Notes
-
[1]
Ferdinand Lot et Robert Fawtier (dir.), Histoire des institutions françaises au Moyen Âge, t. 1 : Institutions seigneuriales, t. 2 : Institutions royales, Paris, 1957-1958.
-
[2]
Voir Olivier Mattéoni, Servir le prince. Les officiers des ducs de Bourbon à la fin du Moyen Âge (1356-1523), Paris, 1998, part. p. 199-242.
-
[3]
À partir de l’étude classique de Édouard Andt, La Chambre des comptes de Dijon à l’époque des ducs Valois, Paris, 1924.
-
[4]
Voir Jean Kerhervé, L’État breton aux XIVe et XVe siècles. Les ducs, l’argent et les hommes, t. 1, Paris, 1987, p. 341-403.
-
[5]
Voir, pour une période précédente, Jean-Paul Trabut-Cussac, L’administration anglaise en Gascogne sous Henry III et Édouard Ier de 1254 à 1307, Paris-Genève, 1972, en particulier p. 287-309.
-
[6]
Anne Lemonde, De la principauté delphinale à la principauté royale. Structures et pouvoir en Dauphiné au XIVe siècle, thèse d’histoire nouveau régime dactylographiée, 5 vol., Université de Grenoble II Pierre Mendès France, 1999.
-
[7]
Élisabeth Lalou, I, p. 15. Le précurseur est, ici, Henri Jassemin, dont Philippe Contamine rappelle, en introduction, les démêlés avec Lucien Febvre : Henri Jassemin, La Chambre des comptes de Paris au XVe siècle précédé d’une étude sur ses origines, Paris, 1933. Cf. aussi Philippe Contamine, La mémoire de l’État. Les archives de la Chambre des comptes du roi de France, à Paris, au XVe siècle (1989), dans Id., Des pouvoirs en France, 1300-1500, Paris, 1992, p. 237-250.
-
[8]
Respectivement I, p. 3-122, 123-204, 205-266.
-
[9]
Élisabeth Lalou, I, p. 4.
-
[10]
Noël Coulet, II, p. 202-207 ; Bernard Demotz, I, p. 19-20. Voir aussi, à présent, Guido Castelnuovo et Christian Guilleré, Les finances et l’administration de l’État savoyard au XIIIe siècle, dans Bernard Andenmatten, Agostino Paravicini-Bagliani, Eva Pibiri (éd.), Pierre II de Savoie. « Le petit Charlemagne », Actes du Colloque international, Lausanne, mai 1997, Lausanne, 2000, p. 33-125.
-
[11]
Jean Thibault, I, p. 151.
-
[12]
Jean Kerhervé, II, p. 127 ; Bertrand Schnerb, II, p. 29.
-
[13]
Olivier Mattéoni, II, p. 43.
-
[14]
Noël Coulet, II, p. 202.
-
[15]
Élisabeth Lalou, I, p. 5.
-
[16]
Bernard Demotz, I, p. 20.
-
[17]
Noël Coulet, II, p. 199.
-
[18]
Bertrand Schnerb, II, p. 30.
-
[19]
Bernard Demotz, II, p. 188 ; en fait, l’édition complète est due à C. Nani, I primi Statuti sopra la camera dei conti nella monarchia di Savoia. Documenti, Memorie della Reale Accademia delle Scienze di Torino, 34, 1883, p. 199-205.
-
[20]
Élisabeth Lalou, I, p. 5.
-
[21]
Michel Le Mené, I, p. 43.
-
[22]
Bertrand Schnerb, I, p. 56-57 et Jean Kerhervé, II, p. 127.
-
[23]
Olivier Mattéoni, II, p. 43 ; Mireille Jean, p. 27-30 ; Jean Thibault, p. 151-152.
-
[24]
Albert Rigaudière, I, p. 207-209.
-
[25]
Philippe Contamine, I, p. 259.
-
[26]
Denyse Riche, I, p. 247-249.
-
[27]
Jean-Philippe Genet, I, p. 270-271.
-
[28]
Bertrand Schnerb, I, p. 55 et II, p. 37.
-
[29]
Rappel breton dans Jean Kerhervé, II, p. 127.
-
[30]
Albert Rigaudière, I, p. 210.
-
[31]
Jean Kerhervé, II, p. 138.
-
[32]
Olivier Mattéoni, II, p. 45.
-
[33]
Guido Castelnuovo, Ufficiali e gentiluomini. La società politica sabauda nel tardo medioevo, Milan, 1994, p. 115.
-
[34]
Jean Kerhervé, I, p. 166-167.
-
[35]
Olivier Mattéoni, II, p. 44.
-
[36]
En Provence, leur place est ainsi tenue par les maîtres rationaux : Noël Coulet, I, p. 144-148.
-
[37]
Jean Kerhervé, II, p. 128.
-
[38]
Hélène Olland, I, p. 125-127.
-
[39]
Philippe Contamine, I, p. 260.
-
[40]
Anne Curry, II, p. 115.
-
[41]
Ead., I, p. 91.
-
[42]
Jean Kerhervé, I, 168, document de 1455.
-
[43]
Hélène Olland, I, p. 127.
-
[44]
Jean-Philippe Genet, I, p. 267.
-
[45]
Élisabeth Lalou, II, p. 3-8.
-
[46]
Philippe Contamine, II, p. 25.
-
[47]
Peter Rück, L’ordinamento degli archivi ducali di Savoia sotto Amedeo VIII, Rome, 1977, trad. ital.
-
[48]
Olivier Mattéoni, I, p. 73.
-
[49]
Voir les contributions de Mireille Jean pour le nord des États bourguignons, de Hélène Olland pour la Lorraine et de Jean Kerhervé pour la Bretagne.
-
[50]
Jean-Philippe Genet, I, p. 271.
-
[51]
Philippe Contamine, II, p. 27.
-
[52]
Jean Kerhervé, II, p. 146.
-
[53]
Cf. l’important dossier prosopographique, p. 179-204.
-
[54]
Mireille Jean, I, p. 39.
-
[55]
Noël Coulet, I, p. 141.
-
[56]
Guido Castelnuovo, Ufficiali e gentiluomini..., op. cit. (n. 32), p. 220-221.
-
[57]
Pour toutes ces données, voir Jean Thibault, I, p. 157 ainsi que Guido Castelnuovo, Quels offices, quels officiers ? L’administration en Savoie au milieu du XVe siècle, Études savoisiennes, 2, 1993, p. 3-43, en particulier p. 17-18 et 39.
-
[58]
Noël Coulet, I, p. 137 ; Jean Thibault, I, p. 158 ; Jean Kerhervé, I, p. 174 ; pour le monde urbain, Albert Rigaudière, I, p. 224.
-
[59]
Noël Coulet, I, p. 137.
-
[60]
Ibid., p. 142.
-
[61]
Au centre et même sur le terrain : Hélène Olland, I, p. 131 et Noël Coulet, I, p. 142.144.
-
[62]
Hélène Olland, I, p. 131, et Jean Kerhervé, I, p. 176.
-
[63]
Mireille Jean, I, p. 37, et Noël Coulet, I, p. 143.
-
[64]
Jean Thibault, I, p. 158.
-
[65]
Philippe Contamine, I, p. 260, 266.
-
[66]
Pour la Bretagne : Jean Kerhervé, II, p. 49.
-
[67]
Albert Rigaudière, I, p. 241, 276.
-
[68]
Hélène Olland, I, p. 129-130 ; Noël Coulet, I, p. 138, 145-146 ; Jean Thibault, I, p. 161.
-
[69]
Noël Coulet, I, p. 148 ; Jean Thibault, I, p. 162 ; Albert Rigaudière, I, p. 226.
-
[70]
Jean Kerhervé, I, p. 173.
-
[71]
Noël Coulet, I, p. 137, 144.
-
[72]
Ibid., p. 146.
-
[73]
Ibid., p. 135.
-
[74]
Ibid., p. 146.
-
[75]
Jean-Philippe Genet, I, p. 279.
-
[76]
Hélène Olland, I, p. 130 ; Olivier Mattéoni, II, p. X.
-
[77]
Id., I, p. 129-131.
-
[78]
Bertrand Schnerb, I, p. 59.
-
[79]
Mireille Jean, I, p. 39-40.
-
[80]
Jean Kerhervé, II, p. 137.
-
[81]
Philippe Contamine, I, p. XXXVI.
-
[82]
Michel Le Mené, I, p. 54.
-
[83]
En milieu urbain, Albert Rigaudière, I, p. 234.
-
[84]
Mireille Jean, I, p. 40 ; Jean Kerhervé, I, p. 174.
-
[*]
À propos de deux ouvrages récents : Philippe Contamine et Olivier Mattéoni (dir.), La France des principautés. Les Chambres des comptes, XIVe et XVe siècles, Actes du Colloque tenu aux Archives départementales de l’Allier, Moulins-Yzeure, avril 1995, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996, 310 p. (= I) ; Les Chambres des comptes en France aux XIVe et XVe siècles, Textes et documents, Philippe Contamine et Olivier Mattéoni (éd.), Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998, 252 p. (= II).
1« Teles besoingnes sont mout ennuieuses et sont homme melencolieus » : ainsi s’expriment, au XIVe siècle, les clercs de la Chambre des comptes royale dans l’une de leurs nombreuses doléances fustigeant la lourdeur des tâches administratives. À l’écoute de tels propos, on pourrait presque dire que les prémices d’un imaginaire collectif durable se mettent déjà en place : un travail répétitif, d’un intérêt limité, effectué par des employés sans qualités majeures, une simple routine pour d’obscurs rouages d’un État rapace, au XIVe comme au XXe siècle. Rien de plus faux en vérité, et les recherches coordonnées par Philippe Contamine et Olivier Mattéoni dans les deux ouvrages que nous nous proposons ici de mettre en perspective le montrent bien. Ces « besoingnes ennuieuses », entre comptabilité et justice, archivage documentaire et contrôle fiscal, constituent en effet l’un des principaux socles de la légitimité du gouvernement de la chose publique. En outre, ces « hommes melencolieux » participent, au premier chef, à la construction de la société politique du bas Moyen Âge, contribuant ainsi à renouveler les profils des élites territoriales, princières et royales. Enfin, vus d’aujourd’hui, ces deux volumes ne sont point « ennuieus » et leur lecture ne risque pas de transformer quiconque en « homme melencolieus », loin de là.
2Quels sont donc les agencements et les mérites de ce travail pluriel, quarante ans après la synthèse institutionnelle dirigée par Ferdinand Lot et Robert Fawtier [1] ? Dès l’abord, et malgré la trentaine de contributions réunies dans les deux volumes, c’est l’unité et la cohérence de l’ensemble qui frappent et ce, de deux points de vue.
3En premier lieu, les deux livres se répondent et se complètent harmonieusement l’un l’autre. Le premier volume comprend en effet les quinze contributions présentées lors du colloque de 1995 sur « la France des principautés » et ses Chambres des comptes. Les deux termes sont pris au sens large : la France, car certains auteurs parlent de territoires externes au royaume ; les principautés aussi, car d’autres contributions ne traitent ni des princes ni de leurs institutions. Dans les faits, presque toutes les réalités géopolitiques inscrites dans ce que l’on pourrait considérer un espace français sont représentées, des principautés apanagistes – tel l’Anjou de Michel Le Mené, le Bourbonnais d’Olivier Mattéoni [2] ou le Blésois de Jean Thibault –, aux États bourguignons (Mireille Jean, Bertrand Schnerb) [3] et breton (Jean Kerhervé) [4]. En outre, les principautés voisines que sont la Lorraine de Hélène Olland, la Provence de Noël Coulet et la Savoie de Bernard Demotz, trouvent, elles aussi, leur place, tout comme les territoires de la « France anglaise », qu’il s’agit de la Normandie d’Anne Curry ou de l’Aquitaine de Françoise Bériac [5]. L’ouvrage nous propose donc un véritable tour d’horizon princier auquel il ne reste presque rien à ajouter, si ce n’est la recherche toute récente d’Anne Lemonde sur le Dauphiné [6]. En outre, ce tableau n’est pas que princier : le royaume des Valois apparaît, surtout à partir de la fin du XIVe siècle, comme une référence essentielle à la fois pour les hommes et les institutions de ces principautés, d’où l’importance de la contribution « parisienne » d’Élisabeth Lalou dont proviennent d’ailleurs les extraits des mémoriaux cités [7]. Enfin, l’intérêt de cet instrument de travail est encore accru grâce aux articles d’Albert Rigaudière, de Denyse Riche et de Philippe Contamine qui traitent, avec finesse et réussite, d’autres systèmes de gouvernement des comptes, qu’ils soient urbains (villes d’Auvergne et du Velay), monastiques (de Cluny à Cîteaux) ou simplement seigneuriaux, à partir de l’exemple des sires de La Trémoille. Centré sur la France et ses principautés, le colloque a décidé de renoncer à de plus amples ouvertures européennes, des comptes urbains italiens aux études sur les appareils de contrôle d’autres royaumes. En vérité, ces absences sont plus théoriques que réelles : derrière la Provence voici la Catalogne, tandis que les recherches sur la Normandie révèlent en filigrane le modèle anglais de l’Échiquier et que la Lorraine renvoie à l’autonomie des villes impériales rhénanes. Seul regret, et encore : l’absence de toute communication sur la Chambre pontificale en Avignon qui pouvait, elle aussi, jouer un rôle de référence et de modèle pour bien des gouvernements et des officiers princiers. La richesse des thèmes abordés par le colloque ressort d’ailleurs parfaitement tant dans sa conclusion exemplaire, à la fois synthétique et problématique, livrée par Jean Philippe Genet, que dans ses diverses introductions, par le biais d’une perspective actuelle chez Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, chez Jacques Magnet, conseiller-maître à la Cour des comptes et chez Michel Rasera, Président de la Chambre régionale des comptes d’Auvergne, ou encore au travers de la dense introduction générale due à Philippe Contamine.
4Bref, ce premier volume forme un tout cohérent que le second volume vient dûment compléter ; bien que plus ramassé, ce dernier répond au même profil géopolitique et aux mêmes exigences de clarté et d’approfondissement. La centaine de textes édités qu’il comprend, de Paris à Dijon, de Chambéry à Caen, via le Bourbonnais, la Provence et la Bretagne, constitue ainsi une mine d’informations dont l’accès est facilité par une présentation homogène : brève introduction récapitulative, qui se réfère et, parfois, élargit, les données présentées dans le premier volume ; appareil bibliographique principauté par principauté ; présentation et commentaire de textes originaux – ordonnances et statuts ; comptes des officiers et d’autres actes de la pratique rédigés par ces mêmes gens des comptes –, avec traduction du latin, voire du français d’alors. Il ne s’agit certes pas d’un tableau complet, et quelques scories demeurent (rééditions partielles présentées comme inédites) mais ce travail couplé d’édition et de commentaire élargit de beaucoup notre connaissance tant du fonctionnement que des prérogatives des Chambres des comptes princières.
5En outre, tout au long des deux ouvrages, les différents enjeux relatifs à l’histoire des Chambres des comptes ont été affrontés avec un réel souci d’unité. Nous touchons ici au second élément de cohérence interne qui renforce encore l’intérêt de cette initiative et qui ne constitue pas le moindre mérite de ses deux maîtres d’œuvre. Philippe Contamine et Olivier Mattéoni ont, en effet, remarquablement réussi à tenir en main leurs troupes en les aiguillant vers des thèmes, des trames et des problèmes à la fois toujours comparables et souvent communs. Chaque auteur y a du reste mis beaucoup du sien, en allant souvent au-delà des requêtes originelles des éditeurs. Le plan du colloque prévoyait trois grandes parties : le fonctionnement interne des Chambres des comptes ; les divers profils de leurs personnels ; les parallèles avec d’autres types de contrôle comptable, c’est-à-dire les comptes non princiers [8]. En fait et presque toujours, l’étude des structures institutionnelles, les enquêtes sur les personnels administratifs et les recherches sur les modalités de fonctionnement de ces Chambres sont allées de pair, permettant ainsi au lecteur de se forger une vision d’ensemble de la physionomie et des activités de ces appareils essentiels du contrôle étatique que furent les Chambres des comptes à la fin du Moyen Âge. Du croisement de ces différentes contributions se dégagent à la fois des acquis communs et de nouvelles pistes de travail proposées à tout chercheur intrigué ou séduit par le double thème de la genèse de l’État et du profil changeant des élites sociales des XIVe et XVe siècles.
6Concentrons-nous alors sur les acquis de cette initiative, qui sont aussi bien chronologiques qu’institutionnels, et qui concernent tout autant les attributions de ces Chambres que le recrutement de leur personnel.
7Du point de vue chronologique, trois temps forts se dégagent : la fin du XIIIe siècle, lorsque l’on commence à voir en action des spécialistes du contrôle des comptes, malgré l’absence d’une structure administrative ad hoc ; le milieu du XIVe siècle, et surtout les années 1360-1370, dès lors que les Chambres princières s’institutionnalisent, comme l’attestent leurs statuts et l’essor de leurs procédures d’archivage documentaire ; enfin, les premières décennies du XVe siècle, jusque dans les années 1440, qui sont une période de forte réorganisation interne de ces appareils, dans un sens hiérarchique et selon un modèle toujours plus royal et parisien.
8Chaque principauté garde, bien entendu, ses propres scansions internes, et cette chronologie demeure relative. Ces trois étapes renvoient toutefois au passage de la pratique aux statuts, puis de la réglementation à la rationalisation de l’institution, ce qui permet de distinguer trois générations de gens des comptes : des agents temporaires, prêtés par la cour au contrôle des comptes ; des officiers professionnels, clercs et laïcs, qui se spécialisent aux techniques comptables ; une institution hiérarchisée, en mesure de différencier ses spécialistes (clercs et maîtres auditeurs) de ses politiques, un ou deux présidents. Voyons donc de plus près ces divers temps des Comptes, car chaque étape semble avoir ses spécificités, ses modèles et ses raisons.
9Que ce soit à Paris ou à Blois, en Provence ou en Bretagne, à Dijon ou en Savoie, les années 1270-1300 correspondent à la mise en place, à l’intérieur même de la curia royale ou princière, de contrôles comptables dus à des maîtres et d’autres conseillers qui siègent en sessions financières sans que leur fonction soit pour l’heure mieux précisée. Ainsi, en 1272, parle-t-on, à Paris, de magistri curie (...) qui erant in compotis apud Templum [9]. Dans ce schéma, les dates et les modalités sont sensiblement les mêmes dans l’ensemble de l’espace français : les années 1250-1280 en Savoie ou en Provence [10], 1281 à Blois [11], la fin du XIIIe siècle en Bretagne et Bourgogne [12], 1317 à Montbrison, en Forez [13]. Il est donc assez clair que la « fondation » des Comptes ne correspond pas à l’institutionnalisation d’une véritable Chambre de contrôle, qui ne verra le jour que dans le courant du XIVe siècle. En outre, pour l’heure, l’administration royale ne joue guère un rôle de modèle, face à l’Échiquier anglais, à l’administration catalane et napolitaine, ou encore par rapport à la Provence et même à la Savoie. Alors, pourquoi ces débuts multipolaires ? Comme le rappellent les statuts du sénéchal provençal Jean Scot, de 1288, les prémices des Chambres des comptes sont directement liées à la volonté du prince (ou du roi) de mieux connaître les assises territoriales de son pouvoir et, par là, de mieux contrôler ses agents locaux – bayles ou baillis, sénéchaux ou châtelains – en les obligeant annuellement à rendre leurs comptes auprès de la cour [14]. Aucun des deux ouvrages n’entre de plain-pied dans le détail de ces origines, au-delà d’une distinction peut-être plus historiographique qu’historique entre les finances « privées » de l’Hôtel royal ou princier et les finances « publiques » du royaume ou de la principauté. Une impression générale semble toutefois se dégager, qui vaut d’ailleurs aussi pour les débuts des receveurs généraux et des trésoriers : la mise en place d’appareils centraux de contrôle fiscal et financier est directement liée à l’essor d’un réseau administratif territorial, d’où l’apparition d’une documentation sérielle souvent plus précoce localement qu’au niveau central (registres des officiers provençaux, comptes de châtellenie savoyards, par exemple).
10Toutefois, dès la fin du XIIIe siècle, ces nouvelles habitudes de centralisation, financières et comptables, contribuent à modifier les cadres du pouvoir et favorisent l’affirmation d’un processus de spécialisation des gens des comptes. C’est ainsi qu’au tournant des XIIIe et XIVe siècles, le mot même de Chambre des comptes acquiert un sens plus précis : c’est un lieu, avant même d’être une institution. Camera computorum à Paris en 1292, du Temple au Louvre [15] ; Chambre savoyarde stabilisée à Chambéry, dans le château comtal [16] ; « Chambre royale d’Aix » en 1302 [17] ; local des Comptes à Dijon au début du XIVe siècle [18] : ces différents exemples, et d’autres encore, nous révèlent deux caractéristiques importantes de cette période d’invention continue, par tâtonnements successifs, des administrations centrales. Tout d’abord, la présence d’un local permanent favorise une première forme d’institutionnalisation de la Chambre. Ensuite, et surtout, des liens étroits se développent entre cet ancrage topographique et l’essor de chefs-lieux administratifs ; dans bien des principautés, voilà qui se confond presque avec l’invention d’une capitale régionale, d’Aix à Dijon en passant par Lille et Chambéry. C’est d’ailleurs à la fin de cette première période de stabilisation que le modèle royal parisien commence à se déployer, ainsi que l’atteste l’ordonnance du Vivier-en-Brie de 1320. Il s’agit là du premier statut écrit d’une institution de contrôle des comptes dans l’espace français du XIVe siècle ; les principautés ne suivront qu’un demi-siècle plus tard, entre 1350 et 1390.
11Cela nous conduit à la deuxième étape chronologique. Présent dans toutes les principautés ainsi que dans le monde urbain et seigneurial, ce palier correspond au passage généralisé des anciennes commissions de contrôle et de vérification comptables à de véritables Chambres des comptes dont la stabilité est désormais aussi institutionnelle que spatiale. J’insisterai ici sur trois aspects qui, à la lecture des différentes contributions, me semblent essentiels : la généralisation des Chambres princières, dûment encadrées par la promulgation de statuts spécifiques ; la promotion du modèle royal, particulièrement évidente dans les principautés apanagistes ; les raisons possibles de cette (ré)organisation plus administrative que comptable. D’abord quelques dates, qui attestent une indiscutable ferveur statutaire : 1351, premier statut comptable savoyard [19] ; à Paris même, deuxième grande ordonnance des Comptes en 1360 [20] ; en 1368, création d’une Chambre angevine [21] et réorganisation de la Chambre de Dijon trois ans après la mise en forme de la Chambre des comptes bretonne [22] ; 1374, 1386 et 1388 : fondation des Chambres du Bourbonnais, de Lille et de l’apanage des Valois [23]. Partout, ou presque, semble s’affirmer un processus de spécialisation administrative qui crée et réglemente des organismes de contrôle des comptes que l’on voudrait désormais cohérents. Du reste, voilà qui vaut aussi pour les villes, les seigneuries, voire même les monastères. Albert Rigaudière a ainsi magistralement étudié la chronologie fine de l’ « organisation d’une vérification interne » des comptes urbains auvergnats ; or, celle-ci, et malgré les premières tentatives de contrôle dues à Saint Louis, ne commence à se mettre en place que dans le courant des années 1360-1370 [24]. Pour sa part, Philippe Contamine a non moins adroitement relevé que l’essor des sources comptables seigneuriales date des années 1350 [25], en même temps que certains établissements monastiques, tel Cîteaux, voient alors leurs modalités de contrôle comptables s’affiner [26]. Pour ce qui est des principautés, seuls peuvent se différencier les moyens mis en œuvre : de simples réorganisations dans les principautés déjà dotées de commissions temporaires de contrôle, de véritables créations, explicitement réclamées par le prince, dans bien de « nouvelles » principautés apanagistes, du Bourbonnais à l’Anjou ou à l’Orléanais. C’est d’ailleurs justement dans ces dernières, ainsi qu’en Bretagne et en Bourgogne, que le modèle royal commence dès lors à jouer un rôle majeur de référent institutionnel, comme le remarque Jean-Philippe Genet dans ses conclusions [27]. Ainsi, en Bourgogne, Philippe le Hardi recourt, dès 1386, à la collaboration de maîtres des comptes parisiens pour réorganiser la Chambre dijonnaise, tandis qu’encore en 1403 les officiers bourguignons demandent l’avis des « gens du compte du roi » [28].
12Que pousse donc tant de princes, de villes et de conseils à réformer et à renforcer les structures mêmes de leurs appareils centraux de contrôle ? Les deux ouvrages laissent, à ce propos, le lecteur un tant soit peu sur sa faim. Cela, toutefois, se comprend. Le problème déborde, et de beaucoup, les cadres d’une enquête sur les Chambres des comptes pour investir la question, autrement plus complexe, des modalités institutionnelles ainsi que de la périodisation administrative liées à l’essor de tous les organes de gouvernement des « États » du Moyen Âge tardif. Retenons, malgré tout, quelques raisons générales : le rôle de la guerre (de Cent ans, de Succession bretonne) ; les conséquences des bouleversements financiers des principautés [29] ; la volonté de pacification sociale qu’Albert Rigaudière a mis en juste valeur à propos des villes auvergnates et vellaves [30]. L’on pourrait encore y ajouter le renforcement géopolitique des différentes principautés, ainsi que le prestige accru du statut des officiers eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, la seconde moitié du XIVe siècle constitue une étape essentielle dans l’organisation et le fonctionnement quotidiens des Chambres des comptes.
13Cet ajustement progressif des Chambres princières favorise la lente émergence d’un groupe désormais reconnu d’officiers apparemment spécialisés. Cet aggiornamento ne correspond toutefois pas à l’ultime palier de l’évolution médiévale des Comptes. Pour que l’on puisse, ou que l’on veuille, parler « d’une institution parvenue à maturité, érigée en grand corps de l’État » [31], il faut attendre le XVe siècle et ses essais de rationalisation, voire même de délocalisation administrative. Pour ce qui est des Chambres de comptes princières, il me semble qu’un tournant décisif se place dans la première moitié du siècle, en liaison directe avec l’apparition de leurs présidents, indice tout à la fois d’une hiérarchisation accrue de l’institution et d’une différenciation professionnelle de son personnel. Dans ce mouvement, quatre caractéristiques majeures semblent se dessiner. Tout d’abord, insistons sur la précocité royale : un premier président existe à Paris dès les années 1360, tandis que la fonction se dédouble, entre un président clerc et un président laïque, dès la fin du XIVe siècle. Ensuite, ce modèle se généralise, plus ou moins rapidement, voire imparfaitement, dans presque toutes les principautés, sauf en Anjou et en Provence. Ainsi, la Chambre du Bourbonnais n’a, dès 1414, qu’un seul président [32], tout comme la Savoie à partir de 1418 [33], tandis qu’en Bretagne la double présidence (un clerc et un laïc) s’impose à l’orée du XVe siècle [34]. Et encore, le rôle professionnel ainsi que le bassin de recrutement des présidents (ou du premier président) tendent à se distinguer de ceux des autres officiers de la Chambre : rôle politique contre fonctions techniques, recrutement externe à l’institution contre cursus interne ; spécialisation juridique contre savoir-faire financier ou notarial. Enfin, l’office de président n’est pas la seule nouveauté administrative de la période ; que l’on pense ainsi aux procureurs urbains. En outre, et selon les circonstances, de nouvelles Chambres prennent leur essor, telle celle de Lille qu’étudie Mireille Jean, tandis que d’autres se hiérarchisent pour des motifs politiques, comme en Bourbonnais dès lors que la Chambre de Moulins devient le « chief de toutes les autres chambres des seigneories de monseigneur le duc » [35].
14Tout cela pour dire que, dans le courant du XVe siècle, et même en l’absence d’un ou de plusieurs présidents [36], c’est toute la structure des Chambres des comptes qui se codifie et se hiérarchise selon un schéma que l’on pourrait simplifier comme suit : clercs - auditeurs - présidents [37]. Voilà qui permet d’expliquer, du moins en partie, la tendance accrue à la spécialisation des gens des comptes qui va de pair avec la création d’offices nouveaux, l’apparition d’une hiérarchie administrative plus complexe et la mise en place d’une échelle des salaires toujours plus différenciée.
15Au terme de notre chronologie, dans l’espace français de l’extrême fin du Moyen Âge, les Chambres des comptes se trouvent donc partout où siège le pouvoir administratif et politique, dans chaque chef-lieu de principauté – y compris là où, comme en Lorraine, les institutions princières ne se développent que très tard en raison de la concurrence des autonomies urbaines [38] –, mais aussi dans bien des seigneuries – Chambre des sires de La Trémoille [39], chambre seigneuriale du duc de Bedford à Mantes, en 1424 [40] –, voire même, partiellement, en milieu urbain.
16Dans le courant du XVe siècle, ces Chambres des comptes sous-tendent, je dirais même soulignent, l’existence d’une koiné administrative, d’un savoir-faire partagé, qui relie rois, princes et seigneurs, de la Normandie anglaise dont la Chambre de Caen disposait « de responsabilités, de pouvoirs et de procédures semblables » à ceux de la Chambre royale de France [41], à l’Aquitaine francisée – ce qui n’avait point été tout à fait le cas de sa période anglaise, comme le souligne Françoise Bériac –, jusqu’à la Lorraine angevine. Cet encadrement commun avait trouvé, à partir de la fin du XIVe siècle, ses fondements dans un modèle parisien qui s’était imposé un peu partout grâce au prestige de l’idéologie royale. Les sources bretonnes le révèlent fort bien, dès lors que, pour mieux asseoir la légitimité de leurs princes, elles assimilent leurs agents régionaux à autant d’ « officiers royaux et appartenant à souverain » [42]. Mais, un demi-siècle plus tard, cette préférence royale s’est intégrée, jusqu’à s’y perdre, dans un moule commun. Lorsque René II d’Anjou crée, pour sa principauté lorraine, l’office de trésorier général de toutes ses finances, il renvoie simplement aux « droits, faveurs, prérogatives » des « autres trésoriers, des autres princes et seigneurs » [43].
17Dans ces deux ouvrages, la richesse des données et des analyses chronologiques et documentaires est telle que nous sommes à présent en mesure d’utiliser l’évolution des Chambres des comptes comme un modèle de départ pour toute étude comparative sur les différentes étapes de l’institutionnalisation et de la rationalisation des appareils de gouvernement du bas Moyen Âge. En vérité, dans ces deux livres, il y a bien plus que cela, et Jean-Philippe Genet le rappelle en conclusion [44] : les Chambres des comptes, « ce sont des techniques, ce sont des principes et ce sont des hommes ». Tournons-nous donc vers ces techniques et ces principes, avant de terminer par les hommes, leurs recrutements, leurs spécialisations et leurs compétences.
18De prime abord, la mission confiée aux gens des comptes semble aussi simple qu’uniforme. Simple, car, comme le rappelle l’ordonnance du Vivier-en-Brie, il s’agirait de « oyr, corrigier et amender » les comptes provenant des divers agents territoriaux [45]. Uniforme, car ces procédures de vérification, tout en s’affinant entre le XIVe et le XVe siècle, apparaissent un peu partout identiques. En vérité, les attributions et les compétences des Chambres des comptes vont, très vite, bien au-delà de ce seul contrôle comptable. Leur mission concerne, plus en général, la défense du domaine et la sauvegarde des intérêts royaux ou princiers, d’où une activité de contrôle administratif qui, en s’amplifiant, acquiert une double, voire une triple, tonalité. Selon l’heureuse expression de Philippe Contamine, leur tonalité financière originelle se doublerait d’une nouvelle tonalité juridique (les Chambres s’activant en tant que cour de justice et pouvant même contrôler la nomination des officiers princiers) à laquelle nous pouvons même ajouter une tonalité documentaire, centrée sur les nécessités de l’archivage, en vue de disposer de preuves facilement utilisables et capables de garantir et de défendre au mieux les droits de leur prince. À la fin du XVe siècle, un mémorial issu de la Chambre royale et édité par Philippe Contamine éclaire bien le rôle que les gens des comptes envisageaient de se donner eux-mêmes : il fallait éviter à l’État de « faillir et errer en ampliant folement la puissance royal ou préjudice du roy, de son royaume et de toute la chose publique » [46]. C’est ainsi que l’écrit, sa vérification et son contrôle acquièrent une place de choix dans l’organisation même des Chambres. Parmi les indices les plus probants de leur rationalisation et de l’affermissement de leurs structures institutionnelles se trouvent d’abord l’ « invention », dès la fin du XIVe siècle au plus tard, d’un officier archiviste spécialisé, et ensuite la production de véritables inventaires d’archives toujours plus nombreux au fil du XVe siècle : en Savoie, dès les années 1420-1450 comme l’a si bien montré Peter Rück [47] ; en Bourbonnais surtout dans la seconde moitié du siècle comme le relève l’importante communication d’Olivier Mattéoni [48] qui insiste, à juste titre, sur le rôle clef joué par les archives et les inventaires bourbonnais, « mémoires vivantes » de la principauté dans le long combat mené par les ducs de Bourbon pour affermir leur légitimité politique.
19Si la mission des Chambres des comptes du bas Moyen Âge n’est pas que financière, s’il ne leur suffit pas de compter mais plutôt d’administrer, par le truchement de techniques documentaires ou par son pendant, les connaissances linguistiques [49], il est dès lors important de cerner en détail les principales caractéristiques sociales et professionnelles de leurs personnels. Pouvons-nous en effet penser que les tonalités plurielles de ces Chambres favorisent la constitution d’un esprit de corps des gens des comptes qui serait en mesure d’obtenir pour ses membres un certain nombre de privilèges tant financiers que politiques ? Pouvons-nous alors parler des gens des comptes comme d’un tout, d’un groupe uni et cohérent d’officiers spécialisés ?
20Encore une fois, les conclusions de Jean-Philippe Genet peuvent nous venir en aide, lorsqu’elles relèvent, sur les traces de Bruce McFarlane et de ses « Gentlemen Bureaucrats », l’importance des Chambres des comptes en tant que « foyers de culture des administrateurs laïques » [50]. Laïques, ces gens des comptes ne l’étaient pas toujours (dès 1316, le premier organigramme de la Chambre royale nous présente aussi bien des maîtres clercs que des maîtres laïcs), mais ils le devenaient de plus en plus souvent, surtout lorsqu’ils œuvraient dans des principautés dont le chef-lieu administratif ne correspondait pas à un siège épiscopal (Moulins en Bourbonnais, Chambéry en Savoie). D’autre part, l’essor généralisé de leurs mémoriaux montre assez bien qu’au moins au XVe siècle ces gens des comptes se considéraient, partout, comme autant d’officiers capables de développer une certaine conscience interne, tant culturelle que sociale. Voilà qui les amenait à rappeler, dans le mémorial déjà cité, qu’un roi ne gouvernait bien qu’ « avecques son conseil ou au moins usant de son conseil » [51]. Voilà aussi qui, en Bretagne, pouvait les conduire à être « esleus » par leurs collègues et non point nommés par le prince [52]. Mais s’agissait-il toujours des mêmes hommes, détenteurs des mêmes techniques et recrutés dans un même bassin socioprofessionnel ?
21Pour répondre à ces questions, les méthodes les meilleures demeurent la prosopographie et les études de cas. Elles ne manquent pas dans ces ouvrages, de l’étude de Jean Kerhervé sur les présidents de la Chambre de Bretagne au XVe siècle [53], aux recherches sur les gens des comptes lorrains (Hélène Olland), provençaux (Noël Coulet) et blésois (Jean Thibault) ou encore aux nombreuses informations glanées tout au long des deux volumes. Les réponses que ces études nous apportent sont, certes, fort nuancées, dans le temps et dans l’espace, mais quelques pistes de recherche se dégagent malgré tout, qui concernent à la fois les profils professionnels et les physionomies sociales de ces gens des comptes.
22Arrêtons-nous d’abord sur les typologies professionnelles qui devraient renvoyer au mieux aux compétences mêmes des Chambres. Quatre aspects méritent, me semble-t-il, d’être tout particulièrement relevés : l’existence de classements internes aux Comptes, indice possible de cursus spécialisés ; les types de formation professionnelle et leurs liens avec les hiérarchies salariales ; la position des gens des comptes par rapport aux autres personnels de l’administration centrale ; les limites d’une simple spécialisation comptable ou documentaire signifiées par les pratiques du cumul et de la survivance des offices.
23Dans les Chambres des comptes, les classements internes existent, surtout au XVe siècle, mais ils peuvent, selon les cas, attester une certaine continuité ou insister sur des séparations bien réelles. Entre clercs, auditeurs et maîtres, la longévité et la continuité des carrières sont souvent de mise, à tel point qu’à Lille [54], comme d’ailleurs à Chambéry, l’accès à la maîtrise des comptes peut apparaître telle une fin en soi qui viendrait couronner une carrière administrative fondée sur une double compétence technique, la maîtrise de l’écrit et le savoir-faire financier. Et pourtant, les opportunités de promotion s’arrêtent souvent en deçà de la plus prestigieuse charge de la Chambre, celle de (premier) président ou de maître rational [55]. Le cursus interne laisse alors sa place à d’autres profils, plus judiciaires ou « courtisans ». Ainsi, en Savoie, sur les sept présidents des comptes qui se succèdent de 1418 à 1453, quatre sont d’anciens maîtres de l’hôtel ducal, deux proviennent d’une carrière judiciaire et un seul, un ancien trésorier, du monde des finances [56]. Le XVe siècle distingue donc, parmi le personnel des Chambres des comptes princières, deux paliers distincts qui renvoient autant à des formations techniques qu’à des échelles salariales bien différenciées : présidents (ou maîtres rationaux) d’un côté ; archivistes (ou archivaires), maîtres, auditeurs et rationaux de l’autre. Dans ce contexte, la hiérarchie des gages traduit bien un classement des offices, avec, du bas vers le haut, le simple clerc, correcteur ou garde des archives (40 livres tournois annuels à Blois, pour un correcteur, en 1398 ; 90 florins annuels pour l’archiviste savoyard en 1442) ; ensuite l’auditeur (entre 182 et 100 livres à Blois ; 200 florins à Chambéry) ; enfin, au sommet, 1 416 livres annuels pour le chancelier blésois en 1416 et 400 florins pour le président savoyard, en 1442 [57].
24En outre, la distance qui sépare les gages des uns et des autres prend souvent en compte les différentes formations techniques de ces officiers. Les présidents grassement payés, gens de loi ou de l’hôtel, se distingueraient alors des officiers plus « techniques », maîtres, auditeurs, correcteurs. En fait, l’étude des origines professionnelles des gens des comptes permet de mettre en évidence une double tendance, vérifiable dans bien des principautés. Tout d’abord, en considérant l’ensemble des offices des comptes, à Blois comme à Vannes, à Chambéry comme à Aix, quatre grands groupes professionnels semblent, du point de vue quantitatif, privilégiés : les serviteurs personnels du prince, gens de l’hôtel ; les juristes universitaires ; les experts ès finances, qu’ils soient marchands ou prêteurs ; les notaires-scrétaires [58]. Mais voilà qu’entrent en jeu les compétences liées aux divers offices. Ainsi, lorsque les demandes princières concernent un poste avant tout politique et de conseil, tel celui de (premier) président, juristes et courtisans sont privilégiés. Inversement, quand le poste requiert une certaine compétence comptable, fiscale et documentaire, on fait plutôt appel à des spécialistes des finances et de l’écrit : gens de commerce et, surtout, professionnels du notariat, comme c’est le cas pour les trois quarts des rationaux et archivaires provençaux [59]. Cela nous amène à la seconde tendance, plus qualitative, qui tend à distinguer les détenteurs de savoir-faire pratiques, formés « sur le tas » – notaires et marchands devenus correcteurs, maîtres ou auditeurs –, des personnels dirigeants pourvus d’un titre autrement légitimant, qu’il s’agisse, le plus souvent, de juristes gradués de l’université [60], ou même de nobles seigneurs liés à l’hôtel princier.
25Dans tous ses détails, ce tableau statique ne correspond presque jamais aux conditions pratiques et évolutives de chaque Chambre des comptes princière. Il a toutefois le mérite de commencer à relativiser le modèle d’une prétendue uniformité professionnelle des gens des comptes. Ceux-ci ne peuvent, du reste, guère se prévaloir d’une véritable spécificité par rapport aux personnels des autres administrations princières. Un grand nombre, si ce n’est la majorité d’entre eux ont été, sont ou seront en poste dans d’autres appareils administratifs [61]. En outre, dans la diachronie, les carrières des Comptes ne se jouent pas en vase clos. Les passages d’une branche administrative à l’autre sont légion, que ce soit de la Chancellerie [62] à la maîtrise des comptes, de l’hôtel à leur présidence, ou encore, dans les deux sens, entre Trésorerie et Chambre des comptes [63]. Notons seulement que, souvent, cette dernière reçoit, plus qu’elle ne fournit, des officiers chevronnés pourvus d’une solide expérience administrative. Voilà un indice ultérieur du prestige de la carrière comptable ; presque partout, seuls le Chancelier et quelques conseillers ès lois bien placés reçoivent des gages annuels plus conséquents de ceux du président des comptes.
26L’étendue de ces liens administratifs de carrière et d’office mériterait, à elle seule, un nouveau colloque. Ces deux volumes ne l’ont, en effet, qu’effleurée. Ils ont toutefois rappelé l’importance d’un autre type, synchronique, de pluralité administrative : les diverses pratiques du cumul des offices. Elles se retrouvent à plusieurs niveaux : entre les différents appareils centraux ; entre centre et territoire ; entre deux ou plusieurs principautés ; et encore, entre principauté et royauté, comme c’était surtout le cas des apanages, dès lors que l’homme du duc se révélait dans le même temps être l’homme du roi ou du Parlement [64] ; voire même entre royauté (ou principauté) et seigneurie lorsque, par exemple, le sire de La Trémoille utilisait, pour contrôler sa propre comptabilité, divers conseillers et maîtres des comptes de Charles VII qui arrondissaient leurs fins de mois en œuvrant « pour le privé » [65]. Courant, à défaut d’être habituel, ce recours au cumul renvoie, encore une fois, aux limites de la spécialisation administrative propre aux gens des comptes. Voilà qui le placerait alors aux côtés des tendances à la patrimonialisation de l’office par le biais de la survivance. En fait, le problème est plus complexe. D’une part, la transmission familiale de la charge ne se développe que dans la seconde moitié du XVe siècle et uniquement dans certaines principautés [66]. D’autre part, il me semble que l’opposition entre cumul et professionnalisation ne vaut vraiment, dans la pratique, que si deux conditions sont réunies ; tout d’abord, il devrait s’agir de postes comparables et non pas d’un office administratif couplé avec un titre de cour ou avec une charge territoriale que le XVe siècle avait souvent transformé en sinécure de prestige ; ensuite, les offices ainsi cumulés devraient correspondre à des compétences bien distinctes, ce qui n’était, par exemple, guère le cas du binôme trésorier/auditeur.
27On peut donc dire que, malgré l’existence de fortes différences de carrière et de salaire à l’intérieur même de la Chambre, malgré les pratiques réitérées du cumul d’offices et des passerelles administratives, malgré enfin la variété des origines professionnelles des gens des comptes, le bas Moyen Âge – surtout le XVe siècle – a vu le développement d’une certaine spécialisation du personnel de la Chambre. Ses plus petits dénominateurs communs n’étaient autres que le contrôle de techniques documentaires et de savoir-faire financiers et comptables. Il n’empêche que de là, penser que nous avons à faire à un groupe homogène de techniciens, voué, coûte que coûte, à une défense presque idéologique d’un État aussi moderne qu’immanent, il y a un pas, lourd de conséquences, qui ne se franchit pas aisément. Il est vrai que ces officiers semblent révéler, dans leurs mémoriaux toujours plus nombreux, une certaine conscience à la fois de leur fonction et de leur appartenance à un groupe de pression, mais nous venons de voir qu’il ne s’agissait point d’un groupe professionnel uniforme. Peut-on alors considérer les gens des comptes comme un milieu social cohérent pourvu d’un esprit de corps durable ?
28L’intérêt d’une approche sociale des personnels de la Chambre me semble au moins double. Nous avons déjà remarqué que l’essor des commissions de contrôle n’eut pas que des raisons techniques liées à des nécessités financières. Ce fut aussi, et parfois surtout, un excellent moyen d’affiner la cohésion politico-juridique des principautés territoriales ainsi que d’ « apaiser les conflits » propres au monde urbain. On associait alors à la gestion municipale « tous ceux qui s’étaient jusque-là trouvés exclus du pouvoir », d’où le rôle joué par le contrôle des comptes dans la résolution de conflits sociaux [67]. La composition de ces commissions et, a fortiori, du personnel des Chambres princières constitue donc un enjeu sociopolitique de grande envergure. Ajoutons à cela un second enjeu, plus historiographique : l’étude des Chambres des comptes comme modèle réduit de plus amples recherches sur l’univers des serviteurs de l’État. Ainsi, pour comprendre les tenants et les aboutissants de ce microcosme, une enquête sur les profils et les substrats sociaux de ses officiers se révèle essentielle.
29De prime abord, les réponses fournies par la majorité des contributions recensées sont aussi unanimes qu’attendues. Notaires, prêteurs et marchands, spécialistes des finances, de la fiscalité et de l’écrit, les officiers des comptes proviennent, pour la plupart, de la ville et tout particulièrement de la capitale princière. Ils sont membres des élites urbaines, bourgeois en cours d’anoblissement lors même de leur carrière comptable, notables fraîchement anoblis [68]. Entre le XIVe et la fin du XVe siècle, la principale nouveauté du recrutement social des gens des comptes se relierait alors aux mutations des pouvoirs urbains. L’ancienne suprématie des gens de justice laisserait ainsi sa place à une prééminence de l’aristocratie marchande dont l’ascension sociale irait de pair avec son intégration universitaire [69].
30Le modèle est souvent consacré, est-il pour autant unique ? Certes non ; les interférences avec d’autres profils sociaux sont nombreuses, et les études de cas ici réunies le montrent bien. En premier lieu, beaucoup dépendent des caractéristiques propres à chaque principauté. Voici, en exemple, la noble variante bretonne. Un critère de départ rapproche, il est vrai, la Bretagne des autres principautés. Ici comme ailleurs, l’origine sociale tend à varier « en fonction du poste occupé » : le prestige de la première présidence correspond tout à la fois à un bagage professionnel plus politique que « technique » et à un recrutement social plus relevé que celui des autres gens des comptes. La spécificité bretonne se jauge alors plutôt à l’arrivée. Ici, la distinction sociale ne renvoie pas à une (première) présidence aristocratique et seigneuriale qui trancherait sur l’origine urbaine des autres gens des comptes. Tout, ou presque, se joue à l’intérieur même de la noblesse : grande aristocratie rurale pour les premiers présidents, petite et moyenne noblesse pour les auditeurs et autres clercs des comptes [70]. En vérité, même dans les principautés les plus « urbaines » telle la Provence, la noblesse, en tant que telle, n’est pas absente du service de la Chambre. Mais ce gros quart de nobles (ou ce tiers, parmi les maîtres rationaux) [71] provient d’une noblesse tout à la fois dominée, récente et professionnelle. Dominée, car on y trouve avant tout de simples damoiseaux ; récente, car il s’agit bien souvent soit de membres de lignages anoblis depuis peu, soit d’individus qui sont sur le point d’acquérir cette noblesse justement grâce à leurs carrières administratives et comptables ; professionnelle enfin, car parmi ces nobles-officiers nombreux sont les notaires ou les gradués de l’université [72].
31Résumons-nous : En quoi ces notables urbains et ces petits seigneurs ruraux, ces bourgeois anoblis et ces grands dynastes formeraient-ils un groupe social homogène dont nous pourrions « cerner de façon satisfaisante les contours » [73] ? Un Deus ex machina est vite trouvé. Ces gens des comptes n’étaient-ils pas autant d’officiers princiers ? C’est donc le service de l’État qui les rallierait tous, des clercs aux présidents. Comme bien d’autres offices princiers, les différentes charges des Chambres des comptes apparaissent au cours du XVe siècle, et même en l’absence de promotions internes, comme une excellente voie d’ascension (ou de sauvegarde) sociale. Les multiples anoblissements d’officiers, les maintes acquisitions de seigneuries dues à des gens des comptes ou à d’autres administrateurs en service en sont autant d’indices convergents. Et pourtant, il arrive assez souvent que ces seigneuries, en Savoie comme en Provence, « rapportent plus d’honneur que de profit » immédiat, surtout lorsqu’il s’agit de villages désertés [74]. Alors, pourquoi les convoiter, les réclamer, les acheter, si ce n’est pour un prestige social que l’office en lui-même n’offre encore point ?
32Microcosme administratif, les Chambres des comptes apparaissent comme un « lieu privilégié des transactions sociales et politiques (...) entre le prince et les classes dirigeantes » [75]. Elles occupent ainsi une place de choix dans la construction d’une identité sociale nouvelle, celle de l’officier. Mais, justement, le service du prince ne détermine pas à lui seul la formation d’un groupe aussi homogène qu’exclusif. En sus de leur service administratif, ces gens des comptes continuent bien évidemment à agir comme autant de notables urbains et de nobles seigneurs. Leur identité sociale n’est donc pas une ; elle est double, voire triple. Dans ce contexte, beaucoup dépend d’une part des sources utilisées – ainsi presque toutes les contributions sont construites à partir de sources princières et administratives –, d’autre part des choix individuels, ou plutôt familiaux et de réseaux, de ces mêmes officiers.
33Nous touchons ici un dernier aspect qui me paraît fondamental pour essayer de comprendre au mieux la place que le service princier pouvait avoir dans la vie, l’idéologie et les mentalités de ces officiers. Ce problème, qui n’a été que rarement abordé dans ces deux volumes, peut se résumer comme suit : dans la seconde moitié du XVe siècle, les gens des comptes, unis par certaines caractéristiques communes (un service princier, des savoir-faire professionnels, des ambitions seigneuriales et nobiliaires) peuvent, sans doute, s’activer en tant que groupe de pression administratif, voire politique : Sont-ils pour autant pourvus d’un véritable esprit de corps [76] ?
34Une réponse franchement positive sous-entendrait la primauté d’une identité administrative et de service sur les autres critères d’identification, de la ville à la noblesse, de la seigneurie à la bourgeoisie. Dans la pratique, cela comporterait un recours privilégié à des stratégies de reconnaissance sociale internes aux milieux des officiers (ancrage administratif sur plusieurs générations, transmissions familiales de la charge, mariages croisés entre lignages d’officiers, privilèges de service, anoblissements par l’office). L’image des gens du Parlement, si finement étudiée par Françoise Autrand, vient alors à l’esprit. Dans les principautés – et les seigneuries –, l’impression est un tant soit peu différente. Au-delà des cas limites, telle la Chambre lorraine encore peu institutionnalisée au début du XVIe siècle [77], les gens des comptes princiers ne répondent à ces critères que lentement et partiellement. Lentement, car il faut le plus souvent attendre le XVe siècle, et surtout – nous l’avons remarqué – sa seconde moitié, pour discerner des stratégies d’identification sociale fondées sur des liens administratifs et de service ; partiellement, car ces choix ne semblent, pour l’heure, guère exclusifs : du prêt à la seigneurie, de la cour à la marchandise, d’autres opportunités s’offrent à ces « techniciens » qui ne vivent pas que du service de l’État.
35L’esprit de corps des gens des comptes n’en paraît, pour l’heure, que plus partiel, voire virtuel. Il commence néanmoins à s’aviver. Choisissons l’un de ses attributs les plus caractéristiques : le privilège d’exemption. À Dijon, dès 1389 et en rapport direct avec la promulgation des nouveaux statuts de la Chambre, la ville exempte « messeigneurs des comptes » de tout impôt [78]. Des exemptions fiscales urbaines on passe, peu à peu, à l’octroi de privilèges princiers, de justice et d’impôt. C’est, par exemple, le cas à Lille dans le courant du XVe siècle [79]. Enfin, à partir de la fin du siècle, les gens des comptes, exemptés du service militaire, peuvent officiellement être assimilés aux seigneurs propriétaires de fiefs : en 1488, le duc de Bretagne François II fait savoir « que le service que nosdits conseillers nous feront en nostredite Chambre des comptes nous est autant ou plus necessaire que celui qu’ilz nous pourroient faire en nostredite armée » [80]. Or, ces privilèges d’exemption constituent un critère nouveau de distinction et d’identification sociales. Leur octroi à des officiers est donc très significatif. Trois raisons à cela. D’abord, le lien qui se fait entre exemption et service princier valorise la figure même de l’officier, qui peut ainsi, dans certaines circonstances du moins, espérer accéder en tant que tel à un statut privilégié. Ensuite, ces concessions de privilèges sont autant d’actes princiers : la promotion d’offices et d’officiers aide alors le prince à mettre en place une société politique territoriale à la fois plus homogène et plus soumise. Enfin et surtout, le service administratif devient un critère essentiel de toute suprématie politique. Dès lors, l’office agirait non pas comme un attribut professionnel ou social exclusif, mais plutôt comme un trait d’union préférentiel entre divers types d’élites sociales : le notable bourgeois et l’aristocrate rural, le grand marchand et le juriste universitaire, le notaire urbain et le petit seigneur. On pourrait peut-être appeler cela autrement : les prémices de la noblesse de robe.
36L’une des intentions affichées de ces deux ouvrages était de souligner « la portée pratique mais aussi l’importance intellectuelle » et, j’ajouterais, sociale des Chambres des comptes qui accompagnèrent « comme son ombre l’essor même de l’État » [81]. Ce but a été pleinement atteint. Au fur et à mesure, nous avons découvert les principales caractéristiques fonctionnelles de ces Chambres : comptables, judiciaires, documentaires. Nous en avons aussi dégagé les évolutions institutionnelles, des simples commissions de vérification aux statuts princiers et aux campagnes de réorganisation du XVe siècle. Nous avons enfin appris à mieux connaître leurs personnels, ces gens des comptes pourvus de multiples connaissances techniques et professionnelles qui, tout en provenant de groupes sociaux fort différents, poursuivaient parfois des stratégies communes, de la défense des intérêts princiers à l’acquisition de privilèges d’exemption. Tout cela permet à présent de mieux comprendre le grand intérêt de ce microcosme administratif qu’ont été, au bas Moyen Âge, les Chambres des comptes princières et leur modèle royal : intérêt du prince, tout d’abord, qui utilisait les Comptes comme moyen de contrôle à la fois territorial et administratif, judiciaire et social, fiscal et politique ; intérêt des gens des comptes ensuite, qui pouvaient tirer leur parti de promotions internes et d’ascensions sociales, dans la ville, vers la seigneurie, au sein de la noblesse.
37Toutefois, nous sommes souvent restés sur le seul versant de l’État et de son service. Parmi ces gens des comptes, que d’officiers avertis, « rompus aux subtilités du pouvoir (...), dévoués et compétents aussi bien en matière juridique qu’administrative, en un mot : hommes de confiance » [82]. Il est vrai que la plupart des sources vont dans cette direction, accréditant dès lors l’image d’un État réussi, dont la genèse, bien que lente et complexe, ouvre spontanément de nouvelles et meilleures perspectives de professionnalisation, de sociabilité, bref de vie commune. Mais que croire des retards des procédures de contrôle elles-mêmes [83] ? Que penser des luttes de coteries, par survivances, mariages, mémoriaux interposés ? Que dire encore des enrichissements personnels liés à l’office, bien qu’ils commencent à être considérés comme indus ? Que déduire enfin de la pression financière que nombre d’officiers faisaient peser sur leur prince, en lui consentant des avances budgétaires, et en lui octroyant maints prêts, des plus exigus aux plus faramineux, remboursables sur leurs offices, à la cour ou par une seigneurie [84] ? Que les mémoriaux des gens des comptes nous racontent une autre histoire, cela est, oserais-je dire, de bonne guerre. Ce sont des armes administratives, sociales et politiques où compétence rime avec complaisance.
38Concluons. De la fin du XIIIe au début du XVIe siècle, le développement des Chambres des comptes en tant qu’institutions princières et de l’État ne fait aucun doute. Dans le même temps, cet essor favorise la croissance d’un groupe de techniciens de l’administration : les gens des comptes. Leurs compétences, tant financières que documentaires, sont bien réelles. Et pourtant, toutes ces connaissances et ces privilèges professionnels ne transforment point encore ces hommes du prince en une simple et nouvelle élite de service. À côté de l’office, voici la seigneurie ; près des Comptes, voilà la ville. En vérité, l’une des principales caractéristiques des principautés du bas Moyen Âge peut justement se trouver dans la corrélation de ces trois critères de reconnaissance sociale. La médiation entre la ville, l’office et la seigneurie, contribue ainsi à bâtir une société politique territoriale fondée à la fois sur des bourgeois parfois anoblis et sur des nobles souvent urbanisés, qui tous deux vivent, entre autres, en tant qu’officiers (des comptes) au service de leur prince. Peut-on dès lors les croire aussi « melencolieus » ?
Notes
-
[1]
Ferdinand Lot et Robert Fawtier (dir.), Histoire des institutions françaises au Moyen Âge, t. 1 : Institutions seigneuriales, t. 2 : Institutions royales, Paris, 1957-1958.
-
[2]
Voir Olivier Mattéoni, Servir le prince. Les officiers des ducs de Bourbon à la fin du Moyen Âge (1356-1523), Paris, 1998, part. p. 199-242.
-
[3]
À partir de l’étude classique de Édouard Andt, La Chambre des comptes de Dijon à l’époque des ducs Valois, Paris, 1924.
-
[4]
Voir Jean Kerhervé, L’État breton aux XIVe et XVe siècles. Les ducs, l’argent et les hommes, t. 1, Paris, 1987, p. 341-403.
-
[5]
Voir, pour une période précédente, Jean-Paul Trabut-Cussac, L’administration anglaise en Gascogne sous Henry III et Édouard Ier de 1254 à 1307, Paris-Genève, 1972, en particulier p. 287-309.
-
[6]
Anne Lemonde, De la principauté delphinale à la principauté royale. Structures et pouvoir en Dauphiné au XIVe siècle, thèse d’histoire nouveau régime dactylographiée, 5 vol., Université de Grenoble II Pierre Mendès France, 1999.
-
[7]
Élisabeth Lalou, I, p. 15. Le précurseur est, ici, Henri Jassemin, dont Philippe Contamine rappelle, en introduction, les démêlés avec Lucien Febvre : Henri Jassemin, La Chambre des comptes de Paris au XVe siècle précédé d’une étude sur ses origines, Paris, 1933. Cf. aussi Philippe Contamine, La mémoire de l’État. Les archives de la Chambre des comptes du roi de France, à Paris, au XVe siècle (1989), dans Id., Des pouvoirs en France, 1300-1500, Paris, 1992, p. 237-250.
-
[8]
Respectivement I, p. 3-122, 123-204, 205-266.
-
[9]
Élisabeth Lalou, I, p. 4.
-
[10]
Noël Coulet, II, p. 202-207 ; Bernard Demotz, I, p. 19-20. Voir aussi, à présent, Guido Castelnuovo et Christian Guilleré, Les finances et l’administration de l’État savoyard au XIIIe siècle, dans Bernard Andenmatten, Agostino Paravicini-Bagliani, Eva Pibiri (éd.), Pierre II de Savoie. « Le petit Charlemagne », Actes du Colloque international, Lausanne, mai 1997, Lausanne, 2000, p. 33-125.
-
[11]
Jean Thibault, I, p. 151.
-
[12]
Jean Kerhervé, II, p. 127 ; Bertrand Schnerb, II, p. 29.
-
[13]
Olivier Mattéoni, II, p. 43.
-
[14]
Noël Coulet, II, p. 202.
-
[15]
Élisabeth Lalou, I, p. 5.
-
[16]
Bernard Demotz, I, p. 20.
-
[17]
Noël Coulet, II, p. 199.
-
[18]
Bertrand Schnerb, II, p. 30.
-
[19]
Bernard Demotz, II, p. 188 ; en fait, l’édition complète est due à C. Nani, I primi Statuti sopra la camera dei conti nella monarchia di Savoia. Documenti, Memorie della Reale Accademia delle Scienze di Torino, 34, 1883, p. 199-205.
-
[20]
Élisabeth Lalou, I, p. 5.
-
[21]
Michel Le Mené, I, p. 43.
-
[22]
Bertrand Schnerb, I, p. 56-57 et Jean Kerhervé, II, p. 127.
-
[23]
Olivier Mattéoni, II, p. 43 ; Mireille Jean, p. 27-30 ; Jean Thibault, p. 151-152.
-
[24]
Albert Rigaudière, I, p. 207-209.
-
[25]
Philippe Contamine, I, p. 259.
-
[26]
Denyse Riche, I, p. 247-249.
-
[27]
Jean-Philippe Genet, I, p. 270-271.
-
[28]
Bertrand Schnerb, I, p. 55 et II, p. 37.
-
[29]
Rappel breton dans Jean Kerhervé, II, p. 127.
-
[30]
Albert Rigaudière, I, p. 210.
-
[31]
Jean Kerhervé, II, p. 138.
-
[32]
Olivier Mattéoni, II, p. 45.
-
[33]
Guido Castelnuovo, Ufficiali e gentiluomini. La società politica sabauda nel tardo medioevo, Milan, 1994, p. 115.
-
[34]
Jean Kerhervé, I, p. 166-167.
-
[35]
Olivier Mattéoni, II, p. 44.
-
[36]
En Provence, leur place est ainsi tenue par les maîtres rationaux : Noël Coulet, I, p. 144-148.
-
[37]
Jean Kerhervé, II, p. 128.
-
[38]
Hélène Olland, I, p. 125-127.
-
[39]
Philippe Contamine, I, p. 260.
-
[40]
Anne Curry, II, p. 115.
-
[41]
Ead., I, p. 91.
-
[42]
Jean Kerhervé, I, 168, document de 1455.
-
[43]
Hélène Olland, I, p. 127.
-
[44]
Jean-Philippe Genet, I, p. 267.
-
[45]
Élisabeth Lalou, II, p. 3-8.
-
[46]
Philippe Contamine, II, p. 25.
-
[47]
Peter Rück, L’ordinamento degli archivi ducali di Savoia sotto Amedeo VIII, Rome, 1977, trad. ital.
-
[48]
Olivier Mattéoni, I, p. 73.
-
[49]
Voir les contributions de Mireille Jean pour le nord des États bourguignons, de Hélène Olland pour la Lorraine et de Jean Kerhervé pour la Bretagne.
-
[50]
Jean-Philippe Genet, I, p. 271.
-
[51]
Philippe Contamine, II, p. 27.
-
[52]
Jean Kerhervé, II, p. 146.
-
[53]
Cf. l’important dossier prosopographique, p. 179-204.
-
[54]
Mireille Jean, I, p. 39.
-
[55]
Noël Coulet, I, p. 141.
-
[56]
Guido Castelnuovo, Ufficiali e gentiluomini..., op. cit. (n. 32), p. 220-221.
-
[57]
Pour toutes ces données, voir Jean Thibault, I, p. 157 ainsi que Guido Castelnuovo, Quels offices, quels officiers ? L’administration en Savoie au milieu du XVe siècle, Études savoisiennes, 2, 1993, p. 3-43, en particulier p. 17-18 et 39.
-
[58]
Noël Coulet, I, p. 137 ; Jean Thibault, I, p. 158 ; Jean Kerhervé, I, p. 174 ; pour le monde urbain, Albert Rigaudière, I, p. 224.
-
[59]
Noël Coulet, I, p. 137.
-
[60]
Ibid., p. 142.
-
[61]
Au centre et même sur le terrain : Hélène Olland, I, p. 131 et Noël Coulet, I, p. 142.144.
-
[62]
Hélène Olland, I, p. 131, et Jean Kerhervé, I, p. 176.
-
[63]
Mireille Jean, I, p. 37, et Noël Coulet, I, p. 143.
-
[64]
Jean Thibault, I, p. 158.
-
[65]
Philippe Contamine, I, p. 260, 266.
-
[66]
Pour la Bretagne : Jean Kerhervé, II, p. 49.
-
[67]
Albert Rigaudière, I, p. 241, 276.
-
[68]
Hélène Olland, I, p. 129-130 ; Noël Coulet, I, p. 138, 145-146 ; Jean Thibault, I, p. 161.
-
[69]
Noël Coulet, I, p. 148 ; Jean Thibault, I, p. 162 ; Albert Rigaudière, I, p. 226.
-
[70]
Jean Kerhervé, I, p. 173.
-
[71]
Noël Coulet, I, p. 137, 144.
-
[72]
Ibid., p. 146.
-
[73]
Ibid., p. 135.
-
[74]
Ibid., p. 146.
-
[75]
Jean-Philippe Genet, I, p. 279.
-
[76]
Hélène Olland, I, p. 130 ; Olivier Mattéoni, II, p. X.
-
[77]
Id., I, p. 129-131.
-
[78]
Bertrand Schnerb, I, p. 59.
-
[79]
Mireille Jean, I, p. 39-40.
-
[80]
Jean Kerhervé, II, p. 137.
-
[81]
Philippe Contamine, I, p. XXXVI.
-
[82]
Michel Le Mené, I, p. 54.
-
[83]
En milieu urbain, Albert Rigaudière, I, p. 234.
-
[84]
Mireille Jean, I, p. 40 ; Jean Kerhervé, I, p. 174.
-
[*]
À propos de deux ouvrages récents : Philippe Contamine et Olivier Mattéoni (dir.), La France des principautés. Les Chambres des comptes, XIVe et XVe siècles, Actes du Colloque tenu aux Archives départementales de l’Allier, Moulins-Yzeure, avril 1995, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996, 310 p. (= I) ; Les Chambres des comptes en France aux XIVe et XVe siècles, Textes et documents, Philippe Contamine et Olivier Mattéoni (éd.), Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998, 252 p. (= II).