Notes
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[1]
La liste des personnes que je souhaite remercier pour leur aide précieuse dans l’écriture de cet article est trop longue pour une note si brève. Qu’il me soit donc permis de ne mentionner ici que trois d’entre elles : Olivier Zunz et Michael Holt, de l’Université de Virginie, et Gilles Pécout, de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm.
-
[2]
William GILLETTE, Retreat from Reconstruction, 1869-1879, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1979, p. XIII. Il existe d’autres définitions, adjacentes, de la Reconstruction, mais celle-ci est la plus satisfaisante.
-
[3]
Éric FONER, Reconstruction : America’s Unfinished Revolution, 1863-1876, New York, Harper & Row, 1988. Michael PERMAN, « Eric Foner’s Reconstruction : A Finished Revolution », Reviews in American History, vol. 17, n° 1,1989, p. 73-78, montre combien la synthèse d’Éric Foner clôt un certain type d’approche historiographique de la Reconstruction.
-
[4]
Tangi VILLERBU, « L’historiographie de l’Ouest américain : un bilan », Bulletin du CENA, mars 2000, p. 47-76.
-
[5]
William FAULKNER, Absalom, Absalom ( 1936), in William Faulkner, Novels 1936-1940, New York, Viking, The Library of America, 1990, p. 6.
-
[6]
Richard F. BENSEL, Sectionalism and American Political Development, 1880-1980, Madison, University of Wisconsin Press, 1984, p. 3-21.
-
[7]
William FAULKNER, Requiem for a Nun ( 1951), in William Faulkner, Novels 1942-1954, New York, Viking, The Library of America, 1994, p. 696.
-
[8]
Edward L. AYERS, « What We Talk About When We Talk About the South », in Edward L. AYERS et al., All Over the Map : Rethinking American Regions, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1996, p. 62-82. Excellent exemple de la manière dont un historien du Sud part de questionnements très contemporains sur « ce qu’est le Sud » pour fonder son enquête historique.
-
[9]
Claude FOHLEN, Jean HEFFER et François WEIL, Canada et États-Unis depuis 1770, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Nouvelle Clio, 1997, p. 449-466; T. VILLERBU, art. cit.
-
[10]
David Herbert DONALD, Liberty and Union, Boston, Little, Brown & Co., 1978, p. 215.
-
[11]
Dans cet article, « Républicain » et « Démocrate » portent une majuscule, même quand il s’agit d’adjectifs, si le sens renvoie aux deux partis politiques en présence. Les mêmes mots avec des minuscules renvoient aux concepts généraux de démocratie et de républicanisme. Cette dernière notion est entendue, dans ce contexte, comme un attachement aux formes institutionnelles créées par la Constitution (cf. Gordon S. WOOD, La création de la république américaine, Paris, Belin, [ 1969] 1991).
-
[12]
Herman BELZ, Emancipation and Equal Rights : Politics and Constitutionalism in the Civil War Era, New York, Norton, 1978.
-
[13]
G. WOOD, op. cit.; Bernard BAILYN, The Ideological Origins of the American Revolution, 2e éd., Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1992. Michael F. HOLT, The Political Crisis of the 1850s, New York, Norton, 1978.
-
[14]
H. BELZ, op. cit.
-
[15]
Éric FONER, Free Soil, Free Labor, Free Men : the Ideology of the Republican Party before the Civil War, New York, Oxford University Press, 1970.
-
[16]
M. HOLT, op. cit.
-
[17]
Donald MEINIG, The Shaping of America : A Geographical Perspective on 500 Years of History, vol. 2 : Continental America, 1800-1867, New Haven, Yale University Press, 1993, p. 425.
-
[18]
Allan G. BOGUE, « Senators, Sectionalism, and the “Western” Measures of the Republican Party » in Joel H. SILBEY, dir., The United States Congress in a Partisan Political Nation, 1841-1896, vol. 2, The Congress of the United States Series, Brooklyn, Carlson Publishing, 1991, p. 469-489.
-
[19]
Voir par exemple Chicago Republican ( 6 et 16 mai, 8 juin 1870).
-
[20]
E. FONER, Reconstruction…, op. cit., p. 379.
-
[21]
Morton KELLER, Affairs of State : Public Life in Late Nineteenth Century America, Cambridge, Mass., The Belknap Press of Harvard University Press, 1977, p 195.
-
[22]
Stanley LEBERGOTT, The Americans :An Economic Record, New York, Norton, 1984, p. 298-301.
-
[23]
M. KELLER, op. cit., p. 191-196.
-
[24]
R. BENSEL, Yankee Leviathan…, op. cit., p. 293-297.
-
[25]
L’affirmation est à nuancer selon les branches d’activité, mais l’affirmation générale reste vraie.
-
[26]
R. BENSEL, Yankee Leviathan…, op. cit., p. 268-274.
-
[27]
S. LEBERGOTT, op. cit., p. 298
-
[28]
J. Richard PIPER, « Party Realignment and Congressional Change : Issue Dimensions and Priorities in the United States House of Representatives, 1871-1893 », in Joel H. SILBEY (dir.), The United States Congress : the Electoral Connection, 1789-1989, vol. 1, in The Congress of the United States Series, Brooklyn, Carlson Publishing, 1991, p. 471-472. Ce n’est pas une vision a posteriori. La situation est vécue comme sectionnelle au Congrès. Par exemple, James A. Garfield, une figure importante du Parti Républicain, s’exprime ainsi à la Chambre des représentants : « au moins cinquante des cinquante-sept représentants des États qui s’étendent à l’ouest de l’Ohio, au nord de l’Arkansas, et à l’est des Rocheuses, (… ) sont favorables à une réduction des droits de douane. » Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 1er avril 1870), p. 272, cité dans Laverne K. BOWERSOX, The Reconstruction of the Republican Party in the West, 1865-1870, thèse de doctorat, Ohio State University, 1931, p. 180.
-
[29]
Je laisse ces termes en anglais, faute de traduction satisfaisante. Le sens technique d’enforcement signifie « application ». Mais le français « Lois d’application », par analogie avec les décrets d’application, ne véhicule pas l’idée de force, de forcer, que contient le mot anglais.
-
[30]
Cité dans Xi WANG, « The Making of Federal Enforcement Laws, 1870-1872 », Chicago-Kent Law Review, vol. 70, n° 3,1995, p. 1019.
-
[31]
E. FONER, Reconstruction…, op. cit., p. 425-444; W. GILLETTE, op. cit., p. 28.
-
[32]
La Virginie, le Tennessee et la Géorgie; l’Alabama, la Caroline du Nord et la Floride partiellement.
-
[33]
E. FONER, Reconstruction…, op. cit., p. 421-424; Edward L. AYERS, The Promise of the New South : Life after Reconstruction, New York, Oxford University Press, 1992, p. 146-149.
-
[34]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 20 mai 1870), p. 3668.
-
[35]
William D. Kelley, Membre Républicain du Congrès, in National Anti-Slavery Standard ( 30 mai 1868), cité in W. GILLETTE, op. cit., p. 19.
-
[36]
Les chiffres sont obtenus d’après Kenneth C. MARTIS, The Historical Atlas of Political Parties in the United States Congress, 1789-1989, New York, Macmillan Pub. Co., 1989; Stanley B. PARSONS, William W. BEACH et Michael J. DUBIN, United States Congressional Districts and Data, 1843-1883, New York, Greenwood Press, 1986; U.S. Congress, Congressional Globe, 40e au 42e Congrès, 1867-1873, Washington, Blair and Rives.
-
[37]
M. HOLT, op. cit., p. 183-217.
-
[38]
X. WANG, art. cit., p. 1047.
-
[39]
Cf. note 37.
-
[40]
Alexander B. CALLOW Jr., The Tweed Ring, New York, Oxford University Press, 1965; Martin SHEFTER, « The Emergence of the Political Machine : An Alternative View », in Willis D. HAWLEY et al., Theoretical Perspectives on Urban Politics, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, Inc., 1976; François WEIL, Histoire de New York, Paris, Fayard, 2000, p. 133-134.
-
[41]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 25 mai et 9 juin 1870), p. 3808,4270.
-
[42]
Albie BURKE, « Federal Regulation of Congressional Elections in Northern Cities, 1871-1894 », American Journal of Legal History, vol. 14,1970, p. 21-23.
-
[43]
Chicago Republican ( 17 juillet 1870).
-
[44]
Loi du 31 mai 1870, ch. 114, Stat. 16, p. 140 (An Act to enforce the Right of Citizens of the United States to vote in the several States of this Union, and for other Purposes).
-
[45]
W. GILLETTE, op. cit., p. 25-185.
-
[46]
Loi du 20 avril 1871, ch. 22, Stat. 17, p. 13 (An Act to enforce the Provisions of the Fourteenth Amendment to the Constitution of the United States, and for other Purposes).
-
[47]
Loi du 28 février 1871, ch. 99, Stat. 16, p. 433 (An Act to amend an Act approved May thirty-one, eighteen hundred and seventy, entitled « An Act to enforce the Rights of Citizens of the United States to vote in the several States of this Union, and for other Purposes »).
-
[48]
Loi du 10 juin 1872, ch. 415, Stat. 17, p. 847 (An Act making Appropriations for sundry civil Expenses of the Government for the fiscal Year ending June thirtieth, eighteen hundred and seventy-three, and for other Purposes).
-
[49]
E. FONER, Reconstruction…, op. cit., p. 454-455.
-
[50]
De fait, cette loi n’a été que peu efficace, étant donné l’application très aléatoire, et inconstante, qu’en fait Ulysses S. Grant depuis la Maison Blanche (cf. W. GILLETTE, op. cit. ). Mais la rareté de ses applications concrètes ne doit pas cacher le caractère radical, sans précédent, de ce texte.
-
[51]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 9 juin 1870), p. 4269.
-
[52]
Ibid., p. 4274.
-
[53]
Chicago Republican ( 27 mai 1870).
-
[54]
Francis A. WALKER, éd., The Statistics of the Population of the United States, Embracing the Tables of Race, Nationality, Sex, Selected Ages, and Occupations. To Which Are Added the Statistics of School Attendance and Illiteracy, of Schools, Libraries, Newspapers and Periodicals, Churches, Pauperism and Crime, and of Areas, Families, and Dwellings. Compiled, from the Original Returns of the Ninth Census (June 1, 1870) under the Direction of the Secretary of the Interior, Washington, Government Printing Office, 1875.
-
[55]
Stephan THERNSTROM (dir.), Harvard Encyclopedia of American Ethnic Groups, Cambridge, Belknap Press, 1980, p. 530-531.
-
[56]
K. MARTIS, op. cit.
-
[57]
Donald B. DODD, Historical Statistics of the States of the United States : Two Centuries of the Census, Wesport, Greenwood Press, 1993.
-
[58]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 9 juin et 2 juillet 1870), p. 4284,5123.
-
[59]
L. BOWERSOX, op. cit., p. 215.
-
[60]
Oliver P. Morton, sénateur Républicain de l’Indiana, in Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 2 juillet 1870), p. 5115.
-
[61]
S. THERNSTROM, op. cit.
-
[62]
Jon GJERDE, The Minds of the West : Ethnocultural Evolution in Rural Middle West, 1830-1917, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1997, p. 240-249.
-
[63]
Ibid., p. 309.
-
[64]
Paul KLEPPNER, The Cross of Culture : A Social Analysis of Midwestern Politics, 1850-1900, New York, Free Press, 1970.
-
[65]
Ibid.
-
[66]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 9 juin 1870), p. 4282.
-
[67]
Loi du 14 juillet 1870, ch. 254, Stat. 16, p. 254 (An Act to amend the Naturalization Laws and to punish Crimes against the same, and for other Purposes).
-
[68]
A. BOGUE, art. cit.
-
[69]
F. WALKER, op. cit.
-
[70]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 17 janvier 1870 et 13 décembre 1869), p. 525,105.
-
[71]
Article premier, section 2, de la Constitution.
-
[72]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 23 juin 1870), p. 4746-4747.
-
[73]
Chicago Times ( 25 juin 1870).
-
[74]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 17 janvier 1870), p. 525.
-
[75]
Chicago Tribune ( 8 et 12 février 1871).
-
[76]
A. BOGUE, art. cit., p. 469-489.
-
[77]
Congressional Globe, 41e Congrès, 3e Session ( 24 février 1871), p. 1640.
-
[78]
Ibid., 41e Congrès, 2e Session ( 17 janvier 1870), p. 532.
-
[79]
Ralph T. ROSKE, His Own Counsel :The Life and Times of Lyman Trumbull, Reno, University of Nevada Press, 1979.
-
[80]
Chicago Republican ( 6 et 16 mai, 8 juin 1870).
-
[81]
L. BOWERSOX, op. cit.; Chicago Tribune ( 16 février 1871).
-
[82]
M. KELLER, op. cit., p. 252.
-
[83]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 13 juin et 4 juillet 1870), p. 4368,5177.
-
[84]
Michael Les BENEDICT, « Preserving the Constitution : the Conservative Basis of Radical Reconstruction », Journal of American History, n° 61 ( 1974), p. 70-71.
-
[85]
Ibid., p. 84-88.
-
[86]
Traduction de John CHARPENTIER, in James M. BECK, La Constitution des États-Unis, Paris, Armand Colin, 1923, p. 243.
-
[87]
John Pool, sénateur Républicain de Caroline du Nord, in Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 19 mai 1870), p. 3611.
-
[88]
Nation ( 23 mars 1871), in FONER, Reconstruction, p. 455.
-
[89]
Chicago Tribune ( 2 et 10 avril 1871).
-
[90]
E. FONER, Reconstruction…, op. cit., p. 484-485.
-
[91]
M. KELLER, op. cit., p. 238-283.
-
[92]
W. GILLETTE, op. cit., p. 72.
-
[93]
À lire Stephen SKOWRONEK ( Building a New American State : The Expansion of National Administrative Capacities, 1877-1920, Cambridge, Cambridge University Press, 1982), la Reconstruction est à considérer comme une parenthèse dans la construction de l’État américain. Bien que cette position soit à mon sens contestable, il est probablement facile d’oublier le caractère radical de certaines lois de la Reconstruction à cause du hiatus entre leurs potentialités et leur application. Doit-on y voir un indice d’une utilisation politique d’une rhétorique radicale, qui ne serait pas suivie d’effets ?
1À la fin de la guerre de Sécession, le Sud des États-Unis est en plein bouleversement [1]. Il a été le théâtre de quatre années de conflit sanglant, qui l’ont ruiné, ont discrédité ses élites et affranchi tous ses esclaves. Désormais, le Nord doit refonder le Sud, tentant de le faire à son image, tout en érigeant les affranchis au rang de citoyens à part entière. C’est la Reconstruction américaine, le « règlement politique et constitutionnel de la guerre de Sécession (… ) dont les termes doivent définir et consolider les gains du vainqueur sur le vaincu » [2]. Les conséquences de son échec, officiel en 1877, se ressentent encore aujourd’hui, malgré le mouvement des Droits civiques des années 1950 et 1960.
2L’importance charnière de ces années a donc focalisé l’attention des historiens outre-Atlantique. Or, dans sa définition même, la Reconstruction invite presque obligatoirement à suivre un axe de recherche nord-sud : le Nord et le Sud se combattent pendant la guerre; le Nord essaie de transformer le Sud pendant la Reconstruction; le Sud la subit comme un empiétement intolérable du Nord dans ses affaires locales.
3Malgré la richesse de l’historiographie de la Reconstruction, toutefois, l’absence d’études neuves depuis la parution de la monumentale synthèse d’Éric Foner est un bon indice de l’épuisement de cette vision méridienne [3]. L’enjeu de cet article est de montrer qu’il faut l’enrichir d’un second axe de recherche, Est-Ouest.
4En elle-même, cette seconde dimension n’est pas nouvelle. Au tournant du siècle, Frederick Jackson Turner a inauguré une abondante production savante et culturelle sur les thèmes de la Conquête de l’Ouest et de la Frontière. Celle-ci a nourri les thèses de l’exceptionnalisme : en développant une société de pionniers, et en servant de « soupape de sécurité » au Nord-Est en voie d’industrialisation rapide, la Frontière aurait permis aux États-Unis de ne pas développer de prolétariat, donc de socialisme, et aurait rendu « exceptionnelle » la démocratie américaine. Littérature et cinéma ont popularisé ce mythe, notamment à travers la figure du cow-boy [4].
5On le voit, l’historiographie de l’Ouest est ancrée dans un imaginaire puissant. Celle de la Reconstruction est peut-être encore plus prisonnière des passions soulevées par l’identité très forte du Sud. La littérature, là aussi, s’est faite le puissant vecteur d’une vision cristallisée par la guerre de Sécession. Dans les mots de William Faulkner, « le Sud profond était mort depuis 1865, peuplé de fantômes volubiles, indignés, déconcertés », et désormais chacun de ses habitants, « encore trop jeune pour être un fantôme, devait en être un néanmoins, parce que né et élevé dans le Sud » [5]. Son passé confédéré (réel ou mythifié) sert de racines à cette région, comme une brûlure à l’âme non cicatrisée. Et cette identité sudiste, si prégnante dans l’imaginaire de tous les Américains, ne disparaît pas, contrairement à ce que la fin de la ségrégation, les migrations de Nordistes toujours plus nombreux vers ces États ensoleillés, ou les effets homogénéisateurs de la consommation de masse laissaient prédire [6]. Sous la plume de Faulkner, toujours : « quelque chose de curieux se produisait, ou s’était produit, ici : au lieu de s’éteindre, comme ils auraient dû, avec le temps, c’était comme si ces vieux irréconciliables, en fait, augmentaient en nombre » [7].
6Cet imaginaire culturel si fort polarise les problématiques. Chargé politiquement – il suffit de voir les polémiques encore soulevées à l’heure actuelle par le drapeau confédéré – il organise les questionnements des contemporains, et donc ceux des historiens [8]. L’esclavage, son abolition, et la guerre de Sécession y ont une place centrale. Avec l’avènement du mouvement des Droits civiques – « la Seconde Reconstruction » – la question de l’échec de la Reconstruction (qui n’a pas permis aux Noirs d’atteindre l’égalité politique pour laquelle ils doivent encore se battre cent ans après) est venue hanter les historiens.
7L’imaginaire de l’Ouest est déconnecté de ces problématiques. Il lui est même antithétique : c’est lui qui justifie la grandeur de la démocratie américaine, individualiste, associative et pionnière, loin de la « tache » sudiste, esclavagiste et ségrégationniste. Mais à l’heure de la guerre du Vietnam, puis du Watergate, et des doutes qu’ils engendrent, l’heure est aux révisions de la mythologie de l’Ouest. Les historiens s’y emploient, mais en les réfutant, ils restent prisonniers de ces problématiques de la Frontière [9].
8Ainsi, chacune prise dans des questionnements culturels et politiques très marqués, les historiographies de l’Ouest et du Sud évoluent séparément. Or, leur fonctionnement en vase clos atteint ses limites. Cet article propose une piste pour sortir de cette impasse : lier ces historiographies, en croisant les axes nord-sud et est-ouest dans l’analyse de la Reconstruction. L’étude détaillée des Enforcement Acts, cinq lois de la Reconstruction votées entre 1870 et 1872, montre toute la richesse potentielle de cette ligne de recherche. Le sujet peut sembler très restreint, mais cette approche par un cas particulier a des vertus heuristiques. Elle permet de mettre au jour des liens entre deux phénomènes majeurs : la Reconstruction et l’expansion vers l’Ouest. Elle permet de révéler des mécanismes qui font interagir les développements économiques, sociaux et politiques de la période. Elle permet de montrer comment le prisme politique vient amplifier certains phénomènes économiques et sociaux, en atténuer d’autres, et en dévier le sens.
LA RECONSTRUCTION, UN PARADOXE POLITIQUE
9L’émergence de l’Ouest comme entité géopolitique interne aux États-Unis coïncide avec la Reconstruction. Elle doit donc opérer dans un contexte politique et idéologique très contraignant, mais intrinsèquement paradoxal.
10C’est à l’intérieur de cette contradiction que se jouent les stratégies favorisant ou contrecarrant l’affirmation régionale de l’Ouest.
11Le paradoxe est au cœur même du processus de la Reconstruction.
12L’unité nationale en est le thème central. Le sort des armes a mis fin aux velléités indépendantistes des onze États de la Confédération, et quatre années de guerre et de sang versé ont provoqué un tournant dans les mentalités. Si Thomas Jefferson se disait avant tout virginien, Abraham Lincoln se revendique américain. C’est cette conscience d’appartenir à la même nation, malgré les différences régionales, qui s’affirme après la guerre. De manière très révélatrice, « les États-Unis » se conjuguent désormais, en anglais, au singulier ( the United States is… ) au lieu du pluriel d’avant-guerre ( the United States are… ) [10].
13Et pourtant, l’unité ne va pas de soi. L’échec cuisant, dans l’immédiat après-guerre, de la politique conciliante du président Andrew Johnson vis-à-vis du Sud en est le meilleur indice. Il révèle que les Sudistes ne sont pas prêts à faire les changements sociaux que les Républicains du Nord, même les plus conservateurs, jugent nécessaires. Car, pour ces Nordistes, l’unité du pays ne peut être assurée simplement par le triomphe des armes. Le Sud doit devenir une société vraiment républicaine [11], et doit donc éradiquer toute trace de ce qui l’a éloigné de cette voie : l’esclavage. Or, loin de tourner la page, les Sudistes cherchent, par leurs Codes noirs, à recréer l’« Institution particulière », formellement abolie par le Treizième Amendement. Une attitude inacceptable pour le Nord : toute société non fondée sur l’égalité devant la loi n’est pas républicaine. Et si le Sud n’est pas républicain, l’unité n’est pas achevée.
14On touche là à un aspect primordial de la Reconstruction : la Constitution est centrale à l’unité nationale américaine. En effet, définir ce que signifie être américain s’est heurté au défi d’une société hétérogène ethniquement et culturellement. La nation n’a pas pu se construire, comme en Europe, sur la mythologie d’un passé commun, d’une origine partagée. Le mythe fondateur des États-Unis, c’est la Révolution. L’identité américaine repose sur les textes « originels », la Déclaration d’Indépendance et la Constitution. La référence aux libertés assurées par les Pères fondateurs, et aux institutions qu’ils ont érigées pour les garantir, en forme le cœur [12] ?
15La guerre de Sécession témoigne tragiquement de la centralité de la Constitution. De même que les Pères fondateurs ont fait la Révolution pour préserver les libertés anglaises malgré l’Angleterre elle-même, les Nordistes et les Sudistes se sont fait la guerre pour préserver la pureté de la Constitution, dont chacun avait une vision différente. Il ne s’agit pas ici de sous-estimer le poids des intérêts bien compris du Sud et du Nord. Mais la perception par chaque région que l’autre mettait en péril le républicanisme et les principes mêmes défendus par le texte fondamental, est intrinsèque au processus de sécession [13]. En cela, chacun remettait en cause, aux yeux de l’autre, la nation américaine. Tous ont pris les armes pour défendre la Constitution. Une réaction qui montre bien à quel point celle-ci forme le socle de l’identité nationale des Américains.
16Pour consolider l’unité refaite par les armes, il faut donc unifier la vision constitutionnelle du pays. Voilà en quoi consiste la Reconstruction : réformer le Sud (politiquement voire socialement) afin qu’il adhère « véritablement » aux principes constitutionnels américains (tels que les Républicains les comprennent), et que donc la sécession ne soit plus possible.
17La tâche est rude, car les Républicains, maîtres du jeu politique, sont loin d’être unis sur la question. Essentiellement deux factions, aux contours flous et mouvants, s’opposent idéologiquement : les Modérés et les Radicaux.
18Toutefois, malgré les différences réelles, qui portent notamment sur la place du gouvernement fédéral, tous partagent une compréhension similaire des principes constitutionnels de base.
19Il faut les connaître pour comprendre le paradoxe qui est au cœur de la Reconstruction. Ils se cristallisent autour de l’idée de « forme républicaine de gouvernement », un concept à deux facettes : le fédéralisme et l’état de droit ( rule of law ). Ce concept réunit la notion de gouvernement local volontaire ( self-government) fondée sur le respect de la loi établie par consentement populaire (l’état de droit), à celle d’un lien national organique (le fédéralisme). Les deux idées sont indissolublement liées : par le lien fédéral, si le républicanisme est nié dans une communauté locale, il est mis en péril dans toute l’Union.
20Inversement, s’attaquer au fédéralisme, c’est porter atteinte à l’intégrité de la nation, et mettre en danger la forme républicaine de gouvernement, donc la gestion locale des affaires publiques, dans l’ensemble du pays.
21Les Sudistes ont donc commis un double péché contre la Constitution :
l’esclavage allait à l’encontre de l’état de droit en niant le consentement à la loi;
22la sécession faisait voler le fédéralisme en éclats. La guerre a mis fin aux deux.
23Mais il reste à reconstruire, dans le Sud, la forme républicaine de gouvernement que garantit la Constitution. Or les principes mêmes de consentement à la loi et de gouvernement local qui la définissent induisent que les Républicains ont besoin de l’adhésion volontaire des anciens Confédérés. Le but de la Reconstruction est donc de réformer les Sudistes afin qu’ils pratiquent d’eux-mêmes les principes républicains posés par la Constitution – tels que les comprennent les Nordistes, bien entendu [14].
24Dans cette vision constitutionnelle s’enracine le paradoxe central à la Reconstruction : le localisme, constitutif du républicanisme à l’américaine, est au cœur de ce qui fait l’unité de cette nation. Mais comment concilier l’affirmation unitaire et les inévitables différences régionales permises par ce localisme ? Les Républicains doivent réussir la quadrature du cercle : construire l’unité sur la base d’une constitution qui protège les différences régionales qui sont à l’origine même de la désunion. Il leur faut donc promouvoir une vision constitutionnelle similaire entre les sections, tout en ne portant pas atteinte à leur identité propre.
25C’est à l’intérieur de ce paradoxe que l’Ouest cherche à affirmer son identité. Il le fait dans un contexte où la structure géographique des États-Unis est analysée et vécue par les contemporains en termes de « sections », de grands ensembles régionaux au sein desquels les Américains trouvent une certaine cohérence identitaire. Ainsi, un Géorgien se définit comme sudiste, par opposition au Nord, et ce même s’il était unioniste pendant la guerre. Ces identités sectionnelles sont nées en partie d’évolutions socio-économiques contrastées entre les régions. Avant la guerre, on distingue essentiellement deux sections, le Nord et le Sud, séparées par deux systèmes socio-économiques divergents : « travail libre » et esclavage [15]. Ce contraste a fait évoluer différemment les lectures constitutionnelles dans chaque section. Ainsi, quand les tensions ont atteint un degré suffisant, la sécession a été possible car les deux sections n’avaient plus la même constitution, ou plutôt la même compréhension du texte fondamental. Dès lors, ce qui faisait l’unité désormais divisait [16]. La guerre de Sécession en a été le résultat. On mesure l’importance des identités sectionnelles dans les consciences américaines. Ce sont celles-ci que les Républicains doivent prendre en compte lorsqu’ils tentent d’unifier à nouveau la lecture constitutionnelle dans tout le pays, afin de solidifier l’unité nationale.
26Or, désormais, le Nord et le Sud ne sont plus seuls face-à-face. Dès avant la guerre, au sein du Nord, une troisième section commence à s’affirmer : l’Ouest, qui s’étend de l’Ohio à la Californie, avec cependant un grand vide entre Nebraska et Nevada. Cet Ouest s’est formé essentiellement en prolongement des États du Nord-Est (de la Nouvelle-Angleterre à la Pennsylvanie), qui ont fourni immigrants (dont beaucoup venus d’Europe) et capitaux. Cela a assuré à l’Ouest une similitude suffisante avec le Nord-Est pour que les deux combattent ensemble pendant la guerre du côté de l’Union [17]. Mais l’Ouest, dont la démographie explose, se découvre une identité, et des intérêts, qui lui sont propres. Et il commence à s’opposer au Nord-Est sur des questions économiques. Une opposition qui, comme entre le Nord et le Sud avant-guerre, se transforme en affrontement politique, qui ici cependant s’exprime à l’intérieur du Parti Républicain.
27Les études des votes nominatifs au Congrès [18], ou la lecture des journaux fidèles au parti [19], révèlent sans ambiguïté cette division sectionnelle.
28Cette transmutation d’intérêts économiques divergents en opposition politique à base régionale est cruciale : c’est elle qui permet, en les mettant sur le même terrain, à la Reconstruction et au sectionalisme de l’Ouest de se croiser.
29Pour cela, cependant, il faut comprendre comment elle opère.
30Deux problèmes surtout cristallisent le conflit économique : le protectionnisme et la circulation monétaire. Le protectionnisme est défendu par la majorité des industriels, alors que la majorité des agriculteurs s’y opposent. Pour les premiers, il faut des barrières douanières fortes pour permettre aux industries américaines de se développer à l’abri de la concurrence européenne. Une idée bien adaptée au nationalisme des Républicains, avivé par la guerre, ainsi qu’à « l’Évangile de la Prospérité », cette euphorie économique qui s’est emparée du pays, et que vient conforter une croissance spectaculaire [20]. En revanche, elle sied très peu aux intérêts agrariens, dont la prospérité dépend beaucoup de l’accès aux marchés étrangers [21]. De plus, un tarif douanier ne peut manquer d’augmenter les prix des produits manufacturés, ainsi protégés de la concurrence, que les agriculteurs utilisent beaucoup comme producteurs et comme consommateurs. Ne pouvant se permettre d’augmenter leurs prix de vente dans un contexte de croissance du volume de la production et de la productivité, ils verraient leur pouvoir d’achat fortement entamé [22].
31Dans des termes similaires, les problèmes de circulation monétaire opposent essentiellement la nouvelle classe des financiers aux agriculteurs. Pour financer la guerre, le gouvernement fédéral a eu recours à l’emprunt – par l’intermédiaire de bons du Trésor garantis sur l’or – et à l’émission de papier monnaie. En conséquence, le volume d’argent en circulation augmente de façon spectaculaire, alors que la dette publique passe de 65 millions à 2,5 milliards de dollars en cinq ans de conflit [23].
32Comment rembourser cette dette ? Les financiers, principalement concentrés dans les grandes villes du Nord-Est, exigent un retour rapide à l’étalon-or : ils détiennent une grande partie de la dette, et veulent être remboursés en monnaieor, pas en monnaie-papier dévaluée. De plus, le retour à l’étalon-or reconnecterait les marchés financiers américains aux marchés mondiaux, et les mettrait à l’abri de l’influence du Trésor américain, dont les financiers jugent la politique erratique [24].
33Cependant, revenir à la parité-or signifie réduire drastiquement le volume monétaire en circulation, une politique qui aurait des effets néfastes pour les revenus des fermiers américains. Ils ont en effet souvent emprunté, voire hypothéqué, pour se développer, c’est-à-dire acheter des terres et du matériel agricole afin d’augmenter leur production. Or les taux de ces emprunts sont fixes. Dans un contexte d’inflation, comme pendant la guerre, l’augmentation des prix rend les remboursements – fixes – dérisoires. Mais le contexte d’après-guerre est à la réduction des prix agricoles, une tendance que la déflation promise à Washington ne peut qu’aggraver. Cette augmentation mécanique des remboursements réels des fermiers est une autre menace directe sur leur pouvoir d’achat.
34Ces oppositions économiques ne sont donc pas, a priori, de nature régionale.
35La majorité des fermiers, dans l’Ouest comme dans le Nord-Est, sont contre le protectionnisme et le retour de la monnaie à l’étalon-or. À l’Ouest comme au Nord-Est, la majorité des industriels sont pour le protectionnisme, même s’il y a encore peu d’industries dans l’Ouest [25]. Tous les financiers sont pour le retour à l’étalon-or, mais ils sont concentrés dans les grandes villes du Nord-Est [26]. C’est le prisme institutionnel de la représentation nationale qui vient transformer ces positions économiques en division politique de nature sectionnelle, essentiellement à l’intérieur du Parti Républicain. La logique est simple : dans l’Ouest, 79% de la population est rurale, et gonflée chaque année de milliers d’agriculteurs qui y cherchent de bonnes terres [27]. Ce poids démographique se répercute bien évidemment au niveau électoral. En revanche, dans le Nord-Est, près de la moitié de la population est urbaine; le Parti Républicain local est donc plus sensible aux arguments des industriels, notamment par opposition aux Démocrates, dont l’électorat est plus ouvrier. Ainsi, les conditions politiques régionales différentes poussent les Partis Républicains locaux à soutenir les intérêts de groupes différents. Un mécanisme qui traduit une opposition économique en opposition sectionnelle, et vécue comme telle. Du coup, au Congrès, une majorité des élus Républicains des zones rurales de l’Ouest votent plus souvent avec les Démocrates qu’avec leur propre parti sur cette question [28]. Les intérêts de l’Ouest poussent cette nouvelle section, et qui se comprend comme telle, à une opposition de nature politique à une autre section, le Nord-Est, et ce en dehors des clivages partisans, puisqu’elle s’exprime largement à l’intérieur du Parti Républicain.
36Cette opposition entre le Nord-Est et l’Ouest, d’origine socio-écono-mique, vient interagir avec le processus de la Reconstruction précisément parce qu’elle est passée sur un terrain politique. Sectionalisme de l’Ouest et Reconstruction sont liés dans un paradoxe : le Parti Républicain cherche à unifier le pays alors qu’il est divisé intérieurement non seulement selon des clivages idéologiques (Modérés contre Radicaux) mais aussi selon des divisions sectionnelles (Ouest contre Nord-Est). Le Nord – au sens large – veut intégrer politiquement le Sud alors qu’il est lui-même divisé politiquement. Tout comme le Sud et le Nord, avant la guerre, se sont éloignés politiquement l’un de l’autre par leurs évolutions socio-économiques divergentes, l’Ouest commence à se séparer du Nord-Est par une dynamique qui lui est propre.
37Ainsi, la Reconstruction, précisément parce qu’elle est un processus d’unification du pays autour de la Constitution, qui à son tour insiste sur le selfgovernment local, produit un contexte politique favorable à l’émergence d’un Ouest autonome. En retour, la traduction d’oppositions économiques en sectionalisme politique, à travers le prisme des institutions, vient mettre l’émergence de l’Ouest sur un même plan que la Reconstruction. Ces deux dynamiques peuvent dès lors interagir.
38L’analyse des Enforcement Acts, cinq lois relativement secondaires de la Reconstruction, permet de jeter un éclairage inédit sur ces mécanismes à l’endroit même où ils se jouent, c’est-à-dire au niveau politique. Elle montre que l’émergence de l’Ouest accentue la pression sur la Reconstruction, ce qui la force à se radicaliser pour garantir ses objectifs d’unité. Or c’est cette radicalisation qui, par un retour de bâton politique, enclenche un processus de réaction contre la Reconstruction. Ainsi, l’affirmation de l’Ouest, sur des intérêts très éloignés de la Reconstruction, vient en fait d’abord la renforcer, pour l’affaiblir à long terme.
LA RADICALITÉ DES ENFORCEMENT ACTS
39A priori, les Enforcement Acts [29] sont des lois dans le droit fil de la Reconstruction : votées en application du Quinzième Amendement – qui donne le droit de vote aux Noirs – elles cherchent à garantir l’intégrité du processus électoral, ce qui est à la base du fonctionnement d’institutions républicaines. Elles sont donc dans le prolongement de l’effort pour garantir au Sud un gouvernement vraiment républicain, dans le but de sceller l’unité refaite dans le sang. Toutefois, l’optique de ces lois n’est pas seulement régionale, mais nationale : les Enforcement Acts sont aussi rédigés à l’attention du Nord, dont les gouvernements ne sont pas toujours irréprochablement républicains.
40Sont particulièrement visées les fraudes électorales massives – la plupart liées à l’exploitation du vote immigrant par les Démocrates – perpétrées dans certaines grandes villes du Nord-Est. C’est cette optique explicitement nationale qui suggère que l’enjeu des Enforcement Acts va au-delà de la Reconstruction.
41Ce que montre l’analyse minutieuse de leur histoire, c’est que l’idéologie que ces lois véhiculent – l’unité nationale dans les institutions républicaines – est utilisée à des fins extérieures à la Reconstruction, et internes au Parti Républicain : faire taire la dissidence économique des élus de l’Ouest et ressouder le parti sur une base idéologique. En ce sens, l’opposition économique et sociale interne entre Ouest et Nord-Est, une fois médiatisée par la structure institutionnelle, est intégrée à la politique de la Reconstruction.
La Reconstruction menacée : convergence des pressions politiques
42À première vue, les Enforcement Acts semblent connaître un destin législatif classique. Pourtant, ils doivent affronter une situation exceptionnelle : la Reconstruction est gravement mise en danger par les développements politiques internes au Sud, alors même que le pouvoir Républicain est menacé au Nord – comme le montre le spectaculaire retour électoral, sérieusement entaché d’illégalités, des Démocrates. C’est cette situation exceptionnelle, faite de pressions politiques convergentes, qui explique le caractère radical des Enforcement Acts, et permet de comprendre pourquoi les Républicains ont franchi le Rubicon en se départissant de leur conservatisme constitutionnel.
43Avant tout, les Enforcement Acts sont des lois de la Reconstruction; leur but premier vise à rendre le Sud républicain dans ses institutions et ses pratiques. Or, en 1870, on est loin du compte ! Dans une pétition au Congrès, les législateurs noirs de Géorgie résument la teneur alarmante des rapports qui affluent de toutes parts : « Si les élections ont lieu cet automne (… ) elles seront marquées par la violence et un bain de sang. Une expression juste de la volonté du peuple est impossible » [30]. Le constat est terriblement simple : la violence qui règne dans le Sud empêche le fonctionnement normal d’institutions républicaines en s’en prenant à la base du système, les élections.
44Car la violence s’est faite politique. Surgissant au départ comme une réaction extrême aux bouleversements sociaux nés de l’émancipation des esclaves – on a par exemple vu des Blancs battre des Noirs parce qu’ils avaient osé leur dire bonjour sans y avoir été invités – elle s’est ensuite organisée. Ainsi, imitant le premier Ku Klux Klan, club d’anciens Confédérés fondé en 1866 à Pulaski, Tennessee, des sociétés politiques secrètes, avec des membres armés et déguisés, fleurissent un peu partout et lancent une campagne de terreur systématique contre les Noirs et les Blancs qui soutiennent le Parti Républicain. Ces actes sont généralement commis par des groupes locaux de leur propre initiative. Toutefois, les buts et tactiques communs permettent une généralisation de leurs intentions et leur impact : de fait, le Ku Klux Klan est une force militaire qui sert les intérêts du Parti Démocrate, la classe des planteurs, et tous ceux qui désirent le retour à la suprématie blanche [31].
45Cette campagne de terreur s’avère d’une redoutable efficacité, surtout couplée avec certains « ajustements » plus ou moins discrets des élections.
46Celles de 1870, malgré les deux premiers Enforcement Acts, le prouvent : six des onze anciens États confédérés passent, au moins partiellement, sous contrôle Démocrate [32]. Ce scrutin permet donc un retour en force du « parti de la sécession » dans les rouages du pouvoir.
47Et cette « Rédemption », selon le nom que les Démocrates du Sud donnent à cette reconquête du pouvoir, cherche en priorité à inverser les acquis de la Reconstruction. Les nombreuses réformes économiques cherchent à rétablir un système de plantation le plus proche possible de celui d’avant-guerre, avec une insistance particulière sur la discipline de la main-d’œuvre.
48Politiquement, les nouveaux élus cherchent, par redécoupage des circonscriptions électorales, mauvaise volonté administrative et autres tracasseries judiciaires, à priver les Noirs de toute représentation politique. Ce sont là des avant-goûts de la ségrégation raciale telle qu’elle sera mise en place, systématiquement, à la fin du XIXe siècle [33].
49Toute l’œuvre voulue par les Républicains – implanter un régime vraiment républicain dans le Sud – est menacée par ces actions illégales. Comme le résume George E. Spencer au Congrès, « être un Républicain, un avocat de la liberté, et un sympathisant de l’Administration et de sa politique s’apparente à un crime haineux. Cela vous met une marque au front et un prix sur la tête. Il n’y a rien aujourd’hui qui ressemble, dans le Sud, à la liberté d’expression et la liberté de pensée » [34].
50Or, non seulement cette violence menace de défaire toute l’œuvre de la Reconstruction, notamment la reconnaissance des droits civiques des Noirs, mais elle porte atteinte au pouvoir des Républicains au niveau national, en faussant la représentation des États du Sud au Congrès. Comme souvent pendant la Reconstruction, « l’intérêt du parti et la justice coïncident » [35] : si la justice commande qu’on s’assure de l’intégrité du processus électoral, l’intérêt du parti requiert qu’on s’attaque à la perte massive de sièges que provoquent les agissements Démocrates. En 1870, les Républicains doivent céder treize sièges de représentants dans le Sud profond (les anciens États confédérés), ce qui correspond à une chute de 22% par rapport aux précédentes élections de 1868. Si l’on ajoute le Sud frontalier (les États du Sud qui n’ont pas fait sécession) à l’analyse, on se rend compte que les Démocrates forment les deux tiers des élus du Sud (au sens large) à des fonctions fédérales. Des résultats lourds de danger non seulement pour ce qu’ils signifient dans le Sud, mais aussi parce qu’ils menacent la supériorité numérique des Républicains au Congrès fédéral [36].
51Ces développements dans le Sud sont d’autant plus préoccupants pour les Républicains qu’ils coïncident avec une érosion sensible de leur mainmise électorale sur le Nord. En 1860, Abraham Lincoln n’avait été élu face à l’unanimité Démocrate du Sud que parce qu’il avait remporté la majorité des États du Nord [37]. Un souvenir encore frais pour tous ceux qui constatent amèrement qu’après cinq ans de Reconstruction la conversion du Sud semble loin d’être accomplie. Or, en 1870, les Républicains perdent 21 sièges au Nord, passant de 75% à 64% des élus fédéraux de la section. Si leur majorité est encore confortable, cette évolution ne manque pas d’inquiéter, et bien que le parti conserve la majorité dans les deux Chambres, un renversement est désormais clairement considéré comme possible dans les deux ans à venir. Ainsi, au sortir des élections, les Républicains sont probablement plus alarmés par les gains Démocrates au Nord que par les exactions du Ku Klux Klan au Sud [38].
52Une analyse régionale plus fine montre que les plus grosses pertes Républicaines se concentrent dans le Nord-Est, et plus précisément dans les États de New York, New Jersey et Pennsylvanie. En effet, si les Républicains de l’Ouest cèdent 8 de leurs 60 sièges aux Démocrates, ils détiennent encore une majorité des deux tiers dans leur section. Leurs collègues du Nord-Est, eux, perdent 13 de leurs 66 sièges. Mais, en Nouvelle-Angleterre, 85% des élus sont encore Républicains, alors que dans l’État de New York, les Démocrates sont désormais majoritaires [39].
53Immédiatement, la « machine » politique Démocrate qui contrôle la ville de New York est jugée en grande partie responsable de tels résultats. On est encore loin de l’organisation implacable qui sera mise en place au tournant du siècle, mais, depuis la guerre de Sécession, le « boss» William M.Tweed et ses acolytes ont poussé leur contrôle des rouages de l’exécutif, du législatif et du judiciaire de la ville à un degré sans précédent. Leur mainmise repose essentiellement sur un réseau d’allégeances personnelles obtenues par un système de dépouilles qui profite à tous, y compris à certains Républicains (à titre personnel) : les hommes d’affaires profitent des travaux publics incessants mis en chantier par la mairie, ainsi que de l’entregent administratif du Cercle de Tweed ( Tweed’s Ring), qui peut faciliter ou empêcher les projets de ces entrepreneurs. Les financiers se nourrissent de la dette de la ville, alors que les travailleurs trouvent des emplois nombreuxau service de la municipalité. Le jeu est à qui profitera le plus, et Tweed et ses acolytes se font grassement rétribuer pour leurs services.
54Le contrôle des élections, qui reviennent tous les ans est crucial pour la pérennité de cette situation. Dès lors, quoi de mieux que de s’arranger pour éviter les mauvaises surprises ? Les jours de scrutin, les fraudes se font donc à grande échelle : toute la clientèle bâtie à grands coups de dollars est rameutée pour voter;
55les hommes de main du boss prennent possession des rues; les sympathisants votent plusieurs fois; les juges d’élections rajoutent eux-mêmes quelques bulletins dans les urnes. D’ailleurs, avec la complicité de la machine judiciaire, les résultats sont souvent connus avant le dépouillement… Bref, rien n’est laissé au hasard [40].
56Les fraudes électorales perpétrées par le Cercle de Tweed provoquent des remous bien au-delà des limites de la ville de New York. « Ce n’est pas l’affaire de New York uniquement. C’est l’affaire de la nation », s’écrie Hamilton Ward, représentant Républicain de cet État. Ces fraudes « sont commises par milliers et dizaines de milliers à chaque élection et sont considérées comme une bonne plaisanterie », accuse, au Sénat, son collègue William M. Stewart, du Nevada.
57« Lors des élections présidentielles de 1868, le candidat Démocrate a emporté au moins quatre États de l’Union par la fraude : le New York, le New Jersey, la Géorgie, et la Louisiane » [41]. Ainsi, la violation par la machine de Tweed des principes mêmes du républicanisme se répercute sur la politique nationale, par le biais de l’importance démographique de New York. L’État éponyme n’est-il pas considéré comme la clé des élections présidentielles ? La commission d’enquête parlementaire dirigée par le sénateur William Lawrence a, par exemple, dénombré 68000 naturalisations frauduleuses avant celles de 1868, ce qui correspond, in fine, à autant de voix pour les Démocrates. Même si les estimations [42] d’aujourd’hui ramènent ce chiffre à 50000, toujours est-il qu’Ulysses S. Grant a perdu l’État de New York face au candidat Démocrate sur un nombre de voix bien inférieur. D’autres types de fraudes sont également mis à jour, comme les inscriptions électorales frauduleuses et la coutume de voter plusieurs fois dans différents bureaux de vote. Le Chicago Republican, pendant l’été 1870, montre en rapprochant les chiffres du tout nouveau recensement et ceux des registres électoraux que certaines circonscriptions new-yorkaises ont jusqu’à dix fois plus d’électeurs que d’habitants [43].
La radicalisation de la Reconstruction
58Face à la convergence de telles pressions politiques au Nord comme au Sud, les Républicains décident de répondre par la loi. C’est leur intérêt : c’est leur contrôle du pouvoir fédéral qui est menacé. Cela ressortit surtout, et sans qu’on puisse dissocier les deux, à l’idéologie de la Reconstruction : les élections sont le fondement de la forme républicaine de gouvernement garantie par la Constitution; leur intégrité est donc un enjeu de toute première importance.
59Cas le plus grave, les violences dans le Sud attirent les mesures les plus sévères, contenues dans les premier et quatrième Enforcement Acts. Le premier, signé le 31 mai 1870, est un très long texte qui interdit toutes les fraudes imaginables pouvant être perpétrées par les fonctionnaires des États qui président à l’inscription sur les listes électorales et au scrutin. L’application de la loi est confiée aux autorités policières et judiciaires fédérales, jugées moins soumises aux pressions locales. Le texte condamne également toute coalition d’au moins deux personnes qui tente d’entraver les élections [44].
60Toutefois, cette série de mesures ne se montre que peu efficace lors des élections de 1870, en partie à cause des carences de la loi, en partie à cause de l’inaction de l’Exécutif [45]. Mais devant le climat de violence qui a conduit à la perte spectaculaire du nombre de leurs sièges à la Chambre, les Républicains au Congrès ne peuvent rester sans réagir. Ils adoptent alors, en avril 1871, une mesure encore plus radicale : le quatrième Enforcement Act, ou Ku Klux Klan Act. Cette loi condamne tout groupe d’au moins deux personnes qui viole la Constitution des États-Unis, y compris ses amendements, ou les lois fédérales, ou qui entrave tout officier de l’Union dans l’exercice de ses fonctions, ou qui empêche quiconque de témoigner à un tribunal fédéral, etc. La définition est longue et extensive. Tout membre de ces conspirations peut être traduit devant la justice fédérale. Si l’État ne peut ou ne veut mettre fin aux troubles produits par ces groupes, le président des États-Unis peut alors, de son propre chef, déclarer la loi martiale, engager l’armée afin de supprimer l’agitation, et suspendre l’habeas corpus, cette disposition héritée du droit anglais qui interdit qu’on prive quiconque de sa liberté sans mandat motivé d’un juge. Bref, ce texte balaie très large, donnant de grands pouvoirs à l’Exécutif pour mener à bien la Reconstruction, en rupture avec une tradition de restriction du gouvernement [46].
61Le Congrès avance plus prudemment dans les lois qui visent explicitement le Nord (même si, il faut le noter, toutes ces lois sont nationales, et concernent donc tous les États). Toutefois, l’idéologie reste la même, et procède des préoccupations qui dominent la Reconstruction : garantir l’intégrité des élections comme fondement du républicanisme des institutions. À cette fin, le troisième Enforcement Act institue tout un dispositif de surveillance des élections législatives dans les villes du plus de 20000 habitants. Sur simple pétition de deux citoyens, un juge fédéral doit nommer deux inspecteurs par bureau de vote. Ceux-ci ont tout pouvoir de supervision sur le déroulement des opérations. De plus, deux officiers de police fédéraux sont affectés au maintien de l’ordre. Ils peuvent procéder à l’arrestation de quiconque contrevient à la loi en leur présence ou en celle des inspecteurs, sans mandat d’un juge. Toutes les affaires sont traitées par les tribunaux fédéraux [47]. Le cinquième Enforcement Act, un an plus tard, étend ce dispositif, sous une forme affaiblie, à l’ensemble du pays [48].
62Toutes ces lois sont constitutionnellement très radicales. Elles constituent un formidable pas dans l’affirmation du pouvoir national par rapport à la décentralisation qui prévaut depuis l’Indépendance. Le troisième Enforcement Act institue le contrôle par Washington de toutes les élections fédérales. En pratique, étant donné la concomitance des élections locales, quasiment toutes les élections sont désormais surveillées par les branches exécutives et judiciaires du gouvernement fédéral, alors qu’elles relevaient jusqu’ici exclusivement de la juridiction des États. Le renforcement du pouvoir central est encore plus spectaculaire avec les premier et surtout quatrième Enforcement Acts: alors que jusqu’ici Washington n’avait juridiction que sur les États en tant qu’entités, ces lois érigent pour la première fois des actes commis par des individus, hors de toute action d’un État fédéré, en crimes punissables par une loi fédérale [49]. Cette innovation juridique renforce considérablement, au moins du point de vue constitutionnel [50], le pouvoir fédéral aux dépens des États.
63C’est un pas très hardi pour un parti dont l’existence même est due à la volonté de défendre la Constitution, et qui s’est manifesté jusque-là par un grand conservatisme dans sa lecture du texte fondamental. Les grands amendements de la Reconstruction – le treizième qui abolit l’esclavage, le quatorzième qui proclame l’égalité des droits civiques, et le quinzième qui affirme le droit de vote des Noirs – n’ont été rédigés, dans l’esprit de la majorité des Républicains, que pour expliciter ce que la Constitution contenait déjà en esprit. Ceux qui poussent effectivement à un changement de l’équilibre dans le fédéralisme – essentiellement des Radicaux – ont toujours été minoritaires.
64Dès lors, pourquoi choisir de se départir – six ans après le début de la Reconstruction – d’un équilibre des pouvoirs entre États et gouvernement fédéral considéré comme intangible jusqu’ici ? Si la Reconstruction consiste bien à transformer le Sud pour y implanter le respect de la Constitution (selon la vision des Républicains du Nord), alors il ne s’agit pas d’en transformer le texte mais de le préserver. La radicalité des Enforcement Acts est donc un indice qu’au-delà de la Reconstruction, les Républicains cherchent à répondre à d’autres enjeux.
LA RESPONSABILITÉ DE L’OUEST DANS LE TOURNANT RADICAL
Comprendre le tournant radical : le deuxième Enforcement Act
65Un examen très détaillé du vote du deuxième Enforcement Act au Congrès ouvre une piste pour comprendre ce tournant radical. Cette loi s’attaque au problème des naturalisations frauduleuses d’immigrants, une des techniques favorites du Cercle de Tweed, à New York, pour grossir son électorat, comme l’a souligné le rapport de la commission parlementaire dirigée par William Lawrence en 1869. En effet, les Irlandais et une grande partie des Allemands (les deux groupes immigrants majoritaires) forment l’un des piliers de l’électorat démocrate dans le Nord-Est, notamment à New York où, en échange de soutien politique, le Cercle de Tweed permet, par ses organisations de quartier et ses emplois publics, une insertion rapide de ces nouveaux arrivants dans le tissu urbain. Certes, dans ces États, il faut être citoyen pour pouvoir voter, mais toute la seconde génération, née sur le sol des États-Unis, est déjà américaine. Quant à la première génération, celle qui a immigré, les tribunaux des États, dont c’est la juridiction, lui distribuent généreusement la citoyenneté. C’est un marché qui arrange tout le monde : les immigrants sont intégrés juridiquement à la société politique, alors que les Démocrates se constituent une clientèle électorale fidèle.
66C’est particulièrement vrai à New York, où la Commission Lawrence révèle par exemple que « le juge Barnard, à la Cour Suprême de la Ville (… ), du 8 au 28 octobre 1868 inclus, a naturalisé 10070 personnes, soit une moyenne de 711 par jour ». Et tout cela sans « siéger plus de trois heures et demie chaque jour ». Cela fait plus de trois naturalisations par minute [51] !
67Les Républicains du Nord-Est cherchent donc un moyen de ralentir ce flot de nouveaux électeurs. Leur intérêt est évident : il s’agit de fermer une source d’approvisionnement de l’électorat démocrate. Cela leur paraît d’autant plus urgent que l’immigration est massive, et perçue comme telle. Tous opinent du chef quand le Démocrate du Wisconsin Charles A. Eldridge s’exclame que « les arrivées, jusqu’à maintenant, indiquent une grande augmentation de [l’immigration] par rapport à ces dernières années. L’Irlande, notamment, semble sous le coup d’une nouvelle impulsion. (… ) Non contente de nous envoyer [ses fils] par milliers, il semble qu’elle ait décidé de venir elle-même.
68D’autres pays sur le continent présentent des indications similaires (… )» [52]. La Commission de l’Immigration compte officiellement, pour la seule année 1869,66204 nouveaux arrivants irlandais, et 99605 Allemands, des chiffres en augmentation [53].
69Là encore, le prisme institutionnel vient amplifier les enjeux du vote immigrant. Le recensement décennal, prescrit par la Constitution, doit se faire en 1870. Les résultats de ce décompte sont utilisés pour redistribuer les sièges de la Chambre des représentants entre les États, et pour redécouper les circonscriptions électorales à l’intérieur des États. Or, en dix ans, la population immigrante – si on ne compte que la première génération – a augmenté de 15% plus rapidement que la population née aux États-Unis. Le recensement promet donc de donner un poids politique beaucoup plus important à ces électeurs –dont certains ne sont encore que potentiels – dès le Congrès suivant [54].
70Le poids des immigrants, dans le Nord-Est, va augmenter d’autant plus qu’il s’agit de populations très concentrées dans les zones urbaines. Les Irlandais notamment, qui constituent les deux tiers des immigrants du Nord-Est, se concentrent dans les villes. En 1850, près de quatre nouveaux arrivants sur cinq s’installent dans les zones les plus urbanisées des États de la Côte Est.
71Les immigrants irlandais ont deux fois plus de chances de vivre dans une ville que la population américaine dans son ensemble. C’est ce qui explique qu’en 1860 déjà, la population née en Irlande constitue un quart de New York City, de Boston et de Jersey City [55]. Un chiffre qui ne compte pas la seconde génération, aux comportements électoraux similaires. Il faut voir là l’explication essentielle du fait que, dans le Nord-Est, les circonscriptions urbaines, en tendance, votent plutôt Démocrate, alors que les zones rurales se montrent fidèles aux Républicains [56]. Or le nouveau recensement promet de donner un poids politique plus important aux villes dans ces États dont le taux d’urbanisation est passé, en dix ans, de 36 à 44% [57].
72Devant cette convergence de facteurs qui tendent à gonfler mécaniquement l’électorat Démocrate, les Républicains décident d’agir sur ce qu’ils peuvent changer. Réduire les naturalisations leur semble un bon moyen de freiner l’afflux d’immigrants dans le corps électoral. Noah Davis et Roscoe Conkling, de l’État de New York, n’ont donc pas que la pureté des élections en tête quand ils introduisent, l’un à la Chambre et l’autre au Sénat, leur proposition de loi destinée à devenir le deuxième Enforcement Act. Leur texte est très dur : il fait passer tout le système de naturalisation sous juridiction fédérale, tout en le rendant beaucoup plus contraignant. Ainsi, tout citoyen, pour n’importe quel motif, peut venir contester la naturalisation d’un immigrant. De même, un délai de six mois est imposé entre la décision judiciaire et son entrée en vigueur effective. Une autre contrainte est plus subtile : les tribunaux fédéraux étant moins nombreux que les cours locales, la mesure promet un engorgement et donc un ralentissement du rythme des naturalisations.
73Les Démocrates l’ont bien vu, qui crient au scandale. Mais, et c’est plus surprenant, ils ne sont pas seuls : plus de 40% des Républicains se joignent à eux pour faire échouer le projet. L’analyse nominative de ces votes au Congrès est très instructive : alors que les Démocrates font bloc, les Républicains sont divisés selon un critère géographique. À la Chambre des représentants, 83% des Républicains du Nord-Est votent pour les restrictions à la naturalisation, alors que 73% de leurs collègues de l’Ouest s’y opposent. Au Sénat, l’opposition est encore plus frappante : 92% des élus du Nord-Est votent pour, 78% de ceux de l’Ouest contre. On assiste donc à un antagonisme frontal sur une ligne sectionnelle interne au Nord [58].
74C’est que, sur cette question, les intérêts politiques des Républicains de l’Ouest sont complètement opposés à ceux de leurs collègues du Nord-Est.
75Plusieurs considérations entrent en ligne de compte. D’abord, l’Ouest est en pleine expansion démographique. Avec des millions d’hectares inoccupés, et une demande croissante d’ouvriers, il fait montre de besoins humains énormes [59]. Les élus de cette section estiment que « plus [on] obstruer[a] la naturalisation en jetant des obstacles légaux sur la route, et plus [on] réduir[a] et diminuer[a] l’immigration » [60]. Cela irait totalement à l’encontre de la politique des États de l’Ouest, qui pour attirer les Européens chez eux, ont adopté une législation très attractive (qui permet par exemple de voter sans être naturalisé, une déclaration d’intention de devenir citoyen suffisant), et déployé des agences jusque dans le Vieux Monde pour faire leur publicité. A contrario, le Nord-Est souffrirait moins d’une baisse des flux migratoires, puisque l’immense majorité des nouveaux immigrants s’installent, au moins les premières années, dans cette région. La probabilité serait qu’une baisse de pression démographique dans le Nord-Est réduise l’émigration vers l’Ouest [61]. C’est le sentiment qui prévaut.
76Les Républicains de l’Ouest entendent donc défendre les intérêts de leur section en s’opposant au texte de Davis et Conkling. Mais leurs préoccupations sont aussi plus immédiatement électorales. En effet, dans l’Ouest, les Républicains sont très dépendants du vote immigrant. La première raison est simple : dans ces États, la citoyenneté n’est pas requise pour pouvoir voter. Une loi restreignant la naturalisation n’aurait donc aucun avantage électoral, mais l’inconvénient suprême d’aliéner les suffrages des immigrants qui souhaitent devenir citoyens. À cela s’ajoutent d’autres calculs plus subtils. Dans cette région rurale à 79%, le peuplement s’est fait par petites communautés homogènes ethniquement, c’est-à-dire que les segmentations ethniques sont traduites en divisions spatiales qui remontent à l’installation des colons. Ces groupes, pris entre le désir de préserver leur identité nationale et les effets culturels de leur participation au développement économique spectaculaire de la région, entrent en politique sur la base de leur identité ethnique. Dans ce processus, le patronage joue un rôle-clé : pour pouvoir distribuer les travaux publics, les candidats ethniques doivent gagner des élections. De locale, l’arithmétique électorale se répercute sur les élections des représentants fédéraux. Ainsi, les immigrants intègrent les partis politiques nationaux en tant que groupes ethniques, afin de bénéficier du patronage, selon les habitudes politiques du temps [62].
77Ce critère ethnique des élections se double d’un critère religieux. Les électeurs de diverses nationalités et religions tendent à s’affilier massivement à un parti selon leurs prémisses culturelles et religieuses. Un bloc de groupes religieux, « piétiste », insiste sur le « bon » comportement; il favorise donc les interventions étatiques en ce sens, et a plus tendance à soutenir le Parti Républicain que les « ritualistes », qui insistent sur la « bonne croyance », et préfèrent le Parti Démocrate qui s’oppose à une présence étatique trop forte [63]. Ainsi, les Catholiques, ritualistes, sont massivement Démocrates, alors que les méthodistes, piétistes, votent beaucoup plus Républicain. Ce double critère, la nationalité et la religion, varie ensuite selon les interactions locales entre groupes : ainsi, les sectariens allemands votent beaucoup plus massivement Républicain quand ils sont en contact avec des catholiques allemands, par exemple, qu’en contact avec d’autres groupes protestants [64].
78Dans le Nord-Est, les Irlandais forment le groupe immigrant le plus nombreux. L’immense majorité d’entre eux étant catholique, ils forment un large bloc électoral pour le Parti Démocrate. Dans l’Ouest, le groupe numériquement le plus présent vient des États allemands. Or c’est un groupe beaucoup moins homogène, d’abord parce que les Allemands viennent d’une région d’Europe pas encore unifiée, mais aussi parce que leur diversité religieuse est bien plus grande. Quatre Églises sont particulièrement importantes : les sectariens, qui votent massivement Républicain; les Catholiques, presque tous Démocrates; les luthériens et les réformés, qui sont beaucoup plus partagés, bien que la balance penche légèrement en faveur des Démocrates. Or ces deux derniers groupes deviennent des pivots politiques autour de 1870. Le jeu politique a évolué de telle sorte que leur vote décide du résultat des élections. Il est donc désormais crucial pour les deux partis de courtiser ces groupes qui occupent le centre [65].
79Dans ce contexte, les élus de l’Ouest comprennent trop bien que le projet de loi proposé par Noah Davis et Roscoe Conkling, visant à rendre les naturalisations plus difficiles, ne manquerait pas « d’exciter les préjugés et les passions de la population étrangère de ce pays contre [les Républicains]», comme le remarque James B. Howell, de l’Iowa [66]. Peu enclins au suicide politique, les Républicains de l’Ouest refusent donc en bloc de laisser passer un texte si dangereux, et ne votent le deuxième Enforcement Act que sous une forme bien plus affaiblie, expurgée de toutes ces dispositions embarrassantes.
80C’est ce qui explique que le deuxième Enforcement Act soit bien loin des mesures restrictives proposées par les Républicains de New York : la justice fédérale ne reçoit juridiction que sur les fraudes à la naturalisation, mais pas sur le processus d’octroi de la citoyenneté. Les sanctions peuvent être sévères, mais dans ces limites seulement [67].
81Cette analyse en détail du deuxième Enforcement Act permet de démonter le mécanisme à l’œuvre dans une loi de la Reconstruction. Le premier enseignement est que l’idéologie qui préside à la Reconstruction, du fait même qu’elle s’exprime dans une législation fédérale, n’est pas limitée au Sud mais déborde sur le Nord, et sur la vision que les Républicains du Nord ont de leur propre section. Les lois de la Reconstruction sont votées sciemment dans une perspective nationale. Dans ce contexte, les deux sections du Nord ont un intérêt direct au libellé final de la loi. Les évolutions du texte nous montrent comment les divergences d’intérêts, économiques et politiques, entre les sections du Nord-Est et de l’Ouest influencent la rédaction et le vote des lois de la Reconstruction. Il est donc bien trop sommaire de penser le Nord comme un bloc face au Sud, et d’analyser les divisions internes aux Républicains comme purement idéologiques, opposant Modérés et Radicaux. Une partie des négociations qui façonnent une loi de la Reconstruction naît de divergences d’intérêts à caractère sectionnel.
82Le deuxième Enforcement Act permet de comprendre aussi pourquoi les Républicains se sont résolus à une vision constitutionnelle plus radicale comme fondement de leur législation. Jusqu’à présent, ils avaient réussi à maintenir une barrière étanche entre les lois de la Reconstruction d’une part, et les lois à caractère économique qui concernaient directement les intérêts sectionnels de l’Ouest et du Nord-Est [68]. Or cette barrière est devenue poreuse, et désormais il est impossible de parler de Reconstruction sans que les autres enjeux politiques du moment soient évoqués. Mais pourquoi cette fusion se fait-elle précisément au moment des Enforcement Acts, et pas avant ? Il a fallu, pour cela, un catalyseur qui porte les tensions à incandescence : le recensement.
Le recensement, catalyseur des tensions politiques
83La section 2 de l’article premier de la Constitution ordonne le recensement décennal de la population américaine. Sur la base de ce décompte doit être effectuée une redistribution des sièges de la Chambre des représentants entre les États, proportionnellement à leur poids démographique. C’est en 1870 qu’a lieu ce recensement, qui promet d’apporter à sa suite un rééquilibrage spectaculaire entre les sections. En effet, en dix ans, la population de l’Ouest a augmenté de 52%, le Nord-Est de 14% seulement. Ainsi, alors que cette région avait 1300000 habitants de plus que l’Ouest en 1860, elle en a autant de moins en 1870. Le rapport de force numérique à la Chambre des représentants devrait donc s’inverser en conséquence [69].
84Toutefois, la redistribution des sièges ne prend traditionnellement effet que deux ans après le recensement. Les raisons en sont techniques : les transports et les moyens de calcul ne permettent pas de rassembler les données assez vite pour que le Congrès redistribue les sièges entre les États, et que ceux-ci redécoupent leurs circonscriptions électorales, à temps pour les élections de l’automne de la même année. La redistribution des sièges n’intervient donc que pour les élections suivantes, deux ans plus tard. Mais, en 1870, les représentants de l’Ouest, arguant du progrès des communications, affirment que les résultats du recensement peuvent être appliqués aux élections de cette même année. Dès décembre 1869, Norman B. Judd, représentant de Chicago, introduit une proposition en ce sens.
85Aussitôt, les Républicains du Nord-Est font front. Leurs arguments vont de l’impossibilité pratique à l’argutie constitutionnelle. Vu le calendrier du Congrès, arguent-ils, il serait laissé à l’Exécutif le soin de faire la redistribution, ce qui est contraire à la nécessaire séparation des pouvoirs. De plus, disent-ils, « comme chaque recensement a précédé chaque répartition, il faut bien sûr donner le même temps aux deux, c’est-à-dire dix ans à chaque énumération et cinq Congrès [de deux ans] à chaque redistribution ». Face à eux, leurs collègues de l’Ouest invoquent la justice et, également, la Constitution. « Mon propre district, s’écrie Judd, n’est représenté aujourd’hui que par un membre, alors qu’il a une population supérieure à l’État entier du Vermont, qui dispose pourtant de trois représentants dans cette Chambre » [70]. Cette injustice doit être réparée, comme le commande la Constitution qui réclame une répartition égale de la représentation, et qui prévoit pour cela que chaque redistribution doit se faire « dans les dix ans » qui suivent la précédente (« within ten years») [71].
86L’analyse des votes nominaux confirme d’ailleurs nettement cette vive opposition révélée par les débats : les Républicains sont divisés sur une ligne étroitement sectionnelle. En revanche, les Démocrates font preuve de cohésion, une contradiction que John A. Logan, de l’Illinois, ne manque d’ailleurs pas de souligner sur le mode polémique : « La Pennsylvanie se dresse aujourd’hui aux côtés du Rhode Island et du Massachusetts et du Maine et du Connecticut et du Vermont pour priver l’Ouest de la représentation qui lui est due. Tous ces États se sont associés, et avec qui ? Les Démocrates !» [72]. Cela revient à accuser les Républicains du Nord-Est de faire une alliance « contre-nature » avec les « fauteurs de sécession ». La remarque est politiquement pertinente : quels enjeux sont suffisamment importants pour que des Républicains se permettent cette alliance, même objective ? Et pourquoi les Républicains sont-ils divisés par région sur cette question, et pas leurs adversaires ?
87La réponse nous vient du Chicago Times, journal Démocrate de l’Ouest, qui explique l’opposition de son parti, et notamment sa branche de l’Ouest, à une redistribution hâtive des sièges : le manque de temps, selon l’éditorialiste, empêcherait les États de l’Ouest de redécouper les circonscriptions électorales. Les représentants supplémentaires accordés par le nouveau recensement seraient donc élus au scrutin de liste à l’échelle des États. Selon les lois électorales, cela promettrait à la liste, qui obtiendrait ne serait-ce qu’une courte majorité, de voir tous ses candidats élus. Or les Républicains, dans ces États, sont généralement majoritaires, et pourraient ainsi gagner tous les nouveaux sièges accordés à l’Ouest. On comprend que le Parti Démocrate s’y oppose : « Plutôt que d’endurer plus longtemps ce jacobinisme, les États de l’Ouest peuvent bien supporter de voir leurs droits numériques rognés jusqu’en 1873 », conclut le journal [73].
88Mais pourquoi les Républicains du Nord-Est se priveraient-ils d’une si bonne affaire ? C’est que les rapports de pouvoir ne s’apprécient pas dans l’abstraction, mais à la lumière des enjeux concrets. Or, même si ces nouveaux représentants étaient tous des Républicains, ce seraient des Républicains de l’Ouest. Et ceux-ci sont bien décidés à faire valoir leurs intérêts économiques, qui divergent fortement de ceux défendus par leurs collègues du Nord-Est.
89Norman B. Judd, de Chicago, le déclare d’ailleurs sans ambages en déposant son amendement : ce sont ces problèmes, qui doivent se décider prochainement, qui poussent « l’Ouest, dont les intérêts économiques sont aussi importants que ceux de n’importe quelle portion de cette Union, (… ) [à] exige[r] que la redistribution des sièges se fasse le plus tôt possible » [74]. Ainsi, sur cette question, les oppositions entre sections sur les thèmes économiques, notamment les droits de douane et la circulation monétaire, prennent le pas sur une vision idéologique et partisane de la politique chez les Républicains.
90Finalement, en s’appuyant sur l’opposition systématique des Démocrates, les Républicains du Nord-Est sont capables de repousser autant que faire se peut la discussion de la redistribution des sièges. La proposition de Judd est enterrée, et un projet de loi ne revient en discussion en séance plénière qu’en décembre 1871. À ce moment-là, les débats se perdent en marchandages interminables, chacun cherchant à grappiller un siège de plus pour son État ou sa section. Charles W. Willard, du Vermont, va jusqu’à proposer un amendement à la loi de répartition trois mois seulement après son vote, afin de donner quatre sièges de plus à sa section (et quatre au Sud, pour seulement un supplémentaire pour l’Ouest).
91Ces débats n’ont rien d’anecdotique. Outre leur importance propre, en
effet, ils viennent exacerber des oppositions sectionnelles préexistantes, et leur
donner une force politique encore plus cruciale. Or, les Républicains du
Nord-Est jouant la montre, ces débats sur la redistribution des sièges s’étalent
sur les deux ans pendant lesquels sont aussi discutés les Enforcement Acts. Cette
concomitance ne peut qu’avoir des répercussions : difficile d’oublier les
contentieux, souvent passionnés, entre sections du Nord quand, soudain, on
retourne aux problèmes de la Reconstruction. Et la coïncidence est flagrante :
la redistribution surgit dans l’ordre du jour du Congrès en décembre 1869,
réapparaît en janvier 1870, puis de la mi-avril à la fin juin. Cela recouvre les
débats sur les deux premiers Enforcement Acts, dans la deuxième quinzaine de
mai et pendant tout le mois de juin respectivement. Les deux Enforcement Acts
suivants sont discutés en février et avril 1871. C’est précisément la période où
les « Membres de l’Ouest tentent de mettre à l’ordre du jour la redistribution
des sièges pour le 42e Congrès », mais n’arrivent pas à obtenir « le rapport
[nécessaire] du Comité judiciaire de la Chambre des représentants » [75]. Enfin,
si la loi définitive de la nouvelle répartition des sièges est votée à la fin janvier 1872, la loi qui l’amende – en augmentant la répartition de certains États
du Nord-Est et du Sud, au détriment de l’Ouest – est discutée pendant tout le
mois de mai, au moment même où le cinquième Enforcement Act se fraie un
chemin difficile (il est signé le 10 juin 1872).
92La coïncidence chronologique du recensement et de ses conséquences institutionnelles vient donc exacerber les oppositions préexistantes entre l’Ouest et le Nord-Est sur les problèmes économiques. Et c’est pour cela que l’étanchéité entre les débats sur ces problèmes et les discussions sur la Reconstruction, plus ou moins efficace auparavant [76], commence à se perdre. Une myriade d’indices montre cette porosité croissante. Ainsi Lyman Trumbull, sénateur de l’Illinois, rechigne face au radicalisme des clauses du troisième Enforcement Act, qui instaure le système de supervision des élections dans les grandes villes. Mais il s’en prend à ses collègues du Nord-Est au lieu de fustiger, comme on aurait pu s’y attendre, les Radicaux : « Il se peut qu’il y ait des fraudes (… ) à New York, à Philadelphie peut-être, et dans une ou deux autres villes, mais je suis convaincu que ce n’est pas là la situation générale du pays » [77]. Son opinion n’est pas partagée par ses collègues de l’Ouest, mais il est intéressant de voir comment son analyse, née de son conservatisme constitutionnel, se transforme en opposition sectionnelle. Inversement, les intérêts régionaux peuvent se nourrir de l’idéologie de la Reconstruction. Ainsi George W. McCrary, de l’Iowa, utilise-t-il le Quinzième Amendement pour affirmer la nécessité d’une redistribution immédiate des sièges de la Chambre des représentants. Lors du précédent recensement, seuls trois cinquièmes des esclaves ont été pris en compte pour calculer la représentation du Sud. Maintenant que le Quinzième Amendement a donné le droit de vote aux anciens esclaves, est-il juste de les priver pour deux ans encore d’une partie de leurs députés ? Pour ce Républicain de l’Ouest, il ne fait pas de doute que cela va à l’encontre de la Constitution [78].
93Les vives polémiques soulevées par le recensement servent donc de catalyseur aux questions politiques de 1870. Le résultat est une fusion partielle, au niveau législatif, de la Reconstruction d’une part, et des oppositions économiques entre Nord-Est et Ouest d’autre part. La donne politique a changé. Et c’est pour y répondre que les Républicains radicalisent leur approche de la Reconstruction, tout au moins dans la loi.
La « chemise ensanglantée » : stratégie et ironie
94Désormais, l’idéologie de l’unité qui préside à la Reconstruction est nécessaire au Parti Républicain pour éviter l’éclatement. Son implosion sur une ligne sectionnelle, provoquée par les questions de droits de douane et de circulation monétaire chauffées à blanc, est un risque pris très au sérieux. Lyman Trumbull, un « éléphant » du parti, l’évoque dans sa correspondance [79]. Le Chicago Republican, dont la ligne éditoriale est très fidèle au parti, n’hésite pas à prédire un réalignement politique. « Les libre-échangistes et les protectionnistes sont comme l’huile et l’eau, on ne peut les forcer à se mélanger; ils doivent et vont se séparer ». « Quand la question de la protection de l’industrie nationale surpassera toutes les autres dans l’arène politique et s’imposera comme un problème central, cet élément libre-échangiste se cherchera très naturellement d’autres affiliations partisanes. Et ce jour n’est apparemment pas si loin » [80].
95Une telle recomposition serait particulièrement néfaste pour le Parti Républicain dans son ensemble, mais c’est surtout sa branche du Nord-Est qui en souffrirait. En effet, jusqu’ici, en tant que groupe le plus important du parti dominant à Washington, celle-ci a pu imposer une politique économique conforme aux intérêts qu’elle défend. C’est au moins la vision qu’elle a et qu’elle donne. La montée démographique de l’Ouest s’ajoute à la progression électorale des Démocrates pour menacer cette position dominante : les Républicains de l’Ouest vont devenir le premier groupe Républicain en nombre, alors que les Démocrates du Sud opèrent un retour en force. Or Ouest et Sud n’ont plus peur de professer leurs intérêts communs, si ce n’est encore que dans la rhétorique. Jusqu’ici, l’idéologie de la Reconstruction empêchait l’Ouest de faire front, sur une ligne sectionnelle et non partisane, avec le Sud face au Nord-Est pour avancer ses intérêts. Cette perspective ne lui fait apparemment plus peur, même si on n’en est encore qu’aux mots.
96L’évolution du Chicago Tribune, journal Républicain, est révélatrice à cet égard : si au début de la Reconstruction il refuse « de confier la garde des intérêts de la nation à ceux qui ne lui sont pas loyaux », en 1871 il oppose d’un même élan « les Républicains de l’Ouest comme du Sud » à leurs collègues du Nord-Est [81].
97L’évolution des priorités sectionnelles menace donc le parti d’éclatement, une perspective particulièrement dangereuse pour les Républicains du Nord-Est. Face à cela, seule la Reconstruction est à même de servir « d’antidote émotionnel aux forces centrifuges du parti » [82]. Les bénéfices politiques de l’utilisation idéologique de la Reconstruction comme thème de campagne sont déjà bien connus des Républicains : ainsi, lors des scrutins, ils rappellent souvent à leurs électeurs du Nord que leurs fils n’ont pas versé leur sang pour que le pouvoir revienne aux rebelles, c’est-à-dire aux Démocrates. Cette tactique dite de la « chemise ensanglantée », qui symbolise le poids émotif des morts et blessés de la guerre en politique, va servir de modèle à une tentative de consolidation de l’unité interne du parti. À un moment où les oppositions sectionnelles menacent le parti d’éclatement, les Enforcement Acts sont donc mis à contribution pour le ressouder sur une base idéologique. Les votes finaux de ces lois montrent un alignement partisan quasiment parfait, et ce même sur le deuxième Enforcement Act [83], qui opposait vivement Républicains de l’Ouest et du Nord-Est sur la question des naturalisations.
98Ainsi la Reconstruction est un thème politique nécessaire à l’unité du Parti Républicain fondée sur l’idéologie. De même que sur un plan national, la Reconstruction vise à rétablir l’unité politique du pays, elle reste le seul sujet capable de souder le Parti Républicain, au-delà des divergences de vues.
99Cependant, après le Quinzième Amendement, poursuivre la Reconstruction nécessite une radicalisation de la base constitutionnelle de cette politique. En effet, jusqu’ici, l’interprétation de la Constitution sur laquelle les Républicains ont fondé leur législation est très conservatrice. Si les Radicaux, le groupe le plus activiste dans le parti, sont partisans d’un renforcement du pouvoir fédéral face aux États, ils ne peuvent voter aucune loi sans l’appui des Modérés. Or ceux-ci tiennent absolument à garder l’équilibre constitutionnel entre gouvernement fédéral et États qui prévalait avant-guerre. Toute la législation de la Reconstruction est donc justifiée par les « pouvoirs de guerre »:Washington ne peut imposer sa volonté au Sud que tant qu’on est dans le prolongement du conflit et ses conséquences. Mais une fois que le gouvernement aura reconnu la restauration des États du Sud ceux-ci jouiront des mêmes relations avec lui qu’avant la guerre. C’est d’ailleurs précisément parce que le Congrès perdra son pouvoir sur ces « territoires » une fois qu’ils seront réadmis comme États qu’on doit veiller tout particulièrement à ce qu’ils retiennent bien la leçon. En somme, comme les Modérés s’accrochent à une vision d’avant-guerre de la Constitution, où les droits des États sont étendus et puissants face à ceux du gouvernement fédéral, il leur faut faire accepter les changements apportés par la guerre avant que les anciens États confédérés ne redeviennent États de l’Union de plein droit. Après, il sera trop tard pour forcer ces États à faire quoi que ce soit qui relève de leur domaine exclusif [84].
100Or, en 1870, quasiment tous les États sécessionnistes ont été réadmis dans l’Union avec toutes les qualités afférentes à un État de plein droit. Cela signifie que la base constitutionnelle sur laquelle les Républicains ont construit la législation de la Reconstruction n’est plus valide. Il leur faut choisir entre arrêter de légiférer, ou trouver une autre justification constitutionnelle à l’action du Congrès. Ce n’est qu’à ce moment que beaucoup de Républicains réalisent enfin la faiblesse essentielle de leur politique : la docilité des États du Sud était plus apparente que réelle. Livrés à eux-mêmes, les Démocrates du Sud n’ont qu’une hâte : défaire la Reconstruction. Il faut donc poursuivre.
101Mais dans ce dessein, il faut recourir à une expansion de l’autorité nationale bien plus grande qu’envisagée auparavant, puisque la justification de l’action du Congrès par les pouvoirs de guerre n’est plus valable [85]. La stratégie constitutionnelle des Modérés ayant conduit à une impasse, les Républicains doivent se rallier à la théorie prônée par les Radicaux, celle dite de la « clause de la Garantie ». Cette vision s’appuie sur la section 4 de l’article 4 de la Constitution, jusqu’ici peu utilisée : « Les États-Unis garantiront à chaque État de cette Union une forme républicaine de gouvernement. (… )» [86] Pour les Radicaux, cette clause justifie un droit d’intervention permanente du gouvernement fédéral dans les États « dans le but d’y assurer et protéger la liberté » [87].
102Jusque-là, les Modérés ont refusé une telle interprétation, parce qu’elle induisait un renforcement permanent du pouvoir central, un changement d’équilibredans le fédéralisme jugé dangereux. Mais c’est la seule base constitutionnelle qui leur reste pour pouvoir continuer la Reconstruction. Or continuer la Reconstruction est nécessaire non seulement pour la réussir, c’est-à-dire suffisamment réformer le Sud pour s’assurer qu’il ne fasse plus jamais sécession, mais surtout pour maintenir l’unité du Parti Républicain, menacé d’implosion sur des querelles sectionnelles. C’est en cela que l’irruption de l’Ouest dans l’équation de la Reconstruction est importante : le danger de rupture interne du parti qu’elle apporte favorise, in fine, une radicalisation des bases constitutionnelles de la Reconstruction. Le vote des Enforcement Acts est nécessaire car il permet de mobiliser idéologiquement les Républicains afin de les unir dans un but commun. Pour cela, les Modérés acceptent une concession de taille : bousculer les limites du changement constitutionnel.
103C’est en effet la première fois que le gouvernement central fait de la violence contre les droits civils et politiques un crime fédéral, « augment[ant] ainsi [son] pouvoir, et mettant sous sa coupe un type de cas sur lequel il n’avait jusque-là pas la moindre juridiction » [88]. Alors que, selon l’interprétation ordinaire de la Constitution, Washington ne peut traiter qu’avec les États, le Congrès innove et vote des lois qui traitent directement des individus. Une démarche hardie pour des hommes ayant fait preuve d’un tel conservatisme constitutionnel jusque-là.
104Ainsi, les Républicains ont utilisé les Enforcement Acts afin de ressouder, par l’idéologie, un parti menacé d’éclatement sur la base d’intérêts économiques sectionnels divergents. Pour ce faire, ils acceptent de rallier une interprétation plus radicale de la Constitution. À court terme, la tactique fonctionne, et les votes finaux des Enforcement Acts se font sur une ligne strictement partisane, les Républicains pour et les Démocrates contre. À moyen terme, cependant, la manœuvre fait boomerang. Ironiquement, la technique de panser des divisions d’intérêts par l’idéologie crée, très vite, une division idéologique du parti !
105Cette rupture prend la forme, dans l’année 1871, du mouvement Libéral-Républicain. Celui-ci rassemble essentiellement des membres du Parti Républicain en rupture de ban, pour qui les Enforcement Acts sont beaucoup trop radicaux, car d’après eux, ils « détruisent, pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, la frontière constitutionnelle fondamentale entre la juridiction des États et celle du gouvernement général ». Les Libéraux s’emportent surtout contre la possibilité que le quatrième Enforcement Act donne au Président de déclarer la loi martiale à sa seule discrétion. C’est, disent-ils, lui donner « des pouvoirs équivalents à ceux du tsar de Russie ». Le problème, c’est que ces dispositions s’appliquent aussi bien en Ohio et en Illinois qu’en Alabama et au Texas. Pour les Libéraux, il est plus important que les garanties constitutionnelles du Nord soient préservées plutôt que la Reconstruction menée à bien [89].
106La révolte Libérale tire donc en partie son origine d’un rejet du radicalisme constitutionnel que les Enforcement Acts impriment à la Reconstruction.
107Toutefois il ne s’agit pas de la réédition de la dichotomie entre Radicaux et Modérés. En effet, l’utilisation de l’idéologie afin de maintenir l’unité du parti souligne le glissement à l’intérieur du parti d’un mode politique idéologique à un mode organisationnel. Les débats ne se font plus entre Radicaux et Modérés sur des questions idéologiques, mais concernent essentiellement le maintien du parti au pouvoir. Désormais, c’est l’organisation elle-même, et non plus les enjeux politiques qui en ont justifié la création, qui commande la plus grande loyauté des Républicains [90]. En somme, pour les Libéraux, en utilisant l’idéologie de la Reconstruction à des fins cyniques – maintenir l’unité du parti – les Républicains (avec qui ils ont rompu) ont trahi cette même idéologie, puisqu’ils ont abandonné le principe de conservatisme constitutionnel qui jusque-là sous-tendait la législation qu’ils adoptaient. On a donc l’effet ironique d’une rupture idéologique provoquée par l’utilisation de l’idéologie pour maintenir l’unité du parti.
108Au point de vue électoral, le parti Libéral-Républicain fait figure de tempête dans un verre d’eau. Malgré son alliance avec les Démocrates, il subit un cuisant échec aux élections de 1872, auquel il ne survit pas. Il n’est jamais devenu un parti populaire, mais a simplement servi de mode d’expression à une variété de besoins politiques, dont le mécontentement idéologique décrit plus haut [91]. Toutefois, les conséquences politiques de cette révolte vont bien au-delà de ce constat. D’abord, pour désamorcer la menace électorale qu’elle constitue, les Républicains ont voté l’amnistie envers les anciens cadres de la Confédération, leur rendant leurs droits civiques temporairement suspendus par le Quatorzième Amendement. À moyen terme, cela permet à ces dirigeants de la sécession de rejouer un rôle politique éminent, ce qui renforce l’opposition à la Reconstruction [92]. Mais surtout, la révolte Libérale remet la Reconstruction dans des cadres idéologiques étroits. Les Républicains ont compris la leçon, et désormais retournent à une vision conservatrice de la Constitution, qui reprend peu ou prou l’équilibre entre États et gouvernement fédéral qui prévalait avant-guerre. Les chances d’une législation efficace pour la Reconstruction s’en trouvent alors sérieusement affaiblies : seules des mesures prudentes, voire timorées, peuvent être adoptées, une position tout à fait inadéquate à la situation.
NATIONALISER L’HISTOIRE DE LA RECONSTRUCTION
109Les Enforcement Acts permettent donc de comprendre quel rôle joue l’intrusion de l’Ouest, en tant qu’entité propre, dans l’équation de la Reconstruction. Parce que l’unité américaine ne peut être soudée que par un attachement commun à la Constitution (et à une lecture raisonnablement similaire de ce texte), et parce qu’on retrouve au cœur de la Constitution une exigence de gouvernement local autonome, les différences régionales, sectionnelles, se retrouvent au centre de la problématique de la Reconstruction. Or, le Nord et le Sud ne sont plus face-à-face, car deux sections se distinguent de plus en plus nettement au nord : le Nord-Est et l’Ouest. Leur opposition sur les grandes questions économiques du jour, le protectionnisme et la circulation monétaire, exacerbée par la coïncidence du recensement et de la redistribution des sièges de la Chambre des représentants, vient ajouter un axe politique estouest à l’axe nord-sud traditionnellement suivi pour analyser la Reconstruction. Les conséquences sont à deux niveaux : sur le plan idéologique, la Reconstruction – en soi un effort d’unification nationale – est utilisée pour ressouder les deux sections du Nord; sur un plan de stratégie politique, les Enforcement Acts sont utilisés afin de faire contrepoids aux effets centrifuges des questions économiques. Ironiquement, c’est cette utilisation de l’idéologie pour remédier aux divisions sectionnelles qui précipite une rupture idéologique (non géographique dans son essence).
110Paradoxalement, c’est précisément le caractère secondaire des Enforcement Acts qui permet de dévoiler ces mécanismes. Un amendement à la Constitution est un enjeu bien plus important, ce qui impose plus l’unité idéologique, et proscrit d’être trop radical (il faut obtenir la ratification des trois quarts des États). Une loi est plus facile à faire passer, et si l’on excepte le veto présidentiel, le Congrès en est seul responsable. Elle crée institutionnellement et politiquement moins de contraintes, ce qui permet de faire intervenir d’autres considérations plus ouvertement, mais ce qui oblige aussi à être plus radical pour obtenir le même type de cohésion idéologique.
111Ces conclusions ouvrent trois pistes de réflexion. La première concerne le moment en politique : les Enforcement Acts, bien que secondaires par rapport aux grands amendements célèbres, sont un point clé de la Reconstruction, en ce qu’ils incarnent l’option radicale, et sa fermeture abrupte [93]. Cette étude entendait montrer pourquoi ces lois devenaient possibles précisément à ce moment-là, et comment leurs effets faisaient obstacle à la poursuite d’une politique de la Reconstruction constitutionnellement radicale. La seconde piste touche à la nationalisation des analyses : l’histoire américaine de cette période a besoin qu’on l’étudie dans son envergure nationale, mais enrichie de ses dimensions régionales. La dialectique entre les niveaux locaux et national est probablement un enjeu qui se pose pour l’histoire de nombreux pays, mais elle est cruciale dans le cas américain. Enfin, cette étude montre le rôle nodal que peut prendre le politique : en transformant les questions économiques en problèmes sectionnels, le prisme institutionnel a permis l’entrecroisement d’enjeux a priori disjoints. Les conséquences politiques, économiques et sociales de l’imbrication des problèmes économiques sectionnels et de ceux de la Reconstruction doivent encore être étudiées en détail. Mais l’impact social du mouvement populiste à la fin du XIXe siècle, d’une part, et celui de l’échec de la Reconstruction et de ses suites, la ségrégation, d’autre part, sont les indices de l’importance de telles recherches.
Notes
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[1]
La liste des personnes que je souhaite remercier pour leur aide précieuse dans l’écriture de cet article est trop longue pour une note si brève. Qu’il me soit donc permis de ne mentionner ici que trois d’entre elles : Olivier Zunz et Michael Holt, de l’Université de Virginie, et Gilles Pécout, de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm.
-
[2]
William GILLETTE, Retreat from Reconstruction, 1869-1879, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1979, p. XIII. Il existe d’autres définitions, adjacentes, de la Reconstruction, mais celle-ci est la plus satisfaisante.
-
[3]
Éric FONER, Reconstruction : America’s Unfinished Revolution, 1863-1876, New York, Harper & Row, 1988. Michael PERMAN, « Eric Foner’s Reconstruction : A Finished Revolution », Reviews in American History, vol. 17, n° 1,1989, p. 73-78, montre combien la synthèse d’Éric Foner clôt un certain type d’approche historiographique de la Reconstruction.
-
[4]
Tangi VILLERBU, « L’historiographie de l’Ouest américain : un bilan », Bulletin du CENA, mars 2000, p. 47-76.
-
[5]
William FAULKNER, Absalom, Absalom ( 1936), in William Faulkner, Novels 1936-1940, New York, Viking, The Library of America, 1990, p. 6.
-
[6]
Richard F. BENSEL, Sectionalism and American Political Development, 1880-1980, Madison, University of Wisconsin Press, 1984, p. 3-21.
-
[7]
William FAULKNER, Requiem for a Nun ( 1951), in William Faulkner, Novels 1942-1954, New York, Viking, The Library of America, 1994, p. 696.
-
[8]
Edward L. AYERS, « What We Talk About When We Talk About the South », in Edward L. AYERS et al., All Over the Map : Rethinking American Regions, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1996, p. 62-82. Excellent exemple de la manière dont un historien du Sud part de questionnements très contemporains sur « ce qu’est le Sud » pour fonder son enquête historique.
-
[9]
Claude FOHLEN, Jean HEFFER et François WEIL, Canada et États-Unis depuis 1770, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Nouvelle Clio, 1997, p. 449-466; T. VILLERBU, art. cit.
-
[10]
David Herbert DONALD, Liberty and Union, Boston, Little, Brown & Co., 1978, p. 215.
-
[11]
Dans cet article, « Républicain » et « Démocrate » portent une majuscule, même quand il s’agit d’adjectifs, si le sens renvoie aux deux partis politiques en présence. Les mêmes mots avec des minuscules renvoient aux concepts généraux de démocratie et de républicanisme. Cette dernière notion est entendue, dans ce contexte, comme un attachement aux formes institutionnelles créées par la Constitution (cf. Gordon S. WOOD, La création de la république américaine, Paris, Belin, [ 1969] 1991).
-
[12]
Herman BELZ, Emancipation and Equal Rights : Politics and Constitutionalism in the Civil War Era, New York, Norton, 1978.
-
[13]
G. WOOD, op. cit.; Bernard BAILYN, The Ideological Origins of the American Revolution, 2e éd., Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1992. Michael F. HOLT, The Political Crisis of the 1850s, New York, Norton, 1978.
-
[14]
H. BELZ, op. cit.
-
[15]
Éric FONER, Free Soil, Free Labor, Free Men : the Ideology of the Republican Party before the Civil War, New York, Oxford University Press, 1970.
-
[16]
M. HOLT, op. cit.
-
[17]
Donald MEINIG, The Shaping of America : A Geographical Perspective on 500 Years of History, vol. 2 : Continental America, 1800-1867, New Haven, Yale University Press, 1993, p. 425.
-
[18]
Allan G. BOGUE, « Senators, Sectionalism, and the “Western” Measures of the Republican Party » in Joel H. SILBEY, dir., The United States Congress in a Partisan Political Nation, 1841-1896, vol. 2, The Congress of the United States Series, Brooklyn, Carlson Publishing, 1991, p. 469-489.
-
[19]
Voir par exemple Chicago Republican ( 6 et 16 mai, 8 juin 1870).
-
[20]
E. FONER, Reconstruction…, op. cit., p. 379.
-
[21]
Morton KELLER, Affairs of State : Public Life in Late Nineteenth Century America, Cambridge, Mass., The Belknap Press of Harvard University Press, 1977, p 195.
-
[22]
Stanley LEBERGOTT, The Americans :An Economic Record, New York, Norton, 1984, p. 298-301.
-
[23]
M. KELLER, op. cit., p. 191-196.
-
[24]
R. BENSEL, Yankee Leviathan…, op. cit., p. 293-297.
-
[25]
L’affirmation est à nuancer selon les branches d’activité, mais l’affirmation générale reste vraie.
-
[26]
R. BENSEL, Yankee Leviathan…, op. cit., p. 268-274.
-
[27]
S. LEBERGOTT, op. cit., p. 298
-
[28]
J. Richard PIPER, « Party Realignment and Congressional Change : Issue Dimensions and Priorities in the United States House of Representatives, 1871-1893 », in Joel H. SILBEY (dir.), The United States Congress : the Electoral Connection, 1789-1989, vol. 1, in The Congress of the United States Series, Brooklyn, Carlson Publishing, 1991, p. 471-472. Ce n’est pas une vision a posteriori. La situation est vécue comme sectionnelle au Congrès. Par exemple, James A. Garfield, une figure importante du Parti Républicain, s’exprime ainsi à la Chambre des représentants : « au moins cinquante des cinquante-sept représentants des États qui s’étendent à l’ouest de l’Ohio, au nord de l’Arkansas, et à l’est des Rocheuses, (… ) sont favorables à une réduction des droits de douane. » Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 1er avril 1870), p. 272, cité dans Laverne K. BOWERSOX, The Reconstruction of the Republican Party in the West, 1865-1870, thèse de doctorat, Ohio State University, 1931, p. 180.
-
[29]
Je laisse ces termes en anglais, faute de traduction satisfaisante. Le sens technique d’enforcement signifie « application ». Mais le français « Lois d’application », par analogie avec les décrets d’application, ne véhicule pas l’idée de force, de forcer, que contient le mot anglais.
-
[30]
Cité dans Xi WANG, « The Making of Federal Enforcement Laws, 1870-1872 », Chicago-Kent Law Review, vol. 70, n° 3,1995, p. 1019.
-
[31]
E. FONER, Reconstruction…, op. cit., p. 425-444; W. GILLETTE, op. cit., p. 28.
-
[32]
La Virginie, le Tennessee et la Géorgie; l’Alabama, la Caroline du Nord et la Floride partiellement.
-
[33]
E. FONER, Reconstruction…, op. cit., p. 421-424; Edward L. AYERS, The Promise of the New South : Life after Reconstruction, New York, Oxford University Press, 1992, p. 146-149.
-
[34]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 20 mai 1870), p. 3668.
-
[35]
William D. Kelley, Membre Républicain du Congrès, in National Anti-Slavery Standard ( 30 mai 1868), cité in W. GILLETTE, op. cit., p. 19.
-
[36]
Les chiffres sont obtenus d’après Kenneth C. MARTIS, The Historical Atlas of Political Parties in the United States Congress, 1789-1989, New York, Macmillan Pub. Co., 1989; Stanley B. PARSONS, William W. BEACH et Michael J. DUBIN, United States Congressional Districts and Data, 1843-1883, New York, Greenwood Press, 1986; U.S. Congress, Congressional Globe, 40e au 42e Congrès, 1867-1873, Washington, Blair and Rives.
-
[37]
M. HOLT, op. cit., p. 183-217.
-
[38]
X. WANG, art. cit., p. 1047.
-
[39]
Cf. note 37.
-
[40]
Alexander B. CALLOW Jr., The Tweed Ring, New York, Oxford University Press, 1965; Martin SHEFTER, « The Emergence of the Political Machine : An Alternative View », in Willis D. HAWLEY et al., Theoretical Perspectives on Urban Politics, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, Inc., 1976; François WEIL, Histoire de New York, Paris, Fayard, 2000, p. 133-134.
-
[41]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 25 mai et 9 juin 1870), p. 3808,4270.
-
[42]
Albie BURKE, « Federal Regulation of Congressional Elections in Northern Cities, 1871-1894 », American Journal of Legal History, vol. 14,1970, p. 21-23.
-
[43]
Chicago Republican ( 17 juillet 1870).
-
[44]
Loi du 31 mai 1870, ch. 114, Stat. 16, p. 140 (An Act to enforce the Right of Citizens of the United States to vote in the several States of this Union, and for other Purposes).
-
[45]
W. GILLETTE, op. cit., p. 25-185.
-
[46]
Loi du 20 avril 1871, ch. 22, Stat. 17, p. 13 (An Act to enforce the Provisions of the Fourteenth Amendment to the Constitution of the United States, and for other Purposes).
-
[47]
Loi du 28 février 1871, ch. 99, Stat. 16, p. 433 (An Act to amend an Act approved May thirty-one, eighteen hundred and seventy, entitled « An Act to enforce the Rights of Citizens of the United States to vote in the several States of this Union, and for other Purposes »).
-
[48]
Loi du 10 juin 1872, ch. 415, Stat. 17, p. 847 (An Act making Appropriations for sundry civil Expenses of the Government for the fiscal Year ending June thirtieth, eighteen hundred and seventy-three, and for other Purposes).
-
[49]
E. FONER, Reconstruction…, op. cit., p. 454-455.
-
[50]
De fait, cette loi n’a été que peu efficace, étant donné l’application très aléatoire, et inconstante, qu’en fait Ulysses S. Grant depuis la Maison Blanche (cf. W. GILLETTE, op. cit. ). Mais la rareté de ses applications concrètes ne doit pas cacher le caractère radical, sans précédent, de ce texte.
-
[51]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 9 juin 1870), p. 4269.
-
[52]
Ibid., p. 4274.
-
[53]
Chicago Republican ( 27 mai 1870).
-
[54]
Francis A. WALKER, éd., The Statistics of the Population of the United States, Embracing the Tables of Race, Nationality, Sex, Selected Ages, and Occupations. To Which Are Added the Statistics of School Attendance and Illiteracy, of Schools, Libraries, Newspapers and Periodicals, Churches, Pauperism and Crime, and of Areas, Families, and Dwellings. Compiled, from the Original Returns of the Ninth Census (June 1, 1870) under the Direction of the Secretary of the Interior, Washington, Government Printing Office, 1875.
-
[55]
Stephan THERNSTROM (dir.), Harvard Encyclopedia of American Ethnic Groups, Cambridge, Belknap Press, 1980, p. 530-531.
-
[56]
K. MARTIS, op. cit.
-
[57]
Donald B. DODD, Historical Statistics of the States of the United States : Two Centuries of the Census, Wesport, Greenwood Press, 1993.
-
[58]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 9 juin et 2 juillet 1870), p. 4284,5123.
-
[59]
L. BOWERSOX, op. cit., p. 215.
-
[60]
Oliver P. Morton, sénateur Républicain de l’Indiana, in Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 2 juillet 1870), p. 5115.
-
[61]
S. THERNSTROM, op. cit.
-
[62]
Jon GJERDE, The Minds of the West : Ethnocultural Evolution in Rural Middle West, 1830-1917, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1997, p. 240-249.
-
[63]
Ibid., p. 309.
-
[64]
Paul KLEPPNER, The Cross of Culture : A Social Analysis of Midwestern Politics, 1850-1900, New York, Free Press, 1970.
-
[65]
Ibid.
-
[66]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 9 juin 1870), p. 4282.
-
[67]
Loi du 14 juillet 1870, ch. 254, Stat. 16, p. 254 (An Act to amend the Naturalization Laws and to punish Crimes against the same, and for other Purposes).
-
[68]
A. BOGUE, art. cit.
-
[69]
F. WALKER, op. cit.
-
[70]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 17 janvier 1870 et 13 décembre 1869), p. 525,105.
-
[71]
Article premier, section 2, de la Constitution.
-
[72]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 23 juin 1870), p. 4746-4747.
-
[73]
Chicago Times ( 25 juin 1870).
-
[74]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 17 janvier 1870), p. 525.
-
[75]
Chicago Tribune ( 8 et 12 février 1871).
-
[76]
A. BOGUE, art. cit., p. 469-489.
-
[77]
Congressional Globe, 41e Congrès, 3e Session ( 24 février 1871), p. 1640.
-
[78]
Ibid., 41e Congrès, 2e Session ( 17 janvier 1870), p. 532.
-
[79]
Ralph T. ROSKE, His Own Counsel :The Life and Times of Lyman Trumbull, Reno, University of Nevada Press, 1979.
-
[80]
Chicago Republican ( 6 et 16 mai, 8 juin 1870).
-
[81]
L. BOWERSOX, op. cit.; Chicago Tribune ( 16 février 1871).
-
[82]
M. KELLER, op. cit., p. 252.
-
[83]
Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 13 juin et 4 juillet 1870), p. 4368,5177.
-
[84]
Michael Les BENEDICT, « Preserving the Constitution : the Conservative Basis of Radical Reconstruction », Journal of American History, n° 61 ( 1974), p. 70-71.
-
[85]
Ibid., p. 84-88.
-
[86]
Traduction de John CHARPENTIER, in James M. BECK, La Constitution des États-Unis, Paris, Armand Colin, 1923, p. 243.
-
[87]
John Pool, sénateur Républicain de Caroline du Nord, in Congressional Globe, 41e Congrès, 2e Session ( 19 mai 1870), p. 3611.
-
[88]
Nation ( 23 mars 1871), in FONER, Reconstruction, p. 455.
-
[89]
Chicago Tribune ( 2 et 10 avril 1871).
-
[90]
E. FONER, Reconstruction…, op. cit., p. 484-485.
-
[91]
M. KELLER, op. cit., p. 238-283.
-
[92]
W. GILLETTE, op. cit., p. 72.
-
[93]
À lire Stephen SKOWRONEK ( Building a New American State : The Expansion of National Administrative Capacities, 1877-1920, Cambridge, Cambridge University Press, 1982), la Reconstruction est à considérer comme une parenthèse dans la construction de l’État américain. Bien que cette position soit à mon sens contestable, il est probablement facile d’oublier le caractère radical de certaines lois de la Reconstruction à cause du hiatus entre leurs potentialités et leur application. Doit-on y voir un indice d’une utilisation politique d’une rhétorique radicale, qui ne serait pas suivie d’effets ?