Couverture de RHMC_563

Article de revue

Michel Boiron, L'action des intendants de la généralité de Limoges de 1683 à 1715, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2009,496 p., ISBN 2842874773.

Pages 178 à 179

1Fruit de dépouillements considérables et version livresque d’une thèse récente d’histoire du droit, l’ouvrage décrit de manière empirique et détaillée l’activité variée, durant trois décennies, des intendants chargés d’administrer une généralité de l’intérieur du royaume. L’auteur mobilise principalement les sources émanant du pouvoir central et de ses représentants : correspondance des intendants avec le Contrôleur général, avec les secrétaires d’État de la Guerre et de la Marine, correspondance des chanceliers Boucherat et Pontchartrain, arrêts du Conseil du roi systématiquement dépouillés. En lien avec une recherche initiale entamée durant la décennie 1950 dans une conjoncture historiographique marquée par l’histoire démographique et socio- économique, il utilise aussi en abondance registres paroissiaux, mercuriales et enquêtes administratives (sur le commerce des étoffes en 1692 ou la librairie en 1701) pour mieux appréhender l’ampleur des crises de subsistances ou le travail d’informateurs des commissaires. Après avoir dressé dans un chapitre liminaire les portraits des neuf intendants en charge des provinces d’Angoumois et du Limousin, et détaillé de manière classique leurs compétences, l’auteur décline son propos en huit tableaux d’inégal intérêt. Ils portent successivement sur leur rôle dans l’information de la monarchie, la répartition et le recouvrement de la fiscalité royale, les affaires extraordinaires, les affaires militaires, la lutte envers le protestantisme, le maintien de la paix publique, la gestion des disettes et famines et le bien-être des populations.

2Le premier chapitre sur leur activité d’informateurs du pouvoir central précise notamment les modalités de la confection du mémoire de Louis de Bernage pour l’instruction du duc de Bourgogne. Présentant en annexe la quarantaine de versions recensées, l’auteur le date du début de l’année 1698, opte pour sa rédaction par l’intendant lui-même et souligne la meilleure précision des renseignements concernant la partie angoumoise. Alternant approches globales chiffrées et récits minutieux de micro- conflits, l’auteur montre ensuite l’efficace contribution des commissaires à l’accroissement de la fiscalité royale directe, évaluée à un montant annuel oscillant entre 1,4 et 3 millions de livres. Confrontés à la rentrée de plus en plus ardue des impôts durant la guerre de Succession d’Espagne, ils demandent et obtiennent des allégements significatifs sur le montant de la taille. La présentation solidement documentée des affaires extraordinaires, d’un montant total considérable d’environ 7 millions de livres, confirme à l’échelle d’une généralité l’épuisement du système fisco-financier naguère analysé par Daniel Dessert pour l’ensemble du royaume. La multiplication des réunions forcées d’offices de nouvelle création aux charges anciennes ou aux corps, le nombre et le montant croissants des modérations accordées et l’accumulation des retards de paiement en constituent des indices probants. M. Boiron indique par ailleurs utilement l’identité des acquéreurs des principaux offices. Il détaille ensuite longuement la contribution notable, en troupes et en armes, des deux provinces à l’effort de guerre. Le rôle direct des commissaires dans la levée des soldats apparaît cependant réduit, hormis l’incitation réussie des principales villes à financer la mise sur pied de régiments durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg. En revanche, au titre de directeur des forges de l’Angoumois et du Périgord de 1689 à 1694, Jubert de Bouville joue un rôle déterminant dans l’approvisionnement en canons de la marine du Ponant.

3Grâce à la riche correspondance de l’intendant de Gourgue, couvrant les années 1683-1687, le chapitre sur l’action des intendants envers le protestantisme s’intéresse principalement aux prémices de la révocation de l’édit de Nantes et aux modalités immédiates de son application. La question protestante constitue une préoccupation plutôt secondaire pour eux : elle demeure circonscrite pour l’essentiel à la partie angoumoise de la généralité, qui abrite une importante minorité réformée ; elle devient relativement marginale avec le rattachement en 1694 de l’élection de Saint-Jean d’Angely à la nouvelle généralité de La Rochelle. Le développement sur leur action en faveur de la paix publique énumère de nombreux exemples du contrôle ordinaire ou extraordinaire exercé sur les serviteurs provinciaux de la monarchie et leur activité policière. Il révèle les limites attendues de leur autorité, liées à la relative indépendance procurée par la vénalité légale aux officiers de justice et de finance, et à la médiocrité des moyens humains de surveillance et de répression à leur disposition.

4L’auteur narre ensuite la chronique détaillée de leur gestion des disettes et des famines, marquée par la double préoccupation d’assurer l’approvisionnement en blés des marchés et l’assistance aux pauvres. Généralement fort actifs dans le premier registre, ils mettent en œuvre une politique classique d’importation de grains (achetés dans les généralités de Poitou, de Bretagne, de Guyenne et même en Angleterre) et de lutte épisodique contre les accapareurs. Le second objectif relevant aussi de la charité chrétienne, ils agissent en étroite collaboration avec les autorités ecclésiastiques, en particulier épiscopales, qui sont souvent à l’origine d’aumônes générales. L’ultime chapitre traite notamment de leur soutien au commerce des bovins, source essentielle d’approvisionnement pour le marché parisien et apport primordial de liquidités monétaires à hauteur de 800 000 livres annuelles pour la généralité ; il esquisse par ailleurs les étapes du renforcement, souvent facteur de tensions et de contestations, de leur tutelle financière et administrative sur les corps de ville.

5En écartant toute réflexion critique et historiographique sur les notions de monarchie absolue ou de monarchie administrative, l’ouvrage livre une contribution partiellement inaboutie sur le rôle effectif des intendants dans le fonctionnement pratique de l’État royal en province durant la seconde moitié du règne de Louis XIV. Construit autour de la notion floue d’action, survalorisant le facteur individuel, desservi par des limites chronologiques sans doute trop larges, brassant de nombreuses thématiques, il peine à mettre en valeur et à approfondir le coeur de sa recherche, c’est-à-dire la gestion de la guerre et des crises de subsistances par une administration provinciale. Il aboutit ainsi à une conclusion molle sur les intendants définis comme de réels interlocuteurs du pouvoir central et d’authentiques administrateurs à l’efficacité variable, réintroduisant en catimini le « fantasme historiographique» (Michel Biard) de leur omnipotence. Or, en fréquente tension avec les conclusions de l’auteur, la riche documentation mobilisée dévoile pourtant qu’ils agissent de manière récurrente en médiateurs confrontés aux modalités variées et parfois conflictuelles de la nécessaire « collaboration sociale » avec les diverses autorités et notabilités locales. Elle confirme aussi leur constant recours à une multitude de collaborateurs officiels ou officieux souvent laissés à l’arrière-plan. Une bibliographie insuffisamment sollicitée et surtout lacunaire, avec l’absence des travaux anglais et américains fondamentaux sur les relations entre pouvoir central et pouvoirs provinciaux, limite fortement les perspectives envisagées dans l’ouvrage.Toutefois, les références abondantes et précises fourniront d’utiles exemples et de précieuses pistes aux historiens de la monarchie louisquatorzienne.

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