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Article de revue

La responsabilité pénale de l'écrivain au prisme des procès littéraires (France, xixe-xxe siècles)

Pages 249 à 269

Notes

  • [1]
    Cet article, tiré d’une conférence prononcée à la Cour de cassation le 4 octobre 2012, synthétise les résultats d’une recherche de longue haleine publiée sous le titre La Responsabilité de l’écrivain. Littérature, droit et morale en France xixe-xxie siècles, Paris, Seuil, 2011.
  • [2]
    Comme l’a montré Michel Foucault, la responsabilité pénale de l’auteur a joué un rôle déterminant, depuis l’édit de Châteaubriant de 1551 imposant l’apposition du nom de l’auteur et de l’imprimeur sur toute publication, dans l’émergence de la « fonction auteur » et donc de la figure de l’écrivain moderne. La revendication de la propriété littéraire est apparue plus tardivement et n’a été reconnue qu’en 1777. M. Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? » (1969), Dits et Écrits, t. I, 1954-1988, Paris, Gallimard, 1994, p. 789-820.
  • [3]
    P. Fauconnet, La Responsabilité. Étude de sociologie, Paris, Librairie Félix Alcan, 1920, p. 4.
  • [4]
    Pour Fauconnet, qui ne traite de ce point qu’occasionnellement, sans l’inscrire dans la législation sur la presse, cette substitution permanente du responsable secondaire, le gérant, aux rédacteurs qui commettent des délits de presse est un exemple de « fiction juridique » faisant exception dans le droit pénal laïque, qui n’autorise jamais la substitution de patients en principe ; P. Fauconnet, ibid., p. 172. Voir sur ce point M. Dury, La Censure. La Prédication silencieuse, Paris, Publisud, 1995, p. 129 sqq. Mais on peut soutenir au contraire que, dans la mesure où la responsabilité est attachée à la publication de l’écrit coupable, le gérant n’apparaît pas comme un responsable indirect.
  • [5]
    Voir L.-R.-B. Maiseau, Manuel de la liberté de la presse. Analyse des discussions législatives sur les trois lois relatives à la presse et aux journaux et écrits périodiques, Paris, Pillet aîné, 1819.
  • [6]
    Plaidoirie de Me Berville, « Procès de Paul-Louis Courier » [1821], in P.-L. Courier, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1951, rééd. 1964, p. 109.
  • [7]
    « Tribunal de police correctionnelle. Procès des Chansons inédites de M. de Béranger », Journal des débats, 11 décembre 1828.
  • [8]
    Cité d’après la Gazette des tribunaux, 11 décembre 1828.
  • [9]
    Lettre de P.-L. Courier à Mme Courier (juin 1821 ; CCV), in P.-L.Courier, Œuvres complètes, op. cit., p. 898.
  • [10]
    Cité dans C. Baudelaire, Correspondance, t. I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1973, p. 598.
  • [11]
    G. Flaubert, Œuvres, t. I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1951, p. 681-683.
  • [12]
    Voir en particulier D. LaCapra, « Madame Bovary » on Trial, Ithaca, Cornell UP, 1982 ; et, pour une analyse plus nuancée sur ce point, Y. Leclerc, Crimes écrits, La Littérature en procès au xixe siècle, Paris, Plon, 1991, p. 129-222.
  • [13]
    Voir C. Charle, Naissance des « intellectuels », 1880-1900, Paris, Les Éditions de Minuit, 1990, p. 28 sqq.
  • [14]
    A. Leroy, « La littérature en cour d’assises », La Presse, 23 décembre 1884.
  • [15]
    Paul Bonnetain, Charlot s’amuse, Bruxelles, Henry Kistemaeckers, 1883.
  • [16]
    Sur ce procès, voir notamment Y. Leclerc, Crimes écrits…, op. cit., p. 400, et A. Zévaès, Les Procès littéraires au xixe siècle, Paris, Perrin, 1924, p. 236-237.
  • [17]
    Louis Desprez, Autour d’un clocher, Bruxelles, Kistemaeckers, 1885.
  • [18]
    Le texte est repris dans R.-P. Colin et J.-F. Nivet, Louis Desprez (1861-1885). « Pour la liberté d’écrire », biographie suivie de Pour la liberté d’écrire et de Mes prisons, par un naturaliste, Tusson, Éditions du Lérot, 1992.
  • [19]
    É. Zola, « Louis Desprez », Le Figaro, 9 décembre 1885.
  • [20]
    Lucien descaves, Sous offs, Paris, Librairie Paul Ollendorff, 1889, Paris, La part commune, 2009.
  • [21]
    Réquisitoire de l’avocat général Rau, in L. Descaves, Lucien Descaves, « Sous-Offs ». Roman militaire, présentation d’H. Mitterand, Genève, Slatkine reprints, 1980, p. 448-449.
  • [22]
    L’Affaire Dreyfus. Le Procès Zola. 7 février-23 février 1898 devant la cour d’assises de la Seine. Compte rendu sténographique in extenso, Paris, Stock, 1998, p. 288-289.
  • [23]
    Punie de mort dans le code napoléonien qui la définit en ses articles 75 et suivants par le terme d’« intelligence avec l’ennemi », la trahison avait été requalifiée comme crime politique sous la monarchie de Juillet, et bénéficiait de circonstances atténuantes, jusqu’à la loi Marchandeau de 1939, qui en fait à nouveau un crime de droit commun. C’est pour ce crime que la peine de mort, abolie en 1848, fut rétablie à l’instigation d’un projet de loi déposé au lendemain de l’affaire Dreyfus par le général Mercier qui trouvait insuffisante la peine à laquelle avait été condamné le capitaine en vertu de l’article 76 du code pénal. Voir A. Simonin, « Trahir », in V. Duclert et C. Prochasson (dir.), Dictionnaire critique de la République, Paris, Flammarion, 2007, p. 1121.
  • [24]
    Voir P. Novick, L’Épuration française 1944-1949 [1968], trad. Paris, Balland, 1985 ; A. Bancaud, « La construction de l’appareil juridique », in M. O. Baruch (dir.), Une poignée de misérables. L’Épuration de la société française après la Seconde Guerre mondiale, Paris, Fayard, 2003, p. 73. Sur l’indignité nationale, voir A. Simonin, Le Déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité 1791-1958, Paris, Grasset, 2008.
  • [25]
    Voir A. Simonin, « Trahir », op. cit., p. 1121.
  • [26]
    Sténographie du procès Hérold-Paquis, 17 septembre 1945, Archives René Bluet, Archives nationales, 334 AP 15, p. 39.
  • [27]
    J. Austin, Quand dire, c’est faire [1962], trad. Paris, Seuil, 1970, rééd. coll. « Points », 1991.
  • [28]
    Sténographie du procès d’Henri Béraud, Archives René Bluet, Archives nationales, 334 AP 10, p. 57.
  • [29]
    Réquisitoire de Me Lindon, ibid., p. 87.
  • [30]
    C. de Gaulle, Mémoires de guerre, t. III, Paris, Plon, coll. « Presses Pocket », 1959, rééd. Pocket, p. 141.
  • [31]
    Le Procès de Charles Maurras, compte rendu sténographique, Paris, Albin Michel, 1945, p. 9.
  • [32]
    H. Béraud, « Mémoire à l’intention du juge d’instruction », daté du 4 novembre 1944, Archives nationales, Z6 7 no 102.
  • [33]
    Le Procès de Charles Maurras, op. cit., p. 329.
  • [34]
    Ibid., p. 12.
  • [35]
    Ibid., p. 13.
  • [36]
    Réquisitoire de Marcel Reboul, in J. Isorni, Le Procès de Robert Brasillach, Paris, Flammarion, 1946, p. 126-127.
  • [37]
    Ibid., p. 159-160.
  • [38]
    Sténographie du procès de Stéphane Lauzanne, Archives René Bluet, Archives nationales, 334 AP 8, p. 128.
  • [39]
    Plaidoirie de Me Felici, sténographie du procès de Hérold-Paquis, Archives René Bluet, Archives nationales, 334 AP 15, p. 24.
  • [40]
    Note de Lucien Rebatet sur Les Décombres. Interrogatoire du 27 octobre 1945, Archives nationales, Z6 255 no 2999, p. 19.
  • [41]
    Le pamphlétaire prétend généralement prendre un risque en énonçant certains faits refoulés de la conscience collective ou tabous ; voir à ce propos M. Angenot, La Parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes, Paris, Payot, 1982.
  • [42]
    L. Rebatet, « Traquons les gaullistes », Le Cri du peuple, 11 novembre 1940, cité d’après R. Belot, Lucien Rebatet. Un itinéraire fasciste, Paris, Seuil, 1994, p. 260.
  • [43]
    P. Soupiron, « Le procès Maurras », Le Monde, 26 janvier 1945.
  • [44]
    Voir la description d’A. Grebel, « La réclusion perpétuelle pour Maurras », France libre, 28-29 janvier 1945.
  • [45]
    Le Monde, op.cit.
  • [46]
    « Internationale aryenne », Devenir, 3, avril-mai 1944.
  • [47]
    Rapporté par R. Grenier, « L’avocat de Rebatet soulève un violent incident à propos de M. Thorez, compte rendu d’audience », Combat, 21 novembre 1946.
  • [48]
    Archives nationales, Z6 255 no 2999, p. 15.
  • [49]
    Lettres du 15 avril 1942 et du 4 mai 1943, citées par F. Gibault, Céline, t. II, 1932-1944 : Délires et Persécutions, Paris, Mercure de France, 1985, p. 263.
  • [50]
    Voir notamment sa lettre au président du tribunal Deloncle le 16 décembre 1949, in F. Gibault, Céline, t. III, 1944-1961 : Cavalier de l’Apocalypse, Paris, Mercure de France, 1985, p. 197, 216.
  • [51]
    R. Collin, « Le procès de Louis-Ferdinand Céline », Combat, 22 février 1950, et F. Gibault, Céline, t. III, op. cit.
  • [52]
    Lettre du 25 mai 1947, in L.-F. Céline, Lettres à son avocat, Paris, Flûte de Pan, 1984, p. 27.
  • [53]
    Plaidoirie de Me Felici, sténographie du procès de Hérold-Paquis, Archives René Bluet, Archives nationales, 334 AP 15, 6.
  • [54]
    Voir P. Novick, L’Épuration française, op. cit. ; P. Assouline, L’Épuration des intellectuels, Bruxelles, Complexe, 1985 ; H.-R. Lottman, L’Épuration 1943-1953 [1986], trad. Paris, Fayard, 1986 ; D. Rubinstein, « Publish and Perish : the Épuration of French Intellectuals », Journal of European Studies, X XIII (1993), p. 71-99 ; G. Sapiro, « L’épuration du monde des lettres », in M.-O. Baruch (dir.), Une poignée de misérables. L’Épuration de la société française après la Seconde Guerre mondiale, Paris, Fayard, 2003, p. 243-285.
  • [55]
    J. Paulhan, De la paille et du grain, Paris, Gallimard, 1948, p. 98.
  • [56]
    J.-P. Sartre, Situations II, Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, 1975.
  • [57]
    J.-P. Sartre, La Responsabilité de l’écrivain, Paris, Verdier, 1998.
  • [58]
    Extraits du réquisitoire cités par A. Simonin, Le Déshonneur dans la République…, op. cit., p. 667-668 ;
    voir aussi, sur toute l’affaire, p. 658-669.
  • [59]
    Jugement reproduit dans J.-J. Pauvert, « L’affaire Sade », Nouveaux (et moins nouveaux) visages de la censure, Paris, Les Belles Lettres, 1994, p. 141-142.

1La définition de la responsabilité de l’écrivain constitue, depuis la libéralisation de l’imprimé, un enjeu de luttes qui transcendent largement le monde des lettres [1]. Elle est codifiée dans le droit à travers les restrictions à la liberté d’expression – c’est la responsabilité pénale –, qui en font, en France, une affaire d’État [2]. Elle intéresse l’Église qui entend exercer un contrôle sur les consciences. Avec l’alphabétisation et l’extension du lectorat au cours du xixe siècle, elle devient aussi l’affaire de médecins, sociologues, criminologues et d’entrepreneurs de morale (les ligues de moralité, notamment).

2Les écrivains ont en grande partie élaboré leur éthique de responsabilité en se confrontant à ces attentes sociales, et en s’en autonomisant. Les combats pour la liberté d’expression ont été menés, depuis le xviiie siècle, au nom de la « vérité », et les écrivains se sont souvent réclamés de la science et du droit à la connaissance dans ces luttes. Ils ont fréquemment, sur le modèle des philosophes du xviiie siècle, revendiqué leur droit à exercer une fonction critique dans la société, et conçu leur mission comme étant d’éclairer l’opinion. Mais cette liberté signifie-t-elle qu’on peut tout dire ? Les mots n’ont-ils aucun effet ? Et s’ils en ont, quelle responsabilité cela crée-t-il pour l’écrivain ?

3Les procès littéraires constituent un lieu d’observation privilégié de la confrontation entre différentes conceptions concurrentes de la responsabilité de l’écrivain, qui y sont explicitées et rendues publiques. Ils sont un espace d’affrontement entre la définition pénale de la responsabilité de l’auteur d’un écrit et l’éthique professionnelle de l’écrivain moderne, qui revendique son autonomie au nom des exigences de son art. Cette revendication est contemporaine de l’apparition de la notion de responsabilité dans son sens juridique moderne, au xviiie siècle.

4Suivant l’analyse du sociologue du droit Paul Fauconnet [3], la conception moderne de la responsabilité pénale est un compromis entre les définitions objective et subjective de la responsabilité, à savoir entre la matérialité de l’acte et l’intentionnalité, qui suppose le libre arbitre. La transposition de cette distinction aux crimes écrits éclaire les enjeux de la définition de la responsabilité pénale de l’auteur.

5La publication constitue l’acte matériel passible de poursuites. C’est pourquoi, dans la législation sur la liberté de presse, le premier responsable est celui qui fait imprimer – cette disposition permettant de sanctionner la réédition d’ouvrages d’auteurs décédés, comme ceux du marquis de Sade. Ainsi, selon la loi, l’éditeur est le premier responsable, l’auteur, s’il est vivant, n’étant que son complice. La responsabilité objective peut cependant être aggravée ou atténuée par l’intention. Les responsables et leurs complices ont-ils agi avec l’intention de nuire ? Cette question permettra d’exempter l’imprimeur par la grande loi libérale de 1881, sauf s’il est prouvé qu’il a agi en connaissance de cause. Il en résulte aussi que l’auteur d’un ouvrage ayant enfreint la loi est toujours puni plus sévèrement que son éditeur, bien que ce dernier soit le premier responsable. En revanche, dans la presse, conçue comme une entreprise, le gérant demeure le premier responsable en pratique, avant les auteurs d’articles, souvent anonymes ou cachés, au xixe siècle, derrière un pseudonyme (la responsabilisation conduira d’ailleurs à exiger que leurs noms figurent), et il est puni aussi sévèrement que ces derniers [4].

6La responsabilité pénale de l’auteur concerne en premier lieu le contenu de ses écrits : ont-ils offensé la morale publique ou les mœurs, transgressé les valeurs fondamentales de la société, attaqué le régime ? Cependant, loin de s’y limiter, cette responsabilité se définit aussi par rapport aux caractéristiques formelles du texte et à la matérialité du support, appréhendés comme des indicateurs de la responsabilité objective et subjective tout à la fois.

7Du point de vue de la forme, le genre est pris en considération pour juger de la responsabilité pénale de l’auteur, en ce qu’il suppose des habitudes de lecture ou un mode de réception : on considère par exemple au début du xixe siècle que la chanson est un genre léger, contrairement à la poésie ; à l’inverse, par son histoire et par sa forme courte, le pamphlet est suspecté d’une intention politique et d’une visée séditieuse. Les procédés formels, qui reposent également sur des conventions, peuvent de leur côté induire des ambiguïtés quant à l’interprétation de l’œuvre : l’usage que fait Flaubert, dans Madame Bovary, d’une technique narrative nouvelle en France, le discours indirect libre, qui consiste à ne pas marquer la transition entre le propos du narrateur et le point de vue du personnage par les marqueurs du discours direct (guillemets, tirets) ou indirect (« elle pensa que… »), a conduit le procureur impérial à confondre le point de vue de l’auteur avec celui de son personnage. Le style, le vocabulaire, les techniques descriptives ne sont pas plus à l’abri des reproches : le réalisme a été au cœur des attaques contre les romans réalistes, de Flaubert aux naturalistes.

8La matérialité de la publication, son support (ouvrage ou périodique), l’épaisseur du volume entrent également en ligne de compte pour déterminer la responsabilité pénale. Si l’écrit est susceptible de toucher un large public, c’est une circonstance aggravante : les pénalités sont plus élevées pour un écrit paru dans la presse que pour un volume, pour une brochure que pour un épais factum, pour un livre à bas prix que pour un ouvrage onéreux. Le pamphlet est considéré comme dangereux, parce que c’est un texte court visant un vaste public. L’épaisseur de l’ouvrage et le public restreint auquel il s’adresse constituent, à l’inverse, une circonstance atténuante, que n’a pas manqué d’invoquer la défense au cours des procès de Flaubert, de Baudelaire et des naturalistes.

9L’imputation de la responsabilité implique également une théorie des effets supposés de l’œuvre : elle repose sur une croyance partagée dans les effets nocifs des mauvais livres, donc dans le pouvoir performatif des mots. Cette croyance spiritualiste, matérialisée dans la métaphore du poison et dans celle du venin, fut développée par l’Église au moment de l’essor de l’imprimé au xviie siècle. Au siècle suivant, les médecins, concurrençant le clergé sur le domaine réservé de l’esprit, élaborèrent la notion de « contagion morale », dont le livre paraissait un instrument privilégié. La Révolution française allait conforter cette croyance : partagée par les révolutionnaires et par les contre-révolutionnaires, l’idée que ce sont les livres qui ont fait la Révolution sous-tend une bonne partie des discours sur la dangerosité du livre et de la lecture au xixe siècle.

10Si ces aspects constituent des constantes dans les procès littéraires, on observe des changements quant aux motifs de poursuite selon les régimes, en fonction des redéfinitions successives de la morale publique. Nous évoquerons ici quatre moments historiques, qui correspondent à des changements de régime et de législation sur la presse : la Restauration, moment de mise en place du régime de liberté de presse et de lutte pour son extension ou sa restriction ; le second Empire, moment de restriction de la liberté de presse et de resserrement de la morale publique autour des valeurs bourgeoises de la famille et de la propriété ; la IIIe République, moment de nationalisation de la morale publique et de privatisation de la religion ; la Libération, moment où culmine la définition nationale de la responsabilité avec les procès de l’épuration, mais où la responsabilité de l’écrivain se dégage du cadre national avec la théorie sartrienne de la littérature engagée.

La Restauration : les dangers des « libelles rimés »

11Proclamée par la Déclaration des droits de l’homme de 1789, la liberté d’expression eut une vie éphémère sous la Révolution. C’est sous le régime parlementaire de la Restauration qu’elle est instaurée de manière pérenne, en lien étroit avec la liberté de commerce revendiquée par l’édition en pleine expansion. Le principe de liberté d’expression et de discussion philosophique de la charte de 1814 est mis en œuvre à travers les lois de Serre de 1819, qui lui imposent des restrictions assez sévères : ce sont, d’une part, les principes sacrés, ce qui ne peut être discuté, à savoir le régime monarchique et le principe de l’immortalité de l’âme, impliqué dans la notion de « morale publique » (les doctrines matérialistes ont constitué un crime jusqu’à la loi républicaine de 1881) ; de l’autre, l’offense aux mœurs (encore mal différenciée des crimes politiques et religieux) [5].

12La Restauration est une période d’apprentissage de la liberté d’expression et d’affrontement entre libéraux et ultras pour l’extension de cette liberté. Le tribunal est, de ce fait, une arène de lutte politique. Les écrivains libéraux sont alliés à leurs avocats dans la défense des droits politiques des capacités, qu’ils allaient obtenir sous la monarchie de Juillet avec l’abaissement du cens. Ils revendiquent le droit de critiquer les institutions en régime parlementaire. La loi stipulant que l’offense doit être explicite pour pouvoir être punie, ils recourent à une série de procédés afin de contourner la censure : allégorie, fictionnalisation, déplacement dans le temps ou dans l’espace (on parlera d’un royaume du passé ou de l’Angleterre pour parler de la France contemporaine), attaques contre le clergé plutôt que contre la religion, contre l’aristocratie plutôt que contre le régime. Ces procédés n’ont pas toujours suffi à éviter les poursuites. Publics, les procès d’écrivains captent l’attention des milieux littéraires parisiens et attirent une foule nombreuse : « La cour d’assises semble être devenue une succursale de l’Académie française », s’exclame Me Berville, l’avocat du pamphlétaire Paul-Louis Courier, dans son plaidoyer en défense [6].

13L’un des premiers et des plus célèbres procès de la Restauration est celui du chansonnier Béranger. Béranger appartenait à l’opposition libérale. Il avait exercé différents métiers, notamment celui de typographe. Son goût pour la chanson était né de sa fréquentation des milieux révolutionnaires. Protégé de Lucien Bonaparte, frère du Premier consul, selon la logique clientéliste d’Ancien Régime, qui prévalait encore, il devient chansonnier tout en gagnant sa vie grâce à un poste administratif dans l’université. Il est connu comme bonapartiste, mais Louis XVIII aime les chansons, genre d’Ancien Régime. Béranger bénéficie donc d’une certaine tolérance. C’est quand il décide d’imprimer ses chansons que des poursuites sont engagées.

14Quatre chefs d’accusation sont retenus. En premier lieu, l’outrage aux bonnes mœurs, qui concerne trois chansons, La Bacchante, Ma grand-mère et Margot, mais qui va être abandonné. Le deuxième chef d’accusation, le seul maintenu dans le jugement, est l’outrage à la morale publique et religieuse. Il concerne huit chansons – Deo gratias d’un épicurien, La Descente aux Enfers, Mon curé, Les Capucins, Les Chantres de paroisse, Les Missionnaires, Le Bon Dieu et La Mort du roi Christophe –, qui articulent critique du clergé et critique sociale (pauvreté, famine) et opposent les Capucins aux philosophes. Le troisième chef d’accusation, l’offense à la personne du roi, concerne trois chansons : Le Prince de Navarre, L’Enrhumé et La Cocarde blanche. Dans L’Enrhumé, où Béranger fait allusion à la menace qui pèse sur la liberté d’expression, l’ironie de l’inflexion « on le présume » a été clairement perçue :

15

« Mais la charte encor nous défend :
Du roi c’est l’immortel enfant :
Il l’aime, on le présume. »

16Cependant, elle est jugée trop allusive pour que le chef d’accusation soit maintenu. Enfin, la chanson patriotique Le Vieux Drapeau est poursuivie à cause de la mention du coq gaulois, pris comme symbole d’insurrection, pour provocation au port d’un signe de ralliement prohibé, mais ce chef d’accusation est abandonné, parce qu’il ne constitue pas un délit…

17Lors du procès, le genre a représenté un enjeu central dans les débats entre l’accusation et la défense. En effet, outre le délit d’opinion, l’avocat de Béranger, Me Dupin, centre sa plaidoirie sur deux arguments qui concernent le genre : la tradition nationale et la nécessité de graduer la sévérité du jugement porté sur un écrit en fonction de ses caractéristiques génériques. C’est par la chanson, explique-t-il, que les Français, à la différence d’autres peuples, expriment leurs plaintes et cette liberté leur a toujours été reconnue, comme en témoignent les exemples de la Ligue et de la Fronde. Si ce genre était toléré par la monarchie absolutiste, il devrait l’être a fortiori par l’actuelle monarchie constitutionnelle. D’autant que la chanson est un genre léger, que l’on ne prend pas au sérieux.

18Selon le procureur Marchangy, toutefois, le fait d’avoir imprimé les chansons leur confère un autre statut. Les tirant vers la poésie, il les qualifie d’odes, de dithyrambes, de satires. À l’instar des chansons révolutionnaires, qui opposent à la gaieté, à la joie naïve, à la légèreté des chansons d’Ancien Régime, un caractère « hostile », « sombre », une « hostilité meurtrière », pour se faire « l’auxiliaire des libelles et des audacieuses diatribes », celles de Béranger deviennent « manifestes », ce qui en dit long sur les intentions de l’auteur.

19Béranger est condamné à trois mois de prison et à une amende pour offense à la morale publique et religieuse. Les témoignages de sympathie et le bruit que fait sa condamnation lui donnent « la mesure de l’influence que ses chansons pouvaient exercer ». D’autant que la presse a largement reproduit l’acte d’accusation qui comprend les extraits incriminés, décuplant leur public (le volume a été tiré à 10 000 exemplaires, les journaux le sont à 100 000)…

20Un second procès intervient pendant sa détention : son défenseur avait publié l’intégralité du procès avec sa propre plaidoirie qui était interdite de reproduction dans la presse. Il débouche cette fois sur un non-lieu, une pétition d’avocats ayant fait valoir le droit de rendre public le plaidoyer en défense, sans quoi le public n’aurait pas été éclairé sur les raisons de l’abandon de trois des chefs d’accusation. Cette affaire constitue par conséquent une étape très importante dans la conquête de la liberté d’expression.

21En 1825, Béranger prend part à l’agitation antireligieuse, avec notamment sa chanson sur « le sacre de Charles le Simple », qui tourne en dérision le sacre de Charles X. Elle est publiée en 1828 dans son quatrième recueil, Chansons inédites, qui lui vaut un troisième procès devant le tribunal de police correctionnelle. La salle ne peut contenir la foule, les gens grimpent « sur le chambranle de la cheminée au fond de la salle ; d’autres [ont] cherché un refuge sur le marbre du poêle [7] ». Les chefs d’accusation de ce troisième procès sont l’outrage à la morale publique et religieuse et à la religion d’État, l’offense envers la personne du roi et les attaques contre la dignité royale, l’excitation à la haine et au mépris du gouvernement. Parmi les chansons poursuivies, outre Le Sacre de Charles le Simple, il y a Les Infiniments Petits ou la Gérontocratie, où Béranger décrit la France du futur comme une nation imaginaire de nains sur laquelle règnent toujours les « Barbons », allusion transparente aux Bourbons.

22Dans son réquisitoire, l’avocat général Champanhet développe le même argument que Marchangy sur le genre des chansons, dont il rappelle, à la suite de son prédécesseur, qu’elles peuvent être lues et pas seulement chantées :

23

« Si par les formes du style, les vers du sieur de Béranger tiennent de la simple chanson, par la grandeur des idées, la profondeur des pensées et l’énergie de l’expression, il en est certains qui s’élèvent quelquefois jusqu’à l’ode. »

24Les qualifiant de « libelles rimés », il détecte les intentions malveillantes de leur auteur dans les thèmes politiques abordés et dans leur style « agressif » :

25

« D’ailleurs, il ne suffit pas de donner à des vers le titre de chansons pour les dépouiller du caractère du libelle, et leur attribuer celui propre à la chanson telle qu’on l’a toujours entendue en France ? Nous ne la reconnaissons point dans ces vers, dont la politique fournit les sérieux sujets, où la malice est remplacée par la malveillance, et une critique badine par une hostilité agressive [8]. »

26Béranger est condamné cette fois à neuf mois d’emprisonnement et 10 000 francs d’amende pour récidive.

27Contre l’ethos courtisan des hommes de lettres d’Ancien Régime, les auteurs libéraux, qui vont contribuer à l’avènement de la révolution de 1830 et à la libéralisation de la presse qui l’a suivie, prônent la fierté et l’intégrité de l’écrivain qui ne doit de comptes qu’à son public et qui prend des risques pour dire la vérité. « Plus on me persécutera, plus j’aurai l’estime publique », écrit Paul-Louis Courier à son épouse la veille de son procès, évoquant le « succès fou » que rencontre son Simple Discours auprès du public [9]. Et de fait, les procès deviennent rapidement un titre de gloire pour ces écrivains, tantôt une preuve de leur courage à braver les institutions pour faire triompher la vérité (ce que Zola fera au moment de l’affaire Dreyfus), tantôt une marque de leur originalité créatrice, comme dans le cas de Baudelaire, auquel Victor Hugo écrira que sa condamnation est une des rares décorations que le régime du second Empire peut lui accorder [10].

Le second Empire : les méfaits du réalisme

28La monarchie de Juillet s’était montrée relativement clémente pour la littérature, par comparaison avec le régime précédent. Certes, les attaques contre le gouvernement étaient sévèrement réprimées. L’arsenal répressif fut durci après l’attentat perpétré par Giuseppe Fieschi contre Louis-Philippe en juillet 1835. Les atteintes aux hiérarchies sociales et aux fondements de l’ordre bourgeois, en particulier la famille et la propriété, étaient également visées. Les événements de 1848, qu’on imputait à l’influence de la littérature et du théâtre, entraînèrent un nouveau durcissement, avant même le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Le second Empire rétablit la censure de la presse. Confinée à l’art, la littérature devait s’abstenir de se mêler de politique. Il est, sous ce jour, paradoxal que ce soient les deux tenants de l’art pour l’art, Gustave Flaubert et Charles Baudelaire, qui aient été traduits en justice, en cette fameuse année 1857 qui voit trois procès littéraires se succéder, celui d’Eugène Sue s’ajoutant aux deux premiers. Flaubert sera acquitté quand Baudelaire est condamné. Nous nous concentrerons ici sur le célèbre procès intenté à Flaubert pour Madame Bovary.

29Comme dans les procès de la Restauration, ce procès soulève un conflit d’interprétation entre le procureur impérial Ernest Pinard et la défense représentée par Me Senard. Suivant le premier, Madame Bovary est un roman qui magnifie l’adultère. Le second insiste au contraire, dans une plaidoirie toute de connivence, sur la moralité de l’œuvre : l’auteur y montre, explique-t-il, les effets nocifs de l’éducation et des mauvaises lectures sur une jeune fille d’origine modeste, en qui la lecture de romans a fait naître des ambitions à s’élever au-dessus de sa condition, la conduisant à l’adultère et à la ruine. Cette plaidoirie a sans doute contribué autant que le réseau de relations de Flaubert à son acquittement. Le jugement reconnaît la pureté de l’intention de l’auteur, tout en le blâmant pour le procédé réaliste [11]. Cette façon de souligner l’écart entre le but et le moyen ou le procédé atteste la différenciation entre les intentions et les effets objectifs, entre la responsabilité subjective et la responsabilité objective.

30On peut se demander si l’interprétation proposée par Me Senard, et ratifiée par le tribunal, est juste. Le procureur impérial s’est-il à ce point trompé sur le sens de l’ouvrage ? Les commentateurs de l’œuvre sont à ce jour partagés sur cette question. Nombre d’entre eux en soulignent la charge subversive, donnant raison à Pinard et, relativisant la lecture de Senard en l’imputant au point de vue de la belle-mère d’Emma, laquelle qualifie le libraire d’« empoisonneur » et conseille à Charles d’interdire à son épouse de lire des romans [12] ; plus rares sont ceux qui adhèrent à l’interprétation de Senard.

31En fait, le conflit d’interprétation tient aux procédés narratifs adoptés par l’auteur : le narrateur impersonnel, qui ne juge pas son héroïne, la technique novatrice du discours indirect libre, qui fait scandale, car on ne sait pas qui parle dans le roman (le procureur impute à l’auteur des pensées du personnage, comme dans la scène où, revenant d’un rendez-vous avec son amant, elle se regarde dans le miroir et se trouve belle), le réalisme (les descriptions crues et ce que le procureur appelle la « couleur lascive »). Ces procédés sont source d’ambiguïté, ce qui fait qu’il est impossible, selon notre analyse, de trancher entre les deux thèses.

32Loin d’être confiné au point de vue de la belle-mère, le thème des effets nocifs de la lecture est intégré à la structure de causalité qui sous-tend la succession temporelle des séquences du roman, les scènes de lecture étant souvent suivies de crises d’hystérie. Emma incarne le rapport utilitaire et identificatoire à la lecture qu’on prête à l’époque aux femmes, aux jeunes et aux hommes issus des classes populaires, à l’opposé de l’approche désintéressée et distanciée imputée aux classes cultivées. Ses lectures oscillent entre visée pratique (décorer sa maison) et quête d’émotions (elle crie de terreur la nuit en lisant). Et c’est comme un goût d’encre qui lui remonte à la bouche après qu’elle a avalé du poison. Mais l’alternance des points de vue, l’ironie du narrateur et surtout la dimension parodique du roman font qu’il est impossible de valider cette interprétation comme prévalant sur la critique sociale qui le traverse de part en part.

33Et de fait, face à l’accusation, Flaubert lui-même oscille entre deux arguments, ainsi qu’il ressort de sa correspondance notamment : d’un côté, il considère son roman comme moral (thèse de son avocat) ; de l’autre, il n’y voit que le reflet du monde tel qu’il est ; de ce fait, il ne reconnaît aucune responsabilité sur le fond, seulement sur la forme. Par ailleurs, il considère qu’il n’a aucun effet social, ne touchant qu’une petite élite : il décline donc toute responsabilité objective. C’est cet argument en défense des œuvres littéraires poursuivies que va remettre en cause l’élargissement considérable du lectorat sous la IIIe République.

La IIIe République : le crime d’obscénité

34Avec l’accession des républicains au pouvoir, la laïcisation de la morale s’accompagne de sa nationalisation. La grande loi libérale de 1881 privatise la religion et libéralise la parole politique (la République ne se protège pas en tant que régime). On observe en revanche un durcissement de l’offense aux mœurs : la République doit faire la preuve de sa respectabilité à un moment d’intensification et d’internationalisation de la lutte contre la pornographie. Engagé au nom de l’intérêt national, ce combat intervient dans un contexte de médicalisation de la sexualité, devenue une question d’hygiène nationale, et s’articule à la lutte contre le malthusianisme, l’alcoolisme, la syphilis, la prostitution de rue, les « déviances » sexuelles, le suicide, considérés à la fois comme symptômes et comme causes d’une pathologie du « corps social ».

35La laïcisation de la morale officielle renforce les luttes de concurrence pour l’exercice du pouvoir spirituel : concurrençant le clergé, éducateurs, médecins, psychiatres, criminologues, sociologues se proclament experts au nom de la science, devenue le référentiel des politiques publiques. Face à la légitimation du paradigme scientifique, les hommes de lettres ont dû réaffirmer les fondements de leur autorité et de leur pouvoir symbolique [13]. Certains, comme Zola, les naturalistes, tentent de faire de la littérature une science expérimentale. Zola prétendait fonder une expertise littéraire sur le monde social, mais il allait échouer, comme en témoignent les procès des jeunes naturalistes, ses disciples, premiers visés par la vague de répression qui débute en 1884.

36De 1884 à 1890 comparaissent tour à tour, devant la cour d’assises de la Seine, pour le délit d’outrage aux bonnes mœurs, Louis Desprez, Paul Bonnetain, René Mazeroy, Paul Adam, Jean-Louis Dubut de Laforest, Lucien Descaves et leurs éditeurs. Les débats ont lieu à huis clos, ce qui interdit d’en rendre compte dans la presse. Les hommes de lettres s’insurgent du fait que l’écrivain soit ainsi assimilé au « misérable qui viole une petite fille dans un bois ou à l’ignorantin qui souille de jeunes garçons [14] », rappelant que, même sous le second Empire, le procès de Flaubert a été public.

37Une des raisons de cet échec de la littérature à s’ériger en expertise est qu’à la différence des spécialistes qui utilisent les gants du vocabulaire technique, et qui jouissent à ce titre d’une immunité (c’est le cas des médecins), les écrivains naturalistes introduisent dans le discours imprimé le langage des milieux qu’ils observent. Du coup, ils sont comme contaminés par leur objet. Et de fait, on leur reproche leur méthode réaliste et leur langage, jugé « obscène », à une époque où la langue est un enjeu national. On reproche à leur littérature d’être malsaine, selon le schème normal/pathologique qui remplace alors l’opposition religieuse entre le bien et le mal. La critique ira jusqu’à parler de « littérature putride ». Le recours au concept d’« obscénité », probablement emprunté à la jurisprudence anglaise, met l’accent sur la responsabilité objective plus que sur les intentions.

38En défense contre les accusations dont ils font l’objet, les naturalistes revendiquent le caractère scientifique de leur démarche pour prouver la pureté de leurs intentions. C’est le cas par exemple de Paul Bonnetain, poursuivi pour son roman Charlot s’amuse (1883 [15]), histoire d’un onaniste victime d’une tare héréditaire, selon le paradigme de la dégénérescence en vigueur à l’époque [16]. Il sera acquitté, le jury ayant reconnu que la tonalité du roman est triste et qu’il ne constitue donc pas un plaidoyer en faveur de l’onanisme, signe que la distinction entre apologie et représentation commence à entrer dans la jurisprudence, sans être encore formulée en ces termes.

39Lors de son procès pour Autour d’un clocher (1885 [17]), récit des amours d’un curé et d’une institutrice dans un style rabelaisien, Louis Desprez assume sa défense seul. Son coauteur, Henry Fèvre, fils de magistrat et mineur, a été écarté de la prévention. Desprez choisit de présenter lui-même sa défense. Republié sous le titre « Pour la liberté d’écrire [18] », son plaidoyer est une critique du concept d’offense aux mœurs. Selon lui, l’offense aux mœurs par la littérature est indéfinissable, car il n’y a pas de corps de délit, on poursuit les auteurs sur leur intention supposée. Desprez nie donc toute dimension objective, toute matérialité à ce crime. En outre, il dénonce l’hypocrisie qui consiste à interdire de décrire un accouplement quand des descriptions détaillées de meurtres s’étalent dans toutes les pages des journaux. Par-delà la critique du chef d’accusation, Desprez récuse d’avance le verdict d’un jury incompétent. Il n’aurait reconnu, précise-t-il, que celui d’un tribunal composé de Zola, Daudet, Banville, Richepin, etc., c’est-à-dire un jury de spécialistes. Sa plaidoirie de rupture lui vaudra d’être condamné à un mois de prison. Il est le seul à avoir subi une peine d’emprisonnement. La détention ayant aggravé un mal dont il était affecté, il décède quelques mois plus tard, à l’âge de vingt-huit ans. Dans sa chronique du Figaro, Émile Zola rend un vibrant hommage à son cadet en désignant du doigt les « misérables » qui ont « tué cet enfant » [19].

40Cinq ans plus tard, lorsque des poursuites sont engagées contre Lucien Descaves pour son roman Sous-Offs (1889 [20]), une pétition d’écrivains est publiée en sa défense dans la presse : c’est l’acte inaugural de cette pratique de mobilisation collective, qui va s’institutionnaliser avec l’affaire Dreyfus. Descaves est accusé d’injure à l’armée et d’offense aux mœurs, pour avoir décrit les mœurs militaires à une époque où l’armée est devenue une institution sacrée de la nation. L’offense aux mœurs permet de corser l’affaire, les peines pour injure à l’armée étant plus légères. Afin d’aggraver son cas, le procureur qualifie le livre d’« infâme libelle », bien qu’il s’agisse d’un roman, et traite son auteur de « malfaiteur de la plume » [21].

41Pour sa défense, son avocat, Me Tézénas (qui allait être l’avocat d’Estherazy dans l’affaire Dreyfus), invoque la nécessité de dire la vérité afin d’améliorer l’état des choses : c’est selon lui le rôle des écrivains et journalistes en régime démocratique. La seule question qui se pose à ses yeux est de savoir si ce que son client a décrit est vrai. Or Descaves s’est appuyé non seulement sur son expérience (le service militaire étant devenu universel), mais aussi sur les jugements des conseils de guerre. Descaves sera acquitté. Le procès lui a fait de la publicité : les ventes ont grimpé de 7 000 à 34 000 à son annonce, comme le précise son éditeur Stock à l’audience, déclenchant l’hilarité de la salle.

42Le procès de Descaves illustre la lutte entre la littérature et l’armée, « la plume et le sabre », le pouvoir spirituel et temporel qui fondent la République. On retrouve cet affrontement dans l’affaire Dreyfus, dans le face-à-face entre Zola et le général de Pellieux lors du procès de Zola. Lorsque le général insinue l’idée que les écrivains sont des oisifs improductifs et inutiles à leur pays, Zola s’exclame « d’un ton indigné », comme le précise la sténographie « Il y a différentes façons de servir la France… » :

43

« On peut la servir par l’épée et par la plume. M. le général de Pellieux a sans doute gagné de grandes victoires ! J’ai gagné les miennes. Par mes œuvres, la langue française a été portée dans le monde entier. J’ai mes victoires ! Je lègue à la postérité le nom du général de Pellieux et celui d’Émile Zola : elle choisira [22] ! »

44C’est au nom de la vérité que Zola s’est engagé dans l’affaire Dreyfus, s’inscrivant dans la tradition de Voltaire qui, lors de l’affaire Calas, avait dénoncé un déni de justice. Son engagement fait suite à la mobilisation des intellectuels dreyfusards qui demandent la révision du procès du capitaine Dreyfus. Mobilisation sur des bases autonomes, ne répondant pas à une demande externe, politique ou religieuse, mais à leur propre éthique professionnelle, pour la défense de valeurs intellectuelles universalisées comme la vérité ou la justice.

L’épuration : le crime de trahison nationale

45Le crime pour lequel nombre d’intellectuels sont poursuivis à la Libération est la trahison. L’arsenal répressif en la matière se compose alors des articles 75 et suivants punissant les actes d’« intelligence avec l’ennemi » de la peine de mort, sauf circonstances atténuantes [23], de l’article 83 réprimant les actes de nature à nuire à la défense nationale et de l’ordonnance du 26 août 1944 instituant le délit d’indignité nationale (les premiers étaient déférés aux cours de justice, les faits d’indignité relevaient des chambres civiques) [24].

46La notion de trahison morale avait été codifiée lors du premier conflit mondial, dans le cadre des grands procès de trahison jugés par les conseils de guerre, afin de pouvoir poursuivre les journalistes précisément : elle consistait dans l’atteinte à la résistance, à l’énergie, aux forces morales du pays [25]. La propagation des thèses de l’ennemi et les campagnes de démoralisation en faisaient partie. La législation de l’épuration y ajoutera les dénonciations collectives et individuelles.

47Plus que toute autre catégorie sociale, les porte-plumes de la collaboration symbolisent le crime d’« intelligence avec l’ennemi » : ils semblent l’incarner. Lors du procès du journaliste Hérold-Paquis, le commissaire du gouvernement André Boissarie explique ainsi que les procès des intellectuels ont une particularité : « Dans une affaire de ce genre, […] les seuls témoins à charge, ce sont vos écrits. L’accusation n’en a pas besoin d’autres [26]. » L’écrit imprimé constitue en effet une pièce à conviction qui a l’avantage de présenter à la fois un caractère objectif par sa matérialité, et une manifestation des intentions de l’auteur. Et cependant, la qualification des écrits comme actes de trahison ne va pas de soi. Elle pose la question du statut du discours et de son rapport avec l’action. Dans son mémoire en défense, le pamphlétaire Henri Béraud s’étonne d’être poursuivi pour ses écrits, qui ne font, dit-il, qu’exprimer une opinion.

48Et de fait, comment distinguer ce qui relève de l’opinion, dont le régime de liberté de presse autorise l’expression, de ce qui relève d’actes criminels, quand la parole n’est pas suivie d’effets, ou quand la relation de causalité ne peut être prouvée ? La distinction entre ces deux catégories a été au cœur du débat soulevé par les procès de l’épuration. Se réclamant de la tradition libérale – ce qui paraît paradoxal s’agissant d’intellectuels qui ont soutenu un régime autoritaire et liberticide –, les avocats de ces derniers tentent, en effet, de requalifier l’incrimination en procès d’opinion : sans doute ces écrivains ont-ils pensé « mal », mais ils n’ont fait qu’exprimer leurs opinions ; ils ne peuvent être punis pour leurs idées. L’accusation doit donc faire la preuve que les mots ont eu un pouvoir performatif. C’est pourquoi nous nous concentrerons ici plus particulièrement sur la question de l’influence et des effets imputés à ces « actes de parole [27] » et à ce qui permettait de les mesurer, ainsi que sur les dénonciations.

49L’influence d’un écrivain se mesure tout d’abord à sa notoriété, à son audience et à son talent. Argument souvent mobilisé par la défense pour atténuer la faute, le talent est au contraire considéré par l’accusation comme une circonstance aggravante, puisqu’il augmente le pouvoir persuasif de l’auteur et l’efficacité de sa propagande. Lors de l’interrogatoire du pamphlétaire Henri Béraud, le président de la cour le prévient : « L’accusation va vous reprocher d’avoir, en agissant ainsi, mis à la disposition et au service de nos ennemis votre talent d’écrivain et de journaliste. C’est ce qu’il y a de plus grave [28]. » Le réquisitoire du commissaire du gouvernement Raymond Lindon rappelle que « Béraud, couronné par les lauriers de l’académie Goncourt, reporter connu, avait un nom, un renom, une célébrité [29] ». Et le commissaire de souligner le « retentissement » de l’œuvre de cet écrivain. De même, le réquisitoire du commissaire du gouvernement Marcel Reboul contre Robert Brasillach s’ouvrira sur le rappel du « puissant prestige » dont jouit le jeune écrivain, « paré de toutes les séductions de l’éloquence persuasive », dans un pays qui a « toujours placé au premier rang les mérites de la plume ». Cette représentation a probablement pesé dans le refus du général de Gaulle de gracier Brasillach, à en juger par le passage de ses Mémoires de guerre où il évoque ce procès (sans toutefois mentionner le nom de l’accusé) :

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« S’ils n’avaient pas servi directement et passionnément l’ennemi, je commuais leur peine par principe. Dans un cas contraire – le seul – je ne me sentis pas le droit de gracier. Car dans les lettres comme en tout, le talent est un titre de responsabilité [30]. »

51Charles Maurras est, de tous les hommes de lettres, celui auquel on impute, non sans raison, la plus grande responsabilité dans l’avènement du régime de Vichy et dans son idéologie. La responsabilité objective attribuée au chef de la ligue monarchiste d’Action française est à la mesure de son capital symbolique, suivant le concept de Pierre Bourdieu, et aussi du capital moral que le chantre du nationalisme intégral a accumulé en matière de patriotisme. Maurras a non seulement dicté parfois la politique du Maréchal, dont il passe pour avoir été un des conseillers, mais aussi « créé le climat favorable à l’exécution des desseins du gouvernement de Vichy, en faisant adopter d’avance par l’opinion publique les dispositions gouvernementales qui devaient suivre [31] ». Qui plus est, il a contribué à la légitimation de Pétain, comme le suggère l’acte d’accusation : il « édifie le piédestal sur lequel ce dernier s’élève, il crée le climat qui lui est favorable, il le pare même d’attributs religieux : le miracle Pétain, l’homme de la Providence, la mystique du Chef ». L’acte d’accusation insiste également sur la séduction que sa rhétorique a pu exercer sur le public, le rendant ainsi responsable de l’adhésion massive et aveugle au Maréchal, ce qui a été appelé la « confiance dans la nuit ». Faux prophète, Maurras a trompé l’opinion publique, il l’a manipulée. Ce portrait du mystificateur au service du pouvoir a pour contrepoint la figure du journaliste en régime démocratique, dont le rôle est d’éclairer l’opinion et de lui donner les moyens de juger par elle-même.

52Un des arguments avancés par les inculpés pour atténuer leur responsabilité consiste à invoquer l’influence d’autorités supérieures. Si personne ne s’est risqué à mentionner la fascination qu’Hitler avait exercée sur nombre d’intellectuels, mis à part l’ex-ambassadeur allemand Otto Abetz, lors de l’instruction du dossier d’Alphonse de Châteaubriant en son absence, l’ascendant qu’exerçait le chef de l’État, le maréchal Pétain, a en revanche été invoqué par nombre des prévenus. C’est par exemple le cas d’Henri Béraud, qui écrit dans son mémoire en défense :

53

« Comment un simple citoyen, tel que moi, qu’il avait jadis commandé à Verdun puis aidé dans sa carrière littéraire, et qu’il venait de recevoir paternellement, eût-il pu mettre en doute l’autorité du Maréchal [32] ? »

54Mais l’argument est peu crédible de la part d’un célèbre pamphlétaire qui s’est fait connaître pour sa virulente critique des gouvernements successifs dans l’hebdomadaire Gringoire, dont le tirage avait dépassé, grâce à sa plume acérée, les 500 000 exemplaires avant la guerre.

55Charles Maurras lui-même, qui a tant combattu les gouvernements antérieurs, argue que le devoir de l’écrivain, « là où l’État existe, où il fait son métier », est « double : d’abord le lui laisser faire et puis, le lui faciliter ». Il fallait faire confiance au Maréchal, qui se sentait pleinement « responsable ». À la différence de Béraud, c’est donc en pleine conscience et volonté qu’il a abdiqué son esprit critique d’antan… Maurras invoque une autre autorité, celle du pape Pie XII qui a lui-même parlé du « Miracle Pétain ». Il cite aussi les hommages rendus au Maréchal par Roosevelt et l’amiral Leahy. En ce qui concerne l’armistice, explique son avocat, Me Goncet, il s’est « incliné devant les conclusions des deux experts militaires » que sont les maréchaux Pétain et Weygand [33].

56La responsabilité de Maurras ne se limite pas, cependant, à la légitimation du régime de Vichy, selon le commissaire du gouvernement Thomas. Ses « attaques violentes » contre le maquis ont certainement eu pour conséquence de « faire hésiter un certain nombre de patriotes prêts à prendre les armes, de pousser à la haine et au meurtre des Français et à la répression contre le maquis, les partisans de la collaboration […] [34] ». Recourant dans son réquisitoire à une métaphore usitée dans les procès littéraires du xixe siècle, il évoque le « poison maurrassien » : Maurras a « inoculé le venin à certaines personnes ». Il est par conséquent responsable, à ses yeux, non seulement du sort des victimes qu’il a dénoncées publiquement, mais aussi du fourvoiement d’anciens combattants, membres d’Action française, qui ont rallié la Milice ou y ont envoyé leurs fils. Cette idée est exprimée dans l’acte d’accusation : Maurras a, « grâce à son talent, à son influence sur la jeunesse, fait engager dans la Milice un certain nombre de jeunes Français abusés par les sophismes de ce partisan de la seule France [35] ». Cela a trait non plus à la responsabilité subjective mais à sa dimension objective. Contestée par la tradition libérale, comme on l’a vu, cette responsabilité objective de l’écrivain revêt néanmoins une signification particulière si l’on considère la situation de quasi-monopole dont jouissaient ces intellectuels dans un espace public où l’opposition était réduite au silence.

57L’influence sur la jeunesse confère le plus haut degré de responsabilité objective. Le commissaire du gouvernement reproche à Robert Brasillach d’avoir essayé d’entraîner la jeunesse « d’abord vers une politique stérile, ensuite vers l’ennemi », dénonçant « ses ravages parmi ses disciples intellectuels » [36]. Ravages qui débordent les milieux intellectuels et qui se sont traduits de surcroît par des actes, explique le commissaire du gouvernement : « Combien de jeunes écervelés aurez-vous, par vos articles, incités à la lutte contre le maquis ? De combien de crimes serez-vous le responsable intellectuel ? » Et de poursuivre : « Et lorsqu’on pense que des jeunes gens ont pu, en vous faisant confiance, être entraînés vers la délation ou l’action directe, lorsqu’on se rend compte que d’une façon non pas immédiate, peut-être, mais médiate, certains traitements de la Gestapo ont pu être en synchronisation avec vos appels, faut-il encore parler d’opinion, ou convient-il de parler de crime ? » [37].

58Face à ces accusations, la défense se borne à minimiser l’impact des écrits incriminés et à en nier les effets, selon un argument classique dans les procès littéraires du xixe siècle. Si certains écrivains voulaient bien reconnaître que leur plume avait parfois dépassé leur pensée, ces excès n’avaient, à les entendre, pas eu de conséquences. L’accueil réservé aux soldats alliés et les élans du pays pour sa libération prouvent que la presse – que tout le monde sait contrôlée par l’occupant –, n’a pas eu une « influence appréciable », argue Me Moureaux lors du procès de Stéphane Lauzanne [38]. « On ne convainc que ceux qui sont déjà convaincus », déclare Me Felici au procès d’Hérold-Paquis [39]. Les polémistes ne font-ils pas « toujours plus de bruit que de mal ? » se demande l’écrivain fasciste Lucien Rebatet dans son mémoire en défense [40]. Auteur d’un virulent pamphlet antidémocratique et antisémite, Les Décombres, qui a été, avec un tirage de 65 000 exemplaires, l’un des best-sellers de l’Occupation, ce dernier a revendiqué les profits de la parole pamphlétaire dans une conjoncture où elle ne comportait pas de risque apparent [41] ; à présent que ce risque se révèle réel, il tente de réduire cette parole à du bruit.

59Parmi les figures rhétoriques du discours pamphlétaire, la dénonciation est sans doute celle dont la violence et le caractère performatif paraissent les plus évidents, surtout quand elle vise des groupes ou des individus menacés de répression. La relation de causalité entre le discours dénonciateur et les actes de répression paraît alors certaine, alors même que, comme on va le voir, elle n’est pas facile à établir. Ainsi, dans ce cas, c’était la responsabilité objective qu’il fallait démontrer, la responsabilité subjective étant aisée à établir à partir des écrits.

60Les épurateurs considèrent ainsi que les « dénonciations collectives » ont participé de ces campagnes de démoralisation de la population française, en la divisant. Dans son réquisitoire contre Brasillach, le commissaire du gouvernement Reboul s’excuse d’employer ce mot dans un sens qui n’est pas usuel, puisqu’il s’agit d’une forme plus subtile de dénonciation. Mais étant donné « l’influence » de Brasillach, sa position et son crédit, notamment auprès de la Gestapo qui, avance-t-il, « lisait tous ses articles », l’occupant ne peut qu’en avoir tiré parti – responsabilité objective –, et Brasillach est « trop intelligent pour n’avoir pas pensé qu’il en serait ainsi ». N’a-t-il pas lui-même utilisé le terme « dénoncer » ? C’est donc en pleine connaissance de cause qu’il a agi, selon Reboul : à la responsabilité objective s’ajoute la responsabilité subjective. Les trois principaux groupes visés sont les gaullistes, les communistes et les Juifs. Brasillach a appelé à fusiller les « traîtres » ou à les déporter et à frapper ceux qui en étaient « moralement complices ». Pour Brasillach, le général de Gaulle est « un traître fort légalement condamné à mort », les gaullistes sont tous des « traîtres ». Il justifie les opérations de nettoyage menées contre les gaullistes de l’intérieur et les réfractaires, nomme les chefs communistes et les anciens membres du gouvernement républicain, Mandel, Reynaud, Blum, qu’il faut exécuter sur-le-champ. En revanche, il affirme n’avoir jamais approuvé le régime des otages, qu’appelaient de leurs vœux un Charles Maurras ou un Lucien Rebatet [42].

61Maurras a mené une virulente campagne antigaulliste. En 1943, il suggère un recours plus fréquent à la peine de mort contre les gaullistes, et, si elle ne suffisait pas, la prise et l’exécution d’otages parmi leurs familles. À la suite du débarquement allié en Algérie, il déplore que les officiers qui l’ont facilité n’aient pas été exécutés et réclame le droit pour l’armée de fusiller les gaullistes « à toute capture ». En 1943 toujours, il exhorte à la prise d’otages et à l’exécution d’otages communistes à la suite d’attentats. Il appelle également au durcissement de la répression contre le maquis et requière pour les résistants la proclamation de la loi martiale qui permettrait de les interroger et de les exécuter dans les quarante-huit heures. Cela fait-il partie des doctrines maurrassiennes ? se demande le commissaire du gouvernement Thomas. Ou bien ces campagnes rejoignent-elles, quoi qu’en dise Maurras, les doctrines allemandes sur ce régime des otages ? – ce qui permettait de les qualifier d’actes de trahison et d’établir ainsi la responsabilité objective du leader monarchiste. Or, pas plus qu’il ne regrette ses appels aux exécutions d’otages, qu’il considère comme des « réponses », Maurras ne démord pas de l’idée que « les hommes qui ont sciemment et volontairement poussé à la guerre sont justiciables du peloton d’exécution » et que c’est à la police française de s’en occuper, faute de quoi les Allemands s’en chargeraient. Commentaire de Paul Soupiron dans Le Monde : « En somme M. Maurras a demandé aux Français de fusiller des Français pour que les Allemands ne les fusillent pas [43]. »

62L’accusation reproche en outre à Maurras ses campagnes antisémites à un moment où les Juifs sont persécutés, où ils encourent des représailles de l’occupant, la spoliation et la déportation dans les camps de concentration. Que l’antisémitisme maurrassien n’ait aucun rapport avec l’antisémitisme de Goebbels, comme le clame le prévenu, ne change rien aux résultats selon le commissaire du gouvernement, à savoir le sort qui est réservé aux Juifs : arrestations, déportation, torture, mort. Cette distinction ne le dédouane donc pas de sa responsabilité objective. Maurras répond dans son mémoire en défense que non seulement il ignorait « ces belles choses », mais qu’il savait au contraire « qu’il y avait une foule de pays dans lesquels les colonies juives étaient florissantes, dans lesquels elles se procuraient tout au marché noir, qu’elles corrompaient profondément les populations paysannes ». Au commencement de 1944, à l’approche des forces alliées, les Juifs de beaucoup de pays lui ont paru devenir « très arrogants », voire menaçants. Il faut, explique-t-il, répondre à la menace par la menace. Son article est parfaitement « inoffensif » à ses yeux. C’est un « trait d’imagination juif : ils se croient toujours menacés ». Il faut rappeler que l’audience du procès Maurras se tient en janvier 1945, avant le retour des déportés en France, qui va décupler, rétrospectivement, le caractère scandaleux de ces affirmations. À l’annonce du verdict le déclarant coupable d’intelligence avec l’ennemi, avec circonstances atténuantes en raison de son âge et de sa surdité, Maurras s’exclame, furieux : « C’est la revanche de Dreyfus » [44].

63Brasillach ne renie pas non plus son antisémitisme forcené. En tant qu’ancien disciple de Maurras, il peut à bon droit le présenter comme étant de tradition française et non d’importation allemande. Au président de la cour qui l’interroge sur un article de février 1942, dans lequel il a écrit qu’il fallait traiter le problème juif sans aucun sentimentalisme, il répond que, pour lui, la « question juive » est un problème qui se pose « indépendamment de toute question d’occupation ». Il affirme toutefois n’avoir approuvé « aucune espèce de violence collective ». Il n’a pas non plus approuvé « que l’on séparât les femmes et les enfants », explique-t-il. C’est le sens qu’il donne rétrospectivement à cette phrase, écrite au moment des rafles : « Il faut se séparer des Juifs en bloc et ne pas garder de petits […]. » [45]

64Rebatet a fait lui aussi preuve d’une « haine furieuse » contre les Juifs. Les mesures antisémites du gouvernement de Vichy sont insuffisantes à ses yeux : il regrette que le port de l’étoile jaune n’ait pas été rendu obligatoire en zone sud, et émet le souhait que les étrangers d’origine juive soient proscrits. Dans un article de janvier 1941, il caractérise le « virus juif » comme un mal dont on ne peut se débarrasser par des lois : il faut non pas les exterminer mais les chasser, en faisant appel à la Milice. En 1944, il conclut un article dans le journal des Waffen SS Devenir par « Mort aux Juifs ! Vive notre Révolution [46] ». Au président de la cour qui l’interroge sur cet article pendant son procès, Rebatet répond que celui-ci n’a pas eu une diffusion très large [47]. Tout comme Maurras, il explique que les violences verbales à l’égard de telle ou telle personne ou tel ou tel groupe social ne sont que des réponses en légitime défense à des attaques et à des calomnies [48].

65Le plus célèbre des antisémites de plume, Louis-Ferdinand Céline, se voit reprocher d’avoir réédité son pamphlet Bagatelles pour un massacre en 1943. L’acte d’accusation fait remarquer – soulignant la double responsabilité, objective et subjective, de l’auteur dans les circonstances de l’Occupation – que s’il a « parfaitement le droit de faire paraître un tel ouvrage avant la guerre il aurait dû s’opposer à sa réédition à une époque où les Juifs étaient arrêtés en masse et déportés en Allemagne dans des camps d’extermination », car même s’il ignorait leur sort, il savait qu’il facilitait leur déportation.

66Pour se disculper de toute responsabilité subjective, Céline impute la responsabilité de la réédition de son pamphlet à son éditeur, Denoël, qui a bénéficié d’un non-lieu. Il avait pourtant donné son accord et demandé à deux reprises du papier à son ami Karl Epting, le directeur de l’Institut allemand, pour la réimpression [49]. Il argue par ailleurs qu’il n’a pas écrit d’articles pendant cette période et qu’il n’a pas réclamé de mesures de violence contre les Juifs [50]. Les Juifs devraient lui « élever une statue » pour le mal qu’il ne leur a pas fait mais qu’il aurait pu leur faire, avance-t-il dans son mémoire en défense [51]. Quant aux Beaux Draps, qui les a lus ? « Personne », écrit-il à son avocat, niant lui aussi l’impact de ses écrits, et donc sa responsabilité objective [52].

67Aux dénonciations collectives s’ajoutent, pour certains, les dénonciations individuelles de personnes citées nommément dans les articles. Mais, bien qu’elles soient imprimées noir sur blanc, l’accusation ne peut démontrer le lien de causalité avec la répression dont ont été victimes les plaignants.

68La défense conteste l’usage même du terme de dénonciation. L’avocat d’Hérold-Paquis, Me Felici, explique, à propos d’une émission de radio dédiée à cela, qu’une dénonciation publique est le contraire d’une dénonciation, parce que la dénonciation se fait secrètement, en trompant sa victime [53]. Il entend ainsi distinguer les attaques publiques proférées par les intellectuels collaborateurs contre certains de leurs concitoyens des actes de dénonciation directe auprès des autorités, qui ont été pratiqués massivement durant l’Occupation. Un autre argument, déjà évoqué, consiste à affirmer l’autonomie des écrits incriminés par rapport à la propagande allemande, afin de requalifier l’accusation d’acte de trahison en procès d’opinion. Lors de son procès, Brasillach reconnaît ainsi que si les Allemands attaquent les mêmes personnes que lui, ce n’est pas le fruit du hasard, mais, explique-t-il, cela ne résulte pas non plus d’une orchestration, comme veut le lui faire dire le président de la cour : les Allemands ne lui ont pas ordonné de le faire. Il n’a donc pas trahi intentionnellement.

69La défense ne parvient pas à faire valoir son point de vue. Le bilan de l’épuration des intellectuels est lourd. À la cour de justice de la Seine, où ont été jugés un grand nombre d’entre eux, douze condamnations à mort ont été prononcées sur trente-deux affaires d’écrivains et journalistes que nous avons repérées, dont trois par contumace : Alain Laubreaux, André Chaumet, Alphonse de Châteaubriant. Parmi les autres, sept ont été exécutés – Georges Suarez, Armand Chastenet de Puységur, Paul Chack, Robert Brasillach, Paul Ferdonnet, Jean Hérold-Paquis, Jean Luchaire –, deux ayant été graciés – Henri Béraud par de Gaulle en janvier 1945, Lucien Rebatet par Vincent Auriol en 1947 – et leur peine commuée en travaux forcés à perpétuité. Treize autres écrivains ou journalistes ont été condamnés aux travaux forcés, donc cinq à perpétuité, deux à la réclusion perpétuelle, un à vingt ans de prison, trois autres à cinq ans ou moins. Parmi ces derniers, Céline écope d’un an de prison par contumace, et sera amnistié par un tribunal militaire en 1951 sous son identité de Dr Louis-Ferdinand Destouches. À Lyon, la cour de justice déclare Charles Maurras coupable du crime d’intelligence avec l’ennemi, mais ayant bénéficié de circonstances atténuantes comme on l’a vu, il est condamné à la réclusion perpétuelle et à la dégradation nationale.

70Les intellectuels ont-ils constitué des boucs émissaires, comme certains l’ont suggéré à l’époque ? Divers facteurs ont été avancés pour expliquer la sévérité à leur encontre [54]. De manière générale, les individus ont été plus sévèrement touchés que les institutions (maisons d’édition, académies, sociétés). En outre, à Paris, les procès ont été plus sévères qu’en province : or, du fait de la centralisation de la vie culturelle dans la capitale, les intellectuels de renom, et en particulier les écrivains, ont été majoritairement déférés devant la cour de justice de la Seine. La sévérité des sanctions ira décroissant dans le temps : les intellectuels sont nombreux parmi les premiers jugés – notamment pendant la période qui précède la fin de la guerre – parce que leurs dossiers sont plus faciles à instruire, les écrits constituant des preuves à charge indubitables. Enfin, le renom de ces intellectuels, dont les signatures se sont étalées dans la presse parisienne pendant quatre ans, les désigne au châtiment exemplaire à l’issue de ce qui a été avant tout une guerre idéologique. La responsabilité croissant à mesure que l’on s’élève sur l’échelle sociale, la notoriété a même été, on l’a vu, considérée comme un facteur aggravant. Mais le facteur le plus déterminant est sans doute la croyance dans le pouvoir des mots. Elle explique que les intellectuels sont des responsables tout désignés pour limiter la responsabilité collective et décharger la société de sa responsabilité objective, attestée par des faits quotidiens de collaboration structurelle (sur le plan économique notamment), caractéristiques de toute situation d’occupation étrangère. Pourtant, malgré l’évidence des « preuves », la qualification de leurs paroles comme des actes n’allait pas de soi, comme on l’a vu. En outre, par rapport à l’histoire des procès littéraires, l’épuration marque un renversement : on a reproché aux intellectuels de n’avoir pas été critiques du gouvernement – comme si la revendication de l’autonomie de l’intellectuel et de sa fonction critique dans la société avait été reconnue par les pouvoirs.

71La question de la responsabilité de l’écrivain divise la communauté littéraire, entre les « intransigeants » et les « indulgents », selon des termes qui se réfèrent ouvertement à la Révolution française. Le camp des « intransigeants » est formé par la jeune génération issue de la Résistance, Camus, Sartre, Vercors, Eluard. Les partisans de l’indulgence se recrutent surtout parmi les aînés, Mauriac, Duhamel, Jean Paulhan. Le débat porte sur les limites de la responsabilité de l’écrivain. Les « indulgents » tentent de relativiser la responsabilité de l’écrivain par comparaison avec ceux qui ont alimenté la machine de guerre. Si l’on requiert la mort contre un « poète » comme Brasillach, quelle peine réserve-t-on aux « marchands de canons » ? a demandé Me Isorni lors du procès de l’écrivain.

72Jean Paulhan, l’ancien directeur de la prestigieuse Nouvelle Revue française et un des fondateurs du Comité national des écrivains, principale organisation de la résistance littéraire, invoque « le droit à l’erreur », et le « droit à l’aberration » de l’écrivain. Mettant l’accent sur la responsabilité objective, Paulhan considère que le crime réside dans les actes et non dans la parole, la responsabilité incombe à ceux qui ont réalisé les idées plutôt qu’à ceux qui les ont émises [55]. Sartre va lui répondre dans Qu’est-ce que la littérature ? (1948) que l’écriture est en soi un acte [56]. Cette idée fonde sa théorie de la littérature engagée : ce qu’on écrit engage… Lors de la première conférence de l’Unesco en 1946 [57], Sartre explique que la responsabilité de l’écrivain est illimitée, contrairement à celle du médecin ou du cordonnier, qui a une responsabilité limitée, parce que nommer, c’est selon lui donner sens aux choses. Si elle paraît ratifier les procès de l’épuration, la théorie sartrienne de la littérature engagée opère cependant une dénationalisation du concept de responsabilité encore fortement ancré dans le cadre national (les collaborateurs étaient jugés comme traîtres à la nation), en la rattachant à sa philosophie de la liberté : en tant qu’incarnation de la liberté, l’écrivain doit garantir la liberté des autres, il doit lutter pour la liberté de ses lecteurs, sans laquelle il s’annihile lui-même.

73Ces procès ont marqué des étapes dans la conquête de la liberté d’expression et dans la reconnaissance d’une certaine autonomie à la littérature, même si elle ne bénéficie pas d’une « franchise » telle que celle qui est accordée aux ouvrages médicaux. Lors du procès en appel de Jean-Jacques Pauvert, éditeur des œuvres complètes du marquis de Sade, en 1958, l’avocat général Jean Boucheron, faisant écho au projet zolien, réclame pour les écrivains une « franchise littéraire » au même titre que celle dont jouit la science, et un droit à « traiter sous la forme du roman même des aberrations de l’homme », au nom de la liberté de la littérature et de l’art et de leur « contribution à la connaissance de l’homme » [58]. Cependant, il n’est pas entendu : le jugement ne reconnaît aucune immunité aux écrivains, expliquant que leur œuvre touche un large public, à la différence des travaux de médecins et de psychiatres, réservés à un cercle restreint de chercheurs et d’étudiants. Il réitère la condamnation des ouvrages de Sade pour obscénité et confirme le jugement contre Pauvert, mais fait verser les ouvrages interdits à la Bibliothèque nationale, en raison de leur qualité littéraire, selon une disposition prévue par le décret-loi du 29 juillet 1939 [59]. Ce décret relatif à la famille et à la natalité françaises, et qui traite – au chapitre de « protection de la race » – de l’outrage aux bonnes mœurs, prend acte, dans une certaine mesure, du combat mené par nombre d’écrivains et d’artistes réunis au début du xxe siècle dans une Ligue pour la liberté de l’art pour que soit opérée une distinction entre art et pornographie. Il institue une commission spéciale pour le livre, qui doit être consultée avant toute poursuite, et dans laquelle la Société des gens de lettres est représentée, auprès du porte-parole des associations et ligues de défense de la moralité et de celui des associations de défense des familles nombreuses, lesquelles se voient reconnaître au même moment le droit de se porter parties civiles, rapprochant ainsi la pratique juridique française de la tradition anglo-saxonne.

74La libéralisation de l’écrit depuis 1945 tient aussi à la relativisation du pouvoir nocif des mots par rapport au développement sans précédent de l’image, celle-ci ayant toujours été considérée comme plus dangereuse que la parole. Elle masque toutefois le renforcement de la censure administrative, qui donne la primeur à la définition objective de la responsabilité et évite tout débat public.

75Dernière évolution notable, on observe une dénationalisation de la responsabilité de l’écrivain, mis à part la période de la guerre d’Algérie, la censure ou les poursuites étant désormais motivées par des principes universels tels que la protection de l’enfance, dont le cadre a été défini par la loi de 1949, l’interdiction des incitations à la haine raciale, prévue par le décret-loi Marchandeau de 1939, ou encore les droits de l’individu face à la diffamation et aux atteintes à la vie privée.

Notes

  • [1]
    Cet article, tiré d’une conférence prononcée à la Cour de cassation le 4 octobre 2012, synthétise les résultats d’une recherche de longue haleine publiée sous le titre La Responsabilité de l’écrivain. Littérature, droit et morale en France xixe-xxie siècles, Paris, Seuil, 2011.
  • [2]
    Comme l’a montré Michel Foucault, la responsabilité pénale de l’auteur a joué un rôle déterminant, depuis l’édit de Châteaubriant de 1551 imposant l’apposition du nom de l’auteur et de l’imprimeur sur toute publication, dans l’émergence de la « fonction auteur » et donc de la figure de l’écrivain moderne. La revendication de la propriété littéraire est apparue plus tardivement et n’a été reconnue qu’en 1777. M. Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? » (1969), Dits et Écrits, t. I, 1954-1988, Paris, Gallimard, 1994, p. 789-820.
  • [3]
    P. Fauconnet, La Responsabilité. Étude de sociologie, Paris, Librairie Félix Alcan, 1920, p. 4.
  • [4]
    Pour Fauconnet, qui ne traite de ce point qu’occasionnellement, sans l’inscrire dans la législation sur la presse, cette substitution permanente du responsable secondaire, le gérant, aux rédacteurs qui commettent des délits de presse est un exemple de « fiction juridique » faisant exception dans le droit pénal laïque, qui n’autorise jamais la substitution de patients en principe ; P. Fauconnet, ibid., p. 172. Voir sur ce point M. Dury, La Censure. La Prédication silencieuse, Paris, Publisud, 1995, p. 129 sqq. Mais on peut soutenir au contraire que, dans la mesure où la responsabilité est attachée à la publication de l’écrit coupable, le gérant n’apparaît pas comme un responsable indirect.
  • [5]
    Voir L.-R.-B. Maiseau, Manuel de la liberté de la presse. Analyse des discussions législatives sur les trois lois relatives à la presse et aux journaux et écrits périodiques, Paris, Pillet aîné, 1819.
  • [6]
    Plaidoirie de Me Berville, « Procès de Paul-Louis Courier » [1821], in P.-L. Courier, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1951, rééd. 1964, p. 109.
  • [7]
    « Tribunal de police correctionnelle. Procès des Chansons inédites de M. de Béranger », Journal des débats, 11 décembre 1828.
  • [8]
    Cité d’après la Gazette des tribunaux, 11 décembre 1828.
  • [9]
    Lettre de P.-L. Courier à Mme Courier (juin 1821 ; CCV), in P.-L.Courier, Œuvres complètes, op. cit., p. 898.
  • [10]
    Cité dans C. Baudelaire, Correspondance, t. I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1973, p. 598.
  • [11]
    G. Flaubert, Œuvres, t. I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1951, p. 681-683.
  • [12]
    Voir en particulier D. LaCapra, « Madame Bovary » on Trial, Ithaca, Cornell UP, 1982 ; et, pour une analyse plus nuancée sur ce point, Y. Leclerc, Crimes écrits, La Littérature en procès au xixe siècle, Paris, Plon, 1991, p. 129-222.
  • [13]
    Voir C. Charle, Naissance des « intellectuels », 1880-1900, Paris, Les Éditions de Minuit, 1990, p. 28 sqq.
  • [14]
    A. Leroy, « La littérature en cour d’assises », La Presse, 23 décembre 1884.
  • [15]
    Paul Bonnetain, Charlot s’amuse, Bruxelles, Henry Kistemaeckers, 1883.
  • [16]
    Sur ce procès, voir notamment Y. Leclerc, Crimes écrits…, op. cit., p. 400, et A. Zévaès, Les Procès littéraires au xixe siècle, Paris, Perrin, 1924, p. 236-237.
  • [17]
    Louis Desprez, Autour d’un clocher, Bruxelles, Kistemaeckers, 1885.
  • [18]
    Le texte est repris dans R.-P. Colin et J.-F. Nivet, Louis Desprez (1861-1885). « Pour la liberté d’écrire », biographie suivie de Pour la liberté d’écrire et de Mes prisons, par un naturaliste, Tusson, Éditions du Lérot, 1992.
  • [19]
    É. Zola, « Louis Desprez », Le Figaro, 9 décembre 1885.
  • [20]
    Lucien descaves, Sous offs, Paris, Librairie Paul Ollendorff, 1889, Paris, La part commune, 2009.
  • [21]
    Réquisitoire de l’avocat général Rau, in L. Descaves, Lucien Descaves, « Sous-Offs ». Roman militaire, présentation d’H. Mitterand, Genève, Slatkine reprints, 1980, p. 448-449.
  • [22]
    L’Affaire Dreyfus. Le Procès Zola. 7 février-23 février 1898 devant la cour d’assises de la Seine. Compte rendu sténographique in extenso, Paris, Stock, 1998, p. 288-289.
  • [23]
    Punie de mort dans le code napoléonien qui la définit en ses articles 75 et suivants par le terme d’« intelligence avec l’ennemi », la trahison avait été requalifiée comme crime politique sous la monarchie de Juillet, et bénéficiait de circonstances atténuantes, jusqu’à la loi Marchandeau de 1939, qui en fait à nouveau un crime de droit commun. C’est pour ce crime que la peine de mort, abolie en 1848, fut rétablie à l’instigation d’un projet de loi déposé au lendemain de l’affaire Dreyfus par le général Mercier qui trouvait insuffisante la peine à laquelle avait été condamné le capitaine en vertu de l’article 76 du code pénal. Voir A. Simonin, « Trahir », in V. Duclert et C. Prochasson (dir.), Dictionnaire critique de la République, Paris, Flammarion, 2007, p. 1121.
  • [24]
    Voir P. Novick, L’Épuration française 1944-1949 [1968], trad. Paris, Balland, 1985 ; A. Bancaud, « La construction de l’appareil juridique », in M. O. Baruch (dir.), Une poignée de misérables. L’Épuration de la société française après la Seconde Guerre mondiale, Paris, Fayard, 2003, p. 73. Sur l’indignité nationale, voir A. Simonin, Le Déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité 1791-1958, Paris, Grasset, 2008.
  • [25]
    Voir A. Simonin, « Trahir », op. cit., p. 1121.
  • [26]
    Sténographie du procès Hérold-Paquis, 17 septembre 1945, Archives René Bluet, Archives nationales, 334 AP 15, p. 39.
  • [27]
    J. Austin, Quand dire, c’est faire [1962], trad. Paris, Seuil, 1970, rééd. coll. « Points », 1991.
  • [28]
    Sténographie du procès d’Henri Béraud, Archives René Bluet, Archives nationales, 334 AP 10, p. 57.
  • [29]
    Réquisitoire de Me Lindon, ibid., p. 87.
  • [30]
    C. de Gaulle, Mémoires de guerre, t. III, Paris, Plon, coll. « Presses Pocket », 1959, rééd. Pocket, p. 141.
  • [31]
    Le Procès de Charles Maurras, compte rendu sténographique, Paris, Albin Michel, 1945, p. 9.
  • [32]
    H. Béraud, « Mémoire à l’intention du juge d’instruction », daté du 4 novembre 1944, Archives nationales, Z6 7 no 102.
  • [33]
    Le Procès de Charles Maurras, op. cit., p. 329.
  • [34]
    Ibid., p. 12.
  • [35]
    Ibid., p. 13.
  • [36]
    Réquisitoire de Marcel Reboul, in J. Isorni, Le Procès de Robert Brasillach, Paris, Flammarion, 1946, p. 126-127.
  • [37]
    Ibid., p. 159-160.
  • [38]
    Sténographie du procès de Stéphane Lauzanne, Archives René Bluet, Archives nationales, 334 AP 8, p. 128.
  • [39]
    Plaidoirie de Me Felici, sténographie du procès de Hérold-Paquis, Archives René Bluet, Archives nationales, 334 AP 15, p. 24.
  • [40]
    Note de Lucien Rebatet sur Les Décombres. Interrogatoire du 27 octobre 1945, Archives nationales, Z6 255 no 2999, p. 19.
  • [41]
    Le pamphlétaire prétend généralement prendre un risque en énonçant certains faits refoulés de la conscience collective ou tabous ; voir à ce propos M. Angenot, La Parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes, Paris, Payot, 1982.
  • [42]
    L. Rebatet, « Traquons les gaullistes », Le Cri du peuple, 11 novembre 1940, cité d’après R. Belot, Lucien Rebatet. Un itinéraire fasciste, Paris, Seuil, 1994, p. 260.
  • [43]
    P. Soupiron, « Le procès Maurras », Le Monde, 26 janvier 1945.
  • [44]
    Voir la description d’A. Grebel, « La réclusion perpétuelle pour Maurras », France libre, 28-29 janvier 1945.
  • [45]
    Le Monde, op.cit.
  • [46]
    « Internationale aryenne », Devenir, 3, avril-mai 1944.
  • [47]
    Rapporté par R. Grenier, « L’avocat de Rebatet soulève un violent incident à propos de M. Thorez, compte rendu d’audience », Combat, 21 novembre 1946.
  • [48]
    Archives nationales, Z6 255 no 2999, p. 15.
  • [49]
    Lettres du 15 avril 1942 et du 4 mai 1943, citées par F. Gibault, Céline, t. II, 1932-1944 : Délires et Persécutions, Paris, Mercure de France, 1985, p. 263.
  • [50]
    Voir notamment sa lettre au président du tribunal Deloncle le 16 décembre 1949, in F. Gibault, Céline, t. III, 1944-1961 : Cavalier de l’Apocalypse, Paris, Mercure de France, 1985, p. 197, 216.
  • [51]
    R. Collin, « Le procès de Louis-Ferdinand Céline », Combat, 22 février 1950, et F. Gibault, Céline, t. III, op. cit.
  • [52]
    Lettre du 25 mai 1947, in L.-F. Céline, Lettres à son avocat, Paris, Flûte de Pan, 1984, p. 27.
  • [53]
    Plaidoirie de Me Felici, sténographie du procès de Hérold-Paquis, Archives René Bluet, Archives nationales, 334 AP 15, 6.
  • [54]
    Voir P. Novick, L’Épuration française, op. cit. ; P. Assouline, L’Épuration des intellectuels, Bruxelles, Complexe, 1985 ; H.-R. Lottman, L’Épuration 1943-1953 [1986], trad. Paris, Fayard, 1986 ; D. Rubinstein, « Publish and Perish : the Épuration of French Intellectuals », Journal of European Studies, X XIII (1993), p. 71-99 ; G. Sapiro, « L’épuration du monde des lettres », in M.-O. Baruch (dir.), Une poignée de misérables. L’Épuration de la société française après la Seconde Guerre mondiale, Paris, Fayard, 2003, p. 243-285.
  • [55]
    J. Paulhan, De la paille et du grain, Paris, Gallimard, 1948, p. 98.
  • [56]
    J.-P. Sartre, Situations II, Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, 1975.
  • [57]
    J.-P. Sartre, La Responsabilité de l’écrivain, Paris, Verdier, 1998.
  • [58]
    Extraits du réquisitoire cités par A. Simonin, Le Déshonneur dans la République…, op. cit., p. 667-668 ;
    voir aussi, sur toute l’affaire, p. 658-669.
  • [59]
    Jugement reproduit dans J.-J. Pauvert, « L’affaire Sade », Nouveaux (et moins nouveaux) visages de la censure, Paris, Les Belles Lettres, 1994, p. 141-142.
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