Notes
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[1]
Patrick CHAMPAGNE « Le Canard enchaîné, de la satire politique à la défense de la morale publique » Liber/Actes de la Recherche en Sciences sociales, supplément au n° 89, septembre 1991, p. 7.
-
[2]
Interview de Bernard BAISSAT dans Le Monde libertaire, 21 janvier 1988.
-
[3]
Pour cet aspect particulier de la question, voir Laurent MARTIN, Le Canard enchaîné ou les fortunes de la vertu, histoire d’un journal satirique 1915-2000, Paris, Flammarion, 2001. REVUE D’HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE 50-2, avril-juin 2003.
-
[4]
Pierre CHÂTELAIN -TAILHADE alias Jérôme Gauthier « Le parti pris des roses », Le Canard enchaîné, 5 juillet 1967, p. 4.
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[5]
Alexandre Jacob, 450 cambriolages, 27 ans de bagne était, selon Bernard Thomas qui écrivit sa biographie, un « pacifiste anar à la Lecoin ». Il avait un « abonnement d’honneur » au Canard enchaîné que Tréno veilla à lui maintenir jusqu’à sa mort, survenue en 1954. (Entretien avec Bernard Thomas du 3 avril 1998).
-
[6]
Jean RABAUT, Tout est possible ! Les gauchistes français 1929-1944, Paris, Denoël/Gonthier, 1974, p. 220.
-
[7]
Une autre correctrice de presse : jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, il y eut beaucoup d’anarchistes parmi les correcteurs de presse; Louis Lecoin lui-même était correcteur.
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[8]
Un trait révélera sa forte personnalité. La pétulante vieille dame confia à Bernard Thomas, préfacier de son livre de souvenirs intitulé May la réfractaire, qu’elle avait placé une bombe à l’ambassade des États-Unis à Paris après l’exécution de Sacco et Vanzetti, en août 1927 : une grenade à manche dans une énorme bouteille de parfum Guerlain. «– Tu aurais pu tuer quelqu’un ! lui fit-il observer. – Et alors, c’est pas des hommes !». (Entretien de l’auteur avec Bernard Thomas, 3 avril 1998.)
-
[9]
On y retrouvait notamment Rirette et Victor Serge, Serge que la police considérait comme l’un des cerveaux de la bande de malfaiteurs à conscience politique, et qui fut pour cette raison condamné en 1913 à cinq ans de réclusion.
-
[10]
Entretien du 3 avril 1998.
-
[11]
Le Canard enchaîné, 9 septembre 1969, p. 4.
-
[12]
Pierre Châtelain-Tailhade commentait, d’ailleurs favorablement, le livre de Daniel GUÉRIN Ni Dieu ni maître, anthologie de l’anarchisme (réédité par Maspéro en quatre volumes en 1970). L’article finissait ainsi : « Néanmoins, je vous aime bien. Votre “mouvement” n’est pas du menton (allusion au Barrès de 1914) et son histoire mérite d’être lue. Ce n’est pas un anarchiste, c’est un canar… chiste qui vous le dit ». ( Le Canard enchaîné, 27 avril 1966, p. 4).
-
[13]
André Guérin, rédacteur du Canard enchaîné dans l’entre-deux-guerres, déclara à Bernard Baissat qu’« être libertaire, à l’époque, c’était refuser le conformisme et aller à contre-courant des idées propagées. » (Interview de Bernard Baissat dans Le Monde libertaire, op. cit. )
-
[14]
Morvan LEBESQUE dans Cinquante ans de Canard, anthologie du Canard enchaîné, Le Canard de poche, tome 1, 1916-1940, 1965 p. 3.
-
[15]
Notamment à l’occasion des fondations de la Quatrième et de la Cinquième : « Marianne », est une coquette jeune femme à bonnet phrygien pour Effel (avec sabots), KB 2 (en robe noire), Monier et Ferjac (qui lui ajoutent la jupe aux rayures révolutionnaires), une petite boulotte pour Grum, un personnage plus sommaire pour Lap, Soro et Grove, mais toujours avec le bonnet phrygien; sur le bonnet figure souvent le numéro de la république, pour la distinguer de ses devancières (la Troisième étant par ailleurs représentée en 1946 comme une vieille et grosse femme). En juillet 1958, Ferjac dessina de Gaulle en sans-culotte brandissant la tête de Marianne au bout d’une pique
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[16]
Le Canard enchaîné, 18 décembre 1918, p. 1., 3 juillet 1957, p. 1,9 septembre 1970, p. 8.
-
[17]
Ibid., 16 janvier 1924, p. 4
-
[18]
Ibid., 15 juillet 1953, p. 1.
-
[19]
Georges DE LA FOUCHARDIÈRE dans Le Canard enchaîné, 5 décembre 1917, p. 1.
-
[20]
TRÉNO dans Le Canard enchaîné, 3 mars 1965, p. 1-2.
-
[21]
ALAIN, « Deux espèces d’hommes » (septembre 1931), Propos, Paris, Gallimard Pléiade t. 1, 1956, p. 1033-1035.
-
[22]
Ainsi Michel Winock a-t-il vu dans l’émiettement de la citoyenneté en face d’un État tout-puissant (qu’il fait remonter au Moyen-Âge avec le double mouvement de construction de l’État monarchique et de parcellisation de la propriété paysanne) l’une des causes de l’individualisme des Français et de l’état de guerre civile permanente qui caractériserait nos mœurs politiques. Michel WINOCK, la Fièvre hexagonale. Les grandes crises politiques de 1871 à 1968 Paris, Calmann-Lévy, 1986, p. 389.
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[23]
Le Canard enchaîné, 16 juin 1948, p. 1.
-
[24]
Les lecteurs du Canard enchaîné étaient invités à désigner l’homme politique qui changeait d’opinion comme de chemise : Alexandre Millerand, premier socialiste à participer à un ministère « bourgeois », en juin 1899, et chef du Bloc national en 1923 fut élu par 1378 voix, devant Gustave Hervé ( 875 voix) et Gaston Vidal ( 824 voix). ( Ibid., 23 mai 1923, p. 3). À noter que le Canard posera à peu près la même question (« L’homme politique français est-il propre ?») en 1951.
-
[25]
Le Canard enchaîné., 26 mars 1919, p. 1.
-
[26]
Ibid., 1er avril 1936, p. 3.
-
[27]
Ibid., 15 août 1956, p. 3
-
[28]
Ibid., 5 février 1958, p. 2
-
[29]
Ibid., 28 mars et 18 avril 1928, p. 3.
-
[30]
Colette YSMAL, « l’Idéologie du Canard enchaîné», Revue politique et parlementaire, 8, mars 1970, p. 68.
-
[31]
Colette Ysmal « Le Canard enchaîné ou les pièges de la lucidité » Esprit, 2, février 1971, p. 242-243.
-
[32]
Le Canard enchaîné, 19 mai 1965, p. 2.
-
[33]
Ibid., 17 juillet 1957, p. 1-2.
-
[34]
Pascal ORY, l’Anarchisme de droite, ou du mépris considéré comme une morale, le tout assorti de considérations plus générales Paris, Grasset, 1985, p. 16.
-
[35]
Quand le jury du prix Goncourt, à l’exception de trois ses membres, lui préféra Les Loups du « probe et minutieux » Guy Mazeline, Pierre Scize, René Buzelin, Pierre Châtelain-Tailhade n’eurent pas de mots assez durs pour les « bourgeois bien-pensants » attablés chez Drouant. ( Le Canard enchaîné, 14 décembre 1932).
-
[36]
Ibid., 12 janvier 1938, p. 4.
-
[37]
Pierre-Marie DIOUDONNAT, Je suis partout 1930-1944. Les maurassiens devant la tentation fasciste. Paris, la Table ronde, 1973, p. 8.
-
[38]
Pierre-Antoine COUSTEAU, « La presse de gauche » dans L’Écho de la presse et de la publicité, n° 339,15 mars 1958, p. 32.
-
[39]
Lectures françaises, n° 403, novembre 1990, p. 29
-
[40]
Le Canard enchaîné, 1er juin 1960, p. 3. C’est à peu près l’exact équivalent de l’éloge tressé par Henry Coston à l’endroit du Canard dans l’article de Lectures françaises: « Depuis qu’il existe, le Canard appartient à son équipe dirigeante, formée de journalistes, et s’il est souvent très dur à l’endroit de certains – et parfois même injuste – il respecte la vérité. C’est ce qui fait sa force : on aime ou on n’aime pas ce que ses rédacteurs écrivent, mais on est assuré que ce qu’ils affirment est exact. » ( Lectures françaises… op. cit., p. 27).
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[41]
Pierre MONNIER, À l’ombre des grandes têtes molles, Paris, la Table ronde, 1987,302 p. Dans ce livre (p. 215), l’ancien rédacteur de L’Action française cite la définition que donnait Charles Maurras du Canard enchaîné: « Une petite feuille de révolution rigolarde qui écrit comme elle pense, à reculons. »
-
[42]
Henry COSTON (avec Albert Simonin, futur auteur de Touchez pas au grisbi et du Cave se rebiffe), le Bourrage de crânes : comment la presse trompait l’opinion Paris, CAD, 1943,32 p.
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[43]
Le Canard enchaîné, 1er avril 1936, p. 3.
-
[44]
Voir le compte rendu de cette visite par Pierre Châtelain-Tailhade (dans Le Canard enchaîné du 12 juillet 1961, p. 2) qui se termine par ces mots : « Céline, j’irai bientôt vous revoir. En ami. Vous serez moins bavard que jamais. Nous échangerons des silences. Mais je vous chuchoterai tout de même que votre pierre tombale est digne de porter cette devise que, géniale tête de lard, vous dictiez naguère à Paraz : « Sur ma tombe, une seule épitaphe : “NON !”.
-
[45]
H. COSTON, le Bourrage de crâne… op. cit., p. 31. L’article du Canard enchaîné qui faisait l’éloge de son Retour des 200 familles, en 1960, présentait d’ailleurs Henry Coston comme « un tantinet fasciste sur les bords, fortement pétainiste, un soupçon antisémite ». Ironie trop nuancée au goût d’un lecteur du Canard, qui protesta contre l’« apologie » que faisait le Canard de l’ancien collaborateur. La rédaction admit qu’elle avait « un peu forcé sur la nuance ». ( Le Canard enchaîné, 8 juin 1960, p. 3.)
-
[46]
C’est aussi l’avis de Rodolphe Bringer : « S’il se trouve quelques députés qui soient de franches canailles, ce n’est pas une raison pour généraliser. En somme il n’y a que neuf talons de chèques dont on ne connaît pas encore les noms, et ils sont près de six cents au Palais-Bourbon… C’est comme si on allait prétendre que tous les juges sont de malhonnêtes gens à cause ce substitut que l’on a pris la main dans le sac ». ( Le Canard enchaîné, 14 mars 1934, p. 2.)
-
[47]
Ibid., 4 décembre 1946, p. 1.
-
[48]
Ibid., 13 novembre 1957, p. 2. Jean Legendre était député de l’Oise. Il avait publié dans Le Progrès de l’Oise un article intitulé « Réponse à messieurs les chansonniers » dans lequel il déplorait la mauvaise image que donnaient les satiristes des parlementaires.
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[49]
Voir Jean TOUCHARD, la Gauche en France depuis 1900, Paris, Seuil, 1981; Serge BERSTEIN et Odile RUDELLE (dir.), le Modèle républicain, Paris, PUF, 1992; Pierre NORA (éd.), Les Lieux de mémoire, t. 1 La République, Paris, Gallimard, 1984.
-
[50]
Le Canard enchaîné, 14 décembre 1932, p. 1-2.
-
[51]
Ibid., 22 mars 1933, p. 4.
-
[52]
Ibid., 11 octobre 1933, p. 1-2. Céline répondit à Pierre Châtelain-Tailhade, une lettre publiée partiellement dans le numéro du 25 octobre dans laquelle l’écrivain justifiait (classiquement, pourrait-on dire) sa noirceur par les épreuves qu’il avait traversées. « Tout est à refaire, cher confrère, concluait Céline, on ne peut rien bâtir avec du carton et des morts. »
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[53]
L’article signé les Six-Quatre-Deux continuait ainsi : « Avant le dernier casse-pipe, l’antisémitisme de Céline pouvait passer pour une “attitude”. Ça n’allait pas, croyait-on, bien loin. On sait maintenant que ça allait jusqu’à Auschwitz. Céline affirme aujourd’hui qu’il cessa de faire de l’antisémitisme sous l’Occupation… Ce qui est sûr, c’est qu’il donna sa prose à des feuilles dont le boulot était d’expédier le plus de juifs possible à la chambre à gaz. [...] Au Canard, chers amis du Libertaire, nous tenons les racistes pour des ordures. Vous aussi, n’est-ce pas ? Alors ? Laissez tomber Céline… Il n’est pas des vôtres. » ( Ibid., 18 octobre 1950, p. 4).
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[54]
Ibid., 17 juillet 1957, p. 2.
-
[55]
Ibid., 3 mars 1965, p. 2.
-
[56]
H. COSTON, Lectures françaises… op. cit., p. 29-30 et Partis, journaux et hommes politiques d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Publications Henry Coston, 1960, p. 520.
-
[57]
P.-A. COUSTEAU, op. cit. p. 32.
-
[58]
Entretien du 27 juillet 1996.
1« L’“esprit Canard” était fait de non-conformisme, d’antiparisianisme, de pacifisme, d’anticléricalisme et d’antimilitarisme, bref d’un anarchisme encore présent aujourd’hui chez certains rédacteurs » écrit Patrick Champagne dans son étude de 1991 sur Le Canard enchaîné [1]. Bernard Baissat, réalisateur d’un film sur cet hebdomadaire, en 1988, se montre plus dubitatif : « Aujourd’hui, peut-on dire que le Canard est un journal anarchiste ? Je ne le pense pas, malgré Léo Campion qui le dit. Je ne pense pas qu’au Canard ils soient prêts à accepter cette dénomination, d’autant plus qu’ils ne défendent pas les idées anarchistes » [2]. Ces deux points de vue l’indiquent assez, Le Canard enchaîné est un OPMI, un « objet politique mal identifié ». Sa ligne politique a fait l’objet d’un débat depuis sa fondation en 1915, plus vif toutefois parmi les historiens et politologues qu’au sein de la rédaction. Si l’image d’un journal anarchisant ressort de la majorité des analyses, d’autres mettent l’accent sur le républicanisme du Canard ou bien sur ses liens avec le communisme [3]. Nous proposons ici notre propre analyse, fondée sur une étude de contenu minutieuse et le dépouillement d’archives inédites.
LES FIDÉLITÉS LIBERTAIRES
2Quels sont les éléments qui plaident en faveur de la thèse anarchiste ? Il y a d’abord le contenu du journal; tout un pan du discours du Canard enchaîné présente des similitudes fortes avec la thématique anarchiste. Le rejet de l’État et de la plupart des institutions, le discrédit jeté sur toute forme de pouvoir, l’apologie de l’individualisme appartiennent au patrimoine anarchiste depuis le milieu du XIXe siècle. Fait significatif, on relève un très grand nombre d’articles consacrés à la Commune de Paris avec une tonalité généralement libertaire; pour un Pierre Châtelain-Tailhade, par exemple, « Paris s’était insurgé pour défaire la loi et non pour la faire » [4]. Mai 1968 rejouait la guerre d’Espagne, qui retrouvait la Commune de Paris. Il n’est pas jusqu’à l’épisode de la bande à Bonnot ou l’expérience Lip qui n’aient été considérés, avec sympathie, comme des résurgences de l’« esprit anar ».
3Par ailleurs, on trouve dans Le Canard enchaîné des références précises et nombreuses à des penseurs et militants proches de l’anarchie. Les hommages rendus à Mirbeau par Henri Jeanson et Jules Rivet – « c’était un type de révolté » dit ce dernier de l’auteur des Combats politiques en 1917 –, à Sébastien Faure – « Il est consolant que quelqu’un reste fidèle aux idées de sa jeunesse » note le même Jules Rivet quand le fondateur du journal Le Libertaire fait paraître la Véritable révolution sociale en 1933 –, Alexandre Jacob [5] – le modèle du héros de Maurice Leblanc, Arsène Lupin –, Georges Darien – « Une belle leçon d’anticonformisme authentique aux simulateurs à la mode » dit Pierre Châtelain-Tailhade du roman de Darien, le Voleur, redécouvert en 1955 –, et Victor Serge – dont le livre Les Révolutionnaires, qui rassemble en un seul volume, publié en 1967, les cinq romans écrits par l’ancien directeur de L’Anarchie, est, selon Yvan Audouard, « un livre où le mépris n’est que la pudeur de l’espoir, un livre qui redonne confiance en l’homme » –, ces hommages montrent la faveur en laquelle était tenue la tradition anarchiste.
4Les amitiés entretenues avec certaines figures faisant partie de la mouvance anarchiste vont également dans le sens de l’interprétation proposée par Patrick Champagne. Le rédacteur en chef puis directeur du Canard enchaîné Ernest Raynaud (dit « Tréno ») entretenait une vive amitié avec Georges Brassens, militant de la Fédération anarchiste et ancien collaborateur du Libertaire; le célèbre chanteur était régulièrement invité aux manifestations organisées par le Canard, qui lui ouvrait aussi ses colonnes. Autre amitié, celle de Louis Lecoin, fondateur de Liberté, surtout connu pour son action en faveur de l’objection de conscience, l’homme qui, selon Jean Rabaut, « incarne, mieux que tel ou tel autre, la conscience libertaire » [6]. Peu de temps après la mort de Louis Lecoin, l’association des « Amis de Louis Lecoin » fit paraître Le Réfractaire, un mensuel pacifiste et antimilitariste d’inspiration anarchiste qui succédait à Liberté; May Picqueray était la directrice, l’animatrice et la correctrice. Or May Picqueray, anarchiste, amie de la compagne de Victor Serge, la fameuse « Rirette Maîtrejean » [7], May Picqueray était aussi la correctrice attitrée du Canard enchaîné: pendant plus de trente ans, elle pourchassa les fautes dans les colonnes du Canard avant de passer la main à son fils, Lucien Niel [8].
5Bernard Thomas, l’un des grands chroniqueurs actuels du Canard enchaîné, se présente volontiers comme le dernier des anarchistes de ce journal. Ses livres, régulièrement salués par les critiques du Canard avant son entrée au journal, en 1971, avaient pour point commun l’intérêt pour une « démarche marginale et une quête de l’absolu », comme il nous l’a dit de sa Croisade des enfants. De 1968 à 1970, il fit successivement paraître chez Tchou un livre sur la bande à Bonnot [9] (présenté par Henri Jeanson comme « un ouvrage pavé de bonnes intentions qu’on lancerait volontiers à la figure des C.R.S. »), un recueil de citations anarchistes, enfin une biographie d’Alexandre Jacob. Bernard Thomas revendique une sensibilité libertaire, déclarant que « les mecs se conduisent en pourris parce qu’ils sont amoureux de l’ordre » et refusant tout engagement politique ou syndical : « Je m’étais fait un “non”par refus de l’encartage » [10]. Ce qui signifie aussi qu’il ne milita jamais dans les rangs des groupes anarchistes.
6Bernard Thomas a pris au Canard la succession de Pierre Châtelain-Tailhade – succession anticipée puisque celui-ci ne disparut qu’en 1976. Il en était très proche, intellectuellement et affectivement. Pierre Châtelain-Tailhade était tout imprégné de la tradition libertaire : gendre de Laurent Tailhade – qui se fit connaître du grand public en proclamant son admiration pour l’attentat anarchiste de Vaillant, en décembre 1893, avant d’être lui-même grièvement blessé par l’explosion d’une nouvelle bombe quelques mois plus tard –, insoumis réfugié en Belgique, il signait parfois sa rubrique intitulée « Faits divers », dirigée contre tout ce qui portait un titre ou un uniforme, du pseudonyme d’Arsène ex-Lupin en hommage à Alexandre Jacob, et ne manquait jamais de saluer, dans les colonnes du Canard enchaîné, les œuvres qui entretenaient la mémoire anarchiste. Pour lui, « de Thiers à Pompidou, Marianne n’[avait] jamais été que la sous-marque de cet asservissant bordel qu’est l’État » [11].
7Mais Pierre Châtelain-Tailhade déclarait
« croire en l’anarchie, non dans les anarchistes »: « Ni Dieu ni maître ! dites-vous, compagnons. Mais, au besoin, vous faites couler le sang comme de vulgaires dieux qui ont soif et aux rafles répressives, vous substituez des “brigades d’investigation”».
9Dans le même article, qui date de 1966, le polémiste du Canard précisait :
« Quoi qu’en pense peut-être le fichier des Renseignements généraux, je ne suis pas anarchiste. Tout au plus libertaire, si cela signifie la volonté de vivre et de penser seul, le refus formel d’embrigader le prochain, au nom de l’idée, dans un système » [12].
11La distinction introduite par le journaliste du Canard le plus proche de la mouvance anarchiste éclaire, nous semble-t-il, le rapport à l’anarchisme de ses confrères et du journal dans son entier : au maximum, ceux du Canard étaient libertaires, c’est-à-dire qu’ils adhéraient à la thématique générale de l’antiautoritarisme mais en refusaient l’extrémisme, les formes violentes de la « propagande par le fait » et tout militantisme actif [13]. C’était le cas de Pierre Châtelain-Tailhade, Jules Rivet, Henri Monier, Gabriel Macé, Charles Bernard, Bernard Thomas. D’autres journalistes n’allaient même pas jusque-là : leur « anarchisme », tout aussi « sentimental » que celui de Lecoin mais beaucoup moins averti de l’histoire du mouvement anarchiste, n’était qu’un anticonformisme virulent, à la Allais. Nous rangerons dans cette deuxième catégorie Georges de la Fouchardière, Henri Jeanson, Yvan Audouard, Alexandre Breffort, Michel Duran. D’autres enfin – Tréno, Morvan Lebesque– ne peuvent être considérés comme des anarchistes qu’au prix d’un malentendu : leurs références relevaient bien davantage d’une tradition jacobine ou socialiste, en tout cas républicaine.
LA RÉPUBLIQUE MYTHIQUE
12Le Canard enchaîné « eut pour clientèle tous les Français moyens (ce qui ne veut pas dire médiocres) qui se reconnaissaient pour les fils sans héritage de la Révolution, qui éprouvaient le besoin d’une République propre et vraiment démocratique, que l’injustice empêchait de dormir sans cauchemars et qui ne pouvaient tout à fait admettre dans leur grande innocence l’inégalité des droits et des richesses » [14].
13Voilà résumé, par l’un des journalistes les plus en vue du Canard enchaîné, dans les premières pages d’une anthologie « officielle », le rapport du journal à cette forme particulière de gouvernement qu’est la République. D’emblée, ce rapport se présente comme un attachement déçu, une sorte de dépit amoureux.
14L’attachement à la République, Le Canard enchaîné l’a réaffirmé à chaque fois que celle-ci lui paraissait menacée. Dans les années 1920, c’est l’agitation royaliste à Paris qui déclenche le réflexe de défense républicaine; dans les années 1930, il combat les ligues nationalistes qui conspuent le régime, décrivant par exemple avec complaisance la « grande manifestation républicaine » du 14 juillet 1935 – comparée au « maigre défilé » des Croix-de-Feu – avant de prendre part en tant que tel à celle de l’année suivante. En 1946, les journalistes du Canard se réjouissent de la fondation de la Quatrième République et, en 1958, se désolent de celle de la Cinquième; ils n’ont cessé depuis lors de considérer cette dernière comme étant d’essence monarchique et de s’attendre (et même d’appeler) à sa chute.
15La République, sous les traits de Marianne, se trouve souvent représentée par les dessinateurs du Canard [15]; mais elle est toujours absente, exilée. Marianne accueille le président Wilson en 1918 entre deux rangées de policiers : « M. le président, veuillez m’excuser, je vous aurais reçu autrement que cela si j’étais aussi en République », lui fait dire le dessinateur Lucien Laforge. « Drôle de République, où il n’y a plus de républicain ! », s’exclame Tréno en juillet 1957, au début d’un article où se trouvent particulièrement visés les dirigeants socialistes et la politique menée en Algérie. « Nous ne sommes pas en République », affirme encore Gabriel Macé en 1970, après un discours de Jacques Chaban-Delmas [16]. C’est que la République est, pour les journalistes du Canard, un idéal toujours trahi par ceux qui sont chargés de le mettre en pratique. De là les regrets plus ou moins sincères pour les républiques précédentes – « Ah ! que la IIIe était belle sous la Ve… » ( 1964,1970) – ou pour les régimes sous lesquelles la République demeurait idéale, à l’état de promesse et d’espoir – « Ah ! que la République était belle sous l’Occupation ( 1945)… sous l’Empire ! » ( 1920,1939,1958).
16De là, surtout, les invocations rituelles à l’« Autre, la Vraie » ( 1920), celle de 1792, le plus souvent confondue avec la Révolution de 1789. « Liberté, égalité, fraternité. Quelle belle devise, hein !» dit l’un des personnages dessinés par Guilac en 1924;«– Bah ! répond l’autre, vous savez, aujourd’hui, nos devises, ça ne représente plus grand-chose ! » [17].
« Croyez-vous, tas de bougres, fait dire Tréno à un Père Duchesne ressuscité en 1953, que nous avons foutu la Bastille par terre, foutu tout court la Réaction, distribué la terre, écrasé l’Infâme, nommé les simples soldats généraux et libéré l’Europe, croyez-vous que nous avons fait tout cela pour que, cent cinquante ans plus tard, vous fassiez des défilés en musique et des bals aux lampions, tandis que la Réaction règne en maîtresse à l’Académie, à l’État-major, au Gouvernement, aux colonies ? » [18].
18On voit les éléments retenus par le rédacteur en chef du Canard enchaîné dans le stock d’images révolutionnaires : révolte populaire, émancipation politique, économique et culturelle du « peuple » (sans plus de précision), défaite des élites traditionnelles, renversement de l’ordre social. Il faut y ajouter le rejet du pouvoir personnel et l’éloge de la démocratie parlementaire, version mandat impératif. Le député, alors, travaillait sous le contrôle direct du peuple; dans les assemblées révolutionnaires,
« les types d’en bas ne s’y trompaient pas. Ils savaient que, dans les tribunes, le peuple était là. Il était un peu là, le peuple. Il était là chez lui. Il avait payé sa place très cher. [… ] les types d’en bas levaient vers la tribune leurs faces pâles et soumises. Ils attendaient un murmure, un murmure qui était un ordre; et ils obéissaient au maître. Si étonnant que cela puisse vous paraître, messieurs, au début de la République, le murmure du peuple fut la conscience des élus républicains » [19].
RADICALISME DU CANARD ENCHAÎNÉ
20Il ne faudrait pas exagérer l’ampleur du clivage existant entre les « libertaires » et les « républicains » du Canard enchaîné. Le flou doctrinal des uns et des autres autorisait tous les rapprochements; d’ailleurs, on restait entre gens de même famille, issus de parents communs. Jacques Julliard notait que, sous la Troisième République, le socialisme, l’anarchisme et le syndicalisme révolutionnaire, loin de mettre en cause la nature républicaine du régime, en constituèrent « chaque fois que nécessaire, la garde prétorienne » et qu’avant l’irruption du communisme, l’« extrême gauche française n’était pas antirégime, elle était ultra ». L’idéologie traditionnellement dominante du Canard enchaîné est là, dans ce maximalisme républicain, dans ce libéralisme exagéré en « libertarisme », idéologie non remise en cause par la poussée du communisme, accentuée même, renforcée par cette poussée. Républicanisme libertaire, anarchisme républicain, de quel nom l’appeler ? Le même Jacques Julliard proposait, tout bonnement, « radicalisme », dont la forme modérée, très Troisième République assagie, lui paraissait un anarchisme réaliste – « philosophie pour temps calme et peuple raisonnable », ajoutait-il.
21Disons que le radicalisme du Canard enchaîné était un peu moins sage, se souvenait plus vivement des « démocs-socs » de 1849 et du Gambetta du discours de Belleville, mais, sur le fond, c’était cela : cet hymne entonné à la gloire de l’individu, la liberté corrigée par l’égalité et la fraternité, l’exaltation de la vie paisible, de l’indépendance, de la mesure, la belle image de l’école laïque opposée au noir cléricalisme, la lutte contre la « Réaction » et contre les « congrégations économiques », l’« allergie complète, irréductible, de vieux républicain contre le pouvoir personnel » [20]; concessions aux temps nouveaux, le rêve de la petite propriété s’était évanoui, remplacé par la défense des salariés, la Réaction avait pris un moment le visage du fascisme (jamais pensé en tant que tel) et le pacifisme avait profité de l’accès de faiblesse du patriotisme républicain au sortir de la Première Guerre mondiale.
22Le radicalisme du Canard enchaîné ne doit pas être confondu avec un quelconque soutien apporté au parti radical. Au contraire, à l’exception – brève – de la campagne au terme de laquelle le Cartel des gauches emporta les élections législatives de mai 1924, le Canard ne cessa de s’en prendre au parti dirigé presque sans interruption par Édouard Herriot de 1919 à 1957, lui reprochant ses compromissions, ses « trahisons ». S’il fallait absolument trouver une référence contemporaine, il faudrait plutôt citer les Propos d’Émile Chartier dit Alain, en particulier les Éléments d’une doctrine radicale ( 1924), Le Citoyen contre les pouvoirs ( 1926) ou encore Propos de politique ( 1934).
23Alain est étrangement peu cité par les journalistes du Canard enchaîné, seul Morvan Lebesque, qui semble parfois avoir hérité son phrasé tout à la fois grandiloquent et un peu étriqué, loue son courage et sa « santé ». Pourtant, on ne peut qu’être frappé par la proximité entre les thèses du philosophe et celles développées par cette voie moyenne du Canard enchaîné que nous avons appelée radicale, la méfiance envers tout pouvoir, la démocratie comme contrôle permanent des gouvernants par les gouvernés, le droit à l’irrespect, l’individualisme critique, le pacifisme. Les jugements d’Alain sur les hommes politiques de son temps, Barrès, Wilson, Clemenceau, Briand, Jaurès sont très proches de ceux du Canard enchaîné de l’entre-deux-guerres. Et le portrait que trace le philosophe de l’« homme libre » semble même trouver ses modèles dans la rédaction de l’hebdomadaire satirique :
« Les hommes libres, extrêmes mis à part, savent aussi le prix de l’ordre. Ils voudraient seulement qu’on n’abuse pas des occasions pour mettre tout le monde au pas militaire. Et ils savent bien que tout pouvoir abuse et abusera. D’où une opposition diffuse, infatigable et souvent de bonne humeur, qui ne construit pas, qui ne propose rien, qui n’a pas de plan pour sauver les finances, ni pour sauver la paix, mais qui se méfie des sauveurs. On a souvent remarqué que tout est négatif dans les thèses fameuses que résument les mots Liberté, Égalité, Fraternité; mais c’est qu’en effet on ne peut fonder ni maintenir aucun ordre d’après ces énergiques sentiments » [21].
25Cette république libérale et négative, ce radicalisme moral plus que politique, cette impatience, « liberté individuelle tout de suite, justice sans attendre, refus de la tyrannie, d’où qu’elle vienne, refus aux forces, d’où qu’elles viennent », sont ceux du Canard enchaîné durant la majeure partie de la période couverte par notre étude. Associés à d’autres représentations issues soit de la tradition républicaine « orthodoxe » soit de son rameau libertaire, ou remontant plus loin encore dans le temps, ils expliquent certains paradoxes que nous avons vu surgir au fil de notre enquête. Le paradoxe du « plus et moins d’État », par exemple. Les journalistes du Canard investissent l’État et les hommes politiques d’une très grande responsabilité; ils fustigent les dirigeants quand ils paraissent ne pas gouverner. Et pourtant, ils réclament par ailleurs moins d’État et se réjouissent quand le pouvoir politique paraît affaibli. Les représentations qui sont ici à l’œuvre trouvent leur origine dans le rôle majeur joué par l’État dans l’histoire de la France et le phénomène de résistance qu’il a suscité dans la population [22].
26Autre paradoxe, proche du premier, la valorisation de la Politique et le rejet de la politique. La Politique est une chose noble et importante, elle peut changer profondément les rapports sociaux, beaucoup plus que l’économie par exemple. Mais la politique des politiciens n’est que manœuvres, trahison, intérêt personnel. C’est « la rengaine du bla-bla-bla » (terme popularisé par le Canard), le décalage permanent entre le discours et les actes. Lorsqu’en 1948, républicains populaires et socialistes proclamèrent tous deux qu’ils avaient obtenu gain de cause sur le problème scolaire, Tréno estima que l’« entourloupette ne s’[était] pas faite sur le dos des collègues. Mais sur celui des électeurs, à qui les ministres des deux tendances pourront dire, en clignant de l’œil : –Voyez comment qu’on les a eus ! Et c’est bien là tout l’art de la politique, le reste étant vaine littérature et bla-bla-bla » [23]. En 1971, Philippe Tesson s’avouait « fâché avec la politique » et renvoyait dos à dos la gauche et la droite. Le thème de la trahison de la gauche donna lieu à de très nombreux articles et dessins, du référendum sur « l’homme le plus propre de France » en 1923 [24] aux déceptions de l’après mai-1981, en passant par les articles parfois très durs contre Édouard Herriot, Guy Mollet ou François Mitterrand.
27De là l’hésitation constamment perceptible entre vote, révolte et abstention. Le vote ? LeCanard enchaîné y appela à quelques reprises : en 1919 (élections législatives); en 1924 ( idem ); en 1936 ( idem ); en 1965 (élection présidentielle); en 1969 (référendum, élection présidentielle). Ce ne fut jamais pour un programme ou un parti et rarement pour un candidat clairement identifié que les lecteurs du Canard furent appelés à voter mais plutôt pour « rétablir la République » et surtout faire échec à ses présumés adversaires, comme lorsqu’en 1919 le Canard appela les démobilisés à s’inscrire sur les listes électorales :
« Faites comme nous qui, jusqu’à ce jour, n’avons jamais voté par principe mais qui cette fois tenons essentiellement à prendre part à la fête. Bientôt, camarades, nous serons en mesure de manier le balai. Et on rigolera [25] ! »
29Ainsi considéré, le vote n’était à tout prendre qu’une forme civilisée de révolte, ce mythe si présent dans Le Canard enchaîné. « Tout est très bien, écrit par exemple Pierre Scize en 1930. Tout est très solide. L’armée est forte, la police nombreuse, et la magistrature bien stylée. Et puis un jour, tout craquera et ça finira par des gueules cassées et beaucoup de sang répandu ». De la révolution russe saluée en mars 1917 au renversement du vieil ordre espéré par Morvan Lebesque en mai 1968 en passant par les grèves ouvrières, les mutineries de soldats et les soulèvements nationaux, l’insurrection a toujours bénéficié d’un préjugé favorable au Canard enchaîné, préjugé qui ressortissait peut-être du « fétichisme de la rupture, de la table rase » que Michel Winock décelait dans l’imaginaire de la gauche française.
30Son régime – explosion, changement brutal, « y’en a marre !», comme l’écrivaientsouvent les rédacteurs du Canard – s’accordait fort bien avec l’impatience transformatrice, avec un certain héroïsme romantique, avec aussi une vision de la société qui mettait l’accent sur la responsabilité – et la malfaisance – des élites. « Il suffirait de mettre hors d’état de nuire les représentants des deux cents familles » écrivait Jean-Galtier Boissière en 1936 [26]. « Pour que les peuples du monde puissent enfin respirer au soleil, il faudrait emmurer quelques misérables, confirma Pierre Châtelain-Tailhade en 1956.
31Un peu plus de trente peut-être. Mais, ceux-là, de si dangereux salauds… » [27]. Vision héritée de la Révolution française – François Furet rappelait, dans Le Passé d’une illusion, l’emprise de la représentation du « complot », antagoniste de la volonté du peuple, sur les imaginations démocratiques depuis cet événement –, cette thématique rend compte de la fréquence des occurences de la représentation, discursive et iconographique, du « balai » (il suffit de purger les incapables/menteurs/filous de l’Assemblée nationale) et de la « potence ».
32« Pour faire baisser les prix de la vie, élevons les mercantis » dit la légende d’un dessin de Bour en 1919, l’un des premiers exemples d’une représentation qui en comptera beaucoup d’autres jusqu’au seuil des années 1960.
33Entre vote et révolte demeurait l’option de l’abstention – avec sa variante :
le vote inutile et revendiqué comme tel. Le même Morvan Lebesque qui, avant
le référendum de 1969, assimilait l’abstention à un « piège à cons » (« Au risque
de passer pour un vieux démocrate ridicule, je l’affirme. L’honneur de
l’homme est de se nommer. Qui pense non dit non ») faisait des députés, en
1958, des « politiciens anonymes » et concluait ainsi son article : « Je crois très
sincèrement que devant ce mendiant sans visage qui tend la main pour un bulletin de vote, le mieux est encore de rester chez moi » [28]. Mais c’était surtout
chez les libertaires du Canard que l’abstention, forme douce de l’insoumission,
faisait recette; Gabriel Macé, Alexandre Breffort, Henri Monier, notamment,
la recommandèrent sous la forme d’éloges répétés à la « pêche à la ligne ». « À
quoi servent les panneaux électoraux ? » s’interrogèrent ensemble les dessinateurs Ferjac et Monier en 1928 – À tomber dedans, répondit le premier; à permettre aux chiens de pisser, répondit le second [29].
34Cette vision de la société et de l’action politique développée par les journalistes du Canard enchaîné a suscité questions et critiques. En 1970, Colette Ysmal affirma que « Le Canard enchaîné ne propose jamais rien pour changer concrètement les choses, (qu’il) entretient cet esprit frondeur sans lequel il n’y a sans doute pas d’humour mais grâce auquel il y a, peut-être, précisément toujours le même ordre établi » [30]. Elle se montrait plus précise et plus négative encore un an plus tard, en dénonçant « l’indépendance de la belle âme » et les « pièges de la lucidité » dans lesquels était selon elle tombé Le Canard enchaîné:
« Cette lucidité ne débouche sur rien et les appels à la liberté, à la vérité et au savoir ne conduisent pas à plus de responsabilité ou d’engagement. [… ] Nulle pratique politique, nulle action politique – et le Canard s’en féliciterait certainement – ne peut sortir d’une lecture du Canard enchaîné. Aussi peut-on se demander si ce journal qui a des moyens si variés et efficaces d’agir sur ses lecteurs n’a pas surtout celui de les stériliser » [31].
36Cette accusation d’une critique « stérile », des lecteurs l’avaient déjà formulée auparavant, comme ceux auxquels Morvan Lebesque répondit en 1965 :
« Pourquoi êtes-vous toujours “contre”, jamais “pour”? » demandaient-ils.
37« Pourquoi ne dites-vous jamais qui suivre, pour qui voter ?» –c’est que la politique était devenue « une affaire de mandarins », expliqua le polémiste du Canard et, qu’à gauche comme à droite, l’« orateur politique fonctionne en salon privé, parlant une langue de zinc, un abracadabra de spécialistes » [32]. C’est encore cette stérilité, et la confusion entre la droite et la gauche à laquelle semblait conduire la critique de la politique par les journalistes du Canard enchaîné que dénoncèrent à intervalles réguliers les journaux proches des organisations dûment estampillées « de gauche » : Le Populaire (S.F.I.O.) qui, en septembre 1936, ne reconnaissait plus dans Le Canard enchaîné un journal de gauche en raison de ses critiques contre le gouvernement de Léon Blum, le Bulletin du Syndicat national des instituteurs des Bouches-du-Rhône qui, en juin 1964, taxait le Canard de « démobilisateur », Le Populaire-Dimanche qui, en juillet 1957, ironisait sur la défense de la République par Tréno :
« Tant que vous serez là, à la tête du Canard, la République sera bien défendue.
Défendre la République, c’est décrier systématiquement le Parlement et les parlementaires.
Qui aura jamais grâce à vos yeux ? et qui a jamais eu grâce ? Léon Blum même n’échappait pas à vos intelligents coups de bêche. [… ] Censeur, Tréno ? Non. Bouffon de la République comme Bouffon du roi. Sauf que le métier est sans risques. Preuve qu’on est encore en République » [33].
39Peut-on aller plus loin ? Peut-on, avec les éléments déjà rassemblés, soutenir que le Canard ne s’en est pas tenu à cette sorte d’apolitisme qui consiste à condamner en bloc le monde politique, droite et gauche confondues, mais que cet apolitisme était lui-même politiquement marqué – à droite, voire à l’extrêmedroite ?
UN « ANARCHISME DE DROITE » ?
40Pascal Ory a, dans un essai paru en 1985, précisé les contours et le contenu de cette idéologie (« molle ») et de ce groupe (peu nombreux mais bénéficiant d’une large audience) qu’il a appelés « anarchisme de droite », vocable « saisi tel quel flottant dans l’air du temps ». Précisons d’emblée qu’à son avis, Le Canard enchaîné n’en fait aucunement partie, « Le Canard enchaîné qui, depuis la mort d’Henri Jeanson est, dieu soit loué, social-démocrate à cent pour cent » [34]. Mais Pascal Ory en convient lui-même, l’anarchisme de gauche – qui serait celui du Canard enchaîné – possède avec l’anarchisme de droite « un solide lot d’exécrations communes »: l’armée, la magistrature, l’Église, les « honnêtes gens », les « Versaillais » (bourreaux de la Commune), la modernité, la politique politicienne, le snobisme, les « gros » en général. Les uns et les autres ont tendance à adopter le point de vue, sinon à prendre la défense, du « lampiste ».
41Cependant, il y a plus : certaines des représentations et références que Pascal Ory identifie comme typiques de l’anarchisme de droite ont trouvé droit de cité dans Le Canard enchaîné tels le topos de la « masse » malveillante, mesquine, bête, la valorisation, au contraire, d’une élite d’esprits lucides, le mythe du « grand nettoyage », du « coup de balai », l’appel à la jeunesse, la nostalgie pour un passé idéalisé, un discours volontiers catastrophiste. Par ailleurs, le goût affiché pour certains écrivains dont l’apolitisme proclamé dissimule mal les options parfois extrémistes rend un son particulier quand il est rapproché de ces idées.
42Passons rapidement sur le goût très prononcé des critiques littéraires du Canard enchaîné pour Marcel Aymé ou Jean Anouilh. Admettons que l’on peut être un lecteur assidu de Maurice Leblanc et même choisir pour pseudonyme « Arsène ex-lupin » sans pour autant faire siennes toutes les valeurs défendues ou incarnées par le « gentleman cambrioleur »; peut-être même l’« ex » signifie-t-il l’inversion ou le rejet de ces valeurs, en particulier un patriotisme volontiers xénophobe. Il n’est pas non plus besoin, nous semble-t-il, d’être un anarchiste de droite (ni même de gauche) pour apprécier Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, comme le firent, dans un bel ensemble, les journalistes du Canard dès 1932 [35]. En revanche, saluer, l’année suivante, la parution de l’Église et, surtout, voir dans Bagatelles pour un massacre, comme le fit Jules Rivet en 1938, une « barricade individuelle avec, au sommet, un homme libre qui gueule, magnifiquement » [36] paraît plus gênant. Faut-il rappeler que ce dernier texte contient, entre autres charges féroces, de longs développements antisémites ? Rivet, en tout cas, n’en parle pas.
43Les cloisons entre l’anarchisme de droite et l’extrême-droite sont tout sauf étanches mais, avec cette dernière, les convergences semblent d’un ordre plus professionnel que thématique. C’est l’« indépendance d’esprit » que des journalistes classés à l’extrême-droite de l’échiquier politique se plurent à reconnaître dans Le Canard enchaîné. Pierre-Antoine Cousteau, ancien de Je suis partout – « le principal hebdomadaire politique et littéraire de la collaboration » [37] – emploie cette expression dans l’article plutôt élogieux qu’il consacre au Canard dans le journal professionnel Écho de la presse et de la publicité, en 1958 [38]. Henry Coston, ancien rédacteur de la presse collaborationniste et exdirecteur de La Libre Parole, de La France au Travail et du Bulletin d’informations antimaçonniques, loua lui aussi l’« exceptionnelle indépendance » du Canard enchaîné.
44Dans un entretien qu’il donna à sa propre revue Lectures françaises, Henry Coston insista sur les « relations courtoises » qu’il entretenait « personnellement » avec Le Canard enchaîné depuis de « très longues années » [39]. À le lire, ces relations étaient épistolaires avec Jean Galtier-Boissière, « dont l’indépendance était proverbiale » et qui « n’hésita pas à consacrer plusieurs articles à [ses] livres dans son Petit Crapouillot » et avec Henri Jeanson, qu’il aurait connu à Paris-Soir durant l’été 1940; elles étaient téléphoniques avec certains des collaborateurs de Tréno lorsque celui-ci dirigea le Canard – soit après la guerre –, les journalistes de l’hebdomadaire satirique appelant Henry Coston pour lui demander des précisions sur telle ou telle affaire révélée par ses soins.
45Ainsi, ce serait à la suite des révélations de Lectures françaises que le Canard déclencha une polémique avec Le Nouvel Observateur en 1965 sur l’origine de ses fonds. Selon Coston, un rédacteur du Canard aurait déclaré : « Coston ? Je lis ce qu’il écrit dans Lectures françaises et dans ses livres. C’est un adversaire mais nous avons avec lui tant d’adversaires communs… Et puis, c’est un auteur sérieux et informé. On peut lui faire confiance : il ne romance pas. Pour lui, les faits sont les faits. Il dit tout, même lorsque cela déplaît à la droite… Il a de l’estomac, le bougre ! » On trouve la même appréciation dans l’article du Canard qui cita de larges extraits de son livre le Retour des 200 familles, en 1960 :
« Le de-cujus ( sic) est presque toujours remarquablement informé, ses dossiers sont presque toujours sérieux et il a le mérite de ne pas faire parler de lui. Pour cause que la grande presse, de droite et de gauche, n’accepte jamais, pour ainsi dire, de mentionner l’existence de ses bouquins » [40].
47Au fond, ce qui rapprochait Le Canard enchaîné de ces organes d’extrêmedroite, c’était, outre la rencontre entre un pacifisme de conviction et un pacifisme de circonstance à la fin des années 1930 (qui motiva l’intervention d’Henry Coston en faveur d’Henri Jeanson et de Louis Lecoin emprisonnés pour pacifisme en 1939-1940, et permit à Pierre Monnier, représentant de l’extrême-droite maurassienne, d’évoquer une « communauté d’esprits » entre Lecoin, Challaye, Béraud, Giono, Romains et lui-même pour refuser la guerre « imposée par le gouvernement français » [41]), la même position d’outsider dans la presse française, la même proclamation d’indépendance vis-à-vis des puissances financières, la même condamnation du rôle joué par les « grands intérêts » dans la vie politique et intellectuelle du pays. Quand Henry Coston dénonça en 1943 le « bourrage de crânes » qui avait conduit la France à la guerre et à la défaite, certaines de ses analyses sur le journaliste dessaisi de son pouvoir au profit du financier ou sur l’occultation des vrais enjeux par le divertissement et les faits-divers auraient pu trouver leur place dans Le Canard enchaîné d’avant-guerre… ou dans les projets de refondation de la presse par les groupes résistants [42] !
48De même que certaines analyses du Canard sur l’« internationale des munitionnaires » trouvaient leurs équivalents dans la presse d’extrême-droite, comme l’admettait Jean Galtier-Boissière qui appelait en 1936 à une action commune contre les « milliardaires sans patrie »:
« Nous comprenons parfaitement que MM. de Wendel, d’origine westphalienne, se plaisent à fournir au soi-disant “ennemi héréditaire” de quoi casser la gueule aux Fransozen…
C’est dans l’ordre. Mais qu’à l’occasion des élections prochaines, l’opinion ne se soulève pas unanime – nationalistes compris –, que tous les “Français moyen” laissent quelques milliardaires “sans patri”fournir indéfiniment au voisin les moyens de s’armer alors que dans leurs journaux ils dénoncent à grands cris cet armement, voilà qui dépasserait l’entendement ! (… )
Comme dit si bien Daudet, il ne faut pas que nos petits soldats soient de nouveau “poignardés dans le dos”par des carburiers et autres profiteurs de la mort » [43].
50Si l’on ajoute à ces proximités l’antiparlementarisme virulent du Canard, en particulier dans la première moitié des années 1930, l’aventure d’Aujourd’hui à l’été 1940 (Henri Jeanson propulsé à la tête d’une équipe composée, notamment, d’Anouilh, Aymé, Galtier-Boissière), le choix fait par certains journalistes du Canard, anciens ou faisant encore partie de la rédaction en juin 1940, de collaborer pendant la guerre (Georges de la Fouchardière, André Guérin, Jules Rivet), le recrutement, après la guerre, d’autres journalistes dont le comportement n’avait pas été irréprochable durant celle-ci (Morvan Lebesque, Moisan), les hésitations du Canard sur le « cas Poujade », les visites de Pierre Châtelain-Tailhade et d’Alexandre Breffort à Céline à la fin des années 1950 [44], la double appartenance Minute-Canard enchaîné de certains pigistes réguliers de la fin des années 1960, il semble que l’affaire soit entendue : sous le républicanisme sourcilleux mâtiné d’anarchisme sentimental du Canard se cache une forte inclination pour l’anarchisme de droite voire pour l’extrême-droite.
LE CŒUR À GAUCHE
51Oui, mais… Le Canard enchaîné se saborda en juin 1940 et ne reparut qu’en septembre 1944, les collaborateurs les plus compromis furent exclus de l’équipe du Canard reconstituée à la Libération; Henri Jeanson ne dirigea Aujourd’hui que jusqu’au mois de novembre 1940 (et non durant l’hiver 1940-1941, comme l’affirme Henry Coston), Aujourd’hui dans lequel ne parut, du temps de Jeanson, aucun article antisémite ou appelant à la collaboration avec l’occupant (à la différence des journaux pour lesquels travailla Henry Coston, qui applaudissait en 1943 à la « disparition des éléments corrupteurs judéo-maçons » dans la presse française [45]), Aujourd’hui dans la rédaction duquel figurait, protégé par Jeanson, le juif Becan. On connaît par ailleurs les ennuis que valut à Jeanson son « indépendance d’esprit » durant la guerre et la réserve très digne dans laquelle se cantonna Jean Galtier-Boissière.
52De même l’antiparlementarisme du Canard enchaîné autour de l’annéepivot 1934 doit-il être soigneusement réexaminé : on s’aperçoit alors que le Canard se garda de réclamer la dissolution en bloc du Parlement, qu’il ne joignit pas sa voix à celles qui, à l’extrême-droite, conspuaient le régime républicain dans son entier. Quand Pierre Bénard – qui quitta Gringoire à cette époque – intitula son article, publié dans Le Canard enchaîné le 28 février 1934, « Nous en avons marre », ce n’est pas des parlementaires dans leur ensemble, ni de la République ou de la démocratie qu’il exprimait son dégoût mais des « quelques dizaines de faisans perchés aux postes de choix (qui donnent) une image ignoble de la République » [46]. « Nous sommes trop démocrates pour aimer ceux qui ridiculisent la démocratie », écrivait le même Pierre Bénard en 1946 à ceux qui taxaient le Canard d’antiparlementarisme [47].
«“Qui fabrique l’antiparlementarisme ?” s’interrogea encore la rédaction sous la forme d’un billet, en 1957. L’usure had hoc ne se trouve-t-elle pas sise du côté d’un certain Palais-Bourbon, là où œuvrent en produisant “une énorme somme de travail” M. Legendre et quelques autres ?» [48].
54Démocrate, républicaine, la ligne dominante du Canard enchaîné était-elle pour autant « de gauche » ? La quasi-totalité de ses références philosophiques et historiques, telles qu’elles apparaissent dans ses articles et dessins, étaient celles de la gauche française : l’humanisme, la philosophie des Lumières, la Révolution française, les droits de l’homme, la révolution de 1848, l’antibonapartisme, la Commune de 1871, le rejet de l’Ordre moral et de Mac-Mahon, le dreyfusisme, le combat pour la laïcité de l’État et de l’École, Voltaire, Hugo, Zola, Jaurès, Anatole France, soit une bonne partie du « légendaire » (Raoul Girardet) et du « Panthéon » (Jean Touchard) de la gauche.
55Du reste, la République du Canard était une République de gauche : tout se passe comme si, le pacifisme et l’antifascisme exceptés, le compteur historique du Canard était resté bloqué en 1914 – cassé par la guerre ? – ou, mieux, vers 1900, entre la « Défense républicaine » et le « Bloc des gauches », quand les radicaux étaient de « vrais » radicaux, la droite républicaine de trop fraîche date pour ne pas être soupçonnée de soupirer après un roi ou un général à poigne, et les socialistes et anarchistes d’utiles aiguillons à des républicains de combat.
56La « culture politique républicaine » (Serge Berstein) du Canard était archaïque et réactionnaire, au sens très exactement technique que peuvent avoir ces mots [49] et son « radicalisme », qu’il ait correspondu à ce « plus grand radicalisme » des années 1930 dont parlait Jean Touchard ou aux accès de violence mythifiés du « peuple révolutionnaire », était un « radicalisme de gauche », si l’on nous passe ce pléonasme.
57Mais Céline ? Et les « coups de balai »? Concernant le premier, il est à remarquer que les journalistes du Canard enchaîné, en 1932, comme bon nombre de leurs confrères, voyaient en lui un homme de gauche; c’est d’ailleurs pourquoi Pierre Scize, dans ce numéro du Canard où retentissent les cris d’indignation contre le choix du jury Goncourt, contestait à Léon Daudet le droit de revendiquer l’écrivain pour son propre camp. Après avoir cité quelques passages antimilitaristes et anticolonialistes de Voyage au bout de la nuit, le polémiste du Canard concluait :
« Tout le monde est servi : les coloniaux, les Américains, le clergé, la médecine, la banlieue et Paris, l’amour, les riches, les pauvres, personne n’est oublié. Vous avez voté pour cela, M. Daudet. Vous aimez cela. Votre vote crie la vérité sur vous et vous montre vomissant sur tout ce que vous dites aimer » [50].
59La désillusion fut assez rapide puisque dès mars 1933, un rédacteur anonyme du Canard signalait que « le premier article de M. Louis-Ferdinand Céline », qui avait déclaré son intention de ne pas faire de journalisme – « En suite de quoi, chacun se demanda dans quel journal de gauche M. Louis-Ferdinand Céline, écrivain de gauche, volontiers anarchisant, ferait paraître son premier article » – « a paru dans un journal de droite » [51].
60Après l’hommage ambigu de Céline à Zola au rendez-vous littéraire annuel de Medan, en octobre de la même année, Pierre Châtelain-Tailhade mit en garde Céline, « fanfaron des douleurs, gavroche neurasthénique », contre un pessimisme qui tournait au nihilisme :
« S’il nous arrive de vêtir nos phrases du drapeau noir, le nôtre, nous savons qu’il y a eu, qu’il y aura des “matins vermeils de Salamine” avec des odeurs de bouquets dans l’odeur attardée de la poudre, du soleil sur les pierres encore teintées de rouge et de grandes coulées d’orgueilleux triomphe dans l’âme populaire. [… ] Quand on cherche un auditoire et qu’on le trouve, et que cet auditoire, c’est la horde immense des accablés, de tous ceux que torture la double fringale du ventre et du cœur, il me semble, Céline, que c’est lui servir une étrange pâture que de jeter à ces sans-visage votre mépris de l’homme, votre incroyance en lui; et rien que cette incroyance; et rien que ce mépris » [52].
62Ce que le polémiste du Canard enchaîné mettait en évidence, c’est l’écart qui sépare l’anarchiste de droite de l’anarchiste de gauche : la critique sociale du premier aboutit au cynisme et au nihilisme, au mépris de la victime et finalement à l’acceptation des hiérarchies « naturelles » tandis que le second persiste, malgré toutes les déceptions, à nourrir un idéal de justice et de progrès social, et continue de dénoncer, plus que la passivité de la victime, la violence du maître. La vision de la société de Pierre Châtelain-Tailhade pourra s’assombrir avec les années – nous avons cité quelques-uns de ses articles où son humeur tend au pessimisme qu’il dénonçait chez Céline –, elle n’en restera pas moins éclairée par son idéal. Plus que Céline, le grand homme de Pierre Châtelain-Tailhade fut Vallès.
63Quant à l’antisémitisme de Céline, il faut lire les mises au point que fit le Canard lors du procès de l’écrivain, en 1950. Le Libertaire avait demandé à l’hebdomadaire satirique son opinion sur ce sujet. « Quelle drôle d’idée a Le Libertaire de s’intéresser à ce peu ragoûtant personnage… Prendrait-il le pourfendeur des juifs pour un “anar” et Céline pour Bardamu ?» [53]. C’est cette même opposition entre Céline et Bardamu que Tréno utilisa dans l’article de la semaine suivante, qui répondait aux « quelques braves copains qui s’étonnaient de ce qu’ils avaient lu dans le Canard »: « le point de vue de Bardamu » était que son père, Céline, s’était conduit « comme la dernière des ordures » en hurlant avec les loups sous l’Occupation.
64Restent les « coups de balai » prônés à répétition par le Canard. Ils ont pu alimenter un antiparlementarisme sans nuance mais, au vrai, ils ont toujours été très sélectifs : en 1919, il s’agissait de purgerla République des « Loucheur, des Schneider, des Citroën »; en 1924, le dessinateur Matt montra un honnête travailleur qui balayait les élus du Bloc national; en juin 1936, lorsque le Canard demanda à ce qu’il n’y eût pas de « grève du coup de balai », c’était pour encourager le gouvernement de Front populaire à se montrer sévère à l’encontre de ses adversaires de droite; même appel au coup de balai le 4 janvier 1956 : la photographie à la « une » montrait cette fois un balai repoussant des tracts M.R.P. À chaque fois, donc, le coup de balai était dirigé contre les représentants de la droite.
65On pourrait encore citer la réponse que fit Tréno à son contradicteur du Populaire-Dimanche en juillet 1957 (« La loi sur les pleins pouvoirs n’intéresse pas ces socialistes sic, ces républicains resic ou alors ils en ont honte. Je préfère croire qu’ils en ont honte. Et qu’ils ne veulent pas courir le risque de le dire, de le crier, préférant laisser cette besogne aux “bouffons”du Canard » [54]) en soulignant qu’il s’agissait d’une condamnation de la gauche au nom même de ses idéaux; ou bien, du même, rappeler que le « vieux républicain » qui demandait à l’opposition de s’unir contre le général de Gaulle en 1965 n’allait pas jusqu’à y inclure les opposants de droite :
« Je pourrais être socialiste, communiste, P.S.U., radical de gauche… Je suis tout cela à la fois. Je suis l’Opposition, celle qui a eu raison de tous les Badinguet et autre général Boulanger jusqu’au 13 mai 1958… » [55].
67Si l’hostilité au général de Gaulle pouvait être un autre des points de rencontre entre le Canard et la presse d’extrême-droite, le combat contre la « Réaction » ou l’Algérie française n’était décidément pas celui de Lectures françaises ou de Minute. Henry Coston et Pierre Antoine-Cousteau l’admettaient d’ailleurs bien volontiers : le Canard était un journal de gauche. Si Henri Jeanson avait témoigné de la « sympathie » au premier c’était « toutefois sans en partager [les] idées » et Tréno était un « adversaire politique déterminé », qui considérait Coston comme un « affreux “fascho” [ sic], un indécrottable “réac”»; d’ailleurs, selon la notice qu’Henry Coston consacra au Canard enchaîné dans son dictionnaire politique, si tous les journalistes du Canard n’étaient pas « marxistes », « tous étaient de gauche » [56]. Pierre-Antoine Cousteau, quant à lui, rangea résolument Le Canard enchaîné dans la « presse de gauche », titre de l’étude qu’il fit paraître dans l’Écho de la presse et de la publicité en 1958, soulignant le manque d’objectivité de l’hebdomadaire satirique (« Selon que la cible va ou ne va pas dans le “sens de l’histoire”, il tire avec un bazooka ou avec un pistolet à bouchon ») et précisant à l’intention de ceux qui n’avaient pas bien compris : « Tous les partis de gauche ont dans Le Canard enchaîné un remarquable instrument de propagande, un journal qui ridiculise en permanence tout ce qu’ils combattent et qui crée, dans le pays, un état d’esprit favorable à leurs desseins » [57].
68Aujourd’hui, si cette sensibilité n’a pas disparu, elle s’est notablement estompée. Depuis les années 1960, la logique militante a eu tendance à céder le pas à la logique de l’information; la montée en puissance, dans les colonnes du Canard, de ce qu’il est convenu d’appeler le « journalisme d’investigation » a entraîné dans son sillage un désengagement (plutôt qu’une dépolitisation) de l’hebdomadaire satirique. Par ailleurs, l’expérience prolongée de la gauche au pouvoir, après 1981, a accentué ce mouvement; la désaffection d’une partie du lectorat qui a suivi l’élection de mai et que l’on peut interpréter comme une sanction à l’égard d’un journal jugé par les uns trop hostile à la gauche, par les autres trop favorable, a conduit Le Canard enchaîné à opérer un recentrage idéologique. Il n’a d’ailleurs fait qu’accompagner la tendance générale de la société française, qui semble s’être lassée des idéologies et réclame avant tout de ses politiques une attitude pragmatique. Parce que ce journal est lu aujourd’hui par des lecteurs de toutes opinions, il ne peut se permettre de prendre ouvertement parti pour tel ou tel camp ou personnalité, comme il le faisait encore dans les années 1960. Selon André Escaro, dessinateur-vedette du Canard enchaîné, « la tendance actuelle du Canard, c’est l’objectivité. Ni gauche, ni droite » [58].
Notes
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[1]
Patrick CHAMPAGNE « Le Canard enchaîné, de la satire politique à la défense de la morale publique » Liber/Actes de la Recherche en Sciences sociales, supplément au n° 89, septembre 1991, p. 7.
-
[2]
Interview de Bernard BAISSAT dans Le Monde libertaire, 21 janvier 1988.
-
[3]
Pour cet aspect particulier de la question, voir Laurent MARTIN, Le Canard enchaîné ou les fortunes de la vertu, histoire d’un journal satirique 1915-2000, Paris, Flammarion, 2001. REVUE D’HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE 50-2, avril-juin 2003.
-
[4]
Pierre CHÂTELAIN -TAILHADE alias Jérôme Gauthier « Le parti pris des roses », Le Canard enchaîné, 5 juillet 1967, p. 4.
-
[5]
Alexandre Jacob, 450 cambriolages, 27 ans de bagne était, selon Bernard Thomas qui écrivit sa biographie, un « pacifiste anar à la Lecoin ». Il avait un « abonnement d’honneur » au Canard enchaîné que Tréno veilla à lui maintenir jusqu’à sa mort, survenue en 1954. (Entretien avec Bernard Thomas du 3 avril 1998).
-
[6]
Jean RABAUT, Tout est possible ! Les gauchistes français 1929-1944, Paris, Denoël/Gonthier, 1974, p. 220.
-
[7]
Une autre correctrice de presse : jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, il y eut beaucoup d’anarchistes parmi les correcteurs de presse; Louis Lecoin lui-même était correcteur.
-
[8]
Un trait révélera sa forte personnalité. La pétulante vieille dame confia à Bernard Thomas, préfacier de son livre de souvenirs intitulé May la réfractaire, qu’elle avait placé une bombe à l’ambassade des États-Unis à Paris après l’exécution de Sacco et Vanzetti, en août 1927 : une grenade à manche dans une énorme bouteille de parfum Guerlain. «– Tu aurais pu tuer quelqu’un ! lui fit-il observer. – Et alors, c’est pas des hommes !». (Entretien de l’auteur avec Bernard Thomas, 3 avril 1998.)
-
[9]
On y retrouvait notamment Rirette et Victor Serge, Serge que la police considérait comme l’un des cerveaux de la bande de malfaiteurs à conscience politique, et qui fut pour cette raison condamné en 1913 à cinq ans de réclusion.
-
[10]
Entretien du 3 avril 1998.
-
[11]
Le Canard enchaîné, 9 septembre 1969, p. 4.
-
[12]
Pierre Châtelain-Tailhade commentait, d’ailleurs favorablement, le livre de Daniel GUÉRIN Ni Dieu ni maître, anthologie de l’anarchisme (réédité par Maspéro en quatre volumes en 1970). L’article finissait ainsi : « Néanmoins, je vous aime bien. Votre “mouvement” n’est pas du menton (allusion au Barrès de 1914) et son histoire mérite d’être lue. Ce n’est pas un anarchiste, c’est un canar… chiste qui vous le dit ». ( Le Canard enchaîné, 27 avril 1966, p. 4).
-
[13]
André Guérin, rédacteur du Canard enchaîné dans l’entre-deux-guerres, déclara à Bernard Baissat qu’« être libertaire, à l’époque, c’était refuser le conformisme et aller à contre-courant des idées propagées. » (Interview de Bernard Baissat dans Le Monde libertaire, op. cit. )
-
[14]
Morvan LEBESQUE dans Cinquante ans de Canard, anthologie du Canard enchaîné, Le Canard de poche, tome 1, 1916-1940, 1965 p. 3.
-
[15]
Notamment à l’occasion des fondations de la Quatrième et de la Cinquième : « Marianne », est une coquette jeune femme à bonnet phrygien pour Effel (avec sabots), KB 2 (en robe noire), Monier et Ferjac (qui lui ajoutent la jupe aux rayures révolutionnaires), une petite boulotte pour Grum, un personnage plus sommaire pour Lap, Soro et Grove, mais toujours avec le bonnet phrygien; sur le bonnet figure souvent le numéro de la république, pour la distinguer de ses devancières (la Troisième étant par ailleurs représentée en 1946 comme une vieille et grosse femme). En juillet 1958, Ferjac dessina de Gaulle en sans-culotte brandissant la tête de Marianne au bout d’une pique
-
[16]
Le Canard enchaîné, 18 décembre 1918, p. 1., 3 juillet 1957, p. 1,9 septembre 1970, p. 8.
-
[17]
Ibid., 16 janvier 1924, p. 4
-
[18]
Ibid., 15 juillet 1953, p. 1.
-
[19]
Georges DE LA FOUCHARDIÈRE dans Le Canard enchaîné, 5 décembre 1917, p. 1.
-
[20]
TRÉNO dans Le Canard enchaîné, 3 mars 1965, p. 1-2.
-
[21]
ALAIN, « Deux espèces d’hommes » (septembre 1931), Propos, Paris, Gallimard Pléiade t. 1, 1956, p. 1033-1035.
-
[22]
Ainsi Michel Winock a-t-il vu dans l’émiettement de la citoyenneté en face d’un État tout-puissant (qu’il fait remonter au Moyen-Âge avec le double mouvement de construction de l’État monarchique et de parcellisation de la propriété paysanne) l’une des causes de l’individualisme des Français et de l’état de guerre civile permanente qui caractériserait nos mœurs politiques. Michel WINOCK, la Fièvre hexagonale. Les grandes crises politiques de 1871 à 1968 Paris, Calmann-Lévy, 1986, p. 389.
-
[23]
Le Canard enchaîné, 16 juin 1948, p. 1.
-
[24]
Les lecteurs du Canard enchaîné étaient invités à désigner l’homme politique qui changeait d’opinion comme de chemise : Alexandre Millerand, premier socialiste à participer à un ministère « bourgeois », en juin 1899, et chef du Bloc national en 1923 fut élu par 1378 voix, devant Gustave Hervé ( 875 voix) et Gaston Vidal ( 824 voix). ( Ibid., 23 mai 1923, p. 3). À noter que le Canard posera à peu près la même question (« L’homme politique français est-il propre ?») en 1951.
-
[25]
Le Canard enchaîné., 26 mars 1919, p. 1.
-
[26]
Ibid., 1er avril 1936, p. 3.
-
[27]
Ibid., 15 août 1956, p. 3
-
[28]
Ibid., 5 février 1958, p. 2
-
[29]
Ibid., 28 mars et 18 avril 1928, p. 3.
-
[30]
Colette YSMAL, « l’Idéologie du Canard enchaîné», Revue politique et parlementaire, 8, mars 1970, p. 68.
-
[31]
Colette Ysmal « Le Canard enchaîné ou les pièges de la lucidité » Esprit, 2, février 1971, p. 242-243.
-
[32]
Le Canard enchaîné, 19 mai 1965, p. 2.
-
[33]
Ibid., 17 juillet 1957, p. 1-2.
-
[34]
Pascal ORY, l’Anarchisme de droite, ou du mépris considéré comme une morale, le tout assorti de considérations plus générales Paris, Grasset, 1985, p. 16.
-
[35]
Quand le jury du prix Goncourt, à l’exception de trois ses membres, lui préféra Les Loups du « probe et minutieux » Guy Mazeline, Pierre Scize, René Buzelin, Pierre Châtelain-Tailhade n’eurent pas de mots assez durs pour les « bourgeois bien-pensants » attablés chez Drouant. ( Le Canard enchaîné, 14 décembre 1932).
-
[36]
Ibid., 12 janvier 1938, p. 4.
-
[37]
Pierre-Marie DIOUDONNAT, Je suis partout 1930-1944. Les maurassiens devant la tentation fasciste. Paris, la Table ronde, 1973, p. 8.
-
[38]
Pierre-Antoine COUSTEAU, « La presse de gauche » dans L’Écho de la presse et de la publicité, n° 339,15 mars 1958, p. 32.
-
[39]
Lectures françaises, n° 403, novembre 1990, p. 29
-
[40]
Le Canard enchaîné, 1er juin 1960, p. 3. C’est à peu près l’exact équivalent de l’éloge tressé par Henry Coston à l’endroit du Canard dans l’article de Lectures françaises: « Depuis qu’il existe, le Canard appartient à son équipe dirigeante, formée de journalistes, et s’il est souvent très dur à l’endroit de certains – et parfois même injuste – il respecte la vérité. C’est ce qui fait sa force : on aime ou on n’aime pas ce que ses rédacteurs écrivent, mais on est assuré que ce qu’ils affirment est exact. » ( Lectures françaises… op. cit., p. 27).
-
[41]
Pierre MONNIER, À l’ombre des grandes têtes molles, Paris, la Table ronde, 1987,302 p. Dans ce livre (p. 215), l’ancien rédacteur de L’Action française cite la définition que donnait Charles Maurras du Canard enchaîné: « Une petite feuille de révolution rigolarde qui écrit comme elle pense, à reculons. »
-
[42]
Henry COSTON (avec Albert Simonin, futur auteur de Touchez pas au grisbi et du Cave se rebiffe), le Bourrage de crânes : comment la presse trompait l’opinion Paris, CAD, 1943,32 p.
-
[43]
Le Canard enchaîné, 1er avril 1936, p. 3.
-
[44]
Voir le compte rendu de cette visite par Pierre Châtelain-Tailhade (dans Le Canard enchaîné du 12 juillet 1961, p. 2) qui se termine par ces mots : « Céline, j’irai bientôt vous revoir. En ami. Vous serez moins bavard que jamais. Nous échangerons des silences. Mais je vous chuchoterai tout de même que votre pierre tombale est digne de porter cette devise que, géniale tête de lard, vous dictiez naguère à Paraz : « Sur ma tombe, une seule épitaphe : “NON !”.
-
[45]
H. COSTON, le Bourrage de crâne… op. cit., p. 31. L’article du Canard enchaîné qui faisait l’éloge de son Retour des 200 familles, en 1960, présentait d’ailleurs Henry Coston comme « un tantinet fasciste sur les bords, fortement pétainiste, un soupçon antisémite ». Ironie trop nuancée au goût d’un lecteur du Canard, qui protesta contre l’« apologie » que faisait le Canard de l’ancien collaborateur. La rédaction admit qu’elle avait « un peu forcé sur la nuance ». ( Le Canard enchaîné, 8 juin 1960, p. 3.)
-
[46]
C’est aussi l’avis de Rodolphe Bringer : « S’il se trouve quelques députés qui soient de franches canailles, ce n’est pas une raison pour généraliser. En somme il n’y a que neuf talons de chèques dont on ne connaît pas encore les noms, et ils sont près de six cents au Palais-Bourbon… C’est comme si on allait prétendre que tous les juges sont de malhonnêtes gens à cause ce substitut que l’on a pris la main dans le sac ». ( Le Canard enchaîné, 14 mars 1934, p. 2.)
-
[47]
Ibid., 4 décembre 1946, p. 1.
-
[48]
Ibid., 13 novembre 1957, p. 2. Jean Legendre était député de l’Oise. Il avait publié dans Le Progrès de l’Oise un article intitulé « Réponse à messieurs les chansonniers » dans lequel il déplorait la mauvaise image que donnaient les satiristes des parlementaires.
-
[49]
Voir Jean TOUCHARD, la Gauche en France depuis 1900, Paris, Seuil, 1981; Serge BERSTEIN et Odile RUDELLE (dir.), le Modèle républicain, Paris, PUF, 1992; Pierre NORA (éd.), Les Lieux de mémoire, t. 1 La République, Paris, Gallimard, 1984.
-
[50]
Le Canard enchaîné, 14 décembre 1932, p. 1-2.
-
[51]
Ibid., 22 mars 1933, p. 4.
-
[52]
Ibid., 11 octobre 1933, p. 1-2. Céline répondit à Pierre Châtelain-Tailhade, une lettre publiée partiellement dans le numéro du 25 octobre dans laquelle l’écrivain justifiait (classiquement, pourrait-on dire) sa noirceur par les épreuves qu’il avait traversées. « Tout est à refaire, cher confrère, concluait Céline, on ne peut rien bâtir avec du carton et des morts. »
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[53]
L’article signé les Six-Quatre-Deux continuait ainsi : « Avant le dernier casse-pipe, l’antisémitisme de Céline pouvait passer pour une “attitude”. Ça n’allait pas, croyait-on, bien loin. On sait maintenant que ça allait jusqu’à Auschwitz. Céline affirme aujourd’hui qu’il cessa de faire de l’antisémitisme sous l’Occupation… Ce qui est sûr, c’est qu’il donna sa prose à des feuilles dont le boulot était d’expédier le plus de juifs possible à la chambre à gaz. [...] Au Canard, chers amis du Libertaire, nous tenons les racistes pour des ordures. Vous aussi, n’est-ce pas ? Alors ? Laissez tomber Céline… Il n’est pas des vôtres. » ( Ibid., 18 octobre 1950, p. 4).
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[54]
Ibid., 17 juillet 1957, p. 2.
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[55]
Ibid., 3 mars 1965, p. 2.
-
[56]
H. COSTON, Lectures françaises… op. cit., p. 29-30 et Partis, journaux et hommes politiques d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Publications Henry Coston, 1960, p. 520.
-
[57]
P.-A. COUSTEAU, op. cit. p. 32.
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[58]
Entretien du 27 juillet 1996.