De prime abord, parler de la « jeunesse » de Flaubert semble aller de soi, puisque, comme tout le monde, Flaubert a été jeune. Mais dès qu’on considère cela d’un peu plus près, force est de constater que la notion de « jeunesse » n’est pas si simple à employer, surtout à propos des écrivains. En tant qu’âge de la vie, la jeunesse est d’abord un passage dont les limites et la définition varient selon les contextes historiques, culturels et sociaux. De l’Ancien Régime à la génération d’après Mai 68, de la famille aristocratique à la famille ouvrière, on ne passe pas la même jeunesse. De plus, au dix-neuvième siècle, où la juvénilité est consacrée comme une force créatrice, mais où, en même temps, le dispositif le plus systématique d’encadrement moral et institutionnel est mis en place aussi bien dans la famille que dans l’enseignement, les écrivains poursuivent souvent une trajectoire indépendante du processus proposé par la société bourgeoise. Rimbaud écrit son chef-d’œuvre à l’âge de seize ans, quitte définitivement la littérature à vingt ans, et meurt à trente-sept ans, sans laisser aucune œuvre pendant ses dix-sept dernières années. En revanche, c’est à l’âge de trente-cinq ans que Flaubert publie son premier roman. Après la crise de 1844, il abandonne ses études de droit, refuse de prendre un état social et ne publie rien avant 1856. Cependant, ses amis continuent de tracer leur trajectoire chacun à sa manière. Ernest Chevalier poursuit d’une manière exemplaire son insertion dans la société…