Couverture de RHMC_563

Article de revue

Mita Choudhury, Convents and Nuns in Eighteenth-Century French Politics and Culture, Ithaca, Cornell University Press, 2004,234 p., ISBN 0801441102.

Pages 194 à 195

1Élève de Sarah Maza, Mita Choudhury s’attache à l’étude de la formation et de l’expression de l’opinion publique, autour d’un objet particulier : le couvent. Ce choix est justifié par la place que ce thème occupe dans les écrits de l’époque et renvoie à une interrogation sur les raisons de cet attrait. Pour ce faire, l’auteure croise deux champs. Le premier est celui de la gender history, plus précisément de la place du genre comme catégorie de construction de la sphère publique. Les querelles autour du jansénisme et de l’anticléricalisme révolutionnaire s’inscrivent dans une telle lecture. Le couvent apparaît alors comme une institution féminine, mais aussi un lieu de « gender disorder » en raison de l’absence de la sexualité, marqueur du rôle des genres. Le second champ est celui de l’histoire des représentations politiques. Le couvent y est une métaphore et un symbole de l’autorité et du despotisme, notamment dans son association avec la prison. Ce croisement des angles et des approches se nourrit d’une diversité de sources (judiciaires, journaux, pamphlets, textes littéraires) et est décliné de façon thématique. D’abord lieu de pouvoir, le couvent fournit un observatoire des relations entre les trois institutions que sont la famille, l’Église et l’État. Ce premier chapitre vaut surtout par la relecture de La Religieuse de Diderot comme document politique et sous l’angle de la critique du gouvernement. Le troisième chapitre sur les supérieures doit être lu en parallèle, tant cette figure est présentée par l’auteure comme « gendered embodiment of despotism ». L’étude de cas et des mémoires judiciaires souligne la dénonciation du comportement aristocratique de certaines abbesses et la présence de thématiques comme le pouvoir excessif, le rôle maternel et donc la place de la famille. Dans la lignée des travaux de S. Maza, ces faits particuliers prennent valeur générale, notamment par la valorisation de l’intervention judiciaire au nom de la transparence et de l’opinion publique. Cette rhétorique se retrouve dans le chapitre consacré au jansénisme. Nourrie des travaux de C. Maire et D. Van Kley, l’auteure se propose de les compléter en faisant la part de la logique du genre dans ces querelles, au travers de l’analyse de la justification de la résistance des religieuses. Elle distingue de manière décisive deux temps, celui des théologiens qui créent un modèle féminin de soumission, de simplicité et d’idéal monastique et celui des avocats, pour lesquels la religieuse est une figure de citoyenneté à défendre face au despotisme. Unis par le primat de la conscience et la volonté de reconduire la figure de Port-Royal, ces deux temps se complètent. Forte de ces acquis, l’auteure définit un portrait du despotisme marqué par un trait féminin : la soumission aux passions et le dérèglement. Ceci lui permet de qualifier le comportement des évêques anti-jansénistes de « feminine despotism », interprétation toutefois difficile à suivre. Deux autres débats inhérents au couvent – la vocation forcée (chapitre 4) et l’éducation (chapitre 5) – nourrissent une réflexion sur la conception de la famille et de la femme. Le croisement des cas pratiques et de l’image littéraire de la vocation forcée met en lumière un rapport au pouvoir de la famille qui oppose deux modèles. Le premier, ancien, est patriarcal et autoritaire. Le second est fondé sur l’affection et les droits individuels. Le couvent est ici le réceptacle de débats larges. Il en est de même pour l’éducation que l’auteure étudie dans le croisement des débats pédagogiques – fortement critiques à l’égard de l’éducation conventuelle – et, plus inattendue, de la littérature érotique. Cette dernière fournit en effet une lecture inversée du couvent et souligne les points cruciaux : le statut de la supérieure, la valorisation du plaisir, la place du corps, l’enseignement par la pratique, l’émancipation physique et intellectuelle de la femme. Elle dessine ainsi un autre (contre ? ) modèle éducatif. Les deux voies, portées par le sensationnalisme et le matérialisme, se rencontrent dans la promotion de la « femme naturelle » où la maternité est première, selon un aspect soumis de la femme dans les débats théoriques, plus actif dans les nouvelles érotiques.

2Enfin, ces composantes se retrouvent dans la Révolution avec une césure en 1791. Avant cette date, la considération de la soumission « naturelle » des religieuses les place à l’écart des critiques et en fait des citoyennes à libérer du despotisme, ce que souligne l’assimilation croissante du couvent et de la Bastille. Après 1791, la religieuse est contre-révolutionnaire, modèle de la mauvaise citoyenne. Ainsi, ce parcours thématique est aussi chronologique et souligne de multiples inflexions dont la plus importante reste celle de la décennie 1760.

3Cette étude stimulante ne s’adresse donc pas qu’aux spécialistes du couvent, lequel est ici une voie pour saisir des thématiques plus larges comme la conception de la famille, le rapport au politique et au pouvoir, la distinction des sphères publique et privée. Nourrie de très nombreuses lectures (une bibliographie aurait été utile au-delà des seules notes) et d’une grande variété de sources, elle souligne notamment l’importance de la problématique du genre dans les représentations et les discours. Toutefois, ce recours est peut-être parfois systématique. Si la figure de Port-Royal est par exemple sous-jacente dans les récits jansénistes, les traits relevés ici ne s’appliquent pas qu’aux couvents. De nombreux articles des Nouvelles ecclésiastiques motiveraient la même analyse. Cette rhétorique relève donc d’une image plus large, celle des tribulations des défenseurs de la vérité. Surtout, la valorisation de l’aspect métaphorique et politique du couvent est parfois trop impérieuse. Si cette dimension est présente dans de nombreuses sources critiques, il serait souhaitable de convoquer également les défenseurs du couvent, y compris dans des argumentaires plus religieux, pour enregistrer d’éventuelles inflexions de leur discours en résonance avec les évolutions relevées dans cette étude. À ce titre, il manque une voix, celle des religieuses, présentes seulement au travers de mémoires judiciaires et de discours rapportés par les journaux, sources biaisées par la réécriture. L’analyse de la période révolutionnaire élargit cette présence au travers des pétitions envoyées par les différentes communautés. Par ces sources, l’auteure esquisse une différence de comportement entre les couvents qui adoptent la nouvelle rhétorique et ceux qui s’en détachent, élément important pour différencier ce monde trop souvent unifié. Plus largement, le recours aux fonds internes, et principalement aux circulaires, annales et abrégés, aurait permis de retracer un modèle du cloître et de la société, propre aux religieuses et non si immobile qu’on l’a longtemps cru. Ceci fournirait un complément important et contribuerait sans doute à mieux dissocier la figure du couvent (comme institution) et celle des religieuses (comme individus, citoyennes ou femmes), distinction à laquelle invite le titre et qui aurait gagné à être plus suivie, tant l’appréciation des contemporains est différente à leur égard.

4 Ces regrets et remarques renvoient surtout à des compléments et ne remettent pas en cause la fertilité de cette étude qui, par ses interrogations et les pistes ouvertes, participe notamment à la relecture de l’histoire conventuelle dans une interrelation physique et culturelle du cloître et du monde.

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.81

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions