Notes
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[1]
À ce sujet voir l’article de Israël (L.), « La Résistance dans les milieux judiciaires, action collective et identité professionnelle en temps de guerre », Genèses, n? 45, décembre 2001, p. 46-47.
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[2]
Krivopissko (G.), La Vie à en mourir, lettres de fusillés (1941-1944), Paris, Tallandier, 2003, p. 70-71.
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[3]
Pour les avocats du xviie siècle auxquels j’ai consacré ma thèse de doctorat et divers articles, on rencontre déjà ce type de difficultés avec les archives professionnelles qui sont largement introuvables.
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[4]
Israël (L.), Robes noires, années sombres. Avocats et magistrats pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Fayard, 2005.
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[5]
Lettre d’Édouard Maury à son fils Jacques, au dépôt, Paris, 12 septembre 1942, collection musée de la Résistance nationale, Champigny-sur-Marne, fonds Édouard Maury. Employé à la ville de Paris, Édouard Maury, né en 1905, est responsable du syndicat clandestin des égoutiers et commissaire interrégional des FTP. Arrêté le 10 août 1942 à son domicile de Fontenay-sous-Bois par les inspecteurs de la brigade spéciale de la préfecture de police de Paris, il est interrogé et torturé durant des jours. Le 12 septembre, il parvient à faire passer clandestinement une lettre qui témoigne les traitements qu’il a subis. Condamné à quatre ans de prison et 1 200 francs d’amende pour distribution de tracts par la section spéciale de la cour d’appel de Paris le 3 mars 1943, il est mis à disposition des autorités d’occupation. Rejugé pour les mêmes faits le 20 décembre par le tribunal militaire allemand de Paris, il est condamné à mort et fusillé le 29 décembre 1943 au mont Valérien.
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[6]
Journal officiel, 18 juillet 1940, page 4538.
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[7]
Thalmann (R.), La Mise au pas. Idéologie et stratégie sécuritaire dans la France occupée, Paris, Fayard, 1991.
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[8]
Journal officiel, 23 août 1941, page 3550.
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[9]
Article 8.
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[10]
Damiani (L.), « Institution oratoire de Michel Langlois », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, n 25-26, 2006, p. 242.
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[11]
Lettre de Georges Pitard à Mme Repussard, collection musée de la Résistance nationale, fonds Jean Repussard. Cet avocat défendant des syndicalistes, des communistes et des résistants est lui-même arrêté le 25 juin 1941 du fait de son activité professionnelle, interné à la prison du Cherche-Midi, puis au camp de Royallieu et fusillé comme otage le 20 septembre 1941.
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[12]
Sur l’air de Ah mon beau château...
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[13]
Israël (L.), Robes noires, années sombres..., op. cit., n. 4, p. 151.
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[14]
Copie de la dernière lettre de Jean Catelas (1894-1941), député d’Amiens, arrêté par la police française le 16 mai 1941, condamné par le tribunal d’État de Vichy et guillotiné le 24 septembre 1941. Collection Musée de la Résistance nationale.
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[15]
Musée de la Résistance nationale, fonds Jacques Damiani, lettre du 15 octobre 1943.
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[16]
Collection musée de la Résistance nationale, fonds Joë Nordmann, carton no 1.
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[17]
Journal fondé et animé par Georges Politzer, Jacques Solomon et Jacques Decour dont une centaine de numéros parurent malgré l’exécution de ses fondateurs en 1942.
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[18]
Léon-Maurice Nordmann (1908-1942), avocat au barreau de Paris, juif, socialiste, il est membre du réseau du musée de l’Homme, il est fusillé au mont Valérien le 23 février 1942.
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[19]
Page 9, il est fait référence à « ce que signifient, pour des milliers de familles françaises, les seuls noms de Gurs, de Drancy, d’Aussechwitz ».
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[20]
Maurice Gabolde (1891-1972). Celui qui fut procureur de l’État à Paris à partir de 1941 et rédacteur des lois d’août 1941 réprimant l’activité communiste ou anarchiste a été ministre de la Justice à partir de mars 1943. Condamné à mort par contumace par la Haute Cour de justice, il termine sa vie dans l’Espagne de Franco.
1Cette rencontre organisée en hommage à Jean Thérond revêt pour moi un sens particulier. Ce magistrat résistant a, en effet, été déporté par le convoi du 2 juillet 1944. C’est un transport que je connais particulièrement bien, mon propre père, alors résistant de 19 ans, était aussi dans ce train parti en direction du camp de concentration nazi de Dachau, en Bavière. Il faisait partie du groupe des otages venant de la centrale d’Eysses, cette prison où les détenus s’étaient révoltés le 19 février 1944. Un groupe de 56 otages issus de cette prison fut déporté par ce train. Sur le trajet menant à la gare, ils réussirent à se regrouper et furent répartis dans deux wagons. Ils y firent régner une discipline qui leur sauva la vie. Cette organisation stricte ne fut pas présente dans tous les wagons de ce transport qui prit très vite le surnom de « train de la Mort ». C’est numériquement le plus important convoi de répression parti de Compiègne. Il comptait 2 152 hommes. Après plus de trois jours et demi et trois nuits d’un voyage dans des conditions de chaleur extrême, en particulier pour ceux qui avaient atterri dans des wagons métalliques, seuls 1 633 déportés sont immatriculés au camp de Dachau. Rien que pendant le transport, 519 hommes, soit près du quart des déportés, sont morts. Jean Thérond fait partie de ces premières victimes. Au printemps 1945, lors de la libération des camps, il ne reste que 943 survivants de ce convoi, tous marqués définitivement dans leurs corps et dans leurs âmes par cette expérience.
2Mon intervention entend se pencher sur les actes de résistance dans les barreaux. À vrai dire, il s’agit d’un vaste sujet, tant sont nombreux en France les barreaux et les avocats. De celui de Paris, qui compte près de 2 500 membres en 1940, à celui de Tours qui ne compte que 15 inscrits au tableau et 10 « admis au stage », le panel est vaste. La profession d’avocat est un milieu divers, aussi bien socialement que politiquement. Il ne s’agit pas pour moi d’en faire une étude, mais d’évoquer pour commencer son importante diversité qui ne doit pas être perdue de vue. Comme dans toute la France, avec les débuts de l’Occupation, les opinions sont diverses sur la situation du moment et les actes des membres de la profession ne sont pas en cela hors des enjeux qui traversent le pays. Parmi les avocats se retrouvent tous les statuts et toutes les positions. L’antisémite virulent Xavier Vallat est membre du conseil de l’Ordre du barreau de Paris et côtoie des avocats qui n’ont pas d’opinions précises sur la situation et attendent la suite des événements. Il faut bien souligner aussi que, globalement, les ordres des avocats en tant qu’institutions ne semblent pas, en 1940, fâchés par la mise en place du régime de Vichy, dans un premier temps du moins. Les écrits de Fernand Payen, ancien bâtonnier de Paris et président de l’Association nationale des avocats en 1941, sont très clairs, lorsqu’il déclare, entre autres propos, que les Droits de l’homme et le parlementarisme sont à l’origine de la décadence française et qu’il faut « les répudier [1] ». Et pourtant, il y a aussi des avocats qui appartiennent aux différentes catégories auxquelles les autorités de Vichy ne tardent pas à s’attaquer : communistes, francs-maçons, juifs qui deviennent les victimes d’une politique ciblée contre les ennemis réels ou supposés du régime dans cette période troublée.
3Parmi les avocats victimes de l’Occupation qui figurent sur la grande plaque du monument aux morts de la bibliothèque des avocats de l’ordre au barreau Paris, on retrouve différentes catégories d’avocats : Juifs exterminés dans les camps nazis, résistants morts au combat, fusillés comme otages ou morts en déportation pour faits de Résistance. Cette plaque compte pas moins de 64 noms. Si tous périrent, l’examen précis des circonstances de leur disparition est intéressant. On observe différents processus qui ont conduit ces avocats à la mort. Parmi les avocats morts du fait de leur participation à la Résistance, on a aussi une variété des parcours : des membres du barreau fusillés, mais aussi ceux morts au maquis ou encore ceux décédés en déportation. Mais si tous ces avocats morts au « champ d’honneur » ont effectivement résisté, ils sont loin de s’être tous engagés dans une résistance spécifiquement professionnelle et judiciaire. Dans un autre barreau, l’exemple d’Alexandre Fourny est de ce point de vue représentatif. Cet avocat né en 1898, vétéran de la Grande Guerre, militant de la SFIO, adjoint au maire de Nantes et conseiller général de Loire-Inférieure, ne cache pas ses opinions, qualifiant dès juin 1940 Philippe Pétain de « Maréchal Péteux ». Impliqué dans les milieux d’anciens combattants, il met sur pied un réseau d’aide et d’évasion vers l’Angleterre particulièrement destiné aux prisonniers de guerre internés au camp de Choisel. Cette organisation parvient à faire évader en quelques mois plus de 2 200 prisonniers. Il devient chef régional du réseau de renseignement britannique « Georges-France 31 ». Il est arrêté une première fois le 15 janvier 1941 et relâché faute de preuves un mois plus tard. À nouveau arrêté par les Allemands, il est condamné à trois ans de forteresse et détenu comme otage à Nantes. Il est fusillé au stand de tir du Bêle le 22 octobre 1941, à la suite de l’attentat contre le lieutenant-colonel Hotz, commandant allemand de Nantes [2]. On a donc bien affaire à un avocat résistant, exécuté comme otage pour ses actions dans la Résistance. C’est le type même de parcours que depuis l’époque les avocats et les barreaux mettent en avant lors d’hommages divers, sous une forme dont certains caractères sont presque hagiographiques. Ils légitiment en tout cas la représentation d’une profession résistante dont les membres ont payé un lourd tribut à leur engagement.
4Pour ma part, je veux me concentrer sur l’histoire des actes de résistance spécifiquement professionnels, c’est-à-dire ceux d’une résistance judiciaire pratiquée par des avocats dans l’exercice de leurs fonctions. Il s’agit là d’un domaine plus restreint et sans doute moins connu. La difficulté majeure tient au type même d’archives disponibles. Si l’on a des témoignages, des documents issus des mouvements de résistance judiciaire, on n’a peu ou pas accès aux archives professionnelles des avocats à proprement parler. On comprend aisément pourquoi et c’est une difficulté qui se retrouve pour l’étude des avocats à toutes les périodes [3]. Dans un contexte où la confidentialité de la relation entre le défenseur et son client est la règle, le secret professionnel prédomine. L’exercice de leur métier en tant que tel est un domaine sur lequel il y a peu d’archives. Il s’agit donc de trouver des éléments de manière souvent indirecte.
5Cependant, une fois ces avertissements méthodologiques posés, l’étude des actes de résistance professionnelle des avocats s’avère un domaine de recherche passionnant. Elle donne des résultats intéressants et montre des actions diverses. L’esquisse tentée ici se base sur les fonds d’archives du musée de la Résistance nationale basé à Champigny-sur-Marne. Parmi ses dossiers consultés, on a ceux, très volumineux, constitués par Me Joë Nordmann (1910-2005), avocat au barreau de Paris, juif et communiste, radié en 1942, fondateur du mouvement de Résistance Front national judiciaire et rédacteur du journal clandestin Le Palais libre. C’est un avocat que Liora Israël connaît bien et auquel elle fait de nombreuses références dans son ouvrage [4]. Il s’agit de sources partielles et partiales pourrait-on dire, mais qui permettent de faire un tour d’horizon des enjeux qui se posent durant l’Occupation aux défenseurs en exercice et qui entendent résister, que ce soit par la procédure, soit hors de celle-ci. La situation créée par l’Occupation et la mise en place de l’État français ont, en effet, dès 1940 des conséquences importantes sur le fonctionnement de la justice ; conséquences auxquelles les avocats sont, qu’ils le veuillent ou non, confrontés directement et parfois brutalement.
Quelle justice sous la botte ? Quels droits de la défense ?
« La justice n’existe plus [5]. »
6La mise en place de nouvelles lois et de nouvelles règles par les autorités de l’État français transforme radicalement l’institution judiciaire et son fonctionnement. En outre, il faut aussi se rendre compte que malgré l’armistice du 22 juin 1940, le pays demeure en état de guerre et que l’Occupation a des conséquences sur le fonctionnement de la justice. Une partie des affaires en lien avec la sécurité des troupes du Reich est jugée par des tribunaux militaires de la Wehrmacht qui échappent totalement au contrôle de l’administration française. On peut s’interroger sur le sens même du mot « Justice » dans la période au cours de laquelle il existe une justice des troupes d’occupation. Si les accusés ont parfois un officier tenant le rôle d’avocat, ils n’ont guère la possibilité de se défendre, voire de comprendre ce qui leur arrive.
7On peut aussi s’interroger sur ce qu’est la Justice dans un régime du type de celui de Vichy qui a supprimé nombre de libertés individuelles et collectives. Dès l’été 1940, de nouvelles lois et de nouveaux règlements sont mis en place. Ils transforment peu à peu les rapports entre le pouvoir et l’institution judiciaire, estompant d’abord, puis supprimant la séparation des pouvoirs. Les magistrats peuvent être destitués. L’article no 1 de la loi du 17 juillet 1940 précise entre autres que les magistrats « pourront être relevés de leurs fonctions nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire. La décision sera prise par décret, sur le seul rapport du ministre compétent et sans autres formalités [6] ». Le 4e article de cette loi prévoit à titre exceptionnel qu’il « pourra être pourvu par des nominations définitives aux emplois vacants dans l’administration ». On a ici une remise en cause des procédures de recrutement des magistrats et la possibilité, comme dans les autres branches de l’administration, de lancer une « épuration » politique du corps. En octobre, le gouvernement revient sur l’inamovibilité des juges. Ainsi l’État français se donne le pouvoir de reprendre directement en main l’institution judiciaire dans sa totalité. Elle est mise sous contrôle. On assiste dans la justice à ce que l’historienne Rita Thalmann nomme la Gleichschaltung, un processus de mise au pas [7]. La philosophie même de la justice est largement infléchie. Il ne s’agit plus de faire triompher la vérité et le droit, mais de faire des tribunaux uniquement un des instruments d’une répression qui s’abat sur les ennemis, réels ou supposés, du régime et donc contre les résistants.
8Dans le même ordre d’idées sont mises en place à l’été 1941 des juridictions spéciales. La loi du 14 août 1941, « réprimant l’activité communiste ou anarchiste », institue des sections spéciales auprès des tribunaux militaires et des tribunaux maritimes. Il est prévu en zone occupée notamment, en raison de la suppression de ce type de tribunaux, par l’article premier, la création d’une « section de la cour d’appel qui statue sans énonciation des motifs en se prononçant seulement sur la culpabilité et la peine [8] ». Les premiers présidents des cours d’appel peuvent désigner par ordonnance les membres de la section spéciale. L’instruction préalable est supprimée pour les individus pris en flagrant délit. S’il n’y a pas flagrant délit, la procédure est instruite dans les huit jours sans voie de recours ni pourvoi possible. La peine prononcée ne peut « être inférieure à celle prévue par la disposition retenue pour la qualification du fait poursuivi [9] ». Si les faits ont touché des agents de l’État, des collectivités ou des établissements officiels, « la section spéciale ne pourra pas prononcer de peine inférieure au maximum de la peine prévue ». Ces lois et juridictions d’exception introduisent aussi la notion de rétroactivité. Ce dispositif est étendu par la loi du 18 novembre 1942 réprimant les « activités subversives et les crimes et délits contre la sûreté de l’État ». Aux activités communistes et anarchistes sont ajoutés l’ensemble des faits relevant de la « subversion sociale ou nationale ». Ces sections spéciales sont dès lors créées dans toutes les cours d’appel. Les faits concernés sont très largement étendus et peuvent s’appliquer très largement. Il ne s’agit plus, comme sous la République, d’amender dans la mesure du possible le condamné. On est passé à une procédure uniquement répressive. Les enjeux sont donc nouveaux en termes de métier et de pratique professionnelle pour les magistrats et les avocats.
9Dans les barreaux, les avocats doivent adapter leur métier. En effet, parallèlement au renforcement de la répression, les droits de la défense sont rognés. La loi du 8 décembre 1897 qui autorisait un avocat à assister son client lors des interrogatoires ne s’applique plus dans ces procédures extraordinaires. La question du libre choix de l’avocat par le client est rapidement posée. Il s’agit d’un principe très ancien auquel les défenseurs sont très attachés. En 1653, déjà, Michel Langlois, célébrité du barreau de Paris, rappelait avec fierté dans un discours adressé à ses fils que la profession d’avocat était de celles « esquelles le choix des hommes est libre [10] ». Une lettre du 22 février 1941, que l’avocat Georges Pitard (1897-1941) écrit à Mme Repussard, s’en fait l’écho. Il a été sollicité par la mère de Jean Repussard, pour défendre ce jeune résistant communiste né le 29 juillet 1924 et arrêté le 29 janvier. Il affirme que c’est sa consœur, Mme Cournet « qui a été désignée d’office pour le défendre ». Du fait de cette désignation, Georges Pitard précise à propos de sa consœur qu’il « est entendu avec elle qu’elle s’en charge définitivement [11] ». Au fil du temps, les avocats ne sont plus choisis mais désignés, soit par les juges d’instruction, soit encore par le bâtonnier de l’ordre.
10La pression mise sur les avocats et la suppression des droits de la défense s’accentue au fur et à mesure de l’avancement de la guerre et du durcissement du régime. En janvier 1944, on assiste à la création des cours martiales, qui sont confiées à la Milice et dont le fonctionnement engendre des pressions des autorités d’occupation sur les barreaux. Elles exigent que les avocats soient déliés du « secret professionnel » et dénoncent leurs clients qui seraient impliqués dans des « menées terroristes ». C’est la remise en cause totale des principes qui fondent la profession d’avocat : son indépendance et le secret qui lie le défenseur au client. Ce sont des mesures qui passent mal dans les barreaux, tout comme passent mal les entorses à la procédure, le fait de rejuger un inculpé pour les mêmes faits. La question de l’inégalité de traitement des inculpés se pose aussi. Les droits des réprouvés que le régime qualifie d’Anti-France (francs-maçons, communistes, juifs, étrangers...) ne sont plus garantis. La cohabitation de juridictions ordinaires et de juridictions extraordinaires (sections spéciales, tribunal d’État, tribunaux spéciaux, Cour suprême qui se charge du procès de Riom...) entame très largement la crédibilité de la justice devenue une arme du régime contre ses opposants. Résistants et Français libres ne se privent d’ailleurs pas de dénoncer avec vigueur ces dérives répressives et extrêmes de l’institution judiciaire. Ainsi, en 1942, alors que se déroulent les audiences du procès censé juger les « responsables de la défaite », est diffusée sur les ondes de Radio Londres une petite comptine chantée [12] :
12Le caractère extraordinaire de la procédure est raillé ainsi que la double instrumentalisation politique et diplomatique de la justice. Instrumentalisation politique par Vichy qui veut régler ses comptes avec la démocratie, le Front populaire et la République ; instrumentalisation diplomatique par Hitler qui entend faire ainsi désigner la France comme responsable de la guerre. De fait, ce procès, qui débute le 19 février 1942, devient une tribune politique pour Édouard Daladier et Léon Blum. Dès mars, Hitler s’inquiète de la tournure que prennent les événements. Après vingt-quatre audiences, le procès est suspendu en avril... avant que la procédure ne soit abandonnée sous cette forme en mai 1943.
13Dans ce contexte, la question de la conduite à tenir se pose à un certain nombre d’avocats. Est-ce résister que de faire son métier ? Défendre des résistants, est-ce devenir soi-même résistant ? À Paris, le bâtonnier Jacques Charpentier (1881-1974) le rappelle dans une lettre au garde des Sceaux après l’arrestation d’avocats communistes, dont Georges Pitard. À leur propos, il écrit : « Ce que je puis affirmer, c’est qu’ils n’exercent dans le Palais qu’une activité professionnelle et que, s’ils ont été chargés de plaider pour des individus inculpés de propagande communiste, ils ne font en cela que remplir leur rôle d’avocat [13]. »Il établit par là même une distinction entre l’avocat et son client, entre la cause qu’il défend et ses propres opinions qui ne doivent pas être confondues. C’est une question centrale qui touche aux droits de la défense, ainsi qu’à la possibilité pour le défenseur d’exercer son ministère sans contrainte. Mais la frontière entre exercice de la profession et engagement, entre défense d’un client résistant et entrée en résistance est parfois ténue.
Défendre malgré tout : actes de résistance dans les pratiques professionnelles des avocats
« Vous avez fait et faites encore à l’heure où j’écris tous les efforts pour sauver ma tête. Et cependant vous me connaissez à peine. Votre attitude n’en est que plus belle, plus humaine [14]. »
14La question du rapport à la légalité se pose très rapidement aux avocats qui s’interrogent sur le sens de leur profession. La question est de savoir où servir le mieux, le plus efficacement la justice et le droit. Des avocats résistants passent dans la clandestinité et l’illégalité pour se consacrer à une résistance non professionnelle, nous l’avons vu. D’autres, plus légalistes, engagent un combat plus ou moins discret dans l’exercice de leur profession. Il s’agit alors d’une résistance par le verbe et par la procédure. C’est un engagement risqué pour ceux qui prennent la défense des ennemis du régime. L’exemple de l’action de Me Charles Bedos, avocat au barreau de Nîmes, est de ce point de vue remarquable. En mars et avril 1943, il fait partie des défenseurs d’un groupe de cinq hommes et une femme, membres de Francs-tireurs et partisans, jugés par la Section spéciale de la cour d’appel de Nîmes. Ils sont accusés d’avoir enfreint la loi du 14 août 1941 et sont poursuivis pour sabotages, attentats, port d’armes, agression de gardiens de la paix, destruction de véhicules allemands, détention et usages de fausses cartes d’identité... Charles Debos défend en particulier Jean Robert et Vincent Faïta. Dans sa plaidoirie, il défend les deux jeunes gens et explique le sens de leur engagement. Le 20 avril, après une dernière déclaration des accusés qui assument leur engagement de résistants et de communistes, les deux hommes écoutent la sentence prononcée par la section spéciale qui « en répression les condamne » à mort. Les trois autres accusés sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité (ils sont ensuite déportés) et la femme du groupe à cinq ans. Charles Bedos et son assistant Me Maurice Delran font une demande d’audience au chef de l’État en vue d’un recours en grâce, bien qu’ils sachent que cette démarche est à la fois juridiquement nulle et inutile. Ils n’obtiennent pas de réponse. Le 22 avril, Jean Robert et Vincent Faïta sont guillotinés à deux pas du palais de justice, dans la cour de la maison d’arrêt de Nîmes. Quelques mois plus tard, en octobre 1943, Charles Bedos est arrêté par les occupants. Les plaidoiries du procès de Vincent et Faïta sont la cause de cette arrestation, car elles l’ont placé dans le collimateur des autorités. Il est déporté le 22 mars 1944 à Mauthausen et ne rentre en France qu’en mai 1945. Une plaque à la mémoire de son action de Résistance au barreau a été apposée sur le mur du palais de justice de Nîmes sous celle qui rend hommage aux jeunes FTP qu’il a défendus.
15L’utilisation des armes de la procédure pour la défense de résistants n’est donc pas sans risque pour les avocats. Elle est considérée comme un acte de résistance et parfois punie comme telle. Dans le même barreau, Me Richaud est confronté aux mêmes problématiques, quelques mois plus tard lorsqu’il assure la défense d’autres jeunes gens, membres des FTP. Dans une lettre à sa mère, l’un des prévenus, âgé de 18 ans, explique de quoi il est accusé [15].
16Attentats, sabotages, détention d’armes, homicide involontaire, tentative d’évasion. Il doit être jugé devant trois tribunaux : la section spéciale de la cour d’appel, la cour d’assises et le tribunal correctionnel. Son avocat, qui connaît les peines encourues et déjà subies par Vincent et Faïta pour le même type d’actions, use de toutes les armes de la procédure pour éviter à son client des peines trop lourdes : il invoque l’irresponsabilité d’un mineur et la notion d’aveux extorqués et non vérifiés. Il fait valoir que son client a reconnu des attentats auxquels il ne pouvait avoir participé, ayant été verbalisé au même instant par un gendarme au pont du Gard pour s’être baigné à un endroit interdit, mais situé à 25 kilomètres du lieu des attentats. Il demande aussi le transfert de son client à la maison d’arrêt de Montpellier afin qu’il y passe une expertise psychiatrique. Le but est qu’il soit déclaré irresponsable et placé dans l’asile de Font-d’Aurelle, d’où le personnel FTP, qui avait organisé une filière d’évasion, lui aurait permis de s’échapper. Ce but-là est bien entendu non avoué. Ces différentes stratégies de défense sont relativement efficaces puisque le jeune homme est frappé de trois condamnations beaucoup plus légères que les peines encourues : six ans pour les attentats à la bombe, deux ans pour un homicide involontaire et six mois d’emprisonnement pour une tentative d’évasion. Il est finalement pris comme otage et déporté en 1944. Il est aussi condamné à d’importantes amendes que les services fiscaux réclament encore à sa famille en décembre 1944, soit bien après la Libération.
17Le lien avec les familles des accusés est aussi un élément important de l’action des avocats. Dans une lettre en date du 3 octobre 1941, le bâtonnier d’Amiens, Léon Thoyot, écrit à Joseph Python, avocat à Paris [16]. Il lui demande de charger un de ses confrères, Me Roland-Lévy, d’effectuer des démarches pour la veuve de Jean Catelas. Il s’agit de s’occuper de l’inhumation du corps de son mari, ainsi que de l’aider à récupérer les affaires et l’argent au greffe de la prison de la Santé. Or on voit se dessiner derrière cette lettre un ensemble de relations à la fois politiques et socioprofessionnelles qui touchent de près ou de loin à la résistance. Me Thoyot n’a pas été l’avocat de Jean Catelas, puisque ce dernier a été jugé à Paris devant un tribunal créé spécialement par l’État français pour répondre à l’exigence allemande de fusiller des communistes à la suite de l’attentat du 21 août 1941 contre l’aspirant Moser. Le bâtonnier d’Amiens intervient ici pour la veuve de Jean Catelas. Il a bien connu ce dernier puisqu’il a été candidat sous l’étiquette « socialiste indépendant » aux élections législatives de 1936 à Amiens qui a vu l’élection du cheminot communiste. Me Thoyot assure donc le lien entre la famille de Jean Catelas et son avocat parisien Joseph Python (1883-1944). Celui-ci défend nombre de résistants gaullistes et communistes et en particulier plusieurs députés déchus de leur mandat, dont Gabriel Péri et Jean Catelas. Joseph Python a en effet lui-même été député de 1910 à 1914. Il paye cher cet engagement, puisqu’en avril 1943 il est convoqué par la Gestapo qui lui intime l’ordre de cesser de défendre ceux qui sont considérés comme des « terroristes ». Il est cependant relâché. Ne dénonçant pas ses clients, il est arrêté le 4 juin 1943. Il refuse de parler et répond : « Trahir le secret professionnel est contraire aux lois humaines. Comme Avocat, comme officier, je me serais déshonoré. » Il est ensuite emprisonné à Fresnes et y subit plusieurs interrogatoires. Il ne reçoit la première visite de son épouse qu’au mois d’octobre alors que sa santé s’est considérablement dégradée. Il est alors libéré et s’éteint en janvier 1944 des suites du manque de soins qu’il a subi en prison. Quant au troisième avocat dont il est question dans cette lettre, Me Pierre Roland-Lévy (1908-1990), qui doit se charger des démarches administratives pour la veuve Catelas, il paye son engagement de défenseur en étant déporté en janvier 1943 au camp de concentration d’Oranienburg-Sachsenhausen.
18On peut aussi signaler qu’un certain nombre d’avocats s’engagent clandestinement dans des organisations de résistance en lien avec leur profession. C’est le cas du Comité national de défense des prisonniers politiques créé au début de l’année 1944. Ce mouvement dénonce les conditions de détention et de jugement des résistants, ainsi que toutes les formes de répression, et fait valoir la notion de droits humains. Les avocats qui, par leur profession, fréquentent les tribunaux et les lieux de détention sont un relais précieux pour faire passer des informations sur les jugements et leur application. Ce sont souvent eux qui transmettent, parfois secrètement, aux familles les dernières lettres des condamnés à mort. Ces lettres sont souvent ensuite utilisées par la Résistance pour dénoncer les crimes de Vichy et le patriotisme des condamnés. La dénonciation des injustices et des dérives du système judiciaire est aussi un des enjeux de cette résistance dans les barreaux.
Dénoncer l’injustice et reconstruire le droit : les enjeux d’une résistance organisée
« Nous sommes en guerre, il s’agit de maintenir à travers vents et marrées de la trahison la constance de la justice française... »
19Les avocats qui s’engagent dans une résistance professionnelle mettent aussi leur expertise du droit au service d’une bataille idéologique livrée contre le gouvernement de Vichy. Ils font ce qu’ils savent faire le mieux : plaider. Ils utilisent les moyens qu’ils jugent les plus appropriés, c’est-à-dire la production de textes qui sont diffusés sous forme de tracts, de brochures ou de journaux clandestins dans lesquels des argumentations se basent sur des notions de droit et développent des arguments de types professionnels et parfois corporatistes. Le journal Le Palais libre est représentatif des efforts d’argumentation mis en œuvre par les avocats résistants pour éveiller les consciences et appeler à la résistance. Il est l’organe de presse clandestin du Front national des juristes, créé dans le droit fil du Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France dont le manifeste annonce la création en mai 1941. Cette organisation d’abord embryonnaire commence à se structurer autour de la défense des militants communistes emprisonnés et jugés. Elle s’étend l’année suivante et entend rassembler des membres de toutes professions du monde judiciaire. Son activité se développe et son recrutement s’élargit ensuite, comme pour les autres branches du Front national, bien au-delà de la mouvance communiste. Dans ce travail de recrutement, la nécessité de convaincre est impérieuse. La question du sens de la justice et celle de son indépendance sont au cœur des débats. Il s’agit aussi de légitimer l’engagement résistant, ce qui ne va pas de soi dans des milieux légalistes par culture professionnelle. Il faut aussi délégitimer le régime de Vichy et montrer en quoi il est à la fois illégal, dépourvu de légitimité, que son action judiciaire est sans fondement si l’on se réfère à la tradition française. L’idée développée est que la justice de Vichy est une justice dévoyée parce qu’appuyée sur un « droit nazifié ». C’est un type d’argumentation qui avait déjà été employé depuis novembre 1940 dans le journal clandestin L’Université libre [17].
20Les archives de Joë Nordmann montrent de nombreux exemples de ces travaux qui doivent servir à nourrir la bataille idéologique contre la collaboration judiciaire et les pratiques de la justice de Vichy. On a, par exemple, en trois pages dactylographiées, une analyse de la fonction de juge national-socialiste qui se fonde sur les écrits du secrétaire d’État à la Justice du Reich Curt Rothenberger, parus dans l’hebdomadaire Das Reich le 11 octobre 1942. Il s’agit de montrer et de démonter les processus à l’œuvre en Allemagne pour modifier, dans le cadre de la « guerre totale », la formation et la fonction du juge qui doit servir la communauté nazie et la politique de l’envahisseur. Cette analyse théorique doit permettre au groupe qui la réalise de montrer les conséquences pratiques de ce que le FNJ appelle la « nazification » de la justice française. Il y a là une double argumentation qui joue sur des notions professionnelles, comme le sens de la justice, et sur les sentiments patriotiques du public visé. Dans le même esprit de réflexion, qui utilise parfois des citations de textes plus anciens, un manuscrit de deux pages, non daté, analyse l’actualité du mot « justice ». On y lit « Le mot”justice” n’est plus une de ces paroles vivantes qui s’offrent comme l’expression spontanée de la pensée, un de ces mots qui jaillissent d’eux-mêmes et entraînent les hommes à leur suite [...] Aujourd’hui dans la plupart des âmes cet idéal s’est effacé. Il n’exerce plus d’attraction sur les hommes. » Il s’agit de parler du sens de la mission des acteurs du monde judiciaire et de réaffirmer de la volonté de revenir à une justice juste, basée sur le droit. Ce travail de réflexion sert à la popularisation des argumentaires de la Résistance en particulier dans les colonnes du Palais libre dont une douzaine de numéros paraissent à Paris en 1943 et 1944. Le titre du journal est d’ailleurs repris en zone Sud par le Comité national des juristes, mouvement créé en 1943 dans le même esprit que le Front national en zone Nord. Si ce mouvement reste autonome, son journal reprend des articles parus auparavant dans celui du FNJ. On dispose de brouillons, rédigés de la main de Joë Nordmann, de plusieurs numéros du Palais libre. Celui du no 7, daté de mars 1944, porte comme article de tête un texte intitulé « La vérité sur les cours martiales ». Dans le numéro du Palais libre de zone Sud d’avril 1944, sur la colonne de droite on retrouve un article intitulé « Des crimes dans l’ombre et dans l’anonymat : les cours martiales ». Y sont dénoncés, pêle-mêle, les agissements des miliciens qui siègent dans les cours martiales créées en janvier, mais aussi les magistrats qui ont siégé dans les sections spéciales : « La Justice avait jadis pour attribut la Balance et le Glaive. Depuis 1940 on lui avait ôté la balance pour ne lui laisser que le glaive. Du moins ne tolérons pas que ce soit pour le remettre aux mains de gens qui s’en servent comme d’un surin. Il y va de la dignité de la Justice, de la réputation de la magistrature, de l’honneur de notre pays. »
21La notion d’honneur est mise en avant aussi par le biais de commémorations. Ainsi le 23 février 1944, le Front national des juristes et le Comité national judiciaire, organisation créée en 1943 et regroupant des acteurs du monde judiciaire issus de différents mouvements et sensibilités, déposent une gerbe au monument aux morts de la salle des Pas perdus du palais de justice de Paris, afin de rendre hommage à Léon-Maurice Nordmann deux ans après son exécution [18]. Le rassemblement autour des martyrs de la Résistance devient un élément fédérateur au fur et à mesure que la fin de l’Occupation se rapproche.
22Le travail de sape de l’autorité de Vichy se poursuit aussi avec la publication de deux brochures par le Comité national des Juristes. La Véritable Saison des juges est une dénonciation des dérives de la justice depuis 1940, de l’application des lois allemandes, de la délation érigée en institution d’État, des conditions de détention ainsi que de la déportation [19]. La conclusion de ce texte est sans appel : « Les lois françaises revenues, les libertés de la défense et l’indépendance de la magistrature enfin rétablies, rien ne sera plus facile à notre pays que de retrouver la saine et ferme tradition de sa justice. » Dans le même esprit, le texte intitulé Le gouvernement de Vichy est-il légitime ? est une invitation directe à la désobéissance. Le régime du maréchal Pétain étant illégitime, personne n’est obligé de lui obéir. Les magistrats, même ceux qui ont prêté serment au chef de l’État, ne sont en rien contraints.
23Les organisations de Résistance judiciaire, et en particulier le Front national des juristes, travaillent aussi à récolter des informations sur les procès. Sont répertoriées les attitudes de chacun des acteurs de ces moments : magistrats, avocats, gardes, accusés... La collaboration judiciaire est dénoncée. Les résistants entendent indigner l’opinion publique et convaincre les hésitants à basculer dans le camp de la légitimité, même si pour cela il faut s’engager dans des actions illégales. Des conseils de prudence sont envoyés aux avocats qui doivent protéger leurs clients par la plus grande discrétion. Les avocats ne sont, en effet, pas à l’abri que la police, les troupes d’occupation ou la milice fassent main basse sur leurs dossiers pour accélérer la perte des accusés. Le Front national des juristes fait aussi un travail de collecte de témoignages et de preuves afin de pouvoir juger, après la Libération, les magistrats et autres personnels judiciaires qui ont fait preuve de zèle dans la collaboration judiciaire. Dès la fin de l’année 1943, une réflexion s’engage autour de l’épuration qui devra être menée le moment venu. À l’été 1944, le Front national des juristes et le Comité national de défense des prisonniers politiques se sentent suffisamment en confiance pour tenter d’influencer les jugements. Avec le débarquement, le rapport de force rend possible le fait d’agir sur l’ordre des choses. Ces organisations envoient des lettres aux magistrats. Il s’agit de faire pression à un moment où chacun peut comprendre que l’État français vit ses derniers mois. On est à la fois dans la symbolique de la représentation et dans l’action. Il en est de même lors de la prise de possession du ministère de la Justice par les résistants en août 1944. L’opération préparée minutieusement n’attend pas que la libération de Paris soit effective. Dès le 19 août, le secrétaire général provisoire à la Justice, nommé par le Conseil national de la Résistance, l’avocat communiste Marcel Willard (1889-1956), son chef de cabinet Joë Nordmann investissent le bâtiment de la place Vendôme que deux magistrats résistants occupent déjà depuis la veille, à la suite de la fuite du garde des Sceaux de Vichy [20]. Des membres de l’ancien cabinet sont arrêtés et les bustes du Maréchal sont symboliquement mis à bas et brisés en vue de réinstaller le buste de Marianne.
24Comme dans d’autres milieux, on le voit, le processus d’entrée en résistance de membres des barreaux est progressif. Les actions prennent des formes variées et les organisations se développent petit à petit au fil de la guerre. Il est cependant intéressant de constater qu’un certain nombre d’avocats résistent en exerçant leur métier. Cette résistance professionnelle, par le droit et pour la justice, leur permet même de construire, bien plus que les magistrats, l’image d’une profession résistante. On ne s’étonne pas alors de constater qu’après la Libération, dans le comité directeur du Front national judiciaire, les avocats représentent la majorité des membres, même si les autres professions (magistrats, avoués, administration pénitentiaire) sont représentées. Les avocats sont bien entendu les plus nombreux parmi les acteurs du monde de la justice et certains d’entre eux ont été très actifs et de façon précoce dans la Résistance. Au-delà même de l’image, le rôle des avocats s’affirme et leur poids sort renforcé de la période de la guerre. Et cela n’est pas sans conséquences sur les réformes judiciaires qui s’élaborent les années suivantes.
Notes
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[1]
À ce sujet voir l’article de Israël (L.), « La Résistance dans les milieux judiciaires, action collective et identité professionnelle en temps de guerre », Genèses, n? 45, décembre 2001, p. 46-47.
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[2]
Krivopissko (G.), La Vie à en mourir, lettres de fusillés (1941-1944), Paris, Tallandier, 2003, p. 70-71.
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[3]
Pour les avocats du xviie siècle auxquels j’ai consacré ma thèse de doctorat et divers articles, on rencontre déjà ce type de difficultés avec les archives professionnelles qui sont largement introuvables.
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[4]
Israël (L.), Robes noires, années sombres. Avocats et magistrats pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Fayard, 2005.
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[5]
Lettre d’Édouard Maury à son fils Jacques, au dépôt, Paris, 12 septembre 1942, collection musée de la Résistance nationale, Champigny-sur-Marne, fonds Édouard Maury. Employé à la ville de Paris, Édouard Maury, né en 1905, est responsable du syndicat clandestin des égoutiers et commissaire interrégional des FTP. Arrêté le 10 août 1942 à son domicile de Fontenay-sous-Bois par les inspecteurs de la brigade spéciale de la préfecture de police de Paris, il est interrogé et torturé durant des jours. Le 12 septembre, il parvient à faire passer clandestinement une lettre qui témoigne les traitements qu’il a subis. Condamné à quatre ans de prison et 1 200 francs d’amende pour distribution de tracts par la section spéciale de la cour d’appel de Paris le 3 mars 1943, il est mis à disposition des autorités d’occupation. Rejugé pour les mêmes faits le 20 décembre par le tribunal militaire allemand de Paris, il est condamné à mort et fusillé le 29 décembre 1943 au mont Valérien.
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[6]
Journal officiel, 18 juillet 1940, page 4538.
-
[7]
Thalmann (R.), La Mise au pas. Idéologie et stratégie sécuritaire dans la France occupée, Paris, Fayard, 1991.
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[8]
Journal officiel, 23 août 1941, page 3550.
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[9]
Article 8.
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[10]
Damiani (L.), « Institution oratoire de Michel Langlois », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, n 25-26, 2006, p. 242.
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[11]
Lettre de Georges Pitard à Mme Repussard, collection musée de la Résistance nationale, fonds Jean Repussard. Cet avocat défendant des syndicalistes, des communistes et des résistants est lui-même arrêté le 25 juin 1941 du fait de son activité professionnelle, interné à la prison du Cherche-Midi, puis au camp de Royallieu et fusillé comme otage le 20 septembre 1941.
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[12]
Sur l’air de Ah mon beau château...
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[13]
Israël (L.), Robes noires, années sombres..., op. cit., n. 4, p. 151.
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[14]
Copie de la dernière lettre de Jean Catelas (1894-1941), député d’Amiens, arrêté par la police française le 16 mai 1941, condamné par le tribunal d’État de Vichy et guillotiné le 24 septembre 1941. Collection Musée de la Résistance nationale.
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[15]
Musée de la Résistance nationale, fonds Jacques Damiani, lettre du 15 octobre 1943.
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[16]
Collection musée de la Résistance nationale, fonds Joë Nordmann, carton no 1.
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[17]
Journal fondé et animé par Georges Politzer, Jacques Solomon et Jacques Decour dont une centaine de numéros parurent malgré l’exécution de ses fondateurs en 1942.
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[18]
Léon-Maurice Nordmann (1908-1942), avocat au barreau de Paris, juif, socialiste, il est membre du réseau du musée de l’Homme, il est fusillé au mont Valérien le 23 février 1942.
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[19]
Page 9, il est fait référence à « ce que signifient, pour des milliers de familles françaises, les seuls noms de Gurs, de Drancy, d’Aussechwitz ».
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[20]
Maurice Gabolde (1891-1972). Celui qui fut procureur de l’État à Paris à partir de 1941 et rédacteur des lois d’août 1941 réprimant l’activité communiste ou anarchiste a été ministre de la Justice à partir de mars 1943. Condamné à mort par contumace par la Haute Cour de justice, il termine sa vie dans l’Espagne de Franco.