Notes
-
[1]
Ces derniers sont d’ailleurs bien connus au plan national et décrits par des études anciennes, en particulier par celles de Charles-Moïse BRIQUET (Associations et grèves des ouvriers papetiers en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, V. Giard et E. Brière, 1897) et d’Émile LEVASSEUR (Histoire des classes ouvrières et de l’industrie en France de 1789 à 1870, Paris, A. Rousseau, 1903). Des chercheurs poursuivent aujourd’hui des travaux portant sur les papeteries auvergnates ; parmi ces derniers, je voudrais ici remercier plus particulièrement Pierre Delaunay pour les renseignements qu’il a bien voulu me transmettre, Michel Boy pour ses indications bibliographiques et Jacques Ytournel pour m’avoir mis sur la piste de sources jusqu’alors inédites conservées aux archives municipales de Thiers. Enfin, soulignons l’importance du travail de recherche et de synthèse de Pierre-Claude REYNARD qui, après un premier livre (La papeterie auvergnate au XVIIIe siècle. Une prospérité fragile et stérile, New York, New York University, 1994), a édité plus récemment un ouvrage sur l’histoire des papeteries auvergnates à l’époque moderne tout en resituant ses travaux dans le cadre de l’importante production historiographique régionale : Histoire de papiers. La papeterie auvergnate et ses historiens, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2001.
-
[2]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op.cit., p. 163-180.
-
[3]
Ibidem, p. 180.
-
[4]
Ibid., p. 174.
-
[5]
Imputation commode analysée dans StevenL. KAPLAN, PhilippeMINARD (éd.), La France, malade du corporatisme ? XVIIIe-XXe siècles, Paris, Belin, 2004.
-
[6]
Daniel MARTIN, « Les ouvriers papetiers thiernois au XVIIIe siècle. Pratiques sociales et formes contestataires », in Dany HADJADJ (éd.), Le Pays de Thiers. Le regard et la mémoire, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2000, p. 365 et sq.
-
[7]
Ibid., p. 365.
-
[8]
À laquelle il fait allusion dans une de ses notes : Georges ROUCHON, « Grèves des ouvriers papetiers de Thiers au XVIIIe siècle », Revue d’Auvergne, 1885, t. II, p. 191.
-
[9]
Henri GAZEL, Les anciens ouvriers papetiers d’Auvergne, Clermont-Ferrand, [s.n.], 1910, p. 20.
-
[10]
Ibid., p. 18-19 ; Paul-Martin BONDOIS, « Notes sur les grandes industries thiernoises sous l’Ancien Régime », Revue d’Auvergne, 1932, tome 46, n° 249, p. 147.
-
[11]
H. GAZEL, Les anciens ouvriers papetiers, op. cit., p. 27-28.
-
[12]
P.-M. BONDOIS, « Notes sur les grandes industries thiernoises… », art. cit., p. 148.
-
[13]
H. GAZEL, Les anciens ouvriers papetiers d’Auvergne, op. cit., p. 20.
-
[14]
Jean-Louis BOITHIAS et Corinne MONDIN, Les moulins à papier et les anciens papetiers d’Auvergne, Nonette, CREER, 1981, p. 60.
-
[15]
BnF, mss.7455, Nouvelles acquisitions françaises, 1671 et André-Georges MANRY et Pierre CHAZAL, Chamalières, Chamalières, Les Amis du Vieux Chamalières, 1979, p. 119.
-
[16]
Robert ESTIER, Le temps des épreuves : papeteries et papetiers auvergnats au siècle des Lumières, fin XVIIe-fin XVIIIe siècle, Ambert, GRAHLF, 1997, p. 15-16 (d’après AD 63, 1 C 530).
-
[17]
Abel POITRINEAU, « Clair obscur auvergnat au siècle des Lumières », in A.-G. MANRY (éd.), Histoire de l’Auvergne, Toulouse, Privat, 1974, p. 359.
-
[18]
Archives Nationales, Paris (désormais AN), F12 659/A : rapport de l’inspecteur des manufactures, 1778.
-
[19]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op.cit., p. 103-108.
-
[20]
Les remarques et observations des réponses à l’enquête de l’an II viennent l’attester pour toutes les papeteries : voir les réponses dans AN F12 1482 à 1485. En Auvergne, les statistiques sont peu fiables, mais une approche critique permet de mettre en lumière la récession sensible de la production : M. BOY, Histoire de la papeterie livradoise, Ambert, GRAHLF, 1995, p. 163-170.
-
[21]
Ibid., p. 170-172 et p. 191.
-
[22]
A.-G. MANRY, « Un siècle somnolent (1800-1914) », in A.-G. MANRY (éd.), Histoire de l’Auvergne, op.cit., p. 396.
-
[23]
Elle regroupait les maîtres et les compagnons et était dirigée par un « baile » des compagnons et un « baile » des maîtres.
-
[24]
Elles consistaient essentiellement à prévoir les conditions d’entrée dans le métier de papetier, à exclure les ouvriers n’appartenant pas au corps local, à la définition des interdictions et des conditions de leur respect impératif.
-
[25]
La « rente » est la somme qu’un ouvrier chômeur perçoit, faute d’emploi, des compagnons et des maîtres en passant dans les moulins.
-
[26]
Synthèse rédigée à partir de la très abondante série C des Archives départementales du Puy-de-Dôme.
-
[27]
Jean NICOLAS, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale, 1661-1789, Paris, Seuil, 2002, p. 306-308.
-
[28]
Pour ce qui est des gestes de la papeterie traditionnelle, voir bibliographie dans Jean-Michel MINOVEZ, « Les moulins à papier de la partie occidentale des Pyrénées, vers 1770-vers 1815 », Moulins et meuniers dans les campagnes européennes (IXe-XVIIIe siècle), Actes des 21e Journées Internationales d’Histoire de Flaran, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2002, p. 167-191.
-
[29]
Archives départementales du Puy-de-Dôme (désormais AD 63), 1 C 527-528 : Grande coalition de 1772.
-
[30]
Ce pouvoir peut paraître redoutable puisque la procédure, secrète, écrite, inquisitoire, sans assistance d’un conseil ni audition de témoins à décharge, pouvait atteindre le second degré d’instruction ou « instruction à l’extraordinaire » ; elle laissait au juge la possibilité de recourir à la question préparatoire pour l’obtention des aveux.
-
[31]
Philippe MINARD, La fortune du colbertisme. État et industrie dans la France des Lumières, Paris, Fayard, 1998, p. 298.
-
[32]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op.cit., p. 171.
-
[33]
AD63, 1C 527-528 : Grande coalition de 1772.
-
[34]
AN, F12 2281, Dossier V-1 : Mémoire adressé à son excellence monseigneur de Sussi, ministre du commerce et des fabriques concernant les abus qu’exercent les ouvriers papetiers lesquels ils nomment loi du métier, par le sieur Serve fils de Chamalières (Puy-de-Dôme), s.d. [1812-1813], fol. 8.
-
[35]
AD 63, 1 C 496 et H. GAZEL, Les anciens ouvriers papetiers, op. cit., p. 242-245 et D. MARTIN, « Les ouvriers papetiers thiernois… », art.cit., p. 377-378.
-
[36]
AD63, 1C 496 : Coalition de 1732-1734.
-
[37]
H. GAZEL, Les anciens ouvriers papetiers d’Auvergne, op. cit., p. 245 et P.-M. BONDOIS, « Notes sur les grandes industries thiernoises… », art.cit., p. 145.
-
[38]
J. NICOLAS, La rébellion française..., op. cit., p. 292-293.
-
[39]
D’après les souvenirs de Cusson père : AN, F12, 2281 : Lettre d’Antoine Cusson adressée à monsieur Serve fils en la fabrique de son père, Chamalières par Clermont, s.d.
-
[40]
AD 63, 1 C 518 : Ordonnance de l’intendant La Michodière, 12 juillet 1754.
-
[41]
Ibid. : « Les ouvriers refusant d’obéir ou de continuer leur travail, s’attroupant ou se révoltant contre leur maître, l’insultant, seront poursuivis extraordinairement et pourront être décrétés de prise de corps sur simple plainte de leur maître, seront punis rigoureusement. »
-
[42]
R. ESTIER, Le temps des épreuves…, op.cit., p. 57.
-
[43]
AD63, 1C 522 : Coalition de 1767.
-
[44]
AD63, 1C 527-528 : Grande coalition de 1772.
-
[45]
H. GAZEL, Les anciens ouvriers papetiers, op.cit., p. 167.
-
[46]
AD63, 1C 540 : Coalition féminine de 1789.
-
[47]
D. MARTIN, « Les ouvriers papetiers thiernois… », art. cit., p. 379.
-
[48]
H. GAZEL, Les anciens ouvriers papetiers, op.cit., p. 261.
-
[49]
Ibid., p. 262.
-
[50]
Comme ailleurs en France. Voir à ce sujet : Leonard N. ROSENBAND, « Comparing combination acts : French and English papermaking in the age of Revolution », Social History, 29, 2004, p. 165-185.
-
[51]
Archives municipales de Thiers (désormais AM Thiers), A M, 1/302 : Proclamation du conseil général de la commune de Thiers, 21 brumaire de l’an II (10 novembre 1793).
-
[52]
AN, F12 2281 : Lettre de Noudier aîné à Serve fils aîné fabricant de papier à Chamalières près Clermont-Ferrand, La Forie près d’Ambert le 7 mars 1813.
-
[53]
AN, F12 2281 : Mémoire de Serve fils, supra cit. et Lettre d’Antoine Cusson adressée à monsieur Serve fils en la fabrique de son père, Chamalières par Clermont, s.d.
-
[54]
AN, F12 2281 : Lettre de Noudier aîné à Serve fils aîné fabricant de papier à Chamalières près Clermont-Ferrand, La Forie près d’Ambert le 7 mars 1813.
-
[55]
WilliamH. SEWELL, Gens de métier et révolutions. Le langage du travail de l’Ancien Régime à 1848 [1980], Paris, Aubier, 1983, p. 17-18.
-
[56]
Jacqueline LALOUETTE, « Les insaisissables corporations du premier XIXe siècle : enquête sur les usages d’un mot », in S. L. KAPLAN, P. MINARD (éd.), La France…, op. cit., p. 151 et sq.
-
[57]
Ibid., p. 149-150.
-
[58]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op.cit., p. 174.
-
[59]
AN, F12, 2281 : Mémoire de Serve fils, supra cit., fol.1.
-
[60]
Ph. MINARD, « Le métier sans institution : les lois d’Allarde-Le Chapelier de 1791 et leur impact au début du XIXe siècle », in S. L. KAPLAN, Ph. MINARD (éd.), La France…, op. cit., p. 83-84.
-
[61]
Alain PLESSIS (éd.), Naissance des libertés économiques : liberté du travail et liberté d’entreprendre. Le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier, leurs conséquences, 1791-fin XIXe siècle, Paris, Institut d’histoire de l’industrie, 1993.
-
[62]
Denis WORONOFF, Histoire de l’industrie en France du XVIe siècle à nos jours, Paris, Seuil, 1994, p. 199.
-
[63]
É. LEVASSEUR, Histoire des classes ouvrières…, op. cit., vol. 1, p. 55.
-
[64]
Les interdictions sont considérées comme des attentats à la propriété, les acteurs et meneurs devant être emprisonnés, la pratique des amendes entre ouvriers est punie d’une peine d’emprisonnement, les ouvriers peuvent se plaindre de leur patron mais avec interdiction de quitter le travail.
-
[65]
É. LEVASSEUR, Histoire des classes ouvrières…, op. cit., vol.1, p. 282.
-
[66]
Il est une combinaison du règlement de 1739, des lois Le Chapelier et du 23 nivôse an II. Des peines de prison viennent sanctionner systématiquement les acteurs et instigateurs de coalitions ou de cessations combinées de travail, aggravant les dispositions prises par le texte législatif de l’an II.
-
[67]
La coalition est punie d’un emprisonnement de un à trois mois, les meneurs de deux à cinq ans de prison assortis éventuellement d’une mise sous surveillance de la haute police.
-
[68]
Alain COTTEREAU, « Justice et injustice ordinaires sur les lieux de travail d’après les audiences prud’homales (1806-1866) », Le mouvement social, 141, octobre-décembre 1987, p. 25-60.
-
[69]
AN, F12 2281 : Mémoire de Serve fils, supra cit., fol.10.
-
[70]
Ibid., fol.5.
-
[71]
Louis ANDRÉ, Machines à papier. Innovation et transformations de l’industrie papetière en France, 1798-1860, Paris, Éditions de l’EHESS, 1996, p. 53.
-
[72]
Ph. MINARD, « Le métier sans institution… », art. cit., p. 88-95.
-
[73]
AN, F12 2281 : Mémoire de Serve fils, supra cit.
-
[74]
Ph. MINARD, La fortune du colbertisme…, op. cit., p. 299.
-
[75]
Ibid., p. 351.
-
[76]
Ibid., p. 353-354.
-
[77]
AN, F12 2281, fol.13.
-
[78]
P.-M. BONDOIS, « Notes sur les grandes industries thiernoises… », art. cit., p. 148.
-
[79]
Ph. MINARD, La fortune du colbertisme…, op. cit., p. 356-357.
-
[80]
AN, F12 2281 : Mémoire de Serve fils, fol.14.
-
[81]
Ibid., fol.14-16.
-
[82]
Note marginale sur le brouillon de la lettre : AN, F12 2281 : Lettre du ministre du Commerce et des Fabriques à Serve fils fabricant de papier à Chamalières près Clermont-Ferrand Puy-de-Dôme, le 14 mai 1813.
-
[83]
AN, F12 2281 : Lettre de Serve fils à son excellence monseigneur le comte de Sussi ministre des Manufactures et du Commerce, Paris, le 6 juin 1813.
-
[84]
AN, F12 2281 : Lettre de Bouchet fils aîné adressée à monsieur Serve en sa manufacture de papiers à Chamalières par Clermont, Thiers le 23 août 1812.
-
[85]
AN, F12 2281 : Lettre du ministre du Commerce et des Fabriques à Serve fils fabricant de papier à Chamalières, le 14 mai 1813, fol.3.
-
[86]
AN, F12 2281 : Lettre de Noudier aîné à Serve fils aîné fabricant de papier à Chamalières près Clermont-Ferrand, La Forie près d’Ambert le 7 mars 1813.
-
[87]
AN, F12 2281 : Lettre de Bouchet fils aîné adressée à monsieur Serve en sa manufacture de papiers à Chamalières par Clermont, Thiers le 23 août 1812.
-
[88]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op. cit., p. 178.
-
[89]
Le règlement de 1671 prévoyait déjà l’existence d’un certificat de démission. Celui de 1739 le renforce en l’accompagnant de mesures concernant la police des manufactures de papier.
-
[90]
AN, F12 2281 : Lettre de Bouchet fils aîné adressée à monsieur Serve en sa manufacture de papiers à Chamalières par Clermont, Thiers le 23 août 1812.
-
[91]
R. ESTIER, Le temps des épreuves…, op.cit., p. 56.
-
[92]
AN, F12 2281 : Mémoire de Serve fils, supra cit., fol. 9.
-
[93]
R. ESTIER, Le temps des épreuves…, op.cit., p. 57-58.
-
[94]
AD63, 1C 540 : L’affaire Hamont de 1789.
-
[95]
H. GAZEL, Les anciens ouvriers papetiers d’Auvergne, op. cit., p. 249.
-
[96]
AN, F12 2281 : Mémoire de Serve fils, supra cit., fol. 4 et 6.
-
[97]
J. LALOUETTE, « Les insaisissables corporations… », art. cit., p. 155-156.
-
[98]
AD63, 10 M 38 : Coalition féminine de 1823.<<
-
[99]
En 1866, elles perçoivent toujours un salaire trois fois inférieur à celui de leur mari, cf. J.-L. BOITHIAS et C. MONDIN, Les moulins à papier…, op. cit., p. 231.
-
[100]
J. NICOLAS, La rébellion française..., op. cit., p. 292.
-
[101]
AD63, 10 M 37 : Coalition de 1815.
-
[102]
AD63, 10 M 39 : Coalition de 1825.
-
[103]
AM Thiers, HS, O 180 : Coalition des ouvriers papetiers de Thiers, 1858.
-
[104]
Ici le maire fait notamment publier l’arrêt de fructidor an IV.
-
[105]
AM Thiers, HS, O 180 : Coalition des ouvriers papetiers de Thiers, 1858.
-
[106]
AM Thiers, HS, M 161: Conclusion du conflit de 1858, septembre 1858.
-
[107]
Ce qui est un phénomène général en France : Stéphane SIROT, La grève en France : une histoire sociale (XIXe-XXe siècle), Paris, Odile Jacob, 2002, p. 20-26.
-
[108]
Ibid., p. 25-26.
-
[109]
A.-G. MANRY et P. CHAZAL, Chamalières, op. cit., p. 125.
-
[110]
R. ESTIER, Le temps des épreuves…, op.cit., p. 65.
-
[111]
A.-G. MANRY et P. CHAZAL, Chamalières, op. cit., p. 124-125.
-
[112]
Ibid., p. 263.
-
[113]
Ibid., p. 285 et 336.
-
[114]
L. ANDRÉ, Machines à papier…, op.cit., p. 55-58, p. 63-66, p. 81 et sq.
-
[115]
Pierre LÉON, La naissance de la grande industrie en Dauphiné, fin du XVIIe siècle-1869, Paris, PUF, 1954 ; Marie-Hélène REYNAUD, Une histoire de papier. Les papeteries Canson et Montgolfier, Annonay, Musée des papeteries Canson et Montgolfier, 1989 et La papeterie ardéchoise, 400 ans de savoir-faire, Cahiers de Mémoire d’Ardèche et Temps présent, Cahier n° 19, 15 août 1988.
-
[116]
Leonard R. ROSENBAND, La fabrication du papier dans la France des Lumières. Les Montgolfier et leurs ouvriers, 1761-1805 [2000], Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005 ; Marie-Hélène REYNAUD, Les moulins à papier d’Annonay à l’ère pré-industrielle : les Montgolfier et Vidalon, Annonay, Éditions du Vivarais, 1981 ; AN, F12 2281 : Damnation des papeteries de la région de Rives en Dauphiné, 1813 ; J. NICOLAS, La rébellion française..., op. cit., p. 306-307 : AN, F12 1774 : Mémoires pour les papeteries, s.d. (v. 1771) et AN, F12 748/B : Dauphiné. Inspection des manufactures. Mémoire, s.l., s.d., (vers 1778).
-
[117]
L. ANDRÉ, Machines à papier…, op. cit., p. 39, 64, 92, 103 et 416.
-
[118]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op. cit., p. 243-261.
-
[119]
L. ANDRÉ, Machines à papier…, op. cit., p. 121, 131, 397, 416 et 427.
-
[120]
Charles DRAVAINE, Naoura : chronique d’un antique village papetier, Paris, éd. Bossard, 1927, p. 6-7.
-
[121]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op. cit., p. 200-208.
-
[122]
Louis APCHER, Les Dupuy de la Grandrive, Mémoires de l’Académie des Sciences Belles Lettres et Arts de Clermont-Ferrand, 1937.
-
[123]
R. ESTIER, Le temps des épreuves…, op.cit., p. 46.
-
[124]
J.-L. BOITHIAS et C. MONDIN, Les moulins à papier…, op. cit., p. 234.
-
[125]
R. ESTIER, Le temps des épreuves…, op.cit., p. 49.
-
[126]
Jacques CURIE a pu le démontrer pour une population contemporaine d’origine paysanne (Le devenir des travailleurs d’origine agricole : contribution à l’étude de la transformation des conduites de travail, Lille, Atelier de Reproduction des thèses, Université de Lille III, Paris, diffusion H. Champion, 1975). On pourra aussi se reporter à un ouvrage du même auteur élargissant la problématique aux autres secteurs d’activités. On exploitera en particulier la première partie portant sur les changements professionnels et la problématique de l’interstructuration : Jacques CURIE, Travail, personnalisation, changements sociaux : archives pour les histoires de la psychologie du travail, Toulouse, Octarès, 2000. On se réfèrera aussi au classique d’Alain TOURAINE et Orietta RAGAZZI : Les ouvriers d’origine agricole (1961), réédition, Paris, Éditions d’Aujourd’hui, 1975.
-
[127]
J. CURIE, Travail, personnalisation, changements sociaux…, op. cit., p. 23-56.
-
[128]
L. ROSENBAND, La fabrication du papier, op. cit., p. 193.
-
[129]
Réel ou rêvé : « [l’employé] s’occuperait à des menus travaux en attendant avec son maître les pluies bienfaitrices », ibidem, p. 209.
-
[130]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op.cit., p. 179.
-
[131]
La question, faute de travaux approfondis dans le domaine, reste toutefois ouverte. Il paraît souhaitable de l’examiner, en se défiant du modèle dominant, en réfléchissant à un fonctionnement à plusieurs niveaux, peu structuré, donc fortement sujet à des évolutions rapides dans le temps. Cela permettrait de saisir en quoi la pluriactivité jouait ou non un rôle important dans les petits moulins dès la période moderne.
-
[132]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op. cit., p. 175.
1 L’étude de la papeterie d’Auvergne n’est pas un objet neuf de recherche. Aux XIXe et XXe siècles, de nombreux auteurs se sont penchés sur son histoire. L’abondance relative des sources produites au moment des conflits de l’Ancien Régime [1], expression d’une forte organisation des ouvriers soucieux de défendre leurs usages, n’y est certainement pas étrangère [2]. L’idée générale prévalant est que le poids de l’État et l’insubordination ouvrière sont responsables du déclin des papeteries, dès le XVIIIe siècle. Les papeteries d’Auvergne se seraient donc éteintes du fait du corporatisme de l’État et des ouvriers auvergnats, comme si « l’interventionnisme de l’État [eut été] l’ennemi du dehors, [et] l’indiscipline ouvrière celui du dedans » [3]. La période qui débute avec la Révolution a été plus négligée et les études, lorsqu’elles concernent le XIXe siècle, s’arrêtent en 1825, date du dernier conflit supposé des papeteries auvergnates. Quant aux causes profondes du déclin, touchant aux conséquences des changements techniques, elles sont souvent éludées ou abordées superficiellement ; or les papeteries d’Auvergne ne connaissent pas l’industrialisation moderne et c’est au début du XIXe siècle qu’elles régressent, avant de sombrer dans la marginalité au moment où la révolution industrielle s’impose.
2 Un mémoire rédigé sous l’Empire par Pierre Serve, fabricant de papier à Chamalières, les lettres de plusieurs fabricants du Puy-de-Dôme qui l’accompagnent et d’autres sources inédites pour la période moderne et le début du XIXe siècle, conservées aux archives départementales du Puy-de-Dôme et aux archives municipales de Thiers, permettent d’envisager un approfondissement des recherches sur les papeteries de la basse Auvergne et sur l’organisation ouvrière dont « l’association occulte [a] souvent [été] dénoncée mais jamais documentée » [4]. Ces sources doivent aussi conduire à revisiter l’histoire des papeteries de cette région, pour discuter des jugements parfois hâtifs portés sur elles, pour établir une chronologie – à ce jour contradictoire et généralement erronée – des rythmes de l’activité productive, en lien avec l’activité clandestine des compagnons. En réfléchissant aux relations entre lutte des ouvriers pour conserver leurs usages et développement de l’industrie moderne, on replacera dans le temps l’organisation des compagnons tout en cherchant à établir si elle est un phénomène constant ou si elle « revit » à certaines périodes. Pour cela, il paraît indispensable de réfléchir aux mutations que la période révolutionnaire a pu provoquer, socialement et judiciairement, dans le fonctionnement des fabriques. On s’interrogera alors sur les liens entre extinction progressive de l’activité et fin de l’organisation et revendications ouvrières. Dans un contexte d’industrialisation des papeteries extérieures à l’Auvergne, on cherchera les causes économiques, techniques, culturelles et environnementales d’un échec souvent attribué abusivement aux seuls mouvements ouvriers.
LE DÉCLIN DU MONDE PAPETIER ET SES HISTORIENS
3 À lire les historiens qui se sont penchés sur les papeteries d’Auvergne, la responsabilité du déclin incomberait aux ouvriers et à l’État, comme si l’Auvergne était en quelque sorte « malade du corporatisme » [5]. Pour justifier leur discours, ils encombrent leurs écrits de jugements moraux et d’approches idéologiques qui côtoient des anachronismes, comme Daniel Martin a déjà pu le souligner [6]. Parmi les raisons d’une telle attitude, il y a le contexte dans lequel les historiens élaborent leur travail : on ne peut évacuer le fait qu’Henri Gazel rédige sa thèse de doctorat lors de l’agitation sociale des années 1906-1911 [7] ; de la même manière, lorsque Georges Rouchon publie son article qui traite de « la lutte entre les ouvriers et les patrons » à travers l’exemple des papeteries de Thiers – lutte dans laquelle il voit une des « maladies qui peuvent affecter l’organisme social » –, on ne peut le dissocier du contexte du vote de la loi du 21 mars 1884 sur la création des syndicats professionnels [8].
4 Pour certains de ces auteurs, le XVIIIe siècle aurait aussi été marqué par le déclin des papeteries d’Auvergne, la responsabilité incombant à l’insubordination ouvrière [9]. Mais c’est d’abord l’État qui est jugé responsable de tous les maux, par la création d’une taxe sur la fabrication du papier, à laquelle il ajoute des droits de douane, de péage et d’entrée qui deviennent exorbitants au début du XVIIIe siècle, au point que la papeterie, « entrav[ée] », n’aurait pu lutter contre la concurrence ou du moins aurait vu son développement limité [10]. Les successeurs de Colbert, poursuivant sa politique en l’« exagér[ant] […] [auraient] asserv[i] l’industrie et [l’aurait] enserr[ée] dans un étau de prescriptions ». L’industrie aurait périclité alors, pour ne se relever que vers 1750, grâce au « souffle libéral », la politique menée par Gournay « [dé]comprim[ant] » l’industrie qui aurait pu « respir[er] » et « reprendre un nouvel essor ». Mais tout aurait été remis en cause par la chute de Turgot en 1776, qui aurait ramené aux « anciens errements » et à « la décadence » par une « préjudiciable réaction » [11]. De son côté, Paul-Martin Bondois, moins soucieux qu’Henri Gazel de marquer les bienfaits du libéralisme et les méfaits de l’interventionnisme étatique, situe le début du déclin en 1745, date de la mise en place d’un nouveau règlement. Dans les années qui suivent, ce déclin s’accentue, le nouveau tarif de 1771 portant « un coup mortel » à la papeterie de Thiers, tous les palliatifs ne permettant pas de la relever [12]. Henri Gazel fait aussi état des effets négatifs de la mesure, – prise pourtant en pleine phase libérale – qui projette de nouveau les fabriques dans la « décadence », contredisant ainsi la chronologie qu’il a établie [13]. S’appuyant en partie sur ces travaux, Jean-Louis Boithias et Corinne Mondin concluent aussi à la « sénescence » des papeteries qui ne serait pas loin d’être atteinte dès 1769 [14]. Le Moyen Âge et le début de l’époque moderne auraient alors été des temps heureux au cours desquels l’activité se serait développée dans l’harmonie, avant que les mesures de Colbert ne viennent l’entraver, provoquant une chute progressive, aggravée par l’indiscipline ouvrière.
5 Les quelques statistiques dont on dispose pour la période viennent infirmer le portrait bien noir tracé par ces auteurs. Il est possible que l’Auvergne ait atteint un apogée de l’activité papetière dans les années 1660-1670, au cours desquelles elle comptait 81 moulins papetiers (dont 71 actifs) pour 151 cuves, 122 étant en fonction [15]. Dans le siècle suivant, l’activité est bien loin de péricliter, puisqu’en 1772, les deux plus grands centres comptaient à eux seuls 62 moulins et 104 cuves : Ambert 41 moulins pour 68 cuves, Thiers 21 moulins pour 36 cuves [16]. En 1770, le commerce de la papeterie d’Auvergne porte sur 1400 tonnes de papier, pour un million de livres tournois environ [17]. En 1778, la province d’Auvergne restait la première en France dans la production papetière, pour un total de 1,2 M. de livres [18]. Le Livradois connaît même une véritable période de prospérité des années 1760 à la Révolution, atteignant ses maxima de fabrication [19]. Comme partout ailleurs, la période révolutionnaire a provoqué une réduction temporaire de la production [20]. Toutefois, dès l’Empire, elle repart à la hausse. Des moulins en sommeil voient de nouveau tourner leurs roues. On assiste même, à cette époque et sous la Restauration, à l’établissement de nouvelles papeteries [21]. Mais, dès les années 1820, les difficultés structurelles se font sentir et les papeteries entament un déclin lent et continu : en 1825 le nombre des cuves n’est plus que de 45, en 1834 il chute à 25 [22]. L’activité s’éteint ensuite lentement ou demeure marginale dans un cadre artisanal. Les papeteries ne périclitent donc pas durant la phase de développement de la réglementation étatique mais bien en pleine période de croissance du libéralisme économique. Aussi la tentation est-elle forte d’attribuer la responsabilité du déclin à la permanence de l’organisation ouvrière.
PERMANENCE DE L’ORGANISATION OUVRIÈRE (XVIII e SIÈCLE-1815)
6 Jusqu’en 1731, il existait un « corps des papetiers », en charge théoriquement des règlements professionnels, regroupant maîtres et compagnons et une « frérie » responsable en principe du cérémonial et des offices [23]. En pratique, les deux structures étaient fortement imbriquées. Après 1734, les conflits avec le clergé et la montée des tensions entre maîtres et compagnons aboutirent à l’éviction des ouvriers de la « frérie ». Ces derniers n’abandonnèrent pas pour autant l’idée de se regrouper et formèrent des assemblées clandestines dans le but de maintenir les « coutumes » particulières [24]. Elles consistaient à percevoir diverses taxes au moment des fêtes ainsi que « le droit d’apprentissage », à décider et prélever les amendes, enfin, à garantir le paiement de la « rente » [25]. Le non-respect des « coutumes » ou « lois du métier » entraînait systématiquement une mise à l’« amende » et dans les cas les plus graves le « bannissement » du métier. Quant aux maîtres, en dehors de la mise à l’« amende », ils risquaient, au mieux, de subir une « désertion » de leur manufacture, au pire, de la voir « interdite » par une « damnation » ou une « proscription » qui provoquaient le départ de l’ensemble des ouvriers et conduisaient à fermer la fabrique [26]. Loin d’être une spécificité auvergnate, ces pratiques s’observaient dans presque toutes les régions papetières ; elles étaient notamment très présentes dans le Sud-Est [27].
7 Elles étaient favorisées par la permanence technique dans la fabrication du papier depuis le Moyen Âge, qui rend le maître très dépendant de l’agitation ouvrière [28]. Cela est particulièrement sensible dans la gestion des matières premières au « pourrissoir » ; du fait d’une présence trop longue, une grande partie des chiffons devient impropre à la réduction en pâte et doit être jetée comme simple déchet. La perte est alors d’importance, car le prix de la matière première est élevé. Aussi, lorsque les ouvriers cessent le travail dans un moulin, le maître voit inévitablement tout ou partie des chiffons perdus : dans le cas d’une « damnation », la totalité devient inutilisable, dans le cas d’une « désertion », le fait que le fabricant ait en permanence de la matière à des stades différents de pourrissage provoque la destruction d’une partie de la préparation qui est d’autant plus importante que le conflit s’étend au-delà de quelques jours. Les difficultés tiennent aussi au contrôle des ouvriers de la cuve. En effet, lorsque la pâte sort du moulin, elle est mise dans la « cuve à ouvrer ». À ce stade, l’« ouvreur » – ou « ouvrier » ou encore « plongeur » – confectionne les feuilles de papier sur une forme. Dès que le couple « ouvreur/coucheur » est rompu, la fabrication devient impossible. Il suffit donc de la défection d’un seul, pour que toute une cuve soit arrêtée. Cela provoque la perte de la pâte en cuve et au moulin, ainsi que l’accroissement des déchets au pourrissoir du fait de l’excès de fermentation d’une matière qui ne peut être consommée à temps.
8 Les actions concertées étaient constantes, et les plus visibles, représentées par les arrêts de travail, ont été relativement régulières entre 1688 et le début des années 1730. Mais deux affaires en 1732/1733 auraient été à l’origine d’une interruption de quarante ans de l’action ouvrière, jusqu’à la grande coalition de 1772 [29]. L’application de la procédure judiciaire « extraordinaire » à la première, la répression du conflit qui suivit y auraient joué un rôle déterminant. Selon le subdélégué de Thiers, la nature de la sanction de 1734 aurait provoqué ce changement. Pour saisir une mutation dans les pratiques et attester la véracité des conclusions du commis, il faut revenir sur ces deux affaires en rappelant les organisations de police et de justice desquelles ressortaient les papeteries et en appréhendant la portée supposée des sanctions.
9 Sous l’Ancien Régime, l’imbroglio judiciaire rend souvent difficile la compréhension des ressorts desquels les justiciables dépendent. Pour ce qui concerne la papeterie auvergnate, les choses paraissent pourtant moins complexes qu’il n’y paraît au premier abord. Oubliées par le règlement de 1671, les affaires de police des papeteries relèvent, jusqu’en 1739, des officiers nommés juges ordinaires par les seigneurs : c’est le cas pour le bailliage d’Ambert, les châtellenies de Thiers, de Chamalières et de Saint-Amant-Tallende, correspondant aux ressorts judiciaires des moulins à papier de basse Auvergne. Elles ressortent aussi de l’intendant qui, de par ses attributions générales, pouvait intervenir en matière de police des manufactures. En effet, l’arrêt du Conseil du roi du 27 janvier 1739 créant une réglementation particulière pour les papeteries modifie sensiblement l’organisation judiciaire. Les juges locaux perdent tous les droits de juridiction sur les fabricants et ouvriers du papier, pris en cette qualité. La totalité de leurs compétences en la matière est transférée, comme partout ailleurs, à l’intendant qui a dorénavant en charge « toutes les contraventions nées ou à naître » portant sur la fabrication du papier et la police des papeteries. Dès lors, l’intendant devient la seule juridiction en matière de police à laquelle s’ajoute, de par ses attributions générales, un pouvoir de justice qui peut s’exercer au « grand criminel », au premier et au second degré [30].
10 Or sous l’Ancien Régime, les inspecteurs des manufactures et les gardes-jurés étaient impliqués dans la police des papeteries. Ils rédigeaient les procès-verbaux des infractions constatées. Dans leur département, les inspecteurs ont notamment pour fonction de « réformer les abus » et de faire respecter les « lois de police » des manufactures dans un contexte où les entrepreneurs sont de plus en plus soucieux de voir passer le rôle des commis de l’État d’une « police des marchés » à « une police du travail et des travailleurs » [31] ; c’est bien cela que les fabricants auvergnats réclament en 1771 [32]. Au niveau local, les gardes-jurés de la corporation jouaient le rôle essentiel dans ce domaine. Leurs rapports servaient de base à la justice locale ou à la justice provinciale. Ils permettaient la constitution de la preuve ; lors de la coalition de 1772 à Thiers, les gardes-jurés établirent l’absence totale des ouvriers suite à leur visite des moulins du 25 juin, et en rendirent compte à l’intendant [33]. L’établissement de la preuve pouvait ensuite fournir de base à une poursuite judiciaire ; ainsi, en 1770, les ouvriers de la vallée de Thiers cherchèrent à rétablir les « proscriptions » qui pesaient sur les ouvriers non originaires du lieu. L’intendant fit arrêter et punir les « mutins » en prenant appui sur les procès-verbaux des inspecteurs et gardes-jurés dressés à cette occasion [34]. La procédure, déroulée secrètement comme le prévoit l’ordonnance criminelle de 1670, ne fait pas état de l’intervention des maîtres, même s’ils ont été à l’origine des plaintes.
11 La plupart du temps, les procédures engagées sont les plus simples et les peines, lorsqu’elles sont prononcées et appliquées, ne concernent que peu d’ouvriers et sont légères ; ainsi, l’« instruction à l’extraordinaire » n’a été mise en œuvre que deux fois par les intendants, en 1688 et en 1733, sans que jamais la question n’ait été appliquée. L’affaire de 1733 trouve son origine le 15 décembre 1732, lorsque Guillaume Veillon, « baile » des compagnons de la vallée met « la main au collet » du sieur Cusson, son maître, fabricant à Thiers. L’intendant Charles-Daniel Trudaine déclenche alors la procédure de « grand criminel ». Utilisant tout l’appareil judiciaire possible, il cherche à intimider les ouvriers papetiers. Par jugement souverain et en dernier ressort, il condamne Veillon à 200 livres d’amende et l’élargit de prison, contrairement aux réquisitions du procureur [35]. Par une autre ordonnance, il destitue le condamné de ses fonctions de « baile » et interdit définitivement les « bailes » des compagnons. Cette décision, avec l’arrêt des messes à l’autel de Sainte-Croix les dimanches et fêtes solennelles, est invoquée comme raison de la cessation de travail dans tous les moulins le 27 juin 1734. Le subdélégué de Merville est alors chargé par l’intendant d’une enquête et interroge maîtres et ouvriers. Comme tous les ouvriers sont coupables et qu’il est impossible de tous les condamner, il tente, sans succès, d’identifier les chefs du mouvement. Face à cet échec, Trudaine ordonne aux compagnons de reprendre le travail sous peine de perdre tous leurs privilèges et d’être poursuivis « extraordinairement » comme rebelles. Les ouvriers restant fermes sur leurs positions, l’intendant condamne les plus riches des mutins à payer une amende de 100 livres qu’il attribue à la confrérie pour remplacer les droits supprimés. La « désertion » des manufactures semble alors prendre fin au bout de vingt jours [36]. Les sanctions ne sont pas négligeables : rapportées au revenu des ouvriers, elles sont même financièrement lourdes. Toutefois, et quelle que soit la procédure engagée, contradictoirement elles paraissent peu élevées – eu égard aux peines encourues pour de tels actes – et ne portent que sur un nombre très limité d’ouvriers. On peut douter alors de leur valeur dissuasive. En outre, la disparition de la procédure « à l’extraordinaire », lourde à mettre en œuvre, ne s’explique-t-elle pas aussi par une prudence, voire un recul du pouvoir, face à des ouvriers qui restent organisés et continuent leurs pratiques [37] ? En d’autres termes, les sanctions prononcées par l’intendant ont-elles permis de retrouver le calme ou révèlent-elles au contraire la permanence de conflits que l’on ne sait pas juguler ?
12 L’existence de sources peu ou pas exploitées – inédites ou non – pour la période considérée permet de nuancer l’hypothèse d’une perte de combativité ouvrière après cette date et ce jusqu’aux années 1770, dans un contexte national de croissance sensible des émotions ouvrières [38]. En effet, dès 1753, les ouvriers de Thiers tentent d’imposer à leur profit une taxe d’apprentissage de 10 écus. À cette fin, ils se révoltent et désertent les ateliers. Le calme n’est rétabli qu’après intervention de l’intendant La Michodière [39] qui interdit de nouveau la perception des droits d’apprentissage et toutes les taxes que les ouvriers imposent aux leurs lors des moments importants de leur vie personnelle ou professionnelle [40]. L’ordonnance, par sa vigueur et les faits dénoncés, atteste de la poursuite de l’agitation ouvrière ; elle rappelle celle de Trudaine prise le 1er septembre 1732 et laisse penser à la persistance d’associations de papetiers, de cessations de travail, d’insultes et même de révoltes au point que l’intendant prévoit explicitement comme sanction la poursuite au « grand criminel » réglée à l’« extraordinaire » [41]. Deux ans plus tard, en 1756, Vimal de la Boissonie, fabricant d’Ambert, porte plainte contre un papetier de Thiers qui a débauché un de ses ouvriers ; l’intendant donne alors ordre d’arrêter le compagnon. Pourtant le subdélégué chargé de l’exécution renonce à l’appliquer, convaincu que les ouvriers ne manqueraient pas de cesser le travail [42]. Surviennent ensuite une série de conflits plus connus. En 1767, une « désertion » voit le jour lorsque les patrons de Thiers substituent un accroissement de gages de 30 sols par mois à la fourniture du vin [43]. En 1772 éclate la coalition la plus importante de la basse Auvergne sous l’Ancien Régime, sur le refus des ouvriers de commencer leur journée plus tardivement [44]. En 1782, un mouvement masculin éclate [45], avant la très vigoureuse cessation féminine de travail de 1789 [46]. Ces quelques exemples montrent qu’il faut rester prudent quant à la perte supposée de combativité ouvrière à la fin de l’Ancien Régime, en particulier entre 1734 et 1772 dont on a vu que les archives la concernant permettaient de mettre en lumière trois conflits. En outre, le caractère spectaculaire des coalitions du XVIIIe siècle et la richesse de la sous-série 1C des archives du Puy-de-Dôme ont conduit les historiens à focaliser leur attention sur quelques événements marquants du dernier siècle de l’Ancien Régime, mais ils ne peuvent résumer à eux seuls le niveau de combativité et d’organisation ouvrière. Or, on a négligé la continuité d’une organisation qui faisait constamment pression sur les fabricants et les autorités, même si aucune coalition n’est mentionnée dans les sources.
13 Cette observation, valable pour le XVIIIe siècle, est-elle applicable à la période révolutionnaire et impériale ? Pour Daniel Martin, les archives resteraient muettes pendant plusieurs décennies, ne permettant pas de percevoir une action particulière des papetiers [47]. Henri Gazel, quant à lui, ne trouve qu’un document entre 1791 et 1815 : il date de 1811. Si l’auteur note, encore à cette époque, la présence d’une association entre ouvriers, il relève dans les sources qu’elle « paraît rompue à jamais » [48] ; cela le conduit à conclure que « les guerres, la décadence des papeteries l’ont momentanément affaiblie ou dissoute » et à dater sa renaissance de 1815, en fondant son discours sur la reprise des conflits avec la coalition débutée en février de cette même année [49]. Pourtant, l’organisation ouvrière n’a jamais cessé et les « proscriptions » et « damnations » se sont poursuivies [50]. À Thiers, les ouvriers papetiers ont continué d’être organisés et la municipalité les a réunis en mars 1793 pour leur enjoindre de renoncer à leur « corporation ». Après avoir fait mine d’obtempérer, ils maintiennent leur pratique. Le 20 brumaire de l’an II (10 novembre 1793), la société populaire de Thiers dénonce alors les abus qui se commettent dans les fabriques à papier « au mépris de la loi » et invite la municipalité à rédiger une proclamation pour les faire cesser. Le 21 brumaire, le conseil général de la commune fait alors placarder une proclamation condamnant les agissements des papetiers et les menace de toute la rigueur de la loi [51]. Environ dix-huit ans plus tard, vers 1811, deux affaires au moins font état de coalitions. La première, qui ne débouche pas sur un conflit dur, se produit au moulin de la Forie, près d’Ambert, où les ouvriers de Noudier s’assemblent pour refuser l’emploi de compagnons d’origine paysanne [52]. À Thiers, un conflit plus important éclate entre l’association des papetiers et le sieur Guillemot Malmenaide, entrepreneur de papier carte. Ce dernier convient avec ses ouvriers d’augmenter la production quotidienne en passant à 10 rames par jour. L’ayant appris, les travailleurs des autres manufactures mettent à l’amende ceux de Guillemot pour infraction aux usages établis. Le travail étant interrompu, l’entrepreneur rappelle ses ouvriers pour décider la reprise du travail sur la base d’une diminution de la production établie à 8 rames et 14 mains par jour. Mais les papetiers, ayant arrêté que la fabrication ne devait pas excéder 7 rames et 15 mains quotidiennes, taxent les travailleurs de Guillemot à hauteur de 30 F et les menacent d’une amende de 300 F et du « bannissement » du métier s’ils n’abandonnent pas leur atelier. Les ouvriers désertent alors le moulin et l’entreprise est toujours arrêtée plus d’un an après ; aucun travailleur ne s’y présente car Guillemot ne s’est pas « racheté » et n’a pas admis de laisser la journée à 7 rames et 15 mains [53]. À peu près au même moment, Noudier, maître du moulin de La Forie à Ambert, confirme la constance des « damnations » et des « proscriptions », comme d’autres maîtres. Toutefois, en 1813, aucune fabrique n’en souffre dans son arrondissement. En revanche, les papeteries voisines du Dauphiné sont presque toutes arrêtées. Des maîtres ayant souhaité adopter les usages d’Annonay, l’association des ouvriers a décidé la « damnation » des fabriques, menaçant d’une amende de 200 F les ouvriers qui y travailleraient et de 150 F ceux qui viendraient y lever leur « rente ». Sur les 16 établissements possédant un total de 24 cuves, 12 moulins (75 % , représentant 20 cuves, 83 %) sont « damnés » [54].
14 La période révolutionnaire n’a donc pas fait revivre les amendes et les interdictions de manufactures « entre les ouvriers contre leurs maîtres » qui n’avaient en fait pas cessé ; pas plus que les procédures de 1733/1734 n’avaient mis fin durant quatre décennies à ces pratiques ouvrières. Elles s’inscrivent, on l’a vu, dans une continuité de pratiques de solidarité héritées de l’Ancien Régime. Elles ne marquent pas pour autant « la survivance des notions corporatives de l’Ancien Régime » sous la Révolution et dans la première moitié du XIXe siècle, comme William Sewell l’avait souligné [55]. En effet, les objectifs des ouvriers auvergnats restent limités à la conservation de leurs usages. Cela les distingue nettement de ceux qui appartiennent à une « corporation ouvrière », au sens XIXe siècle du terme [56], dont les objectifs sont nettement plus politiques [57]. Doit-on considérer cependant, à l’instar de Pierre-Claude Reynard, qu’en Auvergne, il n’y a « point de lutte des classes, mais une défense de privilèges » qui exploite les faiblesses inhérentes à la structure traditionnelle des papeteries [58] ? De la même manière, faut-il penser que les perturbations provoquées par la Révolution ont « facilité les ouvriers dans leurs dess[e]ins » [59] ?
LA PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE, FACILITATRICE DES « DESSEINS OUVRIERS » ?
15 La « désincorporation » des métiers a incontestablement été un facteur de liberté pour les compagnons et les apprentis qui vivaient sous le poids de règles et de hiérarchies corporatives. Elle a favorisé l’émergence d’associations prenant la forme de sociétés fraternelles dans lesquelles les droits de s’assembler, de délibérer et de pétitionner sont revendiqués [60]. On ne peut pas exclure que la conjoncture ait produit les mêmes effets en Auvergne. Toutefois, le conflit de 1732/1734, qui s’était traduit par l’appropriation de la « frérie » par les maîtres, avait conduit à une séparation nette entre la sphère des maîtres et celle des compagnons. Les maîtres avaient alors la mainmise sur le corps des papetiers et la « frérie ». Ces structures, très imbriquées, donnant lieu à des réunions communes appelées « assemblées de la frérie et du corps des papetiers », les compagnons ont alors été encouragés à créer leur propre organisation. Aussi la « désincorporation » du corps des papetiers n’a-t-elle pas entraîné l’émergence d’une association ouvrière qui existait déjà depuis plusieurs décennies. Elle n’a pas non plus favorisé l’essor de revendications en termes de réglementation et de solidarité, qui existaient déjà. Elle n’en fait pas naître non plus de nouvelles.
16 La législation révolutionnaire du travail a été très favorable aux patrons, par l’application des grands principes du libéralisme. Par le décret d’Allarde (2 mars 1791), elle permet « à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon » librement à partir du moment où une patente est versée, abolissant aussi les « corporations de citoyens du même état et profession ». Trois mois plus tard, la loi Le Chapelier (14 juin 1791), dans l’esprit qui avait inspiré la suppression des corporations, déclare illégale toute association ou coalition d’ouvriers, de compagnons ou de patrons. Toutefois, ce sont bien les travailleurs qui sont visés par cette loi, puisqu’il est fait défense aux ouvriers de délibérer et de réglementer sur leurs intérêts communs, de menacer les entrepreneurs ou les camarades qui se contentent d’un salaire inférieur ou sont étrangers au pays. En outre, les attroupements sont tenus pour séditieux et doivent être dispersés, après réquisitions légales, par la force publique et punis. Enfin, la loi institue une gradation dans les pénalités, différenciant les actes qui relèvent de la coalition, des menaces, des actes de violence qui peuvent survenir à sa suite, ce qui n’avait jamais été nettement établi par la législation d’Ancien Régime. Les patrons ne souffrirent pas trop de cette loi, leur petit nombre leur permettant de s’entendre secrètement tandis que l’État faisait montre d’une certaine indulgence à leur égard [61].
17 Toutefois, cette législation, dans des temps de troubles et de pouvoirs changeants, ne devait rencontrer qu’une application aléatoire [62], pouvant expliquer en partie les récriminations des fabricants de papier du Puy-de-Dôme. Ces dénonciations ne sont pourtant pas une spécificité auvergnate ; tous les fabricants français se plaignent du comportement de leurs ouvriers [63]. Un règlement particulier portant sur la papeterie est alors adopté par la Convention le 23 nivôse an II (12 janvier 1795) [64]. Pourtant, l’agitation ouvrière se poursuit dans les papeteries [65], ce qui conduit le Directoire à prendre un arrêté le 16 fructidor de l’an IV (2 septembre 1796) [66]. La législation napoléonienne parachève le tout en consacrant la supériorité patronale par l’article 1781 du Code civil et en aggravant la criminalisation de l’action ouvrière par les articles 414, 415 et 416 du Code pénal [67].
18 La législation de la Révolution, en proclamant la liberté du travail, place le patron et l’ouvrier dans le cadre d’une relation bilatérale, prenant la forme d’une simple convention ; l’essentiel des litiges doit être résolu dans le cadre d’une procédure opposant défendeur et défenseur, car la criminalisation de l’action ouvrière accompagne le développement du système accusatoire au détriment du système inquisitoire dans la nouvelle pratique judiciaire. Depuis l’arrêté de fructidor an IV, toutes les affaires non criminelles relèvent exclusivement du juge de paix, jusqu’à la mise en place des conseils de prud’hommes institués par la loi du 18 mars 1806. Fondées en principe – au sens juridique du terme – sur la liberté et l’égalité, ces juridictions restent cependant favorables de facto aux patrons puisque, dans l’institution qui se veut paritaire, ils détiennent la prééminence [68]. Du côté criminel, l’État, par l’intermédiaire de son procureur, engage les poursuites dans les cas considérés comme séditieux et enfreignant la loi pénale. Mais dans la grande majorité des litiges ou des infractions, que la procédure ressorte du civil ou du pénal, l’arrêté de fructidor prévoit que ce soit le maître qui poursuive juridiquement l’ouvrier insubordonné. Ce glissement en direction du caractère accusatoire de la procédure a pour effet de favoriser les patrons dans la mesure où ces derniers disposent des moyens financiers pour être assistés d’un conseil de qualité, ce qui est beaucoup plus difficile voire impossible pour les ouvriers. Pourtant, cette disposition heurte les fabricants [69]. En effet, dans toutes les affaires portées au civil et dans les procédures criminelles dans lesquelles le patron poursuit son ouvrier – en demandant éventuellement des dédommagements – le maître s’expose directement en étant l’initiateur de la plainte. Le plaideur – le maître lui-même ou son conseil, ce qui revient au même – ou celui appelé à la barre des témoins, développent leurs arguments face à l’ouvrier, aux témoins et à ceux qui sont venus assister aux débats. Le plaignant est perçu dans tous les cas comme l’instigateur de l’affaire et subit, du fait des pratiques ouvrières bien ancrées, la « damnation » de sa manufacture. Dans les cas les plus graves, il peut même craindre qu’un « ouvrier mâtin et insubordonné » ne provoque un incendie de la papeterie [70].
19 Face à l’organisation des ouvriers, les patrons restaient plutôt désarmés. Sous la Restauration, ils tentent de s’organiser et proposent des règlements en ce sens [71]. Ils sont à l’origine de multiples demandes de rétablissement d’un ordre corporatif face aux effets jugés pervers d’une liberté générale [72]. Dans le Puy-de-Dôme, une initiative plus précoce est le fait de Pierre Serve qui, sous l’Empire, s’efforce de provoquer une action concertée des patrons de son département et propose une réforme législative pour mettre fin à ce qu’il appelle « les abus qu’exercent les ouvriers dans les manufactures à papier appelés par eux loi du métier » [73]. À l’image des entrepreneurs du XVIIIe siècle, il attend de l’État une plus grande fermeté en matière de police des manufactures, ce que l’État monarchique avait répugné à réaliser ; soucieux de réguler l’insubordination ouvrière, il voulait aussi « une “bonne police” pour maintenir la “concorde” et l’équilibre social » [74].
20 Peu soucieux de cet équilibre, Serve propose l’application de sanctions très lourdes pour les « ouvriers mutins ». Il propose aussi le rétablissement des inspecteurs et des gardes-jurés. En effet, le décret d’Allarde, en mettant fin aux corporations, a provoqué l’arrêt de la perception du droit de marque, la suppression des jurandes et des gardes-jurés élus [75]. Sept mois plus tard, la loi du 27 septembre 1791 met un terme à l’existence des inspecteurs [76]. Or les inspecteurs et les gardes-jurés relevaient les infractions qui étaient traitées ensuite dans le cadre d’une procédure secrète ; les maîtres étaient ainsi protégés, même s’ils étaient les plaignants. Serve voudrait voir renaître l’ancien modèle de contrôle des manufactures, le sous-préfet et le préfet se substituant au subdélégué et à l’intendant dans leur pouvoir de main-forte. Toutefois, le jugement appartiendrait aux autorités compétentes ; le fabricant n’est pas pour le transfert des pouvoirs de police et de justice au préfet à l’image de ceux dont dispose l’intendant [77]. Cependant, les mesures qu’il propose permettraient selon lui, comme au XVIIIe siècle, de ne pas exposer les maîtres et d’empêcher de possibles mesures de rétorsion des ouvriers. On pourra cependant objecter au modèle que les gardes-jurés sont aussi des maîtres, et que le système judiciaire et policier de l’Ancien Régime n’a pas empêché les « damnations » de fabriques. Enfin, cela aurait supposé qu’ils effectuent consciencieusement leur travail, ce qui n’a pas toujours été le cas [78]. Cependant, si le souci de protéger les fabricants domine dans son argumentation, Serve pense aussi aux effets calamiteux provoqués par la loi du 27 septembre 1791 qui pose le problème de la marque et de la garantie de la bonne foi dans l’échange [79]. Il insiste sur les effets positifs de la nomination d’inspecteurs sur la qualité du papier et la lutte contre la fraude de fabricants de « papier faux, tels que les billets de la banque de France, de lettres d’échange (sic), du timbre, des cartes et passeports dont le produit est immense pour le gouvernement et la contrefaçon si funeste d’un autre côté » [80].
21 Malgré tout, le souci des fabricants de papier est d’empêcher les ouvriers d’agir d’une manière concertée contre les maîtres. Pour cela, Serve estime que la loi n’est pas suffisamment sévère et demande l’aggravation des peines contre les papetiers. Reprenant le décret de fructidor sur la question des coalitions, il propose une condamnation à deux ans de prison et à 25 F d’amende pour les auteurs et instigateurs et à de plus grandes peines – qu’il ne précise pas – en cas de participation. Il en fait de même pour le non-respect des délais de congé, pour lesquels il réclame une peine de trois mois de prison et de 25 F d’amende mais, surtout, des peines très lourdes pour les auteurs et les instigateurs de « proscriptions » et de « damnations » qu’il menace de « dix ans de fer ». C’est la même peine qu’il veut pour ceux qui empêchent le maître de choisir son apprenti, ou qui mettent le maître à l’amende ou, encore, écrivent des lettres pour « exercer la proscription, damnation, amende et bannissement », les porteurs des lettres étant punis de « quatre ans de fer ». En même temps, les mesures qu’il préconise pour les patrons montrent une grande compréhension à leur égard, même pour ceux qui enfreignent la loi, et ses propositions de sanctions paraissent des plus clémentes, atténuant même le niveau des peines requises par les textes en vigueur. Le débauchage d’ouvriers n’est puni que de 300 F d’amende. Le fait de prendre un papetier sans livret ou de ne pas remplir celui-ci ne serait puni que de 500 F d’amende et du double en cas de récidive [81]. Rien n’est dit en revanche sur les coalitions patronales qui sont pourtant punies de six jours à un mois de prison et d’une amende de 200 à 3000 F par le Code pénal.
22 Les propositions de Serve vont à l’encontre de la volonté de l’État qui, restant sur le principe de la liberté du travail affirmée par les textes d’Allarde et Le Chapelier, a déjà légiféré dans le sens d’une restriction de ce droit ; pour les papeteries, cela s’est traduit par la loi du 23 nivôse an II et surtout par l’arrêté du Directoire du 16 fructidor an IV, on l’a vu. Aussi le ministre des manufactures et du commerce, dans sa lettre du 14 mai 1813, met-il fin de fait à toute idée de modification législative en adressant à Serve « les motifs qui ne permettent pas d’adopter ses vues » [82]. Appuyant son argumentation sur l’arrêté de fructidor, il explique en quoi ce texte règle « avec soin ce qui tient à la police des ouvriers employés dans les papeteries » ; les mesures à prendre face aux ouvriers coalisés sont clairement définies et les peines encourues sont jugées par le ministre lui-même, comme « très sévères ». Le papetier de Chamalières, qui ne désarme pas, se rend à Paris et dans une dernière tentative, de l’hôtel de Bordeaux, rue des Poulies, il expédie une nouvelle missive pour tenter d’obtenir une audience auprès du comte de Sussi, ministre des Manufactures et du Commerce, en vain : l’État ne légiféra pas dans le sens d’un plus grand contrôle ouvrier et d’un alourdissement des peines [83]. Quoi qu’il en soit, les conflits ne s’arrêtent pas : plusieurs ont encore lieu sous la Restauration, un sous le Second Empire. Il faut souligner que les causes des affrontements et ce qui les favorise tiennent à des conditions structurelles que la période révolutionnaire n’a en rien modifiées.
UN RAPPORT DE FORCES FAVORABLE AUX OUVRIERS
23 Le niveau de sanction demandé par Serve s’explique, en effet, par une série de blocages qu’il pense percevoir dans les structures mêmes de la papeterie et qui conditionneraient le niveau d’organisation ouvrière. Ces blocages relèvent aussi bien d’aspects sociaux que techniques ou réglementaires. L’un d’eux semble plus particulièrement focaliser les mécontentements : il porte sur le « prix excessif » du droit d’apprentissage dont la loi du 23 nivôse an II, article 9, attribue la fixation aux compagnons : en l’occurrence, 50 F par an. Cette disposition est étendue aux étrangers à l’arrondissement de Thiers qui, bien qu’ouvriers, doivent verser la somme de 150 F correspondant au total des frais d’apprentissage pour être admis dans les moulins de la région. D’après le ministre des Manufactures et du Commerce, il s’agit des dispositions qui provoquent le plus de réclamations. La chambre consultative des arts et manufactures de Thiers a en effet réagi aux dispositions de la loi considérant abusive l’attribution des frais d’apprentissage aux compagnons. Elle a écrit à ce propos au ministre pour en demander l’abolition. Dans sa réponse, adressée au préfet et non à la chambre, celui-ci a éludé le problème posé sous prétexte de propositions insuffisamment précises et jugées inefficaces, provoquant de nouvelles observations de la chambre consultative [84]. Pourtant, cette disposition législative n’est pas une innovation. L’article 53 du règlement du 29 janvier 1739 la prévoyait déjà. Le ministre n’estime pas devoir non plus apporter ici des modifications, estimant que les deux textes législatifs de la période révolutionnaire n’avaient pas déterminé le minimum de la somme à verser, ce qui n’interdisait pas de donner une gratification inférieure à 50 F [85]. Le ministre considère que la loi laisse ouverte la possibilité d’une négociation. Du côté auvergnat, chacun sait que toute discussion sur ce point ne peut provoquer qu’une réaction des plus vives chez les ouvriers.
24 Car par cette disposition et en maintenant le niveau élevé des frais d’apprentissage, les ouvriers contrôlent étroitement l’accès au métier de papetier. Ils entretiennent ainsi une certaine pénurie de main-d’œuvre, rendant les patrons en partie dépendants. La situation est même aggravée par les levées en masse de la période révolutionnaire puis par la conscription. C’est bien cela que Serve dénonce en réalité, comme l’ensemble des fabricants de Thiers. En fixant les frais d’apprentissage à 150 F, les ouvriers interdisent pratiquement à la grande majorité des enfants des familles modestes d’accéder au métier, alors qu’ils constituent l’essentiel du vivier de main-d’œuvre possible. Dès lors, les fils de papetiers sont pratiquement les seuls à pouvoir accéder au métier. Pourtant, dans sa correspondance avec Serve, Noudier, fabricant à La Forie près d’Ambert, bien que confirmant l’usage de la proscription à perpétuité qui pèse sur les ouvriers d’origine paysanne, note l’exemple d’un nommé Labeille qui, bien que dans ce cas comme « tant d’autres », n’en est pas moins devenu papetier [86]. La mobilité est aussi étroitement contrôlée ; les ouvriers « étrangers à la vallée de Thiers » ne peuvent y travailler qu’à la condition de payer une somme de 150 F au titre des frais d’apprentissage. Cette possibilité n’est théoriquement pas offerte aux ouvriers d’Ambert, que la « loi du métier » proscrit à Thiers comme à Chamalières, sans possibilité de rachat. Mais dans les faits, les Ambertois sont traités comme n’importe quel « étranger à la vallée de Thiers ». Ainsi, le papetier Bouchet, de Thiers, observe qu’un ouvrier d’Ambert a travaillé à Thiers en payant 150 F [87]. Il existait donc une certaine mobilité ; elle se limitait toutefois aux localités papetières auvergnates, comme l’atteste le maigre effectif de compagnons originaires d’autres provinces travaillant dans les moulins du Livradois [88].
25 Un autre aspect important tient au comportement des maîtres qui ne respectent pas la loi dans le recrutement de leurs ouvriers. Pour se prémunir de la trop grande mobilité des compagnons dont le nomadisme était encouragé par la facilité de réemploi, la monarchie avait prévu, dans son règlement du 13 mars 1739, qu’un ouvrier ne pourrait quitter la papeterie dans laquelle il était employé que muni d’un billet de congé signé par le maître sous peine de sanctions [89]. Le débauchage d’ouvriers est un fait bien connu au XVIIIe siècle, les sources s’en faisant largement l’écho. Les patrons tentaient d’attirer par des moyens appropriés et parfois illicites les ouvriers dont ils avaient besoin ; ils n’hésitaient pas dans ce cas à leur offrir des suppléments de gages [90]. De plus, nous ne connaissons que ceux ayant donné lieu à des procès-verbaux de gardes-jurés, ce qui minore la réalité d’un phénomène que le subdélégué de Thiers considère quotidien [91]. Les autorités provinciales ne restent pourtant pas sans réaction face à ces pratiques. Le 29 avril 1785, Fénérole, manufacturier à Chamalières, débaucha un ouvrier de la papeterie Chelle. Le patron de cette dernière porta plainte auprès de la juridiction provinciale, en réclamant des dommages, arguant du fait que l’ouvrier était parti sans billet de congé. L’intendant instruisit l’affaire dans la forme ordinaire et condamna Fénérole à une amende de 300 livres, dont la moitié fut versée au Trésor public et l’autre moitié à Chelle. En outre, Fénérole fut condamné aux dépens et dut faire imprimer le jugement en 50 exemplaires à ses frais [92]. Les sanctions, au total peu nombreuses par rapport au nombre d’infractions, n’empêchent pas la pratique de se poursuivre d’autant que les forces de l’ordre répugnent à intervenir pour ne pas risquer de provoquer des émeutes. Toutes les affaires ou presque de l’Ancien Régime font état des difficultés d’intervention. La solidarité ouvrière fait que la maréchaussée se trouve toujours en situation de grande infériorité face à un nombre toujours important d’ouvriers prêts à s’assembler [93]. Dans les phases de crise, on renonce même à engager toute information judiciaire, de peur de provoquer de véritables révoltes. C’est le cas de l’affaire d’avril 1789 concernant un certain Hamont. Agissant pour le compte des manufactures de l’Anglée près de Montargis, il était venu en Auvergne recruter des ouvriers. Les manufacturiers l’ayant appris provoquèrent son arrestation. La maréchaussée, accompagnée d’une foule toujours plus importante de papetiers, le conduisit devant le châtelain Chauvassaigne, juge civil et criminel de Thiers. Compagnons et femmes d’ouvriers réclamèrent alors avec force son élargissement. Face au refus du châtelain, il s’ensuivit une véritable émeute au cours de laquelle la foule enleva de force Hamont après avoir menacé de « mettre le feu à l’hôtel ». L’affaire s’arrêta là ; le pouvoir royal, préférant reculer dans cette période difficile, enjoignit à l’intendant de ne pas procéder à une information judiciaire [94].
26 La mise en place de la législation libérale de la Révolution a provoqué la disparition temporaire du billet de congé. Toutefois, la loi du 13 mars 1791 décrétant la liberté d’industrie laisse la possibilité de maintenir les anciens règlements et d’en édicter de nouveaux. C’est en s’appuyant sur cette clause que le député Leclerc proposa et obtint le 26 juillet 1791 la renaissance du délai-congé [95]. Douze ans plus tard, Bonaparte alourdissait le contrôle des ouvriers par la loi du 22 germinal an XI (12 avril 1803) qui instituait le livret ouvrier. Pourtant, les maîtres n’ont jamais cessé de se plaindre de la mobilité ouvrière. La Révolution et l’Empire n’ont rien changé dans la concurrence s’exerçant entre maîtres papetiers dans le recrutement de la main-d’œuvre. Ainsi, Serve se plaint toujours des maîtres qui acceptent chez eux des ouvriers sans billet de congé et sans livret, et qui vont jusqu’à débaucher les compagnons de leurs voisins [96]. Le nomadisme des ouvriers est d’autant plus important, selon Serve, que les compagnons ne sont pas arrêtés, malgré l’irrespect de la loi. La responsabilité en incomberait à la gendarmerie qui ne ferait pas son travail, comme sous l’Ancien Régime.
LA POURSUITE DES REVENDICATIONS OUVRIÈRES AU XIX e SIÈCLE
27 Les pratiques sociales et revendicatives héritées du XVIIIe siècle ne prennent pas fin avec le début de l’époque contemporaine. En effet, les coalitions de la première moitié du XIXe siècle s’inscrivent, pour l’essentiel, dans le prolongement de celles des périodes précédentes dans lesquelles les compagnons font tout pour conserver les usages d’avant 1791 [97]. Le montant des rémunérations est aussi présent. Ainsi le premier conflit important est la coalition féminine de 1823 fondée uniquement sur une revendication salariale [98]. Les femmes sont particulièrement mal rémunérées dans les moulins [99]. Travaillant à la salle ou aux chiffons, leur salaire était communément considéré par les maîtres comme un complément à celui des conjoints qui œuvraient souvent dans la même fabrique, au moulin ou à la cuve. On retrouve alors des conditions de rémunération et des modes de contestation qui se développent au XIXe siècle mais qui étaient déjà présents au XVIIIe siècle, représentant en France les principales motivations des émotions ouvrières [100]. Leur extension aux hommes relève en revanche d’une pratique longuement éprouvée de tous les conflits anciens de la papeterie qui voyaient les ouvriers d’un même moulin ou des papeteries voisines emboîter le pas de ceux qui cessaient le travail, en simple solidarité, comme le prévoyaient d’ailleurs les usages de leur organisation attestés par la « loi du métier ». Dans les trois conflits de 1815, 1825 et 1858, on retrouve cette permanence des revendications corporatives. Ainsi, celui de 1815 éclate pour s’opposer à la tentative des patrons de quelques papeteries de faire disparaître certains anciens usages comme la perception de la taxe d’apprentissage ou le paiement des journées chômées [101]. La coalition de 1825 débute lorsque les patrons de Thiers refusent d’offrir du travail à un « leveur » ou de payer la « rente » en contrepartie. Un certain Pataud, « leveur » de son état, ne pouvant suivre le rythme du « coucheur » de sa cuve, quitte le moulin dans lequel il travaillait. Gagnant une autre papeterie, il en est renvoyé car le maître apprend qu’il a « manqué à un confrère ». Pataud part de nouveau et cherche à percevoir sa « rente ». Quelques fabricants la lui refusent. La résistance patronale révélant une entente occulte se traduit en réaction par l’arrêt du travail dans les moulins thiernois. L’intervention du sous-préfet permet de ramener les maîtres à la raison et obtient d’eux qu’ils payent la « rente ». Le mouvement prend fin, mais les patrons ne renoncent pas à remettre en cause ces pratiques et lorsque, quelques jours plus tard, un ouvrier de Chamalières passe pour percevoir sa « rente », les patrons la lui refusent provoquant de nouveau la désertion des ateliers [102]. Le mouvement de 1825 qui est considéré dans l’historiographie régionale comme le dernier conflit de la papeterie est suivi pourtant, plus de trente ans plus tard, d’une dernière réclamation ouvrière : en juillet 1858, les papetiers de Thiers tentent de nouveau de rejeter une organisation du travail qui rompt avec la tradition. Mais la contestation ne dépasse pas le stade de l’« assemblée » et le projet de « désertion » échoue [103].
28 Les deux premiers conflits trouvèrent une issue totalement pacifique pour des raisons sensiblement différentes, la coalition féminine de 1823 pouvant même être considérée comme une victoire. La gestion de la première coalition évoque celle de l’Ancien Régime, lorsque les autorités, du fait de leur pouvoir de police, rappelaient les règlements [104]. Quant à sa sortie, elle s’explique par les conditions politiques très particulières que connaît la France dans les premiers mois de 1815. Lorsque le conflit éclate, le 11 février, le pays voit le jeu politique perturbé par la déception à la fois des Libéraux et des Ultras face à la Charte. En outre, c’est durant la coalition que Napoléon est de retour de l’Ile d’Elbe et que débutent les Cent-Jours (20 mars). L’instabilité politique n’est pas propice à la répression et le conflit prend fin le 4 avril par un gain de cause des ouvriers. L’issue de la coalition de 1823 est plus étonnante car la revendication illégale d’une augmentation de salaire de la part des ouvrières aboutit au soutien du sous-préfet qui leur permit d’obtenir satisfaction. Tel n’est pas le cas des deux dernières cessations de travail connues. En 1825, alors que la coalition s’était arrêtée, le procureur lança dix mandats d’amener, les ouvriers ayant donné leur préavis de six semaines. Il fit intervenir la gendarmerie et un détachement du régiment de ligne stationné à Clermont. Le rapport de forces favorable à la loi permit de faire procéder à l’arrestation de neuf des dix ouvriers recherchés. Au total, onze personnes furent jugées et condamnées par le tribunal correctionnel : une à six jours de prison, deux à dix jours, trois à un mois et cinq à deux mois, avec mise sous surveillance de la haute police pendant deux ans. Lors du dernier sursaut de 1858, le conflit entraîne, comme en 1825, des poursuites pénales et le recours aux instances paritaires. La domination patronale au sein du conseil des prud’hommes se traduit par la condamnation des ouvriers, qui se voient contraints d’exécuter les règlements [105]. Les quelques ouvriers poursuivis au pénal, et arrêtés pour « prévention de coalition », sont acquittés par le jugement du 11 septembre 1858 [106].
29 En 1825, pour la première fois, la volonté de punir d’une manière exemplaire est affichée par l’autorité, qui s’en donne les moyens, à la fois de caractère militaire et judiciaire. Les peines de prison prononcées, si elles peuvent paraître lourdes, ne sont pas des plus sévères, lorsqu’on considère les maximums encourus par les meneurs. En revanche, si on les compare aux condamnations des périodes précédentes, elles sont de loin les plus importantes. En outre, la procédure s’est déroulée au pénal, alors que les juridictions d’Ancien Régime avaient presque toujours répugné à enclencher les procédures de « grand criminel », réglant le plus souvent les affaires sur la base de leur pouvoir de police. Il en est de même, pour partie, de la procédure de 1858. La sanction est seulement moins forte, sans que l’on puisse pour autant invoquer un assouplissement du régime politique qui n’entre dans sa phase libérale que quelques années plus tard. La manière de traiter ces deux conflits, particulièrement celui de 1825, et le règlement judiciaire qui en a suivi, mettent bien en lumière la criminalisation judiciaire d’une activité ouvrière à dimension collective mettant en application la législation répressive du travail de la période révolutionnaire et impériale [107]. En ce sens, le conflit de 1825 et son issue font date dans l’histoire de la contestation du monde papetier des XVIIIe et XIXe siècles : les compagnons papetiers ne se coaliseront plus jamais, alors qu’en France le nombre de conflits poursuivis s’accroît [108]. En 1825, comme en 1858, des ouvriers ont marqué le souci de ne pas reprendre le travail. Dans le premier conflit, ils ont donné ensemble leur préavis de six semaines, dans le second, des compagnons, notamment ceux de la papeterie de Malmenaide, ont refusé de reprendre le travail dans leur moulin. Mais, dans les deux cas, les revendications et les prises de position se font sans menaces vis-à-vis des maîtres, sans proclamation de « damnation » ni d’« interdit ». Faut-il considérer pour autant que l’intensité de la répression est à elle seule à l’origine du phénomène ? La mutation industrielle, les changements sociaux et l’évolution de la contestation ouvrière n’y occupent-ils pas une place au moins aussi importante ?
DÉCLIN ET MUTATION DU MONDE PAPETIER FACE À L’INDUSTRIALISATION
30 Sous la Restauration, la condition qui a permis aux papeteries de se maintenir et de rester compétitives fut l’adoption du cylindre, qui finit par remplacer totalement la phase de pourrissage des chiffons. Elle a permis des gains notables de productivité et des économies de matières premières. Des fabricants auvergnats avaient montré de l’intérêt pour cette innovation. Dès 1777, Fournier, entrepreneur de Saint-Amant-Tallende, s’était proposé d’en installer, comme Serve de Chamalières en 1782-1788 [109] et Malmenaide à Thiers en 1787 [110]. Tous avaient réclamé le soutien de l’État, mais aucun ne l’avait obtenu. Ces échecs successifs firent qu’aucun cylindre ne fut implanté dans les fabriques d’Auvergne avant la Révolution. Toutefois, cela n’est pas propre à la région et ne condamne pas encore les entreprises locales. D’ailleurs Serve n’en abandonne pas l’idée et, en 1806, il rédige une lettre au préfet du Puy-de-Dôme pour lui demander de l’appuyer dans une demande de soutien de l’État dans sa volonté novatrice. Il finit par obtenir gain de cause puisque sous la Restauration, trois cylindres fonctionnent à Chamalières, permettant à la production locale de s’accroître sensiblement. Toutefois, en 1829, il n’existe aucune autre batterie de ce type dans le département. L’immobilisme des fabricants condamne, à court terme, l’activité papetière dans sa dimension industrielle, d’autant que Serve semble avoir cessé son activité de papetier vers quatre-vingts ans et aucun de ses enfants ne lui a succédé [111]. Il opta alors pour le statut de « propriétaire » et vécut de la rente foncière dont il était un des tout premiers bénéficiaires locaux ; en 1821, il était déjà le second contribuable le plus imposé de sa commune avec un cens de 625 francs [112]. Dans les années 1830, Chamalières n’a plus qu’une seule papeterie et la dernière ferme ses portes vers 1890 [113].
31 Au XIXe siècle, des papeteries se maintiennent aussi dans les vallées de Thiers et d’Ambert, ignorant presque totalement la mécanisation, comme à Chamalières. Sous la Monarchie de Juillet, l’étape décisive est pourtant représentée par l’adoption de la machine à papier qui, par son procédé continu, condamne irrémédiablement la fabrication à la feuille [114]. Les établissements de l’Ardèche et surtout de l’Isère voisine entrent dans la grande industrie moderne grâce à cela [115] ; l’Isère devient même le premier département papetier de France grâce à la mécanisation, l’invention de la houille blanche, au passage à la pâte de bois et à une adoption de produits innovants. L’Ardèche, grâce aux papeteries Canson-Montgolfier, continue de produire de très beaux papiers à Annonay mais d’une manière industrielle. Pourtant, les coalitions n’y avaient pas été moins fortes et la législation pas moins appliquée [116].
32 Cela signifie-t-il que rien n’ait été tenté par les fabricants ? Se sont-ils désintéressés de l’innovation et si oui, pourquoi ? Un des plus grand papetiers de la région, Dupuy de la Grandrive, s’informe en 1827 des coûts et des modalités d’installation d’une machine à papier et des différentes mécaniques associées mais, semble-t-il, sans donner suite. Au début des années 1830, aucune mécanique n’est installée. Au milieu du XIXe siècle, Thiers et Ambert ne conservent que des papeteries à la cuve et une ou deux petites machines chez Lavigne à Ambert. Installer des batteries de cylindres et mécaniser les moulins coûte cher ; les cylindres anglais – qui se substituent aux hollandais peu fiables – sont estimés avec leurs rouages à environ 15000 F en 1825 dans un établissement du Marais ; le prix de la machine proposée à Dupuy de la Grandrive, avec la machine à sécher et sa chaudière, se montait à 26700 F en 1827, alors que celui de la machine acquise par Canson en 1823 s’élevait à 29797 F ; à cela, il fallait ajouter les indispensables remaniements du moulin, qui devait devenir véritablement usine et dont les dépenses pouvaient représenter jusqu’à dix fois le prix des machines ; on est là bien loin des19000 F estimés, en moyenne, pour l’achat ou le renouvellement complet d’un moulin à une cuve [117].
33 Pour les papetiers auvergnats, ces investissements paraissaient considérables. En effet, les moulins livradois étaient bien fragiles à la fin de l’Ancien Régime, malgré la croissance constatée. Les bénéfices sont en baisse, les trésoreries étroites et fragiles, la concurrence plus forte dans le papier d’imprimerie, alors que les batteries et les rouages en bois imposent un entretien régulier et un renouvellement total tous les dix ou vingt ans. La réponse des fabricants est la prudence dans la gestion et les investissements, ce qui les rend peu ouverts à l’innovation technique et organisationnelle. La recherche d’équilibre intègre aussi bien les conditions économiques que les données culturelles et sociales dans lesquelles ils évoluent [118].
34 Aussi, au XIXe siècle, les papetiers auvergnats, plutôt que de choisir la mécanisation pour se maintenir, ont opté pour les marchés de niche. Les papiers de qualité deviennent la spécialité de quelques moulins ; ils permettent, au cours du XIXe siècle, le maintien de petites papeteries dont on trouve beaucoup d’exemples identiques partout en France. Mais le processus le plus important est la spécialisation progressive dans le papier d’administration pour l’enregistrement et le timbre. Thiers finit même par monopoliser l’énorme marché de l’administration du timbre à partir de 1835. Or, ces marchés imposent le respect de critères de qualité et de durée précis encore incompatibles avec la mécanisation ; la production ne peut s’effectuer qu’à la cuve, sans blanchiment au chlore ni utilisation des cylindres [119]. Mais cela ne permet pas le maintien de tous les moulins d’Auvergne et la mécanisation finit par l’emporter partout au XXe siècle, quel que soit le type de production.
35 Ne survivent plus alors en Auvergne que de rares moulins disséminés le long de quelques vallées thiernoises et ambertoises. Leur maintien marginal serait dû au développement d’une pluriactivité rurale dans laquelle les travaux des champs occupaient une place de plus en plus importante, au rythme du déclin des papeteries, aussi bien pour les ouvriers que pour les maîtres « désormais paysans autant qu’artisans » [120]. Si une étude sur ce point reste à mener, les quelques mentions que l’on peut relever permettent de confirmer le phénomène. Le lien entre artisanat et agriculture n’est pourtant pas nouveau. Les sources fiscales d’Ancien Régime ont permis de montrer que les maîtres possédaient souvent quelques hectares de terre autour des moulins, moins à Thiers qu’en Livradois où les patrimoines fonciers des fabricants étaient plus importants ; ils représentaient un complément essentiel, sans qu’ils commandent, pour autant, à la destinée des moulins [121]. Les plus grands fabricants, comme les Dupuy de la Grandrive, étaient même à la tête de véritables domaines dont la valeur était bien supérieure à celle de leurs papeteries [122]. Mais il s’agit là d’une exception. Dans la majorité des cas, on n’avait affaire qu’à de modestes biens de trois ou quatre hectares. On imagine même que l’intensité du travail artisanal ne permettait probablement pas aux fabricants de faire valoir leurs fonds. Au mieux, ils devaient entretenir un jardin potager et élever quelques têtes de bétail, comme le laissent penser les registres de taille [123]. Avec le ralentissement de l’activité au XIXe siècle, on peut imaginer que les maîtres ont pu disposer de plus de temps pour s’occuper de leur terre, dont l’exploitation était devenue une condition de survie de l’activité papetière sans pour cela permettre à elle seule de suffire au revenu familial, de par l’exiguïté des biens fonciers. En même temps, l’irrégularité de la fabrication ne permettant plus de garantir des salaires suffisants aux ouvriers contraignait ces derniers à une pluriactivité rurale. Aussi le papetier-paysan employait-il dorénavant des ouvriers-paysans [124]. Le phénomène est-il pour autant nouveau ? La « loi du métier » laisse entendre que les ouvriers papetiers d’Auvergne ont été totalement coupés de l’agriculture ; Robert Estier laisse pourtant penser le contraire [125]. Cependant, il semble difficile d’imaginer que les ouvriers papetiers aient pu être des paysans. Les rythmes du travail à la cuve, à l’encollage et à la presse sont incompatibles avec l’exercice continu d’une activité agricole. L’existence d’un « corps » et d’une « frérie » montre une organisation spécifique de métier en contradiction avec l’appartenance paysanne. L’insubordination ouvrière ne relève pas de la psychologie propre aux paysans, qui les rend peu sensibles aux luttes collectives [126] ; même dans le cas d’une intégration ultérieure dans un métier industriel, leur système de représentations construit antérieurement à l’entrée dans les papeteries continue à l’emporter [127]. Les compagnons auvergnats devaient donc être d’abord des ouvriers. Durant les cycles de production, ils ne pouvaient être qu’accaparés par leur métier. En revanche, durant les périodes de chômage, liées surtout à la période d’étiage qui empêchait le fonctionnement des moulins [128], ils devaient s’investir dans les travaux agricoles saisonniers (fenaison, moisson voire vendanges) [129]. « Solidement ancrés dans [leurs] paroisses rurales » [130], ils n’étaient pas pour autant ni paysans ni ouvriers pluriactifs [131].
36 Les ouvriers sont restés très revendicatifs tant que l’activité papetière a connu une extension remarquable en Auvergne ; elle permettait à tout compagnon sans travail de trouver sans trop de problèmes un emploi ou de percevoir la « rente », en particulier autour de Thiers et de Chamalières. Par leur nombre et la qualité de leur organisation, les ouvriers ont défendu âprement un mode de vie plusieurs fois séculaire ; la pression de l’État, le durcissement dans l’application des décisions judiciaires, la mise en place d’une législation plus répressive n’y ont rien changé fondamentalement, au moins sous l’Ancien Régime et la période révolutionnaire. En revanche, en refusant l’adaptation technique indispensable sous la Restauration et la Monarchie de Juillet pour se maintenir sur les marchés concurrentiels, les maîtres condamnèrent la papeterie dans sa dimension industrielle. Disposant de peu de trésorerie, ils ont répugné à se lancer dans des investissements lourds aux résultats incertains. Ils ont préféré opter pour des marchés de niche, à même de maintenir un équilibre entre société et environnement, sans menacer leur patrimoine durement acquis. En permettant la poursuite d’une activité récessive, cette attitude a condamné l’activité papetière auvergnate lorsque ses produits ont été, ailleurs, fabriqués mécaniquement.
37 Les papeteries d’Auvergne ne se sont donc pas éteintes du fait du corporatisme de l’État ou de celui des ouvriers auvergnats. Les grandes régions papetières affectées aussi par les mouvements des compagnons n’en ont pas pour autant disparu. En outre, toute la basse Auvergne n’était pas soumise à la même intensité de conflits ; dans la région d’Ambert, les ouvriers n’ont pu qu’exceptionnellement tenir tête aux fabricants [132].
38 Les effectifs papetiers fondent en Auvergne dans les premières décennies du XIXe siècle ; les nouvelles techniques de travail et l’apparition de l’ouvrier moderne bouleversent les schémas mentaux et les formes d’organisation du travail et de la société. Les ouvriers anciens y perdent leurs repères. Moins nombreux, ils représentent une force moins adaptée à la résistance à un État qui n’hésite plus à faire intervenir l’armée pour régler les conflits. Le processus d’industrialisation rend l’ouvrier moins fort, en ce sens qu’il devient interchangeable dans les usines à papier, l’État sachant alors pouvoir toujours compter sur une production importante pour alimenter les marchés. La production nationale devenant moins prisonnière des moulins auvergnats, la répression peut alors s’y exercer avec plus de rigueur.
39 En même temps, les conflits finissent par disparaître. Réduits à un petit nombre et dirigés par un patron obligé d’œuvrer à nouveau à la cuve pour des raisons économiques, les ouvriers-artisans des papeteries du Second Empire se rapprochent de leur maître. Même en cas de désaccord, ils ne peuvent risquer un conflit dur qui aurait mis en péril l’existence du moulin – un des rares à perdurer – sans espoir de retrouver un emploi dans une autre fabrique. En outre, l’évolution de leur mode de vie fondé sur la pluriactivité rurale a favorisé le développement d’un comportement individualiste : le statut d’ouvrier-paysan, sans lien avec le modèle du papetier d’Ancien Régime, ne conduisait pas à une sensibilisation aux luttes collectives anciennes ou modernes.
Notes
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[1]
Ces derniers sont d’ailleurs bien connus au plan national et décrits par des études anciennes, en particulier par celles de Charles-Moïse BRIQUET (Associations et grèves des ouvriers papetiers en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, V. Giard et E. Brière, 1897) et d’Émile LEVASSEUR (Histoire des classes ouvrières et de l’industrie en France de 1789 à 1870, Paris, A. Rousseau, 1903). Des chercheurs poursuivent aujourd’hui des travaux portant sur les papeteries auvergnates ; parmi ces derniers, je voudrais ici remercier plus particulièrement Pierre Delaunay pour les renseignements qu’il a bien voulu me transmettre, Michel Boy pour ses indications bibliographiques et Jacques Ytournel pour m’avoir mis sur la piste de sources jusqu’alors inédites conservées aux archives municipales de Thiers. Enfin, soulignons l’importance du travail de recherche et de synthèse de Pierre-Claude REYNARD qui, après un premier livre (La papeterie auvergnate au XVIIIe siècle. Une prospérité fragile et stérile, New York, New York University, 1994), a édité plus récemment un ouvrage sur l’histoire des papeteries auvergnates à l’époque moderne tout en resituant ses travaux dans le cadre de l’importante production historiographique régionale : Histoire de papiers. La papeterie auvergnate et ses historiens, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2001.
-
[2]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op.cit., p. 163-180.
-
[3]
Ibidem, p. 180.
-
[4]
Ibid., p. 174.
-
[5]
Imputation commode analysée dans StevenL. KAPLAN, PhilippeMINARD (éd.), La France, malade du corporatisme ? XVIIIe-XXe siècles, Paris, Belin, 2004.
-
[6]
Daniel MARTIN, « Les ouvriers papetiers thiernois au XVIIIe siècle. Pratiques sociales et formes contestataires », in Dany HADJADJ (éd.), Le Pays de Thiers. Le regard et la mémoire, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2000, p. 365 et sq.
-
[7]
Ibid., p. 365.
-
[8]
À laquelle il fait allusion dans une de ses notes : Georges ROUCHON, « Grèves des ouvriers papetiers de Thiers au XVIIIe siècle », Revue d’Auvergne, 1885, t. II, p. 191.
-
[9]
Henri GAZEL, Les anciens ouvriers papetiers d’Auvergne, Clermont-Ferrand, [s.n.], 1910, p. 20.
-
[10]
Ibid., p. 18-19 ; Paul-Martin BONDOIS, « Notes sur les grandes industries thiernoises sous l’Ancien Régime », Revue d’Auvergne, 1932, tome 46, n° 249, p. 147.
-
[11]
H. GAZEL, Les anciens ouvriers papetiers, op. cit., p. 27-28.
-
[12]
P.-M. BONDOIS, « Notes sur les grandes industries thiernoises… », art. cit., p. 148.
-
[13]
H. GAZEL, Les anciens ouvriers papetiers d’Auvergne, op. cit., p. 20.
-
[14]
Jean-Louis BOITHIAS et Corinne MONDIN, Les moulins à papier et les anciens papetiers d’Auvergne, Nonette, CREER, 1981, p. 60.
-
[15]
BnF, mss.7455, Nouvelles acquisitions françaises, 1671 et André-Georges MANRY et Pierre CHAZAL, Chamalières, Chamalières, Les Amis du Vieux Chamalières, 1979, p. 119.
-
[16]
Robert ESTIER, Le temps des épreuves : papeteries et papetiers auvergnats au siècle des Lumières, fin XVIIe-fin XVIIIe siècle, Ambert, GRAHLF, 1997, p. 15-16 (d’après AD 63, 1 C 530).
-
[17]
Abel POITRINEAU, « Clair obscur auvergnat au siècle des Lumières », in A.-G. MANRY (éd.), Histoire de l’Auvergne, Toulouse, Privat, 1974, p. 359.
-
[18]
Archives Nationales, Paris (désormais AN), F12 659/A : rapport de l’inspecteur des manufactures, 1778.
-
[19]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op.cit., p. 103-108.
-
[20]
Les remarques et observations des réponses à l’enquête de l’an II viennent l’attester pour toutes les papeteries : voir les réponses dans AN F12 1482 à 1485. En Auvergne, les statistiques sont peu fiables, mais une approche critique permet de mettre en lumière la récession sensible de la production : M. BOY, Histoire de la papeterie livradoise, Ambert, GRAHLF, 1995, p. 163-170.
-
[21]
Ibid., p. 170-172 et p. 191.
-
[22]
A.-G. MANRY, « Un siècle somnolent (1800-1914) », in A.-G. MANRY (éd.), Histoire de l’Auvergne, op.cit., p. 396.
-
[23]
Elle regroupait les maîtres et les compagnons et était dirigée par un « baile » des compagnons et un « baile » des maîtres.
-
[24]
Elles consistaient essentiellement à prévoir les conditions d’entrée dans le métier de papetier, à exclure les ouvriers n’appartenant pas au corps local, à la définition des interdictions et des conditions de leur respect impératif.
-
[25]
La « rente » est la somme qu’un ouvrier chômeur perçoit, faute d’emploi, des compagnons et des maîtres en passant dans les moulins.
-
[26]
Synthèse rédigée à partir de la très abondante série C des Archives départementales du Puy-de-Dôme.
-
[27]
Jean NICOLAS, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale, 1661-1789, Paris, Seuil, 2002, p. 306-308.
-
[28]
Pour ce qui est des gestes de la papeterie traditionnelle, voir bibliographie dans Jean-Michel MINOVEZ, « Les moulins à papier de la partie occidentale des Pyrénées, vers 1770-vers 1815 », Moulins et meuniers dans les campagnes européennes (IXe-XVIIIe siècle), Actes des 21e Journées Internationales d’Histoire de Flaran, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2002, p. 167-191.
-
[29]
Archives départementales du Puy-de-Dôme (désormais AD 63), 1 C 527-528 : Grande coalition de 1772.
-
[30]
Ce pouvoir peut paraître redoutable puisque la procédure, secrète, écrite, inquisitoire, sans assistance d’un conseil ni audition de témoins à décharge, pouvait atteindre le second degré d’instruction ou « instruction à l’extraordinaire » ; elle laissait au juge la possibilité de recourir à la question préparatoire pour l’obtention des aveux.
-
[31]
Philippe MINARD, La fortune du colbertisme. État et industrie dans la France des Lumières, Paris, Fayard, 1998, p. 298.
-
[32]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op.cit., p. 171.
-
[33]
AD63, 1C 527-528 : Grande coalition de 1772.
-
[34]
AN, F12 2281, Dossier V-1 : Mémoire adressé à son excellence monseigneur de Sussi, ministre du commerce et des fabriques concernant les abus qu’exercent les ouvriers papetiers lesquels ils nomment loi du métier, par le sieur Serve fils de Chamalières (Puy-de-Dôme), s.d. [1812-1813], fol. 8.
-
[35]
AD 63, 1 C 496 et H. GAZEL, Les anciens ouvriers papetiers, op. cit., p. 242-245 et D. MARTIN, « Les ouvriers papetiers thiernois… », art.cit., p. 377-378.
-
[36]
AD63, 1C 496 : Coalition de 1732-1734.
-
[37]
H. GAZEL, Les anciens ouvriers papetiers d’Auvergne, op. cit., p. 245 et P.-M. BONDOIS, « Notes sur les grandes industries thiernoises… », art.cit., p. 145.
-
[38]
J. NICOLAS, La rébellion française..., op. cit., p. 292-293.
-
[39]
D’après les souvenirs de Cusson père : AN, F12, 2281 : Lettre d’Antoine Cusson adressée à monsieur Serve fils en la fabrique de son père, Chamalières par Clermont, s.d.
-
[40]
AD 63, 1 C 518 : Ordonnance de l’intendant La Michodière, 12 juillet 1754.
-
[41]
Ibid. : « Les ouvriers refusant d’obéir ou de continuer leur travail, s’attroupant ou se révoltant contre leur maître, l’insultant, seront poursuivis extraordinairement et pourront être décrétés de prise de corps sur simple plainte de leur maître, seront punis rigoureusement. »
-
[42]
R. ESTIER, Le temps des épreuves…, op.cit., p. 57.
-
[43]
AD63, 1C 522 : Coalition de 1767.
-
[44]
AD63, 1C 527-528 : Grande coalition de 1772.
-
[45]
H. GAZEL, Les anciens ouvriers papetiers, op.cit., p. 167.
-
[46]
AD63, 1C 540 : Coalition féminine de 1789.
-
[47]
D. MARTIN, « Les ouvriers papetiers thiernois… », art. cit., p. 379.
-
[48]
H. GAZEL, Les anciens ouvriers papetiers, op.cit., p. 261.
-
[49]
Ibid., p. 262.
-
[50]
Comme ailleurs en France. Voir à ce sujet : Leonard N. ROSENBAND, « Comparing combination acts : French and English papermaking in the age of Revolution », Social History, 29, 2004, p. 165-185.
-
[51]
Archives municipales de Thiers (désormais AM Thiers), A M, 1/302 : Proclamation du conseil général de la commune de Thiers, 21 brumaire de l’an II (10 novembre 1793).
-
[52]
AN, F12 2281 : Lettre de Noudier aîné à Serve fils aîné fabricant de papier à Chamalières près Clermont-Ferrand, La Forie près d’Ambert le 7 mars 1813.
-
[53]
AN, F12 2281 : Mémoire de Serve fils, supra cit. et Lettre d’Antoine Cusson adressée à monsieur Serve fils en la fabrique de son père, Chamalières par Clermont, s.d.
-
[54]
AN, F12 2281 : Lettre de Noudier aîné à Serve fils aîné fabricant de papier à Chamalières près Clermont-Ferrand, La Forie près d’Ambert le 7 mars 1813.
-
[55]
WilliamH. SEWELL, Gens de métier et révolutions. Le langage du travail de l’Ancien Régime à 1848 [1980], Paris, Aubier, 1983, p. 17-18.
-
[56]
Jacqueline LALOUETTE, « Les insaisissables corporations du premier XIXe siècle : enquête sur les usages d’un mot », in S. L. KAPLAN, P. MINARD (éd.), La France…, op. cit., p. 151 et sq.
-
[57]
Ibid., p. 149-150.
-
[58]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op.cit., p. 174.
-
[59]
AN, F12, 2281 : Mémoire de Serve fils, supra cit., fol.1.
-
[60]
Ph. MINARD, « Le métier sans institution : les lois d’Allarde-Le Chapelier de 1791 et leur impact au début du XIXe siècle », in S. L. KAPLAN, Ph. MINARD (éd.), La France…, op. cit., p. 83-84.
-
[61]
Alain PLESSIS (éd.), Naissance des libertés économiques : liberté du travail et liberté d’entreprendre. Le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier, leurs conséquences, 1791-fin XIXe siècle, Paris, Institut d’histoire de l’industrie, 1993.
-
[62]
Denis WORONOFF, Histoire de l’industrie en France du XVIe siècle à nos jours, Paris, Seuil, 1994, p. 199.
-
[63]
É. LEVASSEUR, Histoire des classes ouvrières…, op. cit., vol. 1, p. 55.
-
[64]
Les interdictions sont considérées comme des attentats à la propriété, les acteurs et meneurs devant être emprisonnés, la pratique des amendes entre ouvriers est punie d’une peine d’emprisonnement, les ouvriers peuvent se plaindre de leur patron mais avec interdiction de quitter le travail.
-
[65]
É. LEVASSEUR, Histoire des classes ouvrières…, op. cit., vol.1, p. 282.
-
[66]
Il est une combinaison du règlement de 1739, des lois Le Chapelier et du 23 nivôse an II. Des peines de prison viennent sanctionner systématiquement les acteurs et instigateurs de coalitions ou de cessations combinées de travail, aggravant les dispositions prises par le texte législatif de l’an II.
-
[67]
La coalition est punie d’un emprisonnement de un à trois mois, les meneurs de deux à cinq ans de prison assortis éventuellement d’une mise sous surveillance de la haute police.
-
[68]
Alain COTTEREAU, « Justice et injustice ordinaires sur les lieux de travail d’après les audiences prud’homales (1806-1866) », Le mouvement social, 141, octobre-décembre 1987, p. 25-60.
-
[69]
AN, F12 2281 : Mémoire de Serve fils, supra cit., fol.10.
-
[70]
Ibid., fol.5.
-
[71]
Louis ANDRÉ, Machines à papier. Innovation et transformations de l’industrie papetière en France, 1798-1860, Paris, Éditions de l’EHESS, 1996, p. 53.
-
[72]
Ph. MINARD, « Le métier sans institution… », art. cit., p. 88-95.
-
[73]
AN, F12 2281 : Mémoire de Serve fils, supra cit.
-
[74]
Ph. MINARD, La fortune du colbertisme…, op. cit., p. 299.
-
[75]
Ibid., p. 351.
-
[76]
Ibid., p. 353-354.
-
[77]
AN, F12 2281, fol.13.
-
[78]
P.-M. BONDOIS, « Notes sur les grandes industries thiernoises… », art. cit., p. 148.
-
[79]
Ph. MINARD, La fortune du colbertisme…, op. cit., p. 356-357.
-
[80]
AN, F12 2281 : Mémoire de Serve fils, fol.14.
-
[81]
Ibid., fol.14-16.
-
[82]
Note marginale sur le brouillon de la lettre : AN, F12 2281 : Lettre du ministre du Commerce et des Fabriques à Serve fils fabricant de papier à Chamalières près Clermont-Ferrand Puy-de-Dôme, le 14 mai 1813.
-
[83]
AN, F12 2281 : Lettre de Serve fils à son excellence monseigneur le comte de Sussi ministre des Manufactures et du Commerce, Paris, le 6 juin 1813.
-
[84]
AN, F12 2281 : Lettre de Bouchet fils aîné adressée à monsieur Serve en sa manufacture de papiers à Chamalières par Clermont, Thiers le 23 août 1812.
-
[85]
AN, F12 2281 : Lettre du ministre du Commerce et des Fabriques à Serve fils fabricant de papier à Chamalières, le 14 mai 1813, fol.3.
-
[86]
AN, F12 2281 : Lettre de Noudier aîné à Serve fils aîné fabricant de papier à Chamalières près Clermont-Ferrand, La Forie près d’Ambert le 7 mars 1813.
-
[87]
AN, F12 2281 : Lettre de Bouchet fils aîné adressée à monsieur Serve en sa manufacture de papiers à Chamalières par Clermont, Thiers le 23 août 1812.
-
[88]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op. cit., p. 178.
-
[89]
Le règlement de 1671 prévoyait déjà l’existence d’un certificat de démission. Celui de 1739 le renforce en l’accompagnant de mesures concernant la police des manufactures de papier.
-
[90]
AN, F12 2281 : Lettre de Bouchet fils aîné adressée à monsieur Serve en sa manufacture de papiers à Chamalières par Clermont, Thiers le 23 août 1812.
-
[91]
R. ESTIER, Le temps des épreuves…, op.cit., p. 56.
-
[92]
AN, F12 2281 : Mémoire de Serve fils, supra cit., fol. 9.
-
[93]
R. ESTIER, Le temps des épreuves…, op.cit., p. 57-58.
-
[94]
AD63, 1C 540 : L’affaire Hamont de 1789.
-
[95]
H. GAZEL, Les anciens ouvriers papetiers d’Auvergne, op. cit., p. 249.
-
[96]
AN, F12 2281 : Mémoire de Serve fils, supra cit., fol. 4 et 6.
-
[97]
J. LALOUETTE, « Les insaisissables corporations… », art. cit., p. 155-156.
-
[98]
AD63, 10 M 38 : Coalition féminine de 1823.<<
-
[99]
En 1866, elles perçoivent toujours un salaire trois fois inférieur à celui de leur mari, cf. J.-L. BOITHIAS et C. MONDIN, Les moulins à papier…, op. cit., p. 231.
-
[100]
J. NICOLAS, La rébellion française..., op. cit., p. 292.
-
[101]
AD63, 10 M 37 : Coalition de 1815.
-
[102]
AD63, 10 M 39 : Coalition de 1825.
-
[103]
AM Thiers, HS, O 180 : Coalition des ouvriers papetiers de Thiers, 1858.
-
[104]
Ici le maire fait notamment publier l’arrêt de fructidor an IV.
-
[105]
AM Thiers, HS, O 180 : Coalition des ouvriers papetiers de Thiers, 1858.
-
[106]
AM Thiers, HS, M 161: Conclusion du conflit de 1858, septembre 1858.
-
[107]
Ce qui est un phénomène général en France : Stéphane SIROT, La grève en France : une histoire sociale (XIXe-XXe siècle), Paris, Odile Jacob, 2002, p. 20-26.
-
[108]
Ibid., p. 25-26.
-
[109]
A.-G. MANRY et P. CHAZAL, Chamalières, op. cit., p. 125.
-
[110]
R. ESTIER, Le temps des épreuves…, op.cit., p. 65.
-
[111]
A.-G. MANRY et P. CHAZAL, Chamalières, op. cit., p. 124-125.
-
[112]
Ibid., p. 263.
-
[113]
Ibid., p. 285 et 336.
-
[114]
L. ANDRÉ, Machines à papier…, op.cit., p. 55-58, p. 63-66, p. 81 et sq.
-
[115]
Pierre LÉON, La naissance de la grande industrie en Dauphiné, fin du XVIIe siècle-1869, Paris, PUF, 1954 ; Marie-Hélène REYNAUD, Une histoire de papier. Les papeteries Canson et Montgolfier, Annonay, Musée des papeteries Canson et Montgolfier, 1989 et La papeterie ardéchoise, 400 ans de savoir-faire, Cahiers de Mémoire d’Ardèche et Temps présent, Cahier n° 19, 15 août 1988.
-
[116]
Leonard R. ROSENBAND, La fabrication du papier dans la France des Lumières. Les Montgolfier et leurs ouvriers, 1761-1805 [2000], Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005 ; Marie-Hélène REYNAUD, Les moulins à papier d’Annonay à l’ère pré-industrielle : les Montgolfier et Vidalon, Annonay, Éditions du Vivarais, 1981 ; AN, F12 2281 : Damnation des papeteries de la région de Rives en Dauphiné, 1813 ; J. NICOLAS, La rébellion française..., op. cit., p. 306-307 : AN, F12 1774 : Mémoires pour les papeteries, s.d. (v. 1771) et AN, F12 748/B : Dauphiné. Inspection des manufactures. Mémoire, s.l., s.d., (vers 1778).
-
[117]
L. ANDRÉ, Machines à papier…, op. cit., p. 39, 64, 92, 103 et 416.
-
[118]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op. cit., p. 243-261.
-
[119]
L. ANDRÉ, Machines à papier…, op. cit., p. 121, 131, 397, 416 et 427.
-
[120]
Charles DRAVAINE, Naoura : chronique d’un antique village papetier, Paris, éd. Bossard, 1927, p. 6-7.
-
[121]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op. cit., p. 200-208.
-
[122]
Louis APCHER, Les Dupuy de la Grandrive, Mémoires de l’Académie des Sciences Belles Lettres et Arts de Clermont-Ferrand, 1937.
-
[123]
R. ESTIER, Le temps des épreuves…, op.cit., p. 46.
-
[124]
J.-L. BOITHIAS et C. MONDIN, Les moulins à papier…, op. cit., p. 234.
-
[125]
R. ESTIER, Le temps des épreuves…, op.cit., p. 49.
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[126]
Jacques CURIE a pu le démontrer pour une population contemporaine d’origine paysanne (Le devenir des travailleurs d’origine agricole : contribution à l’étude de la transformation des conduites de travail, Lille, Atelier de Reproduction des thèses, Université de Lille III, Paris, diffusion H. Champion, 1975). On pourra aussi se reporter à un ouvrage du même auteur élargissant la problématique aux autres secteurs d’activités. On exploitera en particulier la première partie portant sur les changements professionnels et la problématique de l’interstructuration : Jacques CURIE, Travail, personnalisation, changements sociaux : archives pour les histoires de la psychologie du travail, Toulouse, Octarès, 2000. On se réfèrera aussi au classique d’Alain TOURAINE et Orietta RAGAZZI : Les ouvriers d’origine agricole (1961), réédition, Paris, Éditions d’Aujourd’hui, 1975.
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[127]
J. CURIE, Travail, personnalisation, changements sociaux…, op. cit., p. 23-56.
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[128]
L. ROSENBAND, La fabrication du papier, op. cit., p. 193.
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[129]
Réel ou rêvé : « [l’employé] s’occuperait à des menus travaux en attendant avec son maître les pluies bienfaitrices », ibidem, p. 209.
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[130]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op.cit., p. 179.
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[131]
La question, faute de travaux approfondis dans le domaine, reste toutefois ouverte. Il paraît souhaitable de l’examiner, en se défiant du modèle dominant, en réfléchissant à un fonctionnement à plusieurs niveaux, peu structuré, donc fortement sujet à des évolutions rapides dans le temps. Cela permettrait de saisir en quoi la pluriactivité jouait ou non un rôle important dans les petits moulins dès la période moderne.
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[132]
P.-C. REYNARD, Histoire de papier…, op. cit., p. 175.