Couverture de RHMC_574

Article de revue

Les demandes de pensions des écrivains, 1780-1820

Pages 156 à 184

Notes

  • [1]
    Paul BÉNICHOU, Le sacre de l’écrivain. Essai sur la naissance d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, Gallimard, 1973 ; Jean-Claude BONNET, Naissance du Panthéon. Essai sur le culte des grands hommes, Paris, Fayard, 1998 ; José-Luis DIAZ, L’écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique en France, Paris, Champion, 2007 ; Nathalie HEINICH, L’élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard, 2005.
  • [2]
    Voir notamment Alain VIALA, Naissance de l’écrivain. Sociologie de la littérature à l’âge classique, Paris, Minuit, 1985 ; Christian JOUHAUD, Les pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, Gallimard, 2002 ; Éric BRIAN, La mesure de l’État. Administrateurs et géomètres au XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 1994.
  • [3]
    Au sein d’une bibliographie abondante, voir en particulier Daniel ROCHE, Les Républicains des lettres au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1984 ; Robert DARNTON, Gens de lettres, gens du livre, Paris, Odile Jacob, 1992 et ID., Bohème littéraire et Révolution. Le monde des livres au XVIIIe siècle, Paris, Seuil, 1983 ; Roger CHARTIER, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Le Seuil, 1991 ; Antoine LILTI, Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2005 ; Stéphane VAN DAMME, Paris capitale philosophique, de la Fronde à la Révolution, Paris, Odile Jacob, 2005 ; Carla HESSE, Publishing and Cultural Politics in Revolutionary Paris, 1789-1810, Berkeley, University of California Press, 1991 ; Gregory BROWN, A Field of Honor : Writers, Court Culture and Public Theater in French Literary Life from Racine to the Revolution, New York, Columbia University Press, 2002 ; Geoffrey TURNOVSKY, The Literary Market : Authorship and Modernity in the Old Regime, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2009.
  • [4]
    Dans le cadre d’une enquête collective menée au sein du séminaire « Autour des révolutions : Culture et Politique » (2005-2008) et à laquelle ont participé principalement Gilles Malandain, Stéphanie Le Calvez, Pauline Lemaigre, Yasmine Marcil, Barbara Revelli et Mélinda Caron. Que tous les participants et les auditeurs du séminaire soient remerciés.
  • [5]
    Ce corpus documentaire a été constitué, selon toute vraisemblance, sous le Consulat et l’Empire, au moment de la constitution de la série F17, dont l’objet était notamment de réunir des fichiers individuels sur les personnels de l’Instruction publique. Pour cela, les créateurs de la série n’ont pas hésité à aller chercher des dossiers du Contrôle général des finances datant de la fin de l’Ancien Régime. Il n’est évidemment pas anodin que la constitution de cette série archivistique assimile implicitement les hommes de lettres pensionnés à des personnels de l’État et s’efforce de produire une mémoire administrative de leur carrière.
  • [6]
    Archives nationales (désormais AN), F17 1532-1544 : Pièces diverses antérieures à 1838.
  • [7]
    Hélène MILLET (éd.), Suppliques et requêtes. Le gouvernement par la grâce en Occident (XIIe-XVe siècle), Rome, École française de Rome, 2003 ; Lex HEERMA van VOSS (éd.), « Petitions in social history », International Review of Social History, suppl. 9, 2001 ; Cecilia NUBOLA, Andreas WÜRGLER (éd.), Suppliche e gravamina. Politica, amministrazione, giustizia in Europa, secoli 14.-18, Bologne, Il Mulino, 2002, p. 10 ; Claude GAUVARD, « De grace especial ». Crime, État et Société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991 ; Simona CERUTTI, « Travail, mobilité et légitimité. Suppliques au roi dans une société d’Ancien Régime (Turin, XVIIIe siècle) », Annales HSS, 65-3, 2010, p. 571-611.
  • [8]
    Natalie Zemon DAVIS, Pour sauver sa vie. Les récits de pardon au XVIe siècle (1987), Paris, Seuil, 1988.
  • [9]
    Didier FASSIN, « La supplique. Stratégies rhétoriques et constructions identitaires dans les demandes d’aide d’urgence », Annales HSS, 60-5, 2005, p. 955-981.
  • [10]
    A. VIALA, Naissance de l’écrivain…, op. cit. Au début des années 1670, cette distribution de gratifications concerne 60 personnes, pour un total de 120000 l.t.
  • [11]
    JOURDAN, ISAMBERT, DERCRUSY, Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l’an 420 jusqu’à la révolution de 1789, Paris, Belin-Leprieur, 1827, t. XXVIII, p. 86-87.
  • [12]
    Voir les travaux de Pauline Lemaigre sur l’administration des Menus Plaisirs (thèse en cours, Université de Paris 1-IDHE UMR 8533).
  • [13]
    Rétrospectivement, Jean-Charles-Pierre Lenoir, ancien lieutenant de police et garde de la bibliothèque royale, qui fut un des commissaires chargés d’expertiser les dossiers et fut violemment critiqué, relève cette contradiction, même si le jugement qu’il porte sur cet épisode est évidemment marqué par un souci de justification et une visée polémique. Dans un fragment inachevé de ses mémoires, intitulé justement « Des pensions et gratifications en faveur des savants et gens de lettres », il écrit : « L’on reconnut alors que le gouvernement avait fait une faute en appelant en quelque sorte par un arrêt du conseil rendu public, tous les prétendants possibles à participer à des grâces qui ne sont dues qu’au vrai mérite » (Médiathèque Orléans, fonds ancien, Mss 1422, fol. 566-571). Nous remercions Vincent Millot, qui achève un essai sur Lenoir, de nous avoir transmis ce texte.
  • [14]
    Les dossiers de 1785 n’ont malheureusement pas été conservés. Nous ne disposons donc que des résumés produits par l’administration royale. En revanche, les dossiers postérieurs sont complets, avec les mémoires justificatifs et les lettres des solliciteurs. Robert DARNTON évoque ces dossiers dans Bohème littéraire et Révolution. Le monde des livres au XVIIIe siècle (1982), Paris, Gallimard-Seuil-EHESS, 1983.
  • [15]
    « Traitement des gens de lettres », AN, F17 1212
  • [16]
    Il ne s’agit ici que des pensions octroyées directement sur le Trésor royal. Certains écrivains émargeaient à d’autres fonds (La Librairie, la caisse du commerce, La monnaie, etc.)
  • [17]
    AN, F17 1212, dossier 3, « Favanne ».
  • [18]
    À propos des pensions déjà octroyées : « Il est possible qu’elles ayent été données à plusieurs auteurs qui demandent aujourd’huy, sans avoir déclaré comme ils l’auraient dû aux termes de l’article 1er de l’arrêt du conseil ». À propos de X, le commis note : « Il est sur que sa place au Musée lui vaut 3000 l.t. Si on connaissait les traitements faits sur le Mercure et la Gazette, il y a apparence qu’on y verrait son nom », ce qui aboutit à réduire la pension proposée de 2000 l.t. à 1500. De même, à propos de Guillaume Rochefort, dont les commis s’efforcent de rechercher les gratifications dont il bénéficie déjà pour porter le total à 3000 l.t. : « On croit qu’il a déjà des grâces du roy, ne vient-il pas d’obtenir l’une des 4 nouvelles pensions crées pour l’académie des inscriptions ? » « Lui faire en comprenant tout ce qu’il a 3000 l.t. ». (AN, F17 1212, dossier 3, « Rochefort »)
  • [19]
    Robert MERTON, « La science et l’évangile selon saint Matthieu. Étude des systèmes de récompense et de communication dans le domaine de la science », Le Progrès scientifique, 1969, n° 136, p. 16-39.
  • [20]
    AN, F17 1212, « dossier Lebrun », dossier « Florian ».
  • [21]
    AN, F17 1212, dossier 10, « Hurtaut ». L’âge est en effet un élément important de cette rhétorique compassionnelle.
  • [22]
    À ce titre, on relèvera le cas de Jean-François de Saint-Lambert qui « demande une pension de 1053 livres et 12 sous comme homme de lettres, pour avec 2546 livres et 8 sous dont il jouit comme militaire lui compléter un traitement de 3600 l.t. que son grand âge lui rend nécessaire ». Le terme de « traitement » est particulièrement significatif.
  • [23]
    AN, F17 1212, dossier 1, « État des pensions et des gratifications… »
  • [24]
    Parmi les exceptions, on peut relever le cas de Cadet de Senneville, qui obtient une pension de 1000 l.t. avec ce commentaire, « censeur royal très estimé et très utile », mais c’est davantage sa fonction, et la façon dont il l’accomplit, qui est récompensée, qu’une forme de fidélité politique à la monarchie. L’autre exception notable est celle de Désormaux, « historien de la maison de Bourbon », qui reçoit 1000 l.t. (« État des pensions et des gratifications… »)
  • [25]
    AN, F17 1212, dossier 5, « Blin ».
  • [26]
    AN, F17 1212, dossier 10, « Saint-Ange ».
  • [27]
    AN, F17 1212, dossier 10, « Rousseau ».
  • [28]
    AN, F17 1212, dossier 5, lettre de Caraccioli, du 13 août 1788.
  • [29]
    AN, F17 1212, dossier 10, « Réquier ».
  • [30]
    G. BROWN, A Field of Honor, op. cit.
  • [31]
    Yannick SÉITÉ, Du livre au lire. La Nouvelle Héloïse. Roman des Lumières, Paris, Honoré Champion, 2002.
  • [32]
    Philippe BOURDIN, Jean-Luc CHAPPEY (éd.), Réseaux et sociabilité littéraire en Révolution, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2007.
  • [33]
    Armand-Gaston CAMUS, Code des pensions, ou Recueil des décrets de l’Assemblée nationale constituante sur les récompenses en général, et sur les pensions en particulier…, Paris, 1792, p. 25.
  • [34]
    Stéphanie LE CALVEZ : « La réorganisation du monde des Lettres en l’an III », mémoire de Master 2, sous la direction de Jean-Luc Chappey et Pierre Serna, Université de Paris I/IHRF, 2010.
  • [35]
    Bronislaw BACZKO, « La Constitution de l’an III et la promotion culturelle du citoyen », in François AZOUVI, L’institution de la raison, Paris, Vrin, 1992, p. 32 ; J.-L. CHAPPEY, « Raison et citoyenneté : les fondements culturels d’une distinction sociale et politique sous le Directoire », in Raymonde MONNIER (éd.), Citoyen et citoyenneté sous la Révolution française. Actes du Colloque de Vizille du 24-25 septembre 2005, Paris, Société des études robespierristes, 2006, p. 279-288.
  • [36]
    Abbé GRÉGOIRE, « Rapport sur les encouragements, récompenses et pensions à accorder aux savants, aux gens de lettres et aux artistes », Convention nationale, séance du 17 vendémiaire an III (4 novembre 1794).
  • [37]
    En février 1793, le Comité d’instruction publique est chargé de préparer un rapport concernant les possibilités d’aides fi nancières aux savants, gens de lettres et artistes. AN, F171258, doss. 2, décret du 13 frimaire an II/3 décembre 1793 : « Sur la proposition des Comités de liquidation et de l’Examen des Comptes, la Convention Nationale charge le Comité d’Instruction publique de se faire rendre compte […] de l’emploi des sommes accordées pour l’encouragement des arts utiles, les genres d’invention, les noms des auteurs et la récompense à accorder à chacun d’eux ». En février 1794, c’est au nom des Comités d’Instruction publique et de Salut public que Grégoire est appelé pour enquêter sur la situation des Hommes de lettres et Savants. Il s’appuie sur un rapport de Jean-Baptiste Lefebvre de Villebrune présenté aux différents comités en mars 1794, mais l’enjeu du mémoire (finalement présenté le 5 octobre 1794) change après le 9 thermidor an II : il ne s’agit plus seulement de transformer les fondements d’une politique des pensions et de venir en aide à des individus en difficulté, mais de se servir de cette politique pour renforcer la légitimité du régime thermidorien.
  • [38]
    Rapport et projet de décret présentés à la C.N. dans sa séance du 18 fructidor, au nom du C.I.P. Sur les encouragements destinés aux savants, gens de lettres et artistes par Villars, député de Mayenne, fructidor an III : « Rappelez à la vie les sciences, les lettres et les arts descendus dans la tombe. Ne souffrez pas que des citoyens dignes de les cultiver et propres à étendre leur empire, gémissent dans les horreurs de l’indigence : songez que les lumières sont les compagnes assidues de la liberté […] », p. 3.
  • [39]
    « La Convention nationale décréta le 14 nivôse dernier que la trésorerie tiendrait à la disposition de la Commission exécutive de l’instruction publique une somme de trois cent mille livres pour être répartie aux gens de lettres et artistes dénommés en l’état présent par le Comité d’instruction publique ; la somme en question n’a pas été totalement distribuée ; plusieurs citoyens ont fait des pétitions pour réclamer les secours qu’ils croyaient leur être dus », Lettre de la commission temporaire des arts aux membres du Comité d’instruction publique, Paris, le 3 ventôse an III. [Bibliothèque historique de la Ville de Paris, Ms 772, fol. 3].
  • [40]
    Marie-Joseph CHÉNIER, Rapport fait à la Convention nationale au nom du Comité d’Instruction publique par Marie-Joseph Chénier, député du département de Seine-et-Oise ; suivi du décret rendu en conséquence à la séance du 14 nivôse an III, Paris, de l’Imprimerie nationale, nivôse an III (décembre / janvier 1795).
  • [41]
    « En discutant les bases de notre travail, nous avons pensé que l’inégalité d’âge, de talent et de travaux devaient nécessairement établir quelque inégalité dans les récompenses », Marie-Joseph Chénier, Rapport fait à la Convention nationale, op. cit.
  • [42]
    Décade philosophique, section « Instruction publique », 1er trim., sept.-nov. 1794, p. 393-397.
  • [43]
    « Le Comité, sur la proposition d’un membre, arrête, attendu l’insuffisance des trois cent mille livres et le nombre de demandes, qu’il y aura une liste supplétive de savants, artistes et gens de lettres non compris dans les deux premières et qu’il sera en conséquence présenté à la Convention un projet de décret pour une seconde mise de fonds entre les mains de la Commission d’instruction publique pour cet objet », Josiane BOULAD-AYOUB, Michel GRENON (éd.), Procès-verbaux du Comité d’instruction publique de la Convention nationale, Paris, L’Harmattan, 1997, t. V, p. 310.
  • [44]
    Ibid., t. V, p. 361-362.
  • [45]
    « Le Comité arrête que les citoyens : Roy (J.F.), auteur de Scipion à Numance, Caraccioli, Girault, Arnould, auteur de la Balance du Commerce, Martini, musicien, Degraces, auteur d’une Histoire universelle, Desfontaines, auteur dramatique, Servandory, Lamiral, auteur d’un Voyage en Afrique, Thuillier, astronome, Bournond-Mallarmé (Citoyenne), Courtalon, Fontalard, Carbon-Flins, Champion, Saverien, Rodolphe, musicien, Fernouillot-Falbaire seront compris sur cette liste » dans Procès-verbaux du Comité d’instruction publique, op. cit., p. 368. Après plusieurs semaines de discussions, c’est finalement le 16 avril 1795/27 germinal an III que la nouvelle liste des bénéficiaires est établie et présentée par Daunou. Une somme de 42000 livres restant de la première distribution à laquelle sont ajoutés 61500 livres soit 103 livres distribués entre 48 nouveaux citoyens (16 reçoivent une pension de 3000 livres, 15 de 2000 et 17 de 1500.
  • [46]
    Susan DESAN, « Reconstituting the social after the Terror », Past and Present, 164, août 1999, p. 81-121.
  • [47]
    « J’ai 62 ans révolus ; je suis torturé par une maladie de nerfs qui me fait passer la moitié de ma vie dans mon lit ; en cet état, je viens de subir trois mois de prison incarcéré comme suspect par le Comité révolutionnaire de ma section pour avoir contribué à dénoncer à l’assemblée générale, d’après l’injonction faite aux citoyens par la Convention, les friponneries de deux des douze voleurs-buveurs de sang qui composent le Comité », AN, F17 1210, pièce 48.
  • [48]
    « La liberté devait me coûter de plus grands sacrifices encore. J’ai été incarcéré, avec ma femme, durant 9 mois, par des ordres émanés du tyran Robespierre, parce qu’il savait que j’avais pénétré […] dans son coeur sanguinaire. Cette détention m’a fait contracter de grandes dettes. Nous avons recouvré la liberté au lendemain du supplice de ce tyran », AN, F17 1021 b. Dossier 6, pièce 35.
  • [49]
    C’est le cas de La Coste-Mézières (AN, F17 1210, pièce 86) et de Charpentier-Longchamps (1740-1812) : « En obéissant au décret du 27 germinal qui l’exila de Paris, il s’est vu privé longtemps de ses ressources et soumis à des dépenses que la mauvaise fortune le mettait hors d’état de supporter. […]. Le Cn Longchamps observe au Comité qu’il s’occupe depuis longtemps d’une histoire de la Révolution actuelle, que la série de ses idées sur cet objet important a souffert, pendant son exil, une lacune de 8 à 10 mois, qui pour être remplie entraîne des frais qui l’accablent, quoique rentré au vrai foyer de l’instruction publique, les lumières qu’il y puise ne sont rien moins que gratuites » : AN, F17 1213, pièce 139.
  • [50]
    H. GRÉGOIRE, « Rapport sur les destructions opérées par le vandalisme et sur les moyens de les réprimer. Séance du 14 fructidor an II », Œuvres de l’abbé Grégoire, Nendeln/KTO Press, Paris/ Edhis, 1977, p. 268 : « On a mis en arrestation Dessault, un des premiers chirurgiens d’Europe […]. Pendant neuf mois, on a fait gémir dans une prison le célèbre traducteur d’Homère, Bitaubé, fils de réfugié […]. Thillaye, Cousin, Laharpe, Vandermonde, Ginguené, La Chabeaussière, La Métherie, François Neufchâteau, Boncerf, Oberlin, Volney, Laroche, Sage, Beffroy, Vigée, et beaucoup d’autres ont éprouvé le même sort ».
  • [51]
    Voir Jean-Clément MARTIN, « Histoire, mémoire et oubli. Pour un autre régime d’historicité », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 47-4, oct.-déc. 2000, p. 783-804.
  • [52]
    AN, F17 1210. Secours aux savants, artistes et gens de lettres (1765-1810). Comité d’instruction publique (89-90).
  • [53]
    Rédacteur de la Feuille littéraire utile et amusante…, Bordeaux, an III-an IV.
  • [54]
    « Bordeaux, 24 ventôse an III. J’ai donné des célébrations décadaires en chants, discours et hymnes civiques d’après le décret du 18 floréal. J’ai réuni trois talents principaux, la composition, la déclamation et le chant : je n’ai pas cinquante francs de rente ; malgré ma pauvreté dont je ris, quelques grands que soient mes services pour la République, je ne connais point de récompense pour bien faire, mais je demande une juste indemnité pour continuer et même augmenter mes travaux importants » : AN, F17 1213, pièce 121.
  • [55]
    AN, F17 1210 (170).
  • [56]
    « [Je] demande à participer à la gratification accordée aux gens de lettres nécessiteux, ma pauvreté actuelle me donne des droits qui sont doublement appuyés par mon titre de mère d’un brave défenseur de la patrie ; mon fils unique a été aux plaines de Chalons dont il est revenu blessé, et depuis le 3 juin 1793, il est en Vendée où il s’est rendu volontairement », AN, F17 1219, pièce XX II.
  • [57]
    L’hostilité exprimée à la réception des ouvrages de Mme de Staël s’explique sans doute par le fait que cette dernière ne correspondait pas aux normes et aux contours de cette littérature féminine.
  • [58]
    C’est le cas d’un certain Tigner, auteur des Larmes du clergé : « Le citoyen Tigner, convaincu que l’opinion est la ruine du monde, convaincu que nous ne serons heureux en France que lorsqu’elle serait prononcée a fait tout ce qui était en lui pour concourir à la former connaissant le génie et la gaieté des Français, il ne leur a offert le résultat de ses calculs politiques que sous le trait d’une muse enjouée… », AN, F17 1213, pièce 106.
  • [59]
    Voir les archives conservées dans la série F2554. Commission exécutive de l’instruction publique : « Encouragements aux savants et artistes – État de répartition de la somme de trois cent milles livres aux gens de lettres, artistes, portée dans la distribution du 19 nivôse an III sous le n° 273 en exécution des lois du 27 vendémiaire et 14 nivôse derniers ».
  • [60]
    Pierre SERNA, La république des girouettes. 1789-1815 et au-delà. Une anomalie politique : la France de l’extrême centre, Seyssel, Champ Vallon, 2005 ; J.-L. CHAPPEY, « Les Idéologues face au coup d’État du 18 brumaire an VIII : des illusions aux désillusions », Politix, 14-4, n° 56, 4e trimestre, 2001, p. 55-75.
  • [61]
    Carla HESSE, Publishing and cultural politics in revolutionary Paris, 1789-1810, op. cit.
  • [62]
    Annie JOURDAN, Napoléon, héros, imperator, mécène, Paris, Aubier, 1998.
  • [63]
    J.-L. CHAPPEY, « Le XVIIe siècle comme enjeu philosophique et littéraire au début du XIXe siècle », Cahiers du Centre de recherches historiques, 28-29, avril 2002, p. 101-116.
  • [64]
    Ce programme est particulièrement défini dans le fameux rapport remis en 1807 par le ministre de l’Intérieur à Bonaparte et dont une partie des propositions sera mise en œuvre.
  • [65]
    Lettres inédites de l’abbé Morellet sur l’histoire politique et littéraire des années 1806 et 1807, Paris, Ladvocat, 1822, « Lettre à P.L. Roederer du 24 août 1807 », p. 88.
  • [66]
    Il n’est à ce titre pas fortuit de constater que c’est au moment où se renforce cette politique des pensions et s’accroît la pression des autorités sur les institutions scientifiques et le monde de l’imprimé que se multiplient des initiatives en faveur de la constitution d’un mécénat que l’on pourrait qualifier de privé, initiatives toujours combattues par les autorités. « Un vieil idéologue, M. [Marc-Ferdinand] Groubert de Groubentall qui avait publié il y a vingt ans quelques rêves politiques et philosophiques, après avoir dormi pendant les orages de la révolution […] veut nous enrichir d’un mémoire sur les moyens d’améliorer le sort des gens de lettres. Si ces projets à ce sujet n’étaient pas de la folie, on pourrait le laisser déraisonner à son aise, mais ses folies ont du danger et il est convenable de le prévenir », dans AN, F1049. Direction générale de l’imprimerie et de la librairie. N° 45, bulletin de la 2nde semaine de novembre 1813. Voir J.-L. CHAPPEY, « Héritages républicains et résistances à l’organisation impériale des savoirs », Annales historiques de la Révolution française, n° 346, 2006-4, p. 97-120.
  • [67]
    « Liste des gens de lettres, artistes dont la situation est peu heureuse (1807) », AN, F1316.
  • [68]
    Catherine DUPRAT, Pour l’amour de l’humanité : le temps des philanthropes. La philanthropie parisienne des Lumières à la Monarchie de Juillet, Paris, Éditions du CTHS, 1993.
  • [69]
    AN, F171541. Le dossier est constitué de près d’une trentaine de documents qui ont été envoyés aux bureaux du ministère de l’Intérieur entre 1800 et 1815, date de sa mort. Sauf indication contraire, les documents cités ci-après sont tirés de ce dossier.
  • [70]
    Mentelle reste plus connu pour ses travaux de vulgarisation que pour des innovations scientifiques. Voir Hélène BLAIS, « La Géographie académique entre sciences et belles lettres (autour de la scission de 1803) », dans Hélène BLAIS, Isabelle LABOULAIS (éd.), Géographies plurielles. Les sciences géographiques au moment de l’émergence des sciences humaines (1750-1850), Paris, L’Harmattan, 2006, p. 99.
  • [71]
    Il doit recevoir la somme de 2000 livres.
  • [72]
    « J’ai l’honneur de vous demander votre agrément pour que je place dans un coin du petit jardin que comporte le local qui m’a été accordé au Louvre ; la chèvre qui m’appartient et dont je bois le lait », AN, F17 1021 [183] Lettre de Mentelle du 27 brumaire an VI.
  • [73]
    Le 10 nivôse an XI, il présente, avec Gosselin, un mémoire « sur les avantages que présentera un état de la population de la République, indiquant la manière dont cette population se trouve disséminée sur le territoire ».
  • [74]
    AN, F17 1453, « Lettre de Mentelle au ministre de l’Intérieur du 16 prairial an XII ».
  • [75]
    Corine LEGOY, « Éloges politiques et thuriféraires de la Restauration. Chanter, servir ou combattre, les sens de la célébration », thèse d’histoire, Université de Paris 1, sous la direction d’Alain Corbin, 2004.
  • [76]
    Parmi les travaux sur ces groupes sociaux : Natalie PETITEAU, Lendemains d’Empire. Les soldats de Napoléon dans la France du XIXe siècle, Paris, La Boutique de l’Histoire, 2003 ; Hervé LEUWERS, L’invention du barreau français, 1660-1830 : la construction nationale d’un groupe professionnel, Paris, Éditions de l’EHESS, 2006 ; Igor MOULLIER, « Le ministère de l’Intérieur sous le Consulat et le Premier Empire (1799-1814). Gouverner la France après le 18 brumaire », thèse d’histoire, Université Lille III sous la direction de Gérard Gayot, 2004.
  • [77]
    Les dossiers individuels constitués autour des demandes de secours et de pensions doivent ainsi être replacés dans un corpus plus large constitué par les dossiers de carrière, les dossiers de naturalisation, les dossiers de Légion d’honneur. Ces différents corpus forment actuellement les sources de nombreux chantiers prosopographiques. Voir le bilan présenté lors du colloque « Définir, classer, compter. L’approche prosopographique en histoire des sciences », tenu les 26-27-28 novembre 2009 à la MSH Lorraine.
  • [78]
    Olivier IHL, Le mérite et la République : essai sur la société des émules, Paris, Gallimard, 2007.

L’écrivain face à l’État : les demandes de pensions et de secours des hommes de lettres et savants (1780-1820)

1 L’histoire des hommes de lettres, entre Lumières et Romantisme, est habituellement pensée à partir du paradigme du « sacre de l’écrivain », selon la célèbre expression de Paul Bénichou. La formule désigne, comme on sait, une mutation profonde du statut social et symbolique des écrivains, qui se traduit par l’émergence d’un pouvoir spirituel laïque, l’écrivain venant occuper la place sacerdotale d’un clergé défaillant. À partir de ce schéma, plusieurs auteurs ont apporté des nuances aux modalités de ce « Panthéon de papier » qui, dès le XVIIIe siècle, voit la transformation de l’écrivain en modèle du « Grand Homme » : elles portent sur les stratégies de présentation de soi des écrivains, ou encore sur l’émergence d’un régime de singularité fondé sur le caractère exceptionnel d’une vocation [1]. Tous ces travaux décrivent une évolution difficilement contestable – même si l’on peut douter que la promotion sociale et symbolique de l’écrivain soit à ce point univoque et linéaire –, mais ont aussi en commun de travailler à partir de textes normatifs ou prescriptifs, en général écrits par des écrivains eux-mêmes : préfaces, figures fictionnelles d’auteurs, manifestes littéraires, correspondances. Si ces textes doivent évidemment être pris en compte, ils ne peuvent prétendre au statut de sources exclusives pour construire l’analyse des transformations profondes qui touchent le statut des écrivains entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle. Ils aboutissent à privilégier les débats polémiques autour du rôle et de la fonction des « intellectuels » au détriment d’une histoire plus fine de la construction des identités sociales. On rencontre une semblable difficulté du côté de l’histoire des sciences et des savants : de nombreux travaux mettent en évidence l’émergence irréductible de la figure du savant spécialisé et professionnel. Construites souvent à partir de l’analyse des débats et des conflits qui opposent les différents acteurs de l’espace des sciences, ces études se contentent de reprendre, en les réifiant, les catégories construites par les acteurs eux-mêmes.

2 Il existe pourtant d’autres sources, permettant d’approcher à une autre échelle et sous d’autres modalités l’histoire sociale des intellectuels. Les demandes de secours et de pensions adressées au pouvoir politique et administratif constituent un corpus particulièrement riche et méconnu qui permet de saisir la disparité des situations matérielles et symboliques de ceux qui revendiquent un statut d’écrivain ou de savant, ainsi que les contraintes que les bouleversements politiques exercent sur la façon dont ils construisent leur identité sociale. Ces demandes mettent en évidence les relations complexes, mais toujours essentielles, existant entre ces intellectuels et les autorités politiques. On ne peut en effet manquer d’être frappé du fait que les différentes versions du récit du « sacre de l’écrivain » ignorent presque totalement le rôle de l’État, considéré à travers les différentes institutions qui l’incarnent pendant cette période particulièrement troublée des années 1780-1820. Autant l’État apparaît comme un acteur essentiel des transformations de l’écrivain ou du savant à l’âge de l’absolutisme [2], autant il semble disparaître de l’horizon historiographique pour la période prérévolutionnaire et révolutionnaire, laissant l’écrivain dans un face-à-face avec son public, réel ou imaginaire. Cette situation paradoxale s’explique sans doute par l’idée couramment admise selon laquelle le mécénat n’a plus joué qu’un rôle marginal dans la structuration de l’espace littéraire et scientifique une fois passé le moment louis-quatorzien. On peut y voir l’effet conjugué de plusieurs tendances historiographiques : la méfiance des études proprement littéraires ou scientifiques pour l’histoire politique ; l’idée fausse, mais encore très répandue, d’une indifférence, voire d’une hostilité, des autorités révolutionnaires pour les acteurs du monde des lettres et des sciences, la décision prise par la Convention le 8 août 1793 de supprimer les académies étant considérée, à tort, comme le signe d’un clivage entre le champ politique et le monde culturel ; enfin, la thèse de l’autonomisation, qui conduit la sociologie historique du champ littéraire à insister plutôt sur « la naissance de l’intellectuel » des Lumières ou sur les institutions non étatiques de consécration et de publication. Ainsi, de nombreuses et riches études ont été consacrées aux mutations des institutions de sociabilité, aux transformations du marché du livre et à la revendication des droits d’auteur, qui apparaissaient comme les éléments essentiels de la modernité culturelle [3]. Bien sûr, ces études n’ont pas entièrement ignoré le rôle de l’État, présent à l’horizon des institutions académiques, de la gestion des théâtres ou de la régulation de la censure, mais il reste que celui-ci n’apparaît qu’en arrière-plan, sous la forme lointaine du Pouvoir, et non dans un face-à-face immédiat dans lequel s’engagent de nombreux auteurs.

3 Pourtant, écrivains et savants n’ont cessé, tout au long de la période que nous considérons, de solliciter les autorités politiques et administratives afin d’en obtenir des pensions, des secours ou des gratifications. L’État, que ce soit sous sa forme monarchique, républicaine ou impériale, reste une ressource essentielle, sur le plan matériel et symbolique, pour les auteurs débutants comme pour les hommes de lettres reconnus. Ce qui est en jeu, alors, à travers la persistance de ce que l’on peut définir comme un mécénat public, ce sont les principes mêmes sur lesquels reposent cette distribution de subsides, et donc la reconnaissance de l’utilité publique des hommes de lettres ou de science. On peut ainsi aborder celle-ci non de façon abstraite, à partir des discours de légitimation des écrivains, mais dans l’interaction entre un écrivain et une administration chargée de distribuer, au nom du roi ou de la nation, des secours et des pensions.

4 Cet article s’appuie sur une enquête menée sur les demandes de secours et de pensions entre la fin du XVIIIe siècle et la Restauration [4]. Ces sources sont d’une grande richesse, en particulier parce qu’elles lèvent le voile sur un espace social dont n’émergent trop souvent que quelques grandes figures, mais surtout parce qu’elles mettent en lumière l’interaction complexe entre le pouvoir, d’un côté, les écrivains et les savants, de l’autre, dont elles sont le résultat. Les dossiers conservés permettent en effet de travailler au plus près de la relation qui s’établit entre les autorités politiques ou administratives et les intellectuels qui les sollicitent, en tenant à distance deux réflexes historiographiques : celui d’une histoire longue du mécénat, dans laquelle l’initiative est entièrement du côté du pouvoir, soutien libéral des arts et des sciences ou planificateur rusé de sa propre gloire ; celui des stratégies d’auteurs, où écrivains et auteurs se voient dotés d’une habile capacité à flatter les autorités pour obtenir subsides et protection. On cherchera plutôt à comprendre comment les écrivains négocient leur identité sociale dans le cadre même de la sollicitation du pouvoir, dans un contexte de bouleversements sociaux et d’incertitudes politiques où les identités individuelles et collectives sont particulièrement labiles et menacées. L’attention se portera ainsi sur la confrontation entre des solliciteurs, qui voient dans l’État une ressource et s’efforcent d’anticiper sur ses attentes, et les procédures politiques et administratives de traitement des demandes. La prise en compte d’une période relativement longue et assurément tumultueuse, embrassant plusieurs régimes politiques, implique de se concentrer sur quelques moments spécifiques de cristallisation.

ÉCRIRE AU POUVOIR

5 Les archives de l’intervention de l’État dans le domaine culturel sont dispersées dans différents fonds, en raison notamment de la diversité des institutions dont elle relevait, particulièrement sous l’Ancien Régime (Académies, Maison du roi, Contrôle général…). L’enquête a privilégié un important ensemble documentaire, qui présente l’intérêt d’être assez cohérent et de conserver un grand nombre de demandes venues des écrivains et des savants, puisqu’il s’agit de la correspondance envoyée successivement aux services administratifs du Contrôle général des Finances, du Comité puis de la Commission d’instruction publique rattachée à la Convention nationale puis au ministère de l’Intérieur. La source, conservée dans la série F17 des Archives nationales, a été constituée comme telle par l’administration sous des intitulés divers, comme « demandes de secours », « demandes d’encouragements littéraires », « demandes de secours et de pensions », ce qui témoigne de la volonté de constituer cette pratique comme une activité administrative autonome et cohérente [5]. Le corpus ainsi réuni débute à l’extrême fin de l’Ancien Régime, avec la remise à plat par la monarchie de l’organisation des secours et pensions, sur laquelle nous reviendrons. Il se prolonge jusqu’au début de la monarchie de Juillet, alors que les transformations des formes de reconnaissance et les mutations des aides publiques poussent les hommes et les femmes de lettres à se réunir dans des institutions spécifiques, les sociétés d’auteurs, comme l’illustre la fondation en 1838 de la « Société des gens de lettres ».

6 Deux ensembles doivent être distingués. Le premier est constitué par une importante série de dossiers individuels établis sur une période d’un demi-siècle (de la fin des années 1780 aux années 1830) et classés alphabétiquement [6]. Ces douze cartons contiennent des dossiers particulièrement hétérogènes tant par le statut des solliciteurs, la nature de la demande et la forme même de la sollicitation, mais qui révèlent la pratique continue de celle-ci. Plaidoyer pro domo, la sollicitation témoigne très souvent d’une étape dans la carrière d’un écrivain : dans le contexte particulier du marché éditorial, la publication d’un ouvrage, mais aussi la demande d’un poste ou d’une promotion, justifient de se tourner vers les autorités pour tenter de défendre ses intérêts et d’améliorer sa situation. Dans cette perspective, les lettres livrent des récits de vie que l’on peut saisir à plusieurs étapes de la biographie d’un écrivain. Destinés aux autorités, ces écrits ont moins pour objectif de révéler une « identité » personnelle, que de proposer un récit de justification et de construire la cohérence d’une trajectoire. Ces dossiers parfois volumineux permettent de suivre des parcours individuels, d’observer les aménagements et les recompositions dont ces récits font l’objet, mais aussi d’étudier l’évolution des arguments mobilisés pour convaincre les autorités. Un deuxième ensemble regroupe plusieurs dossiers qui réunissent des demandes sollicitées par les autorités, lors de moments spécifiques de réorganisation de la distribution des pensions. Ainsi, au moment de la tentative de remise en ordre des finances royales en 1786, ou en l’an III, dans le cadre de la politique menée par la Convention pour réorganiser l’espace intellectuel et « sortir de la Terreur », l’État annonce son souhait de refonder la politique de distribution des « encouragements littéraires », ce qui se traduit à la fois par l’afflux conjoncturel de demandes de gratifications, et par l’établissement de listes de demandeurs et de bénéficiaires. L’intérêt de ces dossiers est de saisir sur le vif la confrontation, dans une conjoncture politique donnée et à l’initiative de l’État, entre les demandes des écrivains et le travail administratif et politique des autorités.

7 Les demandes de secours et de pensions tiennent beaucoup de la supplique, genre bien connu sous l’Ancien Régime, par lequel un individu se tourne vers des autorités pour obtenir une intervention en sa faveur : une grâce, un secours, la reconnaissance d’un droit [7]. La supplique relève donc du gouvernement par l’arbitraire, le privilège et l’exemption, mais dans le système administratif et judiciaire de l’Ancien Régime, elle est en réalité une forme habituelle de rapports entre les sujets et les pouvoirs, à tous les échelons. À ce titre, elle est à la fois une forme de communication et de négociation entre les sujets et l’autorité, mais aussi une modalité du rapport de pouvoir, fondée sur l’idéal d’une relation personnelle entre le souverain et les sujets. Si bien que les suppliques, malgré toute leur diversité, ont en général deux traits caractéristiques : elles sont profondément marquées par des modèles rhétoriques, qui invitent à la prudence avant toute lecture strictement documentaire, et elles sont tiraillées entre la revendication d’un droit et la demande d’une faveur [8].

8 Les demandes de pensions des hommes de lettres à la fin du XVIIIe siècle présentent plusieurs points communs avec ce régime de la supplique, en particulier celui d’être des interactions à distance où le solliciteur s’adresse à une autorité dont il s’efforce d’anticiper les attentes. Il est ainsi amené à négocier une identité à partir des instruments rhétoriques à sa disposition, mais aussi d’un arsenal de critères qui lui permettent de justifier sa demande. D’une part, les fragments de récit de vie que contiennent souvent ses demandes soumettent l’auteur à une obligation de mise en cohérence. D’autre part, les écrivains sont amenés à expliciter, pour justifier leurs demandes, des principes généraux qui définissent l’utilité de leurs travaux, et donc l’idée qu’ils se font, ou qu’ils imaginent que l’administration se fait, du rôle des savants et des écrivains. Il faut alors s’intéresser aux formes rhétoriques et aux registres de justification utilisés, ainsi qu’à leur évolution au cours de la période.

9 De même, comme nous le verrons, les demandes de pensions et de secours ne reposent pas uniquement sur l’appel à la compassion, mais d’abord sur la revendication d’un droit. Les auteurs de ces lettres sont des membres des élites intellectuelles qui réclament des faveurs, mais aussi, en quelque sorte, un dû. Ils ne sont pas seulement dans la position d’assistés, mais dans celle d’écrivains parfois reconnus, demandant la poursuite de gratifications anciennes ou la reconnaissance d’une carrière au service des lettres. D’où une importance beaucoup plus grande de la justification par le mérite que dans les demandes ordinaires de secours, qui reposent davantage sur la pitié. D’où, aussi, l’hésitation constante sur la nature même des gratifications réclamées ou octroyées : s’agit-il de grâces exceptionnelles liées à la bienfaisance du souverain ou d’un ministre, de la juste rémunération d’un travail intellectuel, ou d’un secours charitable ? Par conséquent, les récits de vie qui accompagnent les demandes sont très souvent tiraillés entre le tableau des misères du solliciteur et celui d’un parcours exemplaire de producteur culturel fidèle à l’État. Cette tension se révèle enfin dans la diversité des sollicitations, entre la demande de pension, qui institutionnalise la relation avec les autorités, et la simple demande circonstancielle de secours qui correspond davantage au genre de la supplique, et qui peut d’ailleurs prendre des formes très variées : une gratification financière ponctuelle, mais aussi le remboursement de frais engagés, l’aide à la publication, par exemple sous forme de souscription, ou même des aides en nature (logement, nourriture…). Aux yeux du sociologue travaillant sur un matériau contemporain et habitué aux procédures administratives de la politique sociale, la supplique apparaît comme une procédure d’exception, au sens où elle produit un rapport de subjectivation et d’individualisation, qui autorise un traitement personnalisé et discrétionnaire des demandes [9]. En revanche, au regard de l’histoire des suppliques d’Ancien Régime, et plus encore des échanges épistolaires caractéristiques des liens entre hommes de lettres et protecteurs, ce qui frappe, c’est plutôt le caractère administratif, normalisé, de ces demandes, que traduisent d’ailleurs l’existence du fonds documentaire et l’effort de l’administration pour traiter de manière systématique les demandes, en mettant à distance la relation personnalisée de face-à-face caractéristique du mécénat.

10 C’est sans doute ici que se révèle le mieux la spécificité de ces demandes, dans le rapport nouveau qui s’engage entre les solliciteurs et le pouvoir. Il est donc important d’essayer de comprendre le fonctionnement même du traitement administratif dont ces sollicitations ont fait l’objet, la façon dont elles ont été enregistrées, expertisées, et dont les décisions ont été prises. Un des traits essentiel de notre corpus est en effet d’avoir été constitué, comme corpus archivistique, par l’administration, dans le cadre d’une véritable bureaucratisation de la politique culturelle, mais aussi d’être composé d’écrits suscités par l’État, qui somme les écrivains de justifier les gratifications dont ils bénéficient ou qu’ils réclament. Là se situe sans doute la rupture essentielle, qui date non de la Révolution, mais de la toute fin de l’Ancien Régime, et invite à scruter de près les remises en ordre successives de la politique des « encouragements littéraires » à travers trois moments clés : la fin de l’Ancien Régime, l’an III, le Consulat.

LA TENTATION BUREAUCRATIQUE : L’IMPOSSIBLE POLITIQUE CULTURELLE DE LA MONARCHIE ABSOLUE

11 On sait bien peu de choses sur les réalités du mécénat royal au XVIIIe siècle. Les historiens de la littérature ont insisté sur l’épisode colbertien et sur les efforts de Louis XIV pour mettre en place un véritable mécénat monarchique, différent du mécénat ministériel de Richelieu et de Mazarin : en 1684, Colbert, par l’entremise de Jean Chapelain, instaure une distribution annuelle de gratifications pour les savants et les écrivains, mettant ainsi en place « un nouveau modèle du mécénat monarchique ». Pourtant, cette opération indissociablement culturelle et politique (Chapelain met en avant, dans ses commentaires sur les auteurs récompensés, aussi bien leur mérite propre que leur fidélité au roi) s’essouffle dès 1673, en raison des difficultés financières de la monarchie, et semble disparaître en 1676 [10]. Du moins, elle ne laisse plus guère de traces, si bien qu’en l’état actuel de l’historiographie, nous n’avons aucune vue d’ensemble de l’effort que la monarchie consentait en faveur des hommes de lettres et des savants au XVIIIe siècle. Il semble que l’administration royale elle-même n’en ait pas eu une idée claire, en raison de la complexité comptable et de la diversité des supports qui permettaient aux hommes de lettres d’obtenir des gratifications. C’est sans doute la conscience aiguë de cette opacité de la monarchie à elle-même qui explique la tentative de reprise en main et de remise en ordre qui se fait jour à la toute fin de l’Ancien Régime. En septembre 1785, un « arrêt du Conseil concernant les traitements, pensions et gratifications attribués ou qui seront destinés aux savants et gens de lettres, et l’exécution des différents travaux littéraires ordonnés par S.M. et par les rois ses prédécesseurs » [11] entreprend de refondre la politique d’encouragement aux écrivains, en instituant un fonds destiné « à étendre les progrès de l’instruction publique et à encourager les savants qui peuvent y contribuer », mais aussi en contrôlant l’avancée des travaux littéraires ainsi financés. Tous les auteurs bénéficiant de gratifications ou de pensions, ou désireux d’en obtenir, sont invités à soumettre dans les trois mois un dossier, récapitulant ce qu’ils reçoivent déjà et justifiant leurs besoins. Une commission, composée de l’inspecteur chargé de la Librairie et du bibliothécaire du roi, est chargée d’évaluer ces demandes et d’en référer au Contrôleur général ainsi qu’au garde des Sceaux, afin que soit dressé « un état général des sommes à payer par le Trésor royal pour encouragements, traitements, gratifications et pensions aux gens de lettres ».

12 On ne peut manquer d’être frappé, à la lecture de l’arrêt, par la volonté de contrôle et de rationalisation des dépenses publiques en matière de politique culturelle, qui se traduit par un processus d’évaluation bureaucratisé des demandes. Le roi, affirme l’arrêt, « ne se propose aujourd’hui de surveiller davantage l’emploi des talents que pour pouvoir en accélérer les productions, en apprécier le mérite et régler en conséquence la mesure de ses faveurs ». L’arrêt mêle ainsi en permanence deux langages, celui de la grâce royale et celui de l’utilité, et deux logiques, celle du mécénat, fondé sur la prodigalité du roi et son amour des lettres, et celle de l’efficacité administrative, où il s’agit de proportionner l’effort financier aux résultats attendus. La monarchie, en effet, est engagée dans un processus de réforme administrative et financière qui touche particulièrement le domaine des pensions. En 1778-1779, Necker avait lancé un vaste programme de réorganisation de la Maison du roi, ayant notamment pour but de réduire le nombre de caisses, de réunir les différentes pensions touchées par un même individu sur un même brevet, et de rationaliser le système des pensions royales [12]. Il est vrai que les pensions accordées aux savants et hommes de lettres ne représentent qu’une part très minime du montant global des pensions dont bénéficient courtisans, soldats, administrateurs, etc. Néanmoins, c’est bien dans cette évolution générale de la réflexion des administrateurs sur le système des pensions que prend place l’arrêt de 1785. On retrouve, dans l’octroi des gratifications aux hommes de lettres, les mêmes tensions entre les logiques concurrentes de l’utilité au service de l’administration royale, de la philanthropie et du clientélisme.

13 Ces tensions se traduisent aussi sur un autre plan : alors que le modèle traditionnel du mécénat reposait sur la fiction d’un rapport direct entre le prince et l’auteur, sur la reconnaissance par le pouvoir du mérite d’un écrivain distingué, la démarche retenue ici est celle, en quelque sorte, d’un appel public à candidatures, où le roi, par un édit du Conseil, invite chacun à solliciter. Un tel geste, inédit, est lourd de conséquences. Il semble ouvrir largement le champ de ceux qui peuvent bénéficier d’une pension et, surtout, il fait de la distribution des faveurs un acte public, susceptible, par conséquent, d’être ensuite discuté et critiqué publiquement, sur ses principes et ses résultats [13].

14 De fait, l’arrêt de septembre 1785 n’est pas resté lettre morte : il a donné lieu au dépôt de 150 dossiers et à un travail administratif important, qui constitue le point de départ de notre corpus dans la série F17. On y trouve un résumé et une évaluation de chaque dossier, plusieurs tableaux récapitulatifs des demandes et de ce que chacun a obtenu, ainsi que 33 dossiers postérieurs, arrivés trop tard pour être pris en compte et qui semblent être restés en attente de traitement jusqu’à la Révolution [14]. Ces dossiers permettent d’avoir une idée assez précise de l’effort financier en faveur des hommes de lettres et savants. Selon les calculs du Contrôle général, le montant des pensions qui leur sont payées sur le Trésor royal, à la date de 1785, s’élève à 256300 livres [15]. S’y ajoutent, en 1786, 47500 l.t. de nouvelles pensions et gratifications, ce qui porte l’ensemble à un total d’environ 300000 l.t. [16]. Au-delà de cette estimation financière générale, les dossiers attestent surtout que leur traitement fut rigoureux et systématique, les dossiers gardant parfois la trace de leur circulation entre les différents bureaux du Contrôle général lorsque les commis chargés d’enregistrer et de vérifier les demandes ont cherché à faire des recoupements pour évaluer l’exactitude des déclarations. Souvent, des écritures différentes permettent de faire l’hypothèse qu’une première proposition a été faite, avant d’être revue à la baisse ou à la hausse. Trois échelons interviennent dans la décision : les commis chargés du travail administratif, les deux commissaires chargés de le coordonner (Lenoir et Vidault de La Tour), et enfin le Contrôleur général. Ainsi, le dossier de Guillaume de Favanne, gentilhomme normand pauvre, continuateur du traité de conchyliologie de Dezallier d’Argenville, qui profite en 1789 de la mort de Nicolas Beauzée pour essayer d’obtenir sa pension de 3000 l.t, comporte le commentaire de Dufresne, le premier commis de Necker : « M. de Favannes ne paraît point avoir des titres pour obtenir la grâce qu’il demande », auquel le contrôleur général a ajouté de sa main : « ne se peut. N. » [17]. Les commis s’efforcent d’obtenir une image synthétique des encouragements versés aux hommes de lettres, comme en témoignent des documents produits au même moment, mais leur tâche n’est pas aisée ; elle implique des recoupements, et se heurte au fait que les écrivains n’ont pas toujours déclaré scrupuleusement les pensions dont ils bénéficient déjà [18]. Ils n’hésitent pas à enquêter et à demander des vérifications à d’autres services, avant d’accorder une pension.

15 Quels sont les critères d’attribution de ces pensions, telles qu’on peut les reconstituer à partir des décisions prises et des commentaires qui figurent sur les dossiers ? Il semble que, conformément aux déclarations de l’édit, le mérite littéraire soit pris en compte, sans que l’on sache véritablement sur quoi se fonde l’estimation de telles qualités. Mais trois autres critères sont explicités dans les commentaires, sans faire bien entendu l’objet d’une reconnaissance publique. Premièrement, l’appartenance aux institutions culturelles de la monarchie. Les plus grosses pensions vont à des auteurs qui sont membres des académies, comme Marmontel qui est le mieux pourvu. On reconnaîtra là, dans le cadre du mécénat, une variante de « l’effet Matthieu », bien mis en valeur par Robert Merton [19]. Ensuite, l’importance des recommandations, qui sont toujours mentionnées et font l’objet d’une réponse personnelle à l’auteur de la recommandation. Les recommandations proviennent parfois d’administrateurs qui témoignent, localement, du mérite du solliciteur, mais le plus souvent il s’agit d’aristocrates intervenant en faveur de leurs protégés, tels le comte de Vaudreuil qui rappelle au ministre qu’il a « promis de proposer au Roi une pension de 2000 l.t. pour M. Lebrun », et qui soutient aussi son secrétaire, Pigeon de Saint-Paterne, « savant dans les langues orientales » ; ou encore le duc de Penthièvre, qui écrit une lettre en faveur du fabuliste Florian, celui-ci étant recommandé aussi par la duchesse d’Orléans [20]. Ces interventions réintroduisent une logique de clientélisme d’Ancien Régime au sein d’un processus de bureaucratisation de la distribution des encouragements. Enfin, un troisième critère apparaît assez souvent dans les décisions, alors même qu’il n’était nullement mentionné dans l’arrêt du Conseil, ce sont les difficultés financières des solliciteurs, fréquemment mises en avant. Dès lors, une logique philanthropique, qui est celle des suppliques et des secours, vient concurrencer la logique du mérite et de l’utilité que la monarchie semblait vouloir privilégier. C’est d’ailleurs un motif que les solliciteurs mettent souvent en avant, semblant anticiper l’efficacité de la rhétorique de la supplique et de la compassion. Bernardin de Saint-Pierre, par exemple, insiste sur le fait qu’il est « absolument sans fortune et chargé de famille ». Plus pathétique, Pierre-Thomas-Nicolas Hurtaut, professeur de latin à l’école militaire et auteur de plusieurs ouvrages de rhétorique rappelle son âge (70 ans) et évoque sa femme paralytique [21].

16 Cette mention de l’âge n’est pas anecdotique, elle est présente dans de nombreux dossiers et nourrit une rhétorique compassionnelle. On voit bien ici que les demandes s’éloignent d’une logique de la gratification, récompensant un travail intellectuel, pour se rapprocher d’un régime de l’assistance qui pose la question des pensions auxquels ont droit ceux qui ont servi l’État et qui sont désormais trop âgés. Certains auteurs vont jusqu’à mettre en avant un calcul sur leur espérance de vie réduite : « Suivant le cours ordinaire de la nature, je ne puis pas être longtemps à charge à l’État ; je suis dans ma 62e année, étant né le 8 août 1726 », écrit Augustin-Martin Lottin, ancien imprimeur du roi. Ici, la politique des pensions et des secours s’inscrit dans une préhistoire d’un système public de retraites des serviteurs de l’État, dont un des modèles est celui des anciens militaires [22]. C’est aussi ce qui apparaît explicitement dans le cas des veuves, qui sont pratiquement les seules femmes de l’échantillon, et pour lesquelles les considérations philanthropiques sont particulièrement prises en compte. Ainsi Mme Saurin obtient une pension de 1200 l.t. avec l’explication suivante : « Veuve d’un homme de lettres auteur de plusieurs ouvrages estimés. Il n’avait pour toute fortune que des Pensions qui se sont éteintes avec lui et il a laissé sa veuve absolument sans ressources » [23].

17 Inversement, on ne peut manquer d’être frappé par la quasi-absence de motifs politiques dans les commentaires des administrateurs, comme si la politique de mécénat n’était plus du tout indexée à l’idée d’encourager une fidélité quelconque au roi ou de récompenser des formes diverses du service de plume [24]. D’ailleurs, les auteurs eux-mêmes ne mettent presque jamais en avant ce type d’argument. Un des rares à le faire est un maître imprimeur, Blin, l’auteur d’une série de portraits et actions des hommes illustres de l’histoire de France, publiée par livraisons et en couleur, qui demande au roi de souscrire. Sa requête est accompagnée de plusieurs lettres d’un dénommé Batissier, conseiller au Châtelet, qui prend argument de la concurrence avec l’Angleterre, accusée d’envahir le marché français de gravures anglaises, pour insister sur l’intérêt patriotique de soutenir le projet de Blin. La réponse, finalement, fut négative [25]. En règle générale, bien plus que leur mérite politique ou patriotique, c’est surtout le sérieux de leurs œuvres que les auteurs mettent en avant. Ils insistent souvent sur leur utilité, leur caractère pédagogique ou édifiant. Saint-Ange, par exemple, qui demande une gratification pour permettre la publication du quatrième volume de sa traduction d’Ovide, insiste sur le fait qu’il a privilégié des travaux littéraires utiles et sérieux, en refusant les productions futiles [26]. Thomas Rousseau, auteur d’un poème historique en douze chants sur « les fastes du commerce », dit s’être consacré à chercher des « vérités utiles à ses semblables » en refusant « l’idole du jour », c’est-à-dire les ouvrages futiles et frivoles : « Né sans fortune, sans appuis, sans crédit, il a préféré une pauvreté noble à l’aisance qu’il aurait pu acquérir en s’adonnant à la composition de ces ouvrages frivoles dont le moindre défaut est de corrompre à la fois le goût et les mœurs » [27].

18 Utilité de productions sérieuses et morales, difficultés financières, dévouement au savoir : voici les principaux arguments utilisés par les solliciteurs, auxquels il faut ajouter le thème de l’injustice qui doit être réparée. Certains auteurs dénoncent en effet la situation qui leur est faite, mais c’est une position périlleuse car elle conduit à abandonner le ton dignement modeste qu’adoptent la plupart des mémoires, au profit d’un style plus acrimonieux, qui peut déplaire au pouvoir.

19

« J’ai la présomption de croire, écrit Caraccioli, que vous avez entendu parler de mes ouvrages qui ont tous pour objet la religion et la plus saine morale : il y a trente-cinq ans que j’écris dans ce genre, et que malgré la frivolité du siècle ils ont été répandus de toutes parts, et traduits dans différentes langues. Cependant sous les yeux des Ministres qui nous ont précédés et qui me faisaient les plus belles promesses, je n’ai jamais rien obtenu, quoiqu’existant dans une médiocrité qu’on peut appeler indigence. J’ai vu les gratifications ainsi que les pensions pleuvoir sur les auteurs qui n’avaient presque pas écrit, ou qui avaient donné des ouvrages suspects pour ne pas dire dangereux ; il est vrai que je ne connais ni les intrigues ni les antichambres. La nécessité me force de recourir à votre bienfaisance » [28].

20 Malgré l’évocation finale de la « bienfaisance » du Contrôleur général, l’auteur est passé ici de la position du solliciteur implorant une grâce à celui d’écrivain sûr de son droit réclamant la réparation d’une injustice. Chez Réquier, auteur de nombreux ouvrages, et surtout de traductions de livres italiens, le ton se fait même arrogant :

21

« Tout ce qu’il y a dans cette capitale d’hommes éclairés et vertueux est étrangement scandalisé du délai qu’on apporte à l’établissement de ma récompense. Ils seraient bien plus scandalisés encore s’ils savaient que le Roi a donné ordre dès le commencement de juillet de l’année dernière de me récompenser comme il faut, et que ses ordres ne s’exécutent point ».

22 En raison du grand nombre d’ouvrages utiles qu’il a publiés, Réquier réclame donc une récompense de 4000 livres, « récompense si modérée qu’une qui serait au dessous le moins du monde donnerait un ridicule à la Couronne » [29] ! Malgré ce ton vigoureux, le dossier de Réquier n’est toujours pas traité lorsque survient la Révolution en 1789.

THERMIDOR : LES PENSIONS CONTRE LES PASSIONS

23 La Révolution française introduit, à partir de 1789, un bouleversement des normes institutionnelles et sociales sur lesquelles étaient fondées la réputation et la consécration intellectuelle [30]. Plus précisément, elle modifie les règles du jeu de l’espace intellectuel fondé sur un système construit de longue date, reposant sur des codes de comportements individuels et collectifs, des formes symboliques ou financières de reconnaissance et des logiques sociales et matérielles de production [31]. Elle perturbe les hiérarchies des positions et des genres, transforme les modalités de « publication » et met en cause les fondements du statut de l’écrivain et du savant [32]. Néanmoins, loin de vouloir le supprimer totalement, les nouvelles autorités cherchent à réformer le système des pensions afin de l’adapter aux nouveaux fondements politiques et symboliques de la Nation. Dès 1789, l’Assemblée nationale s’impose comme la nouvelle instance de consécration et de légitimation des productions individuelles. Les difficultés financières auxquelles sont confrontés les députés de la Constituante et les nouveaux fondements de l’espace politique et social justifient que la question des pensions soit rapidement mise à l’ordre du jour et suscite de nombreux débats. Dans la continuité des tentatives de réformes menées par l’administration royale, les membres du Comité des pensions tentent de remettre de l’ordre dans l’imbroglio général constitué par le système de distribution des pensions, celles accordées aux hommes de lettres, savants et artistes ne constituant qu’une partie de ce système. Le travail du comité aboutit à diverses mesures visant à réorganiser et « rationaliser » la distribution des pensions et à définir les nouvelles normes et critères justifiant la possibilité de recevoir une pension. Dans son Code des pensions (1792), Armand Gaston Camus présente ces nouvelles règles et modalités de distributions :

24

« Art. VI - Les artistes, les savants, les gens de lettres, ceux qui auront fait une grande découverte propre à soulager l’humanité, à éclairer les hommes ou à perfectionner les arts utiles, auront part aux récompenses nationales, d’après les règles générales établies dans le titre premier du présent décret et les règles particulières qui seront énoncées ci-après. Voyez les décrets du 30 décembre 1790 ; 10 et 27 septembre 1791 » [33].

25 Sans rompre totalement avec la politique d’encadrement des productions intellectuelles héritée de la monarchie, les autorités révolutionnaires s’appuient sur de nouveaux principes pour donner corps à une mutation essentielle de la logique de distribution des pensions qui n’est plus fondée sur le régime de la faveur royale, mais sur celui de l’utilité nationale. À partir de 1789, le contrôle de cette distribution des pensions s’impose comme l’un des enjeux majeurs des luttes intellectuelles, mais aussi politiques. De la Constituante à la Convention, les députés des différentes assemblées cherchent à s’imposer comme les seules instances habilitées à distribuer les pensions, la suppression des académies royales en août 1793 marquant une étape essentielle dans ce processus. Néanmoins, l’émergence d’institutions concurrentes (sociétés savantes…) ainsi que les nouvelles ressources offertes par le monde du livre, battent en brèche la volonté politique d’imposer le principe de « centralité » dans le domaine de la légitimité intellectuelle. Cette constatation justifie les critiques officielles portées entre 1789 et 1794 contre « l’anarchie » ou « l’individualisme » au sein du monde des lettres et des sciences, et permet de mesurer l’importance de la remise en ordre de la politique des pensions opérée à partir du 9 thermidor an II par les membres de la Convention nationale. C’est sur ce moment thermidorien, particulièrement bien documenté, que nous voudrions insister.

26 Entre l’automne 1794 et le printemps 1795, dans un contexte politique agité, la Convention nationale décrète la nécessité de secourir les savants « martyrs » et relance une politique de pensions ambitieuse [34]. Cette volonté de remettre de l’ordre dans le monde des Lettres et des Sciences s’inscrit dans un projet plus général : sortir de la Terreur et mettre en place un nouveau système de légitimité sur lequel fonder une République. L’historiographie a déjà largement insisté sur le rôle donné à la culture et plus précisément aux sciences dans la stratégie politique menée par les Thermidoriens et poursuivi sous la République directoriale [35]. Envers de la dénonciation de la barbarie et des vandales, la promotion des « savants » participe en effet à la condamnation de la Terreur et à la construction du projet républicain. Si les principes et les institutions scientifiques (comme l’Institut national des sciences, arts et lettres) ont fait l’objet d’études nombreuses, les enjeux de cette politique des secours et pensions relancée dès l’automne 1794 à la suite du fameux discours prononcé par Grégoire [36] le 17 vendémiaire an III/4 novembre 1794, au moment du transfert des cendres de Descartes au Panthéon, restent méconnus [37]. Le lendemain de ce rapport, c’est au nom de la lutte contre l’ignorance et la barbarie que le député de la Mayenne, Villars, se prononce en faveur de la réorganisation du système général de distribution des pensions [38]. Après avoir entendu le rapport du Comité d’instruction publique, la Convention décrète que, sur les fonds mis à disposition de la Commission d’instruction publique, « il sera pris jusqu’à la concurrence de cent mille écus, pour encouragements, récompenses et pensions à accorder aux savants, aux gens de lettres et aux artistes dont les talents sont utiles à la patrie ». Le vote de la Convention est suivi du rapport présenté le 14 nivôse an III [39] par Marie-Joseph Chénier au nom du Comité d’instruction publique et du décret qui prévoit la distribution de 300000 livres [40].

27 Une première liste de pensionnés est publiée le 14 nivôse an III/3 janvier 1795. Elle comprend 115 noms répartis en trois classes selon le montant promis : 40 reçoivent 3000 livres ; 48, 2000 et 27, 1500 livres [41]. Pourtant, selon les rédacteurs de la Décade philosophique, ces distributions ne font que renforcer les écarts et les inégalités qui caractérisent le monde des Lettres et des Sciences et risquent de renouer avec l’Ancien Régime académique :

28

« Quand la fortune entre chez l’homme à talent, son génie semble l’abandonner. Une fois parvenus au fauteuil tant ambitionné, et bien assurés d’une existence glorieuse et tranquille, nos académiciens s’endormaient sur leurs lauriers, et souvent leur discours de réception était la dernière production de leur plume. Ce n’est point à l’exemple des rois sans doute, que la nation versera ses bienfaits ; elle mettra dans leur répartition moins de faste, plus de justice » [42].

29 Le Comité d’instruction publique décide de constituer une liste supplémentaire avec un fonds propre lors de la séance du 30 nivôse an III/19 janvier 1795 [43] et publie une liste complémentaire le 6 pluviôse an III/25 janvier 1795 [44]. Le 12 pluviôse an III/31 janvier 1795, la discussion continue [45]. Les difficultés à établir cette liste des pensionnés révèlent les enjeux qui entourent cette opération. Les hiérarchies établies (tous ne reçoivent pas la même somme) et les choix effectués montrent clairement la volonté des autorités de présenter la Terreur comme une parenthèse, 26 des pensionnés appartenant aux académies royales d’Ancien Régime. Cette première liste sera par la suite amendée et complétée. Par ce biais, la Convention nationale intervient directement dans les dynamiques qui traversent l’espace intellectuel : elle cherche alors à s’imposer comme l’instance principale de légitimation qui organise et dessine les contours du monde littéraire et savant. En attribuant des sommes différentes, elle établit une hiérarchie des genres et contrôle le degré de reconnaissance publique et nationale des écrivains, savants et artistes. Si les nouvelles élites politiques célèbrent le retour des libertés et dénoncent la tyrannie, la réorganisation du monde intellectuel par les autorités thermidoriennes est encadrée et soumise à de fortes contraintes. S’inscrivant dans un processus de remise en ordre politique et social [46], ces contraintes sont alors justifiées au nom de l’idéal républicain et de la lutte contre les « excès » et les « abus » qui ont pu naître d’un mauvais usage de la Raison et de l’usurpation, par certains, du statut d’homme de Lettres. La reconstruction thermidorienne du monde intellectuel s’appuie sur un double discours : d’un côté, la volonté d’effacer les traces d’une Terreur réduite à la barbarie en promouvant la figure de l’intellectuel martyr ; de l’autre, à l’instar de la distinction établie entre le bon et le mauvais peuple, la volonté de distinguer nettement, au sein du monde des Sciences et des Lettres, ceux qui méritent d’être récompensés et ceux qui, à l’inverse, doivent être oubliés. La publication de la liste des pensionnés a pour effet de dessiner les contours d’un groupe restreint et choisi dont les membres bénéficient d’une reconnaissance quasi officielle.

30 Les listes successives publiées par la Convention soulignent que ceux qui reçoivent en priorité les récompenses nationales sont des auteurs reconnus (Marmontel, Ducis, La Harpe, Baculard, Cailhava, Pougens, Delille…), souvent déjà pensionnés par la monarchie absolue. Il s’agit pour les autorités de revendiquer un héritage culturel. Figurent aussi des auteurs qui ont consolidé leur réputation pendant la Révolution (François de Neufchâteau, Cubières, Domergue, Andrieux, Parny, Restif…), voire ont émergé pendant la période (Achard, Lamontagne, Artaud…). Certains sortent de prison, comme Pierre Coste [47] et Paul-Jérémie Bitaubé (1732-1808 [48]), ou de leur retraite comme certains des nobles touchés par le décret du 27 germinal an II [49]. Leur présence sur la liste donne ainsi corps au mot d’ordre exprimé par la Convention de racheter les crimes de la Terreur et d’assurer la promotion des victimes et autres martyrs de la « barbarie ». Parmi ceux qui reçoivent 3000 livres, certains avaient été cités dans le discours de Grégoire sur le vandalisme prononcé dès le 14 fructidor an II/31 août 1794 [50]. Reprenant pour l’essentiel les poncifs construits au lendemain immédiat de la chute de Robespierre, les auteurs des lettres participent à l’offensive générale contre le régime « terroriste ». Dès lors, ceux qui entendent recevoir une pension sont tenus de participer au « Récit » construit par le régime pour stigmatiser le « système diabolique » incarné par Robespierre. Les récits de vie individuels s’imposent comme autant d’exempla des désordres de la Terreur [51]. En provoquant les sollicitations, les autorités entendent à l’inverse donner corps aux différents thèmes sur lesquels le régime cherche à construire sa légitimité. Les thèmes de l’intellectuel « martyr » et de la « barbarie » sont autant de passages obligés qui, dans cette correspondance, permettent aux auteurs de rendre compte de leurs « malheurs » et de justifier leur demande. Certaines lettres lèvent le voile sur des trajectoires particulièrement chaotiques, l’action même d’écrire aux autorités devenant un moyen d’en construire la cohérence.

31 De nombreuses lettres envoyées à la Commission d’instruction publique permettent de lever le voile sur une partie des victimes de cette remise en ordre thermidorienne, particulièrement au sein du monde des Lettres. On peut ainsi noter la plainte de Ladré, pourtant l’auteur du fameux « Ça ira » :

32

« Un homme à qui l’on a promis tant de fois une gratification pour être l’auteur des paroles du Ça ira de 1790 (vieux style) se trouva dans la nécessité aujourd’hui par la rigueur de la saison et l’opinion d’une partie du peuple mal conseillée qui donna dans le travers et qu’il combat tant qu’il peut aux dépens de sa subsistance. C’est moi, citoyens représentants, qui suis ce Ladré dont on voit le nom écrit en haut de plus de cinq cents chansons révolutionnaires depuis la prise de la Bastille. Le Ça ira est sorti de ma plume dictée par mon âme patriote ainsi que toutes les autres, mais celle-là a plus influencé sur l’esprit du peuple que toutes les autres, qui n’ont pourtant pas fait de mal à la révolution, car mon style est vraiment populaire, et se fait mieux comprendre à la masse du peuple que certaines chansons fines et sublimes que je comprends bien mais que tout le monde ne comprend pas » [52].

33 Ladré n’est pas seul à être victime de cette réorganisation. Le chansonnier et patriote de Bordeaux, le chevalier Romain Dupérier de Larsan [53] ne figure pas parmi les pensionnés en dépit de ses nombreuses productions en faveur de la République [54]. Aux côtés des chansonniers, certains auteurs de théâtre semblent directement victimes de l’indifférence des autorités. C’est le cas, par exemple, de Maurin Pompigny, auteur de petites comédies et mélodrames en l’an II. Il arrive, à l’inverse, sans que l’on puisse connaître le dessous des cartes, que certains, comme le sulfureux Claude-François-Xavier Mercier de Compiègne (1763-1800), fassent jouer leurs relations pour entrer dans la liste. Certes, les différents auteurs qui ne reçoivent rien ne disparaissent pas du monde littéraire, et certains poursuivront leur carrière grâce en particulier aux possibilités offertes par le marché éditorial et aux commandes officielles. Néanmoins, leur absence de la liste des auteurs pensionnés entraîne d’incontestables difficultés dans un contexte où il est difficile de vivre sans le soutien des autorités. Certains peuvent se tourner vers des administrations locales, mais le fait ne pas recevoir d’aide de la Convention les fragilise. De ce fait, les témoignages de pauvreté et les plaintes qui émanent des lettres envoyées aux autorités ne doivent pas être toujours réduits à des propos de circonstances, même s’il est impossible de mesurer de la sincérité des auteurs.

34 Plusieurs raisons peuvent expliquer les choix réalisés par les autorités. La philanthropie, l’utilité cachent souvent des jeux complexes de protection et de recommandation qui entrent dans le choix de tel ou tel auteur, jeu qui apparaît au fil des corrections de la composition de la liste des pensionnés entre l’automne 1794 et le printemps 1795. Certains choix sont en effet les produits des solidarités et des liens de patronage qui continuent de fonctionner dans le régime républicain. Il existe une grande fluidité entre le personnel administratif et les milieux intellectuels. La période de la Terreur a été particulièrement propice à l’entrée des savants et des hommes de lettres au sein des Comités et des différents bureaux ministériels. Le chansonnier Nougaret est ainsi devenu commis-secrétaire du Comité de sûreté générale ; Coupigny, employé au ministère de la Marine et Ducroix, chef du bureau des procès-verbaux de la Convention. Le jeu des réseaux, des protections et des recommandations peut ainsi permettre à certains de favoriser leurs « amis » et écarter d’autres acteurs. Il est impossible de mettre à jour ces dynamiques qui restent invisibles et n’apparaissent qu’à l’occasion des plaintes exprimées par ceux qui ont vu leur nom disparaître des listes. Ainsi, Thomas Rousseau (1750-1800), un porte-parole du courant jacobin, se plaint auprès de Thibaudeau le 27 pluviôse an III :

35

« Quelques-uns de tes collègues entre autres les c. [itoyens] Chénier et Grégoire ne m’ont pas laissé ignorer que j’avais été porté sur la première liste des citoyens destinés à recevoir des marques de la munificence nationale. J’ai été rayé sur cette première liste. Quel est mon vice ? Est-ce d’avoir été membre, archiviste, rédacteur du journal d’une société que le gouvernement a cru devoir suspendre ou dissoudre ? » [55]

36 Comme le montre ce dernier exemple, les logiques politiques ne sauraient être négligées. De novembre 1794 au printemps 1795, l’espace politique connaît d’importantes mutations marquées par l’éviction progressive des derniers montagnards, la réhabilitation progressive des Girondins et la formalisation du groupe des Thermidoriens. Au fil de ces déplacements s’affirment à la fois la réaction contre la participation politique du peuple et des mesures de réglementation économique qui dessinent une vaste entreprise de remise en ordre au bénéfice des élites politiques, sociales et culturelles. Le monde intellectuel ne reste pas à l’écart de cette entreprise. Au nom de la lutte contre les dangers des passions et les causes des violences, certains écrivains sont accusés d’avoir contribué aux désordres, profitant eux-mêmes de ces désordres pour se faire un nom au sein du monde des Lettres. On peut ainsi faire l’hypothèse que la politique des pensions est l’occasion pour les Thermidoriens d’affirmer une nouvelle hiérarchie, officielle, des genres littéraires, distinguant les genres consacrés (poésie, traduction, bibliographie, grammaire…) – les Belles-Lettres – et les genres « mineurs » (chansons, mélodrames…).

37 La place assignée aux femmes dans l’espace littéraire et intellectuel est, elle aussi, en jeu dans ce processus général. Dans les listes de pensionnés publiée entre janvier et septembre 1795, la place des femmes est réduite. Celles qui reçoivent des pensions sont, en majorité, des descendantes ou des épouses d’écrivains (les nièces de Fénelon, Corneille d’Angely, petite fille de Corneille et surtout les veuves de Roucher, Lemierre, Roubo, Doublet…). Ce ne sont pas elles qui sont récompensées, mais leur oncle ou leur mari. La seule à recevoir une pension de 3000 livres pour son propre mérite est l’actrice tragique Dumesnil. Pourtant, celles qui prennent la plume pour revendiquer un statut d’écrivain et prétendre à une aide sont nombreuses. Cette mise à l’écart des femmes peut être considérée comme une « réaction » contre le renforcement de la position des auteurs féminins au sein de l’espace littéraire, phénomène majeur qui caractérise les premières années de la Révolution. De nombreuses femmes ont su profiter du contexte et des nouvelles attentes liés aux impératifs de l’acculturation politique pour investir différents genres littéraires (littérature pédagogique et enfantine, contes…) et s’imposer comme écrivains. La nécessité qu’elles ont désormais de prendre la plume pour revendiquer ce statut indique que cette présence féminine au sein de l’espace littéraire pose problème. Certaines, comme Charlotte de Bournon, comtesse de Mallarmé (1753-1826 [56]), se présentent comme des « mères de famille » isolées, leurs maris ou leurs enfants étant partis à la guerre, mais n’ont pas plus de succès. On peut sans doute considérer que cette exclusion des femmes renvoie à la volonté de mettre en place de nouvelles hiérarchies, la littérature féminine (littérature destinée aux enfants…) étant désormais considérée comme « mineure », un processus qui ne cessera de se renforcer par la suite [57].

38 En l’an III, la Convention nationale s’évertue ainsi à dessiner les contours d’une nouvelle « République des Lettres », moyen pour elle de reprendre la main sur le terrain politique. La liste finale des pensionnés reflète la volonté des autorités de reconstituer une communauté intellectuelle pacifiée quitte à y introduire des hommes de lettres (La Harpe, Palissot) dont les convictions républicaines sont loin d’être établies. Là encore, il s’agit d’imposer un « centre » dont sont exclus, entre autres, les chansonniers jugés trop à gauche ou les moralisateurs jugés trop à droite [58]. La difficulté à faire émerger une cohérence générationnelle ou politique des auteurs sélectionnés révèle ainsi les atermoiements de la politique républicaine au sortir de la Terreur. Cette remise en ordre de l’espace intellectuel sert de fondement à la réorganisation institutionnelle mise en place autour de l’Institut national des sciences, lettres et arts créé en octobre 1795. En dépit des difficultés financières auxquelles est confronté le Directoire, cette politique des pensions se poursuit, même si, dans certains cas, les « élus » ne reçoivent pas toujours la pension promise [59].

L’EMPIRE DES PENSIONS

39 La critique de la politique culturelle du Directoire a joué un rôle souvent négligé dans le renforcement de la légitimité politique de Bonaparte. À bien des égards, cette question a contribué à préparer sa prise de pouvoir dès 1799, puis à justifier le renforcement du pouvoir exécutif sous le Consulat et l’Empire [60]. Comme on l’a vu, l’organisation de l’espace intellectuel et la politique des pensions mise en place à partir de l’an III n’ont jamais fait l’unanimité. Dans les dernières années du Directoire, et plus précisément à partir de 1798, elle s’est imposée comme une des cibles privilégiées des critiques nombreuses portées contre la République. Loin d’être uniquement le fait d’acteurs mineurs, ces attaques, qui visent un des fondements du régime, sont progressivement reprises par des personnalités politiques ou intellectuelles éminentes. Aubin-Louis Millin de Grandmaison, qui critique la multiplication des sociétés savantes, ou Pierre-Louis Roederer, qui fait écho aux récriminations contre le nombre trop important des gens de lettres, participent entre 1798 et 1799 à la mise en place d’un discours dominant selon lequel la politique menée par les autorités républicaines dans le domaine intellectuel (par le biais des pensions, mais aussi des occasions nouvelles offertes dans le domaine de l’enseignement) aboutit à un échec, voire à une situation particulièrement dangereuse. Tous se rejoignent pour justifier l’abandon de cette politique et la nécessité de réorganiser en profondeur les liens entre le pouvoir et l’espace intellectuel.

40 Dès son accession au pouvoir, le nouveau régime affirme, par la voix des ministres de l’Intérieur, Lucien Bonaparte puis Chaptal, sa volonté de contribuer aux progrès des sciences, des lettres et des arts. Les nouvelles élites politiques se présentent encore comme les partisans d’une rupture avec le Directoire, désormais la cible des critiques les plus violentes. Là encore, la distribution des pensions est justifiée par la volonté de remettre de l’ordre au sein de l’espace intellectuel. Les batailles particulièrement violentes qui opposent les héritiers des Lumières à leurs adversaires, les effets de la crise éditoriale ne font que servir un régime qui peut se servir du désordre pour justifier des actions de plus en plus coercitives [61]. Dès 1799, alors que s’effectuent les retours encore prudents des anciens adversaires de la République, les lettres de sollicitation envoyées aux nouvelles autorités illustrent les espoirs de certains acteurs, exclus des distributions pendant le Directoire, de profiter du nouveau contexte politique. Annie Jourdan a parfaitement montré comment Bonaparte, Consul puis Empereur, a su utiliser cette pratique des pensions pour promouvoir son statut de nouveau mécène et renforcer ainsi sa légitimité politique [62]. La revendication de la proximité avec Louis XIV et la construction d’une continuité avec le Grand Siècle repose d’ailleurs largement sur la mobilisation de ce thème du mécénat [63]. Si une étude précise de ces distributions reste à faire, il apparaît que les pensions sont un des instruments essentiels à partir duquel les autorités interviennent au sein de l’espace intellectuel et tentent, sans toujours obtenir de succès, de diriger les productions au service de la glorification du régime [64]. Les contemporains, à l’instar d’un Morellet, fin connaisseur du monde des Lettres, ne s’y trompent pas et s’inquiètent de la nature jugée trop coercitive des relations tissées entre l’État et les écrivains ou les savants par l’intermédiaire des pensions :

41

« On fait d’ailleurs des pensions et des traitements à beaucoup de gens de lettres avec une grande magnificence. L*** a huit ou dix mille francs de retraite, et on n’en donne guère moins à différents coopérateurs du Mercure qui, comme vous le comprenez bien, ne seront pas payés sur les fonds de ce journal, qui n’a que douze cents souscripteurs. Certes, jamais les lettres n’ont été aussi favorisées, ni au siècle d’Auguste, ni de celui de Léon X, ni par Louis XIV lui-même ; et Dieu veuille que cette grande magnificence ne détourne pas du but qu’on se propose plus qu’elle n’y conduit » [65].

42 Pour Morellet, si l’intervention des autorités reste légitime pour réguler le monde intellectuel, le mécénat impérial est à double tranchant : tout en encourageant les lettres et les sciences, il risque d’en réduire l’indépendance et de se traduire par une rationalisation du champ intellectuel au service du pouvoir politique [66]. Cette lecture politique n’épuise pas néanmoins les logiques mobilisées par l’administration pour justifier la distribution des pensions. La constitution, en 1807, d’une liste des écrivains « dont la situation est peu heureuse » et devant recevoir l’aide de l’État, relève de la mobilisation d’autres réseaux de protection et d’autres modalités d’attribution [67]. Dans la continuité de l’Ancien Régime, la dimension philanthropique de la distribution des pensions joue encore un rôle majeur, dimension d’autant plus mobilisée qu’elle permet au régime impérial de renforcer encore sa légitimité auprès des élites sociales [68].

43 Plutôt que d’interpréter ces évolutions en termes généraux (contrôle politique ou autonomie du champ intellectuel), on peut s’efforcer de comprendre comment cette tension inhérente à la reprise en main napoléonienne se traduit, pragmatiquement, dans l’attitude des écrivains sollicitant les autorités. La prise en compte des demandes de secours est là encore un moyen de mettre à distance certaines catégories d’interprétation canoniques pour tenter de saisir ces mutations à l’œuvre, au fil desquelles la valorisation d’un lien individuel et affectif au pouvoir, sur le modèle des monarchies d’Ancien Régime, est complètement refondue. Les lettres le font apparaître parfois dans l’âpreté des reproches faits à un pouvoir ingrat : si elles reposent sur le registre argumentatif le plus classique invoquant l’État-mécène, elles mobilisent également un registre politique exploitant abondamment l’idée que l’État est débiteur vis-à-vis de ceux qui se sont dévoués pour lui. Ces nouveaux rapports peuvent être ainsi appréhendés à partir de la lecture d’un dossier particulièrement fourni, constitué sur un savant à laquelle l’historiographie accorde souvent un statut important dans l’histoire de la géographie mais qui reste finalement peu connu, Edme Mentelle [69].

44 Mentelle est particulièrement représentatif de ces savants qui, intégrés dans le circuit de la reconnaissance et bénéficiant pleinement du système de distribution des pensions de la monarchie, ont commencé leur carrière sous l’Ancien Régime puis sont parvenus à sauvegarder, sinon renforcer, leur statut sous la Révolution et l’Empire. Ayant débuté dans les années 1750 une carrière administrative dans les bureaux de la Ferme générale, il s’adonne à la littérature légère et au théâtre, et se fait connaître dès 1758 par la publication des Éléments de géographie. Il devient professeur d’histoire et de géographie à l’École militaire en 1760 [70], puis, dans les années 1780, protégé du comte d’Artois dont il est le géographe-historiographe, il est nommé censeur royal, une position qui lui rapporte quelques revenus auxquels s’ajoutent ceux que lui doivent ses publications, en grande partie des manuels d’histoire et de géographie. Membre de la Société royale d’agriculture, il s’occupe également de la rédaction du volume « Géographie et histoires anciennes » de l’Encyclopédie méthodique. En 1786, au moment de la remise en ordre de la politique des pensions, il sollicite en vain une gratification complémentaire. La Révolution provoque des changements importants dans sa position : l’École militaire étant supprimée, Mentelle dispense des cours privés. Après plusieurs années de retrait prudent, il est placé parmi la première liste des pensionnés publiée en nivôse an III/janvier 1795 [71]. Dans le même temps, il devient professeur de géographie à l’École normale de l’an III, puis membre de la section de « Géographie » de la Classe des sciences morales et politiques de l’Institut national, enfin professeur de géographie à l’École centrale du Panthéon. Bénéficiant de fonctions qui lui assurent des revenus et une influence certaine au sein des milieux scientifiques et pédagogiques, il peut ainsi être considéré comme une des personnalités intellectuelles consacrées par le régime républicain. Ses demandes sont modestes : dans la première lettre envoyée aux autorités en brumaire an VI/novembre 1797, il demande à profiter d’un « petit jardin » afin d’y faire paître une chèvre dont le lait semble nécessaire à la santé, une faveur que les autorités lui accordent [72].

45 À 70 ans, Mentelle semble bénéficier d’une reconnaissance solide et d’une existence paisible. Or, à partir de décembre 1800, les lettres de sollicitation se multiplient. Après avoir demandé sans succès une place dans le Conseil d’instruction publique, la réforme de l’enseignement secondaire, au printemps 1802, le prive de sa place de professeur à l’École centrale du Panthéon et d’une partie de ses revenus, même s’il semble retrouver une place de professeur dans le département de la Seine. Les difficultés financières et judiciaires paraissent s’amonceler. Alors qu’il participe à l’entreprise de statistique départementale [73], il subit, en 1803, les effets de la réorganisation de l’Institut national : il devient membre de la Classe d’histoire et de littérature ancienne (qui deviendra en 1816, « inscriptions et belles-lettres »). Contrairement à nombre de ses collègues de l’Institut, il ne bénéficie plus d’aucune pension et, sans doute du fait de son âge avancé, n’a pas la possibilité de cumuler les sources de revenus. Sollicité pour réaliser un globe destiné au premier Consul, il ne cesse de se plaindre de la hausse du prix des matériaux qui justifie le dépassement du coût initial. Le 14 vendémiaire an XII/7 octobre 1803, le chef de la 3e division (bureau des sciences et beaux-arts) présente un rapport au ministre en faveur de l’octroi d’une nouvelle somme de 3000 francs pour aider Mentelle à achever le globe :

46

« D’après le désir donné par ce géographe, toutes les dépenses de la conception du globe monteront à environ 12000 francs. Il a été payé à compte jusqu’à présent 6000 francs qui, avec 3000 francs, dont il s’agit feront 9000 francs. Il ne sera donc encore à payer dans quelques mois une somme de 3000 francs à peu près pour solde de la dépense du globe ».

47 On peut d’ailleurs se demander si les retards ne sont pas un moyen de se garantir une rente confortable. Par la suite, il ne cesse de renouveler ses demandes d’argent. Le 5 juin 1804, Mentelle revient à la charge :

48

« Malgré mes soins à mettre de l’économie dans les dépenses et de la célérité dans le travail, je n’ai pu encore faire terminer le globe de l’Empereur et j’ai de nouveau besoin d’argent […] pour continuer ce beau travail, j’ai l’honneur de vous prier en ce moment, monseigneur, de vouloir bien faire mettre à ma disposition une somme de trois mille francs [74] ».

49 En l’an XIII/1805, il est nommé à la place (sans doute très symbolique) de « secrétaire ordinaire de S.M. le Prince Louis Bonaparte ». Néanmoins sa position financière ne semble pas s’arranger, ce qui l’amène à présenter un historique de sa situation financière, sans craindre de revenir vingt ans en arrière :

50

« À l’époque de la Révolution, je jouissais de deux pensions, l’une de gouvernement comme professeur et inspecteur de l’École Royale militaire, l’autre de 600 comme censeur royal ; la perte de ce revenu m’a donc privé de sommes qui excéderaient aujourd’hui 18000,00 francs. Dans le même temps, à peu près, l’entreprise de mon Grand Atlas me fit contracter avec la maison d’Orléans une dette de 3000 francs ; je n’ai pu acquitter que 200 francs. Les jeunes princes auxquels j’eus pendant quelque temps l’honneur de donner des leçons me firent espérer que je n’entendrais plus jamais parler de cette dette, mais le titre subsistait. Il a passé à la Régie des domaines qui me demande avec sévérité les 2800 livres qui restent à payer. J’ose assurer votre excellence que cette dépense excéderait mes moyens, mais en même temps, je la prie de considérer si les pertes que j’ai faites des 18000, l’utilité des travaux dont je me suis occupé, l’honneur dont je jouis d’être membre du premier corps savant d’Europe, et d’être chargé par S.M. l’Empereur de l’exécution d’un globe géographique pour son usage, ne me donnent pas assez de titres à la bienfaisance du gouvernement, pour qu’il veuille bien m’accorder une ordonnance d’ordre de 2800 francs. Ce bienfait, que je regarderais comme une preuve que le gouvernement m’a jugé digne de ses bienfaits, vu que je n’en ai aucune pension et que j’ai perdu depuis 12 ans, celle qu’il m’avait accordée, me tirerait d’une position douloureuse ».

51 L’intérêt de cette lettre est qu’elle donne à voir la façon dont Mentelle joue sur deux registres : celui de son histoire personnelle, et des pertes qu’il a subies, et celui de sa fidélité politique au régime actuel, qui se traduit par des travaux utiles directement au service de l’empereur. Les termes avec lesquels Mentelle date l’apogée de sa situation « à l’époque de la Révolution » sont subtilement ambigus, car ils renvoient à la fois à une situation antérieure à la Révolution, celle du censeur royal qu’a été Mentelle à la fin de l’Ancien Régime, et à la Révolution elle-même, dans ses premières années, puisque la pension qu’il a perdue lui a été retirée « depuis 12 ans », soit sous la Terreur. On peut faire l’hypothèse que cette ambiguïté correspond à une incertitude sur les liens qu’entretient le nouveau régime impérial avec la Révolution dont il est issu, et on remarquera que Mentelle, prudemment, se garde de mentionner la pension qui lui avait été attribuée en l’an III. Si le ministre de l’Intérieur intervient auprès de la Régie des domaines pour effacer sa dette, les demandes ne s’arrêtent pas. Il sollicite encore l’administration pour obtenir les outils nécessaires à son travail (ouvrages, cartes…). En 1808, il souligne que

52

« le but de mes études et le genre de mes travaux m’imposent la nécessité de consulter, de connaître toutes les découvertes en géographie, de consulter tous les voyages, mais la médiocrité de ma fortune ne me permet pas toujours d’en faire l’acquisition. C’est d’après cette considération que le gouvernement a bien voulu, plus d’une fois, m’accorder les ouvrages, dont il avait fait la dépense ».

53 En 1815, il écrit une dernière fois à l’administration pour recevoir un ouvrage nécessaire à la rédaction de sa Géographie classique dont les deux premières parties sont déjà publiées (sa demande est acceptée) :

54

« Ma fortune ne me permet pas d’acheter tous les ouvrages qui me seraient le plus utiles. Et j’ai déjà pu, sous ce rapport, éprouver plus d’une fois les bienfaits du gouvernement. Je désire que votre excellence veuille bien accueillir aussi favorablement la demande que j’ai en ce moment l’honneur de lui adresser, en m’accordant un exemplaire du voyage d’Aly Bay, composé d’un vol. de discours et d’un atlas ».

55 Alors qu’il a bénéficié du mécénat impérial, il est nommé censeur honoraire par Louis XVIII avant de décéder quelques semaines plus tard. Sa veuve sollicite encore une pension (rente annuelle et viagère de 1000,00 francs) qu’elle obtient en 1816. Dans un contexte de transformation profonde du monde scientifique marquée par des processus de spécialisation ou de professionnalisation, Mentelle, contrairement à d’autres figures scientifiques éminentes (pensons aux membres du Muséum d’histoire naturelle), ne peut s’appuyer sur aucune « grande » institution pédagogique. N’occupant par ailleurs aucune fonction administrative ou politique, il doit se tourner vers les autorités afin de s’assurer une retraite.

56 Les demandes de pensions et de secours des écrivains constituent une source d’une grande richesse, encore peu exploitée, dont nous n’avons présenté ici qu’une première approche, en insistant sur l’aspect qui nous paraît le plus prometteur : l’analyse des interactions complexes entre les autorités politiques et les auteurs qui les sollicitent. Les principaux résultats sont de deux ordres. En premier lieu, la complexité des rapports entre les écrivains et l’État apparaît clairement. Il est souvent tentant de doter les différents régimes d’une volonté cohérente de contrôle du champ intellectuel dont la politique des pensions serait l’instrument privilégié en leur assurant la fidélité des écrivains et des savants. La réalité est infiniment plus complexe. De tels projets ont évidemment existé, notamment en l’an III ou sous l’Empire, mais ce que révèlent les dossiers de pension, c’est surtout le grand voile d’incertitude qui recouvre à la fois les procédures d’attribution et les critères qui les gouvernent et, par conséquent, la marge de manœuvre qui existe pour les auteurs. Les relations ambivalentes des écrivains de la Restauration, étudiés par Corinne Legoy, avec la monarchie qu’ils entendent célébrer mais dont ils ne sont pas des apologistes serviles et dont ils reçoivent finalement assez peu d’encouragements, s’inscrivent dans la continuité de cette ambiguïté [75].

57 Le deuxième enseignement est plus large, car il montre que l’État n’est pas seulement, pour les individus, la source d’un ensemble de contraintes ou d’avantages collectifs, mais aussi une ressource que l’on peut solliciter à titre individuel. Cette conclusion invite à élargir l’enquête à d’autres catégories sociales et à d’autres types de textes. Ce qui se dessine alors, c’est l’horizon d’une histoire des écrits au pouvoir, qui prenne comme objet les différentes formes d’écrit (sollicitations, pétitions, dénonciations) par lesquels des individus s’adressent aux autorités et entendent en mobiliser les ressources pour des causes individuelles ou collectives. On s’éloigne alors du modèle classique de la supplique, car c’est en partie à travers ces échanges que se construisent les nouvelles identités sociales et professionnelles qui caractérisent les premières décennies du XIXe siècle. Pour les militaires, les juristes, les administrateurs, les écrivains ou les savants, il semble que ce soit en partie à travers ces interactions que se jouent les phénomènes de professionnalisation ou de spécialisation [76]. Face à l’essor quantitatif de ces écrits, l’administration doit insistuer de nouvelles procédures d’expertise, de mesure et classement à partir desquelles se construit progressivement une mémoire de l’État. Ce n’est pas un hasard si c’est encore pendant la période impériale et la Restauration que se met en place une véritable bureaucratie, autour de la constitution et du traitement des « dossiers individuels » classés par ordre alphabétique [77]. La mise en série des individus par l’administration marque une transformation majeure dans les procédures de (re)mise en ordre de la société post-révolutionnaire. L’administration se dote ainsi de moyens de plus en plus efficaces pour contrôler le marché des honneurs [78]. Elle participe à la mise en place de nouveaux modes de régulation et de distinction sociale, au risque de faire naître la défiance, quand la distribution des faveurs semble injuste ou imméritée aux yeux de citoyens qui revendiquent désormais un droit de contrôle plus étendu sur les différentes ressources offertes par l’État.

Notes

  • [1]
    Paul BÉNICHOU, Le sacre de l’écrivain. Essai sur la naissance d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, Gallimard, 1973 ; Jean-Claude BONNET, Naissance du Panthéon. Essai sur le culte des grands hommes, Paris, Fayard, 1998 ; José-Luis DIAZ, L’écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique en France, Paris, Champion, 2007 ; Nathalie HEINICH, L’élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard, 2005.
  • [2]
    Voir notamment Alain VIALA, Naissance de l’écrivain. Sociologie de la littérature à l’âge classique, Paris, Minuit, 1985 ; Christian JOUHAUD, Les pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, Gallimard, 2002 ; Éric BRIAN, La mesure de l’État. Administrateurs et géomètres au XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 1994.
  • [3]
    Au sein d’une bibliographie abondante, voir en particulier Daniel ROCHE, Les Républicains des lettres au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1984 ; Robert DARNTON, Gens de lettres, gens du livre, Paris, Odile Jacob, 1992 et ID., Bohème littéraire et Révolution. Le monde des livres au XVIIIe siècle, Paris, Seuil, 1983 ; Roger CHARTIER, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Le Seuil, 1991 ; Antoine LILTI, Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2005 ; Stéphane VAN DAMME, Paris capitale philosophique, de la Fronde à la Révolution, Paris, Odile Jacob, 2005 ; Carla HESSE, Publishing and Cultural Politics in Revolutionary Paris, 1789-1810, Berkeley, University of California Press, 1991 ; Gregory BROWN, A Field of Honor : Writers, Court Culture and Public Theater in French Literary Life from Racine to the Revolution, New York, Columbia University Press, 2002 ; Geoffrey TURNOVSKY, The Literary Market : Authorship and Modernity in the Old Regime, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2009.
  • [4]
    Dans le cadre d’une enquête collective menée au sein du séminaire « Autour des révolutions : Culture et Politique » (2005-2008) et à laquelle ont participé principalement Gilles Malandain, Stéphanie Le Calvez, Pauline Lemaigre, Yasmine Marcil, Barbara Revelli et Mélinda Caron. Que tous les participants et les auditeurs du séminaire soient remerciés.
  • [5]
    Ce corpus documentaire a été constitué, selon toute vraisemblance, sous le Consulat et l’Empire, au moment de la constitution de la série F17, dont l’objet était notamment de réunir des fichiers individuels sur les personnels de l’Instruction publique. Pour cela, les créateurs de la série n’ont pas hésité à aller chercher des dossiers du Contrôle général des finances datant de la fin de l’Ancien Régime. Il n’est évidemment pas anodin que la constitution de cette série archivistique assimile implicitement les hommes de lettres pensionnés à des personnels de l’État et s’efforce de produire une mémoire administrative de leur carrière.
  • [6]
    Archives nationales (désormais AN), F17 1532-1544 : Pièces diverses antérieures à 1838.
  • [7]
    Hélène MILLET (éd.), Suppliques et requêtes. Le gouvernement par la grâce en Occident (XIIe-XVe siècle), Rome, École française de Rome, 2003 ; Lex HEERMA van VOSS (éd.), « Petitions in social history », International Review of Social History, suppl. 9, 2001 ; Cecilia NUBOLA, Andreas WÜRGLER (éd.), Suppliche e gravamina. Politica, amministrazione, giustizia in Europa, secoli 14.-18, Bologne, Il Mulino, 2002, p. 10 ; Claude GAUVARD, « De grace especial ». Crime, État et Société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991 ; Simona CERUTTI, « Travail, mobilité et légitimité. Suppliques au roi dans une société d’Ancien Régime (Turin, XVIIIe siècle) », Annales HSS, 65-3, 2010, p. 571-611.
  • [8]
    Natalie Zemon DAVIS, Pour sauver sa vie. Les récits de pardon au XVIe siècle (1987), Paris, Seuil, 1988.
  • [9]
    Didier FASSIN, « La supplique. Stratégies rhétoriques et constructions identitaires dans les demandes d’aide d’urgence », Annales HSS, 60-5, 2005, p. 955-981.
  • [10]
    A. VIALA, Naissance de l’écrivain…, op. cit. Au début des années 1670, cette distribution de gratifications concerne 60 personnes, pour un total de 120000 l.t.
  • [11]
    JOURDAN, ISAMBERT, DERCRUSY, Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l’an 420 jusqu’à la révolution de 1789, Paris, Belin-Leprieur, 1827, t. XXVIII, p. 86-87.
  • [12]
    Voir les travaux de Pauline Lemaigre sur l’administration des Menus Plaisirs (thèse en cours, Université de Paris 1-IDHE UMR 8533).
  • [13]
    Rétrospectivement, Jean-Charles-Pierre Lenoir, ancien lieutenant de police et garde de la bibliothèque royale, qui fut un des commissaires chargés d’expertiser les dossiers et fut violemment critiqué, relève cette contradiction, même si le jugement qu’il porte sur cet épisode est évidemment marqué par un souci de justification et une visée polémique. Dans un fragment inachevé de ses mémoires, intitulé justement « Des pensions et gratifications en faveur des savants et gens de lettres », il écrit : « L’on reconnut alors que le gouvernement avait fait une faute en appelant en quelque sorte par un arrêt du conseil rendu public, tous les prétendants possibles à participer à des grâces qui ne sont dues qu’au vrai mérite » (Médiathèque Orléans, fonds ancien, Mss 1422, fol. 566-571). Nous remercions Vincent Millot, qui achève un essai sur Lenoir, de nous avoir transmis ce texte.
  • [14]
    Les dossiers de 1785 n’ont malheureusement pas été conservés. Nous ne disposons donc que des résumés produits par l’administration royale. En revanche, les dossiers postérieurs sont complets, avec les mémoires justificatifs et les lettres des solliciteurs. Robert DARNTON évoque ces dossiers dans Bohème littéraire et Révolution. Le monde des livres au XVIIIe siècle (1982), Paris, Gallimard-Seuil-EHESS, 1983.
  • [15]
    « Traitement des gens de lettres », AN, F17 1212
  • [16]
    Il ne s’agit ici que des pensions octroyées directement sur le Trésor royal. Certains écrivains émargeaient à d’autres fonds (La Librairie, la caisse du commerce, La monnaie, etc.)
  • [17]
    AN, F17 1212, dossier 3, « Favanne ».
  • [18]
    À propos des pensions déjà octroyées : « Il est possible qu’elles ayent été données à plusieurs auteurs qui demandent aujourd’huy, sans avoir déclaré comme ils l’auraient dû aux termes de l’article 1er de l’arrêt du conseil ». À propos de X, le commis note : « Il est sur que sa place au Musée lui vaut 3000 l.t. Si on connaissait les traitements faits sur le Mercure et la Gazette, il y a apparence qu’on y verrait son nom », ce qui aboutit à réduire la pension proposée de 2000 l.t. à 1500. De même, à propos de Guillaume Rochefort, dont les commis s’efforcent de rechercher les gratifications dont il bénéficie déjà pour porter le total à 3000 l.t. : « On croit qu’il a déjà des grâces du roy, ne vient-il pas d’obtenir l’une des 4 nouvelles pensions crées pour l’académie des inscriptions ? » « Lui faire en comprenant tout ce qu’il a 3000 l.t. ». (AN, F17 1212, dossier 3, « Rochefort »)
  • [19]
    Robert MERTON, « La science et l’évangile selon saint Matthieu. Étude des systèmes de récompense et de communication dans le domaine de la science », Le Progrès scientifique, 1969, n° 136, p. 16-39.
  • [20]
    AN, F17 1212, « dossier Lebrun », dossier « Florian ».
  • [21]
    AN, F17 1212, dossier 10, « Hurtaut ». L’âge est en effet un élément important de cette rhétorique compassionnelle.
  • [22]
    À ce titre, on relèvera le cas de Jean-François de Saint-Lambert qui « demande une pension de 1053 livres et 12 sous comme homme de lettres, pour avec 2546 livres et 8 sous dont il jouit comme militaire lui compléter un traitement de 3600 l.t. que son grand âge lui rend nécessaire ». Le terme de « traitement » est particulièrement significatif.
  • [23]
    AN, F17 1212, dossier 1, « État des pensions et des gratifications… »
  • [24]
    Parmi les exceptions, on peut relever le cas de Cadet de Senneville, qui obtient une pension de 1000 l.t. avec ce commentaire, « censeur royal très estimé et très utile », mais c’est davantage sa fonction, et la façon dont il l’accomplit, qui est récompensée, qu’une forme de fidélité politique à la monarchie. L’autre exception notable est celle de Désormaux, « historien de la maison de Bourbon », qui reçoit 1000 l.t. (« État des pensions et des gratifications… »)
  • [25]
    AN, F17 1212, dossier 5, « Blin ».
  • [26]
    AN, F17 1212, dossier 10, « Saint-Ange ».
  • [27]
    AN, F17 1212, dossier 10, « Rousseau ».
  • [28]
    AN, F17 1212, dossier 5, lettre de Caraccioli, du 13 août 1788.
  • [29]
    AN, F17 1212, dossier 10, « Réquier ».
  • [30]
    G. BROWN, A Field of Honor, op. cit.
  • [31]
    Yannick SÉITÉ, Du livre au lire. La Nouvelle Héloïse. Roman des Lumières, Paris, Honoré Champion, 2002.
  • [32]
    Philippe BOURDIN, Jean-Luc CHAPPEY (éd.), Réseaux et sociabilité littéraire en Révolution, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2007.
  • [33]
    Armand-Gaston CAMUS, Code des pensions, ou Recueil des décrets de l’Assemblée nationale constituante sur les récompenses en général, et sur les pensions en particulier…, Paris, 1792, p. 25.
  • [34]
    Stéphanie LE CALVEZ : « La réorganisation du monde des Lettres en l’an III », mémoire de Master 2, sous la direction de Jean-Luc Chappey et Pierre Serna, Université de Paris I/IHRF, 2010.
  • [35]
    Bronislaw BACZKO, « La Constitution de l’an III et la promotion culturelle du citoyen », in François AZOUVI, L’institution de la raison, Paris, Vrin, 1992, p. 32 ; J.-L. CHAPPEY, « Raison et citoyenneté : les fondements culturels d’une distinction sociale et politique sous le Directoire », in Raymonde MONNIER (éd.), Citoyen et citoyenneté sous la Révolution française. Actes du Colloque de Vizille du 24-25 septembre 2005, Paris, Société des études robespierristes, 2006, p. 279-288.
  • [36]
    Abbé GRÉGOIRE, « Rapport sur les encouragements, récompenses et pensions à accorder aux savants, aux gens de lettres et aux artistes », Convention nationale, séance du 17 vendémiaire an III (4 novembre 1794).
  • [37]
    En février 1793, le Comité d’instruction publique est chargé de préparer un rapport concernant les possibilités d’aides fi nancières aux savants, gens de lettres et artistes. AN, F171258, doss. 2, décret du 13 frimaire an II/3 décembre 1793 : « Sur la proposition des Comités de liquidation et de l’Examen des Comptes, la Convention Nationale charge le Comité d’Instruction publique de se faire rendre compte […] de l’emploi des sommes accordées pour l’encouragement des arts utiles, les genres d’invention, les noms des auteurs et la récompense à accorder à chacun d’eux ». En février 1794, c’est au nom des Comités d’Instruction publique et de Salut public que Grégoire est appelé pour enquêter sur la situation des Hommes de lettres et Savants. Il s’appuie sur un rapport de Jean-Baptiste Lefebvre de Villebrune présenté aux différents comités en mars 1794, mais l’enjeu du mémoire (finalement présenté le 5 octobre 1794) change après le 9 thermidor an II : il ne s’agit plus seulement de transformer les fondements d’une politique des pensions et de venir en aide à des individus en difficulté, mais de se servir de cette politique pour renforcer la légitimité du régime thermidorien.
  • [38]
    Rapport et projet de décret présentés à la C.N. dans sa séance du 18 fructidor, au nom du C.I.P. Sur les encouragements destinés aux savants, gens de lettres et artistes par Villars, député de Mayenne, fructidor an III : « Rappelez à la vie les sciences, les lettres et les arts descendus dans la tombe. Ne souffrez pas que des citoyens dignes de les cultiver et propres à étendre leur empire, gémissent dans les horreurs de l’indigence : songez que les lumières sont les compagnes assidues de la liberté […] », p. 3.
  • [39]
    « La Convention nationale décréta le 14 nivôse dernier que la trésorerie tiendrait à la disposition de la Commission exécutive de l’instruction publique une somme de trois cent mille livres pour être répartie aux gens de lettres et artistes dénommés en l’état présent par le Comité d’instruction publique ; la somme en question n’a pas été totalement distribuée ; plusieurs citoyens ont fait des pétitions pour réclamer les secours qu’ils croyaient leur être dus », Lettre de la commission temporaire des arts aux membres du Comité d’instruction publique, Paris, le 3 ventôse an III. [Bibliothèque historique de la Ville de Paris, Ms 772, fol. 3].
  • [40]
    Marie-Joseph CHÉNIER, Rapport fait à la Convention nationale au nom du Comité d’Instruction publique par Marie-Joseph Chénier, député du département de Seine-et-Oise ; suivi du décret rendu en conséquence à la séance du 14 nivôse an III, Paris, de l’Imprimerie nationale, nivôse an III (décembre / janvier 1795).
  • [41]
    « En discutant les bases de notre travail, nous avons pensé que l’inégalité d’âge, de talent et de travaux devaient nécessairement établir quelque inégalité dans les récompenses », Marie-Joseph Chénier, Rapport fait à la Convention nationale, op. cit.
  • [42]
    Décade philosophique, section « Instruction publique », 1er trim., sept.-nov. 1794, p. 393-397.
  • [43]
    « Le Comité, sur la proposition d’un membre, arrête, attendu l’insuffisance des trois cent mille livres et le nombre de demandes, qu’il y aura une liste supplétive de savants, artistes et gens de lettres non compris dans les deux premières et qu’il sera en conséquence présenté à la Convention un projet de décret pour une seconde mise de fonds entre les mains de la Commission d’instruction publique pour cet objet », Josiane BOULAD-AYOUB, Michel GRENON (éd.), Procès-verbaux du Comité d’instruction publique de la Convention nationale, Paris, L’Harmattan, 1997, t. V, p. 310.
  • [44]
    Ibid., t. V, p. 361-362.
  • [45]
    « Le Comité arrête que les citoyens : Roy (J.F.), auteur de Scipion à Numance, Caraccioli, Girault, Arnould, auteur de la Balance du Commerce, Martini, musicien, Degraces, auteur d’une Histoire universelle, Desfontaines, auteur dramatique, Servandory, Lamiral, auteur d’un Voyage en Afrique, Thuillier, astronome, Bournond-Mallarmé (Citoyenne), Courtalon, Fontalard, Carbon-Flins, Champion, Saverien, Rodolphe, musicien, Fernouillot-Falbaire seront compris sur cette liste » dans Procès-verbaux du Comité d’instruction publique, op. cit., p. 368. Après plusieurs semaines de discussions, c’est finalement le 16 avril 1795/27 germinal an III que la nouvelle liste des bénéficiaires est établie et présentée par Daunou. Une somme de 42000 livres restant de la première distribution à laquelle sont ajoutés 61500 livres soit 103 livres distribués entre 48 nouveaux citoyens (16 reçoivent une pension de 3000 livres, 15 de 2000 et 17 de 1500.
  • [46]
    Susan DESAN, « Reconstituting the social after the Terror », Past and Present, 164, août 1999, p. 81-121.
  • [47]
    « J’ai 62 ans révolus ; je suis torturé par une maladie de nerfs qui me fait passer la moitié de ma vie dans mon lit ; en cet état, je viens de subir trois mois de prison incarcéré comme suspect par le Comité révolutionnaire de ma section pour avoir contribué à dénoncer à l’assemblée générale, d’après l’injonction faite aux citoyens par la Convention, les friponneries de deux des douze voleurs-buveurs de sang qui composent le Comité », AN, F17 1210, pièce 48.
  • [48]
    « La liberté devait me coûter de plus grands sacrifices encore. J’ai été incarcéré, avec ma femme, durant 9 mois, par des ordres émanés du tyran Robespierre, parce qu’il savait que j’avais pénétré […] dans son coeur sanguinaire. Cette détention m’a fait contracter de grandes dettes. Nous avons recouvré la liberté au lendemain du supplice de ce tyran », AN, F17 1021 b. Dossier 6, pièce 35.
  • [49]
    C’est le cas de La Coste-Mézières (AN, F17 1210, pièce 86) et de Charpentier-Longchamps (1740-1812) : « En obéissant au décret du 27 germinal qui l’exila de Paris, il s’est vu privé longtemps de ses ressources et soumis à des dépenses que la mauvaise fortune le mettait hors d’état de supporter. […]. Le Cn Longchamps observe au Comité qu’il s’occupe depuis longtemps d’une histoire de la Révolution actuelle, que la série de ses idées sur cet objet important a souffert, pendant son exil, une lacune de 8 à 10 mois, qui pour être remplie entraîne des frais qui l’accablent, quoique rentré au vrai foyer de l’instruction publique, les lumières qu’il y puise ne sont rien moins que gratuites » : AN, F17 1213, pièce 139.
  • [50]
    H. GRÉGOIRE, « Rapport sur les destructions opérées par le vandalisme et sur les moyens de les réprimer. Séance du 14 fructidor an II », Œuvres de l’abbé Grégoire, Nendeln/KTO Press, Paris/ Edhis, 1977, p. 268 : « On a mis en arrestation Dessault, un des premiers chirurgiens d’Europe […]. Pendant neuf mois, on a fait gémir dans une prison le célèbre traducteur d’Homère, Bitaubé, fils de réfugié […]. Thillaye, Cousin, Laharpe, Vandermonde, Ginguené, La Chabeaussière, La Métherie, François Neufchâteau, Boncerf, Oberlin, Volney, Laroche, Sage, Beffroy, Vigée, et beaucoup d’autres ont éprouvé le même sort ».
  • [51]
    Voir Jean-Clément MARTIN, « Histoire, mémoire et oubli. Pour un autre régime d’historicité », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 47-4, oct.-déc. 2000, p. 783-804.
  • [52]
    AN, F17 1210. Secours aux savants, artistes et gens de lettres (1765-1810). Comité d’instruction publique (89-90).
  • [53]
    Rédacteur de la Feuille littéraire utile et amusante…, Bordeaux, an III-an IV.
  • [54]
    « Bordeaux, 24 ventôse an III. J’ai donné des célébrations décadaires en chants, discours et hymnes civiques d’après le décret du 18 floréal. J’ai réuni trois talents principaux, la composition, la déclamation et le chant : je n’ai pas cinquante francs de rente ; malgré ma pauvreté dont je ris, quelques grands que soient mes services pour la République, je ne connais point de récompense pour bien faire, mais je demande une juste indemnité pour continuer et même augmenter mes travaux importants » : AN, F17 1213, pièce 121.
  • [55]
    AN, F17 1210 (170).
  • [56]
    « [Je] demande à participer à la gratification accordée aux gens de lettres nécessiteux, ma pauvreté actuelle me donne des droits qui sont doublement appuyés par mon titre de mère d’un brave défenseur de la patrie ; mon fils unique a été aux plaines de Chalons dont il est revenu blessé, et depuis le 3 juin 1793, il est en Vendée où il s’est rendu volontairement », AN, F17 1219, pièce XX II.
  • [57]
    L’hostilité exprimée à la réception des ouvrages de Mme de Staël s’explique sans doute par le fait que cette dernière ne correspondait pas aux normes et aux contours de cette littérature féminine.
  • [58]
    C’est le cas d’un certain Tigner, auteur des Larmes du clergé : « Le citoyen Tigner, convaincu que l’opinion est la ruine du monde, convaincu que nous ne serons heureux en France que lorsqu’elle serait prononcée a fait tout ce qui était en lui pour concourir à la former connaissant le génie et la gaieté des Français, il ne leur a offert le résultat de ses calculs politiques que sous le trait d’une muse enjouée… », AN, F17 1213, pièce 106.
  • [59]
    Voir les archives conservées dans la série F2554. Commission exécutive de l’instruction publique : « Encouragements aux savants et artistes – État de répartition de la somme de trois cent milles livres aux gens de lettres, artistes, portée dans la distribution du 19 nivôse an III sous le n° 273 en exécution des lois du 27 vendémiaire et 14 nivôse derniers ».
  • [60]
    Pierre SERNA, La république des girouettes. 1789-1815 et au-delà. Une anomalie politique : la France de l’extrême centre, Seyssel, Champ Vallon, 2005 ; J.-L. CHAPPEY, « Les Idéologues face au coup d’État du 18 brumaire an VIII : des illusions aux désillusions », Politix, 14-4, n° 56, 4e trimestre, 2001, p. 55-75.
  • [61]
    Carla HESSE, Publishing and cultural politics in revolutionary Paris, 1789-1810, op. cit.
  • [62]
    Annie JOURDAN, Napoléon, héros, imperator, mécène, Paris, Aubier, 1998.
  • [63]
    J.-L. CHAPPEY, « Le XVIIe siècle comme enjeu philosophique et littéraire au début du XIXe siècle », Cahiers du Centre de recherches historiques, 28-29, avril 2002, p. 101-116.
  • [64]
    Ce programme est particulièrement défini dans le fameux rapport remis en 1807 par le ministre de l’Intérieur à Bonaparte et dont une partie des propositions sera mise en œuvre.
  • [65]
    Lettres inédites de l’abbé Morellet sur l’histoire politique et littéraire des années 1806 et 1807, Paris, Ladvocat, 1822, « Lettre à P.L. Roederer du 24 août 1807 », p. 88.
  • [66]
    Il n’est à ce titre pas fortuit de constater que c’est au moment où se renforce cette politique des pensions et s’accroît la pression des autorités sur les institutions scientifiques et le monde de l’imprimé que se multiplient des initiatives en faveur de la constitution d’un mécénat que l’on pourrait qualifier de privé, initiatives toujours combattues par les autorités. « Un vieil idéologue, M. [Marc-Ferdinand] Groubert de Groubentall qui avait publié il y a vingt ans quelques rêves politiques et philosophiques, après avoir dormi pendant les orages de la révolution […] veut nous enrichir d’un mémoire sur les moyens d’améliorer le sort des gens de lettres. Si ces projets à ce sujet n’étaient pas de la folie, on pourrait le laisser déraisonner à son aise, mais ses folies ont du danger et il est convenable de le prévenir », dans AN, F1049. Direction générale de l’imprimerie et de la librairie. N° 45, bulletin de la 2nde semaine de novembre 1813. Voir J.-L. CHAPPEY, « Héritages républicains et résistances à l’organisation impériale des savoirs », Annales historiques de la Révolution française, n° 346, 2006-4, p. 97-120.
  • [67]
    « Liste des gens de lettres, artistes dont la situation est peu heureuse (1807) », AN, F1316.
  • [68]
    Catherine DUPRAT, Pour l’amour de l’humanité : le temps des philanthropes. La philanthropie parisienne des Lumières à la Monarchie de Juillet, Paris, Éditions du CTHS, 1993.
  • [69]
    AN, F171541. Le dossier est constitué de près d’une trentaine de documents qui ont été envoyés aux bureaux du ministère de l’Intérieur entre 1800 et 1815, date de sa mort. Sauf indication contraire, les documents cités ci-après sont tirés de ce dossier.
  • [70]
    Mentelle reste plus connu pour ses travaux de vulgarisation que pour des innovations scientifiques. Voir Hélène BLAIS, « La Géographie académique entre sciences et belles lettres (autour de la scission de 1803) », dans Hélène BLAIS, Isabelle LABOULAIS (éd.), Géographies plurielles. Les sciences géographiques au moment de l’émergence des sciences humaines (1750-1850), Paris, L’Harmattan, 2006, p. 99.
  • [71]
    Il doit recevoir la somme de 2000 livres.
  • [72]
    « J’ai l’honneur de vous demander votre agrément pour que je place dans un coin du petit jardin que comporte le local qui m’a été accordé au Louvre ; la chèvre qui m’appartient et dont je bois le lait », AN, F17 1021 [183] Lettre de Mentelle du 27 brumaire an VI.
  • [73]
    Le 10 nivôse an XI, il présente, avec Gosselin, un mémoire « sur les avantages que présentera un état de la population de la République, indiquant la manière dont cette population se trouve disséminée sur le territoire ».
  • [74]
    AN, F17 1453, « Lettre de Mentelle au ministre de l’Intérieur du 16 prairial an XII ».
  • [75]
    Corine LEGOY, « Éloges politiques et thuriféraires de la Restauration. Chanter, servir ou combattre, les sens de la célébration », thèse d’histoire, Université de Paris 1, sous la direction d’Alain Corbin, 2004.
  • [76]
    Parmi les travaux sur ces groupes sociaux : Natalie PETITEAU, Lendemains d’Empire. Les soldats de Napoléon dans la France du XIXe siècle, Paris, La Boutique de l’Histoire, 2003 ; Hervé LEUWERS, L’invention du barreau français, 1660-1830 : la construction nationale d’un groupe professionnel, Paris, Éditions de l’EHESS, 2006 ; Igor MOULLIER, « Le ministère de l’Intérieur sous le Consulat et le Premier Empire (1799-1814). Gouverner la France après le 18 brumaire », thèse d’histoire, Université Lille III sous la direction de Gérard Gayot, 2004.
  • [77]
    Les dossiers individuels constitués autour des demandes de secours et de pensions doivent ainsi être replacés dans un corpus plus large constitué par les dossiers de carrière, les dossiers de naturalisation, les dossiers de Légion d’honneur. Ces différents corpus forment actuellement les sources de nombreux chantiers prosopographiques. Voir le bilan présenté lors du colloque « Définir, classer, compter. L’approche prosopographique en histoire des sciences », tenu les 26-27-28 novembre 2009 à la MSH Lorraine.
  • [78]
    Olivier IHL, Le mérite et la République : essai sur la société des émules, Paris, Gallimard, 2007.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.86

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions