Couverture de RHIS_074

Article de revue

La Grande Famine en Irlande (1846-1851) : objet d'histoire, enjeu de mémoire

Pages 899 à 925

Notes

  • [1]
    Gerald Keegan, Famine Diary : Journey to a New World, édité et présenté par James J. Mangan, Dublin, Wolfhound Press, 1991, 144 p.
  • [2]
    Jim Jackson, Famine Diary. The making of a best Sellar, Irish Review, 11, 1991-1992, p. 1-8.
  • [3]
    Henry Rousso, Le syndrome de Vichy, de 1944 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2e éd., 1990 (1987), 414 p. Cet article est né d’un intérêt croisé pour deux objets d’étude au premier abord bien distincts : la Grande Famine irlandaise, d’une part ; la question des relations entre histoire et mémoire, de l’autre. À la confluence des deux thématiques, ma réflexion est nourrie des problématiques françaises qui, depuis une trentaine d’années, ont justement renouvelé l’approche des rapports entre mémoire, identité et histoire. Parmi les jalons importants : Philippe Joutard, La légende des Camisards : une sensibilité au passé, Paris, Gallimard, 1977 ; Pierre Nora (éd.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984-1992, 7 vol. (notamment les introductions et conclusions programmatiques de Pierre Nora) ; Jean-Clément Martin, La Vendée de la mémoire : 1800-1980, Paris, Le Seuil, 1989 ; Benjamin Stora, La gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 1991 ; François Bédarida, La mémoire contre l’histoire, Esprit, no 7, juillet 1993, p. 7-13 ; Tzvetan Todorov, Les abus de la mémoire, Paris, Arléa, 1995 ; Henry Rousso (entretien avec Éric Conan), La hantise du passé, Paris, Textuel, 1998 ; Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Le Seuil, 2000. J’ajoute que Peter Gray, spécialiste irlandais de la Famine, fait plusieurs fois référence aux textes (traduits) de Pierre Nora dans l’introduction du récent ouvrage : Peter Gray, Oliver Kendrick (eds), The Memory of Catastrophe, Manchester, Manchester University Press, 2004.
  • [4]
    L’expression est employée par James S. Donnelly Jr., The construction of the memory of the Famine in Ireland and the Irish diaspora, 1850-1900, Éire-Ireland, XXXI, no 1-2, été 1996, p. 26-61, article repris dans Id., The Great Irish Potato Famine, Phoenix Mill, Sutton, 2001, 292 p., p. 209-243.
  • [5]
    La folk memory, entendue comme mémoire/transmission orale et populaire de l’événement, a notamment été étudiée par Cathal Póirtéir (ed.), Famine Echoes, Dublin, Gill & Macmillan, 1995, à partir d’une relecture des entretiens recueillis par l’Irish Folklore Commission, dans les années 1930-1950, auprès des descendants des contemporains de la Famine. Sur le débat, fourni, autour des usages historiens de cette source et des limites de celle-ci, voir Mary Daly, Historians and the Famine : A beleaguered species ?, Irish Historical Studies, XXX, no 120, 1997, p. 591-601, Cormac Ó Gráda, Black’47 and beyond. The Great Irish Famine in History, Economy, and Memory, Princeton, Princeton University Press, 1999, 302 p., chap. 6, et Niall Ó Ciosáin, Famine memory and the popular representation of scarcity, dans History and Memory in Modern Ireland, Ian McBride (ed.), Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 95-117.
  • [6]
    Le courant historiographique « révisionniste » irlandais dont il est question dans cet article n’a absolument rien à voir avec les « révisionnistes-négationnistes » français dénoncés par Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire. Un « Eichmann de papier » et autres essais sur le révisionnisme, Paris, La Découverte, 1991.
  • [7]
    Charles E. Trevelyan, The Irish Crisis, Londres, Longman & Co., 1848, 201 p. Le texte original a d’abord paru dans The Edinburgh Review, 87, no 175, janvier 1848, p. 229-320. Les citations sont extraites de la version française : Id., Histoire de la famine d’Irlande en 1845, 1846 et 1847, Auxerre, Impr. Gallot, 1849, 152 p.
  • [8]
    Lettre de C. E. Trevelyan au colonel Jones, 2 décembre 1846, citée par Cecil Woodham-Smith, The Great Hunger : Ireland, 1845-1849, Londres, H. Hamilton, 1962, 510 p. La citation est extraite de la version française : Id., La Grande Famine d’Irlande, 1845-1849, Paris, Plon, 1965, 275 p., p. 112-113.
  • [9]
    Lettre de C. E. Trevelyan, 6 octobre 1846, citée par Jenifer Hart, Sir Charles Trevelyan at the Treasury, English Historical Review, no 75, 1960, p. 92-110. Sur le providentialisme, voir aussi dans Charles E. Trevelyan, Histoire de la famine, op. cit., p. 152.
  • [10]
    Ibid., p. 24-26, 122 et 149.
  • [11]
    Ibid., p. 138-139.
  • [12]
    Ibid., p. 91 (pour la citation) et 146-147.
  • [13]
    Ibid., p. 85 (pour la citation) et 117-118.
  • [14]
    Christine Kinealy, A Death-Dealing Famine : The Great Hunger in Ireland, Londres, Pluto Press, 1997, 192 p., p. 4.
  • [15]
    Voir, par exemple, dans The Times, 23 et 26 mars 1847. Leslie A. Williams, Daniel O’Connell, the British Press and the Irish Famine : Killing Remarks, Aldershot, Ashgate, 2003, 380 p. Le chapitre 11 est une lecture commentée de The Irish Crisis.
  • [16]
    Voir Peter Gray, Famine, Land and Politics : British Government and Irish Society, 1843-1850, Dublin, Irish Academic Press, 1999, 384 p. Dans un ouvrage récent, en décalage avec la plupart des travaux, Robin Haines réévalue l’action menée par Trevelyan en Irlande et critique la « diabolisation » du personnage dans l’historiographie. Robin F. Haines, Charles Trevelyan and the Great Irish Famine, Dublin, Four Courts Press, 2003, 606 p.
  • [17]
    John Mitchel, Jail Journal, or Five Years in British Prisons, New York, au bureau du Citizen, 1854, 370 p.
  • [18]
    Id., The Last Conquest of Ireland (Perhaps), Glasgow, Cameron & Ferguson, 1861 (d’abord publié en 1858-1859 dans le journal américain Southern Citizen). Les références aux citations qui suivent proviennent de la réédition : Dublin, UCd Press, 2005, 221 p.
  • [19]
    Ibid., p. 218-219, pour les trois citations suivantes.
  • [20]
    Ibid., p. 120-121. Sur la rhétorique de Mitchel, voir Christopher Morash, Writing the Irish Famine, Oxford-New York, Clarendon Press, 1995, 213 p., p. 52-75. Morash montre à quel point le discours mitchélien s’est construit en rupture avec la continuité historique et l’idée de progrès qui irriguaient le livre de Trevelyan et ceux des historiens libéraux britanniques de la seconde moitié du XIXe siècle.
  • [21]
    James S. Donnelly Jr., The Great Irish Potato Famine, op. cit. (n. 4), p. 209-243. Avant lui, Patrick O’Farrell avait ouvert la voie dans Patrick O’Farrell, Whose reality ? The Irish Famine in history and literature, Historical Studies, 20, 1982, p. 1-13.
  • [22]
    Ajoutons, pour compléter ce panorama des responsabilités de la catastrophe selon la vulgate nationaliste républicaine au XIXe siècle, que Daniel O’Connell et le clergé catholique furent aussi stigmatisés pour avoir encouragé le peuple irlandais à la résistance passive, à des actions légales et non violentes contre l’occupant.
  • [23]
    L. Perry Curtis Jr., Apes and Angels : The Irishman in Victorian Caricature, Londres, Smithsonian Institution, 1997 (1re éd., 1971). Pour une interprétation plus nuancée, voir la critique de ce livre formulée par Roy F. Foster, Paddy and Mr. Punch. Connections in Irish and English History, Londres, Allen Lane, 1993, chap. 9.
  • [24]
    James S. Donnelly Jr., The Great Irish Potato Famine, op. cit. (n. 4), p. 215.
  • [25]
    John F. Maguire, The Irish in America, Londres, Longmans, Green & Co., 1868, 653 p. ; Thomas P. O’Connor, The Parnell Movement, Londres, K. Paul, Trench & Co., 1886, 574 p. ; Jeremiah O’Donovan Rossa, Rossa’s Recollections, 1838-1898, New York, Mariner’s Harbour, 1898, 410 p. ; Michael Davitt, The Fall of Feudalism in Ireland, Londres, Harper, 1904, 750 p.
  • [26]
    George Bernard Shaw, Man and Superman, 1903. Citation extraite de la version française : Id., L’homme et le surhomme, traduit par A. et H. Hamon, Paris, E. Figuière, 1912, 173 p., p. 126.
  • [27]
    Canon John O’Rourke, The History of the Great Irish Famine of 1847, with Notices of Earlier Irish Famines, Dublin, M’Glashan & Gill, 1874, 559 p.
  • [28]
    Notamment le projet, porté par Douglas Hyde, de resourcement identitaire par la « dé-anglicisation » de l’Irlande et le revival, en parallèle, d’une littérature, de loisirs, de sports « typiquement » gaéliques. Voir Maurice Goldring, Pleasant the Scholar’s Life. Irish Intellectuals and the Construction of the Nation State, Londres, Serif, 1993, 189 p.
  • [29]
    La postérité de l’analyse progouvernementale et providentialiste de Trevelyan, essentiellement circonscrite à la Grande-Bretagne, a été récemment soulignée par Peter Gray, The making of mid-Victorian Ireland ? Political economy and the memory of the Great Famine, dans Victoria’s Ireland ? Irishness and Britishness, 1837-1901, Peter Gray (ed.), Dublin, Four Courts Press, 2004, 188 p.
  • [30]
    Patrick Sarsfield O’Hegarty, A History of Ireland under the Union, 1801 to 1922, Londres, Methuen, 1952, 812 p., p. 291.
  • [31]
    Voir Christopher Morash, Writing the Irish Famine, op. cit. (n. 20), p. 40-55.
  • [32]
    Cecil Woodham-Smith, The Great Hunger, op. cit. (n. 8). Les trois citations qui suivent sont extraites de la version française, p. 273, 46-47 et 272.
  • [33]
    A. J. P. Taylor, Genocide, New Statesman, 23 novembre 1962, p. 741-742, compte rendu de Cecil Woodham-Smith, The Great Hunger, op. cit. (n. 8).
  • [34]
    Robert Kee, Ireland : A History, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1980, 256 p.
  • [35]
    Thomas Gallagher, Paddy’s Lament : Ireland, 1846-1847. Prelude to Hatred, New York, Harcourt Brace Jovanovich, 1982, 345 p. Sur cet ouvrage comme sur la série télévisée précédemment citée, voir l’analyse de Graham Davis, Historiography of the Famine, dans The Irish Worldwide : History, Heritage, Identity, vol. 6 : The Meaning of the Famine, Patrick O’Sullivan (ed.), Londres, Leicester University Press, 1996, 266 p., p. 18.
  • [36]
    Sur le projet initial des révisionnistes, voir leur manifeste, publié dans Irish Historical Studies, no 1, 1938, p. 1-3, et la contribution de Ciaran Brady, Constructive and instrumental : The dilemna of Ireland’s first new historians, dans Interpreting Irish History : The Debate on Historical Revisionism, 1938-1994, Ciaran Brady (ed.), Dublin, Irish Academic Press, 1994, 348 p., p. 3-31.
  • [37]
    Roy F. Foster, Paddy and Mr. Punch, op. cit. (n. 23), introd. p. XI et p. 16 ; Id., The Irish Story : Telling Tales and Making it up in Ireland, Londres, Allen Lane, 2001, chap. 2, « Theme-parks and histories », p. 23-36.
  • [38]
    James S. Donnelly Jr., The Great Irish Potato Famine, op. cit. (n. 4), p. 40.
  • [39]
    Robert Dudley Edwards, Thomas Desmond Williams (eds), The Great Famine : Studies in Irish History, 1845-1852, Dublin, Browne & Nolan, 1956, 517 p.
  • [40]
    Cormac Ó Gráda, « Making history » in Ireland in the 1940s and 1950s : The saga of The Great Famine, Irish Review, no 12, 1992, p. 87-107.
  • [41]
    Voir, notamment, Kevin B. Nowlan, The political background, et Thomas P. O’Neill, The organisation and administration of relief, 1845-1852, dans The Great Famine, Robert Dudley Edwards et Thomas Desmond Williams (eds), op. cit.
  • [42]
    Mary Daly, The Famine in Ireland, Dundalk, Dundalgan Press, 1986, 138 p., notamment p. 113 ; Roy F. Foster, Modern Ireland, 1600-1972, Londres, Penguin, 1989 (1re éd., 1988), 688 p., chap. 14.
  • [43]
    Raymond D. Crotty, Irish Agricultural Production : Its Volume and Structure, Cork, Cork University Press, 1966, 384 p. ; Louis M. Cullen, An Economic History of Ireland since 1660, Londres, Batsford, 1972, 208 p., p. 132.
  • [44]
    Outre de nombreux articles, deux ouvrages collectifs rendent bien compte des débats qui, depuis les années 1930, ont traversé l’historiographie irlandaise en général, et celle de la Famine en particulier : Ciaran Brady (ed.), Interpreting Irish History, op. cit., et D. George Boyce et Alan O’Day (eds.), The Making of Modern Irish History. Revisionism and the Revisionist Controversy, Londres, Routledge, 1996, 245 p.
  • [45]
    Graham Davis, Historiography, op. cit., p. 16.
  • [46]
    Frances Stewart Leland Lyons, compte rendu de Cecil Woodham-Smith, The Great Hunger, op. cit. (n. 8), Irish Historical Studies, XIV, no 53, mars 1964, p. 77-79.
  • [47]
    Cormac Ó Gráda, The Great Irish Famine, Dublin, Gill & Mcmillan, 1989, 87 p., p. 10-11.
  • [48]
    Voir les contributions de Desmond Fennell, Against revisionism, et Kevin O’Neill, Revisionist Milestone, dans Interpreting Irish History, Ciaran Brady (ed.), op. cit., p. 183-190 et 217-221.
  • [49]
    Brendan Bradshaw, Nationalism and historical scholarship in modern Ireland, Irish Historical Studies, XXVI, no 104, novembre 1989, p. 329-351.
  • [50]
    Expression utilisée par Peter Gray, Memory and the commemoration of the Great Irish Famine, dans The Memory of Catastrophe, Peter Gray et Kendrick Oliver (eds), op. cit. (n. 3), p. 50.
  • [51]
    Cormac Ó Gráda cite ces chiffres dans Ireland before and after the Famine : Explorations in Economic History, 1800-1925, Manchester, Manchester University Press, 1988, 179 p., p. 78.
  • [52]
    Même si cette impression de « silence » doit sans doute être nuancée, comme le souligne Niall Ó Ciosáin, Was there « silence » about the Famine ?, Irish Studies Review, no 13, hiver 1995, p. 7-10.
  • [53]
    Peter Gray, Memory and the commemoration, op. cit. (n. 3), p. 50.
  • [54]
    Christine Kinealy, A Death-Dealing Famine, op. cit. (n. 14), p. 10-11, et Id., Beyond revisionism. Reassessing the Irish Famine, History Ireland, hiver 1995, p. 28-34.
  • [55]
    Patrick Garcia, Le bicentenaire de la Révolution française. Pratiques sociales d’une commémoration, Paris, CNRS, 2000, 354 p., p. 23.
  • [56]
    Voir en particulier, dans Peter Gray, Memory and the commemoration, op. cit. (n. 3), p. 48-49.
  • [57]
    Discours de Tony Blair, The Times, 2 juin 1997, p. 4, art. : Blair blames Britain for Irish Famine deaths.
  • [58]
    Peter Gray, Memory and the commemoration, op. cit. (n. 3), p. 57-59.
  • [59]
    L’exposé détaillé des objectifs, des cours et des activités proposés aux élèves dans le cadre de The Great Irish Famine Curriculum (New Jersey) est consultable sur Internet : wwwwww. nde. state. ne. us/ SS/ irish_famine. html.
  • [60]
    À l’adresse suivante : wwwwww. geocities. com/ capitolhill/ lobby/ 4285/ hunger/ hunger. html.
  • [61]
    Cette concurrence victimaire a été bien mise en évidence par Peter Novick, L’Holocauste dans la vie américaine, Paris, Gallimard, traduit de l’anglais, 2001, 434 p., et par Jean-Michel Chaumont, La concurrence des victimes : génocide, identité, reconnaissance, Paris, La Découverte, 1997, 380 p.
  • [62]
    Cormac Ó Gráda, The Great Famine and today’s famines, dans The Great Irish Famine, Cathal Póirtéir (ed.), Cork, Mercier Press, 1995, 283 p., p. 248-258.
  • [63]
    Pour un exposé plus détaillé (et en français) sur les lieux de mémoire de la Famine, voir Jean Guiffan, Les lieux de mémoire de la Grande Famine, dans Irlande : écritures et réécritures de la Famine, Claude Fiérobe et Bertrand Cardin (éd.), Caen, PUC, 2006.
  • [64]
    Sur l’album Universal Mother (1994) de Sinéad O’Connor, on trouve la chanson « Famine », au texte très marqué par la lecture nationaliste issue du XIXe siècle.
  • [65]
    Roy F. Foster, Theme-parks, op. cit. (n. 37), p. 28-31.
  • [66]
    Cormac Ó Gráda, Making famine history in Ireland in 1995, History Workshop Journal, no 42, automne 1996, p. 87-104.
  • [67]
    Un cycle de conférences a notamment été organisé par des institutions officielles (Teagasc et UCd) en 1995 et a ensuite été publié : Cormac Ó Gráda (ed.), Famine 150 : Commemorative Lecture Series, Dublin, Teagasc-UCd, 1997, 178 p.
  • [68]
    Christophe Charle, être historien en France : une nouvelle profession ?, dans L’histoire et le métier d’historien en France, 1945-1995, François Bédarida (éd.), Paris, Éd. de la MSH, 1995, 438 p., p. 42.
  • [69]
    Peter M. Solar, The Great Famine was no ordinary subsistence crisis, dans Famine : The Irish Experience, 900-1900. Subsistence Crises and Famine in Ireland, Margaret Crawford (ed.), Édimbourg, John Donald, 1989, p. 112-131.
  • [70]
    Voir, notamment, Cormac Ó Gráda, Black’47 and beyond, op. cit. (n. 5), chap. 7, Líam Kennedy, Paul S. Ell, E. M. Crawford et L. A. Clarkson, Mapping the Great Irish Famine : A Survey of the Famine Decades, Dublin, Four Courts Press, 1999, 220 p., et la récente synthèse de Laurence M. Geary et Margaret Kelleher (eds), Nineteenth-Century Ireland. A Guide to Recent Research, Dublin, UCd Press, 2005, 340 p. Kevin H. O’Rourke, Did the Great Irish Famine matter ?, Journal of Economic History, 51, mars 1991, p. 1-22, souligne la transformation radicale du paysage agricole et l’inversion du ratio terres cultivées (qui dominaient avant la Famine) / pâturages. Sur le plan politique, la Famine a largement contribué à amorcer la convergence entre les revendications agraires et les exigences plus strictement nationalistes, qui a conduit en 1879 à la création de l’Irish National Land League, sous la houlette de Charles Stewart Parnell.
  • [71]
    Roy F. Foster, Modern Ireland, op. cit. (n. 42), p. 318.
  • [72]
    Peter Gray, Famine, Land and Politics, op. cit. (n. 16). Du même auteur, un article synthétique utile : Id., The triumph of dogma : The ideology of famine relief, History Ireland, vol. 3, no 2, été 1995, en libre accès sur wwwwww. historyireland. com.
  • [73]
    John Mitchel, The Last Conquest of Ireland, op. cit. (n. 18), p. 112 et 218-219.
  • [74]
    Peter M. Solar, The Great Famine, op. cit., et Austin Bourke, The Visitation of God ? : The Potato and the Great Irish Famine, édité par Jacqueline Hill et Cormac Ó Gráda, Dublin, Lilliput Press, 1993, 230 p.
  • [75]
    Voir les travaux de James Donnelly, de Peter Gray ou de Cormac Ó Gráda qui confirment l’insuffisance chronique de l’aide gouvernementale, le refus britannique de considérer la Famine comme un problème à l’échelle du royaume, les conséquences négatives des exportations de 1846, puis de la mise en place de l’Amended Poor Law de 1847, inadaptée aux conditions irlandaises.
  • [76]
    Frank Neal, Black’47 : Britain and the Famine Irish, Basingstoke, Macmillan Press, 1998, 292 p. ; Edward G. Lengel, The Irish through British Eyes. Perceptions of Ireland in the Famine Era, Westport (Conn.), Praeger, 2002, 184 p. ; Leslie A. Williams, Daniel O’Connell, op. cit. (n. 15).
  • [77]
    Donal A. Kerr, « A Nation of Beggars » ? Priests, People and Politics in Famine Ireland, 1846-1852, Oxford, Clarendon Press, 1994, 370 p. ; Robert J. Scally, The End of Hidden Ireland : Rebellion, Famine, and Emigration, Oxford, Clarendon Press, 1995, 266 p.
  • [78]
    Mary Daly, The operation of famine relief, 1845-1847, dans The Great Irish Famine, Cathal Póirtéir (ed.), op. cit. (n. 62), p. 123-134 ; Christine Kinealy, This Great Calamity : The Irish Famine, 1845-52, Dublin, Gill & Mcmillan, 1994, 450 p., et Id., A Death-Dealing Famine, op. cit. (n. 14). Sur le fond du désaccord, voir les comptes rendus des ouvrages de Christine Kinealy par Mary Daly, Historians and the Famine, op. cit. (n. 5), et par L. A. Clarkson, sur le site internet History in Focus (((((www. history. ac. uk/ ihr/ Focus/ Victorians/ clarkson. html),suivi de la réponse pour le moins énergique de Christine Kinealy ((((www. history. ac. uk/ ihr/ Focus/ Victorians/ kinealy. html).
  • [79]
    James S. Donnelly Jr., The Great Irish Potato Famine, op. cit. (n. 4).
  • [80]
    Cormac Ó Gráda, Black’47 and beyond, op. cit. (n. 5).
  • [81]
    En témoigne la récente publication dirigée par Cormac O’Gráda, Ireland’s Great Famine. Interdisciplinary Perspectives, Dublin, UCd Press, 2005. Voir aussi Christopher Morash et Richard Haynes (eds), « Fearful Realities » : New Perspectives on the Famine, Dublin, Irish Academic Press, 1996, 180 p., ainsi que les ouvrages collectifs déjà cités dirigés par Cathal Póirtéir en 1995.
  • [82]
    Cormac Ó Gráda, The Great Famine and today’s famines, op. cit. (n. 62) ; Id., The Great Famine and other famines, dans Famine 150, Cormac Ó Gráda (ed.), op. cit. (n. 67), et Id., Black’47 and beyond, op. cit. (n. 5), introd., p. 9 pour la citation.
  • [83]
    Dans la catégorie des famines qui avoisinent ou dépassent le million de victimes, Cormac Ó Gráda recense les cas suivants : la Russie soviétique (1918-1922), l’Ukraine (1932-1933), le Bengale (1943-1944), la Chine (1959-1962), le Biafra (1968-1970) et l’Éthiopie (au milieu des années 1980), Id., Black’47 and beyond, op. cit. (n. 5), introd., p. 5.
  • [84]
    Voir, notamment, Peter Gray, Famine relief in comparative perspective : Ireland, Scotland and North-Western Europe, 1845-1849, Eire-Ireland, 32 (1), 1997, p. 86-108, et Id., Famine and land in Ireland and India, 1845-1880 : James Caird and the political economy of hunger, Historical Journal, 49, 2006, p. 193-215.
  • [85]
    Voir, dans une bibliographie foisonnante, la synthèse de Joseph J. Lee, The Irish diaspora in the nineteenth century, dans Nineteenth-Century Ireland, Laurence M. Geary et Margaret Kelleher (eds), op. cit. (n. 70), p. 182-222.
  • [86]
    Voir, par exemple, Laurence M. Geary, What people died of during the Famine, dans Famine 150, Cormac Ó Gráda (ed), op. cit. (n. 67), p. 95-111.
  • [87]
    David Fitzpatrick, Women and the Great Famine, dans Gender Perspectives in Nineteenth-Century Ireland : Public and Private Spheres, Margaret Kelleher et James H. Murphy (eds), Dublin, Irish Academic Press, 1997, 238 p., p. 50-69. Voir aussi Maria Luddy, Women’s history, dans Nineteenth-Century Ireland, Laurence M. Geary et Margaret Kelleher (eds), op. cit. (n. 70), p. 43-60.
  • [88]
    Cormac Ó Gráda, Black’47 and beyond, op. cit. (n. 5), p. 49.
  • [89]
    Ce constat est aussi établi par Mary Daly, Revisionism and Irish history. The Great Famine, dans The Making of Modern Irish History, D. George Boyce et Alan O’Day (eds), op. cit. (n. 44), p. 86.
English version

1En 1991 paraît le journal inédit d’un émigrant irlandais fuyant la Grande Famine en 1847. Famine Diary : Journey to a New World [1] relate le terrible voyage transatlantique de Gerald Keegan à bord d’un coffinship (bateau-cercueil), puis son arrivée non moins tragique à Grosse Île, où il succombe au typhus à peine débarqué sur le sol canadien. Le livre devient vite un best-seller en Irlande, où il se maintient parmi les meilleures ventes pendant près de deux ans. La curiosité de quelques universitaires scrupuleux finit pourtant par mettre à mal l’authenticité de ce document récemment resurgi – dixit l’éditeur – du milieu du XIXe siècle [2]. Il s’agit en réalité d’une fiction historique réécrite en 1982 par le frère James J. Mangan, à partir d’un récit rédigé en 1895 par l’écrivain canadien Robert Sellars... lui-même prétendant s’être inspiré du manuscrit disparu d’un certain Gerald Keegan... instituteur dont l’existence n’est toujours pas avérée !

2Au-delà de la polémique induite par l’imposture éditoriale, cet épisode est révélateur de la demande sociale de mémoire en Irlande et de l’intérêt du public pour les « récits authentiques », en particulier lorsque les expériences vécues se rapportent à la tragédie nationale qui secoua l’île de 1846 à 1851 et continue de nourrir l’imaginaire insulaire. La Grande Famine causa la mort d’au moins 1 million de personnes et précipita le départ de plus de 1 million d’autres, vers la Grande-Bretagne et surtout l’Amérique du Nord. En l’espace de six ans, la population chuta de 8,6 à 6,6 millions, pour ne plus compter que 4,5 millions d’habitants en 1901.

3Alors même que la Famine n’était pas achevée, une bataille des interprétations – bientôt prolongée par une guerre des mémoires – s’engageait entre les partisans d’une approche nationaliste, incarnée par John Mitchel, et les tenants de la version britannique officielle, formulée dès 1848 par Charles Trevelyan. Depuis, diverses lectures de l’événement n’ont cessé de s’opposer, de se juxtaposer et de servir des causes politiques souvent antagonistes. Si la littérature et les commémorations ont été des vecteurs importants de la construction du souvenir, l’histoire écrite, réécrite, a aussi joué son rôle dans la transmission de ce passé équivoque. Dans le cadre conflictuel des relations anglo-irlandaises, les débats historiographiques autour de l’objet Famine – qui ne sont pas sans rappeler, par leur ampleur et leur intensité dramatique, les querelles françaises autour de l’interprétation de la Révolution – s’inscrivent dans une histoire de la mémoire de l’événement, elle-même jalonnée par des phases de refoulements, de rejeux et d’obsessions, pour reprendre une terminologie chère à l’historien Henry Rousso [3].

4Je propose d’étudier dans quelle mesure l’histoire, telle qu’elle a été rédigée, d’abord par les acteurs, les témoins et les contemporains, puis surtout par les professionnels, a influé sur la construction et la transmission de la mémoire irlandaise de l’événement. Comment s’opère l’articulation entre les deux représentations d’un même passé que sont la mémoire et l’histoire ? L’histoire comme activité scientifique a-t-elle été écrite contre, avec ou encore sous la pression de la mémoire ?

5Les pages qui suivent seront consacrées aux relations entre l’histoire et la « mémoire publique » (public memory) [4], quasi officielle, volontariste, à vocation universelle et unifiante, d’abord façonnée par les élites nationalistes, puis institutionnalisée et entretenue par l’État irlandais, notamment par l’entremise de sa politique mémorielle et du système scolaire. Il sera en revanche peu question des mémoires singulières, locales, marginales ou/et dissonantes : cet aspect du problème, par l’ampleur des interrogations qu’il soulève – je pense notamment à l’important débat de fond sur la folk memory et ses usages historiens [5] –, dépasse de très loin le cadre restreint de cet article. Pour la même raison, le lecteur n’y trouvera pas non plus une étude exhaustive de l’historiographie de la Famine. Toutefois, les grandes inflexions de la recherche depuis un siècle et demi et les courants historiographiques qui les sous-tendent seront discutés, dans la mesure où ils s’inscrivent dans la problématique retenue.

6Cette étude des représentations et des usages du passé dans les présents successifs a fait émerger une évolution dynamique en trois phases.

7Entre l’événement et la naissance de l’État libre en 1921, la Famine était au cœur de la question nationale ; l’histoire comme le souvenir de la tragédie furent conjointement mis au service de la lutte pour l’indépendance.

8Dans le nouveau cadre institutionnel de l’Irlande souveraine, pensée par ses fondateurs comme un gaelic state, la Famine est, au contraire, devenue un « lieu de mémoire » conflictuel. Si la tradition d’une histoire nationaliste, par bien des aspects érigée en mémoire nationale de l’événement, s’est perpétuée, elle fut alors radicalement contestée par les universitaires du courant révisionniste [6], partisans zélés d’une histoire expurgée de sa mythologie nationaliste.

9Enfin, depuis environ deux décennies, on assiste à la fois au renouvellement en profondeur de l’historiographie et du paysage mémoriel. Cette double inflexion a conduit à une nouvelle convergence entre histoire savante et mémoire publique de la Famine, dans un sens bien différent de celle qui l’avait précédée au XIXe siècle.

LA FAMINE, AU CœUR DE LA QUESTION NATIONALE (1848-1921)

10À la veille de la Famine, la pomme de terre constituait l’essentiel du régime alimentaire d’au moins la moitié de la population irlandaise, et plus d’un tiers en était largement dépendant. Dans ces conditions, l’apparition et la propagation du mildiou, un champignon qui fait pourrir les tubercules, a eu des conséquences dramatiques, dévastant un tiers de la récolte en 1845 et la quasi-totalité en 1846, puis en 1848. Toutefois, à elle seule, la maladie de la pomme de terre suffit-elle à expliquer la terrible famine qui décima l’Irlande entre 1846 et 1851 ? N’y a-t-il pas d’autres responsabilités à invoquer pour comprendre l’ampleur de la catastrophe ? Jusqu’au début des années 1920, les réponses apportées à ces interrogations fondamentales et récurrentes furent très largement dictées par le contexte politique des luttes successives pour l’autonomie ou l’indépendance de l’île.

Charles Edward Trevelyan formule la lecture officielle britannique

11Dès janvier 1848 paraissait The Irish Crisis [7], rédigé par un haut fonctionnaire britannique, Charles Edward Trevelyan (1807-1886), qui présentait son livre comme une histoire de la Famine sur le point de s’achever en Irlande. Secrétaire permanent au Trésor (ministère des Finances) au moment des faits, il fut chargé, à ce titre, de la gestion administrative de la Famine ; il joua un rôle déterminant dans l’orientation et l’organisation de l’action publique.

12Trevelyan était imprégné par les préjugés anti-irlandais et anticatholiques dominants. Pour lui, comme il s’en est largement expliqué dans sa correspondance plus encore que dans son livre, la déchéance contemporaine de l’Irlande s’expliquait d’abord par la décadence de son peuple : « Le grand mal contre lequel nous avons à nous défendre n’est pas physique, il est moral ; ce n’est pas la famine, c’est le caractère orgueilleux, intraitable et turbulent du peuple irlandais. » [8] Pour cet évangéliste fervent, la Famine représentait un mal « passager » et nécessaire, un acte de la Providence : « [Dieu] a envoyé cette calamité aux Irlandais pour leur servir de leçon, c’est pourquoi elle ne doit pas trop être atténuée. » [9] Au contraire, il voyait dans cette punition divine une « grande opportunité » à saisir pour hâter la transformation du système agraire irlandais qu’il appelait de ses vœux, c’est-à-dire le remplacement de la micro-exploitation et du landlordisme traditionnel par une agriculture plus moderne, calquée sur le modèle britannique, régulée par les lois du marché et du commerce [10].

13Face à la tragédie, Trevelyan adopta une ligne de conduite moraliste, en accord avec les principes de l’orthodoxie libérale : « L’Irlande n’est pas le seul pays qui aurait perdu son équilibre sous l’influence de l’attraction des fonds nationaux à discrétion. Ce faux principe ronge comme un chancre la santé morale, et la prospérité physique du peuple. » [11] Adepte du laissez-faire, il renâclait à entraver les lois du marché en faisant intervenir l’État. Toutefois, il ajoutait qu’aucun gouvernement n’avait jamais fait autant pour soulager les souffrances d’un peuple, exonérant ainsi les Britanniques de toute responsabilité dans la catastrophe : « [En 1847] depuis la reine sur son trône, jusqu’au galérien dans le bagne, tout le monde se retrancha dans sa dépense, et l’on s’imposa des privations pour grossir la souscription irlandaise. » [12] À ses yeux, la Famine était pourtant une affaire locale qui, à l’exception de courtes périodes particulièrement difficiles, ne devait pas constituer un trop lourd fardeau pour l’ensemble du Royaume-Uni. En revanche, c’était bien aux propriétaires terriens irlandais (les landlords) qu’incombait le devoir de « porter le poids de leurs propres pauvres » [13].

14The Irish Crisis fut le seul récit de la Famine rédigé par un haut fonctionnaire en charge de la gestion de la crise [14]. Il s’est imposé, dès sa parution, comme la lecture officielle de l’événement, et son auteur, en forme de récompense pour services rendus et pour sa contribution écrite, fut anobli en avril 1848. L’analyse de Trevelyan, qui consistait à justifier la politique britannique menée en Irlande pendant la Famine et à rationaliser, normaliser, expliquer la crise par ses causes irlandaises, naturelles ou divines, fut ensuite maintes fois reprise et enrichie en Grande-Bretagne. On en trouve de nombreux échos dans les discours politiques des élites à Londres – largement relayés dans l’opinion par la presse [15] –, au sein du Cabinet comme aux Communes, chez les Whigs comme chez les Tories [16].

15Charles Trevelyan, figure emblématique de la gestion britannique de la Famine, fut aussi une cible privilégiée pour les nationalistes irlandais, au premier rang desquels John Mitchel, qui s’appuya notamment sur The Irish Crisis pour parfaire sa démonstration.

John Mitchel, fer de lance nationaliste d’une historiographie de combat

16S’il ne fut pas le premier à esquisser les grandes lignes d’une histoire de la Famine prenant l’exact contre-pied de celle de Trevelyan, le journaliste et révolutionnaire John Mitchel (1815-1875) en est resté le propagateur le plus emblématique au XIXe siècle. Républicain, issu d’une famille presbytérienne nord-irlandaise, Mitchel n’a eu de cesse de dénoncer la domination britannique sur l’île verte. Favorable à la rébellion armée, ce qui le conduisit à rompre avec Daniel O’Connell, il fut arrêté en mars 1848 pour complot contre la sûreté de l’État (treason felony) et condamné à la déportation en Tasmanie, d’où il s’évada en 1853 pour rejoindre les États-Unis.

17En 1854, il publia Jail Journal [17], récit dans lequel il incluait la Famine dans une chaîne ininterrompue d’événements témoignant de la violence anglaise en Irlande depuis Cromwell. Quelques années plus tard, dans The Last Conquest of Ireland (Perhaps) [18], il renchérissait : « La version britannique de l’événement est d’abord une imposture, et ensuite un blasphème. Certes, le Tout-Puissant a envoyé le mildiou, mais ce sont bien les Anglais qui ont créé la Famine. » [19] En affirmant que l’Angleterre a sciemment refusé de sauver l’Irlande, alors qu’elle en avait le pouvoir et les moyens, John Mitchel décrit la Famine comme l’expression la plus contemporaine de l’intolérable oppression britannique et il présente la tragédie comme une « famine artificielle », causée non par le manque de nourriture mais par les choix britanniques.

18Il reprochait notamment à Trevelyan et au gouvernement de ne pas avoir empêché, au nom du libre-échange, les exportations des céréales irlandaises alors que le peuple agonisait. Pour lui, les Irlandais « sont morts de faim au milieu d’une abondance produite par leurs propres mains ». Cet argument choc est resté profondément ancré dans l’imaginaire nationaliste le plus radical. Poussé à l’extrême, son raisonnement aboutit à accuser les Britanniques d’avoir perpétré un génocide, d’avoir eu l’intention d’exterminer la population : « Un million et demi d’hommes, de femmes et d’enfants ont été soigneusement, prudemment et tranquillement assassinés par le gouvernement anglais. » Cette charge est servie par une rhétorique implacable et un sens de la formule à l’efficacité redoutable, alliage d’ironie et d’horreur, comme en témoigne l’extrait suivant : « Des femmes ayant perdu la raison commencèrent à manger leurs jeunes enfants qui, avant elles, avaient été emportés par la faim. Et pourtant des flottes entières de navires prenaient la mer à chaque marée, pour transporter du bétail et des grains irlandais en Angleterre. (...) Voilà ce que la liberté du commerce a apporté à l’Irlande. » [20]

Une « mémoire nationale » en construction

19L’historien James Donnelly a retracé avec précision l’archéologie de la mémoire publique de la Famine entre 1850 et 1900 [21], qui fait largement écho à la vision de l’histoire proposée par John Mitchel. Donnelly insiste en particulier sur l’exposition quasi obsessionnelle, dans la foisonnante littérature nationaliste au XIXe siècle, des preuves « irréfutables » de la culpabilité britannique, souvent associée à celle des propriétaires terriens [22].

20Le gouvernement de Sa Majesté fut le premier attaqué, en raison du soutien qu’il apporta aux pratiques jugées honteuses des landlords. Souvent Irlandais, ces derniers étaient fréquemment assimilés à des propriétaires anglais dans les écrits nationalistes. On reprochait aux autorités d’avoir participé à affamer le peuple en cautionnant les « exportations forcées » de produits irlandais, sous la pression des propriétaires terriens. L’État était aussi jugé complice des expulsions de masse (clearances), souvent perpétrées sous l’œil de ses représentants (police ou forces armées) à la demande d’un landlord ne percevant plus un loyer – au bas mot, sans doute 500 000 fermiers (tenants) furent victimes de ces evictions entre 1846 et 1854. Les nationalistes condamnaient également l’attitude de l’opinion publique britannique qui, face au drame de l’Irlande, oscillait entre l’indifférence coupable et la virulence des stéréotypes dégradants. À l’appui de leur démonstration, ils dénonçaient les premières caricatures simiesques diffusées par le journal satirique anglais Punch, ou encore le portrait de l’Irlandais incapable, indolent ou séditieux, dressé dans nombre d’éditoriaux du Times, en particulier après la rébellion avortée de 1848 [23].

21D’après James Donnelly, l’essentiel de cet argumentaire a été adopté par la plupart des militants nationalistes, qu’ils fussent partisans de la révolution armée ou de l’action constitutionnelle, qu’ils vécurent en Irlande ou en exil. Un « flux ininterrompu de livres et d’articles de journaux, déversé des deux côtés de l’Atlantique » [24], lui a servi de courroie de transmission, dont les principaux jalons furent – outre les ouvrages de Mitchel – les livres à succès des modérés John F. Maguire (1868) et Thomas P. O’Connor (1886), ou encore ceux des fenians révolutionnaires Jeremiah O’Donovan Rossa (1898) ou Michael Davitt (1904) [25]. Tous s’inscrivent dans la lignée des écrits du rebelle de 1848, en accentuant parfois encore le trait. Enfin, la littérature n’est pas en reste qui s’empare aussi du thème mitchélien, comme en témoigne par exemple ce célèbre extrait, tiré de Man and Superman, pièce de George Bernard Shaw rédigée en 1903 :

MALONE : Mon père est mort de faim en Irlande, durant cette horrible année de 47. Peut-être bien que vous avez entendu parler de cette année-là ?
VIOLETTE : La Famine ?
MALONE [avec une passion qui couve] : Non, non, pas la famine, mais la privation ? Quand un pays est plein de nourriture, et l’exporte, il ne peut pas y avoir de famine... On a fait mourir de faim mon père ! C’est la faim qui a chassé de l’Irlande ma mère et moi qui étais encore sur ses bras... La loi anglaise nous a chassé en Amérique, moi et les miens, loin de notre pays, de l’Irlande [26].

22Entre 1850 et 1920, les étapes de l’élaboration d’une mémoire nationaliste de la Famine sont alors en phase avec celles de la rédaction des premières histoires irlandaises de l’événement, à l’image de celle rédigée par Canon J. O’Rourke en 1874 [27], miroir négatif de la version officielle britannique. Construite contre la présence anglaise et pour servir la cause nationale, cette interprétation s’inscrit dans une tradition de haine de l’Angleterre et des landlords, déjà bien en place avant 1846 et qui est ensuite restée celle des fondateurs de l’État libre. D’abord façonnée par les journalistes, les hommes politiques ou les historiens, la mémoire nationaliste de la Famine a été ensuite renforcée, à partir du dernier tiers du siècle, par la propagation au sein des masses des thèmes du nationalisme culturel [28]. Elle a longtemps entravé sur le sol irlandais la diffusion et la médiatisation de lectures non nationalistes [29], ou même simplement non orthodoxes, de la Famine. Il a fallu attendre les années 1920-1930 pour que l’évolution des conditions historiques devienne propice à un décloisonnement de l’historiographie.

LA FAMINE, UN « LIEU DE MÉMOIRE » CONFLICTUEL DANS L’IRLANDE INDÉPENDANTE (ANNÉES 1920 - ANNÉES 1980)

23En effet, après l’indépendance et la Guerre civile (1921-1923), la problématique histoire/mémoire de la Famine a évolué. Les historiens du courant révisionniste, émergeant dans les années 1930, ont pu porter un regard critique sur le passé national sans être de facto assimilés à des traîtres à la patrie. La doxa nationaliste, désormais institutionnalisée, était devenue contestable. Ainsi, la Famine s’est imposée comme un « lieu de mémoire » (en Irlande mais aussi dans la diaspora), un mythe fondateur de la Nation ou de la communauté, mais qui aurait échoué à devenir consensuel.

John Mitchel confirmé

24En 1952, P. S. O’Hegarty, vétéran du combat républicain, écrivait : « Les faits concernant la calamité qui s’abattit sur l’Irlande en 1845 et les années qui suivirent sont clairement établis et ne font l’objet d’aucun débat. » [30] Jusqu’au milieu du XXe siècle au moins, selon la perspective illustrée ici par O’Hegarty, l’essentiel aurait déjà été dit et écrit sur la Famine depuis le XIXe siècle. L’héritage de l’interprétation de Mitchel est en effet sous-jacent dans la majorité des fictions et études historiques sur le sujet [31].

25En 1962, la parution de The Great Hunger [32], par Cecil Woodham-Smith, a déclenché une effervescence sans précédent. L’ouvrage, rédigé par une Anglaise, historienne « amateure » à succès, est devenu un best-seller sur les deux rives de l’Atlantique. Il fut largement traduit et demeure à ce jour le livre d’histoire irlandaise le plus vendu. En outre, The Great Hunger s’est imposé, jusqu’aux années 1990, comme la référence en matière d’historiographie nationaliste de la Famine. Fondé sur plusieurs années de recherches et des lectures nombreuses, le récit se distingue par le souci de rendre vivant et poignant le tableau tragique que l’auteure dépeint (la faim, la maladie, les expulsions, l’arrachement à la terre natale...), nouvel épisode de l’oppression britannique sur l’île verte : « Au cours de leur histoire, les Anglais se sont montrés capables de générosité, de tolérance et de magnanimité, sauf lorsqu’il s’agissait de l’Irlande. » Sur le plan interprétatif, l’ouvrage résonne aux mêmes sons que la mémoire publique, et Cecil Woodham-Smith d’insister sur les dégâts causés par l’application dogmatique de la doctrine du laissez-faire, sur la responsabilité et l’aveuglement des landlords non résidents, des autorités à Londres et de l’administration sur place. Elle concentre ses attaques les plus virulentes sur la personne de Charles E. Trevelyan, incarnation, presque romanesque, de la culpabilité anglaise : « À la trésorerie, montant la garde sur les sacs d’or de l’Empire britannique, se dressait la formidable figure de Charles Edward Trevelyan. (...) Il était d’une conscience et d’un zèle scrupuleux (...) mais tout, dans son caractère, l’opposait aux Irlandais. (...) En quelques mois, Trevelyan allait devenir en quelque sorte le dictateur du Secours irlandais. » Sur un ton certes plus policé que le véhément polémiste John Mitchel, et sans reprendre à son compte l’accusation de génocide – « tous ces malheurs n’étaient pas le résultat d’un plan concerté de destruction de la nation irlandaise », précise-t-elle –, elle martèle que les Britanniques ont scandaleusement laissé mourir de faim les Irlandais, à partir de l’été 1847.

26The Great Hunger a provoqué des réactions tranchées et passionnelles, témoignages du clivage alors bien institué entre ceux qui acceptaient et ceux qui désormais refusaient le discours dominant sur la Famine. Dans la presse, la plupart des comptes rendus furent enthousiastes, voire élogieux, à l’image de celui de l’historien A. J. P. Taylor, sommité intellectuelle de l’époque. Pour lui, les classes dirigeantes anglaises, du fait de leur aveuglement doctrinal, avaient le sang de 2 millions de personnes sur les mains. Et Taylor ajoutait – en se plaçant ainsi bien au-delà des conclusions du livre dont il rendait compte – que l’Irlande des années 1840 était comparable à un immense camp d’extermination [33] !

27Plus qu’aucun autre, le travail de Cecil Woodham-Smith a contribué, après la Seconde Guerre mondiale, à entretenir la lecture traditionnelle de l’événement au sein du grand public. Le flambeau a ensuite été repris, en particulier par l’historien Robert Kee, dans Ireland : A History [34]. Son travail servit de support à une série télévisée du même nom, diffusée sur la chaîne publique nationale, au cours de laquelle le gouvernement anglais était accusé d’avoir manqué à son devoir de protection vis-à-vis d’une partie du peuple en détresse. En 1982, avec Paddy’s Lament : Ireland, 1846-1847, Thomas Gallagher replongeait le lecteur dans les souffrances des victimes, dans le but de légitimer la haine persistante de leurs descendants envers les Britanniques [35].

John Mitchel contesté : l’histoire contre la mémoire ?

28Dans l’Irlande des années 1930, une nouvelle génération d’historiens investit les postes universitaires. Ces jeunes chercheurs ont proposé un nouveau discours de la méthode – qui n’est pas sans rappeler celui de l’école méthodique en France à la fin du XIXe siècle – afin de relever l’exigence scientifique de la profession. Appliquée au cadre spécifique de l’Irlande, cette entreprise s’est accompagnée d’une volonté affichée de réviser le discours historique dominant, considéré comme sclérosant, peu scrupuleux des règles du métier et trop enclin à juger plutôt qu’à expliquer. Au nom d’une approche moins manichéenne, qui se démarque des présupposés idéologiques (a « value-free history »), ils ont refusé d’envisager l’histoire de l’Irlande uniquement comme celle d’une victime de l’impérialisme britannique et du sectarisme protestant [36]. Pour Roy Foster, l’un de leurs plus illustres représentants actuels, ils ont au contraire, au fil des décennies, souligné la complexité de l’identité irlandaise et privilégié d’autres aspects des relations anglo-irlandaises, tels l’émigration, l’éducation, les transferts culturels... qui « ont pu influer sur le cours de l’histoire irlandaise de façon non moins décisive » que les rébellions successives ou les sacrifices des héros de la lutte nationale [37]. Briseur de mythes historiographiques, comme ils se plaisent eux-mêmes à se qualifier, les révisionnistes ont aussi fréquemment minimisé la place et l’influence de l’Angleterre – et, de ce fait, souvent la responsabilité britannique – dans le cours de l’histoire irlandaise.

29La revue Irish Historical Studies, fondée en 1938 par Theodore William Moody (1907-84) et Robert Dudley Edwards (1909-88), est devenue le lieu d’expression privilégié des idées révisionnistes, notamment dans la rubrique « Historical revisions » qui leur est spécifiquement consacrée. En position de force à l’Université, les tenants de ce courant historique se sont vite trouvés en décalage avec une opinion toujours imprégnée par les canons du « récit national » : à l’école, The Last Conquest of Ireland (Perhaps) de John Mitchel faisait partie des ouvrages recommandés par les autorités du nouvel État [38].

30Présents dans la plupart des champs de l’histoire, les révisionnistes se sont pourtant peu penchés sur le thème de la Famine, avant la publication de The Great Famine : Studies in Irish History, 1845-1852, ouvrage majeur, manifeste collectif publié sous la houlette de R. Dudley Edwards et T. Desmond Williams [39]. Moment fort de l’historiographie, cette étude était à l’origine une commande officielle du Taoiseach (Premier ministre), à l’époque le chef historique Eamon De Valera, dans la perspective du centenaire de la tragédie. Le livre ne fut publié qu’en 1956, au terme d’une décennie de gestation à rebondissements [40] ! Il déçut un De Valera plutôt favorable aux interprétations nationalistes et fut très apprécié du monde universitaire. Auprès du public, il connut un succès modéré, loin de l’enthousiaste qu’allait déclencher quelques années plus tard le livre de Cecil Woodham-Smith, souvent présenté comme son pendant nationaliste. Si elle ne fut pas strictement suivie au sein de chaque contribution, la ligne révisionniste était clairement annoncée dès l’introduction et confirmée dans la bibliographie où, cette fois, le classique de John Mitchel, The Last Conquest of Ireland (Perhaps), n’était pas référencé.

31En prenant le contre-pied de l’historiographie nationaliste et de la mémoire publique, The Great Famine a précisé l’argumentation révisionniste, qui consiste à réfuter l’accusation de génocide programmé et à réévaluer l’action des autorités britanniques, sans pour autant souscrire à l’analyse d’un Trevelyan. Pour les révisionnistes, les efforts accomplis par le gouvernement, bien qu’insuffisants et souvent inadaptés, furent loin d’avoir été négligeables, compte tenu de l’ampleur de la catastrophe naturelle [41]. Globalement, il en ressort l’image d’hommes plutôt actifs mais dépassés par une tâche insurmontable. Dans les années 1980, cet aspect de l’héritage est toujours revendiqué par des historiens de renom, tels Mary Daly ou Roy Foster [42].

32Au cours des années 1960-1970, la deuxième génération d’historiens révisionnistes a jeté un nouveau pavé dans la mare. Dans les travaux de Raymond D. Crotty et Louis M. Cullen [43], la Famine n’était plus envisagée comme un cataclysme (a watershed), ni comme un tournant décisif dans l’histoire irlandaise, mais simplement comme une crise régionale et un catalyseur, un accélérateur de tendances économiques et démographiques sur le long terme, consécutives au retard structurel de l’agriculture irlandaise, et déjà bien amorcées avant 1846. Ces travaux ont minimisé l’impact, l’ampleur et la portée de la Famine, au profit de la période qui l’avait précédée. Ce second étage, économique et sériel, de la fusée révisionniste a aussi été le plus violemment critiqué ; en effet, non seulement il impliquait de prendre l’histoire et la mémoire à rebrousse-poil mais, de surcroît, il conduisait à contester à la Famine son statut de lieu de mémoire.

La Famine : un sujet controversé... et sous-étudié

33Des années 1930 aux années 1980, la Famine aura donc été un objet d’étude non consensuel [44]. Si le nœud des désaccords entre les deux principaux courants historiographiques est avant tout idéologique, l’opposition frontale à la lecture nationaliste est aussi allée de pair, pour les révisionnistes, avec un besoin de reconnaissance de leur identité professionnelle en construction. En effet, la controverse sur le fond est indissociable de l’affirmation d’une technicité, d’une méthode de travail spécifique (et jugée supérieure) qui les distingue de leurs adversaires. Comme l’a rappelé Graham Davis, « dans une certaine mesure, des approches méthodologiques différentes produisent des interprétations différentes de la Famine » [45]. Le recours au quantitatif est à ce titre très révélateur. Convoqué pour démontrer la centralité de la période qui précède la Famine, il fut aussi un argument de choix pour justifier du caractère « scientifique », rigoureux et explicatif d’une démarche qui vise à comprendre le passé sans le caricaturer. Aux yeux des révisionnistes, cette orientation contraste avec le choix de la narration « littéraire », descriptive, plus passionnelle qu’analytique, d’une Cecil Woodham-Smith. C’est d’ailleurs le principal reproche que F. S. L. Lyons, grande figure du révisionnisme, a formulé à l’encontre de son livre, dans un compte rendu resté célèbre, où il invite qui veut « comprendre » à se tourner vers une « véritable » réflexion historique, soit The Great Famine de Edwards et Williams [46].

34Alors que les étudiants en histoire de University College, à Dublin, planchaient en 1963 sur le sujet suivant : « La Grande Famine [de Woodham-Smith] est un grand roman » [47], les défenseurs de l’approche nationaliste n’ont jamais désarmé. De leur point de vue, leurs adversaires produisaient une histoire désincarnée, déshydratée, déshumanisée à l’extrême. Et ces travers les conduisaient à marginaliser la tragédie humaine et à minimiser la responsabilité anglaise. Quant au recours au sériel et aux équations compliquées, les antirévisionnistes y voyaient d’abord un refuge savant, un moyen de développer, sous couvert de rigueur scientifique, une vision de l’histoire non dénuée d’a priori idéologiques [48]. L’essentiel des ces arguments a été repris en 1989 dans un brûlot antirévisionniste signé par l’historien Brendan Bradshaw [49]. Il y déclare que les révisionnistes ont échoué dans leur entreprise pour convaincre les Irlandais de leur version du passé, notamment parce qu’ils ont opté pour un ultrascepticisme virant à l’acharnement iconoclaste dans les années 1960-1970, et parce qu’ils ont refusé d’aborder de front les drames de l’histoire irlandaise, négligeant de ce fait les souffrances, les combats, les sacrifices de ceux qui ont libéré la nation. Pour Bradshaw, l’historiographie de la Famine révèle « peut-être plus qu’aucun autre épisode de l’histoire irlandaise l’incapacité des praticiens de la prétendue histoire impartiale à prendre en compte la dimension catastrophique du passé irlandais ». Il épingle notamment l’ « austérité clinique » du travail de Mary Daly.

35La charge est sans doute exagérée et, à bien des égards, critiquable. Cependant, en crevant l’abcès de manière provocante et en rappelant à quel point le fossé s’est élargi entre les historiens et le grand public, Brendan Bradshaw a eu le mérite de relancer le débat, de susciter une forme d’introspection [50] au sein de la profession et de décomplexer une nouvelle génération d’universitaires dont les travaux seront mis en valeur à partir des commémorations du cent-cinquantenaire. Toutefois, en amont de ce regain d’intérêt académique des années 1990, la Famine, sujet controversé, est restée paradoxalement négligée et sous-étudiée. En tout et pour tout, outre les deux ouvrages déjà présentés, cinq articles en cinquante ans dans Irish Historical Studies, et pas un seul dans Irish Economic and Social History entre 1974 et 1987 [51]. Pourquoi un tel « silence » [52] ?

36La réticence des universitaires révisionnistes à considérer la Famine comme un événement fondamental de l’histoire du pays et, au contraire, leur tendance à privilégier d’autres sujets d’études, d’autres périodes de l’histoire, ont sans nul doute été des éléments déterminants. L’inflexion de la mémoire publique de l’événement est aussi à prendre en compte. En effet, si les fondateurs de l’État libre avaient repris l’essentiel du credo de Mitchel, un changement de perspective est devenu sensible quelques années plus tard : la commémoration du centenaire de la Famine fut des plus discrètes, la priorité ayant alors été donnée à la célébration de la mémoire de Thomas Davis, héros du panthéon nationaliste, mort en 1845 [53]. L’État, soucieux de tourner la page d’une neutralité ambiguë pendant la Seconde Guerre mondiale, a privilégié en 1945 le souvenir d’un valeureux fils d’Erin, incarnation héroïque de l’honneur et de la vertu du peuple irlandais, plutôt que d’insister sur son passé de victime, thème qui avait pourtant, longtemps, fait figure de leitmotiv dans la rhétorique séparatiste. Enfin, il faut évoquer une troisième piste intéressante, avancée notamment par l’historienne Christine Kinealy. Elle estime qu’à partir des années 1960 le climat de guerre civile en Irlande du Nord a conduit nombre d’historiens à s’autocensurer, voire à se détourner du sujet Famine, de peur d’apparaître, en proposant une lecture trop critique de l’action du gouvernement britannique au milieu du XIXe siècle, comme des soutiens au terrorisme contemporain de l’IRA [54].

37À l’échelle de la société irlandaise, le passé national tel qu’il a été revisité par les professionnels de l’histoire est donc « très mal passé ». Des années 1930 aux années 1980, le fossé ne s’est jamais comblé. L’histoire universitaire de la Famine s’est (peu) développée en rupture avec la mémoire institutionnalisée, et donc à rebours d’une opinion toujours marquée par cette mémoire/histoire « officielle ». Une mémoire publique qui semble tout de même, au fil des décennies, avoir été désinvestie par les autorités. Comme si la Famine, dans l’Irlande post-1945, avait perdu une partie de sa signification politique et de sa portée symbolique.

REPENSER LA GRANDE FAMINE (DEPUIS LES ANNÉES 1990)

38À partir de la fin des années 1980, et plus encore dans les années 1990, la Famine a pourtant effectué un retour significatif sur le devant de la scène, à la faveur d’une évolution conjointe des problématiques historiennes et de la mémoire publique.

Les transformations du paysage mémoriel : le temps de la commémoration (1995-1998)

39En 1995, la commémoration du cent-cinquantenaire de la Famine s’est imposée comme une priorité en Irlande. Pourquoi ce retour en grâce après plusieurs décennies de purgatoire ? En postulant que « commémorer, c’est, au nom du passé, s’adresser aux hommes du présent pour exalter ce qui les lie et esquisser leur devenir commun » [55], quelques jalons peuvent être posés [56]. Dans une Irlande où la modernisation économique s’est accélérée au début des années 1990 – à tel point qu’on a qualifié l’île de Celtic tiger – et où le mode de vie urbain a pris le dessus, une crise des valeurs et de l’identité a touché une partie de la population, marquée par la disparition assez brutale de ses repères traditionnels. Dès lors, le besoin de se rassurer, de retenir et stabiliser un passé qui semblait irrémédiablement vouloir s’échapper a favorisé la recréation de « lieux de mémoire » symboliques. Mais comment réinventer ces lieux qui, comme la Famine, sont devenus nécessaires pour raffermir le lien social et entretenir le sentiment d’appartenance à un collectif national ? En cette fin de millénaire, quel sens a-t-on voulu accorder à la Famine ? De quoi a-t-on précisément souhaité retrouver le souvenir ?

40En République d’Irlande, l’impulsion et la ligne directrice ont été données par la puissance publique, émetteur central des commémorations, et en particulier par l’engagement personnel de la présidente Mary Robinson (1990-1997), dont la volonté politique a été de faire émerger une image-mémoire neuve de la Famine, axée sur la solidarité et la réconciliation – et non plus sur l’antagonisme et le déchirement – autour du souvenir de la tragédie. En effet, dans un contexte d’apaisement du conflit en Irlande du Nord (cessez-le-feu en 1994, Accords du Vendredi saint en 1998) et de coopération entre les deux États, il n’était plus question d’attiser par le souvenir officiel la haine antibritannique. En 1997, les excuses formulées par Tony Blair se sont inscrites dans la même logique d’apaisement. Le Premier ministre reconnaissait, au nom de son pays, que « ceux qui gouvernaient à Londres à cette époque ont manqué à leur devoir envers le peuple en n’intervenant pas, alors que la destruction des récoltes aboutissait à une terrible tragédie humaine » [57].

41En Irlande du Nord, où la mémoire mitchélienne est restée dominante chez les républicains, nombre de projets ont toutefois été conçus et menés sur une base non sectaire, dans l’espoir de faire émerger une « histoire commune » de la Famine [58]. Et c’est plutôt outre-Atlantique que l’inflexion donnée aux commémorations irlandaises a rencontré les oppositions les plus farouches. Les campagnes hostiles menées par l’Irish Famine/Genocide Committee basé à New York depuis 1995, les actions – couronnées de succès dans le New Jersey en 1996 – pour officialiser l’enseignement du « génocide irlandais » [59], ou encore la publication en ligne (en 1998) de The Great Starvation (1845-1852). An Irish Holocaust [60] témoignent d’une réaffirmation caricaturale des thèses de Mitchel. Une telle crispation s’inscrit dans le climat très actuel d’une course à la victimisation, où des membres de communautés (Noirs, Juifs, Irlandais) qui furent victimes de catastrophes humaines instrumentalisent la mémoire et se livrent à une concurrence malsaine afin de désigner quel groupe a le plus souffert [61].

42La seconde impulsion institutionnelle donnée aux commémorations a concerné l’ouverture sur le monde et l’expression de la solidarité irlandaise à l’égard des peuples aujourd’hui touchés par le fléau. Mary Robinson a visité la Somalie pendant la famine de 1992 et le Rwanda en 1994 ; l’État a soutenu et participé à des projets d’aide au développement en Éthiopie, en Érythrée, au Lesotho, etc. Si les usages humanitaires de la Famine sont d’évidence louables, ils posent la question des risques de brouillage avec ce que l’on est censé commémorer. Cormac Ó Gráda, spécialiste de l’histoire comparée des famines, a judicieusement mis en garde, en historien, contre les analogies parfois trop simplistes qui obscurcissent plus qu’elles n’éclaircissent notre compréhension [62].

43Au plus fort de la fièvre commémorative, la mémoire publique « rénovée » de la Famine a été mise en scène sous des formes variées. Parmi les nouveaux lieux de mémoire, le musée de Strockestown, ouvert en 1994, constitue sans doute à ce jour la meilleure synthèse entre l’histoire savante, la mémoire, le patrimoine et les famines actuelles. La Famine s’inscrit aussi dans le paysage par le biais de plaques commémoratives, de cimetières (famine graveyards) et de monuments du souvenir, telle la sculpture monumentale, inaugurée en 1997 à Murrisk, qui dessine la silhouette fantomatique de coffin ships sur lesquels les émigrants s’embarquaient vers l’Amérique du Nord ou encore celle, en ville cette fois, représentant les corps décharnés de sept individus hagards, errant le long des quais à Dublin [63]. En outre, le succès des Famine walks qui font cheminer les participants sur les lieux de la catastrophe et dans les pas des victimes, l’organisation de concerts et de grandes manifestations du souvenir (tel le « Great Famine Event » à Millstreet), l’implication de pop stars comme Sinéad O’Connor [64] ou encore le marketing autour de « pseudo-lieux de mémoire » ont conduit certains historiens à pointer du doigt les excès du « Faminism » et les risques de perte ou au moins de dilution du sens premier de la tragédie [65].

Mémoire/histoire : une nouvelle convergence

44Les commémorations reposent la question des rapports de l’historien avec la mémoire. Pendant le cent-cinquantenaire, la profession a été largement associée à l’événement [66]. L’occasion était offerte d’occuper le devant de la scène historiographique, marquée par une avalanche de publications. En outre, les historiens ont été sollicités par les pouvoirs publics [67] et les médias en qualité d’experts ou de conseillers. Les dangers inhérents à cette ambivalence entre le célébrateur et le chercheur ont été souvent pointés, notamment par Christophe Charle à propos du bicentenaire de la Révolution française, puisque cette « fonction commémorative risque toujours d’instrumentaliser l’historien, même si elle lui fournit en même temps une occasion d’illustrer son utilité sociale auprès d’un large public » [68]. Pourtant, l’examen de leurs productions indique que les historiens impliqués dans la vague commémorative des années 1990 ont assez bien navigué dans les eaux troubles de la médiatisation, en profitant de ses avantages sans reléguer au second plan le respect de la déontologie et les problématiques scientifiques.

45Si le rôle joué par l’histoire dans la construction de la mémoire « fin de siècle » de la Famine, telle qu’elle a été mise en scène pendant les commémorations de 1995-1998, est difficile à évaluer, il est cependant indéniable que le difficile dialogue entre histoire des historiens et mémoire publique a bien été renoué à cette occasion. Cette dynamique doit beaucoup à une nouvelle génération de chercheurs, pour la plupart impliqués dans les pratiques commémoratives déjà évoquées. Finalement, deux trajectoires convergentes : celle d’une histoire universitaire désenclavée, dite « postrévisionniste », et celle d’une mémoire publique moins étroitement nationaliste.

46La réaffirmation de la dimension cataclysmique de la Famine et de sa place centrale dans l’histoire européenne illustre cette réconciliation. Par son ampleur comme par son impact, « la Grande Famine n’a pas été une crise de subsistance ordinaire » [69]. Si, comme l’avaient bien montré les historiens économiques révisionnistes des années 1960, de nombreux processus étaient déjà amorcés avant la Famine (l’émigration, le déclin du gaélique, etc.), celle-ci constitua bien un tournant décisif. Elle a provoqué une série de bouleversements radicaux et de transformations majeures, dans des domaines aussi variés que la vie économique, les structures sociales, la démographie, la pratique religieuse ou l’orientation des choix politiques [70]. À contre-courant, Roy F. Foster soutenait toujours en 1989 que, « s’il y a un tournant dans l’histoire sociale et économique de l’Irlande au XIXe siècle, ce n’est pas 1846 mais plutôt 1815 et la rupture agricole consécutive à la fin des guerres napoléoniennes » [71].

47Le réexamen de la responsabilité britannique par les historiens postrévisionnistes a aussi beaucoup contribué au rapprochement avec la mémoire publique de la Famine. De nombreux chercheurs ont reposé la question, lancinante depuis le XIXe siècle, de la nature de la réponse britannique face à la catastrophe. La plupart des travaux se démarque désormais du credo révisionniste – qui, en l’occurrence, faisait largement écho aux conclusions de Trevelyan – selon lequel personne n’aurait pu faire mieux que l’État britannique pour soulager les maux de l’Irlande. Ils rejettent, d’autre part, l’accusation ultranationaliste de génocide. En effet, ils réfutent la thèse de l’intention meurtrière et lui préfèrent, à l’image de Peter Gray, celle d’une « négligence coupable » aux conséquences dramatiques.

48Dans Famine, Land and Politics : British Government and Irish Society, 1843-1850 [72], l’historien démontre que l’obsession idéologique des hommes de pouvoir et des élites britanniques a supplanté les attentions humanitaires. Il isole et analyse les éléments clés qui ont déterminé les choix et les priorités des contemporains : le respect dogmatique des principes de l’économie libérale, la force des préjugés nationaux, la certitude que les maux de l’Irlande proviennent d’une déficience morale du caractère irlandais et la conviction que la Famine découle d’un décret divin, « un châtiment de la Providence », envisagé comme un électrochoc nécessaire à l’indispensable transformation de la société irlandaise. La thèse de Peter Gray comporte un second volet très novateur. Il précise que l’essentiel de ce terreau intellectuel constituait un fonds commun transpartisan, dont il suit la trace au sein des multiples strates du pouvoir et de l’opinion publique éduquée britannique. Selon Peter Gray, l’image, fort répandue, d’un Trevelyan tout-puissant, imposant ses choix et ses directives à un gouvernement divisé, doit être largement nuancée. En effet, les réponses britanniques au problème irlandais auraient plutôt fait l’objet d’un large consensus, par-delà les clivages traditionnels, et le secrétaire permanent au Trésor n’aurait constitué qu’un maillon – certes décisif – dans le processus de décision.

Le postrévisionnisme : un nouveau paradigme ?

49Au cours des années 1990, un courant historiographique dit « postrévisionniste » – expression dont la paternité revient, semble-t-il, à Cormac Ó Gráda – s’est donc imposé en relativisant l’héritage et les prétentions à l’ « histoire impartiale » (value-free history) du courant révisionniste. Dans le même temps, ces historiens ont renouvelé l’approche nationaliste, en l’épurant de ses plus grossières exagérations, comme en témoigne leur distanciation critique avec les mythes les plus enracinés. Quand, par exemple, John Mitchel soutenait que les « exportations forcées » de denrées alimentaires irlandaises avaient créé la Famine [73], les chercheurs postrévisionnistes ont établi que l’interdiction d’exporter n’aurait comblé qu’un septième du déficit de nourriture au cours du terrible hiver 1846-1847, et ils ajoutent qu’à partir de 1847 les importations de grains étrangers sont devenues très largement supérieures aux exportations [74]. Globalement, s’ils estiment que nombre des dysfonctionnements pointés par Mitchel étaient bien réels, ils jugent nécessaire de les repenser, de les nuancer et de les reformuler [75], à l’exception de la thèse du génocide, unanimement qualifiée d’injustifiable.

50Peter Gray a largement contribué à creuser le sillon postrévisionniste. Il a ouvert la voie à des études qui ont affiné notre perception de l’attitude des Britanniques pendant la Famine, révélant notamment la prégnance du sentiment anti-irlandais [76]. En outre, ce courant historiographique a été nourri par des travaux marquants tel celui de Donal Kerr, A Nation of Beggars, qui revisite le rôle de la hiérarchie catholique et l’action des prêtres sur le terrain, ou celui de Robert Scally, The End of Hidden Ireland, ambitieux essai d’histoire sociale, irrigué par les apports de la microstoria [77]. Si le post-révisionnisme inaugure un temps d’apaisement, le débat historiographique n’est pas éteint. L’organisation et l’administration de l’aide sont par exemple au cœur des études menées en parallèle par Mary Daly et Christine Kinealy, dont les interprétations et les conclusions divergentes reflètent la persistance, dans certains domaines, du clivage révisionnisme/antirévisionnisme [78]. Ces dernières années ont aussi été marquées par la volonté de synthétiser les connaissances. The Great Irish Potato Famine, par James Donnelly, constitue en la matière la plus belle réussite ; il combine récit et analyse, et rend compte tant des dernières avancées que de la diversité des approches et des perspectives [79]. Ce foisonnement de la recherche conduit d’ailleurs à s’interroger sur la pertinence de l’expression « postrévisionnisme ». Le terme, proposé dans les années 1980 en réaction contre les tendances révisionnistes outrancières, n’est-il pas aujourd’hui trop réducteur ? Convient-il toujours pour refléter l’étendue, la variété et la richesse de la recherche actuelle ? Par bien des aspects, nombre d’études récentes sur la Famine, dites postrévisionnistes, pourraient tout aussi bien être qualifiées de postnationalistes !

51Ce renouvellement doit beaucoup aux impulsions de Cormac Ó Gráda, figure tutélaire de l’histoire de la Famine. D’abord historien économique, l’un des promoteurs de l’analyse quantitative dans les années 1970, son œuvre, depuis, dépasse largement ce seul cadre. Auteur d’ouvrages classiques sur le sujet – parmi lesquels le marquant Black’47 [80] –, à l’origine de vastes chantiers (individuels ou collectifs), à l’affût de nouvelles méthodes et d’approches innovantes, il envisage depuis plus de trois décennies la Famine comme un objet complexe, à aborder selon des perspectives multiples, afin de dépasser – sans les escamoter – les clivages traditionnels. Cormac Ó Gráda considère que nombre des avancées majeures de la recherche sur la Famine depuis deux décennies ont été le fruit d’initiatives pluridisciplinaires [81]. Il plaide, avec insistance, pour une plus grande ouverture en direction des sciences sociales, de la linguistique ou des études littéraires.

52« Confronter l’expérience irlandaise avec ce que l’on sait d’autres famines, passées et actuelles » constitue le second cheval de bataille de Ó Gráda qui, comme Marc Bloch avant lui, accorde à l’histoire comparée un puissant pouvoir explicatif [82]. Les études transnationales menées par Ó’Gráda et ses collaborateurs ont d’abord confirmé l’ampleur de l’événement irlandais à l’échelle de l’histoire mondiale des famines. Rares furent en effet les famines, anciennes ou plus récentes, aussi longues et meurtrières [83] que celle qui a frappé l’Irlande. De surcroît, dès lors que l’on rapporte le nombre de victimes à la population totale du pays concerné, seule la famine qui sévit en Russie entre 1918 et 1922 dépasse le macabre record établi en Irlande au milieu du XIXe siècle, quand un huitième des habitants de l’île succomba aux effets de la Famine. En second lieu, les études comparatives ont pointé un paradoxe. À la différence de la plupart des famines contemporaines dans le Tiers Monde, la tragédie irlandaise des années 1840 s’est déroulée sur un territoire relativement tranquille et pacifié, doté d’un système de communication assez développé, d’une administration bien rôdée et sans doute moins corrompue qu’ailleurs. Dès lors, comment expliquer l’ampleur du cataclysme qui a touché l’une des régions du royaume le plus riche du monde ? Pour Cormac Ó’Gráda, qui rejoint sur ce point les conclusions de Peter Gray dans Famine, Land and Politics, le choix idéologique de limiter l’intervention de l’État britannique a amplifié la dimension catastrophique de la crise. Peter Gray, lui aussi engagé sur le terrain de cette histoire croisée des famines, a confirmé, à partir d’exemples pris au XIXe siècle (la Belgique en 1845, l’Inde des années 1876-1879), que le degré d’implication de l’État constitue bien une variable déterminante [84].

53Parmi les domaines récemment enrichis, il faudrait aussi signaler l’histoire locale et celle, largement débattue, de l’émigration [85]. En outre, l’ouverture vers de nouveaux sujets est illustrée par les études sur la médecine et les maladies (famine fever, typhus, dysenterie, choléra...) qui ont décimé la population entre 1846 et 1851 [86], et par les travaux sur les femmes et la Famine, dans une conjoncture historiographique irlandaise marquée par l’émergence d’une histoire des femmes et des rapports entre les sexes [87].

54Dans l’Europe du milieu du XIXe siècle, le cataclysme qui s’abat sur l’Irlande en 1846 résonne comme un anachronisme qui vient perturber la marche sereine de la civilisation vers le progrès et la modernité. En 1851, après six années terribles, l’événement cède la place à la mémoire et à l’histoire. Dès lors, la Famine se construit dans l’entrelacs entre ces deux modes distincts de questionnement et de sélection dans le passé.

55L’historiographie de la Famine, tout comme sa mémoire, sont aujourd’hui des objets d’histoire, qui rendent compte de l’évolution des rapports, souvent obsessionnels et très conflictuels, que les Irlandais entretiennent avec leur passé. Lorsque, au XIXe siècle, le sort de la Nation était en jeu, histoire et mémoire se sont rejointes pour alimenter le même « récit national », la Grande Famine s’affirmant comme le paradigme contemporain des siècles d’oppression et d’impérialisme britanniques en Irlande. Quand, à partir des années 1920, la situation politique n’a plus impliqué une telle unanimité, la déconnexion s’est opérée et l’histoire des historiens s’est développée à l’écart, souvent en rupture avec la mémoire publique, nationale, de la Famine. Depuis une quinzaine d’années, les mutations socio-économiques et le processus de paix engagé en Irlande du Nord ont contribué à modifier le rapport des Irlandais à leur histoire et grandement favorisé la réconciliation entre producteurs d’histoire et entrepreneurs de mémoire.

56Notre questionnement initial autour des relations entre l’histoire et la construction de la mémoire de la Famine trouve un prolongement naturel dans la vaste problématique du rôle social de l’historien et de sa place dans le débat public. Aujourd’hui, un large consensus (provisoire ?) semble avoir émergé en Irlande : la Famine fut d’abord une catastrophe écologique sans précédent – un terrible accident qui détruisit l’élément essentiel du régime alimentaire des paysans irlandais plusieurs années consécutivement –, fortement aggravée par les réponses inadéquates et insuffisantes des autorités britanniques, dictées par l’ « obsession dogmatique » [88], l’orthodoxie économique, le providentialisme et les stéréotypes nationaux. Toutefois, la diffusion de ce savoir hors des cercles académiques ne semble pas encore assez efficace pour tordre le coup au fantasme du génocide perpétré par le gouvernement britannique [89]. Cette ultime remarque incite à ne pas perdre de vue que l’une des fonctions sociales de l’historien réside dans sa capacité à aiguiser la vigilance et l’esprit critique. L’historien n’est sûrement pas un phare, mais peut-être une balise, utile pour alerter sur les falsifications, les discours tronqués sur le passé et l’instrumentalisation de la mémoire.

Notes

  • [1]
    Gerald Keegan, Famine Diary : Journey to a New World, édité et présenté par James J. Mangan, Dublin, Wolfhound Press, 1991, 144 p.
  • [2]
    Jim Jackson, Famine Diary. The making of a best Sellar, Irish Review, 11, 1991-1992, p. 1-8.
  • [3]
    Henry Rousso, Le syndrome de Vichy, de 1944 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2e éd., 1990 (1987), 414 p. Cet article est né d’un intérêt croisé pour deux objets d’étude au premier abord bien distincts : la Grande Famine irlandaise, d’une part ; la question des relations entre histoire et mémoire, de l’autre. À la confluence des deux thématiques, ma réflexion est nourrie des problématiques françaises qui, depuis une trentaine d’années, ont justement renouvelé l’approche des rapports entre mémoire, identité et histoire. Parmi les jalons importants : Philippe Joutard, La légende des Camisards : une sensibilité au passé, Paris, Gallimard, 1977 ; Pierre Nora (éd.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984-1992, 7 vol. (notamment les introductions et conclusions programmatiques de Pierre Nora) ; Jean-Clément Martin, La Vendée de la mémoire : 1800-1980, Paris, Le Seuil, 1989 ; Benjamin Stora, La gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 1991 ; François Bédarida, La mémoire contre l’histoire, Esprit, no 7, juillet 1993, p. 7-13 ; Tzvetan Todorov, Les abus de la mémoire, Paris, Arléa, 1995 ; Henry Rousso (entretien avec Éric Conan), La hantise du passé, Paris, Textuel, 1998 ; Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Le Seuil, 2000. J’ajoute que Peter Gray, spécialiste irlandais de la Famine, fait plusieurs fois référence aux textes (traduits) de Pierre Nora dans l’introduction du récent ouvrage : Peter Gray, Oliver Kendrick (eds), The Memory of Catastrophe, Manchester, Manchester University Press, 2004.
  • [4]
    L’expression est employée par James S. Donnelly Jr., The construction of the memory of the Famine in Ireland and the Irish diaspora, 1850-1900, Éire-Ireland, XXXI, no 1-2, été 1996, p. 26-61, article repris dans Id., The Great Irish Potato Famine, Phoenix Mill, Sutton, 2001, 292 p., p. 209-243.
  • [5]
    La folk memory, entendue comme mémoire/transmission orale et populaire de l’événement, a notamment été étudiée par Cathal Póirtéir (ed.), Famine Echoes, Dublin, Gill & Macmillan, 1995, à partir d’une relecture des entretiens recueillis par l’Irish Folklore Commission, dans les années 1930-1950, auprès des descendants des contemporains de la Famine. Sur le débat, fourni, autour des usages historiens de cette source et des limites de celle-ci, voir Mary Daly, Historians and the Famine : A beleaguered species ?, Irish Historical Studies, XXX, no 120, 1997, p. 591-601, Cormac Ó Gráda, Black’47 and beyond. The Great Irish Famine in History, Economy, and Memory, Princeton, Princeton University Press, 1999, 302 p., chap. 6, et Niall Ó Ciosáin, Famine memory and the popular representation of scarcity, dans History and Memory in Modern Ireland, Ian McBride (ed.), Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 95-117.
  • [6]
    Le courant historiographique « révisionniste » irlandais dont il est question dans cet article n’a absolument rien à voir avec les « révisionnistes-négationnistes » français dénoncés par Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire. Un « Eichmann de papier » et autres essais sur le révisionnisme, Paris, La Découverte, 1991.
  • [7]
    Charles E. Trevelyan, The Irish Crisis, Londres, Longman & Co., 1848, 201 p. Le texte original a d’abord paru dans The Edinburgh Review, 87, no 175, janvier 1848, p. 229-320. Les citations sont extraites de la version française : Id., Histoire de la famine d’Irlande en 1845, 1846 et 1847, Auxerre, Impr. Gallot, 1849, 152 p.
  • [8]
    Lettre de C. E. Trevelyan au colonel Jones, 2 décembre 1846, citée par Cecil Woodham-Smith, The Great Hunger : Ireland, 1845-1849, Londres, H. Hamilton, 1962, 510 p. La citation est extraite de la version française : Id., La Grande Famine d’Irlande, 1845-1849, Paris, Plon, 1965, 275 p., p. 112-113.
  • [9]
    Lettre de C. E. Trevelyan, 6 octobre 1846, citée par Jenifer Hart, Sir Charles Trevelyan at the Treasury, English Historical Review, no 75, 1960, p. 92-110. Sur le providentialisme, voir aussi dans Charles E. Trevelyan, Histoire de la famine, op. cit., p. 152.
  • [10]
    Ibid., p. 24-26, 122 et 149.
  • [11]
    Ibid., p. 138-139.
  • [12]
    Ibid., p. 91 (pour la citation) et 146-147.
  • [13]
    Ibid., p. 85 (pour la citation) et 117-118.
  • [14]
    Christine Kinealy, A Death-Dealing Famine : The Great Hunger in Ireland, Londres, Pluto Press, 1997, 192 p., p. 4.
  • [15]
    Voir, par exemple, dans The Times, 23 et 26 mars 1847. Leslie A. Williams, Daniel O’Connell, the British Press and the Irish Famine : Killing Remarks, Aldershot, Ashgate, 2003, 380 p. Le chapitre 11 est une lecture commentée de The Irish Crisis.
  • [16]
    Voir Peter Gray, Famine, Land and Politics : British Government and Irish Society, 1843-1850, Dublin, Irish Academic Press, 1999, 384 p. Dans un ouvrage récent, en décalage avec la plupart des travaux, Robin Haines réévalue l’action menée par Trevelyan en Irlande et critique la « diabolisation » du personnage dans l’historiographie. Robin F. Haines, Charles Trevelyan and the Great Irish Famine, Dublin, Four Courts Press, 2003, 606 p.
  • [17]
    John Mitchel, Jail Journal, or Five Years in British Prisons, New York, au bureau du Citizen, 1854, 370 p.
  • [18]
    Id., The Last Conquest of Ireland (Perhaps), Glasgow, Cameron & Ferguson, 1861 (d’abord publié en 1858-1859 dans le journal américain Southern Citizen). Les références aux citations qui suivent proviennent de la réédition : Dublin, UCd Press, 2005, 221 p.
  • [19]
    Ibid., p. 218-219, pour les trois citations suivantes.
  • [20]
    Ibid., p. 120-121. Sur la rhétorique de Mitchel, voir Christopher Morash, Writing the Irish Famine, Oxford-New York, Clarendon Press, 1995, 213 p., p. 52-75. Morash montre à quel point le discours mitchélien s’est construit en rupture avec la continuité historique et l’idée de progrès qui irriguaient le livre de Trevelyan et ceux des historiens libéraux britanniques de la seconde moitié du XIXe siècle.
  • [21]
    James S. Donnelly Jr., The Great Irish Potato Famine, op. cit. (n. 4), p. 209-243. Avant lui, Patrick O’Farrell avait ouvert la voie dans Patrick O’Farrell, Whose reality ? The Irish Famine in history and literature, Historical Studies, 20, 1982, p. 1-13.
  • [22]
    Ajoutons, pour compléter ce panorama des responsabilités de la catastrophe selon la vulgate nationaliste républicaine au XIXe siècle, que Daniel O’Connell et le clergé catholique furent aussi stigmatisés pour avoir encouragé le peuple irlandais à la résistance passive, à des actions légales et non violentes contre l’occupant.
  • [23]
    L. Perry Curtis Jr., Apes and Angels : The Irishman in Victorian Caricature, Londres, Smithsonian Institution, 1997 (1re éd., 1971). Pour une interprétation plus nuancée, voir la critique de ce livre formulée par Roy F. Foster, Paddy and Mr. Punch. Connections in Irish and English History, Londres, Allen Lane, 1993, chap. 9.
  • [24]
    James S. Donnelly Jr., The Great Irish Potato Famine, op. cit. (n. 4), p. 215.
  • [25]
    John F. Maguire, The Irish in America, Londres, Longmans, Green & Co., 1868, 653 p. ; Thomas P. O’Connor, The Parnell Movement, Londres, K. Paul, Trench & Co., 1886, 574 p. ; Jeremiah O’Donovan Rossa, Rossa’s Recollections, 1838-1898, New York, Mariner’s Harbour, 1898, 410 p. ; Michael Davitt, The Fall of Feudalism in Ireland, Londres, Harper, 1904, 750 p.
  • [26]
    George Bernard Shaw, Man and Superman, 1903. Citation extraite de la version française : Id., L’homme et le surhomme, traduit par A. et H. Hamon, Paris, E. Figuière, 1912, 173 p., p. 126.
  • [27]
    Canon John O’Rourke, The History of the Great Irish Famine of 1847, with Notices of Earlier Irish Famines, Dublin, M’Glashan & Gill, 1874, 559 p.
  • [28]
    Notamment le projet, porté par Douglas Hyde, de resourcement identitaire par la « dé-anglicisation » de l’Irlande et le revival, en parallèle, d’une littérature, de loisirs, de sports « typiquement » gaéliques. Voir Maurice Goldring, Pleasant the Scholar’s Life. Irish Intellectuals and the Construction of the Nation State, Londres, Serif, 1993, 189 p.
  • [29]
    La postérité de l’analyse progouvernementale et providentialiste de Trevelyan, essentiellement circonscrite à la Grande-Bretagne, a été récemment soulignée par Peter Gray, The making of mid-Victorian Ireland ? Political economy and the memory of the Great Famine, dans Victoria’s Ireland ? Irishness and Britishness, 1837-1901, Peter Gray (ed.), Dublin, Four Courts Press, 2004, 188 p.
  • [30]
    Patrick Sarsfield O’Hegarty, A History of Ireland under the Union, 1801 to 1922, Londres, Methuen, 1952, 812 p., p. 291.
  • [31]
    Voir Christopher Morash, Writing the Irish Famine, op. cit. (n. 20), p. 40-55.
  • [32]
    Cecil Woodham-Smith, The Great Hunger, op. cit. (n. 8). Les trois citations qui suivent sont extraites de la version française, p. 273, 46-47 et 272.
  • [33]
    A. J. P. Taylor, Genocide, New Statesman, 23 novembre 1962, p. 741-742, compte rendu de Cecil Woodham-Smith, The Great Hunger, op. cit. (n. 8).
  • [34]
    Robert Kee, Ireland : A History, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1980, 256 p.
  • [35]
    Thomas Gallagher, Paddy’s Lament : Ireland, 1846-1847. Prelude to Hatred, New York, Harcourt Brace Jovanovich, 1982, 345 p. Sur cet ouvrage comme sur la série télévisée précédemment citée, voir l’analyse de Graham Davis, Historiography of the Famine, dans The Irish Worldwide : History, Heritage, Identity, vol. 6 : The Meaning of the Famine, Patrick O’Sullivan (ed.), Londres, Leicester University Press, 1996, 266 p., p. 18.
  • [36]
    Sur le projet initial des révisionnistes, voir leur manifeste, publié dans Irish Historical Studies, no 1, 1938, p. 1-3, et la contribution de Ciaran Brady, Constructive and instrumental : The dilemna of Ireland’s first new historians, dans Interpreting Irish History : The Debate on Historical Revisionism, 1938-1994, Ciaran Brady (ed.), Dublin, Irish Academic Press, 1994, 348 p., p. 3-31.
  • [37]
    Roy F. Foster, Paddy and Mr. Punch, op. cit. (n. 23), introd. p. XI et p. 16 ; Id., The Irish Story : Telling Tales and Making it up in Ireland, Londres, Allen Lane, 2001, chap. 2, « Theme-parks and histories », p. 23-36.
  • [38]
    James S. Donnelly Jr., The Great Irish Potato Famine, op. cit. (n. 4), p. 40.
  • [39]
    Robert Dudley Edwards, Thomas Desmond Williams (eds), The Great Famine : Studies in Irish History, 1845-1852, Dublin, Browne & Nolan, 1956, 517 p.
  • [40]
    Cormac Ó Gráda, « Making history » in Ireland in the 1940s and 1950s : The saga of The Great Famine, Irish Review, no 12, 1992, p. 87-107.
  • [41]
    Voir, notamment, Kevin B. Nowlan, The political background, et Thomas P. O’Neill, The organisation and administration of relief, 1845-1852, dans The Great Famine, Robert Dudley Edwards et Thomas Desmond Williams (eds), op. cit.
  • [42]
    Mary Daly, The Famine in Ireland, Dundalk, Dundalgan Press, 1986, 138 p., notamment p. 113 ; Roy F. Foster, Modern Ireland, 1600-1972, Londres, Penguin, 1989 (1re éd., 1988), 688 p., chap. 14.
  • [43]
    Raymond D. Crotty, Irish Agricultural Production : Its Volume and Structure, Cork, Cork University Press, 1966, 384 p. ; Louis M. Cullen, An Economic History of Ireland since 1660, Londres, Batsford, 1972, 208 p., p. 132.
  • [44]
    Outre de nombreux articles, deux ouvrages collectifs rendent bien compte des débats qui, depuis les années 1930, ont traversé l’historiographie irlandaise en général, et celle de la Famine en particulier : Ciaran Brady (ed.), Interpreting Irish History, op. cit., et D. George Boyce et Alan O’Day (eds.), The Making of Modern Irish History. Revisionism and the Revisionist Controversy, Londres, Routledge, 1996, 245 p.
  • [45]
    Graham Davis, Historiography, op. cit., p. 16.
  • [46]
    Frances Stewart Leland Lyons, compte rendu de Cecil Woodham-Smith, The Great Hunger, op. cit. (n. 8), Irish Historical Studies, XIV, no 53, mars 1964, p. 77-79.
  • [47]
    Cormac Ó Gráda, The Great Irish Famine, Dublin, Gill & Mcmillan, 1989, 87 p., p. 10-11.
  • [48]
    Voir les contributions de Desmond Fennell, Against revisionism, et Kevin O’Neill, Revisionist Milestone, dans Interpreting Irish History, Ciaran Brady (ed.), op. cit., p. 183-190 et 217-221.
  • [49]
    Brendan Bradshaw, Nationalism and historical scholarship in modern Ireland, Irish Historical Studies, XXVI, no 104, novembre 1989, p. 329-351.
  • [50]
    Expression utilisée par Peter Gray, Memory and the commemoration of the Great Irish Famine, dans The Memory of Catastrophe, Peter Gray et Kendrick Oliver (eds), op. cit. (n. 3), p. 50.
  • [51]
    Cormac Ó Gráda cite ces chiffres dans Ireland before and after the Famine : Explorations in Economic History, 1800-1925, Manchester, Manchester University Press, 1988, 179 p., p. 78.
  • [52]
    Même si cette impression de « silence » doit sans doute être nuancée, comme le souligne Niall Ó Ciosáin, Was there « silence » about the Famine ?, Irish Studies Review, no 13, hiver 1995, p. 7-10.
  • [53]
    Peter Gray, Memory and the commemoration, op. cit. (n. 3), p. 50.
  • [54]
    Christine Kinealy, A Death-Dealing Famine, op. cit. (n. 14), p. 10-11, et Id., Beyond revisionism. Reassessing the Irish Famine, History Ireland, hiver 1995, p. 28-34.
  • [55]
    Patrick Garcia, Le bicentenaire de la Révolution française. Pratiques sociales d’une commémoration, Paris, CNRS, 2000, 354 p., p. 23.
  • [56]
    Voir en particulier, dans Peter Gray, Memory and the commemoration, op. cit. (n. 3), p. 48-49.
  • [57]
    Discours de Tony Blair, The Times, 2 juin 1997, p. 4, art. : Blair blames Britain for Irish Famine deaths.
  • [58]
    Peter Gray, Memory and the commemoration, op. cit. (n. 3), p. 57-59.
  • [59]
    L’exposé détaillé des objectifs, des cours et des activités proposés aux élèves dans le cadre de The Great Irish Famine Curriculum (New Jersey) est consultable sur Internet : wwwwww. nde. state. ne. us/ SS/ irish_famine. html.
  • [60]
    À l’adresse suivante : wwwwww. geocities. com/ capitolhill/ lobby/ 4285/ hunger/ hunger. html.
  • [61]
    Cette concurrence victimaire a été bien mise en évidence par Peter Novick, L’Holocauste dans la vie américaine, Paris, Gallimard, traduit de l’anglais, 2001, 434 p., et par Jean-Michel Chaumont, La concurrence des victimes : génocide, identité, reconnaissance, Paris, La Découverte, 1997, 380 p.
  • [62]
    Cormac Ó Gráda, The Great Famine and today’s famines, dans The Great Irish Famine, Cathal Póirtéir (ed.), Cork, Mercier Press, 1995, 283 p., p. 248-258.
  • [63]
    Pour un exposé plus détaillé (et en français) sur les lieux de mémoire de la Famine, voir Jean Guiffan, Les lieux de mémoire de la Grande Famine, dans Irlande : écritures et réécritures de la Famine, Claude Fiérobe et Bertrand Cardin (éd.), Caen, PUC, 2006.
  • [64]
    Sur l’album Universal Mother (1994) de Sinéad O’Connor, on trouve la chanson « Famine », au texte très marqué par la lecture nationaliste issue du XIXe siècle.
  • [65]
    Roy F. Foster, Theme-parks, op. cit. (n. 37), p. 28-31.
  • [66]
    Cormac Ó Gráda, Making famine history in Ireland in 1995, History Workshop Journal, no 42, automne 1996, p. 87-104.
  • [67]
    Un cycle de conférences a notamment été organisé par des institutions officielles (Teagasc et UCd) en 1995 et a ensuite été publié : Cormac Ó Gráda (ed.), Famine 150 : Commemorative Lecture Series, Dublin, Teagasc-UCd, 1997, 178 p.
  • [68]
    Christophe Charle, être historien en France : une nouvelle profession ?, dans L’histoire et le métier d’historien en France, 1945-1995, François Bédarida (éd.), Paris, Éd. de la MSH, 1995, 438 p., p. 42.
  • [69]
    Peter M. Solar, The Great Famine was no ordinary subsistence crisis, dans Famine : The Irish Experience, 900-1900. Subsistence Crises and Famine in Ireland, Margaret Crawford (ed.), Édimbourg, John Donald, 1989, p. 112-131.
  • [70]
    Voir, notamment, Cormac Ó Gráda, Black’47 and beyond, op. cit. (n. 5), chap. 7, Líam Kennedy, Paul S. Ell, E. M. Crawford et L. A. Clarkson, Mapping the Great Irish Famine : A Survey of the Famine Decades, Dublin, Four Courts Press, 1999, 220 p., et la récente synthèse de Laurence M. Geary et Margaret Kelleher (eds), Nineteenth-Century Ireland. A Guide to Recent Research, Dublin, UCd Press, 2005, 340 p. Kevin H. O’Rourke, Did the Great Irish Famine matter ?, Journal of Economic History, 51, mars 1991, p. 1-22, souligne la transformation radicale du paysage agricole et l’inversion du ratio terres cultivées (qui dominaient avant la Famine) / pâturages. Sur le plan politique, la Famine a largement contribué à amorcer la convergence entre les revendications agraires et les exigences plus strictement nationalistes, qui a conduit en 1879 à la création de l’Irish National Land League, sous la houlette de Charles Stewart Parnell.
  • [71]
    Roy F. Foster, Modern Ireland, op. cit. (n. 42), p. 318.
  • [72]
    Peter Gray, Famine, Land and Politics, op. cit. (n. 16). Du même auteur, un article synthétique utile : Id., The triumph of dogma : The ideology of famine relief, History Ireland, vol. 3, no 2, été 1995, en libre accès sur wwwwww. historyireland. com.
  • [73]
    John Mitchel, The Last Conquest of Ireland, op. cit. (n. 18), p. 112 et 218-219.
  • [74]
    Peter M. Solar, The Great Famine, op. cit., et Austin Bourke, The Visitation of God ? : The Potato and the Great Irish Famine, édité par Jacqueline Hill et Cormac Ó Gráda, Dublin, Lilliput Press, 1993, 230 p.
  • [75]
    Voir les travaux de James Donnelly, de Peter Gray ou de Cormac Ó Gráda qui confirment l’insuffisance chronique de l’aide gouvernementale, le refus britannique de considérer la Famine comme un problème à l’échelle du royaume, les conséquences négatives des exportations de 1846, puis de la mise en place de l’Amended Poor Law de 1847, inadaptée aux conditions irlandaises.
  • [76]
    Frank Neal, Black’47 : Britain and the Famine Irish, Basingstoke, Macmillan Press, 1998, 292 p. ; Edward G. Lengel, The Irish through British Eyes. Perceptions of Ireland in the Famine Era, Westport (Conn.), Praeger, 2002, 184 p. ; Leslie A. Williams, Daniel O’Connell, op. cit. (n. 15).
  • [77]
    Donal A. Kerr, « A Nation of Beggars » ? Priests, People and Politics in Famine Ireland, 1846-1852, Oxford, Clarendon Press, 1994, 370 p. ; Robert J. Scally, The End of Hidden Ireland : Rebellion, Famine, and Emigration, Oxford, Clarendon Press, 1995, 266 p.
  • [78]
    Mary Daly, The operation of famine relief, 1845-1847, dans The Great Irish Famine, Cathal Póirtéir (ed.), op. cit. (n. 62), p. 123-134 ; Christine Kinealy, This Great Calamity : The Irish Famine, 1845-52, Dublin, Gill & Mcmillan, 1994, 450 p., et Id., A Death-Dealing Famine, op. cit. (n. 14). Sur le fond du désaccord, voir les comptes rendus des ouvrages de Christine Kinealy par Mary Daly, Historians and the Famine, op. cit. (n. 5), et par L. A. Clarkson, sur le site internet History in Focus (((((www. history. ac. uk/ ihr/ Focus/ Victorians/ clarkson. html),suivi de la réponse pour le moins énergique de Christine Kinealy ((((www. history. ac. uk/ ihr/ Focus/ Victorians/ kinealy. html).
  • [79]
    James S. Donnelly Jr., The Great Irish Potato Famine, op. cit. (n. 4).
  • [80]
    Cormac Ó Gráda, Black’47 and beyond, op. cit. (n. 5).
  • [81]
    En témoigne la récente publication dirigée par Cormac O’Gráda, Ireland’s Great Famine. Interdisciplinary Perspectives, Dublin, UCd Press, 2005. Voir aussi Christopher Morash et Richard Haynes (eds), « Fearful Realities » : New Perspectives on the Famine, Dublin, Irish Academic Press, 1996, 180 p., ainsi que les ouvrages collectifs déjà cités dirigés par Cathal Póirtéir en 1995.
  • [82]
    Cormac Ó Gráda, The Great Famine and today’s famines, op. cit. (n. 62) ; Id., The Great Famine and other famines, dans Famine 150, Cormac Ó Gráda (ed.), op. cit. (n. 67), et Id., Black’47 and beyond, op. cit. (n. 5), introd., p. 9 pour la citation.
  • [83]
    Dans la catégorie des famines qui avoisinent ou dépassent le million de victimes, Cormac Ó Gráda recense les cas suivants : la Russie soviétique (1918-1922), l’Ukraine (1932-1933), le Bengale (1943-1944), la Chine (1959-1962), le Biafra (1968-1970) et l’Éthiopie (au milieu des années 1980), Id., Black’47 and beyond, op. cit. (n. 5), introd., p. 5.
  • [84]
    Voir, notamment, Peter Gray, Famine relief in comparative perspective : Ireland, Scotland and North-Western Europe, 1845-1849, Eire-Ireland, 32 (1), 1997, p. 86-108, et Id., Famine and land in Ireland and India, 1845-1880 : James Caird and the political economy of hunger, Historical Journal, 49, 2006, p. 193-215.
  • [85]
    Voir, dans une bibliographie foisonnante, la synthèse de Joseph J. Lee, The Irish diaspora in the nineteenth century, dans Nineteenth-Century Ireland, Laurence M. Geary et Margaret Kelleher (eds), op. cit. (n. 70), p. 182-222.
  • [86]
    Voir, par exemple, Laurence M. Geary, What people died of during the Famine, dans Famine 150, Cormac Ó Gráda (ed), op. cit. (n. 67), p. 95-111.
  • [87]
    David Fitzpatrick, Women and the Great Famine, dans Gender Perspectives in Nineteenth-Century Ireland : Public and Private Spheres, Margaret Kelleher et James H. Murphy (eds), Dublin, Irish Academic Press, 1997, 238 p., p. 50-69. Voir aussi Maria Luddy, Women’s history, dans Nineteenth-Century Ireland, Laurence M. Geary et Margaret Kelleher (eds), op. cit. (n. 70), p. 43-60.
  • [88]
    Cormac Ó Gráda, Black’47 and beyond, op. cit. (n. 5), p. 49.
  • [89]
    Ce constat est aussi établi par Mary Daly, Revisionism and Irish history. The Great Famine, dans The Making of Modern Irish History, D. George Boyce et Alan O’Day (eds), op. cit. (n. 44), p. 86.
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