Couverture de RHLF_151

Article de revue

In memoriam. Rita Schober (1918-2012)

Pages 257 à 258

1 Rita Schober vient de disparaître à l’âge de 94 ans. Comme pour toutes les grandes personnalités, on peut apprécier diversement son action et ses travaux. Mais il demeure un point incontestable : Rita Schober fut la médiatrice principale de Zola en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale. Elle avait été l’assistante de Victor Klemperer, puis elle lui succéda en tant que professeur de romanistique à l’Université Humboldt de Berlin de 1954 à 1978. À partir de 1952, elle dirigea la retraduction en allemand des Rougon-Macquart pour la RDA. En 1974, la RFA – qui jusqu’alors ne s’intéressait guère à Zola – acheta cette édition. Tant dans ses postfaces que dans ses articles, Rita Schober a couvert de nombreux aspects de l’œuvre du maître de Médan. Les zoliens qui la connaissaient attestent de la valeur de ses travaux, accomplis dans une optique marxiste mais qui s’accompagnait d’un positivisme textologique sans égal. Tous, ils ont rencontré ou entendu parler de cette « grande dame » de la romanistique allemande, à l’élégance légendaire.

2 La Seconde Guerre mondiale avait perturbé ses études à l’Université allemande de Prague. Âgée de 31 ans au moment de la naissance de la RDA, elle put faire toute sa carrière dans ce pays nouveau et lui en était reconnaissante, car en tant qu’Allemande des Sudètes, elle y avait trouvé une nouvelle Heimat. Les journaux de Victor Klemperer nous renseignent sur la profonde amitié qui unit cet intellectuel persécuté sous le nazisme (l’auteur de LTI) et son assistante ; c’est un témoignage de leurs doutes et souvent de leur lucidité concernant certains aspects de la politique culturelle et universitaire de leur pays d’adoption. Rita Schober ne renseigna jamais la Stasi et fut même probablement surveillée dans les années 1970 pour sa liberté de jugement et ses contacts internationaux. Cela ne l’empêcha pas de représenter la RDA auprès de l’Unesco avec un panache dont se souviennent beaucoup de diplomates.

3 Son action pour le maintien de sa discipline en RDA fut déterminante. Elle parvint, malgré les réformes, à préserver une véritable romanistique à la Humboldt, et à partir de 1961, elle fonda et codirigea la seule revue de romanistique dans ce pays. Elle prit en main la revalorisation de Zola, qui avait été relégué derrière Balzac par Engels puis par le pape de la théorie littéraire marxiste : György Lukács. L’angle adopté par Rita Schober pour la revalorisation n’est pas celui du « romancier du prolétariat ». Cette dimension est certes présente, surtout au début, et implicitement dans la préférence donnée à Germinal. Mais rapidement, Rita Schober développe d’autres stratégies et porte sa réflexion à un niveau plus théorique. Elle exprime une réserve constante à l’égard de la vision du monde zolienne, en particulier de son biologisme. Jusqu’en 1989, sa réception reste idéologique, puisque les défauts de Zola résultent de divergences avec la « réalité objective » des marxistes.

4 Après la réunification, son approche se caractérise encore par un refus de considérer une œuvre en dehors de toute attache extérieure. Elle a été la première universitaire allemande à prendre au sérieux Michel Houellebecq, ce qui n’était pas du goût de tous ses collègues. Pour autant, Rita Schober n’oubliait pas Zola auquel elle consacrait des articles qu’elle n’avait pas pu écrire auparavant, dirigeant également une édition des Rougon-Macquart en CD-Rom. Sur le plan académique, elle se singularisait par sa capacité d’autocritique. Dès 1993, à l’occasion d’un colloque consacré au centenaire des Rougon-Macquart, elle revenait sur ses travaux zoliens, en montrait les coulisses, soulignait ses erreurs, expliquait ses interprétations de l’époque, mais défendait aussi ses idées.

5 Rita Schober fut membre de l’Académie est-allemande des sciences de RDA (puis de la Leibniz-Sozietät), du PEN-Club, de l’Association internationale de Littérature comparée et active dans ses comités de direction (1970-1988). Elle était aussi correspondante de la SHLF. Durant sa carrière, plusieurs fonctions et titres honorifiques lui furent décernés (en 1978, elle devint Chevalier dans l’Ordre des palmes académiques). Le titre de docteur honoris causa de l’Université Humboldt lui fut décerné en 1988, dix ans après son éméritat.

6 Dans le cadre de ma thèse de doctorat sur la réception de Zola en France et en Allemagne, je l’avais rencontrée pour la première fois en 2001, quelques jours après le 11 septembre. Pendant toutes les années où j’ai pu la côtoyer, j’ai été impressionnée par sa force de travail, par son appétit de vivre, d’apprendre et de transmettre, par sa générosité et son courage.


Date de mise en ligne : 06/03/2015.

https://doi.org/10.3917/rhlf.151.0257
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