Notes
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[1]
Raoul Girardet, L’Idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris, Éditions de la Table ronde, rééd. 1972. De grands auteurs publicistes, comme Maurice Hauriou dans son Précis de droit administratif, citent fréquemment Arthur Girault et renvoient à son ouvrage lorsqu’ils exposent les institutions propres au monde colonial.
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[2]
Maurice Besson, sous-directeur au ministère des Colonies et directeur de l’Agence économique des colonies françaises, publie une édition condensée du traité de Girault. Un certain révisionnisme inspire les choix du « réviseur » avec l’abandon partiel du déterminisme biologique ainsi qu’une vision de la colonisation se voulant plus moderne.
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[3]
Louis Milliot (1885-1961), professeur de droit et orientaliste, est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la société arabe en Afrique du Nord. Il assure la révision de la sixième édition des deux volumes du traité de Girault consacrés à l’Algérie d’une part, au Maroc et à la Tunisie d’autre part (Paris, Sirey, 1936 & 1938). Sa thèse de doctorat, Étude sur la condition de la femme musulmane au Maghreb, Paris, J. Rousset, 1910, 331 p., a précédé son classique Introduction à l’étude du droit musulman, Paris, Sirey, 1953, 823 p. Louis Milliot a été professeur, puis doyen de la faculté de droit d’Alger, en même temps qu’il assurait un enseignement semestriel à La Sorbonne à Paris. Il fut aussi directeur général des Affaires indigènes et des Territoires du sud au Gouvernement général de l’Algérie de 1935 à 1940 avant de réintégrer la faculté de droit d’Alger. Il occupait cette haute fonction administrative lorsque paraît la cinquième édition du « Girault » dont il révise les deux volumes consacrés à l’Algérie d’une part, et au Maroc et la Tunisie d’autre part.
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[4]
Pour une rapide présentation de la carrière d’Arthur Girault, voir Emile Aubin, la faculté de droit de Poitiers de 1918 à 1958, Cahiers poitevins d’histoire du droit ; 2e cahier ; Paris, lgdj, 2009, p. 236-237.
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[5]
Parmi les ouvrages publiés par Arthur Girault on relève ainsi : Le Crédit foncier et ses privilèges, Paris, Larose et Forcel, 1889 – Traité des contrats par correspondance, Paris, Larose et Forcel, 1890 – Manuel de législation financière, Paris, Sirey, 1924 – La Politique fiscale de la France après la guerre, Paris, Sirey,1916 – La Réfection du cadastre, Paris, Larose & Tenin, 1913 – La Réforme des contributions directes et des impositions locales, Paris, Larose & Tenin, 1910.
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[6]
Il s’agit de La Vie communale et départementale. Arthur Girault appartient au comité de rédaction de la revue avec d’autres professeurs de droit. Ses collègues Pierre Lampué, professeur à la faculté de droit de Caen (une autre référence connue en droit colonial…) et le célèbre Achille Mestre, de la faculté de droit de Paris, contribueront également à cette revue ou siégeront dans le comité de rédaction. Voir Renaud Payre, Les efforts de constitution d’une science du gouvernement municipal : la vie communale et départementale (1923-1940), Revue française de science politique ; vol. LIII ; 2003/2 ; p. 201-218.
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[7]
Voir Emmanuelle Saada, Penser le fait colonial à travers le droit en 1900, Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle ; no 27 ; 1/2009 ; p. 103-116.
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[8]
Emmanuelle Saada, (op. cit. p. 106) présente ainsi les missions et le rôle de l’Institut : « l’Institut colonial international, fondé à Bruxelles en 1894, réunit de manière régulière autour de thèmes spécifiques la fine fleur de l’administration, mais aussi des représentants des sciences coloniales (en particulier la médecine, la géographie et le droit) et des “publicistes” engagés dans diverses entreprises de propagande financées majoritairement par les intérêts économiques… Y participent principalement la Belgique, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, mais aussi les États-Unis et le Japon. L’Institut fonctionne surtout comme un club où convergent les mondes de l’administration, de la science et du journalisme et où sont définis les “grands problèmes coloniaux” et décrites les mesures prises et à prendre… Les objectifs de l’Institut sont de « faciliter et répandre l’étude comparée de l’administration et de la législation coloniale ». Ses bureaux publieront jusqu’à la fin des années 1930 des Annuaires de législation coloniale comparée, servant de véritable caisse de résonance à l’échelle européenne des pratiques administratives et législatives coloniales. »
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[9]
La Main-d’œuvre aux colonies, Travaux de l’Institut colonial international, Paris, Librairie de la Société du recueil général des lois et des arrêts, 1896 ; Du recrutement des fonctionnaires coloniaux, y compris ceux de l’ordre judicaire, Rapport préliminaire à la session de 1911, Paris, Établissements généraux d’imprimerie, 1911 ; Des rapports politiques entre métropole et colonies, Rapport préliminaire à la session de Londres du 26 mai 1903.
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[10]
Dans l’édition princeps de 1895, l’exposé et l’analyse de la législation coloniale représentent environ 570 pages. Dans les éditions postérieures, ce sont plusieurs tomes qui seront consacrés à la législation coloniale, et pour les toutes dernières éditions, certains tomes suivront une présentation monographique par pays. Par exemple, dans la 6e édition de 1936 révisée par Louis Milliot, un tome entier est consacré à la Tunisie et au Maroc, ces deux protectorats formant d’ailleurs le sous-titre de l’ouvrage.
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[11]
La présentation de la législation coloniale mériterait certainement d’être étudiée dans le prolongement de cette première analyse des seuls « principes de colonisation ».
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[12]
Par convention, dans toutes les notes qui suivront, l’ouvrage de référence sera désormais désigné de cette manière. La citation « Principes… » renvoie à la première édition du « Girault » parue sous le titre Principes de colonisation et de législation coloniale, Paris, Librairie du Recueil général des lois et des arrêts L. Larose,1895, 657 p. Toutes les citations de cette édition seront faites dans le corps même du texte afin de ne pas alourdir l’appareil de références.
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[13]
Chez les premiers, Arthur Girault déplore une absence de détermination et de constance, et chez les seconds, des palinodies qui se rejoignent dans une forme d’impuissance et d’incurie qu’il se plaît à dénoncer.
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[14]
Les manuels scolaires de géographie en vigueur dans l’enseignement primaire et secondaire, mais aussi les atlas coloniaux régulièrement réédités fournissent une description des caractères propres à chaque colonie en rapprochant des indications de géographie physique, de l’économie, de la langue, voire de l’anthropologie.
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[15]
Ces références biologiques reviennent sous la plume des auteurs et des responsables politiques de l’époque qui reprennent, à la lettre près, les mêmes images, comme celle des différents âges de la vie appliquée à la situation des sociétés colonisées. Picard, Harmand, mais aussi Jules Ferry recourent également à ces assimilations dont l’utilisation récurrente dépasse de très loin la simple métaphore littéraire.
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[16]
Voir par exemple, sur ce point, Olivier Le Cour Grandmaison, Coloniser, exterminer. Sur la guerre et l’État colonial, Paris, Fayard, 2005, p. 130.
-
[17]
Daniel Costantini, Mission civilisatrice. Le rôle de l’histoire coloniale dans la construction de l’identité politique française, Paris, Éd. La Découverte, 2008, p. 79.
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[18]
Paul Leroy-Beaulieu (1843-1916) est professeur titulaire de la chaire de science financière à l’École libre des sciences politiques (1879-1881) et professeur d’économie politique au Collège de France (1878). En 1870, il reçoit un prix de l’Institut pour un mémoire sur le Système colonial des peuples modernes. Augmenté, c’est ce premier travail qui donnera quatre ans plus tard, De la colonisation chez les peuples modernes. Avec ce livre, qui connaît un très grand succès au fil de rééditions successives, Paul Leroy-Beaulieu devient l’un des porte-parole de la colonisation, exerçant une grande influence sur les esprits de l’époque. Ses idées inspirent notamment les discours de Jules Ferry invitant à une nouvelle expansion coloniale. Paul Leroy-Beaulieu, par ailleurs attentif aux préoccupations sociales, est le seul économiste libéral français qui se déclare favorable à l’expansion coloniale.
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[19]
Paul Leroy-Beaulieu, De la colonisation chez les peuples modernes, Paris, Guillaumin éditeur, 1874 pour la 1re édition. Les références données ici sont tirées de la cinquième édition, parue chez le même éditeur en 1902.
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[20]
Ibid., t. II, p. 563 sq.
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[21]
Il n’est pas indifférent de constater qu’Arthur Girault, comme son collègue aîné Paul Leroy-Beaulieu, a publié des travaux sur le pouvoir local. De Paul Leroy-Beaulieu, voir L’Administration locale en France et en Angleterre, Paris, Guillaumin, 1872. Quant à Girault, sa pratique d’élu local et son implication dans la Revue municipale et départementale lui donnent une solide expérience du système de gouvernement local. Le maniement des concepts de centralisation et de décentralisation tels qu’ils sont mis en œuvre au début de la Troisième République sont donc familiers à ces auteurs.
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[22]
Paul Chailley-Bert, professeur à l’École libre des sciences politiques est essayiste et homme politique. Maire des Sables d’Olonne de 1912 à 1919, député de la Vendée de 1906 à 1914, il s’inscrit au groupe de la gauche radicale. Il est le gendre de Paul Bert. Bon spécialiste des questions coloniales et auteur de plusieurs ouvrages influents, Paul Chailley-Bert publie en 1892 La Colonisation de l’Indo-Chine et l’expérience anglaise, Paris, Armand Colin, 1892, ouvrage dont Arthur Girault extrait cette citation.
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[23]
La thématique développée par Arthur Girault et les développements qu’il consacre à cette question font songer à des conceptions plus contemporaines de la décentralisation/déconcentration, comme celles que Michel Debré naguère défendit avec son co-auteur Emmanuel Monick sous le pseudonyme de Jacquier-Bruère, Refaire la France : l’effort d’une génération, Paris, Plon, 1945. Les positions défendues par Michel Debré lors de la décolonisation, et notamment celle de l’Algérie, pourraient inviter à faire d’autres rapprochements.
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[24]
Plus loin, (Principes…p. 178), Arthur Girault fait cette observation à propos de l’apport des assemblées révolutionnaires : « La politique d’assimilation était d’ailleurs dans la logique révolutionnaire. La Révolution avait établi l’égalité de tous les Français et les droits qu’elle proclamait, étaient dans sa pensée les mêmes droits sans distinction de latitude. » Et de conclure : « Quoi de plus naturel dès lors que de traiter les Français des colonies, comme les Français de France, de leur reconnaître à tous les mêmes droits sans distinction, de transporter les Droits de l’homme au-delà des mers ? ».
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[25]
Arthur Girault écrit ceci : « Les deux commissions extraparlementaires instituées par l’amiral Polignac en 1878, et par M. Duclerc en 1882 pour étudier les modifications à apporter au régime des colonies se sont prononcées en sa faveur, et chose remarquable, les deux lois du 15 juillet 1889 et la loi douanière du 11 janvier 1892 ont été pour les colonies des lois d’assimilation » (Principes… p. 53-54).
1L’ouvrage d’Arthur Girault Principes de colonisation et de législation coloniale aura connu une destinée éditoriale dont la singularité est éclatante. Conçu dans les années 1890, en pleine apothéose de la colonisation, la première édition de son livre paraît chez Larose en 1895. En tout, cinq éditions se succèderont pendant un peu plus d’un demi-siècle, témoignant de l’incomparable succès d’un ouvrage qui s’affirme comme une référence obligée dans la formation des étudiants en droit et des administrateurs coloniaux [1]. La dernière réédition sera publiée en 1943, après sa mort, sous une forme condensée, à l’initiative d’un haut fonctionnaire du gouvernement de Vichy [2]. Les éditions successives s’enrichiront de gloses et commentaires de plus en plus abondants. Après la mort de l’auteur, Louis Milliot, qui jouit lui-même d’une notoriété incontestable [3], poursuivra la mise à jour de l’ouvrage. Au fil des éditions, l’ouvrage comprendra plusieurs volumes et deviendra un imposant traité, sans véritable équivalent dans la littérature juridique de l’époque. Il reste aujourd’hui une référence indispensable pour qui veut connaître et comprendre la colonisation française et son influence a probablement été sous-évaluée jusqu’à une époque récente.
2Avant de présenter l’ouvrage, il convient de situer rapidement l’auteur. La tâche est malaisée car peu d’informations biographiques sont disponibles sur Arthur Girault y compris dans les recensions spécialisées ou les sources locales dans lesquelles on pourrait penser pouvoir puiser. Professeur de droit, Girault a accompli toute sa carrière à la faculté de Poitiers. Tout d’abord chargé de cours, il devient professeur, puis au terme de sa carrière, il est élu doyen, charge qu’il occupe de 1923 à 1931 [4]. Comme nombre de publicistes de son époque, Girault enseigne aussi bien l’économie politique et la science financière que le droit public dont les contours sont d’ailleurs encore imprécis lorsqu’il est nommé à Poitiers. Ses centres d’intérêt scientifiques montrent un certain éclectisme, même si son sujet de prédilection reste la colonisation [5]. Arthur Girault exerce également les fonctions de maire de Mignaloux-Beauvoir, petite commune rurale de la Vienne très proche de Poitiers comptant 700 habitants ; il y possède à Gros-Puits une propriété familiale. Ses préoccupations d’élu ont été suffisamment marquantes pour laisser des traces bien visibles dans ses publications, qu’il s’agisse de la réfection du Cadastre, de la détermination des impositions locales ou encore de l’organisation des élections. Au cours de son municipat, il devient membre du comité de rédaction d’une des principales revues d’élus et d’agents locaux à laquelle il contribue de longues années [6]. Quant au droit colonial, au début de sa carrière, il n’est encore qu’une discipline balbutiante. Même après l’introduction de celui-ci dans les programmes officiels, celui-ci ne jouera qu’un rôle assez marginal dans les disciplines juridiques enseignées à l’université. Aucun des principaux théoriciens du droit de la fin du xixe et du début du xxe siècles n’accorde une place particulière à l’étude des systèmes politiques et juridiques des protectorats et colonies. Pour l’essentiel, les grands auteurs exposent les institutions et le droit métropolitains, en se contentant, lorsqu’ils évoquent la situation des colonies, de renvoyer à des ouvrages spécialisés et notamment aux travaux d’Arthur Girault. Jusqu’à une date tardive, ce sont essentiellement des praticiens de l’administration coloniale qui rédigent les traités et recueils de législation coloniale [7]. Enfin, Girault exerce une intense activité au sein de l’Institut colonial international [8]. À l’occasion des sessions annuelles de l’Institut, il présente des rapports sur diverses questions [9]. Probablement tisse-t-il là, un réseau qui lui vaut quelque influence, en tout cas en France. Il est ainsi l’auteur de plusieurs rapports sur l’enseignement du droit et de l’économie et la réforme du concours d’agrégation des facultés de droit, écrits dont l’audience semble d’ailleurs avoir été faible.
3Dans l’avant-propos de la première édition, Arthur Girault indique que son ouvrage est le résultat d’un enseignement professé à la faculté de droit de Poitiers concomitamment à l’introduction de l’enseignement colonial. Cette décision tardive d’inclure le droit colonial dans la formation des juristes intervient alors que s’affirment des préoccupations officielles pour améliorer l’administration des colonies. Un vaste mouvement de conquête de l’opinion en faveur de la colonisation se développe en cette toute fin du xixe et au début du xxe siècles. Dans son ouvrage classique, L’Idée coloniale en France de 1871 à 1962, Raoul Girardet a bien montré les différents ressorts qui animent ce mouvement de conquête de l’opinion. Qu’il s’agisse des organes de presse, des initiatives parlementaires ou des structures politiques ou administratives, les initiatives foisonnent pour faire connaître et intégrer le fait colonial auquel l’opinion française est restée jusqu’alors largement étrangère. L’idée coloniale ne retient guère que l’attention des élites, celles-ci étant d’ailleurs elles-mêmes divisées sur l’intérêt de la colonisation. C’est aussi une période où foisonnent les ouvrages de doctrine et de réflexion politique et historique qui abordent la question coloniale et où s’organise et se structure ce qu’on appellera plus tard « le parti colonial ». Suivront des initiatives, susceptibles de susciter l’intérêt de l’opinion pour la colonisation comme les grandes expositions coloniales organisées à Paris et dans les grandes villes françaises. La décision d’introduire un cours semestriel à option de « législation coloniale » dans le programme de la licence en droit (décret du 24 juillet 1889) n’est donc pas fortuite. Pourtant, les autorités académiques varieront sur l’importance à donner à cet enseignement et la place qu’il doit occuper dans la formation universitaire des juristes. Quelques mois plus tard est créée l’École coloniale (décret du 23 novembre 1889), « destinée à donner l’enseignement des sciences coloniales et assurer le recrutement des différents services coloniaux », initiative contre laquelle le fondateur de l’École libre des sciences politiques, Émile Boutmy, s’élèvera en vain.
4L’originalité de la démarche de Girault réside dans sa tentative d’ancrer la description de la législation coloniale dans ce qu’il appelle des « principes de colonisation ». Le titre du livre Principes de colonisation et de législation coloniale contient déjà tout le projet de l’auteur : les « principes » sont placés en prologue devant l’exposé de la « législation coloniale ». Présentés dans une introduction concise de 79 pages où l’auteur met au service de ses lecteurs une exceptionnelle capacité de synthèse et une grande clarté d’exposition, ses « principes » sont exprimés dans un style vivant et élégant dans la meilleure tradition classique. Comme nombre de juristes de la fin du xixe et du début du xxe siècles, au prix d’un effort de systématisation, Arthur Girault veut inscrire le droit positif dans une construction théorique dont les éléments historiques et philosophiques sont revendiqués, même si les soubassements idéologiques qui inspirent l’ensemble ne sont pas toujours explicités ou assumés. S’attardant rarement sur le détail des règles applicables – même lorsque l’ouvrage prendra, au fil de ses rééditions successives, la dimension d’un véritable traité en plusieurs volumes – l’auteur cherche avant tout à donner une description cohérente du système de gouvernement et des institutions coloniales. Il s’efforce ainsi de mettre en exergue les lignes de force de la législation coloniale, en pratiquant, chaque fois qu’il le peut, l’analyse comparative. Il rapproche les solutions mises en œuvre au cours du processus historique de colonisation, compare celles qui sont adoptées d’une colonie à l’autre, voire d’un empire colonial à l’autre, pour relever les différences de conception, exprimer ses préférences et justifier ses choix.
5Il est apparu judicieux de consacrer une première étude aux seuls « principes de colonisation » qui forment le corps de doctrine des Principes de colonisation et de législation coloniale. Cette première partie introductive à visée théorique, remarquablement concise, tranche avec le reste de l’ouvrage et dispose de sa propre cohérence interne. Ce sont les « principes », exposés dans une introduction substantielle qui viennent ensuite nourrir l’analyse et l’exposé de la législation coloniale qui vont constituer l’essentiel du livre et des tomes qui viendront enrichir les éditions postérieures [10]. Girault intitule d’ailleurs les deux parties de son introduction « Théorie générale de la colonisation », cette première partie étant suivie de « Théorie générale de la législation coloniale ». L’effort de systématisation de l’auteur l’amène à relier la problématique générale de la colonisation à celle de la législation coloniale pour bien souligner que le type de colonisation détermine les choix institutionnels et les modèles juridiques. Au total, c’est bien la question du gouvernement et de l’administration dans les colonies et protectorats qui occupe essentiellement Girault. Ses « principes de colonisation » sont un condensé de sa problématique d’ensemble et la vision de la législation coloniale qu’il développe dans la suite de son livre est étroitement reliée aux conceptions doctrinales qu’il y exprime [11].
6Au cours de leur longue carrière de près d’un demi-siècle, les Principes de colonisation et de législation coloniale [12] auront servi d’ouvrage de référence à la formation de milliers de cadres coloniaux. Pendant ce temps, l’ouvrage et ses « principes » auront dû affronter l’ébranlement du modèle colonial et les vicissitudes qui affectent déjà l’Empire. Les éditions successives du « Girault » porteront les traces bien visibles des secousses infligées à sa belle construction théorique de 1895. Cédant au pragmatisme et à une forme de réalisme politique, l’auteur se verra ainsi contraint d’aménager sa doctrine, les « principes » connaissant les inflexions nécessaires pourvu que l’objectif de colonisation soit préservé.
Des principes au service de « l’action colonisatrice »
7Comme tous les esprits de son temps favorables à l’expansion coloniale, et à l’instar de son aîné Paul Leroy-Beaulieu, toute la construction de Girault repose sur une justification morale de la colonisation et un essai de légitimation de son processus historique. Il apporte un soutien sans faille à la notion d’« œuvre civilisatrice » à laquelle Jules Ferry, et bien d’autres avec ou après lui, feront si souvent appel lorsqu’il s’agira de justifier ou de défendre la colonisation. Arthur Girault s’exprime sans ambiguïté sur ce point : « On tâchera d’élever les indigènes jusqu’à notre civilisation. On tâchera de faire disparaître de leurs mœurs certains usages barbares, tels que les sacrifices humains ou les monstrueuses coutumes du Dahomey. Des missionnaires s’efforceront de les convertir à l’une des religions qui sont celles des pays civilisés. Des agents commerciaux, en quête de nouveaux débouchés pour leurs produits, feront naître chez eux des besoins auparavant inconnus… N’est-ce pas une vérité économique que le degré de civilisation d’un peuple se mesure à la multiplicité et à la complexité de ses besoins ? C’est cette action civilisatrice, cette double culture de la terre et de ses habitants qui constitue à proprement parler l’œuvre de la colonisation. Ce sens est d’ailleurs conforme à l’origine étymologique du mot : coloniser a la même racine que colegere, cultiver » (« Principes… p. 12-13). Dans l’« action colonisatrice » s’exerce une « double culture », celle de la terre et celle des habitants, l’étymologie ancienne étant appelée en renfort pour établir leur caractère indissociable.
8Plusieurs justifications sont avancées par Arthur Girault pour soutenir sa théorie des trois formes de colonisation. Pour lui, les premiers objectifs à prendre en compte sont ceux qui sont poursuivis par la « mère-patrie ». Quelque préférence institutionnelle ou politique que celle-ci vienne ensuite à manifester, ce choix d’orientation de la politique coloniale est essentiel. La cohérence et la constance dans la conduite étant ensuite requises si l’on veut assurer le succès de l’œuvre coloniale. Girault ne se prive pas de condamner avec sévérité les « erreurs » des gouvernants français ou les jugements erronés de certaines élites [13].
9Selon l’auteur, la question primordiale qui se pose à propos de la politique coloniale est ainsi formulée : « Dans quelle direction la métropole entend-elle guider les pas de cette société nouvelle qu’elle s’est chargée d’élever ? » Les trois « principes de colonisation » offrent un premier cadre du choix politique qui doit être fait en optant pour telle ou telle forme de colonisation. Ce choix ne repose pas sur des considérations tirées des avantages ou des inconvénients qu’offrirait chacune d’elles, il résulte avant tout de considérations pragmatiques. Loin de vouloir adopter la même ligne de conduite pour toutes les colonies, la puissance coloniale doit d’abord se préoccuper de savoir ce qui convient pour chacune : « Qu’une nation veuille diriger toutes ses colonies dans la même voie ou qu’elle leur assigne au contraire des objectifs différents, il faut, de toute manière, qu’elle sache dans quel sens elle entend conduire chacune d’elle, et cela sous peine de marcher à l’aveugle, de changer de chemin à chaque instant, de ne pas avoir, en un mot, une politique coloniale… Ainsi, la variété de son empire colonial peut sans doute forcer une nation à conduire dans des voies opposées des colonies placées dans des conditions différentes : c’est ce que fait l’Angleterre qui suit dans ses colonies à gouvernement responsable, tels que le Canada ou l’Australie, la politique d’autonomie, et dans ses colonies de la Couronne, un système différent se rapprochant de l’assujettissement. » (Principes… p. 47). Ainsi, l’Angleterre, qu’il désigne comme le champion de l’autonomie, a-t-elle raison de vouloir l’autonomie ici, mais l’assujettissement là. L’orientation de la politique coloniale n’a pas besoin d’être uniforme, car la variété des situations justifie que des orientations différentes, voire opposées, soient prises.
10Un autre élément de choix réside dans les caractères que Girault attribue aux pays considérés. Entrent ici en jeu des paramètres géographiques et sociologiques dans lesquels dominent les représentations politiques et affleurent les a priori idéologiques [14], ceux-ci étant rarement explicités : « Les colonies n’ont pas les mêmes vœux, ni les mêmes besoins… Il faut tenir compte du climat, de la géographie et des races, du degré de civilisation. » Et l’auteur de faire le constat qu’« [elles) … sont souvent aussi différentes les unes des autres que de la mère-patrie elle-même » (Principes… p. 45). En dehors des « vœux » et des « besoins » des colonies, il introduit une autre variable à prendre en compte en constatant que « toutes ne sont pas arrivées au même degré de développement… Les Antilles, La Réunion sont des sociétés mûres complètement formées où l’on peut considérer l’œuvre de civilisation comme terminée. D’autres comme le Sénégal ou la Nouvelle-Calédonie sont en plein travail de croissance. Il y en a enfin qui ne font que naître comme le Congo ou le Soudan. » (Principes… p. 45). Le « degré de développement », notion relative et contingente s’il en est, intervient donc comme élément du choix de politique coloniale qu’il revient à la Métropole d’effectuer.
11Rejoignant les thèses organicistes qui dominent les sciences sociales de son époque [15], Girault assimile volontiers l’évolution des sociétés aux étapes de la croissance des êtres vivants. La métaphore revient très souvent dans ses analyses, le rapport colonial étant assimilé à un rapport de type familial dans lequel la puissance tutélaire viendrait jouer le rôle d’un parent à l’égard d’un enfant mineur : « Il est bien évident qu’on ne peut appliquer immédiatement à une colonie dans l’enfance des règles complexes qui ne peuvent convenir qu’à une société déjà formée. Chaque colonie se développe lentement suivant une évolution progressive et il suffit d’observer les différentes transformations de notre législation coloniale pour voir comment naissent et grandissent successivement les différents organes des sociétés civilisées. » (Principes… p. 45 et 46). Pendant « l’enfance », tant qu’elles sont en « plein travail de croissance », les sociétés ne sont pas « mûres », ni « complètement formées ». « On (ne) peut considérer l’œuvre de civilisation comme terminée », car « le degré de développement » nécessaire à l’autonomie n’étant pas atteint, elles ne peuvent encore « appliquer… des règles complexes » qui sont la marque « des sociétés civilisées ». L’idée de maturité est selon Girault une condition pour atteindre l’état civilisé, tandis que « l’enfance » d’une société est assimilée à un « état inorganique » qui justifie la situation de dépendance sous la conduite d’un tuteur éclairé. Ainsi l’autonomie de la colonie est-elle renvoyée à un lointain moment, où l’âge adulte – par analogie avec le droit civil de la famille, l’âge de la majorité – serait atteint.
12Les conceptions de Girault s’édifient sur le socle des connaissances scientifiques disponibles, à une époque où les « grandes découvertes » se multiplient [16]. Les conceptions qu’il défend semblent référer à deux principales sources d’influence : les raisonnements de la biologie sociale transposés au rapport colonial et les idées du positivisme telles qu’elles sont développées dans la pensée d’un Auguste Comte d’abord, puis dans celle de son contemporain, Léon Durkheim. Ainsi, le rappel de l’origine sémantique du vocable « coloniser » n’a chez Girault, rien de fortuit. L’évocation de la matrice latine du colegere vient rappeler, qu’au sens biologique du terme, coloniser, c’est prendre possession d’un organisme pour s’y installer, comme le font les bactéries. Selon lui, les sociétés humaines n’échapperaient pas davantage à ces déterminismes dictés par les lois de la nature. Plus tard, Jules Harmand, qui a lu Girault et qui s’inscrit dans une certaine continuité idéologique, poussera jusqu’à une forme de paroxysme, l’interprétation de la colonisation comme une nécessité biologique. Le besoin d’expansion, expliquera-t-il, est une loi commune aux espèces. Point n’est donc besoin de justifier autrement la domination coloniale. Elle est inscrite « dans la nature des choses »…
13À juste titre, on a fait remarquer que Girault s’inscrit explicitement dans la doctrine de l’évolutionnisme social de Spencer [17]. « C’est une loi générale, écrit-il, non seulement à l’espèce humaine, mais à tous les êtres vivants, que les individus les moins bien doués disparaissent devant les mieux doués. L’extinction progressive des races inférieures devant les races civilisées, ou si l’on ne veut de ces mots, cet écrasement des faibles par les forts, est la condition même du progrès » (Principes… p. 31). On le voit, s’il craint quelque peu de froisser la sensibilité de son lecteur, Arthur Girault n’a peur, ni des mots qu’il emploie, ni des conséquences les plus ultimes de la doctrine de l’évolutionnisme social qui sont crûment rapportées : « L’extinction progressive des races inférieures… l’écrasement des faibles par les forts… ». Mais la conclusion de la démonstration donne la seconde clé du discours : « … c’est la condition même du progrès. » Quelques lignes plus loin, Girault explicite encore sa pensée, en paraissant vouloir adoucir ses propos de considérations humanistes. Mais c’est pour persister de plus belle dans la foi positiviste qu’il le fait : « Sans doute, il faut plaindre les sauvages détruits par les Blancs, mais est-ce que tout progrès n’entraîne pas des souffrances avec lui ? Seulement les souffrances sont passagères et le progrès est définitif… » (Principes… p. 31). Le credo positiviste permet de considérer les souffrances engendrées par la colonisation comme « passagères », quand le progrès qu’elle entraîne aurait, quant à lui, un caractère « définitif » ! Spencer et Comte ne sont pas très loin, la convergence doctrinale entre l’évolutionnisme social et le positivisme se réalisant autour de la notion de progrès.
14L’orientation de la politique coloniale est également une variable que Girault veut prendre en compte. Le processus de colonisation exerce des effets de tous ordres que la politique suivie et la législation coloniale elle-même doivent s’efforcer de prendre en compte. Ainsi envisage-t-il la colonisation comme une évolution progressive, qui ferait passer la colonie de l’assujettissement à une certaine forme d’autonomie. Au sens fort du mot « progressif », le déroulement du processus de colonisation serait à la fois le résultat d’un processus en même temps qu’il serait porteur de progrès. Ici également l’influence du positivisme se vérifie. De la même manière, le schéma conceptuel selon lequel Girault représente l’évolution du processus de colonisation renvoie à des conceptions inspirées de la biologie sociale. Il identifie les sociétés à des êtres vivants qui se développent au rythme des étapes de la croissance et des âges de la vie. Lorsqu’elles sont dans « l’enfance de la civilisation », il s’agit de les placer sous la conduite éclairée de nations civilisées aptes à les conduire vers une meilleure destinée. Ici encore, l’analogie avec la famille est frappante, comme l’est la volonté bien affirmée de l’auteur de calquer l’organisation des relations entre la métropole et les colonies sur le droit civil de la famille. Les références nombreuses et insistantes à la situation de minorité dans laquelle se trouvent les peuples colonisés viennent justifier l’existence de la tutelle coloniale.
15Républicain convaincu, Girault ne craint pas de défendre des conceptions autoritaires fort éloignées des principes du libéralisme politique qui sert de fondement à la Troisième République. Ainsi, au premier stade de la colonisation, après la conquête d’une colonie, il n’y a place que pour un régime de domination. Un tel régime, observe Girault, exclut nécessairement les libertés publiques et toute idée de représentation propre de la colonie, mais c’est inévitable : « Au début, la colonie nouvelle, où tout est à créer, est à l’état inorganique. L’autorité militaire ou maritime est tout ; elle réunit entre ses mains tous les pouvoirs et gouverne arbitrairement le pays. Quelques règles sommaires et provisoires édictées par elle suffisent et forment alors toute la législation coloniale » (Principes… p. 46). Selon l’auteur, c’est l’« état inorganique » du pays colonisé qui justifie cette concentration du pouvoir aux mains d’un gouvernement « arbitraire ». Dans cette forme primitive que l’auteur croit discerner, la société colonisée est jugée par Girault inapte à l’État de droit. La théorie de l’autolimitation formalisée par certains publicistes de l’époque ou la protection des libertés individuelles qui forment le socle de l’ordre républicain ne peuvent s’acclimater dans les colonies et protectorats. Dans cette phase d’assujettissement, il n’est ni possible, ni souhaitable d’instaurer un véritable ordre juridique, avec les garanties qui en découlent. Il suffit d’inscrire dans le droit, des « règles sommaires et provisoires » consacrant l’état de subordination du pays colonisé.
16Ce sont les étapes ultérieures du processus de colonisation qui vont permettre d’introduire progressivement une politique plus libérale. « La période de conquête terminée, l’introduction d’une administration civile constitue un premier progrès ; elle enlève à l’autorité militaire toutes les attributions qui ne rentrent pas naturellement dans son rôle ; des idées différentes plus pacifiques, inspirent le Gouvernement du pays ; une réglementation plus compliquée et plus formaliste prend naissance qui constitue pour les habitants une première garantie. Par un second progrès, le juge se distingue à son tour de l’administrateur… Plus tard, lorsque les Européens sont assez nombreux ou les indigènes suffisamment civilisés, des libertés locales leur sont accordées… » (Principes… p. 46). On notera la progression de la construction : perdant son caractère sommaire, le droit se complexifie offrant un premier degré de protection ; la justice s’émancipe ensuite de l’administration ; enfin, la reconnaissance des libertés locales vient couronner l’édifice. Mais pour la dernière étape, la plus significative en termes d’autonomie institutionnelle, deux conditions préalables, fortement restrictives, sont posées : la présence d’Européens en nombre suffisant pour garantir l’hégémonie de leur représentation, ou bien, l’accession des indigènes à un degré « suffisant » de civilisation. « Enfin, et en dernier lieu seulement, lorsque la colonie est adulte, on peut la doter du jury, de la liberté de la presse, de la liberté de réunion, et la soumettre, en même temps, si besoin est, aux charges financières et militaires qui pèsent sur les pays d’Europe et qu’elle a désormais la force de supporter. Cet acheminement progressif vers l’organisation sociale des pays européens demande nécessairement beaucoup de temps, et il faut procéder, en cette matière, avec beaucoup de mesure et de prudence. » (Principes… p. 46).
17Comme on le voit, la reconnaissance des libertés publiques et politiques est l’aboutissement possible du processus colonial et elle peut conduire à rapprocher les colonies de la situation des États européens. L’assimilation de la colonie à la métropole est envisagée comme un corollaire à la reconnaissance de ces libertés, sur le plan fiscal et de la conscription par exemple. Mais l’aboutissement de « cet acheminement progressif » se trouve renvoyé à un terme lointain, la « mesure » et la « prudence » étant par ailleurs conseillées aux puissances coloniales dès qu’il s’agit d’implanter dans les colonies « l’organisation sociale des pays européens ». Girault ne craint d’ailleurs pas de se contredire puisque, quelques pages plus loin, il énonce la règle suivante « … un pays doit toujours suivre une même politique dans une même colonie… » (Principes… p. 47). Cependant, au fil des éditions suivantes, il montrera lui-même une grande faculté d’adaptation de ses « principes de colonisation » au gré de l’évolution de la situation dans l’Empire. Mais il reste à en préciser le contenu et la portée.
Le contenu des trois principes de colonisation
18Lorsqu’il élabore ses « principes de colonisation », Girault dispose de plusieurs classifications théoriques que des historiens et des économistes ont proposées. Une des plus classiques est utilisée par l’économiste libéral Paul Leroy-Beaulieu [18] dans son maître ouvrage paru en 1874, De la colonisation chez les peuples modernes [19]. Sa typologie repose sur des critères qui sont essentiellement rapportés à la fonction « productive » du territoire colonisé. Selon Leroy-Beaulieu : « … les colonies se ramènent… à trois types irréductibles… Ce sont les colonies ou comptoirs de commerce, les colonies agricoles ordinaires ou de peuplement, et ce qu’on a appelé, des colonies d’exploitation ou de plantation » [20]. Girault ne conteste pas l’utilité de cette distinction qu’il est amené à évoquer, sans examiner autrement ses justifications. Mais ses préférences vont vers une typologie différente reposant sur d’autres fondements théoriques. La construction qu’il propose repose sur une problématique classique dont l’aspect formel à connotation institutionnelle est nettement marqué, à la différence de l’approche fonctionnelle construite par Leroy-Beaulieu. Ainsi, les « principes de colonisation » s’ordonnent selon une problématique dont l’inspiration est bien différente de celle retenue onze ans plus tôt par son aîné.
19Pour concevoir sa doctrine, l’auteur s’appuie sur une opposition conceptuelle entre « assujettissement » et « autonomie ». L’opposition entre ces deux principes contraires, va lui permettre de distinguer trois formes de colonisation, la troisième, l’« assimilation », venant en quelque sorte boucler le dispositif. Cette mise en tension, autour de deux concepts polarisants, assujettissement d’une part, autonomie d’autre part, renvoie également à d’autres appariements conceptuels qui ne sont pas clairement explicités, comme domination et liberté ou encore tutelle et capacité de représentation. Ces références ne vont pas sans évoquer d’autres débats qui animent la scène intérieure française à l’aube de la Troisième République comme centralisation et décentralisation [21]. Si l’auteur ne fait pas ce rapprochement, écartant même toute confusion à ce propos, l’analogie nourrit visiblement sa réflexion. L’assujettissement et même l’assimilation postulent une situation de dépendance de la colonie à l’égard de la métropole. Or, celle-ci peut être comparée, dans l’ordre interne, à la tutelle d’État que le régime de la centralisation fait peser sur les collectivités locales, la sujétion de la colonie se trouvant encore plus fortement accentuée. À l’inverse, l’autonomie suppose la reconnaissance d’un pouvoir propre, voire d’une identité propre, pouvant aller, dans la décentralisation, jusqu’à la reconnaissance de la personnalité morale et juridique. Dans le cas de la décentralisation pratiquée par l’État, la mise en œuvre du principe d’autonomie détermine la naissance d’une collectivité territoriale nouvelle qui est bien distincte de l’État. Dans sa forme la plus aboutie, les dirigeants sont élus au suffrage universel. La transposition du principe à la colonie produit des effets analogues puisque, conduite à son terme, l’autonomie confère à la dépendance coloniale, par l’accession à l’indépendance, un statut d’État à part entière.
20Mais pour Girault, si lointain que soit le terme envisagé, l’autonomie n’entraînerait pas nécessairement de rupture définitive avec la « mère-patrie ». Une forme de survivance du modèle colonial serait encore possible, puisque des formes d’association pourraient être envisagées. On voit que le Commonwealth des Britanniques et la tentative du général de Gaulle de créer la Communauté ont eu de lointains initiateurs… De la même manière, lorsqu’il expose sa conception de l’assujettissement, Girault montre que la colonisation revêt presque nécessairement, un caractère militaire, et en tout cas, autoritaire. Ce n’est qu’ensuite que celle-ci est appelée à prendre des formes plus institutionnelles et juridiques ; elle peut alors s’orienter vers des formes plus libérales. On le voit, derrière les oppositions conceptuelles et doctrinales, l’auteur discerne des continuités politiques revêtant des formes institutionnelles spécifiques.
21Un des mérites de la typologie de Girault est de mettre l’accent sur l’élément central qui anime le schéma : la double polarité assujettissement/autonomie dont le gradient est la domination exercée par l’État colonial. Dans l’assujettissement, celle-ci est quasiment absolue, les marges de manœuvre laissées à la colonie étant réduites, voire quasiment nulles. Au contraire, dans l’autonomie, des compétences propres sont allouées et des organes spécifiques sont reconnus, afin de laisser s’exprimer un certain degré de représentation, et prendre, dans certains champs de compétence, des décisions. Entre ces deux polarités extrêmes, toutes les modalités institutionnelles intermédiaires sont envisageables. Girault oppose les deux conceptions, mais intègre les éléments de sa construction dans un processus historique qui permet le passage progressif de l’assujettissement à l’autonomie, l’« action civilisatrice » étant le vecteur principal d’une évolution dont les effets émancipateurs sont différés.
22Le choix qui s’offre au colonisateur est limité puisqu’il doit opter entre « deux méthodes types d’éducation… elles ont nom l’autonomie et l’assimilation » (Principes… p. 52). C’est entre ces deux « méthodes types » que Girault établit ses fameux trois « principes de colonisation », l’assujettissement et l’autonomie formant les repères extrêmes de la règle le long de laquelle il déplace son curseur. Quant à l’assimilation, elle est présentée comme un principe d’une autre nature, une sorte de troisième voie. Elle ne serait pas étrangère aux deux principes précédents, sans être pour autant déterminée par eux.
23Il reste maintenant à envisager plus précisément le contenu donné aux trois « principes de colonisation ». Les deux principes contraires, l’assujettissement, puis l’autonomie, seront tour à tour présentés, avant de caractériser le troisième, pour lequel Girault exprime sa préférence, l’assimilation.
L’assujettissement
24Comme souvent chez Arthur Girault, les principes moraux sont mis en avant lorsqu’il s’agit de condamner ou de choisir. C’est tout particulièrement vrai à propos de l’assujettissement. Pour lui, cette conception est en elle-même moralement condamnable. Elle n’est pas justifiable parce qu’elle vise à satisfaire l’intérêt égoïste du colonisateur. Elle est inspirée, expose-t-il, par des calculs à court terme auxquels sont sacrifiés tous les autres intérêts en jeu, qu’il s’agisse de ceux « de la mère-patrie » ou de ceux des pays colonisés. Girault stigmatise cette attitude et le déséquilibre structurel qui affecte ce type de relation coloniale en des termes sévères : « Dans cette conception, l’État qui colonise travaille pour lui-même et pour lui seul. Le but de l’entreprise est d’augmenter la richesse de la Nation et l’influence politique de son gouvernement. L’intérêt, les aspirations et les besoins des colonies elles-mêmes n’entrent pas en ligne de compte… À un intérêt égoïste, immédiat et tangible, on n’hésite pas à sacrifier l’intérêt personnel bien compris de la mère-patrie. La politique d’assujettissement mange volontiers son blé en herbe et tue la poule aux œufs d’or… La colonisation est en somme une affaire qu’on entreprend parce qu’on la juge avantageuse, sauf à la liquider si elle devient mauvaise » (Principes… p. 49). Et Girault de citer à propos de l’assujettissement la définition de la colonisation que donnaient déjà Diderot et d’Alembert : « Une phrase de l’Encyclopédie résume tout ce système : « Les colonies sont faites par la métropole et pour la métropole. » (Principes… p. 49). »
25Rappelant la brutalité de la colonisation espagnole et notant que « l’exploitation brutale des pays neufs a été pendant trois siècles l’idéal de tous, aventuriers, compagnies et gouvernements » (Principes… p. 49), Arthur Girault constate avec lucidité que tous les États colonisateurs ont recouru à l’assujettissement : « Tous les gouvernements, espagnols, portugais, hollandais, français et anglais, ne songeaient également qu’à remplir leurs coffres ou à augmenter leur puissance, et, s’ils se disputaient avec autant d’âpreté le commerce des Indes et l’Empire du Nouveau Monde, c’est parce qu’ils voyaient là une source inestimable de richesses dont la possession devait leur assurer la suprématie sur leurs rivaux » (Principes… p. 49). Selon lui, l’expérience historique de la première colonisation résume à elle seule l’échec de la doctrine de l’assujettissement. Au passage, il relève que la conquête coloniale a servi à asseoir la suprématie des nations dans la lutte que se livrent les grandes puissances européennes.
26En ce qui concerne la pratique française, Girault ne craint pas d’affirmer plus loin que la politique d’assujettissement « … par suite de la générosité naturelle de notre race… a été appliquée chez nous avec une modération relative » ! Mais, plus sérieusement, l’auteur aperçoit les raisons pour lesquelles l’assujettissement se trouvait plus menacé en France que chez toute autre nation colonisatrice : « … c’est… dans notre pays que cette politique (l’assujettissement) a reçu ses premières atteintes. Toutes les idées chères à la philosophie du xviiie siècle et à la Révolution française s’élevaient, en effet, contre elle » (Principes… p. 50). Il souligne que la force des idéaux et des droits proclamés par la Révolution française heurtait cette conception primitive. Il montre que les principes hérités des Lumières étaient incompatibles avec toute forme de domination oppressive. Il insiste sur la conversion progressive de l’opinion publique aux idées d’égalité, à la sympathie que celle-ci manifeste à l’égard des peuples opprimés. Citant encore Diderot dans le Supplément au voyage de Bougainville, il relève que « l’étonnement du bon sauvage devant les vices de la civilisation est un des thèmes favoris des romanciers du xviiie siècle » (Principes… p. 50). Il évoque la rapide diffusion de ces idéaux en Europe et constate que l’abandon du système colonial fondé sur l’assujettissement était inscrit dans l’Histoire : « Lorsque la cause des colonies luttant pour leur affranchissement fut ainsi devenue populaire, la politique d’assujettissement, condamnée dans l’opinion publique, commença à être abandonnée par les gouvernements européens. L’histoire de la politique de ces États au xixe siècle, est en effet celle de l’abandon progressif de l’ancienne doctrine : la disparition successive du système colonial en Angleterre puis en France en est un des épisodes capitaux… (Principes… p. 51). Pour lui, c’est le mouvement des idées imprimant les opinions qui a rendu incompatible un mode de relation aussi déséquilibré, qui n’était conçu que dans l’intérêt exclusif du colonisateur.
27À travers ces causes de rejet de l’assujettissement, on aperçoit déjà le chemin rhétorique sur lequel Girault veut s’engager. Si cette forme condamnable de colonisation a vécu, si elle contrarie les principes républicains, toutes les formes de colonisation ne sont pas pour autant frappées des mêmes vices de conception. Il existerait ainsi une conception de la colonisation compatible avec l’héritage des Lumières et de la Révolution française. Pour cela, il faut rétablir l’équilibre et admettre que, si la colonisation comporte des avantages pour la puissance coloniale, elle lui crée aussi des devoirs. À ses yeux, le premier de ceux-ci est l’éducation. C’est à l’image parentale qu’il recourt encore une fois pour souligner la modernité de la conception qu’il défend : « On en est ainsi arrivé à penser que la mère patrie n’avait pas seulement des droits, mais aussi et surtout des devoirs : autrefois, elle exploitait son enfant ; aujourd’hui, on estime qu’elle a contracté charge d’âme en lui donnant naissance, qu’un devoir d’éducation lui incombe, qu’elle doit travailler à son développement et veiller sur lui jusqu’à ce qu’il soit grand… » (Principes… p. 51). On relèvera ici encore la forte connotation familialiste des termes choisis : « la mère-patrie » a « charge d’âmes », un « devoir d’éducation » pèse sur elle et elle a l’obligation de veiller sur son enfant « jusqu’à ce qu’il soit grand ».
28Le devoir d’éducation étant ainsi moralement fondé, il reste à désigner les objectifs à atteindre. L’assimilation reste pour la France le meilleur choix possible, mais l’autonomie est un noble dessein à laquelle l’auteur accorde une certaine considération.
L’autonomie
29Arthur Girault présentant le processus qui conduit les colonies vers l’autonomie s’exprime ainsi : « Le gouvernement métropolitain guide les premiers pas, encore inhabiles, des colonies, mais peu à peu, il leur abandonne la gestion des affaires qui les intéressent. La colonie se comporte de plus en plus comme un État autonome. Finalement, la ligne diplomatique, qui la rattache à la métropole, se rompt à son tour. Le nouvel État, indépendant et souverain, est reconnu par les puissances étrangères. » (Principes… p. 52). La phase de tutelle, justifiée par le stade précoce au cours duquel la colonie pratique ses « premiers pas encore inhabiles », étant achevée, c’est la reconnaissance de la capacité du pays colonisé à gérer ses propres affaires qui marque l’accession à l’autonomie.
30Toutefois, selon la propre expression de l’auteur, celle-ci résulte d’un « abandon » progressif des compétences que la puissance coloniale exerce. Selon Girault, l’autonomie n’est pas le résultat d’un phénomène d’émancipation dont le caractère objectif résulterait d’une affirmation de volonté du pays colonisé. Il suppose une attitude volontaire de la puissance coloniale, à tout le moins, un acquiescement de sa part aux desiderata du colonisé. Cette conjonction établie, c’est le comportement de la colonie affirmant progressivement son autonomie et prenant en mains ses affaires, qui va progressivement déclencher la rupture du lien diplomatique. C’est alors seulement que la conséquence ultime peut être envisagée par une accession de la colonie à la souveraineté et à l’indépendance.
31Ainsi, vue par Arthur Girault, l’autonomie semble désignée comme une forme d’aboutissement heureux du processus colonial. Mais elle suscite pourtant chez lui des sentiments mélangés. D’un côté, il professe une certaine admiration pour un résultat qu’il présente comme une forme de plein accomplissement de la colonisation : « L’autonomie est une conception virile et hardie. De même que le but de l’éducation est de faire des hommes capables de se conduire eux-mêmes et destinés à sortir de la puissance paternelle à leur majorité, de même, le but de la colonisation est de former des sociétés aptes à se gouverner elles-mêmes et à se constituer une fois mûres en États indépendants… » (Principes… p. 52). Il approuve à ce sujet le jugement de P. Chailley-Bert [22] en rapportant cette citation : « l’important n’est pas d’avoir des colonies qui languissent et un vaste empire qui périclite ; c’est d’avoir semé ses idées dans le monde et laissé des héritiers de son génie. La plus glorieuse colonie de l’Angleterre, c’est encore les États-Unis » (Principes… p. 53). De même, il cite le célèbre discours de lord John Russel prononcé à la Chambre des communes le 8 février 1850 : « Je ne crois pas que ce temps soit très rapproché, mais faisons tout ce qui est en nous pour… rendre aptes (nos colonies) à se gouverner elles-mêmes. Donnons-leur autant que possible la faculté de diriger leurs propres affaires. Qu’elles croissent en nombre et en bien-être, et, quoi qu’il arrive, nous, citoyens de ce grand empire, nous aurons la consolation de dire que nous aurons contribué au bonheur du monde » (Principes… p. 53-54).
32La largeur de vues et la présentation humaniste qui enveloppent ces conceptions audacieuses fascinent visiblement Girault. Il ne cache pas une certaine admiration pour l’Angleterre qui a fait de l’autonomie son principe cardinal. Il constate que l’adhésion au principe d’autonomie est acquise chez les élites britanniques et que celui-ci est devenu la pierre angulaire de la politique coloniale de l’Angleterre : « c’est… une idée courante de l’autre côté du détroit : elle revient fréquemment dans la bouche des hommes politiques de l’Angleterre ou sous la plume de ses écrivains. Le mouvement continu vers la création d’institutions représentatives, puis d’un gouvernement responsable dans les grandes colonies anglaises en est d’ailleurs l’application progressive » (Principes… 53-54). Girault conclut : « … l’Angleterre est la terre classique du principe de l’autonomie coloniale : c’est le seul pays où on l’ait admis avec toutes ses conséquences. Il faut reconnaître qu’en cette matière on trouve, chez cette nation si souvent accusée par nous d’égoïsme, des idées d’une largeur et d’une générosité remarquables » (Principes… p. 53). Mais lorsqu’il s’agit d’envisager son importation, il récuse bien vite le modèle anglais en recourant à une argumentation dont le caractère semble quelque peu convenu, voire spécieux : « Nous Français, nous sommes des Latins…. Ce qui nous différencie des Anglais dans les manières de faire. Ce qui explique notre choix en faveur de l’assimilation et non de l’autonomie comme les Anglais » (Principes… p. 52).
33Il lui reste à dessiner les contours de cette « manière de faire », de cette forme de colonisation qui serait bien française : l’assimilation.
L’assimilation
34Quelque admiration sincère qu’il professe pour l’autonomie, Girault n’éprouve aucun regret à voir la France résister à l’influence anglaise pour demeurer fidèle à ce qu’il nomme « sa politique traditionnelle ». Il laisse clairement percevoir le peu d’estime qu’il a pour tout changement d’orientation de la politique coloniale qui conduirait à s’écarter de cette doctrine : « La loi du 24 avril 1833 et le sénatus- consulte du 4 juillet 1866 ont, par deux fois, orienté nos colonies dans cette voie (il évoque ici l’autonomie), mais ces deux tentatives par lesquelles on a essayé de faire sortir la France de sa politique traditionnelle n’ont pas été couronnées de succès et ont été bientôt abandonnées » (Principes…p. 52-53). Cette « politique traditionnelle », c’est bien sûr, l’assimilation.
35Arthur Girault commence par mettre en garde contre ce qu’il estime être des confusions regrettables entre les notions d’autonomie et d’assimilation : « Certains confondent, comme on le fait fréquemment en Espagne, l’assimilation avec la centralisation et l’autonomie avec la décentralisation, et transportant ici une distinction célèbre, ils prétendent concilier l’assimilation politique et l’autonomie administrative » (Principes… p. 47). L’assimilation qu’il défend ne vise pas seulement le sort des peuples colonisés. Ce n’est pas la politique à suivre à l’égard des populations qui est en cause ici, proteste-t-il. Autant se montre-t-il attaché à l’idée d’unité d’autorité et de commandement, autant se déclare-t-il favorable à une certaine forme de décentralisation. Si la décentralisation lui semble parfaitement compatible avec la doctrine de l’assimilation, c’est que la décentralisation qu’il prône conserve essentiellement un caractère fonctionnel. Il n’est pas question pour lui d’investir un pouvoir local politiquement autonome, en instituant un nouveau niveau de représentation politique qui viendrait d’autant altérer la souveraineté nationale. Il recherche simplement les moyens d’améliorer le gouvernement des colonies en permettant à l’administration coloniale désignée par la Métropole de prendre les décisions qui sont les mieux adaptées aux situations locales. Selon lui, l’autorité de l’État colonial sera mieux préservée, si ce dernier investit des administrateurs coloniaux responsables devant lui et en leur donnant compétence pour agir selon ce que les circonstances exigent. L’unité de commandement insiste-t-il, se réalise plus facilement en la personne du gouverneur ou du résident général qu’en remontant dans les bureaux parisiens des ministères compétents en matière coloniale. Dans le vocabulaire des juristes contemporains, on nommerait la forme de décentralisation prônée par Girault, une déconcentration [23]. Le mot suffit à signifier à quel point cette décentralisation administrative se distingue de la décentralisation politique qui vise à reconnaître l’existence de pouvoirs locaux dont la légitimité s’ancre dans l’élection au suffrage universel. Il n’est bien sûr pas question d’envisager une telle évolution à l’égard des colonies et protectorats.
36Avec l’assimilation, on parvient en quelque sorte au point d’aboutissement de la doctrine de Girault. Il la définit ainsi : « La politique d’assimilation… (est) une union de plus en plus intime entre le territoire colonial et le territoire métropolitain… Les colonies, dans cette conception, sont considérées comme un simple prolongement du sol de la patrie. Ce sont des provinces d’ultra mare comme disent les Espagnols, ou des départements plus éloignés que les autres, voilà tout… » (Principes… p. 53). Pour l’auteur, l’assimilation procède d’une attitude éminemment politique : elle exprime la volonté de réaliser une « union de plus en plus intime entre le territoire colonial et le territoire métropolitain » afin de parvenir à une représentation unitaire, colonie et métropole se reconnaissant dans la même patrie. La discontinuité territoriale ou l’éloignement géographique de la colonie ne sont pas des arguments décisifs pour s’opposer à la réalisation de l’assimilation.
37En bon républicain, Girault tire une conséquence majeure qui semble couler d’évidence sous sa plume : « Il n’y a donc en raison aucun motif de distinguer et de refuser aux colonies le bénéfice de la législation jugée bonne pour la métropole. Le but est de soumettre progressivement aux mêmes règles les différentes parties du territoire » (Principes… p. 53). S’exprime ainsi la vision généreuse d’une colonisation éclairée par l’esprit des Lumières et de la Révolution que les républicains, de Ferry à Jaurès, exalteront souvent, quitte à en renvoyer à bien plus tard la réalisation… L’égalité de droit, l’égalité en droit, l’égalité devant la loi sont bien présentées comme le corollaire de l’assimilation. Si les colonies intègrent la patrie, elles doivent « progressivement » être soumises aux mêmes règles que la métropole. L’objectif est clairement désigné même si le terme est différé. Le principe est d’ailleurs susceptible d’accommodements. L’assimilation est une politique qui doit être menée en prenant en compte les situations locales. Citant un auteur anonyme, Girault écrit « l’assimilation absolue est une notion dangereuse et irréalisable et personne ne la demande… » (Principes… p. 85). D’ailleurs, « une assimilation sage et bien comprise n’empêche nullement de tenir compte des différences de situation et de la variété des besoins » (Principes… p. 85). Dans les éditions ultérieures de son ouvrage, l’auteur devra d’ailleurs beaucoup concéder à ces grands principes, l’objectif de l’assimilation paraissant de plus en plus lointain.
38Une fois encore, le doyen Girault crédite « les nations de race latine » que sont l’Espagne, le Portugal et la France de la capacité de parvenir à réaliser ce beau dessein. Ne sont-elles pas les « héritières du génie assimilateur de Rome » ? Quant à la France, c’est dans son histoire qu’il trouve des raisons de croire à son génie assimilateur : « La politique d’assimilation a été grandement favorisée chez nous par le triomphe des idées républicaines : elle a suivi la même évolution, l’emportant avec elles et succombant en même temps » (Principes… p. 54). Et l’auteur, de se lancer dans une démonstration historique émaillée de raccourcis saisissants : « On la voit poussée dans ses dernières conséquences par les assemblées révolutionnaires [24], s’éclipsant sous le Consulat et l’Empire, reparaissant sous la monarchie de Juillet…, triomphant en 1848, subissant une nouvelle éclipse sous le Second Empire, reprenant à partir de 1870, une marche en avant ininterrompue qui ne s’est jamais ralentie » (Principes… p. 54). Girault croit ainsi pouvoir conclure en dressant le constat suivant : « Depuis cette époque, toutes les lois libérales et décentralisatrices sur les conseils généraux, la liberté de la presse, l’élection des maires, l’organisation municipale, etc., ont eu leur contre-coup aux colonies » (Principes… p. 54). Sauf à s’entendre sur la notion de « contre-coup », cette interprétation qui tend à présenter l’extension du libéralisme républicain aux colonies comme un fait acquis semble pour le moins hardie. S’il a bien eu lieu, ce « contre-coup aux colonies » n’aura guère laissé de traces que l’historiographie contemporaine ait pu prendre en considération ! Du reste, quand il s’agit de donner des exemples des réformes libérales survenues sur le fondement de la doctrine assimilationniste, l’auteur ne peut fournir qu’un bien maigre bilan [25].
39Quand il s’agit de conclure sur le système qui a ses préférences, Girault trouve des justifications morales à son choix : « L’assimilation est le seul idéal possible là où l’autonomie est impraticable et dangereuse… elle procure tous les avantages de l’autonomie, mais il lui reste cette supériorité morale incontestable qu’au lieu de diviser, elle unit… » (Principes… p. 87). Et de présenter, dans la droite ligne des théories de la représentation héritées de Rousseau et de la Révolution « … ce Parlement unique composé d’hommes parlant tous la même langue… » comme un creuset d’unité entre la métropole et les colonies et le ferment de l’esprit patriotique. En concluant, l’auteur montre sa répugnance à défendre des conceptions trop dogmatiques qui exigeraient des révisions par trop déchirantes. L’assimilation, écrit-il, « …devrait être modérée et éclectique : modérée, c’est-à-dire dégagée de certaines exagérations fâcheuses et repoussant une unité contraire à la nature des choses ; éclectique, c’est-à-dire empruntant aux deux autres systèmes ce qu’ils ont de bon, à savoir, l’unité d’autorité au principe d’assujettissement, des libertés locales étendues et une plus grande décentralisation au principe d’autonomie » (Principes… p. 89). Au bout du compte, l’éclectisme doit conduire à une assimilation modérée, dans laquelle la prise en compte des différences, ou de « la nature des choses » justifie des disparités de traitements et de droits.
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42Les Principes de colonisation fournissent de précieuses indications sur la manière dont un juriste de la fin du xixe siècle pouvait analyser le fait colonial et tenter de systématiser les institutions et la législation applicables dans les colonies. Trois observations méritent d’être présentées à l’égard des conceptions défendues par Arthur Girault.
43Tout d’abord, ce que le juriste publiciste s’attache à élaborer, c’est bien une théorie du pouvoir colonial. Les institutions et le droit sont le prisme privilégié par Girault pour aborder la colonisation. C’est en quoi sa démarche se distingue de celle d’un Leroy-Beaulieu dont les références sont tout aussi historiques, mais qui s’avère bien plus économiste que lui lorsqu’il s’agit d’édifier une typologie, alors que les choix idéologiques de l’un et de l’autre ne sont pas très éloignés. Son précurseur dilue sa théorie dans l’exposé minutieux des différentes expériences de l’histoire coloniale, tandis que l’auteur des Principes de colonisation commence par présenter sa construction doctrinale, d’emblée proposée au lecteur comme une sorte de modèle explicatif et téléologique de la colonisation. Quant à la conception qu’il se fait du pouvoir, Girault s’affirme avant tout comme un homme d’ordre qui fait d’abord confiance à l’autorité. Son ralliement à une forme purement fonctionnelle de la décentralisation n’a d’ailleurs pas d’autre fondement. C’est à l’efficacité du gouvernement et de l’administration coloniale qu’il songe lorsqu’il rejette la concentration du pouvoir colonial dans les bureaux des ministères métropolitains. Pour autant, il se garde bien d’appeler de ses vœux une décentralisation politique. La question de la représentation ne paraît le préoccuper que dans la stricte mesure où elle permet de mieux asseoir l’unité nationale. Il défend ainsi la fiction d’une représentation nationale qui vaut pour tout l’Empire, n’admettant la nécessité de représenter les colonies au Parlement qu’à travers la composante française ou d’origine européenne du colonat, sans accorder d’autre considération à l’indigénat.
44Par ailleurs, le républicain modéré, attaché à l’héritage révolutionnaire et à l’individualisme libéral, n’oublie pas les principes auxquels il est attaché. Mais quand il s’agit de les transposer dans les protectorats et colonies, Girault hésite entre deux tendances. Sur le plan des principes, il pressent bien qu’on ne peut, à la fois, vouloir étendre « l’action civilisatrice » et, dans le même temps, refuser de transposer les lois libérales et les vertus attachées à l’ordre républicain dans les territoires colonisés. L’assimilation défendue par l’auteur est une conception de la colonisation qui est portée par une exigence de cet ordre. Mais cet élan généreux s’arrête dès qu’il s’agit d’aborder les conséquences de la doctrine assimilationniste. La prise en compte de la diversité des situations et de « la nature des choses » justifie une application modérée par un éclectisme de bon aloi. D’ailleurs, la présentation de la législation coloniale effectuée à la suite des Principes de colonisation, ménage nombre de précautions et d’exceptions qui sont autant d’accommodements doctrinaux apportés au principe d’assimilation et sont, à ses yeux, légitimes. S’il écarte, l’argument de la discontinuité territoriale pour refuser aux colonies l’application du droit républicain, en pratique, il ne se révèle guère favorable à une véritable continuité juridique et politique qui serait pourtant seule de nature à réaliser une véritable assimilation. Partant du postulat inverse, il finit ainsi par justifier les disparités de traitement et de droits et entériner l’inégalité de droits et en droit qu’il prétend combattre.
45Enfin, l’idéologie scientiste, partout relayée en cette fin de siècle, colore fortement la construction doctrinale d’Arthur Girault. Teintée de biologie sur un fond de darwinisme social, sa doctrine tient également de l’adhésion au positivisme par la confiance quasi aveugle qu’elle manifeste dans le progrès de la science et de l’histoire elle-même. Qu’il s’agisse des « souffrances » causées par la colonisation qui sont reconnues et assumées, ou des progrès qui sont attendus de la civilisation « apportée », la confiance de l’auteur dans l’évolution d’un processus colonial bien conduit reste intacte. Au bout du celui-ci, le progrès global de l’humanité est en vue… C’est au nom de cette foi que sont escamotées les questions les plus gênantes, comme celles de la thématique récurrente des races inférieures ou la défense d’un droit à l’expansion pour les peuples civilisés. Quelque répugnance qu’il paraisse parfois afficher, il va jusqu’à légitimer ces errements sur le plan moral. Mais Girault ne fait ainsi qu’attester de la prégnance idéologique de ces courants de pensée sur les sciences sociales et la vie publique de son époque. Pour s’en convaincre, il suffit de relire les discours des hommes politiques (dont ceux des républicains les plus sincères) ou les constructions doctrinales de nombre de juristes qui sont ses contemporains. Au total, l’« assimilation modérée et éclectique » prônée par l’auteur ne produit qu’un humanisme bien tempéré et finalement bien timoré. L’idéal républicain est bien souvent sacrifié au nom des réalités géopolitiques teintées par un nationalisme dominateur exaltant le patriotisme. En 1895, le doyen Girault se trouve en harmonie avec les idées auxquelles la Troisième république naissante est progressivement en train de se rallier. Les Principes de colonisation et de législation coloniale vont cependant contribuer, pendant plus d’un demi-siècle, à en assurer la diffusion auprès des cadres coloniaux.
Mots-clés éditeurs : colonisation, assujettissement, assimilation, législation, autonomie
Date de mise en ligne : 25/05/2011
https://doi.org/10.3917/rhis.111.0119Notes
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[1]
Raoul Girardet, L’Idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris, Éditions de la Table ronde, rééd. 1972. De grands auteurs publicistes, comme Maurice Hauriou dans son Précis de droit administratif, citent fréquemment Arthur Girault et renvoient à son ouvrage lorsqu’ils exposent les institutions propres au monde colonial.
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[2]
Maurice Besson, sous-directeur au ministère des Colonies et directeur de l’Agence économique des colonies françaises, publie une édition condensée du traité de Girault. Un certain révisionnisme inspire les choix du « réviseur » avec l’abandon partiel du déterminisme biologique ainsi qu’une vision de la colonisation se voulant plus moderne.
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[3]
Louis Milliot (1885-1961), professeur de droit et orientaliste, est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la société arabe en Afrique du Nord. Il assure la révision de la sixième édition des deux volumes du traité de Girault consacrés à l’Algérie d’une part, au Maroc et à la Tunisie d’autre part (Paris, Sirey, 1936 & 1938). Sa thèse de doctorat, Étude sur la condition de la femme musulmane au Maghreb, Paris, J. Rousset, 1910, 331 p., a précédé son classique Introduction à l’étude du droit musulman, Paris, Sirey, 1953, 823 p. Louis Milliot a été professeur, puis doyen de la faculté de droit d’Alger, en même temps qu’il assurait un enseignement semestriel à La Sorbonne à Paris. Il fut aussi directeur général des Affaires indigènes et des Territoires du sud au Gouvernement général de l’Algérie de 1935 à 1940 avant de réintégrer la faculté de droit d’Alger. Il occupait cette haute fonction administrative lorsque paraît la cinquième édition du « Girault » dont il révise les deux volumes consacrés à l’Algérie d’une part, et au Maroc et la Tunisie d’autre part.
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[4]
Pour une rapide présentation de la carrière d’Arthur Girault, voir Emile Aubin, la faculté de droit de Poitiers de 1918 à 1958, Cahiers poitevins d’histoire du droit ; 2e cahier ; Paris, lgdj, 2009, p. 236-237.
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[5]
Parmi les ouvrages publiés par Arthur Girault on relève ainsi : Le Crédit foncier et ses privilèges, Paris, Larose et Forcel, 1889 – Traité des contrats par correspondance, Paris, Larose et Forcel, 1890 – Manuel de législation financière, Paris, Sirey, 1924 – La Politique fiscale de la France après la guerre, Paris, Sirey,1916 – La Réfection du cadastre, Paris, Larose & Tenin, 1913 – La Réforme des contributions directes et des impositions locales, Paris, Larose & Tenin, 1910.
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[6]
Il s’agit de La Vie communale et départementale. Arthur Girault appartient au comité de rédaction de la revue avec d’autres professeurs de droit. Ses collègues Pierre Lampué, professeur à la faculté de droit de Caen (une autre référence connue en droit colonial…) et le célèbre Achille Mestre, de la faculté de droit de Paris, contribueront également à cette revue ou siégeront dans le comité de rédaction. Voir Renaud Payre, Les efforts de constitution d’une science du gouvernement municipal : la vie communale et départementale (1923-1940), Revue française de science politique ; vol. LIII ; 2003/2 ; p. 201-218.
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[7]
Voir Emmanuelle Saada, Penser le fait colonial à travers le droit en 1900, Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle ; no 27 ; 1/2009 ; p. 103-116.
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[8]
Emmanuelle Saada, (op. cit. p. 106) présente ainsi les missions et le rôle de l’Institut : « l’Institut colonial international, fondé à Bruxelles en 1894, réunit de manière régulière autour de thèmes spécifiques la fine fleur de l’administration, mais aussi des représentants des sciences coloniales (en particulier la médecine, la géographie et le droit) et des “publicistes” engagés dans diverses entreprises de propagande financées majoritairement par les intérêts économiques… Y participent principalement la Belgique, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, mais aussi les États-Unis et le Japon. L’Institut fonctionne surtout comme un club où convergent les mondes de l’administration, de la science et du journalisme et où sont définis les “grands problèmes coloniaux” et décrites les mesures prises et à prendre… Les objectifs de l’Institut sont de « faciliter et répandre l’étude comparée de l’administration et de la législation coloniale ». Ses bureaux publieront jusqu’à la fin des années 1930 des Annuaires de législation coloniale comparée, servant de véritable caisse de résonance à l’échelle européenne des pratiques administratives et législatives coloniales. »
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[9]
La Main-d’œuvre aux colonies, Travaux de l’Institut colonial international, Paris, Librairie de la Société du recueil général des lois et des arrêts, 1896 ; Du recrutement des fonctionnaires coloniaux, y compris ceux de l’ordre judicaire, Rapport préliminaire à la session de 1911, Paris, Établissements généraux d’imprimerie, 1911 ; Des rapports politiques entre métropole et colonies, Rapport préliminaire à la session de Londres du 26 mai 1903.
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[10]
Dans l’édition princeps de 1895, l’exposé et l’analyse de la législation coloniale représentent environ 570 pages. Dans les éditions postérieures, ce sont plusieurs tomes qui seront consacrés à la législation coloniale, et pour les toutes dernières éditions, certains tomes suivront une présentation monographique par pays. Par exemple, dans la 6e édition de 1936 révisée par Louis Milliot, un tome entier est consacré à la Tunisie et au Maroc, ces deux protectorats formant d’ailleurs le sous-titre de l’ouvrage.
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[11]
La présentation de la législation coloniale mériterait certainement d’être étudiée dans le prolongement de cette première analyse des seuls « principes de colonisation ».
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[12]
Par convention, dans toutes les notes qui suivront, l’ouvrage de référence sera désormais désigné de cette manière. La citation « Principes… » renvoie à la première édition du « Girault » parue sous le titre Principes de colonisation et de législation coloniale, Paris, Librairie du Recueil général des lois et des arrêts L. Larose,1895, 657 p. Toutes les citations de cette édition seront faites dans le corps même du texte afin de ne pas alourdir l’appareil de références.
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[13]
Chez les premiers, Arthur Girault déplore une absence de détermination et de constance, et chez les seconds, des palinodies qui se rejoignent dans une forme d’impuissance et d’incurie qu’il se plaît à dénoncer.
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[14]
Les manuels scolaires de géographie en vigueur dans l’enseignement primaire et secondaire, mais aussi les atlas coloniaux régulièrement réédités fournissent une description des caractères propres à chaque colonie en rapprochant des indications de géographie physique, de l’économie, de la langue, voire de l’anthropologie.
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[15]
Ces références biologiques reviennent sous la plume des auteurs et des responsables politiques de l’époque qui reprennent, à la lettre près, les mêmes images, comme celle des différents âges de la vie appliquée à la situation des sociétés colonisées. Picard, Harmand, mais aussi Jules Ferry recourent également à ces assimilations dont l’utilisation récurrente dépasse de très loin la simple métaphore littéraire.
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[16]
Voir par exemple, sur ce point, Olivier Le Cour Grandmaison, Coloniser, exterminer. Sur la guerre et l’État colonial, Paris, Fayard, 2005, p. 130.
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[17]
Daniel Costantini, Mission civilisatrice. Le rôle de l’histoire coloniale dans la construction de l’identité politique française, Paris, Éd. La Découverte, 2008, p. 79.
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[18]
Paul Leroy-Beaulieu (1843-1916) est professeur titulaire de la chaire de science financière à l’École libre des sciences politiques (1879-1881) et professeur d’économie politique au Collège de France (1878). En 1870, il reçoit un prix de l’Institut pour un mémoire sur le Système colonial des peuples modernes. Augmenté, c’est ce premier travail qui donnera quatre ans plus tard, De la colonisation chez les peuples modernes. Avec ce livre, qui connaît un très grand succès au fil de rééditions successives, Paul Leroy-Beaulieu devient l’un des porte-parole de la colonisation, exerçant une grande influence sur les esprits de l’époque. Ses idées inspirent notamment les discours de Jules Ferry invitant à une nouvelle expansion coloniale. Paul Leroy-Beaulieu, par ailleurs attentif aux préoccupations sociales, est le seul économiste libéral français qui se déclare favorable à l’expansion coloniale.
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[19]
Paul Leroy-Beaulieu, De la colonisation chez les peuples modernes, Paris, Guillaumin éditeur, 1874 pour la 1re édition. Les références données ici sont tirées de la cinquième édition, parue chez le même éditeur en 1902.
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[20]
Ibid., t. II, p. 563 sq.
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[21]
Il n’est pas indifférent de constater qu’Arthur Girault, comme son collègue aîné Paul Leroy-Beaulieu, a publié des travaux sur le pouvoir local. De Paul Leroy-Beaulieu, voir L’Administration locale en France et en Angleterre, Paris, Guillaumin, 1872. Quant à Girault, sa pratique d’élu local et son implication dans la Revue municipale et départementale lui donnent une solide expérience du système de gouvernement local. Le maniement des concepts de centralisation et de décentralisation tels qu’ils sont mis en œuvre au début de la Troisième République sont donc familiers à ces auteurs.
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[22]
Paul Chailley-Bert, professeur à l’École libre des sciences politiques est essayiste et homme politique. Maire des Sables d’Olonne de 1912 à 1919, député de la Vendée de 1906 à 1914, il s’inscrit au groupe de la gauche radicale. Il est le gendre de Paul Bert. Bon spécialiste des questions coloniales et auteur de plusieurs ouvrages influents, Paul Chailley-Bert publie en 1892 La Colonisation de l’Indo-Chine et l’expérience anglaise, Paris, Armand Colin, 1892, ouvrage dont Arthur Girault extrait cette citation.
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[23]
La thématique développée par Arthur Girault et les développements qu’il consacre à cette question font songer à des conceptions plus contemporaines de la décentralisation/déconcentration, comme celles que Michel Debré naguère défendit avec son co-auteur Emmanuel Monick sous le pseudonyme de Jacquier-Bruère, Refaire la France : l’effort d’une génération, Paris, Plon, 1945. Les positions défendues par Michel Debré lors de la décolonisation, et notamment celle de l’Algérie, pourraient inviter à faire d’autres rapprochements.
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[24]
Plus loin, (Principes…p. 178), Arthur Girault fait cette observation à propos de l’apport des assemblées révolutionnaires : « La politique d’assimilation était d’ailleurs dans la logique révolutionnaire. La Révolution avait établi l’égalité de tous les Français et les droits qu’elle proclamait, étaient dans sa pensée les mêmes droits sans distinction de latitude. » Et de conclure : « Quoi de plus naturel dès lors que de traiter les Français des colonies, comme les Français de France, de leur reconnaître à tous les mêmes droits sans distinction, de transporter les Droits de l’homme au-delà des mers ? ».
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[25]
Arthur Girault écrit ceci : « Les deux commissions extraparlementaires instituées par l’amiral Polignac en 1878, et par M. Duclerc en 1882 pour étudier les modifications à apporter au régime des colonies se sont prononcées en sa faveur, et chose remarquable, les deux lois du 15 juillet 1889 et la loi douanière du 11 janvier 1892 ont été pour les colonies des lois d’assimilation » (Principes… p. 53-54).