Notes
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[1]
Pour ces ordres de grandeur, voir : http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/petitions.aspdroit. Pas de date de mise à jour de la page. Page consultée le 29 décembre 2010. Nous nous permettons aussi de renvoyer à notre étude : L’Appel au pouvoir. Essai sur le pétitionnement auprès des chambres législatives électives en France et au Royaume-Uni entre 1815 et 1848, thèse de doctorat en histoire, Christophe Charle (dir.), Université Paris I, 2009, tableau 2, fo 22.
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[2]
Institut de France, Dictionnaire de l’Académie française. Sixième édition, publiée en 1835, Paris, Firmin Didot, 1835, vol. II, art. pétition, pétitionnaire, solliciteur, p. 403 et 755.
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[3]
La présence du solliciteur dans la littérature et la presse du temps fera l’objet de développements plus précis dans le corps de l’article.
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[4]
Cf. notamment, pour la France, Paris ou le Livre des cent et un, Paris, Ladvocat, 1831-1834 ; Léon Curmer (éd.), Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle, Paris, 1840-1842, 8 vol. (rééd. partielle en 2003).
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[5]
Stendhal, Le Rouge et le Noir. Chronique de 1830, in Romans et nouvelles, Paris, Gallimard/nrf, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1952 (1re éd. 1830), vol. I, p. 320-321.
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[6]
Nous nous inspirons ici de l’analyse proposée par Guy Jucquois : selon lui, par la mise en œuvre d’un « relativisme herméneutique », la démarche comparative « décentre la perspective de compréhension habituelle d’un phénomène, lui donne un nouveau sens » (La Méthode comparative dans les sciences de l’homme, Bibliothèque des Cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain, no 48, Louvain-la-Neuve, Peeters, 1989, p. 116).
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[7]
Jacques-Gilbert Ymbert, L’Art d’obtenir des places ou la Clef des ministères ; ouvrage dédié aux gens sans emploi, et aux solliciteurs de toutes les classes, Paris, Pélicier, 1816 (2e éd., 1re éd. la même année), p. 17-20 ; citations extraites de la p. 19.
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[8]
Cf. ibid., p. 22. Si l’habit noir a fini par devenir pour ainsi dire le passe-partout de toutes les formalités, le port de souliers à boucles n’est de rigueur sous la monarchie restaurée qu’à la cour de France ou à l’occasion d’une audience royale. On tient à remercier ici Thibault Trétout, dont les recherches portent sur la cour de France pendant la période de la monarchie constitutionnelle, pour ses éclaircissements sur la signification de ce détail vestimentaire.
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[9]
Idem, p. 45.
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[10]
Eugène S[cribe], M** [Henri Dupin, Antoine-François Varner, J.-G. Ymbert, Charles-Gaspard Delestre-Poirson], Le Solliciteur ou l’Art d’obtenir des places, comédie en un acte, mêlée de vaudevilles, Paris, Mme Ladvocat, 1817.
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[11]
Idem, sc. 14, p. 20.
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[12]
Idem, sc. 18, p. 25.
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[13]
Idem, sc. 18, p. 26.
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[14]
Jules Gabriel Melesville [Jules-Joseph-Gabriel Lurieu], Les Solliciteurs et les fous, comédie en un acte et en prose, Paris, Fages, 1818.
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[15]
[E.] Scribe, Bayard, La Manie des places ou la Folie du siècle, comédie vaudeville en un acte, Paris, Pollet, 1828.
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[16]
Idem, sc. 18, p. 47-48.
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[17]
J.-G. Ymbert, Mœurs administratives ; pour faire suite aux observations sur les mœurs et les usages français au commencement du xixe siècle, Paris, Ladvocat, 1825, t. I, p. 226.
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[18]
Journal des débats politiques et littéraires, 16 août 1830, p. 1 et 2.
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[19]
Ibid., p. 1.
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[20]
Des journaux d’autres tendances emboîtent le pas aux Débats : cf. Le National, 26 août 1830, p. 1.
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[21]
Cf. E. S[cribe] et alii, Le Solliciteur…, op. cit., sc. 9, p. 13.
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[22]
Témoignent pour la France de la permanence des représentations du solliciteur jusqu’à la fin du xixe siècle divers types d’ouvrages : cf. Louis Reybaud, Jérôme Paturot à la recherche de la meilleure des républiques, Paris, Michel Lévy Frères, 1861 (1re éd. 1848), p. 29-31 ; dans un registre encore plus léger, Christophe, L’idée fixe du savant Cosinus, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1899, Cosinus solliciteur.
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[23]
Cf. Alexis Clérel de Tocqueville, Souvenirs (1850-1851), in Œuvres, Paris, nrf/Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2004, t. III, p. 819 ; Nassau W. Senior, Conversations with M. Thiers, M. Guizot, and other Distinguished Persons, during the Second Empire, Londres, Hurst and Blackett, 1878, vol. 1, p. 191-192.
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[24]
Frederick Webster, The Place Hunter : a Farce in One Act, Londres, Sherwood, Gilbert, and Piper, 1840. Pour l’adaptation modernisée de la pièce de Scribe en anglais en 1911, cf. C. Charle, Théâtres en capitales : naissance de la société du spectacle à Paris, Berlin, Londres et Vienne, 1860-1914, Paris, Albin Michel, 2008, p. 336.
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[25]
Il s’agit bien moins ici du patronage politique accordé par les ministres de Sa Majesté et par les membres ministériels du Parlement à leurs amis et à leurs réseaux, dont on sait que le système est progressivement démantelé entre 1780 et 1830, que du clientélisme social, notamment au niveau local.
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[26]
Philip Harling, The Waning of « Old Corruption » : the Politics of Economical Reform in Britain, 1779-1846, Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 20 et 107-123.
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[27]
Guy Thuillier, Jean Tulard, Histoire de l’administration française, Paris, puf, 1984, p. 32-35.
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[28]
Idem, p. 37-38.
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[29]
On peut suggérer l’idée que la figure du solliciteur entretient des rapports étroits avec la figure politique, sociale et littéraire de la « girouette », composé de transformisme doctrinal et d’arrivisme éhonté, qui connaît une fortune particulière dans l’alternance rapide des régimes entre 1814 et 1816. Au milieu des années 1820, Ymbert devenu moraliste constate ainsi : « Les bras se soulèvent pour présenter des pétitions, comme naguère ils se sont tendus pour prêter des serments » (J.-G. Ymbert, Mœurs administratives…, op. cit., t. I, p. 227). Sur la naissance et la construction de cette figure de l’opportunisme, cf. Pierre Serna, La République des girouettes (1789-1815… et au-delà). Une anomalie politique : la France de l’extrême centre, Paris, Champ Vallon, 2005.
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[30]
Sur la tradition réactivée sous la monarchie censitaire des tribulations du naïf provincial en visite à Paris, cf. Alain Corbin, Paris-Province, in Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984-1992, 7 vol., p. 2851-2888, p. 2861-2862. Du reste, pour une littérature physiologique dont les caractérisations valent certainement aussi en amont pour l’époque de la Restauration, « l’habit noir, c’est l’habit du solliciteur, comme celui du sollicité » (B. Maurice, « La misère en habit noir », in L. Curmer (éd.), Les Français peints par eux-mêmes…, op. cit., t. II, p. 983- 994, citation extraite de la p. 983).
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[31]
Punch, or the London Charivari, 11 novembre 1843, p. 204-205, The Comic Blackstone. Section the Fifth. – on the Absolute Rights of Individuals (trad. B. Agnès).
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[32]
Samuel von Puffendorf (1632-1695), juriste, homme d’État et historien allemand, est l’auteur de traités essentiels pour l’établissement du droit naturel, du droit des gens et du droit public, dans lesquels il discute notamment les positions de Grotius et de Locke.
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[33]
Punch, or the London Charivari, 13 janvier 1844, p. 21, Regarding the Royal George Billiard Table. The humble Petition of Mr Punch.
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[34]
Punch, or the London Charivari, 29 mai 1847, p. 230, John Bull’s Petition. Le poème commence ainsi : « Pity the sorrows of poor old John Bull, / Whose quartern loaf a shilling costs, or more, / Whilst there are warehouses of grain chock-full: / Cheapen your corn, and Heaven will bless your store » (« Pitié pour les chagrins du pauvre vieux John Bull, / Dont la miche de pain coûte un shillling ou plus, / Tandis que des entrepôts regorgent de grains : / Baissez le prix du blé, et le Ciel bénira votre grenier. ») (trad. B. Agnès). Un peu plus de deux mois auparavant, le même hebdomadaire avait déjà publié une pétition dite parlementaire en vers, plus longue, sur un sujet connexe : il s’agissait de la supplique d’un journalier pour que les paysans anglais aient de quoi vivre, adressée à un Parlement qui venait alors de voter un secours de huit millions de livres pour les Irlandais en proie à la famine. Cf. Punch, or the London Charivari, 13 mars 1847, p. 117, The Ploughman’s Petition.
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[35]
Comme Dumas père, écrivant dans les années 1840, le fait dire à l’armateur Morrel, venu plaider la cause du marin Edmond Dantès auprès du magistrat Villefort en 1815 : « […Nous] savons ce que c’est que les pétitions : le ministre en reçoit deux cents par jour et n’en lit point quatre. » Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, Paris, nrf/Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1981 (1re édition 1844-1846), p. 124. La suite du roman, comme on le sait, tend à prouver la véracité de cette appréciation.
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[36]
Statistiques établies d’après les relevés croisés effectués dans Archives nationales [Arch. Nat.], C * 2415, C 2140 à 2143, à partir d’un sondage au dixième portant sur 134 pétitions la session 1835 (marge d’erreur : 6,7 %).
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[37]
Résultats obtenus d’après les relevés, décomptes et extrapolations effectués à partir de Arch. Nat., C * 2421 : registre d’ordre des pétitions présentées à la Chambre des députés, session 1840, et des cartons C 2169 à 2175 : pétitions pour la réforme électorale classées sous le no 59.
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[38]
Cf. L.-P. [sic, pour Paul-Louis] Courier, Pétition aux deux chambres, Paris, A. Bobée, s.d. [1816] ; Id., Pétition pour les villageois que l’on empêche de danser, Paris, chez les marchands de nouveautés, 1822. La première réclamation, adressée à une chambre qui ne mérite plus depuis sa dissolution en septembre 1816 le nom « d’introuvable », est renvoyée au nouveau ministre de la Police, Decazes, qui ne fait pas grande difficulté à y faire droit. Cf. Raymond Schwab, Vie politique de Paul-Louis Courier, Mercure de France, t. LXXXII, no 299, 1909, p. 429-454, p. 433 ; Louis Desternes, Paul-Louis Courier et les Bourbons. Le pamphlet et l’histoire, Moulins, Édition des « Cahiers bourbonnais », 1962, p. 65. En revanche, la seconde, adressée à la seule Chambre des députés (cf. Pétition pour les villageois…, op. cit., p. 5), ne rencontre pas la faveur de cette assemblée, comme l’auteur même devait s’y attendre. Envoyée et reçue tard dans la session, elle n’est pas rapportée. Cf. Arch. Nat., C * II 243 : la pétition de l’habitant le plus connu de Véretz porte le no 317 et est enregistrée quelques jours après la dernière séance de rapport de pétitions de la session. Une telle inconséquence laisse supposer que P.-L. Courier n’a pas même formé l’espoir d’un passage en séance et a envoyé pour la forme aux députés une pétition destinée en priorité à l’impression.
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[39]
François-Dominique de Reynaud, comte de Montlosier, Pétition à la Chambre des Pairs, précédée de quelques observations sur les calamités, objets de la pétition, Paris, A. Dupont, 1827 ; Id., Mémoire à consulter sur un système religieux et politique, tendant à renverser la religion, la société et le trône, Paris, Dupont et Roret, févr. 1826 ; Id., Les Jésuites, les congrégations et le parti prêtre en 1827. Mémoire à M. le Comte de Villèle, président du Conseil des ministres, Paris, Ambroise Dupont et Cie, déc. 1827. La publicité qui entoure ces publications est déjà en elle-même une forme de succès : l’année même de sa diffusion, le Mémoire à consulter… connaît cinq rééditions. Quant à celui publié à la fin de 1827, on ne recense pas moins de deux éditions successives. Sur l’inscription de cette « œuvre pétitionnaire » dans la pensée politique de Montlosier, cf. Robert Casanova, Montlosier et le parti prêtre, Paris, Robert Laffont, 1970, p. 100-101.
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[40]
Frédéric Bastiat, Sophismes économiques, Paris, Guillaumin, 1846, « Pétition des fabricants de chandelles, bougies, lampes, chandeliers, réverbères, mouchettes, éteignoirs et des producteurs de suif, huile, résine, alcool, et généralement de tout ce qui concerne l’éclairage, à MM. les membres de la Chambre des députés », p. 72-78. Soulignons le fait que la pétition, peut-être avant l’ouvrage lui-même, semble avoir été assez rapidement traduite en anglais par un des champions du libre-échange outre-Manche, Patrick James Stirling.
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[41]
F. Bastiat, Réflexions sur les Pétitions de Bordeaux, le Havre et Lyon, concernant les douanes, Mont-de-Marsan, Delaroy, avril 1834.
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[42]
Cf. A. Corbin, Paris-Province, loc. cit., p. 2863.
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[43]
Cf. Gustave Leblastier [avocat], Du droit de pétition tel qu’il est établi par la Charte, Saint-Lô, Marais, 1820 ; Anonyme, Pétitionnons, Nancy, imprimerie de Vagner, 1844. Il est significatif que le seul auteur provincial repérable à critiquer publiquement une initiative pétitionnaire ne remette nullement en cause la valeur ou l’utilité du pétitionnement lui-même. Dans une lettre ouverte publiée à Angers en mai ou en juin 1834, Guynoiseau, notable local issu d’une ancienne famille angevine, vraisemblablement favorable à la loi électorale de 1831, tente de convaincre du bien-fondé de sa position les légitimistes réclamant une extension du suffrage auxquels il s’adresse, et qu’il croit déceler derrière les signataires des pétitions désignées à l’attention du public. Cependant, nulle part dans sa brochure l’habitant de Bouchemaine ne livre la moindre critique sur le droit de pétition, sur le pétitionnement ou sur les pratiques correspondantes. Cf. Guynoiseau, À MM. les signataires des deux pétitions adressées, l’une à la chambre des Pairs, l’autre à la chambre des Députés, et tendant toutes les deux à obtenir la réforme électorale et l’abolition du serment, Angers, Imprimerie du château, 1834.
1Pour un observateur d’aujourd’hui, le fait que le solliciteur ou le pétitionnaire puissent être érigés au rang de personnages sociaux et littéraires ne peut manquer d’étonner. C’est que les pratiques incarnées par ces figures revêtent dans la première partie du xixe siècle une importance tout autre que celle qui leur est reconnue de nos jours. Il importe de rappeler le contexte politique et social de l’époque. En un temps où une bonne part des processus d’attribution, de recrutement et de promotion pour les places à pourvoir et les subsides à obtenir sont moins réglés par des procédures claires que par le règne de la faveur, la sollicitation passe pour une pratique ordinaire, presque attendue. D’autre part, dans une monarchie censitaire comme celle que connaît la France entre 1814 et 1848, à un moment où peu de personnes disposent du droit de vote ou même d’autres moyens d’expression politique, la pétition apparaît comme un procédé tout trouvé pour le « pays réel » afin de se faire entendre directement du pouvoir. Aussi ne saurait-on s’étonner des chiffres qui peuvent être avancés. Alors que seulement 1 217 pétitions ont été enregistrées comme telles par l’Assemblée nationale depuis 1973 jusqu’en 2010, plus de 40 000 demandes de ce type sont adressées à la Chambre des députés entre 1814 et 1848 [1].
2Dans ce cadre, le titre de cette étude pourrait intriguer : une seule figure pour deux types sociaux ? À en juger par les définitions des dictionnaires contemporains, les deux personnages, quoique proches, n’en sont pas moins distincts. Selon le Dictionnaire de l’Académie française de 1835, le pétitionnaire est « celui qui fait, qui présente une pétition », c’est-à-dire « une demande par écrit adressée à une autorité, pour obtenir une grâce, ou le redressement d’un grief » ; en revanche, un solliciteur est, hors du cadre judiciaire, « celui qui [postule] un emploi [sic], qui [demande] avec instance une place, une grâce, une faveur, à quelque personne puissante » [2]. Autrement dit, tous deux formulent une demande auprès d’une instance de pouvoir ; mais alors que le pétitionnaire se tient dans un cadre institutionnel, à une distance respectable de son destinataire par la médiation de l’écrit, pour se placer notamment sur le terrain du droit, le solliciteur, plus pressant, s’inscrit dans un rapport interpersonnel et direct à l’autorité, dans le registre de la faveur, le plus souvent matérielle.
3Malgré l’importance incontestable du pétitionnement en France, malgré ces distinctions sémantiques reconnues, on ne peut que s’étonner de la disparité de traitement des deux figures – de la présence bien réelle du « solliciteur » sous la plume d’un certain nombre d’auteurs, et de la quasi-absence du « pétitionnaire » comme type social bien défini [3]. En effet, même la vogue des physiologies ne semble pas ouvrir la voie à la construction d’une figure littéraire pour ce dernier : l’indif- férenciation et donc l’indifférence semblent de règle [4]. Bien plus : quand il n’est pas traité comme quantité négligeable dans le roman contemporain, le pétitionnaire français encourt un mépris diffus. C’est ainsi que dans Le Rouge et le Noir, publié en 1830, Stendhal fait découvrir à Julien Sorel, au lendemain de la visite de M. de La Mole à Verrières, « une pétition en grosse écriture de cuisinière » : celle-ci a été adressée par « cet imbécile de Cholin » au marquis, qui l’a oubliée dans sa chambre, afin d’obtenir le bureau de loterie de la localité [5].
4Ce mépris latent dans la littérature du temps à l’égard d’une figure sociale et d’une pratique pourtant toujours plus répandues en France semble s’ancrer dans un rapprochement spécifiquement français entre les deux types sociaux évoqués plus haut, bientôt confondus en une même figure : le pétitionnaire, connoté au départ de façon positive, et le solliciteur très rapidement présenté de façon négative. Afin d’étayer cette hypothèse, l’exercice de la comparaison historique à l’échelle internationale paraît indispensable : seule la mise en regard de la situation française et de celle d’un pays doté d’une configuration politique analogue, en l’occurrence le Royaume-Uni, peut permettre de nuancer ou de faire ressortir la particularité nationale d’un phénomène [6]. Dans ce cadre analytique, il importe donc d’étudier les étapes du procès en dénigrement des figures françaises du solliciteur, puis du pétitionnaire ; de mettre en perspective la spécificité « nationale » de ce dénigrement par la comparaison avec la situation britannique ; enfin, d’envisager les limites de ce que l’on peut nommer un « succès de mésestime ».
Un procès en dénigrement
5Les débuts de ce « succès », au retour des Bourbons sur le trône, sont paradoxaux. Si les aspects négatifs du solliciteur français semblent dominer assez vite les publications qui lui sont consacrées, celui-ci semble encore jouir au lendemain de la Seconde Restauration d’une image relativement positive. Faut-il voir dans cette appréciation nuancée une forme de reconnaissance de la légitimité de certaines demandes ? En tout cas, dans L’Art d’obtenir des places (1816), le type social en question ne semble pas encore pâtir d’un ridicule achevé. C’est dans cet ouvrage que Jacques-Gilbert Ymbert, ancien employé au ministère de la Guerre placé en demi-solde en raison de son zèle pendant les Cent-Jours, met à profit sa connaissance des administrations centrales pour fournir, sous la forme d’un guide pratique au ton amusé et sarcastique, sans doute la première et la plus complète des caractérisations du personnage pour ce siècle. La première partie de l’opuscule, destinée à établir les « qualités » de la personne propre à répondre à cette « vocation », brosse son portrait physique et moral. Patience, persévérance, politesse, aménité, humilité : telles sont les qualités requises au moral pour faire face aux orages que ne sauraient manquer de provoquer des demandes aussi réitérées qu’importunes. Au physique, il faut avoir une bonne santé pour résister à tout, un nez assez court pour ne pas « être atteint d’une porte fermée brusquement », et surtout une jambe taillée pour la course. Le solliciteur doit aussi être prévoyant. De crainte de se perdre ou de voir sa requête perdue, il lui faut connaître à fond les rues de Paris, porter toujours sur lui « un cahier de papier tellière et un encrier portatif » pour pouvoir renouveler une pétition que l’Administration n’aura pas manqué d’égarer [7]. Pour l’habit, Ymbert fixe une fois pour toutes l’uniforme type : un habit noir, une culotte noire, des bas de soie noirs et des souliers à boucles. Ces derniers éléments de la panoplie, aussi « économiques » que « décents » selon l’auteur, marquent également un souci de conformité aux usages vestimentaires de la ville et de la cour. En effet, le port de ce genre de souliers peut signaler le besoin assigné au solliciteur d’apparaître même à la ville comme soumis aux obligations vestimentaires curiales sous la Restauration : de là son image répandue de courtisan de bas étage auprès des institutions subalternes du Gouvernement [8].
6Ymbert met également en place le monde où évolue le solliciteur. De la province à Paris puis dans les rues de la capitale, celui-ci court sans cesse la Poste ou les ministères, dans un mouvement permanent qui l’exclut d’emblée du monde des gens de pouvoir caractérisés par leur dignité impavide. Dans ses allées et venues, il a d’abord affaire aux gardiens des grandes administrations : il doit « franchir la sentinelle et échapper au suisse » [9]. À l’intérieur, il entre en relation avec toutes les « chevilles ouvrières » des ministères : le garçon de bureau, l’huissier et surtout l’employé, le chef et le sous-chef, dont il doit tenter de devenir l’ami ou l’allié. À travers tous les détails sur la manière d’aborder ces divers acteurs et d’en tirer profit, de l’échelon le plus bas jusqu’au ministre lui-même, Ymbert laisse en tout cas transparaître une certaine bienveillance à l’égard d’un solliciteur auquel il s’emploie à venir en aide, bien qu’il s’en moque déjà plus ou moins discrètement.
7Cet humour a tôt fait de devenir dévastateur et de donner du personnage une image dégradée. En avril 1817 est créée au théâtre des Variétés une comédie : Le Solliciteur ou l’Art d’obtenir des places [10]. Écrite par le vaudevilliste Eugène Scribe assisté de coauteurs dont fait partie Ymbert, cette pièce connaît un succès encore plus grand que l’opuscule dont elle s’inspire. Entrée dans les années 1820 au répertoire du théâtre de Madame, elle ne connaît pas moins de quatre rééditions jusqu’en 1828. Cependant, il ne s’agit pas d’une simple transposition pour la scène. Outre deux figures de « solliciteuses », le type qui est appelé à faire florès est représenté ici par le personnage principal, M. Lespérance, dont le nom dit assez ce qui le fait vivre. Présenté par le garçon de bureau comme un « rude solliciteur », il apparaît d’emblée comme un demandeur professionnel, tacticien rusé plus qu’habile, moins stratège qu’opportuniste, fécond en expédients, dont tout l’art et le signalement se cristallisent en une pratique et en une posture traditionnelles symbolisant fortement sa vocation : la révérence. Son premier monologue, à la scène 5, lui permet de se présenter comme une espèce de général en chef de la sollicitation, confiant dans sa connaissance éprouvée de la poliorcétique des ministères. En réalité, une telle entrée en matière tend à le faire apparaître comme un tacticien à la petite semaine, coutumier des procédés mesquins, des astuces pitoyables et des audaces d’antichambre. Pour son second monologue, à la scène 9, Scribe et ses collaborateurs en rajoutent dans le burlesque et le ridicule en lui faisant détailler ses qualités et son équipement : « une jambe taillée pour la course », autrement dit « une jambe à succès », et pas moins « d’une demi-douzaine de pétitions ». Ainsi apparaît, de manière édifiante, l’heureux possesseur d’un moyen d’avancer dans la vie aussi bien tourné : comme un combattant de sa propre cause armé d’une pléthore de pétitions dont il ira glisser des exemplaires, pour atteindre le ministre, jusque dans l’enveloppe du Moniteur et dans la loge du portier [11]. Croisant enfin la route d’un employé surnuméraire, le marathonien des ministères, l’Alexandre des solliciteurs juge nécessaire de faire montre devant ce personnage subalterne mais utile de ses capacités dans l’art de la révérence. Cependant, à s’abaisser ainsi devant les gens de bureau pour faire ses présentations, Lespérance voit une fois encore ses espoirs déçus. Parvenu à avoir une audience en volant la politesse à une personne attendue par le ministre, il présente à son insu une pétition en faveur de l’avancement du garçon de bureau, à laquelle le ministre ordonne sur-le-champ de donner une suite favorable [12]. Reflétant assurément l’opinion reçue du temps, le vaudeville qui vient clore la comédie, par son insistance sur la promotion de l’effort et du mérite éprouvés, finit de jeter le discrédit sur la figure du solliciteur [13].
8Du ridicule à la manie et de la manie à la folie, au reste, il n’y a qu’un pas que plus d’un auteur dramatique ose franchir. Ainsi se construit et s’établit dans l’imaginaire social proposé une idée supplémentaire : plus qu’une simple forme de parasitisme, le fait de solliciter sans cesse relèverait d’une pathologie particulière affectant en retour tout ou partie du corps social. Sous la Restauration, deux comédies éloignées dans le temps contribuent à accréditer l’image d’un solliciteur à l’esprit dérangé en la poussant à son paroxysme. La première de ces pièces, Les Solliciteurs et les fous, représentée pour la première fois au théâtre de la Porte Saint-Martin le 17 octobre 1818, aurait aussi bien pu avoir pour titre « Les solliciteurs comme fous » [14]. Dix ans plus tard, ce sont Scribe et Bayard qui font même entrer de plain-pied le solliciteur compulsif dans la sphère de l’aliénation mentale. Dans leur pièce intitulée La Manie des places ou la Folie du siècle, produite sur le théâtre de Madame le 19 juin 1828, les deux auteurs mettent en scène un maniaque avéré : M. de Berlac, qui finit dans sa course imaginaire aux honneurs par se décerner à lui-même un portefeuille de ministre [15]. Cependant, de même que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute, de même ce solliciteur vit-il aux dépens de ceux qui le sollicitent. Les autres maniaques dont Berlac, dans sa folie, abuse de la crédulité sont des solliciteurs de ses faveurs. Au premier rang vient M. de Noirmont, inspecteur général destitué, suivi par M. Dufour, employé au Mont de Piété, et par Mme Presto, tenancière d’hôtel garni. Aussi cette illusion comique autour de la frénésie solliciteuse, comme sa devancière, conclut-elle à l’incurabilité du solliciteur le plus dérangé. Noirmont, jugé trop atteint pour être envoyé dans un asile dont « les douches n’y feraient rien », est laissé libre d’aller à Constantinople où il prétend obtenir une position [16].
9Si l’on parle beaucoup dans toutes ces œuvres du solliciteur et bien peu du pétitionnaire, celui-ci est pourtant loin d’être étranger à cet imaginaire. Certes, sous la Restauration, par une conséquence de la centralisation politique et administrative, il semble que la taxinomie sociale du requérant semble dépendre encore quelque peu de deux critères : l’amateurisme ou le professionnalisme dans l’art de solliciter, souvent mis en relation avec des attaches provinciales ou parisiennes. Ymbert distingue encore significativement, au milieu des années 1820, la « population pétitionnaire des campagnes » et la « population solliciteuse de la capitale ». Autrement dit, un pétitionnaire provincial, éloigné des centres névralgiques d’attribution des postes et des subsides, peut rester un pétitionnaire ; mais qu’il se rende dans la capitale afin de faire valoir ses demandes, et il devient un solliciteur, personnage dont l’ancrage demeure essentiellement parisien [17].
10Cependant, dans le processus de rapprochement entre ces deux figures, un article fait date au tournant des années 1830. Dans le Premier-Paris savoureux et brillant que le Journal des débats consacre, quinze jours après la fin de « l’insurrection populaire » des journées de Juillet, à « l’insurrection des solliciteurs » qui suit l’instauration du nouveau régime, Saint-Marc Girardin contribue dans une large mesure à approfondir la confusion entre les deux types de demandeurs [18]. Dans ce parfait résumé de l’imaginaire social que cristallise la sollicitation pétitionnaire, celui-ci évoque « des bataillons d’habits noirs [qui] s’élancent de tous les quartiers de la capitale », portant « la cocarde au chapeau et le ruban tricolore à la boutonnière », et qui, « une fois arrivés dans l’antichambre », se tiennent « immobiles à leur rang, la pétition au bras ». Il évoque aussi « les diligences, les pataches, les coches [remplis de] solliciteurs [qui s’entassent] dans les voitures [et qui surchargent] l’impériale », donnant le signal du « soulèvement général de toutes les pétitions provinciales » : « Paris ! Paris ! tel est le cri de toutes les ambitions qui fatiguent les routes et les postillons » [19]. À l’évidence, le mélange entre un solliciteur toujours en butte au même mépris et une pétition ravalée au rang de désignation métonymique de ce triste personnage entame son procès en naturalisation [20].
11Mais c’est au tournant de 1840 que la tendance à la confusion entre les deux figures, aux dépens de celle du pétitionnaire, trouve sa pleine expression. À ce moment, la boucle est pour ainsi dire bouclée. On peut en juger par la comparaison de deux gravures, celle mettant en scène le solliciteur et celle représentant le pétitionnaire. À l’occasion de la réédition du Solliciteur dans les Œuvres complètes de Scribe, Tony Johannot livre une gravure en taille-douce qui campe le personnage de Lespérance dans la scène 9 de la pièce (Figure 1). La vignette fait apparaître le solliciteur type dans un bureau du ministère, appuyé à un secrétaire muni d’une plume toute symbolique. Grand et sans doute aminci par ses courses incessantes à travers la ville, d’un âge avancé, la tête surplombée de cheveux gris blanc, doté d’une figure allongée qui n’est pas sans rappeler les traits attribués à Charles X par ses caricaturistes les plus féroces, il est comme il se doit vêtu d’un habit noir convenable, quoique manifestement fatigué et démodé, et porte des souliers à boucles. Si le personnage met bien en avant ce qui constitue selon lui son principal atout, sa jambe, l’absence d’un détail d’importance ne manque pas d’étonner. Alors qu’il dit dans la pièce avoir à portée de main son autre arme, ses pétitions, aucun papier ne se trouve sur le bureau, et ses poches ne semblent curieusement rien receler [21].
12Or, ce qui manque au solliciteur dessiné en 1840 se trouve chez le pétitionnaire représenté l’année qui suit (Figure 2). Le portrait en pied dû à Henry Emy, dessinateur et lithographe, illustrateur de nombreuses physiologies contemporaines, scelle la confusion des types. En effet, le pétitionnaire représenté se profile dans l’encoignure d’une porte, semblant s’appliquer à faire antichambre : il paraît se présenter à l’aventure, chargé de pétitions. Cette représentation met ainsi au jour le discrédit et le mépris public attachés à un porteur de demandes ravalé au rang de pitoyable solliciteur. Certes, la mise du pétitionnaire de 1841, son habit noir entretenu, sa cravate blanche et ses pantalons collants à sous-pieds dénotent une certaine élégance ; mais tout ceci le rapproche, par la recherche des convenances vestimentaires, de l’aspect du solliciteur. Bien plus, ce rapprochement est renforcé par le mimétisme des gestes. Reprenant la posture révérencieuse traditionnellement attribuée au suppliant dans bon nombre des représentations stéréotypées, le pétitionnaire type ne fait pas qu’adresser un salut. Il fait à celui auquel il se présente une révérence empreinte de basse flatterie, à l’image de celle qui constitue le signe distinctif du solliciteur dans la pièce du même nom. Surtout, le pétitionnaire a, dans toutes ses poches et jusque dans le chapeau avec lequel il accompagne son geste, une foule de pétitions qui achèvent de lui conférer un ridicule naguère attribué au seul demandeur « professionnel » de places et de pensions.
Un « procès international » ? l’épreuve de la comparaison franco-britannique
13Ce procès en dénigrement est-il particulier à la France ou bien rencontre-t-il des échos au-delà de ses frontières ? De nombreux éléments conduisent à privilégier la première hypothèse. Bien après 1840, tout comme le stéréotype du solliciteur [22], l’image négative d’une France peuplée de quémandeurs opportunistes dénués de fierté et de scrupules a la vie dure, ne serait-ce que chez des libéraux navrés par le trafic des emplois publics qui semble devoir suivre comme son ombre chaque révolution. Alexis de Tocqueville dans ses Souvenirs en 1851, puis Charles Dunoyer dans une conversation avec son confrère britannique Nassau Senior en 1853, s’accordent à faire de ce phénomène un trait malheureux, permanent et caractéristique de l’esprit national [23]. La confusion entre ces deux figures est donc particulièrement bien ancrée en France, et seulement en France : à cet égard, le contraste est frappant avec un pays voisin comme le Royaume-Uni, tant pour le solliciteur que pour le pétitionnaire.
14De l’autre côté de la Manche, il n’y a guère d’apparence que des petitioners aient jamais été confondus ou même associés à des placemen et des place hunters dont ils se montrent plutôt, le cas échéant, les ennemis que les frères d’armes. Tout d’abord, notons que la figure du solliciteur ne connaît ni la même fortune publique ni la même infortune qu’en France. Tout juste peut-on signaler une pièce la mettant en scène : The Place Hunter, de Frederick Webster, petite comédie en un acte représentée au Haymarket Theatre de Londres en 1840. Il faut d’ailleurs attendre le début du xxe siècle pour voir une pièce portant un titre semblable de nouveau mise en scène dans la capitale britannique [24]. Or, comme on l’a vu, il ne faut pas attendre le début des années 1840 pour que le personnage du solliciteur soit représenté à plusieurs reprises sur les scènes parisiennes.
15Ce contraste renvoie sans doute aux ampleurs différentes et aux configurations diverses des phénomènes sociaux de course aux places et aux pensions qui se font jour dans la France de la monarchie constitutionnelle et chez son voisin britannique. Pour le Royaume-Uni, trois éléments d’explication peuvent être avancés afin de rendre compte des développements fort limités auxquels donnent lieu l’activité et la figure du place hunter. Le nombre assez médiocre des emplois à pourvoir au sein d’administrations centrales ou locales encore peu développées, joint à la relative continuité dans les attributions des postes et des subsides à leurs détenteurs ou à leurs allocataires, par-delà les changements de règne et de cabinet, dans un contexte de relative stabilité politique, réduit de prime abord la carrière ouverte aux manœuvres d’antichambre des solliciteurs britanniques. De plus, les modes de désignation aux emplois publics ou d’attribution des gratifications s’inscrivent fréquemment dans le cadre de relations stables de clientèle, sinon de patronage [25]. Un tel encadrement restreint d’autant la part des sollicitations susceptibles d’être adressées en dehors de ces formes de structuration des rapports sociaux, et donc le champ laissé à la course frénétique aux places. Enfin, cet arrivisme de bas étage peut pâtir dans l’opinion britannique de l’opprobre qui pèse alors sur les prébendes versées aux ambitions issues des hautes sphères. Au-delà même de toute obédience politique radicale, des attaques aussi virulentes que répétées désignent à la vindicte publique les placemen et autres pensioners accusés d’obérer les finances de l’État et de contribuer au maintien d’impôts exorbitants. Devant ces accusations, du reste, les administrations successivement aux affaires n’ont de cesse de réduire les possibilités d’attribution arbitraire de places ou de pensions [26]. De tels éléments contribuent à restreindre ou à encadrer le champ d’action des solliciteurs, quand elles ne le légitiment pas par une relation sociale de patronage et de clientèle. Tout semble ainsi faire obstacle au développement d’une pratique de la sollicitation tous azimuts, et donc de ses représentations négatives outre-Manche.
16En revanche, le contexte sociopolitique de la France, fort différent à certains égards, produit une situation sociale et culturelle radicalement opposée. Rien ne s’y oppose, tout concourt même à faire du solliciteur, dans un contexte de bouleversement en profondeur de la société française, de changements de régime à répétition, une des figures à la fois parasitaires et symboliques de l’espace social et politique. En effet, la stigmatisation de ce personnage a partie liée, dans des administrations publiques toujours plus marquées par la politisation des recrutements et des renvois, avec les curées qui suivent les épurations politiques successives des restaurations impériale puis monarchique en 1814 et 1815, les départs de personnels à chaque changement de ministère, et surtout la grande épuration liée à la révolution de 1830 [27]. Le mépris affiché à l’égard du solliciteur, composé de bassesse et d’opportunisme, prend ainsi racine dans deux terreaux fertiles. En premier lieu, ce dédain se fonde sur la perte de prestige d’une fonction publique politisée et discréditée, que ce quémandeur de places fatigue de ses demandes, mais dans laquelle ce rond-de-cuir paresseux, ce détenteur de sinécure en puissance désire plus que tout entrer [28]. Plus profondément, ce mépris se trouve associé à la dénonciation de la versatilité des fidélités politiques au gré des changements de régimes, dans la succession desquels le solliciteur fait naturellement figure de « girouette » au petit pied [29]. Notons enfin, sans plonger dans les héritages de l’époque moderne, que la construction de cette figure se nourrit de types sociaux déjà en place, chargés d’opprobre ou de ridicule, auxquels ce personnage se rattache par tel ou tel de ses aspects et dont il combine bien souvent les caractères. Il semble se rattacher au courtisan, pour sa recherche des faveurs et son art de l’intrigue ; au mendiant, dont les traits naguère positifs tombent alors sous le coup d’un large discrédit ; au provincial à Paris, pour sa réputation d’ambition mêlée à une grande naïveté ; au miséreux en habit noir, dont le souci de « sauver les apparences » vestimentaires cache mal le déclassement social et la prétention mâtinée d’espoirs déçus [30].
17Quant au pétitionnaire, jamais il ne semble connaître en Grande-Bretagne le traitement défavorable que tant de publications finissent par lui faire subir en France. Une analyse comparée d’un certain type de publication périodique permet de s’en convaincre. La presse satirique française, avec pour chef de file Le Charivari, semble vers 1840 se désintéresser entièrement du pétitionnaire comme d’une figure trop connue qui ne ferait même plus rire, à force de faire pitié. En revanche, Punch reflète, au même moment, une image composite et nuancée de son homologue britannique. Certes, la feuille humoristique ne cesse de se moquer du peu d’efficacité finale de la quasi-totalité des pétitions. Dans la version comique des Commentaries de Blackstone livrée à la fin de l’année 1843, il est ainsi proclamé :
« [… Parmi les droits auxiliaires,] le droit de pétition est un autre privilège glorieux des Anglais ; mais il n’est pas fréquent qu’ils en retirent beaucoup. Puffendorf, ou quelqu’un d’autre, a dit : “ceux qui ne demandent rien, ne manquent de rien ; et ceux qui demandent, n’auront rien” ; et il semble que ce soit dans ces vues que le Parlement reçoit tous les vœux, exprimés ou inexprimés, qui n’ont pas l’heur de coïncider avec les vœux du corps législatif. » [31]
19En appuyant sur des fondements juridiques fantaisistes, prétendument empruntés à une des grandes autorités du droit moderne [32], la formule lapidaire et expéditive qui est censée servir de guide au traitement parlementaire réservé au pétitionnement, Punch entend dénoncer et déplorer les procédés en usage aux Communes à l’égard des pétitions, bien plus que l’existence ou l’utilisation d’un « privilège glorieux » pris dans l’ensemble en assez bonne part.
20Ce dernier constat trouve sa confirmation dans le mode d’utilisation par l’hebdomadaire lui-même de la forme pétitionnaire. Entre juillet 1841 et janvier 1848, pas moins de sept de ce que l’on pourrait nommer des mock petitions sont publiées. Parmi celles-ci, certaines révèlent bien l’estime accordée par les rédacteurs de la feuille aux pétitions et à leurs auteurs. Ainsi, au début de l’année 1844, c’est Punch en personne, accompagné de sa chère Judy, qui entreprend d’utiliser auprès de la reine Victoria la forme pétitionnaire afin de dénoncer l’utilisation des bois d’ouvrage du vaisseau de guerre anglais le Royal George, naufragé en 1782, pour en faire un billard [33]. En mai 1847, Punch érige même la pétition au rang de porte-parole du pays affamé, par la voix de l’une de ses incarnations les plus caractéristiques, John Bull. Celui-ci adresse une prière pétitionnaire, sous la forme d’un poème de six quatrains à rimes croisées, aux grands céréaliers accusés d’accaparer les grains et de les vendre à un prix prohibitif [34]. Quand bien même l’efficacité finale du pétitionnement britannique serait mise en doute parce que battue en brèche, nulle part au Royaume-Uni la pétition, le pétitionnaire ne se trouvent donc eux-mêmes attaqués. Même dans les discours publics les mieux disposés à la moquerie, jamais la légitimité de ce moyen de transmission des sentiments du pays ne se trouve remise en cause ; jamais le pétitionnaire n’y connaît un procès en délégitimation analogue à celui qui se déroule dans le même temps outre-Manche.
Un discrédit étendu à toute la france ?
21C’est donc particulièrement en France que le pétitionnaire, de plus en plus confondu avec le solliciteur, semble connaître un discrédit croissant qui accompagne et renforce la dépréciation des pétitions née de la dénonciation ancienne et récurrente de leur inefficacité [35]. Toutefois, il s’en faut que ce discrédit soit universel – que tous les écrivains, que tout le territoire français souscrivent explicitement à ces représentations.
22De manière générale, il convient de ne pas s’en tenir à un nominalisme absolu. Si ces images et ces discours négatifs s’en prennent ou finissent par s’en prendre aux « pétitions » et aux « pétitionnaires » en général, ils ne désignent en fait que certaines catégories : pour l’essentiel, les demandes individuelles relevant de l’intérêt particulier et leurs auteurs. Or, à s’en tenir au cas de la Chambre des députés, les pétitions collectives et les grandes campagnes de pétitionnement sont de plus en plus nombreuses et prennent toujours plus de place, notamment pendant la monarchie de Juillet. Certaines années, il est vrai, restent marquées par des afflux remarquables de pétitions représentant des intérêts particuliers, catégoriels ou locaux. Ainsi, pour la session 1835, cette large catégorie compose plus des deux tiers (69,6 %) des demandes dont la nature des préoccupations est identifiable. Cependant, il serait abusif de voir là un corpus pétitionnaire presque uniquement constitué de ce type de demandes. Même majoritairement individuelles, les pétitions faisant apparaître des préoccupations générales constituent quand même près d’un tiers (29,4 %) du corpus défini plus haut [36]. Surtout, l’importance relative des demandes particulières tend à décroître face à la marée montante des campagnes de pétitionnement collectives et massives qui ponctuent avec toujours plus de poids et d’insistance le calendrier politique français jusqu’en 1848. Pour la session 1840, des mouvements pétitionnaires assez importants pour que les services administratifs de la Chambre aient jugé utile d’en rassembler les éléments sous des numéros d’ensemble, à commencer par la campagne pour la réforme électorale, rassemblent au bas mot 1 896 pétitions sur 2 621, soit au moins 72,1 % des pétitions présentées [37]. Les discours dominants ici en cause, dont l’arrière-plan renvoie à l’image politique et sociale traditionnelle d’une pétition dont l’origine et l’objet ne sauraient être qu’individuels, ne semblent donc pas compromettre plus que de raison la réputation et le développement d’un pétitionnement collectif destiné à défendre des intérêts plus généraux.
23D’autre part, rappelons que la pétition, même individuelle, a tout de même pu un temps, notamment au cours des années 1820, être élevée en France au rang d’œuvre littéraire à part entière. On peut même dire que c’est la France qui a donné le jour, selon toute apparence, au genre littéraire de la pétition. Le premier à lui conférer un tel statut est Paul-Louis Courier (1772-1825). Par deux fois, le célèbre pamphlétaire utilise la forme pétitionnaire pour dénoncer les dérives de la réaction ultraroyaliste et cléricale au pouvoir. En décembre 1816, à la suite d’une « terreur blanche » qui a trouvé quelques continuateurs zélés dans les autorités administratives et policières du royaume, paraît une Pétition aux deux chambres portant réclamation contre des arrestations arbitraires faites à Luynes, en Indre-et-Loire, où il a élu domicile. Après le gros succès de cette première pétition, au mois de juillet 1822, en plein triomphe des ultras aux affaires, face à un clergé ultramontain toujours plus intransigeant, devant l’ardeur des missions religieuses multipliées dans les campagnes, le même « vigneron » tourangeau sort de sa réserve pour renouveler sa protestation. Il publie alors sa célèbre Pétition pour des villageois que l’on empêche de danser, dans laquelle il ridiculise les interdits absurdes que des ecclésiastiques fanatisés font peser sur des coutumes locales que l’auteur juge pourtant on ne peut plus inoffensives [38]. En 1827, dans une période non moins marquée par l’influence des milieux cléricaux sur le pouvoir en place, le comte de Montlosier (1755-1838) fait paraître à son tour une Pétition à la Chambre des pairs pour dénoncer les « calamités » que représentent à ses yeux le retour en France des jésuites et toutes les composantes de ce qu’il désigne comme le parti prêtre. Suivant une stratégie pétitionnaire éprouvée, il fait précéder cette requête de son fameux Mémoire à consulter sur un système religieux et politique (1826). Une fois présentée devant la Chambre haute, il la fait suivre d’un autre mémoire sur le même sujet, à la fin de 1827, adressé au comte de Villèle, président du Conseil des ministres [39].
24Au cœur même des années 1840, la pétition connaît toujours une certaine fortune littéraire. C’est encore cette forme que choisit en 1845 l’économiste partisan du libre-échange Frédéric Bastiat (1801- 1850), au chapitre vii de ses Sophismes économiques, pour dénoncer les erreurs du protectionnisme et pour apporter les lumières de la liberté économique aux yeux de la représentation nationale comme du pays tout entier [40]. Pour celui qui a pu douze ans plus tôt se faire le critique des maladresses des pétitions du commerce français sur les barrières douanières [41], endosser l’habit d’un pétitionnaire, en la personne d’un fabricant d’articles d’éclairage se plaignant de la concurrence du soleil, semble encore à cette date une des manières les plus féroces et les plus efficaces de faire triompher la cause libre-échangiste en France. Toutes ces œuvres sous forme de pétitions, que d’aucuns pourraient certes qualifier d’opuscules ou de brochures de second ordre, attestent donc à l’envi, par leur succès et leur postérité, la dignité largement reconnue à ce mode d’expression.
25Enfin, signaler l’origine souvent provinciale du pétitionnaire confondu avec le solliciteur une fois dans la capitale n’est pas anodin. C’est là le fait d’un milieu essentiellement parisien, composé d’auteurs et de journalistes dont l’auditoire ou le lectorat peuvent prendre plusieurs aspects. Ceux-ci semblent au premier chef se limiter à la clientèle, elle aussi essentiellement parisienne, des théâtres des grands boulevards et des marchands de nouveautés, issue des couches sociales situées entre la bourgeoisie moyenne et les classes populaires. Certes, ce public peut aussi s’étendre aux mêmes catégories des sociétés locales dans les départements où peuvent être représentées les pièces, où sont diffusés les ouvrages, les journaux qui constituent les vecteurs de ces images. Cependant, on peut recevoir un message sans y souscrire. En l’absence de toute donnée positive et précise sur ce point, on peut supposer que la réception de ces représentations en province fait jour à trois types de réactions. Certains habitants des départements, par imitation des idées répandues dans la capitale ou en vertu d’un réel sentiment de mépris à l’égard des pétitionnaires provinciaux, peuvent appuyer des idées qu’ils considèrent comme les leurs. Toutefois, deux attitudes fort différentes semblent prévaloir : d’une part, le rejet de représentations négatives qui peuvent être appréhendées comme autant de marques d’une condescendance toute parisienne à l’égard des gens de province ; d’autre part surtout, l’indifférence pure et simple d’une grande partie des départements à l’égard de ces images. Certes, ces deux dernières réactions apparaissent comme rarement relayées dans l’espace public, sans doute pour deux raisons. D’une part, la grande presse parisienne donne bien peu la parole à la province. Les représentations dépréciatrices du pétitionnement d’origine provinciale font certainement l’objet d’une diffusion relativement restreinte, dans le territoire national comme dans l’espace social, si l’on s’en tient donc aux seuls organes d’une grande presse essentiellement basée à Paris. D’autre part, la province elle-même fait encore bien peu entendre sa propre voix. Ce n’est encore que de manière lente, embryonnaire et localisée qu’émergent des contre-images provinciales face aux stéréotypes parisiens à la fin de la monarchie de Juillet [42].
26Cependant, les deux dernières réactions évoquées, l’indifférence ou le rejet, semblent prépondérantes dans les départements, au moins en creux. D’un côté, dans les publications départementales consultées, aucun mépris du pétitionnaire ne transparaît. Bien au contraire : les quelques écrits provinciaux traitant des pétitions ne font presque toujours qu’encourager leurs lecteurs à l’exercice de ce droit [43]. D’un autre côté, le maintien, voire l’extension d’un pétitionnement provincial sans cesse plus important, tend à confirmer l’idée que les discours de dépréciation sont de faible portée dans un royaume qui ne se limite pas à sa seule capitale et dont des habitants toujours plus nombreux entendent user malgré tout d’un des seuls modes d’expression autorisés dans l’espace public qui permette la communication directe avec le pouvoir.
27Ces derniers éléments incitent donc à tirer des conclusions prudentes et nuancées sur la portée des discours de dénigrement des personnages, finalement rendus interchangeables, du solliciteur et du pétitionnaire dans la vie publique de la France du premier xixe siècle. D’un côté, certes, on ne peut s’empêcher de penser que la construction et la diffusion de cette figure sociale et littéraire dégradée a participé dans une certaine mesure, avec d’autres éléments (parmi eux, des obstacles légaux opposés au développement des mobilisations publiques, la faiblesse relative de l’organisation de l’agitation politique dans la France de ce temps), au maintien dans l’ensemble d’un niveau relativement faible de pétitionnement, notamment en regard d’une situation britannique bien plus favorable à maints égards à la pétition. Entre 1814 et 1848, ainsi, sont adressées à la Chambre des communes dix fois plus de demandes de ce type qu’à la Chambre des députés. Les aspects culturels, ici mis en évidence sous un angle comparatif, ont sans doute joué un rôle dans l’établissement de cet état de fait. D’un autre côté, il faut reconnaître que le chiffre avancé pour la France (40 000 pétitions) est loin d’être négligeable ; la décennie 1838- 1848 correspond même à un moment d’essor sans précédent des mobilisations pétitionnaires. Or, ce développement semble aller de pair avec l’insuccès relatif dans les départements d’une figure certes placée en position dominante dans les champs journalistique et littéraire parisiens, mais placée à l’évidence en retrait dans le reste de l’espace social et national.
28Ainsi, à la veille de la révolution de Février 1848, tout se passe comme si un clivage culturel partageait le pays au point de vue des représentations des rapports à entretenir avec le pouvoir. D’un côté, une France qui se plaît, ou qui trouve intérêt, à créer ou à entretenir l’image d’un pétitionnaire nécessairement cantonné au rôle méprisable et désespérant de solliciteur ; de l’autre, celle qui, sans être en mesure de produire de contre-images ni de contre-discours propres à rivaliser avec une doxa hégémonique, fait valoir par ses actes, par ses campagnes d’opinion, l’image d’un pétitionnaire sûr de son droit, capable de s’associer à d’autres pétitionnaires pour faire triompher des causes dépassant bien souvent des considérations d’ordre personnel. Sans doute ce jeu de failles entre une légitimité toujours revendiquée pour tel ou tel mouvement pétitionnaire et son déni récurrent par les instances dominantes du jeu politique et social a-t-il pu contribuer entre autres à créer un terrain favorable à l’émergence des tensions qui traversent la France au tournant de l’année 1848.
Le solliciteur et le pétitionnaire : infortunes et succès d’une figure sociale et littéraire française (première partie du xixe siècle). Figures
« Lespérance. “Voici une jambe à succès.” Le solliciteur, scène IX » – E. Scribe, Œuvres complètes de M. Eugène Scribe, tome III [1841], p. 76-77, vignette hors-texte de Tony Johannot. (cliché B. Agnès, avec l’aimable autorisation de la bnf)
« Lespérance. “Voici une jambe à succès.” Le solliciteur, scène IX » – E. Scribe, Œuvres complètes de M. Eugène Scribe, tome III [1841], p. 76-77, vignette hors-texte de Tony Johannot. (cliché B. Agnès, avec l’aimable autorisation de la bnf)
Mots-clés éditeurs : représentation, pétition, comparaison, 1815-1848, France, Grande-Bretagne
Mise en ligne 17/04/2012
https://doi.org/10.3917/rhis.121.0027Notes
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[1]
Pour ces ordres de grandeur, voir : http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/petitions.aspdroit. Pas de date de mise à jour de la page. Page consultée le 29 décembre 2010. Nous nous permettons aussi de renvoyer à notre étude : L’Appel au pouvoir. Essai sur le pétitionnement auprès des chambres législatives électives en France et au Royaume-Uni entre 1815 et 1848, thèse de doctorat en histoire, Christophe Charle (dir.), Université Paris I, 2009, tableau 2, fo 22.
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[2]
Institut de France, Dictionnaire de l’Académie française. Sixième édition, publiée en 1835, Paris, Firmin Didot, 1835, vol. II, art. pétition, pétitionnaire, solliciteur, p. 403 et 755.
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[3]
La présence du solliciteur dans la littérature et la presse du temps fera l’objet de développements plus précis dans le corps de l’article.
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[4]
Cf. notamment, pour la France, Paris ou le Livre des cent et un, Paris, Ladvocat, 1831-1834 ; Léon Curmer (éd.), Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle, Paris, 1840-1842, 8 vol. (rééd. partielle en 2003).
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[5]
Stendhal, Le Rouge et le Noir. Chronique de 1830, in Romans et nouvelles, Paris, Gallimard/nrf, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1952 (1re éd. 1830), vol. I, p. 320-321.
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[6]
Nous nous inspirons ici de l’analyse proposée par Guy Jucquois : selon lui, par la mise en œuvre d’un « relativisme herméneutique », la démarche comparative « décentre la perspective de compréhension habituelle d’un phénomène, lui donne un nouveau sens » (La Méthode comparative dans les sciences de l’homme, Bibliothèque des Cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain, no 48, Louvain-la-Neuve, Peeters, 1989, p. 116).
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[7]
Jacques-Gilbert Ymbert, L’Art d’obtenir des places ou la Clef des ministères ; ouvrage dédié aux gens sans emploi, et aux solliciteurs de toutes les classes, Paris, Pélicier, 1816 (2e éd., 1re éd. la même année), p. 17-20 ; citations extraites de la p. 19.
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[8]
Cf. ibid., p. 22. Si l’habit noir a fini par devenir pour ainsi dire le passe-partout de toutes les formalités, le port de souliers à boucles n’est de rigueur sous la monarchie restaurée qu’à la cour de France ou à l’occasion d’une audience royale. On tient à remercier ici Thibault Trétout, dont les recherches portent sur la cour de France pendant la période de la monarchie constitutionnelle, pour ses éclaircissements sur la signification de ce détail vestimentaire.
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[9]
Idem, p. 45.
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[10]
Eugène S[cribe], M** [Henri Dupin, Antoine-François Varner, J.-G. Ymbert, Charles-Gaspard Delestre-Poirson], Le Solliciteur ou l’Art d’obtenir des places, comédie en un acte, mêlée de vaudevilles, Paris, Mme Ladvocat, 1817.
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[11]
Idem, sc. 14, p. 20.
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[12]
Idem, sc. 18, p. 25.
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[13]
Idem, sc. 18, p. 26.
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[14]
Jules Gabriel Melesville [Jules-Joseph-Gabriel Lurieu], Les Solliciteurs et les fous, comédie en un acte et en prose, Paris, Fages, 1818.
-
[15]
[E.] Scribe, Bayard, La Manie des places ou la Folie du siècle, comédie vaudeville en un acte, Paris, Pollet, 1828.
-
[16]
Idem, sc. 18, p. 47-48.
-
[17]
J.-G. Ymbert, Mœurs administratives ; pour faire suite aux observations sur les mœurs et les usages français au commencement du xixe siècle, Paris, Ladvocat, 1825, t. I, p. 226.
-
[18]
Journal des débats politiques et littéraires, 16 août 1830, p. 1 et 2.
-
[19]
Ibid., p. 1.
-
[20]
Des journaux d’autres tendances emboîtent le pas aux Débats : cf. Le National, 26 août 1830, p. 1.
-
[21]
Cf. E. S[cribe] et alii, Le Solliciteur…, op. cit., sc. 9, p. 13.
-
[22]
Témoignent pour la France de la permanence des représentations du solliciteur jusqu’à la fin du xixe siècle divers types d’ouvrages : cf. Louis Reybaud, Jérôme Paturot à la recherche de la meilleure des républiques, Paris, Michel Lévy Frères, 1861 (1re éd. 1848), p. 29-31 ; dans un registre encore plus léger, Christophe, L’idée fixe du savant Cosinus, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1899, Cosinus solliciteur.
-
[23]
Cf. Alexis Clérel de Tocqueville, Souvenirs (1850-1851), in Œuvres, Paris, nrf/Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2004, t. III, p. 819 ; Nassau W. Senior, Conversations with M. Thiers, M. Guizot, and other Distinguished Persons, during the Second Empire, Londres, Hurst and Blackett, 1878, vol. 1, p. 191-192.
-
[24]
Frederick Webster, The Place Hunter : a Farce in One Act, Londres, Sherwood, Gilbert, and Piper, 1840. Pour l’adaptation modernisée de la pièce de Scribe en anglais en 1911, cf. C. Charle, Théâtres en capitales : naissance de la société du spectacle à Paris, Berlin, Londres et Vienne, 1860-1914, Paris, Albin Michel, 2008, p. 336.
-
[25]
Il s’agit bien moins ici du patronage politique accordé par les ministres de Sa Majesté et par les membres ministériels du Parlement à leurs amis et à leurs réseaux, dont on sait que le système est progressivement démantelé entre 1780 et 1830, que du clientélisme social, notamment au niveau local.
-
[26]
Philip Harling, The Waning of « Old Corruption » : the Politics of Economical Reform in Britain, 1779-1846, Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 20 et 107-123.
-
[27]
Guy Thuillier, Jean Tulard, Histoire de l’administration française, Paris, puf, 1984, p. 32-35.
-
[28]
Idem, p. 37-38.
-
[29]
On peut suggérer l’idée que la figure du solliciteur entretient des rapports étroits avec la figure politique, sociale et littéraire de la « girouette », composé de transformisme doctrinal et d’arrivisme éhonté, qui connaît une fortune particulière dans l’alternance rapide des régimes entre 1814 et 1816. Au milieu des années 1820, Ymbert devenu moraliste constate ainsi : « Les bras se soulèvent pour présenter des pétitions, comme naguère ils se sont tendus pour prêter des serments » (J.-G. Ymbert, Mœurs administratives…, op. cit., t. I, p. 227). Sur la naissance et la construction de cette figure de l’opportunisme, cf. Pierre Serna, La République des girouettes (1789-1815… et au-delà). Une anomalie politique : la France de l’extrême centre, Paris, Champ Vallon, 2005.
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[30]
Sur la tradition réactivée sous la monarchie censitaire des tribulations du naïf provincial en visite à Paris, cf. Alain Corbin, Paris-Province, in Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984-1992, 7 vol., p. 2851-2888, p. 2861-2862. Du reste, pour une littérature physiologique dont les caractérisations valent certainement aussi en amont pour l’époque de la Restauration, « l’habit noir, c’est l’habit du solliciteur, comme celui du sollicité » (B. Maurice, « La misère en habit noir », in L. Curmer (éd.), Les Français peints par eux-mêmes…, op. cit., t. II, p. 983- 994, citation extraite de la p. 983).
-
[31]
Punch, or the London Charivari, 11 novembre 1843, p. 204-205, The Comic Blackstone. Section the Fifth. – on the Absolute Rights of Individuals (trad. B. Agnès).
-
[32]
Samuel von Puffendorf (1632-1695), juriste, homme d’État et historien allemand, est l’auteur de traités essentiels pour l’établissement du droit naturel, du droit des gens et du droit public, dans lesquels il discute notamment les positions de Grotius et de Locke.
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[33]
Punch, or the London Charivari, 13 janvier 1844, p. 21, Regarding the Royal George Billiard Table. The humble Petition of Mr Punch.
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[34]
Punch, or the London Charivari, 29 mai 1847, p. 230, John Bull’s Petition. Le poème commence ainsi : « Pity the sorrows of poor old John Bull, / Whose quartern loaf a shilling costs, or more, / Whilst there are warehouses of grain chock-full: / Cheapen your corn, and Heaven will bless your store » (« Pitié pour les chagrins du pauvre vieux John Bull, / Dont la miche de pain coûte un shillling ou plus, / Tandis que des entrepôts regorgent de grains : / Baissez le prix du blé, et le Ciel bénira votre grenier. ») (trad. B. Agnès). Un peu plus de deux mois auparavant, le même hebdomadaire avait déjà publié une pétition dite parlementaire en vers, plus longue, sur un sujet connexe : il s’agissait de la supplique d’un journalier pour que les paysans anglais aient de quoi vivre, adressée à un Parlement qui venait alors de voter un secours de huit millions de livres pour les Irlandais en proie à la famine. Cf. Punch, or the London Charivari, 13 mars 1847, p. 117, The Ploughman’s Petition.
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[35]
Comme Dumas père, écrivant dans les années 1840, le fait dire à l’armateur Morrel, venu plaider la cause du marin Edmond Dantès auprès du magistrat Villefort en 1815 : « […Nous] savons ce que c’est que les pétitions : le ministre en reçoit deux cents par jour et n’en lit point quatre. » Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, Paris, nrf/Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1981 (1re édition 1844-1846), p. 124. La suite du roman, comme on le sait, tend à prouver la véracité de cette appréciation.
-
[36]
Statistiques établies d’après les relevés croisés effectués dans Archives nationales [Arch. Nat.], C * 2415, C 2140 à 2143, à partir d’un sondage au dixième portant sur 134 pétitions la session 1835 (marge d’erreur : 6,7 %).
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[37]
Résultats obtenus d’après les relevés, décomptes et extrapolations effectués à partir de Arch. Nat., C * 2421 : registre d’ordre des pétitions présentées à la Chambre des députés, session 1840, et des cartons C 2169 à 2175 : pétitions pour la réforme électorale classées sous le no 59.
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[38]
Cf. L.-P. [sic, pour Paul-Louis] Courier, Pétition aux deux chambres, Paris, A. Bobée, s.d. [1816] ; Id., Pétition pour les villageois que l’on empêche de danser, Paris, chez les marchands de nouveautés, 1822. La première réclamation, adressée à une chambre qui ne mérite plus depuis sa dissolution en septembre 1816 le nom « d’introuvable », est renvoyée au nouveau ministre de la Police, Decazes, qui ne fait pas grande difficulté à y faire droit. Cf. Raymond Schwab, Vie politique de Paul-Louis Courier, Mercure de France, t. LXXXII, no 299, 1909, p. 429-454, p. 433 ; Louis Desternes, Paul-Louis Courier et les Bourbons. Le pamphlet et l’histoire, Moulins, Édition des « Cahiers bourbonnais », 1962, p. 65. En revanche, la seconde, adressée à la seule Chambre des députés (cf. Pétition pour les villageois…, op. cit., p. 5), ne rencontre pas la faveur de cette assemblée, comme l’auteur même devait s’y attendre. Envoyée et reçue tard dans la session, elle n’est pas rapportée. Cf. Arch. Nat., C * II 243 : la pétition de l’habitant le plus connu de Véretz porte le no 317 et est enregistrée quelques jours après la dernière séance de rapport de pétitions de la session. Une telle inconséquence laisse supposer que P.-L. Courier n’a pas même formé l’espoir d’un passage en séance et a envoyé pour la forme aux députés une pétition destinée en priorité à l’impression.
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[39]
François-Dominique de Reynaud, comte de Montlosier, Pétition à la Chambre des Pairs, précédée de quelques observations sur les calamités, objets de la pétition, Paris, A. Dupont, 1827 ; Id., Mémoire à consulter sur un système religieux et politique, tendant à renverser la religion, la société et le trône, Paris, Dupont et Roret, févr. 1826 ; Id., Les Jésuites, les congrégations et le parti prêtre en 1827. Mémoire à M. le Comte de Villèle, président du Conseil des ministres, Paris, Ambroise Dupont et Cie, déc. 1827. La publicité qui entoure ces publications est déjà en elle-même une forme de succès : l’année même de sa diffusion, le Mémoire à consulter… connaît cinq rééditions. Quant à celui publié à la fin de 1827, on ne recense pas moins de deux éditions successives. Sur l’inscription de cette « œuvre pétitionnaire » dans la pensée politique de Montlosier, cf. Robert Casanova, Montlosier et le parti prêtre, Paris, Robert Laffont, 1970, p. 100-101.
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[40]
Frédéric Bastiat, Sophismes économiques, Paris, Guillaumin, 1846, « Pétition des fabricants de chandelles, bougies, lampes, chandeliers, réverbères, mouchettes, éteignoirs et des producteurs de suif, huile, résine, alcool, et généralement de tout ce qui concerne l’éclairage, à MM. les membres de la Chambre des députés », p. 72-78. Soulignons le fait que la pétition, peut-être avant l’ouvrage lui-même, semble avoir été assez rapidement traduite en anglais par un des champions du libre-échange outre-Manche, Patrick James Stirling.
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[41]
F. Bastiat, Réflexions sur les Pétitions de Bordeaux, le Havre et Lyon, concernant les douanes, Mont-de-Marsan, Delaroy, avril 1834.
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[42]
Cf. A. Corbin, Paris-Province, loc. cit., p. 2863.
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[43]
Cf. Gustave Leblastier [avocat], Du droit de pétition tel qu’il est établi par la Charte, Saint-Lô, Marais, 1820 ; Anonyme, Pétitionnons, Nancy, imprimerie de Vagner, 1844. Il est significatif que le seul auteur provincial repérable à critiquer publiquement une initiative pétitionnaire ne remette nullement en cause la valeur ou l’utilité du pétitionnement lui-même. Dans une lettre ouverte publiée à Angers en mai ou en juin 1834, Guynoiseau, notable local issu d’une ancienne famille angevine, vraisemblablement favorable à la loi électorale de 1831, tente de convaincre du bien-fondé de sa position les légitimistes réclamant une extension du suffrage auxquels il s’adresse, et qu’il croit déceler derrière les signataires des pétitions désignées à l’attention du public. Cependant, nulle part dans sa brochure l’habitant de Bouchemaine ne livre la moindre critique sur le droit de pétition, sur le pétitionnement ou sur les pratiques correspondantes. Cf. Guynoiseau, À MM. les signataires des deux pétitions adressées, l’une à la chambre des Pairs, l’autre à la chambre des Députés, et tendant toutes les deux à obtenir la réforme électorale et l’abolition du serment, Angers, Imprimerie du château, 1834.