Notes
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[1]
Olivier Forcade et Sébastien Laurent, Secrets d’État. Pouvoirs et renseignement dans le monde contemporain, Paris, Armand Colin, 2005, 238 p.
-
[2]
Il faudrait, pour être complet, en citer d’autres dont l’apport fut modeste mais qui témoigne de l’implication de l’ensemble de l’administration : les douanes, les Eaux et forêts, les garde-côtes, etc.
-
[3]
Sébastien Laurent, Pour une autre histoire de l’État : le secret, l’information politique et le renseignement, Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 83, juillet-septembre 2004, p. 173-184.
-
[4]
On pense en particulier aux travaux d’histoire du syndicalisme et d’histoire du mouvement ouvrier qui ont longtemps reposé essentiellement sur l’exploitation des sources policières (Jean Maitron (éd.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Paris, Les Éditions Ouvrières / Les Éditions de l’Atelier, 1967-1997, 44 vol., ou encore Maintien de l’ordre et polices en France et en Europe au XIXe siècle, Paris, Créaphis, 1987, 413 p.).
-
[5]
Parmi les travaux plus anciens, seul le maître-livre de Marcel Thomas : L’Affaire sans Dreyfus, Paris, Fayard, 1961, 586 p., s’impose par sa rigueur et la qualité de son information concernant la « section de statistique ».
-
[6]
Voir notamment les travaux dirigés à l’EPHE par Guy Thuillier et Jean Tulard depuis trente ans.
-
[7]
Clive Emsley, Herbert Reinke, René Lévy, Les polices aux XIXe et XXe siècles : aperçus sur les historiographies anglaise, allemande et française, Les Cahiers de la sécurité intérieure, no 17, 3e trimestre 1994, p. 11-33, et Jean-Marc Berlière, Le monde des polices en France. XIXe-XXe siècles, Bruxelles, Complexe, 1996, 275 p.
-
[8]
André Martel, De l’histoire militaire à l’histoire de la défense, Bulletin d’information de l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche, octobre 1996, p. 7-23, et Olivier Forcade, L’histoire politique des armées et des militaires dans la France républicaine (1871-1996) : essai d’historiographie, Jean Jaurès. Cahiers trimestriels, no 142, octobre-décembre 1996, p. 7-24.
-
[9]
Marc-Olivier Baruch et Vincent Duclert, Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française, 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000, 587 p.
-
[10]
Pierre Rosanvallon, L’État en France : de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, « Points-Histoire », 1993, 369 p. Également, du même auteur : La croissance de l’État comme problème, dans André Burguière et Jacques Revel (dir.), Histoire de la France. L’État et les pouvoirs, t. II, Paris, Le Seuil, 1989, p. 491-512.
-
[11]
Voir, pour une première esquisse : Sébastien Laurent, Le service secret de l’État. La part des militaires (1870-1945), dans Marc-Olivier Baruch et Vincent Duclert (dir.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française, 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000, p. 279-295.
-
[12]
On laissera délibérément de côté l’œuvre de la Marine qui se dota en 1882 d’un « 2e bureau de statistique maritime et d’étude des marines étrangères » (Alexandre Sheldon-Duplaix, Le renseignement naval français des années 1850 à la Deuxième Guerre mondiale, Revue historique des armées, no 4, 2001, p. 47-64).
-
[13]
On renverra aux études nuancées de Jean-Jacques Becker et Stéphane Audouin-Rouzeau, La France, la nation, la guerre. 1850-1920, Paris, SEDES, 1995, 387 p., et de Bertrand Joly, La France et la Revanche (1871-1914), Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 46-2, avril-juin 1999, p. 325-347.
-
[14]
SHAT, 10 Yd 114, dossier du général Vanson.
-
[15]
Samuel Gibiat, Introduction, Inventaire des archives de la guerre. Sous-série Ya. Archives administratives du département de la guerre. XVIIe-XVIIIe siècles, Château de Vincennes, 2000, p. 1-15 ; Thierry Sarmant, Mars archiviste. Département de la guerre, dépôt de la guerre, archives de la guerre, 1630-1791, Revue historique des armées, no 222, mars 2001, p. 112-122 ; Michel Boudin, Le dépôt de la Guerre pendant la Révolution, mémoire de DEA d’histoire préparé sous la direction du Pr Jean Tulard, Université de Paris IV, 1998, 54 p. ; Patrice Bret, Le dépôt général de la Guerre et la formation scientifique des ingénieurs géographes militaires en France (1789-1830), Annals of Science, 48, 1991, p. 113-157.
-
[16]
Voir notamment [chef d’escadron] Ch.[arles] Fay, Projet de réorganisation de l’armée française, Tours, Imprimerie A. Mame et fils, 1871, 82 p. ; Colonel Lewal, La Réforme de l’armée, Paris, Librairie militaire J. Dumaine, 1871, 606 p. Fay avait été affecté à la section de renseignements de l’armée du Rhin sous les ordres de Lewal. Également : Général Billot, Rapport fait au nom de la commission de l’armée sur le projet de loi relatif à l’organisation du service d’état-major, Paris, Librairie militaire de J. Dumaine, 1875, 166 p.
-
[17]
Henry Contamine, La Revanche, 1871-1914, Paris, Berger-Levrault, 1957, 280 p. ; Jean-Charles Jauffret, L’œuvre des militaires de la commission de réorganisation de l’armée, 1871-1875, dans Olivier Forcade, Éric Duhamel, Philippe Vial (dir.), Militaires en République, 1870-1962. Les officiers, le pouvoir et la vie publique en France, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, p. 293-302. Également Guy Pédroncini (éd.), Vaincre la défaite, 1872-1881. Armée de terre, Vincennes, SHAR-IHCC, 1989, 723 p.
-
[18]
La revue comptait 1 800 abonnés en 1896 (SHAT, 9 N non coté, Note au sujet de l’emploi du personnel du 2e bureau de l’état-major de l’armée et de l’importance des affaires diverses traitées, 5 juin 1896).
-
[19]
SHAT, MR 2372, documentation sur la RME, circulaire imprimée du ministre général de Cissey aux officiers généraux et chefs de corps de toutes armes, 10 juin 1872.
-
[20]
Général Trochu, L’Armée française en 1879, Paris, Jules Hetzel, 1879, p. 101, n. 1.
-
[21]
Général Vanson, Deux documents concernant la réorganisation de l’armée en 1873, Carnet de la sabretache, 1896, 4e volume, p. 337-354. Le billet de convocation envoyé par le ministre au commandant Vanson ainsi que le manuscrit de l’étude préparatoire au décret se trouvent dans les archives du général Vanson (SHAT, MR 2253-2254, fonds du général Vanson). Le rôle de Vanson dans la création de l’état-major général est confirmé par du Barail lui-même (général du Barail, Mes souvenirs, t. III : 1864-1879, Paris, Plon, 1896, p. 471-472) et par le créateur de la réunion des officiers, le colonel Fix (ses Souvenirs d’un officier d’état-major (1870-1894), Paris, F. Juven éd., t. II, 1898, p. 108).
-
[22]
Sans jamais apparaître dans l’Annuaire de l’armée française à la différence de la composition détaillée de tous les bureaux de l’état-major ainsi que celle du cabinet du ministre.
-
[23]
Sébastien Laurent, L’argent secret de l’État. Les fonds secrets ministériels sous la République (1848-1914), dans Tanguy Wuillème (dir.), Autour des secrets, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 139-153.
-
[24]
Les attachés militaires, apparus en Prusse en 1816-1817, se généralisent en Europe dans les années 1830 et non vers 1860 comme on le lit souvent (Capitaine Beauvais, Attachés militaires, attachés navals et attachés de l’air, Paris, Éd. A. Pedone, 1937, 214 p. ; Maurice Vaïsse, L’évolution de la fonction d’attaché militaire en France au XXe siècle, Relations internationales, hiver 1982, no 32, p. 507-524 ; Lothar Hilbert, Les attachés militaires français : leur statut pendant l’entre-deux-guerres, Guerres mondiales et conflits contemporains, no 215, octobre 2004, p. 25-33).
-
[25]
MAE, CADN, Correspondance du ministère des Affaires étrangères avec le ministère de la Guerre, cartons 307 à 313 et MAE, série C administrative, carton 180.
-
[26]
Voir une illustration du même phénomène pour des raisons différentes, essentiellement politiques : Bertrand Joly, « L’affaire Dreyfus comme conflit entre administrations », dans Marc-Olivier Baruch et Vincent Duclert (dir.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française, 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000, p. 229-243.
-
[27]
SHAT, MR 2256, fonds du général Vanson, É. Vanson, Résumé des idées et des faits sur lesquelles sont basées les propositions soumises au général chef d’état-major général, juillet 1875, p. 6.
-
[28]
SHAT, MR 2256, fonds du général Vanson, Aperçu du service du 2e bureau pendant les six premiers jours de la mobilisation, juillet 1878.
-
[29]
SHAT, MR 2037, fonds de la succession Sandherr, Note anonyme non datée de la main de Sandherr.
-
[30]
Cet impensé de la politique chez les hommes du renseignement demeure un topos des témoignages de ces officiers jusqu’en 1945. Il disparaît une fois que le droit de vote leur est accordé.
-
[31]
Voir, pour une perspective plus large : Sébastien Laurent, Les services secrets gaullistes à l’épreuve de la politique (1940-1947), Politix. Revue des sciences sociales du politique, vol. 14, no 54, 2001, p. 139-153.
-
[32]
Cette évolution est loin d’être une spécificité française : les attachés militaires allemands dans le Reich wilhelmien ont été bien plus loin que leurs camarades français en tentant de jouer un rôle (et y parvenant parfois) extrêmement actif dans la conduite de la politique étrangère comme l’a montré Gordon A. Craig (Military diplomats in the Prussian and German service : The attachés, 1816-1914, Political Science Quarterly, vol. LXIV, 1949, p. 65-94, et, du même auteur : The Politics of Prussian Army, 1640-1945, Oxford, Oxford University Press, 1964, p. 255-273). Sur le sujet plus vaste de la contribution des militaires à la politique extérieure, l’étude roborative de Philippe Vial (Une place à part : les militaires et les relations extérieures de la France en temps de paix depuis 1870, Matériaux pour l’histoire de notre temps, no 65-66, janvier-juin 2002, p. 41-47).
-
[33]
Cette activité fut financée par une caisse noire tirée d’une comptabilité irrégulière sur les fonds secrets de la section de statistique.
-
[34]
Le chantier de l’histoire politique des armées pour la période 1815-1914 – largement ouvert – demeure malheureusement assez délaissé. Des gisements d’archives inexploités (en particulier des fonds privés de ministres de la Guerre ou d’officiers situés dans l’entourage du président de la République) sommeillent tranquillement au SHAT. Renvoyer, comme le fait Jérôme Hélie (L’arche sainte fracturée, dans Pierre Birnbaum (dir.), La France de l’affaire Dreyfus, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1994, p. 226-250), l’interprétation de l’acmé de la crise, l’affaire Dreyfus, à un conflit entre une portion minoritaire, technicienne et moderniste, dreyfusarde et une majorité archaïque et antidreyfusarde, nous paraît être une clef de lecture, certes séduisante mais un peu trop réductrice pour une réalité bien plus complexe. L’ouvrage de Jacques Nobécourt et Jean Planchais (Une histoire politique de l’armée, 1919-1967, Paris, Le Seuil, 1967, 2 vol.) n’a pas son équivalent pour le XIXe siècle.
-
[35]
Sur l’évolution du corps de la police dans son ensemble à la fin du XIXe siècle, les travaux classiques de Jean-Marc Berlière, La professionnalisation de la police en France : un phénomène nouveau au début du XXe siècle en France, Déviance et société, XI-1, mars 1987, p. 67-104, et, du même auteur : La professionnalisation : revendication des policiers et objectif des pouvoirs au début de la IIIe République, Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 3, 1990, p. 398-428.
-
[36]
Voir Jean-Marc Berlière, L’institution policière en France sous la IIIe République, thèse de doctorat d’histoire sous la direction de Pierre Lévêque, Université de Bourgogne, 1991, 3 vol., 1 304 p.
-
[37]
Le contrôle des étrangers, nettement renforcé en 1888 et après 1893, revint aux polices municipales, financées par les communes, mais dont les représentants relevaient du ministère de l’Intérieur qui les nommait.
-
[38]
SHAT, 1 M 2197, lettre du président du Conseil, ministre de l’Intérieur, aux préfets, 9 février 1887.
-
[39]
La sous-série 2 I du SHAT provient d’un versement récent des archives départementales du Nord.
-
[40]
L’ « instruction très confidentielle du 9 décembre 1886 relative à la surveillance de la gendarmerie à l’égard des espions » (SHAT, 9 N 19) instituait des « rapports individuels » qui prirent le nom de « carnets B » par la suite. Sur le « carnet B », le classique Jean-Jacques Becker, Le carnet B. Les pouvoirs publics et l’antimilitarisme avant la guerre de 1914, Paris, Klincksieck, 1973, 226 p., et l’étude très documentée de Louis N. Panel, Gendarmerie et contre-espionnage (1914-1918), Maisons-Alfort, SHGN, 2004, 250 p.
-
[41]
SHAT, 2 I 323, Rapport du 1er corps d’armée sur le service territorial de renseignements, 1887, p. 8-9.
-
[42]
Dans la Ire région, un quart à un tiers de l’effectif total était composé de gendarmes retraités.
-
[43]
Ces services territoriaux avaient également pour tâche de surveiller les points sensibles lors de la mobilisation.
-
[44]
SHAT, 1 M 2197, lettre du président du Conseil, ministre de l’Intérieur, aux préfets, 9 février 1887, p. 4.
-
[45]
SHAT, 2 I 323, lettre du capitaine d’Astafort au colonel Rau, chef d’état-major du 1er corps d’armée, 5 mai 1892.
-
[46]
On renverra à la théorie du rapport préfectoral selon Fouché : « Je ne demande et ne veux connaître que des faits, des faits recueillis avec soin, présentés avec exactitude et simplicité, développés avec tous les détails qui peuvent en faire sentir les conséquences, en indiquer les rapports, en faciliter le rapprochement » (circulaire du duc d’Otrante aux préfets du 31 mars 1815 publiée dans : Le Moniteur universel, no 94, 4 avril 1815, p. 4).
-
[47]
Jean-Noël Luc (dir.), Gendarmerie, État et société au XIXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, 510 p., ainsi que le très utile : Jean-Noël Luc (dir.), Histoire de la Maréchaussée et de la Gendarmerie. Guide de recherche, Maisons-Alfort, Service historique de la gendarmerie nationale, 2005, 1 104 p.
-
[48]
« Une surveillance continue et répressive constitue l’essence de son service » (article premier de l’ordonnance et du décret).
-
[49]
Les « carnets A » rassemblaient les noms des étrangers résidant en France en âge de servir leur armée ; les carnets B, ceux des étrangers et des Français soupçonnés d’espionnage ou d’antimilitarisme.
-
[50]
Marie-Claude Blanc-Chaléard (éd.), Police et migrants : France, 1667-1939, Rennes, PUR, 2001, 422 p.
-
[51]
La question des relations entre l’armée et la police en temps de guerre était fixée depuis la IIe République par la loi : en l’occurrence, la loi du 9 août 1849 disposait en son article 7 que les pouvoirs de police passaient à l’autorité militaire dès la proclamation de l’état de siège.
-
[52]
AN, F7 12708, direction de la Sûreté générale, rapport du directeur de la Sûreté générale Cazelles adressé au ministre de l’Intérieur et des Cultes, 30 juin 1880, p. 11-12 ; déposition d’Élie Cavard le 2 novembre 1904, reproduite dans L’affaire Dreyfus. Le procès Dautriche. Compte rendu sténographique in extenso, Paris, SNLE, 1905, p. 508 ; Déposition de Célestin Hennion le 2 novembre 1904, reproduite dans ibid., p. 525.
-
[53]
Aucun texte réglementaire ne présidait à ce qui relevait simplement d’un usage.
-
[54]
Jean-Marc Berlière, Le monde des polices en France. XIXe-XXe siècles, Bruxelles, Complexe, 1996, 275 p.
-
[55]
Jean-Paul Brunet, La police de l’ombre. Indicateurs et provocateurs dans la France contemporaine, Paris, Le Seuil, « Histoire », 1990, 352 p.
-
[56]
Journal officiel. Chambre des députés, séance du 28 mai 1900, p. 1307.
-
[57]
Ibid.
-
[58]
Joseph Caillaux, Mes mémoires, Paris, Plon, 1942, p. 146.
-
[59]
Lieutenant-colonel Rollin, Le Service de renseignements militaires en temps de paix en temps de guerre, Paris, NLN, 1908, p. 23 ; Commandant de Blondeau, Le Service des renseignements, Paris, Librairie militaire R. Chapelot, 1911, p. 42, n. 3 ; Général de Langle de Cary, Souvenirs de commandement, 1914-1916, Paris, Payot, 1935, p. 289.
-
[60]
Aveu de M. de Galliffet, L’Éclair, 26 mai 1900 ; Léon Daudet, L’avant-guerre. Études et document sur l’espionnage juif-allemand en France depuis l’affaire Dreyfus, Paris, Nouvelle Librairie nationale, 1913, p. 303 ; Jean Roget, L’affaire Dreyfus. Ce que tout Français doit en connaître, Paris, Librairie de l’Action française, 1925, p. 5 et 86. Le lieutenant-colonel Rollin publia le livre cité dans la précédente note à la Nouvelle Librairie nationale, éditeur de l’Action française.
-
[61]
D’après les Mémoires du colonel Jourdy, juge militaire à Rennes, la déposition de Czernuski impressionna fortement le tribunal (SHAT, 1 K 664, Mémoires manuscrits du général Jourdy, s.d., chapitre sixième, p. 765).
-
[62]
On emploie ici l’expression dans un sens un peu différent de l’usage habituel, évoquant les conflits internes à la police (Jean-Marc Berlière, Ordre et sécurité. Les nouveaux corps de police de la IIIe République, Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 39, juillet-septembre 1993, p. 23-37).
-
[63]
Jean-Marc Berlière, La généalogie d’une double tradition policière, dans Pierre Birnbaum (dir.), La France de l’affaire Dreyfus, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1994, p. 191-225.
-
[64]
SHAT, T 526, Général Charles Dupont, Mémoires, s.d. [rédigé entre 1920 et 1926], p. 29.
-
[65]
Très majoritairement de l’ESM, comme le révèle l’analyse de plus des 120 dossiers des officiers affectés au 2e bureau ou à la section de statistique entre 1870 et 1914. Le profil social et culturel de ces officiers n’est pas fondamentalement différent de ceux de l’ensemble du corps des officiers étudiés par William Serman (Le corps des officiers français sous la IIe République et le Second Empire. Aristocratie et démocratie dans l’armée au milieu du XIXe siècle, thèse d’État en histoire sous la direction de Louis Girard, Service de reproduction des thèses de l’Université de Lille III, 1978, 3 t., 1 747 p.)
-
[66]
Maurice Mathieu, Le rôle politique des commissaires spéciaux de la police des chemins de fer dans la Vienne entre 1874 et 1914, dans Maintien de l’ordre et polices en France et en Europe au XIXe siècle, Paris, Créaphis, 1987, p. 160, et Jean-Marc Berlière, L’Institution..., op. cit., p. 433, n. 29.
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[67]
On notera toutefois que les services de renseignements furent créés par un Vanson, un Samuel et un Campionnet, officiers supérieurs de l’ancienne armée.
-
[68]
On renverra à la remarquable thèse de Philippe Catros (Des citoyens et des soldats. Histoire politique de l’obligation militaire en France de la Révolution au début de la Troisième République (1789-1872), thèse de doctorat d’histoire contemporaine sous la direction de Roger Dupuy, Université de Rennes 2, 2004, 1 141 p.), qui renouvelle en profondeur les analyses sur l’obligation armée au XIXe siècle.
1Le terme de « renseignement » est souvent compris exclusivement dans son acception militaire et opérationnelle. Dans ce cadre, l’activité de renseignement est le fait des armées qui cherchent à collecter l’information nécessaire au déploiement, au mouvement et à l’engagement sur le champ de bataille. Cette perspective particulière masque alors une autre approche, celle du renseignement entendu au sens global du terme [1]. Le contexte est différent : le renseignement est alors une activité s’exerçant en temps de guerre comme en temps de paix et s’appliquant à des matières d’un autre ordre – diplomatique, politique ou économique. Dans cette tout autre situation, les agents qui collectent cette information – légalement ou illégalement – ne sont plus seulement des militaires mais aussi des civils, soumis à des règles différentes.
2Depuis la IIIe République qui a vu la création d’un service de renseignement militaire, ont coexisté des administrations et des corps différents, tous contribuant, à des degrés divers, à l’information du pouvoir politique [2]. En dépit de la tendance naturelle de chacune des administrations à vouloir s’assurer le monopole de la collecte ou – plus souvent – de l’exploitation du renseignement, aucune n’a réussi, dans les faits, à l’emporter définitivement sur les autres.
3Malgré la diversité des moyens contribuant au renseignement de l’État [3], les forces de police et celles de l’armée ont occupé une place dominante au cœur de l’appareil de renseignement du régime républicain. Alors que des travaux anciens d’histoire sociale [4] ont mis en valeur l’activité de surveillance de la « police spéciale », les services de renseignement militaires ont à peine été étudiés, y compris dans la floraison de travaux des dix derrières années portant sur l’affaire Dreyfus [5]. A fortiori l’étude des relations entre la « spéciale » et les officiers de renseignement sous la IIIe République est-elle encore un sujet vierge. Il y a pourtant beaucoup à apprendre pour l’historien de l’État sur la coexistence des militaires et des policiers à cette époque. Réduire comme c’est souvent le cas l’étude de ces corps de fonctionnaires et de ces administrations à l’ « histoire administrative » [6], à l’ « histoire policière » [7] ou à l’ « histoire militaire » [8] témoigne d’une vue trop cloisonnée de la discipline historique. C’est en effet oublier que la « force publique », pour reprendre le vocabulaire publiciste du XIXe siècle, est tout à la fois un objet, un instrument et un enjeu du pouvoir politique, et cela revient en fait à s’interdire la possibilité de bâtir une histoire politique de l’État [9]. En effet, celle-ci ne peut être fondée seulement sur une histoire des institutions et du droit, moins encore sur la seule histoire des idées de l’État. Le poids pris par l’État dans la vie sociale et économique dès le XIXe siècle [10] amène nécessairement l’historien à se pencher sur l’État en action. En matière de renseignement, l’étude conjointe des services de renseignement militaires et policiers permet, par l’observation de leur collaboration mais aussi de leur confrontation et de leur rivalité, de saisir une part de l’activité de l’État dans ses pratiques [11]. Cette brève étude a pour ambition d’étudier les modalités du travail commun, en matière de renseignement et de contre-espionnage pendant la période 1870-1914, de deux corps particuliers, la police spéciale et les officiers de renseignement dépendant respectivement des ministères de l’Intérieur et de la Guerre [12].
EFFACER LA DÉFAITE DE 1870 : LA NAISSANCE DU RENSEIGNEMENT MILITAIRE
4Le nouveau régime politique démocratique qui voit le jour dans la foulée de la défaite est porté par l’esprit de la Revanche, à défaut d’une politique la mettant en œuvre [13]. Ce climat va faciliter la tâche de certains officiers du haut commandement qui vont parvenir à mettre en place le premier service permanent de renseignement militaire. L’idée se répand que l’une des sources de la défaite tient à l’absence de renseignement fiable concernant les armées ennemies. Jusqu’alors le département de la Guerre ne créait de service de renseignement qu’en période de guerre, à l’échelon de l’armée ou du régiment. Une fois la campagne ou le conflit achevé, ils disparaissaient, conformément aux usages en vigueur depuis l’Ancien Régime. Après 1870, la création d’un service de renseignement militaire doit beaucoup à l’activité inlassable déployée par le commandant Émile Vanson (1825-1900), un officier d’infanterie passé par l’École d’état-major et ayant accompli presque toutes les campagnes du Second Empire [14]. En 1869, il fut affecté au dépôt de la Guerre où il fut l’un des très rares officiers à mener des travaux de renseignement sous la conduite du général Jarras (1811-1880) et sous celle de l’un de ses adjoints, le colonel Jules Lewal (1823-1908). Vanson fit partie du petit groupe composé de quelques dizaines d’officiers envoyés en missions de reconnaissance sur le Rhin et dans une grande partie de l’Allemagne occidentale. Le dépôt [15], institution vieillissante et qui avait connu depuis le Premier Empire de multiples réorganisations, connaissait alors une tentative de renouveau, comme lors du début de la monarchie de Juillet et lors de la IIe République, notamment par le développement de ses activités de renseignement, alors dénommé « statistique ». Fait prisonnier à Metz, revenu de captivité en mars 1871, Vanson fut immédiatement affecté à Versailles dans un dépôt de la Guerre reconstitué provisoirement. Le 8 juin 1871, un arrêté de Thiers créa un « état-major général du ministre » à deux bureaux. Vanson fut nommé aussitôt à la tête de la section chargée de la statistique au sein du « 2e bureau » qui n’était alors pas autre chose que l’ancien dépôt de la Guerre du Second Empire.
5Sans être dominant au sein de l’armée, un courant de pensée réformateur et favorable à l’organisation du renseignement militaire vit le jour immédiatement après la défaite. L’on y retrouvait essentiellement des hommes passés par le dépôt de la Guerre à la fin des années 1860. Dans le foisonnement des écrits militaires prônant une refonte totale de l’outil militaire, l’on distingue ainsi certaines publications appelant à la création d’un organe permanent de renseignement au sein même de l’état-major [16]. D’autres cercles réformateurs œuvraient dans le même sens, notamment la « réunion des officiers » fondée en septembre 1871 par le commandant Fix. Cette association d’officiers avait pour objectif de promouvoir la formation des cadres de l’armée par l’organisation de conférences et par la diffusion du Bulletin de la Réunion des officiers. Dès le mois d’octobre 1871, Fix fit approuver les statuts de la Réunion par le ministre, et les officiers furent officiellement encouragés à venir travailler au nouveau 2e bureau. Le Bulletin accordait une importance majeure à l’étude des armées étrangères et les articles firent l’objet de publications à part en fascicules. Ainsi, des initiatives d’origines variées tendaient à diffuser l’idée de la nécessité de développer les organes et les travaux de statistique dans la nouvelle armée en ébauche [17].
6Le dynamisme de Vanson porta rapidement ses fruits. Il fonda en novembre 1871 la Revue militaire de l’étranger (RME), publication officielle du 2e bureau de l’état-major. Les officiers affectés à ce bureau publiaient ainsi leurs travaux d’études dans la revue, envoyée ensuite dans les unités [18]. Vanson reçut l’appui du ministre-général de Cissey qui fit diffuser le 10 juin 1872 une circulaire envoyée aux officiers généraux et chefs de corps de toutes armes, et dans laquelle il précisait le sens de la Revue : « Les informations de cette nature, jadis lentes et rarement divulguées, tombent aujourd’hui de plus en plus dans le domaine de la publicité journalière. Mais elles y sont souvent faussées. Il devient donc particulièrement important de les présenter complètes et véridiques, car ce sera l’un des meilleurs moyens pour notre pays de n’être plus surpris par les événements. Si l’étranger nous a, jusqu’ici, parfois devancé dans cette voie, du moins en ce qui concerne la vulgarisation des connaissances dont il s’agit, nous devons maintenant avoir à cœur de ne pas lui être désormais inférieur sous ce rapport plus que sous tout autre. » [19] Les études publiées dans la Revue militaire de l’étranger dont la parution était hebdomadaire étaient tirées des différentes sources d’information du 2e bureau (rapports des attachés militaires, presse étrangère générale, presse étrangère militaire). Sur la Revue, le général Trochu, membre de la « commission des réformes » désignée par l’empereur à la fin de l’année 1866 et auteur (anonyme) du célèbre L’Armée française en 1867 où il prônait une réforme profonde de l’armée impériale, écrivait : « Cet excellent recueil, trop peu connu en France, fort lu au-dehors, est un des plus heureux efforts que nos malheurs aient suggérés. Il suit pas à pas tous les essais qui se font, toutes les transformations qui s’opèrent, tous les progrès qui se réalisent dans les armées étrangères. Il les discute avec beaucoup de compétence, de réserve et d’impartialité, dans une rédaction très bien faite. (...). Les officiers de l’armée française, autrefois si indifférents et si étrangers aux transformations qui s’effectuaient dans les autres armées, seraient à présent sans excuse s’ils ne les étudiaient pas et se refusaient à s’assimiler la science pratique militaire que la revue met aujourd’hui à la portée de tous. » [20]
LA SPÉCIALISATION DES FONCTIONS : RECHERCHE ET EXPLOITATION
7Vanson conserva la direction du bureau, entretenant les relations avec les attachés militaires français à l’étranger et publiant la Revue. Il fonda ainsi avec ce bureau un organe d’exploitation du renseignement au sein du nouvel état-major. Dès ses débuts, le 2e bureau fut l’objet d’une transformation d’importance. Les subordonnés de Vanson, le commandant Abraham Samuel (1825-1884) en 1871, puis le commandant Émile Campionnet (1835-1912) à partir de 1873, dirigèrent un nouvel organe, la « section de statistique », qui effectuait par le biais d’agents extérieurs, bénévoles ou stipendiés, un travail de recherche du renseignement dont le résultat était fourni au 2e bureau afin que celui-ci l’exploite. Ainsi fut institutionnalisée la distinction jamais remise en question depuis lors entre le 2e bureau, organe d’état-major et d’exploitation, et le service de renseignement (la « section de statistique ») qui procédait, clandestinement – grâce à moins d’une dizaine de personnels, dont seulement cinq officiers – aux activités de renseignement (d’espionnage) à l’étranger et de contre-espionnage sur le territoire français.
8Vanson était en outre un conseiller écouté du ministre pour toutes les questions touchant à l’organisation de l’armée. Il fut en effet l’auteur de l’important décret du 12 mars 1874 créant « l’état-major général du ministre de la Guerre » [21]. Ce décret modifiait l’arrêté du 8 juin 1871 en son article 2 : les deux bureaux disparaissaient au profit de six bureaux d’état-major. Les différentes sections de l’ancien 2e bureau de 1871 devinrent chacune des bureaux d’état-major indépendants. Ainsi le 2e bureau (désormais dénommé « statistique militaire - bureau historique ») était-il débarrassé dans sa nouvelle mouture de toutes les fonctions de l’ancien dépôt de la Guerre (études historiques, cartographie, etc.) qui l’encombraient pour se concentrer sur les seules tâches de renseignement. Le 2e bureau trouva là son organisation définitive. En outre, le décret instituait deux sous-chefs d’état-major, l’un ayant autorité sur les 1er et 4e bureaux, l’autre sur les 2e et 3e bureaux. Ainsi le chef d’état-major général fut-il épaulé par un officier général qui avait particulièrement en charge le 2e bureau. Enfin, un usage nouveau apparut à partir de 1874 : la « section de statistique » relevait directement de ce sous-chef d’état-major. Incorporée dans l’état-major général du ministre [22], elle allait ainsi acquérir une autonomie de plus en plus grande à l’égard du 2e bureau. Ce détachement précoce entre le 2e bureau et la section de statistique satisfaisait les chefs du 2e bureau, à commencer par Vanson lui-même, ceux-ci ne souhaitant pas avoir la main sur la section de statistique qui disposait de fonds secrets [23] et des agents, autant de facteurs risquant de compromettre l’état-major et, ainsi, le ministre lui-même.
LA BATAILLE INTERMINISTÉRIELLE DE L’INFORMATION ET DU RENSEIGNEMENT
9La construction de l’appareil militaire de renseignement ne fut que la première étape de l’œuvre de Vanson. Un autre pan – décisif – de l’activité des officiers de renseignement reposa sur la mise en place de filières d’information. L’autorité de Vanson et probablement ses appuis au sein du haut commandement lui avaient permis de transformer le 2e bureau en un organisme pensé comme centralisateur de toutes les sources d’information d’origine militaire. Ainsi était-il non seulement approvisionné par la « section de statistique » mais également, régulièrement, par les attachés militaires [24] présents dans les principales ambassades françaises ou encore par les officiers en mission ou en voyage à l’étranger. Le 2e bureau recevait également, occasionnellement, des informations transmises par le ministère de la Marine, par le ministère des Affaires étrangères [25], par la Sûreté ou encore par la préfecture de police qui lui faisaient parvenir ce qu’ils estimaient être de son ressort. Mis à part les informations reçues de l’extérieur, l’essentiel de l’activité de la vingtaine d’officiers présents au 2e bureau consistait en la lecture de la presse étrangère, générale et militaire. Enfin, le chef du 2e bureau s’entretenait régulièrement avec les attachés militaires étrangers en France, ainsi reçus officiellement à l’état-major pour des échanges de vues. En définitive, le 2e bureau trouvait, en volume, la plus grande part de son renseignement dans l’information ouverte.
10L’émergence d’un appareil de renseignement militaire, permanent et autonome, à partir de 1870 a d’emblée modifié la structure, jusque-là plutôt lâche, de la circulation de l’information au sein de l’État. Le pouvoir que représente la maîtrise de l’information au sein des ministères fut à l’origine d’une partie des rivalités entre les différentes administrations des Affaires étrangères, de la Guerre et de l’Intérieur. L’absence d’organisme centralisateur dominant les différents ministères favorisa les conflits [26] entre les bureaux, l’Intérieur et la Guerre masquant difficilement – malgré les collaborations – leur aspiration au monopole. Vanson ne cessa, de son côté, de vanter auprès du chef d’état-major général la centralisation du renseignement effectuée par son 2e bureau. Il ne craignait pas de prétendre qu’il parvenait à réaliser une centralisation complète incorporant le renseignement en provenance des autres départements ministériels [27], alors que ceux-ci ne les transmettaient en fait qu’assez rarement rue de Solférino. Par la suite, Vanson réclama ouvertement pour le 2e bureau un rôle officiel de centralisation des sources provenant des trois ministères [28]. Le lieutenant-colonel Conrad Sandherr (1846-1897), chef de la section de statistique de 1886 à 1895, plaida également en faveur d’une centralisation effectuée par les officiers [29].
11Sources de renseignement du 2e bureau de l’état-major
RENSEIGNEMENT MILITAIRE ET INFORMATION POLITIQUE
12Suivre sans distanciation le discours des acteurs militaires du renseignement, professionnels de la désinformation et de l’intoxication, risque d’égarer l’historien sur de nombreuses fausses pistes. Leurs mémoires ou souvenirs, publiés ou inédits, sont, plus encore que dans le cas d’autres témoins historiques, des plaidoyers pro domo. Entre 1899 et 1906, presque tous les officiers de renseignement de la section de statistique et un nombre important de ceux du 2e bureau ont été amenés à témoigner devant la justice militaire et civile à l’occasion des procès liés à l’affaire Dreyfus. Ces divers témoignages fort utiles doivent être appréciés avec beaucoup de circonspection et être absolument recoupés. L’on y voit en effet les officiers tenir un langage récurrent sur la nature exclusivement technique de leur travail [30] et refuser d’avouer que leur activité, loin de s’être limitée aux matières militaires, a, selon les époques, frôlé ou embrassé la politique. Ce n’est pas le lieu ici de s’intéresser à la lente et fragile, et pourtant bien réelle, politisation de la « statistique » militaire tout au long du XIXe siècle, mais il faut garder à l’esprit que ce phénomène précède la IIIe République. L’incapacité politique légale des militaires sous ce régime explique en grande partie l’impossible aveu, de la part des officiers de renseignement, de la réalité d’une partie de leur activité. Sa « politisation » se situe pourtant à trois niveaux [31]. En premier lieu, les militaires – les attachés militaires dès la monarchie de Juillet, les officiers du 2e bureau à partir de la IIIe République – se penchèrent sur un domaine qui était du ressort traditionnel des diplomates – à savoir, l’étude et l’analyse de la politique intérieure des États étrangers [32]. D’autre part, une autre évolution eut lieu, moins avouable encore, dans le cadre du régime républicain – à savoir, un travail d’information (plus que de renseignement) mené sur la vie politique française. Encore faut-il sur ce dernier point être d’une grande prudence : cette activité plus que clandestine [33] de la section de statistique concerne une courte période, les années 1880-1890, et semble ne pas avoir été, à son origine du moins, le fait du chef de service. D’autre part, si elle a pu être utile à l’information de quelque sous-chef ou chef d’état-major, elle fut marginale au regard du travail d’ensemble fourni par la section et n’a débouché sur aucun dessein politique d’envergure de la part du haut commandement. Elle est toujours restée inconnue du ministre de la Guerre, fût-il officier général. Cette évolution indique cependant que les officiers de renseignement n’ont pas craint de sortir du pré carré militaire en dépit de leurs affirmations contraires dans les prétoires. Il est enfin un dernier niveau de politisation pour les officiers de renseignement, plus profond encore, et qui touche à l’activisme politique de certains d’entre eux [34]. Cette tendance se manifestera de façon paroxystique au moment de l’affaire Dreyfus et jouera un rôle non négligeable dans leurs relations avec leurs acolytes de la « police spéciale ».
LA « POLICE SPéCIALE » : RENSEIGNEMENT POLITIQUE ET SURVEILLANCE DES éTRANGERS
13Si la IIIe République rebâtit un outil militaire, elle hérita, en revanche, des structures policières mises en place sous le Second Empire [35]. L’héritage ne fut pas, loin s’en faut, rejeté comme l’a montré Jean-Marc Berlière dans sa thèse [36]. Par les décrets des 22 février et 28 mars 1855, avait été créé un corps particulier, la « police des chemins de fer », composée de commissaires et d’inspecteurs, dont la tâche principale aux yeux du souverain était celle de la surveillance politique. Ces auxiliaires des préfets avaient des compétences géographiques sur les lignes de chemins de fer (ce qui leur garantissait un « droit de suite ») mais aussi, à partir de 1893, dans leur département de résidence. Ils devaient surveiller les opposants mais également, après 1861, les étrangers [37] et assurer des missions de surveillance dans les ports et aux frontières. La République conserva cette police politique, plus communément dénommée « police spéciale », tout aussi fidèle au nouveau régime que la précédente. Elle en augmenta les effectifs régulièrement : le corps, composé de plus de 200 membres en 1879, passa à plus de 300 en 1898 puis à plus de 400 à l’orée du siècle. C’est à eux que revenait le travail quotidien de filature, d’interception du courrier, de fichage, etc. À la différence des officiers dont l’attachement au régime fut un souci permanent pour les républicains, le personnel de la Sûreté, qui fut pourtant un pilier du régime impérial, se convertit aux nouvelles idées politiques. En outre, le nouveau régime avait le plus grand besoin de préfets et d’une police politique dans un temps où tous les esprits n’étaient pas encore gagnés à la République. Il se tissa ainsi un lien particulier entre elle et le corps de la police spéciale qui lui était indispensable.
LA PYRAMIDE MILITARO-CIVILE DU CONTRE-ESPIONNAGE
14Vanson s’était préoccupé en premier lieu de bâtir la tête d’une pyramide qu’il eut l’intelligence de placer au cœur d’un état-major dont il fut le principal concepteur. Le système militaire de renseignement fut étayé par une organisation complémentaire sur l’ensemble du territoire, sans que l’on puisse établir avec clarté le rôle joué par Vanson à ce niveau. En se renforçant par capillarité, la pyramide du renseignement changeait d’échelle, et le travail de renseignement, de nature. L’activité du 2e bureau, organe militaire effectuant des synthèses de renseignement extérieur pour l’état-major et le ministre, était toute différente du travail de contre-espionnage qui supposait d’autres moyens et des méthodes profondément différentes. Il n’était plus possible, à ce stade, de compter sur des moyens uniquement militaires, et le ministère de la Guerre dut avoir recours à d’autres administrations.
15La structuration du renseignement en France ne fut complète que lorsque l’on se préoccupa de mettre sur pied une organisation de contre-espionnage sur l’ensemble du territoire. L’armée se préoccupa en premier lieu d’utiliser le nouveau système des 19 corps d’armée mis au point par le décret du 28 septembre 1873 (rédigé par Vanson). Ainsi, dès le 31 juillet 1874, le ministre de la Guerre, le général de Cissey, qui avait encouragé le développement de la Revue militaire de l’étranger, préconisait-il de mettre en place dès le temps de paix un « service des renseignements » apte à devenir actif sur le pied de guerre. Le ministre souhaitait ainsi qu’un officier d’état-major du corps d’armée soit chargé de préparer cette évolution en liaison avec le 2e bureau. Cette innovation rompait avec l’impréparation des monarchies censitaires et du Second Empire en matière de renseignement mais ne concernait que la préparation du futur conflit.
16La pyramide du renseignement ne fut définitivement achevée que lorsque l’appareil militaire décida de faire du corps d’armée une structure de renseignement en temps de paix. Sur ce point, les armées de la IIIe République innovèrent à nouveau, parachevant l’œuvre de Vanson. L’origine des « services territoriaux de corps d’armée » (STCA) remonte à janvier 1887, à la suite d’une entente entre le ministre de la Guerre et le ministre de l’Intérieur [38]. Seules les archives du STCA du 1er corps d’armée (Lille) subsistent aujourd’hui au SHAT et notre recherche en cours n’a pas encore permis de retrouver d’autres traces dans les sous-séries M des archives départementales [39]. La création de ces services dans les 19 corps d’armée relève de la volonté personnelle du général Boulanger. Elle s’inscrit dans un ensemble de mesures prises par Boulanger à propos de la surveillance des étrangers et notamment le vote, le 18 avril 1886, de la première loi française « sur la répression de l’espionnage » ainsi que l’établissement dans chaque département d’une liste d’étrangers suspects dénommée « carnet B » à compter du 9 décembre 1886 [40]. La tâche des STCA était clairement définie dans un rapport datant de 1887 : « Ce qu’on demande au personnel de ce service à l’égard des étrangers n’implique aucun rôle de police à exercer. On fait appel à son patriotisme pour veiller à ce qu’aucun étranger ne puisse nuire aux intérêts du pays, en trompant la surveillance des autorités civiles et militaires. On lui demande de dévoiler tous les faits dont les étrangers se rendraient coupables et qui parviendraient à sa connaissance. » [41] L’originalité du système reposait sur le rôle joué par les officiers ayant quitté l’armée et les anciens conscrits. Un officier en retraite dirigeait le service aidé de l’officier d’active responsable de l’armée territoriale. Le personnel permanent qui, dès la fin de l’année 1888, s’élevait à plus d’une centaine d’individus se stabilisa quelques années plus tard à environ 130 personnes pour la seule Ire région militaire, sélectionnées parmi les membres des unions patriotiques départementales, parmi les militaires retraités, voire parmi d’anciens conscrits versés dans la territoriale [42]. Les professions exercées par les membres de ce service montrent que l’armée privilégiait les petits notables locaux, utiles relais d’informations et d’informateurs. Le service était financé à l’aide de fonds secrets transmis par la section de statistique. Le fait que la totalité des corps d’armée et non pas seulement ceux situés à la frontière aient été concernés par cette activité modifiait profondément la nature du renseignement collecté. En fait, la tâche des services territoriaux de corps d’armée était presque exclusivement orientée vers le contre-espionnage [43]. Les STCA travaillaient en étroite collaboration avec la gendarmerie qui leur adressait régulièrement les listes de suspects. À en juger par les archives du 1er corps, le service territorial effectuait à l’échelle de la région militaire une certaine centralisation du renseignement. En effet, la copie des rapports de la police spéciale, de la police municipale mais aussi certains procès-verbaux d’interrogatoires transmis par les procureurs, ainsi que certaines recommandations des préfets leur étaient également transmis. Cependant le ministre de l’Intérieur veillait à bien délimiter à propos des STCA la coopération entre l’armée et la police : « Mais il est bien entendu que, la responsabilité des mesures de surveillance incombant exclusivement à l’administration civile, les autorités militaires ne sauraient requérir directement les agents administratifs subalternes, les commissaires de police par exemple, d’avoir à surveiller tel ou tel individu. Ces agents ne pourront agir qu’après avoir reçu des instructions de leurs supérieurs hiérarchiques ; et, toutes les fois que l’autorité militaire croira devoir faire exercer une surveillance sur un étranger, elle devra s’adresser au représentant de l’administration, préfet, sous-préfet ou maire, le plus élevé en grade dans la localité ; les mesures à prendre devront être concertées d’accord entre les deux autorités. » [44] Les services de renseignement territoriaux avaient en fait pour tâche principale de surveiller les suspects du carnet B et de communiquer directement les renseignements sur les suspects à la section de statistique, doublant en quelque sorte la mission de la gendarmerie [45]. Ces services assuraient ainsi à l’ensemble formé par le 2e bureau et la section de statistique un maillage serré sur la totalité du territoire français et, surtout, dépendant directement de l’armée.
17Du point de vue du renseignement global, l’État possédait également les ressources propres des préfets et du corps de la gendarmerie. Depuis leur institution par la loi du 28 pluviôse an VIII, les préfets devaient adresser régulièrement au ministre de l’Intérieur un rapport sur l’état de leur département [46]. La dimension politique des rapports était dominante et cette exigence des gouvernants subsista jusqu’à la IIIe République. En fait, les préfets collationnaient et synthétisaient la masse d’informations que leur faisaient parvenir les commissaires municipaux et les commissaires spéciaux ainsi que leurs informateurs particuliers. Certaines de ses informations concernant la défense nationale pouvaient, si le préfet l’estimait nécessaire, être transmises par lui au général commandant la région militaire. Le préfet établissait par ailleurs depuis une circulaire du 21 février 1899 une « liste des suspects » qui faisait en partie double emploi avec le carnet B de la gendarmerie. Le commissaire spécial, de son côté, avait la faculté de faire parvenir lui-même ces renseignements à la section de statistique. Il pouvait ainsi arriver que des chevauchements se produisent et qu’une même information parvienne à la section de statistique par la voie militaire ainsi que par la voie policière ou préfectorale, ainsi que l’attestent les archives.
18Enfin, la gendarmerie jouait un rôle important en matière de renseignement. Le maillage étroit du pays par les brigades de gendarmerie faisait de ce corps particulier [47] un outil utile pour la collecte du renseignement. Dès la Restauration sa tâche avait été fixée à cet égard : le décret impérial du 1er mars 1854 remplaçant l’ordonnance du 29 octobre 1820 sur le service de la gendarmerie ne faisait que reprendre de la première l’énoncé de ses missions en matière de renseignement [48]. Il s’agissait là, en fait, d’une mission permanente et générale pour un corps devant remplir pour le compte des autorités militaires et civiles de multiples missions. La situation changea profondément en 1886 avec le ministère Boulanger. Le général-ministre confia un rôle tout particulier à la gendarmerie par l’instruction ministérielle du 9 décembre 1886 qui lui prescrivait de surveiller les étrangers et de tenir à jour, pour ce faire, les carnets A et B [49]. En dépit de l’aide que la gendarmerie apportait à la « section de statistique » dans son activité de contre-espionnage, celle-ci préféra, deux mois après l’instruction de décembre 1886, développer les services territoriaux, sous tutelle strictement militaire, et qui communiquaient directement avec elle.
19Malgré cela, pour mener à bien le travail de surveillance des étrangers [50], qu’ils soient ou non suspects d’espionnage, l’ensemble des moyens déployés dans les départements – police spéciale, gendarmerie et services territoriaux de corps d’armée – semble avoir fonctionné avec efficacité et en bonne intelligence jusqu’à l’affaire Dreyfus. S’il revient à l’institution militaire – en fait, à un nombre très restreint de ses officiers supérieurs – d’avoir fondé un appareil de renseignement et de contre-espionnage, la coopération d’autres administrations et d’autres corps spécialisés fut nécessaire dès qu’il apparut évident que le 2e bureau et la section de statistique ne pouvaient se suffire à eux-mêmes. Cependant, l’armée veilla scrupuleusement à conserver en temps de paix [51] la haute main sur l’ensemble d’un appareil qu’elle pensait avoir élaboré seule et elle ne concevait en fait la collaboration avec les autres services de l’État qu’en termes de domination. Les relations entre la « section de statistique » et la « spéciale » furent de ce point de vue exemplaires. Leur étude permet en outre de voir comment l’histoire de l’appareil d’État rejoint l’histoire politique du régime. De ce point de vue, l’affaire Dreyfus – et plus particulièrement l’année 1899 – permet de séparer très nettement deux périodes.
20En gras figurent les organes jouant un rôle direct en matière de contre-espionnage.
21L’organisation du contre-espionnage de 1887 à 1899
LES ATTENDUS DE LA COLLABORATION MILITARO-POLICIèRE
22La « section de statistique » utilisait la police spéciale de deux façons. En premier lieu, les fonctionnaires de la « spéciale » répartis sur tout le territoire devaient, mis à part la rédaction de rapports réguliers au préfet du département, porter à la connaissance de l’autorité militaire – en l’occurrence, directement à la « section de statistique » – tous les faits concernant l’espionnage. Cette mission entrait dans leurs larges attributions de même que la surveillance des étrangers. Parmi eux, les nombreux officiers allemands et italiens envoyés en mission de renseignement sous couvert de voyages touristiques faisaient l’objet d’une attention toute particulière et leurs signalements très précis étaient transmis par la section de statistique au 1er bureau de la Sûreté dès leur entrée en France. Les archives de la Sûreté montrent de façon nette que le contrôle des étrangers ne devint vraiment strict qu’à partir de l’instruction Boulanger de décembre 1886. Même si le rôle principal avait été confié à la gendarmerie, ce texte eut indéniablement un effet d’entraînement sur l’activité de la « police spéciale ». En fait, ce fut essentiellement dans les zones frontalières et le long des littoraux, plus particulièrement près des ports, des fabriques d’armement, des casernes et des ouvrages militaires, que la « spéciale » travaillait pour le compte de la section de statistique à débusquer toute tentative d’espionnage. La section de statistique avait obtenu le privilège de communiquer directement avec la « spéciale », sans passer par les préfets, ni par la direction de la Sûreté. D’après des responsables policiers de l’époque comme un Honoré Cazelles (1831-1908), directeur de la Sûreté en 1880, ou l’un de ses successeurs, Élie Cavard, ou encore un Célestin Hennion (1862-1915), la coopération fonctionna bien [52] entre la Sûreté et la section de statistique, la première ayant accepté d’être subordonnée à la seconde pour le travail de contre-espionnage [53]. À Paris, où la préfecture de police était omnipotente, les officiers de la section devaient s’adresser à cette rivale de la Sûreté [54] ou utiliser, discrètement, les policiers de la « spéciale » mis à sa disposition.
23En effet, un à deux inspecteurs ou commissaires de la « police spéciale » étaient détachés en permanence à la section de statistique pour y effectuer des missions particulières. L’activité de la section rendait nécessaire le contact fréquent avec des agents (français ou non) travaillant dans les pays étrangers. Jusqu’au déclenchement de l’affaire Dreyfus, un usage avait cours, interdisant aux officiers, même « en bourgeois », tout contact direct avec des agents. Cette tâche était confiée aux policiers de la « spéciale » détachés rue de Solférino, limiers habitués au contact avec les milieux interlopes [55]. La justification la plus caractéristique de cet usage (qui ne fut plus respecté par les officiers à partir des années 1890) fut prononcée par le général-ministre de Galliffet le 28 mai 1900 à la Chambre : « Il y avait dans une section de l’un des bureaux de l’État-Major général des officiers très honorables, je le déclare très nettement ici, mais qui en étaient arrivés, par excès d’ardeur, à fréquenter dans des cafés borgnes, dans des maisons louches pour y rencontrer des gens qui pouvaient leur fournir peut-être des renseignements parfois utiles. » [56] Et il ajouta, de façon plus nette encore : « Je n’admettais pour ces officiers que la direction des recherches, et rien que la direction » [57], résumant ainsi la nature de la relation entre policiers et militaires du renseignement qui avait eu cours jusque-là. Les militaires n’étaient pas les seuls à penser de la sorte : ainsi Joseph Caillaux, commentant les propos de Galliffet, estimait-il également que les officiers ne pouvaient salir leurs uniformes car « ils n’engagent pas le gouvernement », à la différence des policiers [58]. Plutôt qu’un habitus strictement militaire, cette approche est plus révélatrice d’une certaine conception de l’officier dans la nation, répandue au-delà des seuls cercles militaires.
24ADMINISTRATION ET POLITIQUE : LA GUERRE DES POLICES
25L’action militante antidreyfusarde jouée par la quasi-totalité des membres et anciens membres de la section de statistique fut à l’origine d’un rééquilibrage des relations avec la Sûreté. L’étonnante maladresse de leur action lors du processus de révision du premier procès Dreyfus de 1894 puis lors du second procès à Rennes, en 1899, fut signalée à plusieurs reprises par la presse. La formation du cabinet Dupuy à l’époque de la « Défense républicaine », malgré la tentative de dessaisissement de la Chambre criminelle, se traduisit par une réorganisation en profondeur du contre-espionnage et un rééquilibrage de la relation entre militaires et policiers. Charles de Freycinet, ministre de la Guerre, qui avait pourtant joué un rôle important dans la modernisation du dispositif de renseignement sous le gouvernement de la Défense nationale, ne put empêcher la signature par son collègue de l’Intérieur – qui n’était autre que le président du Conseil lui-même – de la circulaire du 1er mai 1899 par laquelle il attribuait dorénavant à la Sûreté la mission de contre-espionnage. Cette circulaire confidentielle faisait des commissaires spéciaux des frontières et du littoral les responsables de « secteurs territoriaux » de contre-espionnage. La police spéciale n’était plus désormais mise sous la tutelle de la section de statistique. Le second acte de la réorganisation intervint lors du procès d’A. Dreyfus : l’activisme des officiers de renseignement à Rennes en août 1899 devint si peu discret que le général-ministre de Galliffet, successeur de Freycinet en juin dans le gouvernement Waldeck-Rousseau, dut intervenir de son propre chef en procédant à une profonde réorganisation. Le 12 septembre 1899, il décida de liquider l’organisation mise en place par Vanson : il rebaptisa la « section de statistique » en « section de renseignements » et rattacha de façon désormais très stricte la section au 2e bureau, mettant un terme à l’autonomie considérable dont elle avait bénéficié malgré son rattachement à l’état-major de l’armée. Le chef du 2e bureau exerçait désormais une tutelle étroite sur la section, y compris sur le plan financier. Chaque opération (recrutement, achat de documents, etc.) avec un agent étranger devait faire l’objet d’un accord particulier de l’officier supérieur commandant le 2e bureau. Ce modus operandi mettant fin à l’indépendance de la section de statistique demeura valable jusqu’en 1914.
26Cette réorganisation radicale, à l’origine d’une division majeure dans l’histoire du renseignement français, fut très mal accueillie dans l’ensemble de l’armée, y compris en dehors des cercles d’officiers du renseignement. Nombreux sont les témoignages d’officiers estimant que cette réorganisation avait provoqué l’affaiblissement ou la destruction de l’appareil de renseignement et de contre-espionnage français [59]. En fait, cette mesure administrative pâtit profondément du contexte politique. Perçue comme une mesure politique d’apaisement à l’égard de l’opinion publique, elle fut en réalité la sanction de l’engagement politique et antidreyfusard de la section de statistique, avant, pendant comme après le procès de Rennes. La presse nationaliste comme L’Éclair, ainsi que les milieux de l’Action française, très hostiles à la « spéciale », authentique police politique du régime républicain qui les surveillait étroitement, l’interprétèrent comme une mesure politique et une manifestation d’une grave faiblesse face au renforcement militaire de l’Allemagne [60].
27La circulaire de Freycinet de mai 1899 puis les mesures de Galliffet provoquèrent une réaction de rejet total de la part des officiers de la section de statistique. La première décision fut prise quelques mois avant le procès de Rennes. Les officiers virent dans le second procès la possibilité non seulement de réaffirmer la culpabilité de Dreyfus, mais également de réévaluer à la hausse la réputation de leur service assez durement mise en cause au cours du processus de révision. Ils décidèrent de tromper le tribunal militaire qui allait devoir se prononcer sur la culpabilité de Dreyfus.
28Le capitaine Maréchal acheta par l’entremise d’un de ses agents, Przyborowski, le témoignage d’Eugen Czernuski qui se présenta à l’improviste au tribunal militaire dans l’espoir d’y commettre un coup d’éclat. Se présentant comme un officier de cavalerie démissionnaire de l’armée autrichienne, il témoigna en public puis à huis clos [61], affirmant la culpabilité d’Alfred Dreyfus et entraînant, indirectement, par sa maladresse, les mesures de Galliffet. Cependant, au printemps 1900, Przyborowski, s’estimant abandonné par ses anciens protecteurs de la section de statistique, commença à faire savoir que le témoignage de Czernuski était un faux. Maréchal chercha alors, pour se protéger et assurer définitivement le verdict de Rennes, à compromettre un commissaire de la spéciale, Thomas Tomps, qui s’était vu confier une part du contre-espionnage à la Sûreté ainsi que la reprise du dossier Dreyfus. Ce fonctionnaire de police avait auparavant travaillé, de 1896 à 1898, comme commissaire spécial à la « section de statistique ». Dès lors, le conflit déboucha sur une guerre ouverte entre la Sûreté et ce qui restait de la section de statistique. Tomps n’eut alors de cesse de recueillir auprès des anciens agents de la section de plus en plus loquaces les preuves des turpitudes des officiers de renseignement depuis 1894. Se sentant acculés, ceux-ci décidèrent de franchir une étape majeure en décidant de politiser un conflit qui s’était jusque-là cantonné à un affrontement entre deux administrations. Le capitaine Fritsch, camarade de Maréchal à la section, montra au député Alphonse Humbert, proche des nationalistes, des documents établissant l’action du commissaire Tomps. Le député, dont l’action avait été préparée par des fuites dans la presse nationaliste, interpella vigoureusement le cabinet Waldeck-Rousseau le 22 mai 1900, l’accusant de vouloir relancer l’affaire Dreyfus. Galliffet, qui avait muté à la mi-mai dans des régiments les capitaines François et Maréchal, gravement compromis dans l’affaire du témoignage Czernuski, décida le 24 mai de mettre Fritsch en retrait d’emploi pour avoir montré au député les photographies des documents impliquant Tomps. Galliffet, estimant avoir été trompé par ses officiers et peu soutenu par le président du Conseil lors de l’interpellation, démissionna de façon fracassante le 28 mai, en pleine séance à la Chambre. Ainsi s’achevait en crise politique la première véritable « guerre des polices » [62] que la France contemporaine ait connue. La victoire de la Sûreté sur la défunte section de statistique fut complète lorsque, en 1904, le procès du capitaine-archiviste Édouard Dautriche de la section de statistique mit au jour les manœuvres de la section à l’occasion du procès de Rennes. L’enquête de la Cour de cassation rendue publique par la Ligue des droits de l’homme aboutissant à la seconde révision et à la reconnaissance de l’innocence de Dreyfus en 1906 acheva de discréditer profondément l’action militante de la section de statistique.
29Les relations restèrent fortement dégradées entre militaires et policiers, les seconds ayant nettement choisi le camp de la République et du dreyfusisme [63] quand la majorité des premiers avait fait le choix inverse. La vigueur du conflit avait été telle que la réorganisation de 1899 et les mutations de 1900 ne permirent pas à la collaboration de reprendre rapidement. Comme le confia le colonel Dupont nommé en 1908 à la tête du 2e bureau (et, donc, de la section de statistique), le travail commun n’avait pu reprendre qu’à partir de sa prise de fonctions [64], une nouvelle génération d’officiers ayant accepté désormais le principe d’une véritable collaboration.
30Une part d’explication de la curieuse relation existant entre les officiers de renseignement et la « police spéciale » réside dans le recrutement socioculturel nettement différent de ces deux corps. Si les premiers étaient issus de l’École spéciale militaire ou de l’École polytechnique [65], les seconds, inspecteurs ou commissaires spéciaux, avaient des origines bien plus modestes. En fait, la loi de 1899, entérinant des usages antérieurs, organisait le recrutement de la police en disposant que la moitié des postes de commissaires spéciaux et trois quarts de ceux d’inspecteurs spéciaux devaient aller, au titre des emplois réservés, à d’anciens sous-officiers [66], parmi lesquels le niveau d’études était nettement inférieur à ceux des officiers. Ainsi, les clivages socioculturels s’ajoutaient aux logiques hiérarchiques pour contribuer à asseoir la domination militaire sur une partie du corps policier.
31La subordination étroite de la police à l’armée en matière de renseignement et de contre-espionnage en temps de paix pose toutefois une autre question d’interprétation. L’on ne peut que constater un effet évident de darwinisme bureaucratique par lequel les services de renseignement ne cessent d’étendre leur influence en absorbant les organes les plus faibles ou en situation de crise. Ces services échappent probablement encore moins que d’autres organes de l’État à cette tendance. Toutefois, le prisme de la sociologie des organisations ne permet de répondre que partiellement à la question initiale. L’historien doit, en l’espèce, être particulièrement attentif au contexte politique. La mise en place, dans les toutes premières années de la IIIe République, du 2e bureau, de la section de statistique et d’une relation privilégiée et dominante avec l’ancienne « police spéciale » doit beaucoup à la position occupée par la nouvelle armée au sein du nouveau régime. La disparition de l’ancienne armée professionnelle du Second Empire [67] et son remplacement à partir de 1872 par une armée reposant en partie sur la conscription [68] s’accompagna d’une mission nouvelle : incarner l’espoir d’une revanche sur l’Allemagne. En contrepartie de son incapacité politique, l’armée nouvelle, « arche sainte » de la Nation, se vit attribuer, outre des moyens financiers considérables, une position symbolique majeure. Protégée de tout soupçon de politisation par l’absence du droit de vote et donc confinée dans un rôle apparemment technique, l’armée ne put que plus facilement imposer son autorité à une partie de la police. Lorsque l’illusion de l’apolitisme militaire se dissipa brutalement à l’occasion de l’affaire Dreyfus, rompant le (dés)équilibre accepté par la police spéciale, la Sûreté réagit en revendiquant avec succès une nouvelle répartition à son profit du pouvoir d’informer les plus hauts organes décisionnaires de l’État républicain.
Mots-clés éditeurs : espionnage, affaire Dreyfus, État, renseignement, administration, IIIe République
Date de mise en ligne : 01/12/2007
https://doi.org/10.3917/rhis.054.0767Notes
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[1]
Olivier Forcade et Sébastien Laurent, Secrets d’État. Pouvoirs et renseignement dans le monde contemporain, Paris, Armand Colin, 2005, 238 p.
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[2]
Il faudrait, pour être complet, en citer d’autres dont l’apport fut modeste mais qui témoigne de l’implication de l’ensemble de l’administration : les douanes, les Eaux et forêts, les garde-côtes, etc.
-
[3]
Sébastien Laurent, Pour une autre histoire de l’État : le secret, l’information politique et le renseignement, Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 83, juillet-septembre 2004, p. 173-184.
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[4]
On pense en particulier aux travaux d’histoire du syndicalisme et d’histoire du mouvement ouvrier qui ont longtemps reposé essentiellement sur l’exploitation des sources policières (Jean Maitron (éd.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Paris, Les Éditions Ouvrières / Les Éditions de l’Atelier, 1967-1997, 44 vol., ou encore Maintien de l’ordre et polices en France et en Europe au XIXe siècle, Paris, Créaphis, 1987, 413 p.).
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[5]
Parmi les travaux plus anciens, seul le maître-livre de Marcel Thomas : L’Affaire sans Dreyfus, Paris, Fayard, 1961, 586 p., s’impose par sa rigueur et la qualité de son information concernant la « section de statistique ».
-
[6]
Voir notamment les travaux dirigés à l’EPHE par Guy Thuillier et Jean Tulard depuis trente ans.
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[7]
Clive Emsley, Herbert Reinke, René Lévy, Les polices aux XIXe et XXe siècles : aperçus sur les historiographies anglaise, allemande et française, Les Cahiers de la sécurité intérieure, no 17, 3e trimestre 1994, p. 11-33, et Jean-Marc Berlière, Le monde des polices en France. XIXe-XXe siècles, Bruxelles, Complexe, 1996, 275 p.
-
[8]
André Martel, De l’histoire militaire à l’histoire de la défense, Bulletin d’information de l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche, octobre 1996, p. 7-23, et Olivier Forcade, L’histoire politique des armées et des militaires dans la France républicaine (1871-1996) : essai d’historiographie, Jean Jaurès. Cahiers trimestriels, no 142, octobre-décembre 1996, p. 7-24.
-
[9]
Marc-Olivier Baruch et Vincent Duclert, Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française, 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000, 587 p.
-
[10]
Pierre Rosanvallon, L’État en France : de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, « Points-Histoire », 1993, 369 p. Également, du même auteur : La croissance de l’État comme problème, dans André Burguière et Jacques Revel (dir.), Histoire de la France. L’État et les pouvoirs, t. II, Paris, Le Seuil, 1989, p. 491-512.
-
[11]
Voir, pour une première esquisse : Sébastien Laurent, Le service secret de l’État. La part des militaires (1870-1945), dans Marc-Olivier Baruch et Vincent Duclert (dir.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française, 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000, p. 279-295.
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[12]
On laissera délibérément de côté l’œuvre de la Marine qui se dota en 1882 d’un « 2e bureau de statistique maritime et d’étude des marines étrangères » (Alexandre Sheldon-Duplaix, Le renseignement naval français des années 1850 à la Deuxième Guerre mondiale, Revue historique des armées, no 4, 2001, p. 47-64).
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[13]
On renverra aux études nuancées de Jean-Jacques Becker et Stéphane Audouin-Rouzeau, La France, la nation, la guerre. 1850-1920, Paris, SEDES, 1995, 387 p., et de Bertrand Joly, La France et la Revanche (1871-1914), Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 46-2, avril-juin 1999, p. 325-347.
-
[14]
SHAT, 10 Yd 114, dossier du général Vanson.
-
[15]
Samuel Gibiat, Introduction, Inventaire des archives de la guerre. Sous-série Ya. Archives administratives du département de la guerre. XVIIe-XVIIIe siècles, Château de Vincennes, 2000, p. 1-15 ; Thierry Sarmant, Mars archiviste. Département de la guerre, dépôt de la guerre, archives de la guerre, 1630-1791, Revue historique des armées, no 222, mars 2001, p. 112-122 ; Michel Boudin, Le dépôt de la Guerre pendant la Révolution, mémoire de DEA d’histoire préparé sous la direction du Pr Jean Tulard, Université de Paris IV, 1998, 54 p. ; Patrice Bret, Le dépôt général de la Guerre et la formation scientifique des ingénieurs géographes militaires en France (1789-1830), Annals of Science, 48, 1991, p. 113-157.
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[16]
Voir notamment [chef d’escadron] Ch.[arles] Fay, Projet de réorganisation de l’armée française, Tours, Imprimerie A. Mame et fils, 1871, 82 p. ; Colonel Lewal, La Réforme de l’armée, Paris, Librairie militaire J. Dumaine, 1871, 606 p. Fay avait été affecté à la section de renseignements de l’armée du Rhin sous les ordres de Lewal. Également : Général Billot, Rapport fait au nom de la commission de l’armée sur le projet de loi relatif à l’organisation du service d’état-major, Paris, Librairie militaire de J. Dumaine, 1875, 166 p.
-
[17]
Henry Contamine, La Revanche, 1871-1914, Paris, Berger-Levrault, 1957, 280 p. ; Jean-Charles Jauffret, L’œuvre des militaires de la commission de réorganisation de l’armée, 1871-1875, dans Olivier Forcade, Éric Duhamel, Philippe Vial (dir.), Militaires en République, 1870-1962. Les officiers, le pouvoir et la vie publique en France, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, p. 293-302. Également Guy Pédroncini (éd.), Vaincre la défaite, 1872-1881. Armée de terre, Vincennes, SHAR-IHCC, 1989, 723 p.
-
[18]
La revue comptait 1 800 abonnés en 1896 (SHAT, 9 N non coté, Note au sujet de l’emploi du personnel du 2e bureau de l’état-major de l’armée et de l’importance des affaires diverses traitées, 5 juin 1896).
-
[19]
SHAT, MR 2372, documentation sur la RME, circulaire imprimée du ministre général de Cissey aux officiers généraux et chefs de corps de toutes armes, 10 juin 1872.
-
[20]
Général Trochu, L’Armée française en 1879, Paris, Jules Hetzel, 1879, p. 101, n. 1.
-
[21]
Général Vanson, Deux documents concernant la réorganisation de l’armée en 1873, Carnet de la sabretache, 1896, 4e volume, p. 337-354. Le billet de convocation envoyé par le ministre au commandant Vanson ainsi que le manuscrit de l’étude préparatoire au décret se trouvent dans les archives du général Vanson (SHAT, MR 2253-2254, fonds du général Vanson). Le rôle de Vanson dans la création de l’état-major général est confirmé par du Barail lui-même (général du Barail, Mes souvenirs, t. III : 1864-1879, Paris, Plon, 1896, p. 471-472) et par le créateur de la réunion des officiers, le colonel Fix (ses Souvenirs d’un officier d’état-major (1870-1894), Paris, F. Juven éd., t. II, 1898, p. 108).
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[22]
Sans jamais apparaître dans l’Annuaire de l’armée française à la différence de la composition détaillée de tous les bureaux de l’état-major ainsi que celle du cabinet du ministre.
-
[23]
Sébastien Laurent, L’argent secret de l’État. Les fonds secrets ministériels sous la République (1848-1914), dans Tanguy Wuillème (dir.), Autour des secrets, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 139-153.
-
[24]
Les attachés militaires, apparus en Prusse en 1816-1817, se généralisent en Europe dans les années 1830 et non vers 1860 comme on le lit souvent (Capitaine Beauvais, Attachés militaires, attachés navals et attachés de l’air, Paris, Éd. A. Pedone, 1937, 214 p. ; Maurice Vaïsse, L’évolution de la fonction d’attaché militaire en France au XXe siècle, Relations internationales, hiver 1982, no 32, p. 507-524 ; Lothar Hilbert, Les attachés militaires français : leur statut pendant l’entre-deux-guerres, Guerres mondiales et conflits contemporains, no 215, octobre 2004, p. 25-33).
-
[25]
MAE, CADN, Correspondance du ministère des Affaires étrangères avec le ministère de la Guerre, cartons 307 à 313 et MAE, série C administrative, carton 180.
-
[26]
Voir une illustration du même phénomène pour des raisons différentes, essentiellement politiques : Bertrand Joly, « L’affaire Dreyfus comme conflit entre administrations », dans Marc-Olivier Baruch et Vincent Duclert (dir.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française, 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000, p. 229-243.
-
[27]
SHAT, MR 2256, fonds du général Vanson, É. Vanson, Résumé des idées et des faits sur lesquelles sont basées les propositions soumises au général chef d’état-major général, juillet 1875, p. 6.
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[28]
SHAT, MR 2256, fonds du général Vanson, Aperçu du service du 2e bureau pendant les six premiers jours de la mobilisation, juillet 1878.
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[29]
SHAT, MR 2037, fonds de la succession Sandherr, Note anonyme non datée de la main de Sandherr.
-
[30]
Cet impensé de la politique chez les hommes du renseignement demeure un topos des témoignages de ces officiers jusqu’en 1945. Il disparaît une fois que le droit de vote leur est accordé.
-
[31]
Voir, pour une perspective plus large : Sébastien Laurent, Les services secrets gaullistes à l’épreuve de la politique (1940-1947), Politix. Revue des sciences sociales du politique, vol. 14, no 54, 2001, p. 139-153.
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[32]
Cette évolution est loin d’être une spécificité française : les attachés militaires allemands dans le Reich wilhelmien ont été bien plus loin que leurs camarades français en tentant de jouer un rôle (et y parvenant parfois) extrêmement actif dans la conduite de la politique étrangère comme l’a montré Gordon A. Craig (Military diplomats in the Prussian and German service : The attachés, 1816-1914, Political Science Quarterly, vol. LXIV, 1949, p. 65-94, et, du même auteur : The Politics of Prussian Army, 1640-1945, Oxford, Oxford University Press, 1964, p. 255-273). Sur le sujet plus vaste de la contribution des militaires à la politique extérieure, l’étude roborative de Philippe Vial (Une place à part : les militaires et les relations extérieures de la France en temps de paix depuis 1870, Matériaux pour l’histoire de notre temps, no 65-66, janvier-juin 2002, p. 41-47).
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[33]
Cette activité fut financée par une caisse noire tirée d’une comptabilité irrégulière sur les fonds secrets de la section de statistique.
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[34]
Le chantier de l’histoire politique des armées pour la période 1815-1914 – largement ouvert – demeure malheureusement assez délaissé. Des gisements d’archives inexploités (en particulier des fonds privés de ministres de la Guerre ou d’officiers situés dans l’entourage du président de la République) sommeillent tranquillement au SHAT. Renvoyer, comme le fait Jérôme Hélie (L’arche sainte fracturée, dans Pierre Birnbaum (dir.), La France de l’affaire Dreyfus, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1994, p. 226-250), l’interprétation de l’acmé de la crise, l’affaire Dreyfus, à un conflit entre une portion minoritaire, technicienne et moderniste, dreyfusarde et une majorité archaïque et antidreyfusarde, nous paraît être une clef de lecture, certes séduisante mais un peu trop réductrice pour une réalité bien plus complexe. L’ouvrage de Jacques Nobécourt et Jean Planchais (Une histoire politique de l’armée, 1919-1967, Paris, Le Seuil, 1967, 2 vol.) n’a pas son équivalent pour le XIXe siècle.
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[35]
Sur l’évolution du corps de la police dans son ensemble à la fin du XIXe siècle, les travaux classiques de Jean-Marc Berlière, La professionnalisation de la police en France : un phénomène nouveau au début du XXe siècle en France, Déviance et société, XI-1, mars 1987, p. 67-104, et, du même auteur : La professionnalisation : revendication des policiers et objectif des pouvoirs au début de la IIIe République, Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 3, 1990, p. 398-428.
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[36]
Voir Jean-Marc Berlière, L’institution policière en France sous la IIIe République, thèse de doctorat d’histoire sous la direction de Pierre Lévêque, Université de Bourgogne, 1991, 3 vol., 1 304 p.
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[37]
Le contrôle des étrangers, nettement renforcé en 1888 et après 1893, revint aux polices municipales, financées par les communes, mais dont les représentants relevaient du ministère de l’Intérieur qui les nommait.
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[38]
SHAT, 1 M 2197, lettre du président du Conseil, ministre de l’Intérieur, aux préfets, 9 février 1887.
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[39]
La sous-série 2 I du SHAT provient d’un versement récent des archives départementales du Nord.
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[40]
L’ « instruction très confidentielle du 9 décembre 1886 relative à la surveillance de la gendarmerie à l’égard des espions » (SHAT, 9 N 19) instituait des « rapports individuels » qui prirent le nom de « carnets B » par la suite. Sur le « carnet B », le classique Jean-Jacques Becker, Le carnet B. Les pouvoirs publics et l’antimilitarisme avant la guerre de 1914, Paris, Klincksieck, 1973, 226 p., et l’étude très documentée de Louis N. Panel, Gendarmerie et contre-espionnage (1914-1918), Maisons-Alfort, SHGN, 2004, 250 p.
-
[41]
SHAT, 2 I 323, Rapport du 1er corps d’armée sur le service territorial de renseignements, 1887, p. 8-9.
-
[42]
Dans la Ire région, un quart à un tiers de l’effectif total était composé de gendarmes retraités.
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[43]
Ces services territoriaux avaient également pour tâche de surveiller les points sensibles lors de la mobilisation.
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[44]
SHAT, 1 M 2197, lettre du président du Conseil, ministre de l’Intérieur, aux préfets, 9 février 1887, p. 4.
-
[45]
SHAT, 2 I 323, lettre du capitaine d’Astafort au colonel Rau, chef d’état-major du 1er corps d’armée, 5 mai 1892.
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[46]
On renverra à la théorie du rapport préfectoral selon Fouché : « Je ne demande et ne veux connaître que des faits, des faits recueillis avec soin, présentés avec exactitude et simplicité, développés avec tous les détails qui peuvent en faire sentir les conséquences, en indiquer les rapports, en faciliter le rapprochement » (circulaire du duc d’Otrante aux préfets du 31 mars 1815 publiée dans : Le Moniteur universel, no 94, 4 avril 1815, p. 4).
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[47]
Jean-Noël Luc (dir.), Gendarmerie, État et société au XIXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, 510 p., ainsi que le très utile : Jean-Noël Luc (dir.), Histoire de la Maréchaussée et de la Gendarmerie. Guide de recherche, Maisons-Alfort, Service historique de la gendarmerie nationale, 2005, 1 104 p.
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[48]
« Une surveillance continue et répressive constitue l’essence de son service » (article premier de l’ordonnance et du décret).
-
[49]
Les « carnets A » rassemblaient les noms des étrangers résidant en France en âge de servir leur armée ; les carnets B, ceux des étrangers et des Français soupçonnés d’espionnage ou d’antimilitarisme.
-
[50]
Marie-Claude Blanc-Chaléard (éd.), Police et migrants : France, 1667-1939, Rennes, PUR, 2001, 422 p.
-
[51]
La question des relations entre l’armée et la police en temps de guerre était fixée depuis la IIe République par la loi : en l’occurrence, la loi du 9 août 1849 disposait en son article 7 que les pouvoirs de police passaient à l’autorité militaire dès la proclamation de l’état de siège.
-
[52]
AN, F7 12708, direction de la Sûreté générale, rapport du directeur de la Sûreté générale Cazelles adressé au ministre de l’Intérieur et des Cultes, 30 juin 1880, p. 11-12 ; déposition d’Élie Cavard le 2 novembre 1904, reproduite dans L’affaire Dreyfus. Le procès Dautriche. Compte rendu sténographique in extenso, Paris, SNLE, 1905, p. 508 ; Déposition de Célestin Hennion le 2 novembre 1904, reproduite dans ibid., p. 525.
-
[53]
Aucun texte réglementaire ne présidait à ce qui relevait simplement d’un usage.
-
[54]
Jean-Marc Berlière, Le monde des polices en France. XIXe-XXe siècles, Bruxelles, Complexe, 1996, 275 p.
-
[55]
Jean-Paul Brunet, La police de l’ombre. Indicateurs et provocateurs dans la France contemporaine, Paris, Le Seuil, « Histoire », 1990, 352 p.
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[56]
Journal officiel. Chambre des députés, séance du 28 mai 1900, p. 1307.
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[57]
Ibid.
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[58]
Joseph Caillaux, Mes mémoires, Paris, Plon, 1942, p. 146.
-
[59]
Lieutenant-colonel Rollin, Le Service de renseignements militaires en temps de paix en temps de guerre, Paris, NLN, 1908, p. 23 ; Commandant de Blondeau, Le Service des renseignements, Paris, Librairie militaire R. Chapelot, 1911, p. 42, n. 3 ; Général de Langle de Cary, Souvenirs de commandement, 1914-1916, Paris, Payot, 1935, p. 289.
-
[60]
Aveu de M. de Galliffet, L’Éclair, 26 mai 1900 ; Léon Daudet, L’avant-guerre. Études et document sur l’espionnage juif-allemand en France depuis l’affaire Dreyfus, Paris, Nouvelle Librairie nationale, 1913, p. 303 ; Jean Roget, L’affaire Dreyfus. Ce que tout Français doit en connaître, Paris, Librairie de l’Action française, 1925, p. 5 et 86. Le lieutenant-colonel Rollin publia le livre cité dans la précédente note à la Nouvelle Librairie nationale, éditeur de l’Action française.
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[61]
D’après les Mémoires du colonel Jourdy, juge militaire à Rennes, la déposition de Czernuski impressionna fortement le tribunal (SHAT, 1 K 664, Mémoires manuscrits du général Jourdy, s.d., chapitre sixième, p. 765).
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[62]
On emploie ici l’expression dans un sens un peu différent de l’usage habituel, évoquant les conflits internes à la police (Jean-Marc Berlière, Ordre et sécurité. Les nouveaux corps de police de la IIIe République, Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 39, juillet-septembre 1993, p. 23-37).
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[63]
Jean-Marc Berlière, La généalogie d’une double tradition policière, dans Pierre Birnbaum (dir.), La France de l’affaire Dreyfus, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1994, p. 191-225.
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[64]
SHAT, T 526, Général Charles Dupont, Mémoires, s.d. [rédigé entre 1920 et 1926], p. 29.
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[65]
Très majoritairement de l’ESM, comme le révèle l’analyse de plus des 120 dossiers des officiers affectés au 2e bureau ou à la section de statistique entre 1870 et 1914. Le profil social et culturel de ces officiers n’est pas fondamentalement différent de ceux de l’ensemble du corps des officiers étudiés par William Serman (Le corps des officiers français sous la IIe République et le Second Empire. Aristocratie et démocratie dans l’armée au milieu du XIXe siècle, thèse d’État en histoire sous la direction de Louis Girard, Service de reproduction des thèses de l’Université de Lille III, 1978, 3 t., 1 747 p.)
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[66]
Maurice Mathieu, Le rôle politique des commissaires spéciaux de la police des chemins de fer dans la Vienne entre 1874 et 1914, dans Maintien de l’ordre et polices en France et en Europe au XIXe siècle, Paris, Créaphis, 1987, p. 160, et Jean-Marc Berlière, L’Institution..., op. cit., p. 433, n. 29.
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[67]
On notera toutefois que les services de renseignements furent créés par un Vanson, un Samuel et un Campionnet, officiers supérieurs de l’ancienne armée.
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[68]
On renverra à la remarquable thèse de Philippe Catros (Des citoyens et des soldats. Histoire politique de l’obligation militaire en France de la Révolution au début de la Troisième République (1789-1872), thèse de doctorat d’histoire contemporaine sous la direction de Roger Dupuy, Université de Rennes 2, 2004, 1 141 p.), qui renouvelle en profondeur les analyses sur l’obligation armée au XIXe siècle.