Notes
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[1]
Louis-Sébastien MERCIER, « Tableau en relief de la Suisse », in Id., Mon bonnet de nuit, vol. IV, Lausanne, 1785, p. 136-137; voir aussi Andreas BÜRGI, « Der Landschaftssimulator. Franz Ludwig Pfyffer von Wyher und sein Relief der Urschweiz », Traverse. Zeitschrift für Geschichte, 2002/3, p. 112-127; Ludwig Wallrath MEDICUS, Bemerkungen über die Alpen-Wirthschaft auf einer Reise durch die Schweiz gesammlet, Leipzig, 1795, p. III-IV, 23-24.
-
[2]
Jon MATHIEU, « Zur alpinen Diskursforschung. Ein Manifest für die “Wildnis” von 1742 und drei Fragen », Geschichte und Region/Storia e regione, 11/1,2002, p. 103-125.
-
[3]
Werner BÄTZING, Der sozio-ökonomische Strukturwandel des Alpenraumes im 20. Jahrhundert. Eine Analyse von « Entwicklungstypen » auf Gemeinde-Ebene im Kontext der europäischen Tertiarisierung, Berne, Geographica Bernensia, 1993, p. 24,31; Bruno MESSERLI, Jack D. IVES (éd.), Mountains of the World. A Global Priority, New York, Parthenon Publishing Group, 1997, p. 3-8; V. KAPOS et al., « Developing a map of the world’s mountain forests », in Martin F. PRICE (éd.), Forests in Sustainable Mountain Development : a State of Knowledge Report 2000, Wallingford, CAB International, 2000, p. 4; Bernard DEBARBIEUX (éd.), Mountain Regions : a Research Subject ?, International Mountain Research Workshop, Autrans, 2000.
-
[4]
Massimo LIVI BACCI, « La ricostruzione del passato : dall’individuo alla collettività », in Philippe BRAUNSTEIN et al., Il mestiere dello storico dell’Età moderna. La vita economica nei secoli XVI-XVIII, Bellinzona, Edizioni Casagrande, 1997, p. 150-151.
-
[5]
Paul GUICHONNET (éd.), Histoire et civilisations des Alpes, Toulouse-Lausanne, Privat-Payot, 1980 (ouvrage standard, indications sur la densité de population du point de vue des géographes, vol. 2, p. 313-320); Pier Paolo VIAZZO, Upland Communities. Environment, Population and Social Structure in the Alps since the Sixteenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1989 (importante étude pionnière qui s’oriente vers la microdémographie et n’utilise pas la densité).
-
[6]
Fernand BRAUDEL, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XV-XVIIIe siècles, Paris, Colin, 1979, tome 1, p. 38-45.
-
[7]
F. BRAUDEL, Civilisation…, op. cit., tome 3, p. 259-261; voir aussi Id., « La démographie et les dimensions des sciences de l’homme », Annales ESC, 15/2,1960, p. 494-503.
-
[8]
Ester BOSERUP, The Conditions of Agricultural Growth. The Economics of Agrarian Change under Population Pressure [ 1965], Londres, Earthscan, 1993; et sa synthèse in Id., Economic and Demographic Relationships in Development, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1990, p. 11-24; pour l’urbanisation : Id., Population and Technology, Oxford, Basil Blackwell, 1981, p. 63-75,95-97, faisant pièce à Paul BAIROCH, De Jéricho à Mexico. Villes et économie dans l’histoire, Paris, Gallimard, 1985, par exemple p. 636-639.
-
[9]
W. BÄTZING, Der sozio-ökonomische Strukturwandel…, op. cit., p. 40; concernant le caractère variable de la « surface improductive », voir par exemple : Roman SANDGRUBER, Österreichische Agrarstatistik 1750- 1918, Munich, Oldenbourg, 1978, p. 35-36; Günter GLAUERT, Die Alpen, eine Einführung in die Landeskunde, Kiel, Verlag Ferdinand Hirt, 1975, p. 13.
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[10]
J. MATHIEU, Geschichte der Alpen 1500- 1900. Umwelt, Entwicklung, Gesellschaft [ 1998], Vienne, Böhlau, 2001, p. 26-43 (en italien : Storia delle Alpi 1500- 1900. Ambiente, sviluppo e società, Bellinzone, Edizioni Casagrande, 2004); Id., « Zwecks Vergleich – Probleme und Ergebnisse einer Bevölkerungsgeschichte des Alpenraums », in Gabriel IMBOD EN (éd.), Seelen Zählen. Zur Bevölkerungsgeschichte der Alpenländer, Brigue, Rotten-Verlag, 2003, p. 55-69. Ces chiffres se basent sur la définition que W. Bätzing donne du territoire alpin; on détermine l’altitude des régions alpines avec la moyenne des altitudes communales (W. BÄTZING, Der sozio-ökonomische Strukturwandel…, op. cit.).
-
[11]
J. MATHIEU, Geschichte der Alpen…, op. cit., p. 50-64.
-
[12]
Clifford Thorpe SMITH, An Historical Geography of Western Europe before 1800, Londres, Longman, 1978, p. 525; Mario ROMANI, Aspetti e problemi di storia economica lombarda nei secoli XVIII e XIX, Milan, Vita e pensiero, 1977, p. 404; Arnold NIEDERER, Alpine Alltagskultur zwischen Beharrung und Wandel. Ausgewählte Arbeiten aus den Jahren 1956 bis 1991, Berne, Verlag Paul Haupt, 1993, p. 288-294.
-
[13]
Le travail nécessité par l’assainissement explique en partie pourquoi les parties supérieures d’une vallée sont souvent exploitées avant les régions plus basses.
-
[14]
J. MATHIEU, Geschichte der Alpen…, op. cit., p. 72-97.
-
[15]
Ces données se réfèrent à la zone située entre le 4e et le 18e degrés de longitude est et le 44e et le 49e degrés de latitude nord en France y compris la côte plus au sud; les valeurs données pour 1500 et 1800 proviennent de P. BAIROCH et al., La population des villes européennes de 800 à 1850, Genève, Droz, 1988; les valeurs pour 1900 sont issues de Andrees Allgemeiner Handatlas, 5e édition, Bielefeld et Leipzig, 1913.
-
[16]
J. MATHIEU, « Landwirtschaft und Städtewachstum im Alpenraum, 1500-1800 », Histoire des Alpes, 5,2000, p. 157-171.
-
[17]
Laurence FONTAINE, Pouvoir, identités et migrations dans les hautes vallées des Alpes occidentales (XVIIe-XVIIIe siècle), Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2003.
-
[18]
Dans un classement de 26 régions alpines selon leur densité de population, les Hautes-Alpes se trouvent au 19e rang vers 1800 et au 23e rang en 1900; les Alpes-de-Haute-Provence au 22e rang vers 1800 et au 25e rang en 1900 (sources cf. note 10). Pour l’agriculture, voir par exemple : Thérèse SCLAFERT, « Usages agraires dans les régions provençales avant le XVIIIe siècle », Revue de Géographie alpine, 29 ( 1941), p. 471-492; Felix Monheim, Agrargeographie der westlichen Alpen mit besonderer Berücksichtigung der Feldsysteme, Gotha, Geographisch-kartographische Anstalt, 1954 (sa théorie sur les jachères d’altitude est mise en question par les cultures sans jachère pratiquées ailleurs à une altitude similaire). Pour l’intensivité de l’élevage : J. MATHIEU, « Ovini, bovini, caprini. Cambiamenti nell’allevamento alpino dal 1500 », in Pier Paolo VIAZZO et Stuart WOOLF (éd.), L’alpeggio e il mercato (La ricerca folklorica 43), Brescia, Grafo, 2001, p. 17-25.
-
[19]
René FAVIER, Les villes du Dauphiné aux XVIIe et XVIIIe siècles, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1993, p. 263-265. Le nombre élevé d’évêchés situés sur ce territoire constitue un indice important de ce développement précoce : Jochen MARTIN (éd.), Atlas zur Kirchengeschichte. Die christlichen Kirchen in Geschichte und Gegenwart, Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1987, p. 71. Certaines publications tendent aussi à surestimer l’urbanisation; ainsi P. BAIROCH, La population…, op. cit., p. 114, indique-t-il qu’il y avait 6000 habitants à Barcelonette vers 1750; cependant, la plupart d’entre eux ne vivaient pas en ville, mais étaient éparpillés sur le territoire communal : Jean-Joseph D’EXPILLY, Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, vol. 5, Amsterdam, 1768, p. 933.
-
[20]
Thomas MAISSEN, « Die Geburt der Republik : Politisches Selbstverständnis und Repräsentation in Zürich und der Eidgenossenschaft während der Frühen Neuzeit », thèse d’habilitation, Université de Zurich, 2002 (à paraître).
-
[21]
Michael MITTERAUER et al., Herrschaftsstruktur und Ständebildung. Beiträge zur Typologie der österreichischen Länder aus ihren mittelalterlichen Grundlagen, 3 vol., Munich, Oldenbourg, 1973; Jerome BLUM, The End of the Old Order in Rural Europe, Princeton, Princeton University Press, 1978; Karl GRÜNBERG, « Die Grundentlastung », in Geschichte der österreichischen Land- und Forstwirtschaft und ihrer Industrien 1848- 1898, vol. 1, Vienne, Commissionsverlag Moritz Perles, 1899, p. 1-80.
-
[22]
Fernand BRAUDEL, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Colin, 1979, tome I, p. 34-35.
-
[23]
L. FONTAINE, Pouvoir…, op. cit., par exemple p. 197-204. Pour une région dotée d’une structure politique quasi exclusivement communale : Handbuch der Bündner Geschichte, éd. Verein für Bündner Kulturforschung, vol. 2 (Frühe Neuzeit), Coire, Verlag Bündner Monatsblatt, 2000.
-
[24]
Cette quantification concerne la « surface productive », mais cela importe peu, car l’auteur l’a évaluée avec des critères aussi cohérents que possible.
-
[25]
Justo CACERES MACEDO, The Prehispanic Cultures of Peru, Lima, 1998; Heraclio BONILLA, « Die historische Rolle von Potosí im kolonialen Austauschsystem », Histoire des Alpes, 8,2003, p. 63-78; pour une tentative de comparaison quantitative : J. MATHIEU, « The Mountains in Urban Development : Lessons from a Comparative View », Histoire des Alpes, 8,2003, p. 15-33.
-
[26]
La discussion critique la plus intéressante que je connais est celle d’Olivier DOLLFUS, Territorios Andinos. Reto y Memoria, Lima, Instituto de Estudios Peruanos, 1991, p. 16,21,51,53,56, 114,166.
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[27]
Les pionniers de la géographie humaine tiennent déjà compte du fait que le peuplement a des causes multiples; Paul VIDAL DE LA BLACHE écrit, en donnant une liste de conditions naturelles : « Aucune de ces causes ne peut être négligée; aucune ne peut suffire. Tout ce qui touche à l’homme est frappé de contingence » ( Principes de géographie humaine, Paris, Colin, 1922, p. 21); ce qui pose problème dans ce genre de constatations, c’est que la « contingence » est attribuée au domaine humain, tandis que la « nécessité » est réservée à l’environnement; dans ce sens, elles ne peuvent pas se démarquer du discours déterministe; du point de vue historique, il semble plus pertinent de considérer la dialectique entre contingence et nécessité non pas comme une réalité, mais comme une construction de la recherche; la nécessité peut donc aussi intervenir dans le domaine humain.
-
[28]
L. FONTAINE, Pouvoir…, op. cit., p. 5, utilise une belle formule pour évoquer cette image ambivalente du montagnard : « homme tantôt proche de l’animalité, tantôt proche de Dieu ».
1Au seuil de la Révolution française, deux auteurs entament un voyage dans les Alpes. Le chroniqueur parisien Louis-Sébastien Mercier se rend à Lucerne, où il va regarder une maquette en relief de la région environnant le lac des Quatre-Cantons. Ces montagnes en miniature inspirent son imagination politique. Mercier vient en effet de comprendre pourquoi le despotisme ne pourra jamais se répandre dans les régions de montagne; selon lui, l’opprimé n’aurait qu’à s’élever de quelques toises pour fouler la tête de l’oppresseur ! L’Allemand Ludwig Wallrath Medicus s’intéresse pour sa part à l’élevage du bétail et il récolte du matériel pour une étude sur l’économie alpestre. Il se représente celle-ci tout d’abord sous les traits d’une économie intensive :
« Pour ce qui est de la fertilité des alpages, il m’est arrivé la même chose qu’à bien d’autres voyageurs : j’avais tant entendu parler de la fertilité et de l’abondance des alpages que j’imaginais les vaches allant dans une herbe au moins aussi haute que leur ventre, parce que je ne faisais pas la distinction entre ces pâturages et des prairies ».
3Arrivé sur les lieux, Medicus sera pour le moins surpris de voir que l’herbe des alpages est courte, très courte même, mais qu’elle est bel et bien la base d’une avantageuse production de bétail et de lait [1].
4Nos deux auteurs, le Français comme l’Allemand, sont persuadés qu’il existe une spécificité alpine ou montagnarde. Mercier pense qu’elle réside dans la liberté politique et il en voit la confirmation dans le relief qu’il examine et le mécanisme simple qu’il invente à partir de cette maquette. Medicus observe les prés situés en altitude et révise alors son idée de l’économie alpestre; ses résultats économiques correspondent à ses prévisions, contrairement aux moyens mis en œuvre pour y parvenir. Nos auteurs développent des argumentations fort éloignées l’une de l’autre, néanmoins, tous deux participent à l’élaboration du discours savant sur la spécificité de l’espace montagnard, qui va se développer durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, et dont l’audience ne fera que croître. Il va de soi que certaines idées de cette époque peuvent être bien plus anciennes. Et si l’on s’éloigne des centres européens et de la république des lettres pour rejoindre le niveau local des discours populaires, on retrouve partout des traces de cette distinction entre plaine et montagne. La montagne, la vie à la montagne et les gens de la montagne seront présentés sous un jour tantôt positif tantôt négatif, selon le scénario. La lutte autour des qualités des régions du haut et du bas a une longue tradition, mais son issue demeure équivoque [2].
TOUT D’ABORD, LES HOMMES
5Il n’est pas facile d’objectiver la spécificité montagnarde. À quelle aune de l’existence humaine doit-on la mesurer, quelles en sont les conditions et les expressions ? Et même, quelles régions doit-on considérer comme des régions de montagne ? Ce sont là des questions interdépendantes qui conduisent, dans la pratique scientifique et administrative, à des réponses d’une diversité déconcertante. Les divergences qui apparaissent quand on essaie de déterminer la portion montagneuse dans un espace donné en sont peut-être l’exemple le plus éloquent. Ainsi, en 1991, alors que la « Convention alpine » vient de se signer, les instances politiques doivent en définir le domaine d’application. En Bavière, elles décident d’étendre sa zone de validité jusqu’aux abords de la ville de Munich; dès lors, le territoire et la population des Alpes bavaroises triplent, comparés à des classifications antérieures. À une époque où les problèmes d’environnement sont mondialisés et politisés, la lutte autour des représentations de la montagne prend elle aussi des dimensions globales, ce qui modifie les difficultés, mais ne les atténue naturellement pas. Dans la littérature scientifique, les chiffres sur la portion montagneuse du globe varient de 20% à 36%. Chacune de ces données est issue d’une méthode, d’une question, d’un intérêt [3].
6Dans cet essai, je vais aborder le problème de la spécificité montagnarde sous l’angle de la densité de population, ce qui présente deux avantages méthodologiques. D’abord, nous ne sommes pas obligés de penser que cette spécificité existe à un moment donné ou de tout temps; on peut utiliser cette approche indépendamment de la classification territoriale; la géographie n’est prise en considération que dans un second temps, après l’histoire. Ensuite, on peut relier l’étude de la densité de population à d’importants phénomènes économiques dans le domaine de l’agriculture, de l’urbanisation et des échanges interrégionaux; nous avons donc là affaire à un indicateur essentiel, et non pas à un aspect secondaire. Il n’en demeure pas moins que l’empirisme reste de mise. On peut en effet se demander dans quelle mesure cette approche s’applique sous des conditions variées, et si l’on peut aussi s’en servir pour aborder des phénomènes politiques. L’étude historique des montagnes semble appropriée pour nous renseigner en la matière. L’espace alpin européen va constituer le principal laboratoire de ce test, mais nous jetterons aussi un bref regard sur une zone de montagne tout à fait différente, sur un autre continent. Pour conclure, nous verrons qu’à bien des égards, la spécificité montagnarde peut se concevoir comme une construction historique, donc comme une réalité façonnée par d’innombrables activités humaines qui en influencent aussi les perceptions.
DENSITÉ DE POPULATION
7La densité de population est un indicateur et un facteur que plusieurs disciplines et sous-disciplines utilisent, mais pas avec la même fréquence. Les questions théoriques qu’il pose sont complexes et certains problèmes liés à sa mise en œuvre apparaissent justement quand on étudie le territoire montagneux. Ce n’est pas ici le moment d’entrer dans le détail de ces applications et de ces questions, mais certains jalons me semblent tout de même indispensables à poser.
8Massimo Livi Bacci a récemment observé que la microdémographie historique, développée depuis les années 1950, tend à négliger les liens avec l’espace. Il plaide pour une approche intégrant macro- et microdémographie et souhaite que l’on combine le « système démographique » à d’autres systèmes, en particulier au socio-économique. Selon lui, l’évolution démographique est soumise à une série de contraintes – climat, sol, alimentation, énergie, pathologie –, et les relations entre ces contraintes et la population forment le noyau de toute théorie démographique. Toutes ces contraintes sont, dans une certaine mesure, « density-dependant », mais la densité dépend des grandes tendances démographiques et doit s’expliquer au niveau macro. Ce n’est que sur cette base que les comportements observés à petite échelle peuvent vraiment devenir intelligibles [4]. Or, le concept qui nous intéresse ici a disparu de l’agenda méthodique en usage dans une partie de la littérature consacrée au territoire montagneux : si les géographes de l’ancienne école ont régulièrement débattu de la densité de la population, les études modernes, vouées à une approche microdémographique, ne l’évoquent que rarement. La spécialisation a ses avantages, mais elle a aussi son prix [5].
9Fernand Braudel, on le sait bien, a étudié la population sur une large échelle et il s’est beaucoup intéressé à l’histoire des montagnes. Il aborde le « poids du nombre » dès le début de son œuvre sur la Civilisation matérielle, et présente un panorama des niveaux de civilisation vers 1500. Suivant une certaine tradition, il établit une corrélation entre ceux-ci et les diverses densités de population. Quatre groupes principaux se succèdent : celui des chasseurs, cueilleurs et pêcheurs; celui des nomades et éleveurs : celui des peuples à agriculture peu évoluée, paysans à la houe en particulier; et enfin les peuples à culture avancée, les civilisations avec une technologie agraire et surtout avec des villes. Que ces pays « développés » se trouvent dans les zones à forte densité de population relève de l’évidence pour Braudel [6]. L’historien français recourt au facteur démographique à bien d’autres occasions encore. Il est même tenté par l’hypothèse d’un lien entre la densité et les bonnes et mauvaises périodes [7], et pour l’espace montagneux, il constate qu’il y a un rapport entre une population clairsemée et des structures démocratiques. Nous y reviendrons.
10Parmi les économistes qui ont récemment travaillé sur ce thème, Ester Boserup mérite une attention particulière. Elle a examiné la pertinence du facteur démographique dans différents contextes passés ou actuels, en se basant tant sur des statistiques à large échelle spatiale et des travaux historiques globalisants que sur des micro-études anthropologiques. Se démarquant de beaucoup de démographes, Boserup ne cherche guère à expliquer l’évolution de la population, mais s’intéresse avant tout à ses effets, ce qui met d’autant mieux en relief le caractère élastique de l’économie. Je vais relever deux points importants pour la problématique qui nous intéresse ici.
- Intensification de l’agriculture : quand il y a croissance de la population, il y a augmentation de la fréquence de l’exploitation et des récoltes, dans un territoire donné; cela provoque la hausse massive du rendement des surfaces dans la phase préindustrielle déjà; en revanche, la productivité du travail tend à diminuer, ce qui explique la résistance contre le changement et les grandes différences entre les agricultures pratiquées au même moment.
- Urbanisation : le surplus agricole, qui rend possible la croissance des villes, dépend moins de la productivité du travailleur moyen que de la densité de population et de l’intensité de l’agriculture dans un territoire donné; l’hypothèse d’un plafond de croissance urbaine, fixe et conditionné par la technologie, est donc peu utile aux analyses historiques, car le surplus total à disposition peut déjà varier considérablement dans un contexte pré-industriel [8].
MESURER L’ESPACE
11Avant de nous demander comment rendre utile cette approche pour retracer l’histoire de l’espace alpin, il convient d’indiquer les problèmes qui surviennent quand on cherche à définir la densité de la population montagnarde. Ils proviennent du fait que l’on ne considère pas l’espace étudié comme homogène et qu’il est difficile d’en établir la réelle étendue. On sait bien que les montagnes présentent de grandes surfaces d’un sol réputé improductif. Toutefois, nul ne connaît la dimension précise de ces surfaces et ne sait dans quelle mesure elles sont improductives. Les statistiques nationales révèlent des différences frappantes quand on regarde comment ces surfaces se modifient au fil du temps dans le cadre des frontières nationales, ou alors quand on les compare pour divers États à un moment donné. Les proportions prises par le terrain improductif dans les statistiques dépendent donc assez étroitement des administrations nationales et de leurs dispositions. Il y a un autre fait, moins connu, ou moins pris en considération par la littérature : les surfaces sont mesurées par projection, ce qui rétrécit artificiellement les parties escarpées du territoire. On a estimé que la surface effective du territoire alpin ne serait pas de 180000 km2, mais de 240000 km2, si on l’aplatissait. Cette diminution devrait être plus importante que les surfaces improductives, quelles qu’en soient les définitions, mais elle repose elle aussi en partie sur une fiction, puisque le terrain, en général, devient d’autant moins exploitable que sa déclivité augmente [9].
12Aucune méthode de mesure ne se révèle parfaite, mais comme ces phénomènes tendent à s’annuler, je vais préférer la simple mesure en deux dimensions. Comme indicateur de productivité ou d’improductivité des surfaces, on peut aussi choisir l’altitude des communes. Le centre de la commune sert de repère pour cette mesure dont les résultats sont très révélateurs du potentiel économique de l’agriculture.
13Une fois ces prémisses posées, tournons-nous vers l’histoire de l’espace alpin, en commençant par examiner sa population et son agriculture dans la période du XVIe au XIXe siècles.
HISTOIRE ALPINE : POPULATION ET AGRICULTURE
14Quand on s’intéresse à l’évolution de la population d’un espace montagneux multinational, on ne peut pas se baser sur quelques œuvres standard; il faut se référer à de nombreuses études et compulser leurs données. À quels résultats cette méthode permet-elle d’aboutir pour les Alpes entre 1500 et 1900 ? En voici les observations essentielles. Dans cette période, la population s’accroît considérablement; vers 1900, selon les recherches actuelles, elle est près de trois fois plus importante qu’à la fin du Moyen Âge ( 7,9 millions contre 2,9 millions). Si l’on compare les taux de croissance, deux périodes se dégagent : aux XVIe et XVIIe siècles, on ne constate pas de différences systématiques, ni entre les régions alpines de haute et de basse altitudes, ni entre l’espace alpin et ses régions et pays voisins; aux XVIIIe et XIXe siècles en revanche, les régions alpines situées en basse altitude connaissent une croissance toujours plus accélérée, par rapport aux zones de haute altitude, de même que les territoires environnants par rapport à l’espace alpin. Ainsi les différences en matière de densité de population, qu’on observe au début de la période déjà, vont s’accentuer très vite; dans un échantillon de régions, vers 1500, la densité de population en plaine représente 192% des taux de la partie alpine, alors que vers 1900, ce chiffre atteint 465% [10].
15La croissance démographique et les taux agricoles, bien souvent élevés, indiquent que l’on assiste à une considérable augmentation de la production agricole, dans la période étudiée. L’intensification apparaît sous la forme de récoltes plus fréquentes sur une surface donnée, qu’il s’agisse de fourrage ou de cultures. Une autre forme concerne l’évolution du cheptel et des variétés de plantes. Parmi les transformations les plus remarquables, on peut mentionner le passage de l’élevage ovin à l’élevage bovin et l’introduction des cultures du maïs et de la pomme de terre. Il faut souvent attendre le moment où la pression démographique accroît les besoins de consommation et la capacité de travail pour que l’on mette en œuvre les moyens d’intensifier la production agricole. La pomme de terre se répand dans l’ensemble du territoire alpin à la fin du XVIIIe siècle et surtout au XIXe, alors que cela fait déjà deux cents ans qu’on la connaît. Si l’on tient compte du fait que la culture de la pomme de terre non seulement accroît le rendement des surfaces, mais qu’elle nécessite aussi beaucoup de travail, on comprend mieux pourquoi elle met si longtemps à s’introduire [11].
16Une analyse de la croissance de la population selon l’altitude révèle que pendant l’époque moderne, les facteurs liés à ce paramètre interviendront davantage sur la croissance. J’ai souligné que la différence de croissance entre les régions alpines situées en haute ou en basse altitude et les régions de montagne et leurs zones environnantes se creuse beaucoup aux XVIIIe et XIXe siècles, mais qu’elle est faible aux XVIe et XVIIe. À cette époque, certaines régions alpines peuvent même marquer une croissance plus soutenue que d’autres, situées en contrebas ou aux abords des montagnes. Le changement qui affecte par la suite les régions de montagne s’explique en grande partie par le développement de l’agriculture. Avec les progrès de l’intensification, la période de végétation, et donc l’altitude, deviennent importantes. Le facteur temps s’avère déterminant quand le sol est exploité à intervalles plus courts. Prenons l’exemple de la multiplication des récoltes de foin. Pendant l’époque moderne, dans la plaine du Pô et les basses vallées alpines, on se met à faucher jusqu’à quatre fois par année – dans la plaine du Pô, on récolte même jusqu’à sept ou huit fois l’an le fourrage vert. En revanche, dans les zones de très haute montagne qui ont une courte période de végétation, l’herbe pousse si peu qu’il semble approprié de la couper une fois tous les deux ou trois ans seulement [12].
17La littérature géographique met bien souvent en exergue l’adaptation de l’homme à la nature alpine. D’un point de vue historique cependant, on en vient à conclure que l’adaptation s’effectue en quelque sorte sur elle-même, au fil du temps. Les petits groupes de population n’exploitent pas le territoire montagneux de la même manière que les grands groupes, à la recherche de hauts rendements. On peut admettre qu’à chaque avancée de l’intensification, seront privilégiées les zones qui semblent plus particulièrement favorables, sous les conditions données. Quand on cultive peu de céréales, les parties plus plates du terrain vont suffire; si l’on étend cette culture, on va envisager de terrasser des zones pentues; quand l’accroissement de la population exercera une pression supplémentaire, on mettra en œuvre une exploitation plus intensive sur les terrains en contrebas des fleuves, en consentant d’importants travaux d’assainissement pour transformer des zones jusqu’alors réservées à la pâture, etc. [13]. D’une phase à l’autre, la pratique paysanne soupèse les avantages et les inconvénients d’une exploitation particulière de l’environnement, mais à aucune de ces étapes le choix opéré ne se déduit automatiquement du terrain et de l’environnement. Dans ce sens, il est trompeur de parler d’adaptation. Cette relativité historique s’applique aussi à l’élevage et à l’économie alpestres. L’élevage est une activité qui dure toute l’année, contrairement à la culture agricole. Une partie des bêtes doit se garder en hivernage, et nous sommes alors assez loin d’une exploitation « naturelle ». (Voir illustrations pages suivantes.)
HISTOIRE ALPINE : URBANISATION ET MIGRATION
18Les Alpes forment un espace où les villes sont rares. En dépit de cela, ou peut-être grâce à cela, quand on veut comprendre leur histoire, l’urbanisation fournit des repères essentiels. Les données disponibles nous indiquent que quelques concentrations de 5000 personnes et plus – nous allons ici les qualifier de villes – sont apparues dès le bas Moyen Âge. Cependant, on ne remarque de vraie croissance urbaine qu’à partir du XVIe siècle, puis surtout au XIXe siècle. Dans l’espace alpin, vers 1600, on recense vraisemblablement 6 villes au sens que nous avons défini, puis il y en aura 9 vers 1800 et 42 vers 1900. Les plus grandes villes sont Grenoble, Innsbruck, Trente et Klagenfurt. Le trafic transalpin intervient assez peu dans la croissance urbaine qui s’effectue à l’époque moderne. Son volume apparaît plus restreint qu’on l’admet en général, et il n’a guère d’effet centralisateur dans une période où le transport se fait d’habitude par étapes. À Innsbruck, le secteur des transports occupe par exemple 3% des habitants vers 1650. En revanche, l’apparition de villes d’une certaine importance se trouve favorisée par des facteurs socio-politiques, c’est-à-dire par la concentration spatiale des élites territoriales et des moyens d’exercice du pouvoir dans le cadre de la formation de l’État [14].
19La plaine possède bien plus de villes que la montagne. À la fin du Moyen Âge, le nord de l’Italie recense environ trois douzaines de centres urbains comptant 5000 habitants et davantage, parmi lesquels certains sont beaucoup plus grands – en particulier Venise et Milan qui possèdent environ 100000 habitants chacune. À la même époque, on ne trouve qu’une seule agglomération de taille urbaine sur l’ensemble beaucoup plus vaste de l’espace alpin. Nous avons déjà relevé que l’on assiste par la suite à une certaine urbanisation alpine, mais du XVIe au XIXe siècles, les villes aux abords des Alpes croissent et se multiplient à un rythme plus rapide, ce qui accentue considérablement la différence entre les deux zones. Si l’on examine une carte avec les Alpes au milieu et une surface à peu près équivalente autour, on obtient les proportions suivantes de villes pour 10000 km2, vers 1500,1800 et 1900 : dans les Alpes 0,1; 0,6; 2,1 et 1,5; 5,0; 12,4 dans la zone environnante. La différence entre le territoire alpin et ses abords augmente donc toujours. Dans l’absolu, les Alpes deviennent plus urbaines, alors qu’en termes relatifs, elles apparaissent progressivement plus rurales [15].
20Le démarrage de l’urbanisation dépend souvent de conditions démographiques ou agricoles. Le potentiel de croissance urbaine sera d’autant plus grand que la population régionale sera dense et l’agriculture intensive. On ne s’étonnera donc pas de constater que jusqu’après 1800, la plupart des centres alpins se situent en basse altitude. Comparés aux villes du pied des Alpes et de plaine, ces centres situés à faible altitude ont eux aussi un handicap, dans la mesure où les surfaces exploitables dont ils disposent à proximité se situent très souvent en zone de montagne [16]. Au XIXe siècle, quand la révolution des transports dénoue les liens entre les villes et l’arrière-pays, une dynamique plus autonome va présider à l’essor de l’urbanisation et viendra renforcer encore l’écart entre montagne et plaine.
21L’inégale répartition des villes peut conduire à l’idée qu’il faut considérer le territoire alpin comme un espace généralement dépourvu de potentiel économique. La littérature alpine revient en effet souvent sur ce thème du manque de ressources, mais peu d’énergie et de réflexion méthodologique sont consacrées à la question de savoir comment saisir empiriquement ce déficit et le comparer. Ainsi, beaucoup d’études considèrent que la migration est au premier abord révélatrice de ce déficit : selon elles, au début de l’époque moderne, en bien des endroits, le seuil de population dépasse celui des ressources disponibles, ce qui va susciter une émigration échelonnée sur plusieurs siècles. Les données dont nous disposons permettent de soutenir d’autres interprétations. Si la population alpine peut presque tripler entre 1500 et 1900, alors même que l’agriculture joue encore un grand rôle à la fin de cette période, on a de la peine à comprendre pourquoi le manque de ressources sévissant vers 1500 aurait constitué une cause déterminante d’émigration. Sur un plan général, on néglige souvent le fait que le territoire environnant la zone de montagne est bien plus peuplé et surtout plus urbanisée que les Alpes. Ces conditions-cadre, associées à d’autres indices, amènent à penser que la migration s’explique plus par des facteurs d’attraction; et Laurence Fontaine démontre bien que dans cette situation, la mobilité alpine peut se développer jusqu’à devenir un genre de vie en lui-même, à mi-chemin entre les espaces villageois et urbains [17].
HOMOGÉNÉITÉ ET DIVERSITÉ
22En résumé, la densité de population influence considérablement les pratiques agricoles et la croissance urbaine dans l’espace alpin, que l’on prenne en considération la durée temporelle ou la comparaison avec les zones environnantes. Les différences entre les zones ne sont pas marquées de manière constante dans toutes les phases de cette évolution. L’influence de la montagne et de l’altitude sur la croissance commence par être restreinte, puis elle s’affirme avec force aux XVIIIe et XIXe siècles. La montagne, conçue par opposition à la plaine, se révèle donc être une construction historique. Dès lors, les divers phénomènes que nous pouvons regrouper sous la notion de spécificité montagnarde prennent un relief beaucoup plus net.
23Ces remarques sont valables à l’échelle macro et elles pourraient donner l’impression que l’histoire de l’espace alpin s’est déroulée en toute homogénéité. En réalité, chaque région a naturellement ses particularités et ses trajectoires. Les Alpes françaises du Dauphiné et de Provence se caractérisent par exemple par des densités de population relativement faibles, avec une agriculture extensive, mais un taux d’urbanisation assez élevé. Les départements des Hautes-Alpes et des Alpes-de-Haute-Provence appartiennent, vers 1900, aux régions alpines dotées de la plus faible densité de population, tandis que vers 1800, lorsque ces régions atteignent leur seuil maximum, leur rang est à peine plus élevé. On ne s’étonnera pas alors de constater que sur leur territoire, nombreux sont les champs cultivés à rythme lent (les documents attestent qu’il y a des jachères jusqu’à la fin de la période étudiée) et qu’avec la transhumance ovine, l’élevage y est plus extensif que dans d’autres parties de l’espace alpin [18]. Le constat que des agglomérations d’une certaine importance y ont pris un essor assez précoce semble en revanche inattendu. Ainsi, selon nos critères, Gap est la ville la plus haute des Alpes jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Bien entendu, cette ville présente aussi un nombre étonnamment élevé d’habitants qui exercent une activité agricole. Cette tendance à l’agglomération pourrait s’expliquer par l’habitus culturel et l’histoire plus ancienne de ces régions de France. Quoi qu’il en soit, le modèle urbain s’y révèle très prégnant, comme dans d’autres parties du royaume [19].
24La diversité de l’histoire alpine apparaît de manière particulièrement frappante au niveau politique. Il est vrai que le XVIe siècle donne partout lieu à un rapide essor des États, mais leurs configurations se révèlent très différentes les unes des autres et aboutissent à des résultats très divers. Dans les montagnes suisses par exemple, la commune exerce un pouvoir étatique dont découlent des pratiques et des structures profondément locales – ce qui a pu étonner et inquiéter Jean Bodin et d’autres théoriciens de l’État [20]. Dans les Alpes autrichiennes, à l’est du Tyrol, l’État se forme en revanche sur la base de seigneuries. Jusqu’au XIXe siècle, les communes en restent au stade embryonnaire, l’organisation politique demeure une tâche et un privilège de la noblesse, disposant de ses forteresses, châteaux et droits seigneuriaux. Les paysans ne sont pas représentés dans les diètes des duchés de la Styrie, de la Carinthie et d’autres contrées. Les réformes agraires hésitantes de la monarchie des Habsbourg témoignent elles aussi de la structure « féodale » des Alpes orientales. Il faudra attendre l’exonération foncière ( Grundentlastung) qui suit la révolution de mars 1848 pour assister à une mutation décisive. Cinquante ans après la Révolution française, la « sujétion et la protection suprême » seront levées, pour reprendre les termes de la patente impériale. Le paiement des droits féodaux permet encore de mesurer en termes financiers à quel point ce système est puissant et répandu dans l’histoire de ces régions alpines [21].
25Les Lumières aiment la Suisse et ses communes et apprécient peu l’Autriche et ses seigneuries. Louis-Sébastien Mercier, que nous avons rencontré au début de cet essai, n’assouvit pas son désir de liberté et d’égalité près du lac de Wörth, mais au bord du lac des Quatre-Cantons. Comme à bien d’autres intellectuels de son époque, cette région des Alpes lui semble être le berceau de la morale politique; il prête peu attention à la politique au quotidien ou à celle qui se pratique ailleurs dans les Alpes. Et c’est sur la tradition des Lumières que Fernand Braudel va bien plus tard s’appuyer quand il évoquera la liberté montagnarde :« C’est dans les pays d’en bas que sont les sociétés serrées, étouffantes, les clergés prébendés, les noblesses orgueilleuses et les justices efficaces. La montagne est le refuge des libertés, des démocraties, des “républiques” paysannes ». Le système politique, social et économique issu de la féodalité ne peut pas atteindre la plupart des zones montagnardes, et quand c’est le cas, son influence n’est que très partielle. Selon Braudel, on constate cela partout où la population est clairsemée et disséminée [22].
26Que retenir de cette hypothèse établissant une relation générale entre densité de population et structure politique ? Au début de l’époque moderne déjà, il existe une différence de densité entre les Alpes et leurs régions environnantes, et cette réalité se creusera rapidement aux XVIIIe et XIXe siècles. Dans les Alpes orientales, le pouvoir féodal est cependant loin d’être faible et mettra longtemps à disparaître. Quant aux régions constituées sur un plan communal, elles aussi semblent moins démocratiques qu’au premier abord; la recherche moderne prouve clairement que quelques familles des élites monopolisent le pouvoir dans de nombreuses communes, par le truchement de la richesse et du patronage [23].
UN AUTRE CONTINENT
27Pour les géographes et les spécialistes des sciences naturelles, les Alpes sont à l’heure actuelle les montagnes les mieux examinées du monde. Les historiens doivent en revanche constater que le développement de cette région sur la longue durée demeure encore peu connu et étudié. Cela a son importance, car l’interprétation des faits humains peut différer considérablement, selon le point de vue adopté au départ – espace ou temps. Une approche spatiale tendra à accorder beaucoup d’influence aux données environnementales et à peu relever la persistance de ces influences. En revanche, en considérant d’abord l’axe temporel, on se voit contraint d’adopter la méthode empirique et d’affronter les phénomènes environnementaux dans leur variabilité et leur relativité sociale. On aboutit souvent à une autre pondération des facteurs décisifs et de la spécificité montagnarde .
28La problématique s’explicite mieux quand on examine un massif montagneux de beaucoup plus grande dimension : les Andes. L’histoire de l’Amérique du Sud présente une structure de peuplement très particulière. Au milieu du XXe siècle encore, la population de ce continent ne se répartit en effet pas de la même manière qu’en Europe, en Asie et ailleurs dans le monde. Tandis que dans la majorité de ces régions, la densité de population diminue au fur et à mesure que l’altitude augmente, en Amérique latine ce sont justement les hauts plateaux qui présentent une forte densité de population. Jusqu’à une altitude de 1000 mètres, on recense sur ce continent 7 personnes au kilomètre carré, en revanche, entre 3000 et 4000 mètres, on en compte deux fois et demie plus (tableau 1) [24].
DENSITÉ DE POPULATION, SELON LES ALTITUDES, SUR TROIS CONTINENTS ET À L’ÉCHELLE MONDIALE, 1958
DENSITÉ DE POPULATION, SELON LES ALTITUDES, SUR TROIS CONTINENTS ET À L’ÉCHELLE MONDIALE, 1958
29Pour esquisser l’évolution historique de ce peuplement, on peut prendre l’indicateur d’urbanisation. Les centres urbains de la période pré-hispanique sont situés sur la côte pacifique et plus souvent encore dans les montagnes andines : les archéologues estiment que Cuzco, la capitale légendaire des Incas située à 3300 mètres d’altitude, compte 100000 habitants et davantage. Puis, durant la période coloniale, la concentration sur le territoire montagneux se poursuit; vers 1600, la ville de Potosí, connue pour ses mines d’argent et située à 4100 mètres, figure parmi les grandes villes du monde. Il faut attendre le XVIIe siècle pour assister à l’urbanisation des régions de basse altitude, sur la côte et à l’intérieur des terres et ce ne sera que vers 1900 que les villes de plaine d’Amérique du Sud prendront le pas sur les villes de montagne. Dès lors apparaît le même processus de polarisation spatiale que sur les autres continents, et il s’effectue en général au détriment des montagnes. Toutefois l’urbanisation montagnarde continue. Cela est précisément vrai pour les Andes, qui abritent, à l’heure actuelle, les plus nombreuses et les plus grandes villes de montagne de la planète [25].
30Pour la problématique qui nous intéresse ici, la particularité de l’Amérique du Sud réside moins dans sa situation actuelle que dans le fait qu’historiquement, son peuplement et son urbanisation ont tendance à s’effectuer en montagne, avant de se poursuivre en plaine. À cet égard, la littérature invoque des conditions géographiques, en particulier la grande proportion de la zone tropicale sur ce continent : de ce fait, les hauts plateaux sont valorisés en termes économiques et la plaine dévalorisée en termes médicaux. Les constatations que nous venons d’établir indiquent que ce genre d’explications ne peut pas suffire. Il ne fait appel qu’à des facteurs environnementaux, adopte un point de vue statique et accorde peu d’attention aux aspects essentiellement historiques du peuplement. Les relations socio-culturelles et les faits de guerre ne jouent-ils aucun rôle, en particulier dans les premières phases de cette histoire, quand la densité de la population est faible ? Et qu’en est-il de la force d’attraction et d’agglomération dégagée par le pouvoir ? Dès lors qu’une population commence à se concentrer, cela peut donner lieu à une dynamique propre qui présidera à son évolution ultérieure, assez indépendamment des facteurs environnementaux [26]. Quelle que soit notre conception de la spécificité sudaméricaine, les Andes donnent une leçon aux Alpes. Elles révèlent en effet que la densité de peuplement aux environs des montagnes – une condition-cadre de leur histoire – doit elle aussi s’expliquer [27].
31***
32Les historiens qui se risquent à étudier la spécificité montagnarde et ses
multiples facettes feraient bien de commencer par s’intéresser aux acteurs :
tout d’abord les hommes et non la montagne. Cela permet de prendre de la
distance par rapport aux représentations populaires et savantes et aux a priori
qu’elles véhiculent sur les sociétés de montagne et de plaine. En réalité, la spécificité se mesure à l’aune de nombreuses conditions et expressions de l’existence humaine, et elle est soumise aux transformations historiques. La densité
de population apparaît comme un indice qui permet d’étudier ces transformations d’une manière particulièrement claire et systématique. L’exemple des
Alpes révèle que le facteur démographique influence beaucoup les pratiques
agricoles, la croissance urbaine et d’autres phénomènes économiques.
33Très tôt dans l’histoire alpine, les régions environnantes sont plus peuplées que le territoire montagneux. Jusqu’à un certain niveau de développement démographique et économique, la différence reste assez stable. Aux XVIe et XVIIe siècles, l’influence de la montagne et celle de l’altitude n’ont que peu d’effet sur les taux de croissance, mais elles deviennent très importantes par la suite, aux XVIIIe et XIXe siècles. L’agriculture contribue considérablement à cette différenciation rapide, puisqu’avec son intensification, la période de végétation – et donc l’altitude – se révèle plus déterminante. Quand l’exploitation du sol s’accélère, le facteur temporel devient beaucoup plus décisif.
34On assiste à une différenciation analogue avec la croissance urbaine : dans l’absolu, les Alpes s’urbanisent à partir de la période moderne, mais en termes relatifs, elles se ruralisent. Comme la montagne se définit par rapport à la plaine, on remarque dans l’ensemble une nette augmentation de la spécificité montagnarde – façonnée par les nombreuses activités d’une multitude d’êtres humains.
35Des perceptions culturelles viennent s’y ajouter : l’intensification et l’urbanisation inégale constituent le background et un élément important du discours sur les Alpes qui se développe et se propage rapidement en Europe depuis le XVIIIe siècle. Les écrivains-voyageurs et les naturalistes des grands centres urbains prennent l’habitude de considérer l’espace alpin comme un territoire de l’altérité. La différenciation qui s’accentue entre la montagne et ses environs rend toujours plus plausible l’idée que l’un des territoires s’associe à la « nature » tandis que l’autre est dévolu à la « culture » ou à la « civilisation », et l’on manifeste alors un intérêt tout particulier à cette « nature » étrange. On attribue les mêmes caractéristiques aux habitants des Alpes et on les considère comme des produits de la nature, au bon ou au mauvais sens du terme [28]. Il nous apparaît nécessaire de déconstruire ce mélange d’idéalisation et de discrimination par une approche historique. Toutefois, nous ne devons pas seulement regarder comment s’expriment les luttes de représentations, mais aussi en comprendre les soubassements. L’histoire des « imaginations » alpines s’associe à celle des « réalités » alpines et réciproquement.
Notes
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[1]
Louis-Sébastien MERCIER, « Tableau en relief de la Suisse », in Id., Mon bonnet de nuit, vol. IV, Lausanne, 1785, p. 136-137; voir aussi Andreas BÜRGI, « Der Landschaftssimulator. Franz Ludwig Pfyffer von Wyher und sein Relief der Urschweiz », Traverse. Zeitschrift für Geschichte, 2002/3, p. 112-127; Ludwig Wallrath MEDICUS, Bemerkungen über die Alpen-Wirthschaft auf einer Reise durch die Schweiz gesammlet, Leipzig, 1795, p. III-IV, 23-24.
-
[2]
Jon MATHIEU, « Zur alpinen Diskursforschung. Ein Manifest für die “Wildnis” von 1742 und drei Fragen », Geschichte und Region/Storia e regione, 11/1,2002, p. 103-125.
-
[3]
Werner BÄTZING, Der sozio-ökonomische Strukturwandel des Alpenraumes im 20. Jahrhundert. Eine Analyse von « Entwicklungstypen » auf Gemeinde-Ebene im Kontext der europäischen Tertiarisierung, Berne, Geographica Bernensia, 1993, p. 24,31; Bruno MESSERLI, Jack D. IVES (éd.), Mountains of the World. A Global Priority, New York, Parthenon Publishing Group, 1997, p. 3-8; V. KAPOS et al., « Developing a map of the world’s mountain forests », in Martin F. PRICE (éd.), Forests in Sustainable Mountain Development : a State of Knowledge Report 2000, Wallingford, CAB International, 2000, p. 4; Bernard DEBARBIEUX (éd.), Mountain Regions : a Research Subject ?, International Mountain Research Workshop, Autrans, 2000.
-
[4]
Massimo LIVI BACCI, « La ricostruzione del passato : dall’individuo alla collettività », in Philippe BRAUNSTEIN et al., Il mestiere dello storico dell’Età moderna. La vita economica nei secoli XVI-XVIII, Bellinzona, Edizioni Casagrande, 1997, p. 150-151.
-
[5]
Paul GUICHONNET (éd.), Histoire et civilisations des Alpes, Toulouse-Lausanne, Privat-Payot, 1980 (ouvrage standard, indications sur la densité de population du point de vue des géographes, vol. 2, p. 313-320); Pier Paolo VIAZZO, Upland Communities. Environment, Population and Social Structure in the Alps since the Sixteenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1989 (importante étude pionnière qui s’oriente vers la microdémographie et n’utilise pas la densité).
-
[6]
Fernand BRAUDEL, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XV-XVIIIe siècles, Paris, Colin, 1979, tome 1, p. 38-45.
-
[7]
F. BRAUDEL, Civilisation…, op. cit., tome 3, p. 259-261; voir aussi Id., « La démographie et les dimensions des sciences de l’homme », Annales ESC, 15/2,1960, p. 494-503.
-
[8]
Ester BOSERUP, The Conditions of Agricultural Growth. The Economics of Agrarian Change under Population Pressure [ 1965], Londres, Earthscan, 1993; et sa synthèse in Id., Economic and Demographic Relationships in Development, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1990, p. 11-24; pour l’urbanisation : Id., Population and Technology, Oxford, Basil Blackwell, 1981, p. 63-75,95-97, faisant pièce à Paul BAIROCH, De Jéricho à Mexico. Villes et économie dans l’histoire, Paris, Gallimard, 1985, par exemple p. 636-639.
-
[9]
W. BÄTZING, Der sozio-ökonomische Strukturwandel…, op. cit., p. 40; concernant le caractère variable de la « surface improductive », voir par exemple : Roman SANDGRUBER, Österreichische Agrarstatistik 1750- 1918, Munich, Oldenbourg, 1978, p. 35-36; Günter GLAUERT, Die Alpen, eine Einführung in die Landeskunde, Kiel, Verlag Ferdinand Hirt, 1975, p. 13.
-
[10]
J. MATHIEU, Geschichte der Alpen 1500- 1900. Umwelt, Entwicklung, Gesellschaft [ 1998], Vienne, Böhlau, 2001, p. 26-43 (en italien : Storia delle Alpi 1500- 1900. Ambiente, sviluppo e società, Bellinzone, Edizioni Casagrande, 2004); Id., « Zwecks Vergleich – Probleme und Ergebnisse einer Bevölkerungsgeschichte des Alpenraums », in Gabriel IMBOD EN (éd.), Seelen Zählen. Zur Bevölkerungsgeschichte der Alpenländer, Brigue, Rotten-Verlag, 2003, p. 55-69. Ces chiffres se basent sur la définition que W. Bätzing donne du territoire alpin; on détermine l’altitude des régions alpines avec la moyenne des altitudes communales (W. BÄTZING, Der sozio-ökonomische Strukturwandel…, op. cit.).
-
[11]
J. MATHIEU, Geschichte der Alpen…, op. cit., p. 50-64.
-
[12]
Clifford Thorpe SMITH, An Historical Geography of Western Europe before 1800, Londres, Longman, 1978, p. 525; Mario ROMANI, Aspetti e problemi di storia economica lombarda nei secoli XVIII e XIX, Milan, Vita e pensiero, 1977, p. 404; Arnold NIEDERER, Alpine Alltagskultur zwischen Beharrung und Wandel. Ausgewählte Arbeiten aus den Jahren 1956 bis 1991, Berne, Verlag Paul Haupt, 1993, p. 288-294.
-
[13]
Le travail nécessité par l’assainissement explique en partie pourquoi les parties supérieures d’une vallée sont souvent exploitées avant les régions plus basses.
-
[14]
J. MATHIEU, Geschichte der Alpen…, op. cit., p. 72-97.
-
[15]
Ces données se réfèrent à la zone située entre le 4e et le 18e degrés de longitude est et le 44e et le 49e degrés de latitude nord en France y compris la côte plus au sud; les valeurs données pour 1500 et 1800 proviennent de P. BAIROCH et al., La population des villes européennes de 800 à 1850, Genève, Droz, 1988; les valeurs pour 1900 sont issues de Andrees Allgemeiner Handatlas, 5e édition, Bielefeld et Leipzig, 1913.
-
[16]
J. MATHIEU, « Landwirtschaft und Städtewachstum im Alpenraum, 1500-1800 », Histoire des Alpes, 5,2000, p. 157-171.
-
[17]
Laurence FONTAINE, Pouvoir, identités et migrations dans les hautes vallées des Alpes occidentales (XVIIe-XVIIIe siècle), Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2003.
-
[18]
Dans un classement de 26 régions alpines selon leur densité de population, les Hautes-Alpes se trouvent au 19e rang vers 1800 et au 23e rang en 1900; les Alpes-de-Haute-Provence au 22e rang vers 1800 et au 25e rang en 1900 (sources cf. note 10). Pour l’agriculture, voir par exemple : Thérèse SCLAFERT, « Usages agraires dans les régions provençales avant le XVIIIe siècle », Revue de Géographie alpine, 29 ( 1941), p. 471-492; Felix Monheim, Agrargeographie der westlichen Alpen mit besonderer Berücksichtigung der Feldsysteme, Gotha, Geographisch-kartographische Anstalt, 1954 (sa théorie sur les jachères d’altitude est mise en question par les cultures sans jachère pratiquées ailleurs à une altitude similaire). Pour l’intensivité de l’élevage : J. MATHIEU, « Ovini, bovini, caprini. Cambiamenti nell’allevamento alpino dal 1500 », in Pier Paolo VIAZZO et Stuart WOOLF (éd.), L’alpeggio e il mercato (La ricerca folklorica 43), Brescia, Grafo, 2001, p. 17-25.
-
[19]
René FAVIER, Les villes du Dauphiné aux XVIIe et XVIIIe siècles, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1993, p. 263-265. Le nombre élevé d’évêchés situés sur ce territoire constitue un indice important de ce développement précoce : Jochen MARTIN (éd.), Atlas zur Kirchengeschichte. Die christlichen Kirchen in Geschichte und Gegenwart, Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1987, p. 71. Certaines publications tendent aussi à surestimer l’urbanisation; ainsi P. BAIROCH, La population…, op. cit., p. 114, indique-t-il qu’il y avait 6000 habitants à Barcelonette vers 1750; cependant, la plupart d’entre eux ne vivaient pas en ville, mais étaient éparpillés sur le territoire communal : Jean-Joseph D’EXPILLY, Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, vol. 5, Amsterdam, 1768, p. 933.
-
[20]
Thomas MAISSEN, « Die Geburt der Republik : Politisches Selbstverständnis und Repräsentation in Zürich und der Eidgenossenschaft während der Frühen Neuzeit », thèse d’habilitation, Université de Zurich, 2002 (à paraître).
-
[21]
Michael MITTERAUER et al., Herrschaftsstruktur und Ständebildung. Beiträge zur Typologie der österreichischen Länder aus ihren mittelalterlichen Grundlagen, 3 vol., Munich, Oldenbourg, 1973; Jerome BLUM, The End of the Old Order in Rural Europe, Princeton, Princeton University Press, 1978; Karl GRÜNBERG, « Die Grundentlastung », in Geschichte der österreichischen Land- und Forstwirtschaft und ihrer Industrien 1848- 1898, vol. 1, Vienne, Commissionsverlag Moritz Perles, 1899, p. 1-80.
-
[22]
Fernand BRAUDEL, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Colin, 1979, tome I, p. 34-35.
-
[23]
L. FONTAINE, Pouvoir…, op. cit., par exemple p. 197-204. Pour une région dotée d’une structure politique quasi exclusivement communale : Handbuch der Bündner Geschichte, éd. Verein für Bündner Kulturforschung, vol. 2 (Frühe Neuzeit), Coire, Verlag Bündner Monatsblatt, 2000.
-
[24]
Cette quantification concerne la « surface productive », mais cela importe peu, car l’auteur l’a évaluée avec des critères aussi cohérents que possible.
-
[25]
Justo CACERES MACEDO, The Prehispanic Cultures of Peru, Lima, 1998; Heraclio BONILLA, « Die historische Rolle von Potosí im kolonialen Austauschsystem », Histoire des Alpes, 8,2003, p. 63-78; pour une tentative de comparaison quantitative : J. MATHIEU, « The Mountains in Urban Development : Lessons from a Comparative View », Histoire des Alpes, 8,2003, p. 15-33.
-
[26]
La discussion critique la plus intéressante que je connais est celle d’Olivier DOLLFUS, Territorios Andinos. Reto y Memoria, Lima, Instituto de Estudios Peruanos, 1991, p. 16,21,51,53,56, 114,166.
-
[27]
Les pionniers de la géographie humaine tiennent déjà compte du fait que le peuplement a des causes multiples; Paul VIDAL DE LA BLACHE écrit, en donnant une liste de conditions naturelles : « Aucune de ces causes ne peut être négligée; aucune ne peut suffire. Tout ce qui touche à l’homme est frappé de contingence » ( Principes de géographie humaine, Paris, Colin, 1922, p. 21); ce qui pose problème dans ce genre de constatations, c’est que la « contingence » est attribuée au domaine humain, tandis que la « nécessité » est réservée à l’environnement; dans ce sens, elles ne peuvent pas se démarquer du discours déterministe; du point de vue historique, il semble plus pertinent de considérer la dialectique entre contingence et nécessité non pas comme une réalité, mais comme une construction de la recherche; la nécessité peut donc aussi intervenir dans le domaine humain.
-
[28]
L. FONTAINE, Pouvoir…, op. cit., p. 5, utilise une belle formule pour évoquer cette image ambivalente du montagnard : « homme tantôt proche de l’animalité, tantôt proche de Dieu ».