminents de l’opposition politique [78].
Une publication prolifique
52 Le Rapport au roi de 1820 engendre d’autres publications, qui s’inscrivent dans son prolongement et la dynamique qu’il a inaugurée. Ces imprimés peuvent être répartis en trois groupes. C’est d’abord une série de rapports annuels, publiés entre 1823 et 1829 et réalisés par la commission des canaux, qui rendent compte de la situation des travaux entrepris en vertu des deux lois [79]. Ces rapports répondent à l’engagement pris par l’administration de présenter aux Chambres un état d’avancement de la mise en œuvre du programme voté et participent à l’instauration d’un dialogue désormais régulier entre la direction générale des ponts et chaussées et les assemblées parlementaires.
53 Ce sont ensuite des publications qui montrent l’extension de la méthode testée avec les canaux. Le Rapport au roi sur la navigation intérieure de la France de 1820 fait en effet figure de prototype et de matrice conceptuelle et formelle pour d’autres documents qui paraissent les années suivantes et exposent de nouveaux systèmes conçus par la direction générale des Ponts et Chaussées. Il invente ainsi un genre littéraire au sein de la production administrative. Sa formule est d’abord appliquée au réseau des routes nationales et donne naissance en 1824 à la Statistique des routes royales de France [80]. La fabrique de cet ouvrage, également confectionné par l’imprimerie royale et attribué à Becquey, obéit en effet à des logiques similaires. On y retrouve le caractère hybride du document, associant discours, statistique et cartographie, mais aussi la référence à des voyages entrepris par des ingénieurs pour s’informer des pratiques anglaises et à des ouvrages publiés au retour [81], qui viennent à l’appui de la conception du programme national hiérarchisé de perfectionnement du réseau routier. À son tour, cet imprimé est destiné à faire connaître aux Chambres les montants des budgets nécessaires [82]. L’année suivante ce sont les phares qui font l’objet d’un rapport programmatique semblable à celui des canaux. Le Rapport contenant l’exposition du système adopté par la Commission des phares pour éclairer les côtes de France, reproduit par l’imprimerie royale, présente une hiérarchie de feux à édifier sur les côtes de France dont la localisation est fondée sur des principes issus de considérations scientifiques [83]. L’usage de l’imprimé comme moyen d’exposer et manière de conduire des politiques publiques d’aménagement du territoire national, reposant sur des principes présentés comme scientifiques et des informations supposées objectives, s’impose. Il marque aussi le désengagement financier d’un État dont les crédits se concentrent désormais sur la construction d’équipements qu’il juge prioritaires, le financement des infrastructures qualifiées de secondaires étant confié à des compagnies privées ou aux collectivités locales. La publication de systèmes programmatiques sectoriels est érigée en mode d’administration par une direction générale qui, raisonnant en suivant la logique de l’organisation de ses bureaux, fait largement l’impasse sur la coordination des infrastructures de transports.
54 Enfin, les travaux esquissés par les collaborateurs du Rapport au roi en 1820 sont développés et donnent naissance à leur tour à des publications, de nature à la fois personnelle et administrative. Les agents de l’administration centrale forgent de nouveaux outils pour l’action publique. Dès 1819, Becquey commande à Dubrena une mise à jour de la carte hydrographique, mais ce travail de longue haleine est loin d’être terminé l’année suivante. Cette Carte hydrographique de la France divisée en 21 grands bassins, avec l’indication de la partie flottable et navigable de chaque rivière, ainsi que le tracé des voies de navigation, tant exécutées qu’en construction, à l’échelle 1/500000e, est publiée en 1828 et ses douze feuilles mises en vente [84]. Ravinet poursuit de son côté des travaux visant à décrire de manière exhaustive et méthodique le domaine public des eaux et à en fixer les limites précises. Puisant notamment ses informations dans les projets conservés par l’administration, il publie en 1824, chez Bachelier, unDictionnaire hydrographique de la France contenant la description des rivières et canaux flottables et navigables dépendans du domaine public avec une carte et un tableau synoptique indiquant le système général de la navigation intérieure ; suivi de la collection complète des tarifs des droits de navigations, en deux volumes. Cet ensemble de « faits et résultats positifs » reçoit en 1823 le prix Montyon de statistique de l’Académie des sciences [85]. Poursuivant ses travaux de compilation, il fait paraître cinq ans plus tard un Code des ponts et chaussées et des mines [86], premier recueil imprimé de jurisprudence administrative du domaine. Dutens et Brisson ne sont pas en reste. Les fruits des études qu’ils mènent dans la continuité du travail embryonnaire réalisé pour le Rapport au roi paraissent également en 1829 [87].
55 Les années écoulées entre les premiers manuscrits et la parution ces deux livres rendent compte des temps nécessaires à l’accomplissement de travaux plus approfondis et à l’aboutissement d’entreprises éditoriales parsemées d’obstacles. Mais ce ne sont pas là les raisons uniques de leur parution cette année-là. À la fin des années 1820, contrairement à ce qui était initialement prévu, les travaux du plan Becquey sont loin d’être terminés. Dans le Rapport au roi sur la situation des canaux au 31 mars 1828, l’administrateur fait connaître aux Chambres la somme nécessaire à leur achèvement. Cette demande de rallonge budgétaire est astronomique et déclenche une véritable crise politique. Lors de la discussion annuelle du budget des ponts et chaussées, en juillet 1828, les critiques virulentes fusent alors de toutes parts contre l’administration des ponts et chaussées et ses ingénieurs. Sont dénoncées notamment les modalités de concession consenties par l’État et jugées trop avantageuses pour les financiers, mais est surtout incriminé le plan initial, fondé sur des études qui se révèlent superficielles et peu fiables, les évaluations et les délais de réalisation des travaux s’avérant largement sous-estimés. Parmi les députés prédomine le sentiment d’avoir été floués par une administration sûre d’elle-même et à laquelle ils avaient accordé leur confiance. Surtout les détracteurs fustigent l’élaboration d’un plan ayant décrété unilatéralement, et des bureaux parisiens, l’utilité publique de nouvelles voies d’eau sans égards pour les intérêts commerciaux locaux. Symbole du régime administratif mis en place, le Rapport au roi est cloué au pilori.
56 Les publications des ingénieurs prennent dans ce contexte un sens particulier. Elles apparaissent motivées aussi par le souci de répondre aux accusations portées à leur encontre et de défendre un corps que certains parlementaires menacent de supprimer mais aussi un administrateur vilipendé. Il n’est, à cet égard, pas anodin de remarquer que la publication posthume de l’ouvrage de Brisson a été organisée par Becquey, qui a su convaincre sa veuve de le faire paraître [88].
57 Mais cela ne suffit pas à sauver l’administrateur, qui, sous la pression du mécontentement, doit partir en mai 1830. Son départ referme la période de la publication de systèmes de la part de la direction des ponts et chaussées et met fin à l’expérimentation d’une manière inédite d’administrer les travaux publics. Le dénouement de la crise s’accompagne quant à lui d’un certain nombre de mesures nouvelles, parmi lesquelles on peut citer l’ordonnance royale du 12 mai 1829. Conséquence directe du tollé suscité par les dérives financières de l’exécution du plan Becquey, ce texte stipule que désormais tous les projets de travaux publics d’envergure s’exécutant en France seront soumis préalablement à une enquête publique locale, mettant ainsi fin, du moins dans l’esprit de ceux qui le réclamèrent [89], au monopole de fait qu’avaient jusque-là l’administration centrale et les ingénieurs d’apprécier l’intérêt général ou de dire l’utilité publique des infrastructures de transport.
Notes
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[1]
Marcel RONCAYOLO, « L’aménagement du territoire XVIIIe-XXe siècle », in Jacques REVEL (éd.), Histoire de la France, vol 1 : L’espace français, Paris, Seuil, 1989, p. 531.
-
[2]
Gwenaël NIERADZIK, « La construction du réseau de canaux français et son financement boursier (1821-1868) », in Georges GALLAIS-HAMONNO (éd.), Le marché financier français au XIXe siècle, vol. 2 : aspects quantitatifs des acteurs et des instruments à la Bourse de Paris, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 459-506 ; Reed G. GEIGER, Planning the French Canals : Bureaucracy, Politics, and Entreprise under the Restoration, Newark-Londres-Toronto, Associated University Presses, 1994 ; Antoine PICON, L’invention de l’ingénieur moderne, Paris, Presses de l’École nationale des ponts et chaussées, p. 333-337 ; Pierre PINON, « Des projets des Lumières aux réalisations de la Restauration », in ID. (éd.), Un canal… des canaux…, Paris, Picard/Caisse nationale des monuments historiques et des sites, 1986, p. 33-60.
-
[3]
Donald Francis MCKENZIE, La bibliographie et la sociologie des textes, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 1991.
-
[4]
Pierre KARILA-COHEN, « Les préfets ne sont pas des collègues. Retour sur une enquête », Genèses, 79, 2010, p. 116-134.
-
[5]
Sur cette capacité d’action des écrits, voir notamment Christian JOUHAUD, Dinah RIBARD et Nicolas SCHAPIRA, Histoire, Littérature, Témoignage, Paris, Gallimard, « Folio histoire », 2009, p. 9-21.
-
[6]
Roger CHARTIER (éd.), Les usages de l’imprimé, Paris, Fayard, 1987 ; C. JOUHAUD et Alain VIALA (éd.), De la publication. Entre Renaissance et Lumières, Paris, Fayard, 2002 ; Jack GOODY, Pouvoirs et savoirs de l’écrit, Paris, La Dispute, 2007.
-
[7]
La carte qui mesure 58,4 cm sur 57,4 cm est ramenée, par pliage, aux dimensions du livre, soit 18,6 cm sur 24,7 cm.
-
[8]
Rapport au roi sur la navigation intérieure de la France, Paris, Imprimerie royale, 1820, p. 1 et 5.
-
[9]
Voir Éric SZULMAN, « La navigation intérieure de Colbert à la Révolution : genèse d’une catégorie d’action publique et émergence de la notion de réseau », doctorat, Université Paris 1, 2011, sous la direction de Dominique Margairaz.
-
[10]
Rapport au roi…, op. cit, p. 20.
-
[11]
Ibidem, p. 2 et 5.
-
[12]
Ibid., p. 10.
-
[13]
L’usage de couleurs pour distinguer les voies d’eau existantes et projetées, ainsi que les voies d’eau naturelles et artificielles, n’est pas une innovation. La « Carte physique et hydrographique de la France, ou Carte figurative des navigations naturelles de ce Royaume, des navigations artificielles déjà existantes de celles dont l’establissement est ordonné et de celles qui sont désirables pour compléter le système général de la navigation intérieure », jointe au Système général, physique et économique des navigations naturelles et artificielles de l’intérieur de la France et de leur coordination avec les routes de terre de MARIVETZ en 1788 avait déjà recours à un semblable procédé.
-
[14]
Là encore, on retrouve une manière de faire déjà présente sur la Carte général des fleuves, des rivières et des principaux ruisseaux de France avec les canaux existants ou meme projettés. À l’usage de la navigation intérieure du Royaume, réalisée par l’ingénieur géographe du roi Dupain-Triel en 1781.
-
[15]
Rapport au roi…, op. cit, p. 17-18.
-
[16]
Arthur-Auguste BEUGNOT, Vie de Becquey, Paris, Firmin Didot frères, 1852.
-
[17]
Aurelian CRAIUTU, Le Centre introuvable : la pensée politique des doctrinaires sous la Restauration, Paris, Plon, 2006.
-
[18]
A.-A. BEUGNOT, Vie…, op. cit., p. 80.
-
[19]
Pierre-Simon GIRARD, Précis historique sur la navigation intérieure, Paris, Firmin Didot, 1818.
-
[20]
J.-B. SAY, Des canaux de navigation dans l’état actuel de la France, Paris, Chez Déterville, avril 1818, p. 8. Sur la diffusion des idées de Jean-Baptiste Say, notamment ses cours à l’Athénée à partir de 1815, voir Lucette LE VAN-LEMESLE, Le juste ou le riche. L’enseignement de l’économie politique 1815-1950, Paris, Comité pour l’Histoire Économique et Financière de la France, 2004, p. 47-71.
-
[21]
J.-B. SAY, De l’importance du port de la Villette, Paris, Chez Déterville, 1818, p. 371.
-
[22]
J.-B. SAY, Des canaux…, op. cit., p. 19. Sur la création du canal de l’Ourcq, voir Frédéric GRABER, Paris a besoin d’eau. Projet, dispute et délibération technique dans la France napoléonienne, Paris, CNRS Éditions, 2009.
-
[23]
Alexandre DE LABORDE, De l’esprit d’association dans tous les intérêts de la communauté, ou Essai sur le complément du bien-être et de la richesse en France par le complément des institutions, Paris, Gide fils, 1818.
-
[24]
« Opinion du M. le comte Berthollet sur le projet de loi relatif à la fixation du budgets des recettes de 1819 », in Chambre des Pairs, Impressions diverses, session de 1818, tome IV, Paris, Imprimerie de P. Didot, 1819, Impression n° 137, n. p.
-
[25]
Il fait référence au rapport présenté à la Convention par Marragon, au projet du ministre de l’Intérieur François de Neufchâteau ou au Mémoire historique sur la navigation intérieure de Raup-Baptestin imprimé en 1800. Pour une analyse de ces projets, voir Anne CONCHON, « Les transports intérieurs sous la Révolution : une politique de l’espace », Annales historiques de la Révolution française, 352, 2008-2, p. 5-28. Sur le projet du Directoire visant à coordonner l’élaboration de réseaux régionaux, voir Dominique MARGAIRAZ, François de Neufchâteau. Biographie intellectuelle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2005, p. 289 sq.
-
[26]
Notamment le travail de l’astronome DE LALANDE (Des canaux de navigation et spécialement du canal du Languedoc, Paris, Veuve Desaint, 1778) ou celui du baron DE MARIVETZ, qui rédige en collaboration avec GOUSSIER en 1788 Système général…, op. cit, ouvrage qui reprend et complète un texte publié huit ans plus tôt dans Physique du monde. Pour ces auteurs, il revient à l’État d’exécuter ce système global. Sur ces projets et tentatives d’Ancien Régime, voir É. SZULMAN, « La navigation… », thèse cit.
-
[27]
Sur la pensée des économiste libéraux, voir Francis DÉMIER, « Économistes libéraux et “services publics” dans la France du premier XIXe siècle », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 52-3, juillet-septembre 2005, p. 33-50.
-
[28]
Parmi les ingénieurs qui ont fait le voyage avant 1820, on peut citer l’ingénieur du Génie maritime Charles DUPIN. Ce dernier fait paraître dès 1818, en prélude à des publications plus conséquentes, Mémoires sur la marine et les ponts et chaussées de France et d’Angleterre, qui rassemble notamment ses écrits présentés à l’Académie des sciences. L’ouvrage est diffusé par Goeury, le libraire attitré des ingénieurs et de l’École des Ponts et Chaussées. Les ingénieurs des Ponts et Chaussées Girard et Joseph Cordier ont également traversé la Manche. J. CORDIER fait paraître en 1819 Histoire de la navigation intérieure, et particulièrement de celle de l’Angleterre et de la France ; suivie d’un recueil des actes, lois et ordonnances de concession rendus dans les deux royaumes, qui comprend une traduction de l’ouvrage anglais : John PHILLIPS, The General History of Inland Navigation ; Containing a Complete Account of the all Canals of the United Kingdom, Londres, Architectural library high Holborn, and C. and R. Baldwin, 1803. Le livre de Cordier, qui place en exergue une citation de la Richesse des nations d’Adam Smith, fait notamment l’objet d’une recension, le 17 juillet 1819, dans Le Censeur européen, organe de presse de l’opposition libérale, sous la plume d’Auguste Comte, et Girard en livre un compte rendu dans la toute récente Revue encyclopédique (novembre et décembre 1819).
-
[29]
Analyse raisonnée des principes fondamentaux de l’économie politique, Paris, Bachelier, 1804.
-
[30]
Circulaire de l’administration générale des ponts et chaussées et des mines aux préfets de département, n° 7, 12 août 1819.
-
[31]
Bibliothèque de l’Institut de France (désormais BIF). Papiers de la famille Dutens. Ms 2703, journal du 6 avril 1814 à août 1818. Il est difficile de dire si les deux hommes envisageaient déjà à cette époque un plan national ou si les « affaires » en question étaient seulement relatives au canal du Berry, dont Dutens s’occupait.
-
[32]
Joseph DUTENS, Mémoires sur les travaux publics de l’Angleterre, suivis d’un mémoire sur l’esprit d’association et sur les différens modes de concession, Paris, Imprimerie royale, 1819.
-
[33]
Circulaire n° 7 du 12 août 1819, p. 2. Propos soulignés par nous.
-
[34]
Un compte-rendu anonyme de l’ouvrage de Dutens paru dans une revue anglaise se moque de ces précautions introductives qui accompagnent son invitation à imiter ce qui se pratique outre-Manche : « Aware, however, (from the example of M. Dupin) that such a recommendation would not be well received without some preparatory sacrifice to the national vanity, the author assures them, in an Introduction of some length, that in arts and science the English are far inferior to the French… », Quaterly Review, 1820, p. 58-59.
-
[35]
Rapport au roi…, op. cit, p. 19. Sur l’histoire des concessions dans les travaux publics, ses usages et ses modalités, voir pour le XVIIIe siècle : Anne-Sophie CONDETTE-MARCANT, Bâtir une généralité : le droit des travaux publics dans la généralité d’Amiens au XVIIIe siècle, Paris, Comité pour l’Histoire Économique et Financière de la France, 2001 ; A. CONCHON, « Financer la construction des infrastructures de transport : la concession aux XVIIe et XVIIIe siècles », Entreprises et histoire, 38, juin 2005, p. 55-70 ; et, pour les voies navigables, É. SZULMAN, « La navigation… », op. cit. Pour une perspective de longue durée, voir Georges RIBEILL, « Les concessions de travaux publics : une vieille tradition française d’économie mixte » in N. MONTEL (éd.), Acteurs privés et acteurs : une histoire du partage des rôles, Paris, Centre de prospective et de veille scientifique, « Techniques, Territoires et Sociétés », juin 1994, 27, p. 11-19.
-
[36]
Présente sous l’Ancien Régime, la pratique de la concession a perduré durant l’Empire. Au début de la Restauration, les bassins du port du Havre ou les ponts de Bordeaux et Livourne sont également concédés. Mais c’est la formule d’association avec l’industrie privée expérimentée pour l’achèvement des canaux parisiens qui véritablement sert de banc d’essai au programme national.
-
[37]
Pour une première tentative, R. G. GEIGER, Planing…, op. cit.
-
[38]
Outre le secrétariat général et un dépôt des cartes et plans, cette direction administrative comprend cinq services : un bureau du personnel, une division du matériel et du contentieux des routes et des ponts, une division de la navigation intérieure, une division des mines et un bureau de la comptabilité. Chaque division regroupe plusieurs bureaux. Une organisation hiérarchique classe les employés du surnuméraire, au bas de l’échelle, au chef de division, au sommet, en passant par l’expéditionnaire, le rédacteur et le chef de bureau. Si certains ont fait des études de droit, la plupart de ces employés se sont formés sur le tas au travail administratif. Sous l’autorité du directeur sont également placés l’École royale des Ponts et Chaussées, où les élèves sortis de l’École polytechnique qui se destinent à entrer dans le corps d’ingénieurs éponyme complètent leur formation, et le Conseil général des Ponts et Chaussées, qui regroupe le haut de la hiérarchie, les inspecteurs, et formule des avis sur les projets de travaux.
-
[39]
Archives Nationales, Paris (désormais AN), F14 138591 et2.
-
[40]
AN, F14 138592. DUTENS, « État des dépenses à faire pour le perfectionnement de la navigation intérieure de la France », 5 avril 1820, 70 pages.
-
[41]
AN, F14 11401. Dossier personnel de Cheppe.
-
[42]
Le Moniteur universel, 27 septembre 1819, p. 1263-1264 ; 28 octobre 1819, p. 1387 et 4 janvier 1820, p. 14-15.
-
[43]
BIF, Ms 2703, journal d’août 1818 au 17 juin 1820, 12 février 1820. Mis à la retraite en 1815, l’ingénieur Sutil s’est occupé pendant quinze ans du canal de Bourgogne.
-
[44]
AN, LH/2272/74, dossier de Légion d’honneur de Ravinet.
-
[45]
AN, F14 22202. Dossier personnel de Dutens. Lettre à Becquey, 28 mars 1820 et « Note de dépenses relative à l’ouvrage sur la navigation intérieure du Royaume », 1821. J. DUTENS, Histoire de la navigation intérieure de la France avec une exposition des canaux à entreprendre pour en compléter le système, Paris, A. Sautelet, 1829, vol. 1, p. X.
-
[46]
Barnabé BRISSON, Essai sur le système général de navigation intérieure de la France, Paris, Carilian-Goeury, 1829, p. i.
-
[47]
Brisson se saisit de ce problème à l’issue d’un stage scolaire durant lequel il est employé au projet du canal de jonction du Rhône au Rhin. AN, F14 21821. Dossier personnel de Brisson. Lettre de Brisson à Crétet, 11 prairial an X (1er juin 1802). Il mène ce travail en collaboration avec un de ses camarades, décédé l’année suivante. Bibliothèque de l’École des ponts et chaussées (BEPC dans ce qui suit). Ms 2113. Dupuis-Torcy et Brisson, « Mémoire sur l’art de projeter les canaux », an X.
-
[48]
BEPC, Ms 2701. Ce manuscrit qui porte pour titre « Mémoire sur l’art de projeter les canaux de navigation de Brisson et Dupuis » semble être le texte lu par Dupuis à l’Académie des sciences et admis à paraître dans le recueil des travaux des savants étrangers.
-
[49]
Journal de l’École polytechnique, vol. 7, n° 14, 1808, p. 191-254.
-
[50]
AN, F14 138592. Lettre de Becquey à Brisson, 8 décembre 1819.
-
[51]
BIF. Ms 2703, journal d’août 1818 au 17 juin 1820, 3 janvier 1820.
-
[52]
Ibidem, 4 janvier 1820.
-
[53]
Ibid., 26 janvier 1820. Voir note 35.
-
[54]
AN, F14 138592. Lettre de Brisson à Becquey, 10 novembre 1819.
-
[55]
B. BRISSON, Essai…, op. cit., p. 3-4.
-
[56]
J. DUTENS, Histoire…, op. cit., p. vj-vij.
-
[57]
DULEAU, « avertissement de l’éditeur », in B. BRISSON, Essai…, op. cit., p. ij.
-
[58]
« Tableau de la navigation intérieure de la France. Observations préliminaires », in Rapport au roi…, op. cit., p. 27-30.
-
[59]
D. MARGAIRAZ, « L’invention d’une catégorie administrative : la navigation intérieure, XVIIIe-XIXe siècles », Bibliothèque de l’École des chartes, 166-1, janvier-juin 2008, p. 119-144.
-
[60]
Rapport au roi…, op. cit, p. 2.
-
[61]
Ibidem, p. 26.
-
[62]
Jean PETOT, Histoire de l’administration des Ponts et Chaussées, 1599-1815, Paris, Marcel Rivière et Cie, 1958, p. 405-435.
-
[63]
Dutens est promu inspecteur divisionnaire le 11 avril 1821. Brisson est nommé professeur à l’École des ponts et chaussées le 26 juillet 1820, puis inspecteur de l’établissement le 1er mai 1821.
-
[64]
AN, F14 7076.
-
[65]
Le Moniteur universel, 2 septembre 1820, p. 1213-1216.
-
[66]
Annales des mines, 1821, t. VI, p. 3-82.
-
[67]
AN, F14 7076. Commission des canaux.
-
[68]
AN, F14 138592. Lettre du gouverneur de la banque de France à Becquey, 30 août 1820.
-
[69]
Sur la co-construction des formes de la description statistique et des relations entre l’État et le marché, voir Alain DESROSIÈRES, « Historiciser l’action publique ; l’État, le marché et les statistiques », in Pascale LABORIER et Danny TROM (éd.), Historicités de l’action publique, Paris, PUF, 2003, p. 207-221.
-
[70]
Louis HÉRICART-FERRAND DE THURY, Rapport fait au nom de la commission centrale sur les quatre projets de lois relatifs à l’achèvement des canaux… (11 juin 1821), Paris, Imprimerie de Hacquart, 1821.
-
[71]
A.-A. BEUGNOT, Vie…, op. cit., p. 194.
-
[72]
AN, F14 138592. Lettre de Bouessel à Becquey, 15 février 1821.
-
[73]
JOMARD, « Analyse du Rapport sur la navigation intérieure de la France », Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, octobre 1820, p. 282-287.
-
[74]
Rapport au Roy sur la navigation intérieure de la France, par M. Becquey… Extrait par M. Héricart de Thury, Paris, Imprimerie de Mme Huzard, 1820.
-
[75]
Reed G. GEIGER, Planning…, op. cit., p. 15.
-
[76]
AN, F14 7076. Cette pétition est signée par les douze inspecteurs qui ne font pas partie de la commission des canaux.
-
[77]
AN, F14 138592. Lettre de Rothschild frères et Laffite, 7 février 1821.
-
[78]
Bertrand GILLE, La banque et le crédit en France de 1815 à 1848, Paris, PUF, 1959, p. 110.
-
[79]
Rapport au roi sur la situation des canaux au 31 mars 1823 [1824, 1825 ; 1826, 1827, 1828 et 1829], Paris, Imprimerie royale, 1823 [1824, 1825 ; 1826, 1827, 1828 et 1829].
-
[80]
Sur la nouveauté que représente cette statistique routière par rapport à celles qui l’ont précédée : Bernard LEPETIT, Chemins de terre et voies d’eau. Réseaux de transports. Organisation de l’espace, Paris, Éditions de l’EHESS, 1984.
-
[81]
Navier se rend en Angleterre en septembre 1821 puis en mars 1823. Il publie à son retour Rapport à M. Becquey, directeur général des ponts et chaussées et des mines, et mémoire sur les ponts suspendus, Paris, Imprimerie royale, 1823. Cordier effectue, quant à lui, un deuxième voyage, à ses frais comme le premier, de juillet à septembre 1822, pour y examiner le système d’entretien des routes et visiter les grands ouvrages en construction. À son retour, il fait paraître de nouvelles traductions : J. CORDIER, Essais sur la construction des routes, des ponts suspendus, des barrages, etc., extraits de divers ouvrages anglais, Lille, Reboux-Leroy, 1823.
-
[82]
Aux « Observations préliminaires », copieuse introduction rédigée par Becquey, succèdent des tableaux de chiffres, élaborés par l’ingénieur Legrand, évaluant, par département et par route, les dépenses nécessaires. Une carte confectionnée par Dubréna est jointe, qui figure les routes existantes, à terminer ou à ouvrir, renumérotées et divisées en trois classes.
-
[83]
Les phares ou feux sont répartis en trois ordres. Leurs caractéristiques physiques sont fonction de leur ordre. Le rapport souligne en outre l’importance des études menées par l’ingénieur Augustin Fresnel. Le document comprend un rapport, approuvé par la commission des phares présidée par Becquey le 20 mai 1825, un tableau de la distribution générale des feux sur les côtes de France et une carte, établie au dépôt des ponts et chaussées par Dubréna, sur laquelle sont indiquées la position et la nature des divers feux établis ou à établir. Les phares de 1er ordre y sont représentés en jaune, ceux de 2e ordre en violet et ceux de 3e ordre en rouge.
-
[84]
Cette actualisation du Tableau géographique de la navigation intérieure du territoire républicain français publié par Dupain-Triel en 1793 se fonde sur plusieurs documents figurés : une carte hydrographique de la France, à l’échelle de 1/500000e, commencée sous la direction de Prony, au bureau du cadastre, la carte de Cassini et les cartes hydrographiques départementales, mais aussi les plans particuliers établis par les ingénieurs pour des projets de canaux. TARBÉ DE VAUXCLAIRS, Dictionnaire des travaux publics, civils, militaires et maritimes, Paris, Chez Carilian-Goeury, 1835, p. 110-111.
-
[85]
Le volume qui concerne les droits de navigation permet la préparation d’un projet de loi tendant à les uniformiser présenté en 1824.
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[86]
Théodore RAVINET, Code des ponts et chaussées et des mines ou collection complète des lois, arrêtés, décrets, ordonnances, règlemens et circulaires concernant le service des ponts et chaussées et des mines, jusqu’au 1er janvier 1829, Paris, Carilian-Goeury, 1829, 3 vol.
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[87]
J. DUTENS, Histoire…, op. cit, et B. BRISSON, Essai…, op. cit.
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[88]
DULEAU, « Avertissement de l’éditeur », in B. BRISSON, Essai…, op. cit., p. i.
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[89]
Le texte de cette ordonnance est le fruit des travaux d’une commission administrativo-parlementaire nommée par le roi le 12 août 1828 pour tenter de trouver une issue à la crise financière et politique déclenchée par la demande de crédits supplémentaires. Menés dans un contexte marqué par la contestation de la centralisation, les travaux de cette commission des routes et des canaux s’étalent sur près d’une année. Sur ce contexte, voir Rudolf VON THADDEN, La centralisation contestée. L’administration napoléonienne, enjeu politique de la Restauration, 1814-1830 (1972), Arles, Actes Sud, 1989. Sur les débats à la Chambre des députés en juillet 1828, puis au sein de cette commission qui tente de réformer les modes de fonctionnement du « système des ponts et chaussées », voir N. MONTEL, « Une revue des savoirs d’État. De la genèse à la fabrique des Annales des ponts et chaussées au XIXe siècle », dossier d’habilitation à diriger des recherches, Université Paris 1, 2008, vol. 2, p. 46-57. Sur l’enquête publique au XIXe siècle et une analyse des écrits adressés aux pouvoirs en pareille circonstance : N. MONTEL, Faire le Grand Paris. Avis des habitants consultés en 1859, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, à paraître.