Notes
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[1]
Philippe Gumplowicz, Les travaux d’Orphée, Paris, Aubier, 1987.
-
[2]
Esteban Buch, La neuvième de Beethoven, une histoire politique, Paris, Gallimard, 1999.
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[3]
Jane Fulcher, Le grand opéra en France : un art politique (1820-1870), Paris, Belin, 1987.
-
[4]
Alain Corbin, Les cloches de la Terre, Paris, Albin Michel, 1994.
-
[5]
On citera quelques exceptions, notamment, pour le rock, Bertrand Lemonnier, L’Angleterre des Beatles. Une histoire culturelle des années 1960, Paris, Kimé, 1995, et pour le jazz, Ludovic Tournès, New Orleans sur Seine, histoire du jazz en France, Paris, Fayard, 1999.
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[6]
Pour la recension de quelques-unes de ces pistes, voir Ludovic Tournès (dir.), De l’acculturation du politique au multiculturalisme. Sociabilités musicales contemporaines, Paris, Librairie Honoré-Champion, 1999.
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[7]
Voir par exemple, Kathy Ogren, The Jazz Revolution, Twenties America and the Meaning of Jazz, New York, Oxford University Press, 1989 ; Ted Vincent, Keep Cool, The Black Activists who built the Jazz Age, London, Pluto Press, 1995 ; ou encore Scott DeVeaux, Mo’better Bebop. A Social and Musical History, Berkeley, University of California Press, 1997.
-
[8]
Sur l’analyse de ce processus et sa périodisation, voir Ludovic Tournès, Jazz en France (1944-1963) : histoire d’une acculturation à l’époque contemporaine, thèse de doctorat, Université Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines, 1997, 1 010 p., publiée sous le titre New Orleans sur Seine (voir n. 2).
-
[9]
Où situer la limite quantitative entre ce qui appartient à la culture de masse et ce qui n’y appartient pas ? C’est assurément un problème important, mais dont la résolution ne saurait suffire à faire avancer de manière décisive la connaissance de l’objet historique « culture de masse ».
-
[10]
On trouvera de nombreuses données chiffrées dans quelques synthèses sur l’histoire culturelle de la France contemporaine : Pascal Ory, L’aventure culturelle française 1945-1989, Paris, Flammarion, 1989, limitée au dernier demi-siècle ; plus récent, l’ouvrage dirigé par Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, Histoire culturelle de !a France, notamment le vol. 4 : Le temps des masses, Paris, Le Seuil, 1998 ; ou encore André Burguière et Jacques Revel (dir.), Histoire de la France, vol. 3 : Choix culturels et mémoire, Paris, Le Seuil, nouv. éd., juin 2000.
-
[11]
Américanophilie qui n’est nullement contradictoire avec l’anti-américanisme virulent qui va se développer rapidement en France. La coexistence de ces deux attitudes est d’ailleurs une constante chez les amateurs de jazz. Sur ce point, voir Ludovic Tournès, « La réinterprétation du jazz : un phénomène de contre-américanisation dans la France d’après-guerre », in Sylvie Mathé (éd.), L’anti-américanisme, Marseille, Publications de l’Université de Provence, p. 167-183.
-
[12]
Une recherche détaillée, à la fois historique et musicologique, concernant l’influence du jazz sur la variété, reste à faire. C’est peut être le domaine dans lequel l’influence américaine est la plus évidente et la plus profonde.
-
[13]
Jazz Hot, décembre 1950.
-
[14]
À partir de 1948, le tournoi annuel des musiciens amateurs devient une grande manifestation qui regroupe souvent plus de 100 orchestres venus de toute la France, signe de la vitalité d’un mouvement musical amateur qui, lui aussi, attend ses historiens et permettrait de prolonger l’étude pionnière de Philippe Gumplowicz (voir note 1).
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[15]
Voir les éditions de ces journaux entre le 2 et le 9 décembre 1950.
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[16]
Ces chiffres ainsi que les suivants ont été obtenus en multipliant le nombre de concerts par la capacité théorique de la salle où ils ont lieu. Ils correspondent donc à une capacité de remplissage de 100 %.
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[17]
Pour une chronologie détaillée des concerts de jazz et des spectacles de variété intégrant du jazz au cours de cette période, voir Ludovic Tournès, Jazz en France..., op. cit. (voir note 8), annexe I, p. 1-41.
-
[18]
Rappelons pour mémoire les 350 à 400 millions de spectateurs que draine le cinéma chaque année au cours de la décennie 1950.
-
[19]
Ce mélange sonore peut être diagnostiqué sans difficulté, et indépendamment de tout jugement de valeur, grâce à l’analyse musicale dont on voit ici quel peut être l’apport dans une étude d’histoire culturelle.
-
[20]
Voir la liste complète dans Noël Arnaud, Les vies parallèles de Boris Vian, Paris, Christian Bourgois, 1981, p. 462-465.
-
[21]
Jazz Hot, février 1956.
-
[22]
Voir Michel Ruppli et Jacques Lubin, Discographie Blue Star - Barclay, Paris, Association Française d’Archives Sonores, 1993. Les discographies sont une source essentielle pour l’histoire culturelle des faits musicaux. Elles contiennent, pour une compagnie donnée, toutes les séances de studio réalisées, avec leurs lieux, dates, noms des musiciens employés, titres des œuvres enregistrées, numéro de matrice et numéro de publication des disques.
-
[23]
Edgar Morin, L’esprit du temps, t. I : Névrose, Paris, Grasset, 1975, p. 37.
-
[24]
Si l’histoire de médias tels que la radio et la télévision commence à être bien balisée, celle du disque est encore presque totalement vierge et ce, notamment, en raison de la difficulté d’accès aux archives des compagnies privées qui, en outre, ont connu de multiples fusions et rachats à partir des années 1960.
-
[25]
On citera par exemple le récit de l’agonie de Sidney Bechet dans Paris-Journal, les 13, 14 et 15 mai 1959, ou encore la tentative de suicide d’Ella Fitzgerald dans Ici Paris, 19-25 avril 1961.
-
[26]
Chaque mois, la revue Jazz Hot publie un récapitulatif de l’ensemble des émissions audibles sur le territoire français, avec leurs références précises.
-
[27]
Christian Brochand, Histoire de la radio et de la télévision en France, Paris, La Documentation française, 1994, t. II, p. 360.
-
[28]
Jazz Hot, décembre 1955.
-
[29]
Jazz Magazine, novembre 1956.
-
[30]
Jazz Magazine, mai 1958.
-
[31]
Jazz Magazine, mai 1959.
-
[32]
Combat, 6 août 1956.
-
[33]
Jazz Hot, septembre 1956.
-
[34]
Citons notamment les travaux de Walter Benjamin, notamment l’article « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproduction mécanique » (in Illuminations, New York, Shocken Books, 1968), ou encore Max Horkheimer et Theodor Adorno, La dialectique de la raison, Paris, Gallimard, 1974 (traduit de l’allemand). On rappellera que l’analyse de la culture de masse par les théoriciens de l’école de Francfort est intimement liée à celle du totalitarisme dont le développement des industries culturelles leur semblait être une des manifestations.
-
[35]
Les travaux de Richard Hoggart (La culture du pauvre, Paris, Minuit, 1970, traduit de l’anglais) ont bien montré comment le message véhiculé par les médias pouvait faire l’objet d’une réception sélective voire d’un détournement par le public, relativisant ainsi fortement la thèse alors communément admise de l’abrutissement des classes populaires par la culture de masse.
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[36]
Sur la notion de sociabilité de masse, voir Ludovic Tournès (dir.), De l’acculturation du politique au multiculturalisme, op. cit. (voir note 6), p. 26-33.
-
[37]
Voir Edgar Morin, Les stars, Paris, Le Seuil, 1972.
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[38]
Jazz Magazine, juillet-novembre 1959.
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[39]
La première occurrence du terme semble se trouver dans l’hebdomadaire Arts, 20 octobre 1954.
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[40]
Voir le témoignage sonore de ce concert : Sidney Bechet, Le soir où... l’on cassa l’Olympia, 1955, Vogue VG511 822004.
1Bien que la musique soit devenue dans la deuxième moitié du XXe siècle un phénomène social et culturel incontournable, elle a peu retenu jusqu’à une date récente l’attention des historiens, trop souvent enclins à n’y voir qu’un champ de recherche mineur. Et si l’histoire culturelle a, depuis quelques années déjà, contribué à dilater les frontières de la recherche en histoire contemporaine, force est de constater que la musique fait encore partie des champs qui restent en friche, malgré quelques études telles que celles de Philippe Gumplowicz [1] pour la musique populaire, d’Esteban Buch [2] ou de Jane Fulcher [3] pour la musique savante, ou, dans un autre ordre d’idée, d’Alain Corbin sur le paysage sonore et sensoriel [4]. Dans cette production clairsemée, le XXe siècle est encore bien silencieux [5], alors que tout concourt à en faire le terrain idéal pour ce qui se révèle, lorsqu’on y regarde d’un peu plus près, comme un vaste champ historiographique riche de promesses et de pistes encore vierges [6].
2Dans ce champ, le jazz occupe une place fondatrice puisqu’on peut le considérer comme le père des musiques populaires contemporaines du monde entier, toutes ayant, à des degrés divers, subi son influence. Pourtant, si l’histoire américaine du jazz a déjà fait l’objet d’études universitaires [7], son internationalisation n’a guère retenu l’attention. Or, celle-ci constitue un des exemples les plus précoces et les plus caractéristiques de la diffusion de la culture américaine dans le monde. La France occupe une place originale dans cette internationalisation, dans la mesure où c’est dans l’Hexagone que le jazz a, pour la première fois, trouvé un public et des lettres de noblesse. Bien plus qu’une simple mode passagère, l’histoire du jazz en France est en effet un processus de longue durée qui commence en 1917 lorsque les États-Unis entrent en guerre aux côtés de l’Entente, et qui se poursuit jusqu’à nos jours de manière continue, de sorte que l’on assiste à une véritable acculturation de cette musique importée au sein du paysage culturel hexagonal. Cette histoire constitue donc un remarquable exemple de la multiplicité des influences extérieures, et notamment de l’influence américaine, auxquelles a été soumise notre culture nationale au XXe siècle, influences qui ont contribué, qu’on le veuille ou non, à modifier ses contours [8].
3Dans ce processus d’acculturation, la période 1948-1960 occupe une place centrale, car c’est à ce moment que le jazz quitte les cercles de spécialistes où il restait confiné jusque-là pour conquérir le grand public. Mais cette longue décennie n’est pas seulement une étape dans l’approfondissement d’une implantation culturelle : c’est aussi un moment où le jazz, musique auparavant marginale, connaît une véritable révolution des modalités de sa diffusion et de sa réception qui témoignent de son entrée dans l’univers de la culture de masse. L’emploi de ce terme s’agissant de jazz, musique souvent réputée élitiste et ésotérique, n’étonnera que ceux qui réduisent la culture de masse à du quantitatif. Or, loin de se limiter à ce critère de définition éminemment flou [9], elle nous semble se caractériser bien plus profondément par une manière fondamentalement différente de produire, de diffuser et de recevoir (de consommer ?) les objets culturels. Si les grandes lignes du développement de la culture de masse en France sont désormais connues, de même que les données chiffrées relatives à la croissance de certaines pratiques comme le cinéma ou la lecture [10], il reste à approfondir l’analyse du basculement culturel dont cette croissance n’est que la face émergée. Sur ce point, la période de grand succès du jazz entre 1948 et 1960 permet d’apporter quelques éléments de réponse. Elle montre bien en premier lieu comment la massification de sa diffusion est largement due à un projet volontariste mené par une avant-garde d’amateurs enthousiastes dotés à la fois d’une volonté farouche de faire reconnaître la valeur esthétique de cette musique et d’un solide sens des affaires ; en deuxième lieu comment s’opère le passage entre le mode de diffusion artisanal qui était celui du jazz avant 1939 et la logique de massification qui prévaut à partir de l’après-guerre ; en troisième lieu enfin, elle témoigne des prodromes d’une évolution importante dans l’histoire des pratiques culturelles contemporaines : alors que l’art de masse par excellence avait été, jusqu’aux années 1940, le cinéma, la musique investit à son tour timidement le domaine de l’industrie culturelle, un mouvement qui se confirmera à plus grande échelle dans les années 1960 avec le succès du yé-yé et de la musique pop.
Un projet volontariste
4Les origines de l’entrée du jazz dans l’ère de la massification se situent dans les années 1930, lorsqu’une petite avant-garde d’amateurs se donne pour objectif de contribuer à la diffusion et à la reconnaissance esthétique de cette musique encore très mal connue dans l’Hexagone. Avant que quoi que ce soit n’ait été fait aux États-Unis en ce sens, ils vont mettre sur pied en quelques années un ensemble de structures de production, de diffusion et de réception. La création du Hot club de France en 1932 en est le premier signe concret. Cette association regroupe les premiers amateurs et est destinée à assurer l’éducation musicale du futur public par le biais de conférences-auditions au cours desquelles des amateurs confirmés décrivent les règles de la nouvelle musique. Le Hot club de France est aussi destiné à écouter en commun des disques qui demeureront rares et chers jusqu’à l’introduction en France des microsillons. À partir de 1933, le Hot club organise ses premiers concerts. En quelques années, il s’arroge un quasi-monopole de l’organisation des manifestations jazzistiques, qui restent, il est vrai, largement confidentielles, à quelques exceptions près. En 1934, Hugues Panassié, chef de file du groupe, publie Le jazz hot, un livre érudit où il s’attache à définir cette musique et à en reconstituer la généalogie. En 1935 est fondée la revue Jazz Hot, qui diffuse les informations auprès des amateurs et diffuse le discours destiné à légitimer la nouvelle musique. En 1937, la création de la compagnie Swing marque l’occupation par les militants du jazz d’un nouveau créneau : celui de la production de disques. La même année enfin, ils créent le tournoi annuel des musiciens amateurs, destiné à permettre aux jeunes praticiens de faire leurs premières armes en public et à leur servir de tremplin vers le professionnalisme. L’apparition de toutes ces structures dans une fourchette chronologique aussi restreinte signe la cohérence d’un projet qui vise tout à la fois des objectifs esthétiques et commerciaux. Son arrivée à maturité après la deuxième guerre mondiale, après un « rodage » de ces structures pendant les dernières années d’avant-guerre ainsi que pendant l’Occupation, est favorisée par deux éléments essentiels. Le premier est l’américanophilie qui est à son zénith à la Libération et joue en faveur de tout ce qui vient d’outre-Atlantique [11]. Le deuxième est l’essoufflement du paysage musical populaire français, qui va trouver dans le jazz les éléments d’un profond renouvellement. Le processus a déjà commencé avant 1939, symbolisé par Charles Trenet qui, le premier, a introduit les rythmes de la nouvelle musique dans la chanson française. Après 1945, cette influence s’étend au matériel mélodique et à l’ensemble des artistes de variété de la jeune génération, qui, d’Yves Montand aux Frères Jacques en passant par Gilbert Bécaud, Charles Aznavour et tant d’autres, subissent tous peu ou prou la marque de la musique noire américaine qui va marquer durablement le paysage musical français jusqu’à nos jours. La musique de variété est ainsi un des éléments majeurs de la popularisation et de la pérennisation du jazz dans la mesure où elle familiarise le public avec ces rythmes et ces sonorités nouvelles, et suscite de nouvelles vocations d’amateurs [12].
De l’association loi 1901 à l’entreprise de spectacle
5L’arrivée à maturité des structures mises sur pied dans les années 1930 marque l’entrée du jazz dans l’ère de la massification culturelle. 1948 est de ce point de vue une date fondatrice puisque cette année sont organisés les deux premiers festivals de jazz au monde, en février à Nice, puis en mai à Paris, deux événements qui rendent visible sa vogue croissante depuis la Libération et témoignent de sa sortie d’une marginalité dans laquelle il était encore confiné avant la guerre. Jusqu’à la fin des années 1930, les concerts de jazz regroupaient essentiellement des amateurs enthousiastes et leur organisation était très artisanale. Après 1945, elle devient une affaire de professionnels. Charles Delaunay joue un rôle central dans cette mutation. Animateur principal de la vie jazzistique hexagonale avec Hugues Panassié, il a commencé sa carrière comme rédacteur en chef de la confidentielle revue Jazz Hot en 1935, avant de s’essayer à l’organisation de concerts et de devenir impresario pendant l’Occupation, expérience qui lui servira grandement après la guerre. Alors que Panassié organise le festival de Nice, Delaunay met sur pied le premier festival parisien, qui sera réédité l’année suivante, et organise de nombreux concerts. En outre, il organise des tournées en province afin de faire connaître les musiciens hors de la capitale. Alors qu’avant-guerre, la quasi-totalité des concerts de jazz avait été organisée dans un cadre associatif régi par la loi de 1901, Delaunay fonde en 1948 une entreprise de spectacle qui seule permet d’affronter les contraintes matérielles, juridiques et financières posées par l’organisation de manifestations à grande échelle requises par le succès croissant du jazz. C’est dans ce cadre que sont organisés la Semaine du jazz, déjà citée, en mai 1948, le Festival international du jazz en mai 1949 (qui tous deux attirent entre 10 000 et 20 000 personnes), ainsi qu’une suite de concerts hebdomadaires qui ont lieu dans la capitale entre octobre 1948 et février 1950, sous le nom de « Jazz Parade », terme qui désigne aussi la société mise sur pied par Delaunay. On notera que la formule du festival est tout à fait novatrice à l’époque, du moins dans le domaine de la musique populaire (à laquelle appartient alors le jazz qui n’a pas encore reçu son certificat de légitimité artistique), et qu’elle a été inventée en France, les États-Unis n’emboîtant le pas qu’en 1954 avec la création du Festival de Newport.
6La même logique est à l’œuvre dans l’organisation par Delaunay et son ami Jacques Souplet du premier Salon international du jazz en décembre 1950 à la salle Pleyel : cinq jours de festivités au cours desquels on peut entendre des musiciens américains, français, hollandais et italiens, mais aussi assister chaque après-midi à un programme comprenant des conférences de spécialistes de jazz à l’intention du grand public et des projections de films. Mais cette manifestation de grande ampleur est plus qu’un festival, car en sus de la programmation musicale proprement dite est installé à la maison de la chimie de la rue Marcellin-Berthelot, un « salon industriel et commercial » [13] où tous les aspects du jazz sont représentés puisque disquaires, compagnies discographiques, facteurs d’instruments, magasins, éditeurs de musique et de livres présentent leur production, ainsi que des fabricants de tourne-disques, de radio et même de télévision, produit encore rare à l’époque. La manifestation est parrainée par la marque de pianos de concerts Klein qui fournit les instruments sur lesquels jouent les vedettes invitées. Les entreprises présentes engrangent les bénéfices de leur participation puisqu’elles remplissent leurs carnets de commande, notamment les fabricants de postes de radio et les facteurs d’instruments qui profitent de l’essor formidable de la pratique musicale amateur [14] ainsi que de la présence de solistes américains qui sont nombreux, à l’image de Louis Armstrong, à jouer sur des instruments français. Pour que l’événement ait un retentissement à l’étranger, les organisateurs ont aussi réalisé des liaisons radiophoniques grâce auxquelles les spectateurs peuvent écouter un orchestre retransmis en direct de Londres ou une émission en duplex avec New York qui permet au public d’entendre Charlie Parker s’excuser auprès du public d’avoir quitté Paris la veille. La presse française enregistre l’importance de l’événement, puisque des quotidiens comme Le Monde, Paris-Presse, Franc-Tireur, Le Figaro ou Combat [15] consacrent un ou plusieurs articles au Salon. Vitrine de la vitalité du jazz en France au début des années 1950, ce Salon appuyé sur une logistique complexe apparaît par bien des aspects comme le prototype des grandes manifestations culturelles de masse que nous connaissons aujourd’hui et là encore, la France se révèle pionnière dans un domaine où il est communément admis que les États-Unis ont tout inventé.
7Devant la réussite de l’entreprise, Delaunay et Souplet organisent en mars 1952 un 2e Salon comprenant une prestigieuse affiche : les vedettes américaines Dizzy Gillespie, Sidney Bechet, et l’orchestre du Jazz at the Philharmonic (JATP), que Delaunay réussit à faire venir après une âpre négociation financière avec son impresario Norman Granz. Ce dernier, qui avait refusé de faire venir l’orchestre en France en 1948, a pris acte du retentissement du précédent Salon et inaugure en 1952 une longue série de tournées européennes du JATP, dont le succès ne se démentira pas jusqu’à la fin des années 1950. Le succès du 1er Salon n’a pas échappé non plus aux industriels dont l’activité touche au jazz, si bien que la quasi-totalité des compagnies de disques françaises, mais aussi des facteurs d’instruments et des éditeurs de musique répondent présents pour la deuxième édition. Le nombre d’exposants est ainsi nettement supérieur à celui de 1950 et le Salon est placé cette année sous le haut patronage du ministre du Commerce et de l’Industrie, dont le chef de cabinet inaugure les festivités. Il en sera de même pour la troisième édition en 1954 : on ne saurait mieux affirmer que la dimension économique est désormais partie intégrante de la diffusion du jazz. Cette année encore, le succès est au rendez-vous : 50 000 visiteurs venus de France, mais aussi d’Allemagne, d’Autriche, de Belgique, de Hollande et de Suisse. L’événement est par ailleurs retransmis en France d’outre-mer, en Allemagne, au Canada, aux États-Unis, au Danemark et en Finlande. Pour la troisième édition, en juin 1954, Delaunay et Souplet reconstituent dans le hall de la salle Pleyel une rue de la Nouvelle-Orléans. Un programme musical alléchant (Gerry Mulligan, Thelonius Monk, Mary-Lou Williams et de nombreux musiciens français) attire des visiteurs anglais, argentins, canadiens, danois, égyptiens, suédois, et même quatre Indiens venus spécialement de Bombay pour assister aux dix concerts du festival ! Malgré un succès sans précédent puisque l’on compte 90 000 entrées, le Salon enregistre un important déficit, comme d’ailleurs la majorité des grandes manifestations précédentes. L’explication principale réside dans les frais importants occasionnés par la venue d’artistes américains, à qui les organisateurs français accordent dès le début des cachets bien plus élevés que ceux qu’ils perçoivent aux États-Unis, ce qui explique que l’Europe, et particulièrement la France, ait été un eldorado pour les artistes et les impresarios américains, dont les cachets sont libellés en dollars, laissant les organisateurs français à la merci d’une chute brutale du franc par rapport à la monnaie américaine.
8À partir de 1955, alors que Delaunay, échaudé par ces échecs financiers, se retire progressivement, une nouvelle génération d’organisateurs de concerts entre en scène, dont Frank Ténot et Daniel Filipacchi vont vite s’imposer comme les principales figures. Afin de ne pas connaître les mêmes mésaventures, ils procèdent autrement pour amortir les frais et c’est avec eux que le jazz va entrer pleinement dans le stade de l’entreprise culturelle. D’une part, ils renoncent à organiser des concerts en province, trop coûteux et à la rentabilité hasardeuse. D’autre part, leur association avec la nouvelle station de radio Europe no l leur permet de résoudre le problème du coût des cachets des artistes, compensé par une publicité gratuite faite à l’antenne au cours de l’émission quotidienne « Pour ceux qui aiment le jazz » qu’ils animent à partir de 1955 (voir infra) ou à d’autres heures d’écoute. Ils touchent ainsi un public bien plus large que par voie d’affiches. Quant aux concerts, ils sont retransmis sur Europe no 1, toujours dans le cadre de « Pour ceux qui aiment le jazz ». Ténot et Filipacchi organisent leurs premiers concerts en 1956. Mais c’est surtout à partir de 1958 que leur activité se développe, lorsqu’ils s’associent à Bruno Coquatrix, ancien musicien de jazz reconverti dans l’organisation de spectacles et directeur de l’Olympia, pour créer la Société « Paris Jazz Concert » afin de répondre à la demande du public. Il s’agit maintenant d’organiser des concerts réguliers, un peu dans le même esprit que les concerts « Jazz Parade » de 1948-1950, mais à une échelle supérieure qui nécessite un partenariat pour partager des frais importants. Tandis que Coquatrix fournit la salle et apporte son savoir-faire en matière d’organisation de spectacles, Ténot et Filipacchi, grâce à leur réseau de connaissances dans le monde du jazz, s’occupent des négociations avec les artistes américains. Ils s’associent notamment à l’impresario américain Norman Granz, qui a pris sous contrat de nombreux musiciens de jazz et propose leurs services à ses confrères français. Si à l’époque de « Jazz Parade », Charles Delaunay invitait surtout, faute de moyens, des solistes américains qu’il faisait accompagner par des sections rythmiques françaises, Ténot et Filipacchi ont la possibilité de faire venir des orchestres entiers. Ils inaugurent à partir de mars 1958 une série de concerts hebdomadaires à l’Olympia qui donnent au public parisien l’occasion d’apprécier de grands jazzmen tels que Max Roach, Duke Ellington, Sonny Rollins, Horace Silver, les Jazz Messengers, Thelonius Monk, John Coltrane ou Dizzy Gillespie. Au total, Ténot et Filipacchi organisent 78 concerts entre 1958 et 1963, soit un rythme quasi hebdomadaire, la saison des concerts s’étendant d’octobre à mai. Au cours des deux années 1958 et 1959, ce sont environ 50 000 personnes [16] qui assistent aux manifestations organisées par « Paris Jazz Concert », soit près de deux fois plus que les 28 000 spectateurs des concerts « Jazz Parade » au théâtre Édouard VII pendant une durée similaire, entre octobre 1948 et février 1950, une comparaison qui témoigne d’un changement d’échelle auquel répondent de nouvelles méthodes d’organisation de concerts. Ténot et Filipacchi résolvent le problème de rentabilité des concerts de jazz non seulement parce que le public est désormais suffisamment important pour amortir les frais d’organisation, mais aussi parce qu’ils bénéficient d’un partenariat solide et du support d’un moyen de communication touchant un large public.
Le music-hall, lieu de popularisation
9De 5 000 vers 1939, le nombre d’amateurs avertis passe ainsi à environ 50 000 à la fin des années 1950. Augmentation modeste, dira-t-on, mais qui n’en est pas moins une multiplication par dix, signe d’un changement d’échelle que l’historien ne peut ignorer, et ce d’autant plus que ces chiffres ne représentent que les amateurs au sens strict du terme : en effet, les années 1950 sont marquées en outre par un élargissement bien plus important du public, dû notamment à l’introduction du jazz dans des spectacles de music-hall alors en pleine renaissance qui vont constituer le support principal d’une popularisation du jazz, à la fois quantitative et sociologique. À partir de 1954, en effet, sous l’impulsion de Bruno Coquatrix, le jazz investit le music-hall, genre tombé en désuétude depuis l’avant-guerre et que Coquatrix fait le pari de relancer en le rafraîchissant. Le jazz est l’un des ingrédients de ce pari incertain qui s’avère tout de suite judicieux puisque les spectacles de l’Olympia connaîtront un succès constant jusqu’en 1959 : au cours de ces soirées composées d’une attraction vedette sur laquelle s’enchaîne une série de numéros de moindre importance, Coquatrix fait accompagner les vedettes de variété par des orchestres de jazz, et surtout, accorde à ceux-ci au milieu du spectacle un quart d’heure au cours duquel ils peuvent jouer leur propre musique. Grâce à cette formule audacieuse, le grand public va découvrir des vedettes jusque-là confinées dans les cercles d’amateurs, telles que Louis Armstrong, Gerry Mulligan, Sidney Bechet, Errol Garner ou encore Lionel Hampton, qui se produisent sur les planches entre des chanteurs de variété et des numéros de clowns ou de montreurs d’ours [17] ! L’insertion du jazz dans le music-hall multiplie donc encore le public : entre 1954 et 1957, à Paris, ce sont plus de 200 000 personnes par an qui assistent à ces spectacles. Si l’on y ajoute les amateurs férus, ce sont au moins 250 000 personnes par an qui ont assisté à un concert de jazz au cours de cette période. Deux constatations s’imposent donc en ce milieu des années 1950 : le jazz est incontestablement devenu un phénomène populaire, même si au total ces chiffres représentent peu de chose par rapport aux chiffres d’affluence de spectacles de masse comme le cinéma [18] ; le music-hall, grâce à la politique menée par les directeurs de salles (ABC, Européen, Alhambra, Bobino...) qui suivent rapidement l’exemple de Coquatrix, joue un rôle fondamental dans ce processus de massification.
10Celle-ci ne peut cependant pas s’expliquer uniquement par la politique avisée de quelques impresarios. La personnalité des vedettes est un autre facteur fondamental. De ce point de vue, personne ne symbolise mieux la popularisation du jazz au cours des années 1950 que le saxophoniste Sidney Bechet. Au début 1949, celui-ci coule une semi-retraite paisible et désargentée aux États-Unis, où la crise a provoqué la fermeture de nombreux cabarets et mis les musiciens au chômage. C’est alors que Charles Delaunay, lors d’un voyage outre-Atlantique, l’engage pour tenir l’affiche du festival de mai 1949. En pleine vogue du New Orleans Revival, Bechet triomphe à la salle Pleyel et décide de s’installer dans l’Hexagone où le public lui fait fête. Charles Delaunay devient son impresario et gère une brillante seconde carrière qui durera jusqu’à la fin 1958, date où, malade, Bechet cesse de se produire. Au cours des années 1950, Bechet enchaîne succès sur succès, d’abord auprès des amateurs de jazz, qui constituent l’essentiel de son public, puis, très rapidement, auprès d’un plus large public qui apprécie son charisme scénique, sa joie communicative et sa manière de faire découvrir le jazz en intégrant subtilement ses inflexions dans des chansons appartenant au patrimoine auditif européen [19]. En octobre 1950, il est engagé au music-hall l’Apollo à Paris, puis, en février 1951, partage l’affiche de l’ABC pendant quatre semaines avec Jean Nohain et André Claveau, accompagné par l’orchestre de Claude Luter. Dès lors, il multiplie les spectacles de music-hall à raison de plusieurs par an jusqu’en 1957, date à laquelle son activité se réduit en raison de problèmes de santé. Il est alors l’une des plus grandes vedettes du music-hall, à égalité avec des grands noms de la chanson française. Parallèlement, il fait de nombreuses incursions au cinéma en tant que compositeur, mais aussi interprète, dans des films comme La route du bonheur de Maurice Labro et Piédalu député de Jean Loubignac en 1953, L’inspecteur connaît la musique de Jean Josipovici et Série noire de Pierre Foucault en 1955, ou encore Ah ! quelle équipe ! de Roland Quignon en 1956. Enfin, avec Nouvelle-Orléans créée à l’Étoile en janvier 1958, le style Nouvelle-Orléans fait son entrée à l’opérette. Par ce caractère polyvalent, Bechet appartient bien à l’univers de la culture de masse, au sein duquel les artistes vont et viennent d’un média à un autre et nourrissent une industrie culturelle qui tire ainsi parti de toutes les facettes de leur talent. Nul doute que celui du saxophoniste ait été capital dans la popularisation du jazz en France, comme le montre la concomitance entre sa disparition en mai 1959 et le déclin de la faveur que la musique noire américaine rencontre auprès du public à partir de cette année.
Le développement d’une industrie du disque
11Avec les concerts, le disque est l’autre support indispensable de la diffusion du jazz. Après Swing, Delaunay fonde en 1945 Vogue, qui connaît une croissance rapide grâce notamment au succès foudroyant de Sidney Bechet : le cap du million de disques est franchi en octobre 1955 et son principal succès, Les oignons, atteindra en 1959 1,2 million de disques vendus. C’est ce succès commercial qui permet à Vogue de passer du statut de petite entreprise à celui de grosse compagnie. L’autre grande maison de disques spécialisée dans le jazz est Blue Star, fondée en 1945 par Édouard Ruault, alias Eddie Barclay, qui a commencé sa carrière comme musicien de jazz pendant l’Occupation. Là encore, il s’agit au départ d’une entreprise artisanale, mais qui se développe rapidement. Le succès de Vogue et de Blue Star, s’il est fondé sur la musique de jazz alors en pleine ascension, est aussi favorisé par l’apparition du disque microsillon sur le marché français à partir de 1951 : bien moins cher que les cires de 78 tours, il devient en quelques années un produit de consommation courante soutenu par la croissance économique qui s’affirme en France à partir de 1954. C’est aussi à ce moment-là que les deux compagnies mettent au point une politique commerciale nouvelle pour l’époque en Europe et dont les compagnies américaines donnent l’exemple à Delaunay et Barclay, qui effectuent régulièrement des voyages aux États-Unis dès la fin des années 1940 avec leurs collaborateurs : le développement du marketing, notamment sous influence américaine, est incontestablement l’un des facteurs les plus importants de l’entrée des pratiques culturelles dans l’âge de la massification. Le jazz est l’un des premiers à en profiter, grâce à l’opportunisme de ces amateurs de musique qui se doublent d’hommes d’affaires avisés.
12Mais ils ne se contentent pas d’innover dans les techniques de vente et de publicité. Lorsque Charles Delaunay et Hugues Panassié fondent Swing, ils entendent en effet contribuer non seulement à la diffusion, mais aussi à la reconnaissance artistique de cette musique méprisée. Armés de cette conviction, ils n’hésitent pas à intervenir dans le processus créateur. Pour réaliser le premier enregistrement de Swing, Panassié et Delaunay suggèrent ainsi aux musiciens la formation d’un quatuor de saxophones comprenant deux altos et deux ténors pour interpréter le standard Crazy Rhythm, formule qui n’avait jamais été tentée auparavant dans le jazz. Quelques mois plus tard, le 23 novembre 1937, Charles Delaunay fait enregistrer par les violonistes Stéphane Grappelli et Eddie South accompagnés par le guitariste Django Reinhardt, le 1er mouvement d’un concerto de Jean-Sébastien Bach interprété dans le style jazz. Ce faisant, Delaunay invente un personnage nouveau dans la production musicale : le directeur artistique. Après la guerre, la croissance de l’industrie du disque et la complexification concomitante du processus de création amènent ce personnage à jouer un rôle de plus en plus important, notamment lorsque le succès du jazz aidant, les compagnies discographiques s’efforcent de donner une coloration jazzistique à la production des artistes de variété qu’elles ont sous contrat. Ceux-ci ne se font d’ailleurs pas prier, notamment les jeunes dont le jazz constitue souvent une influence majeure. Le personnage du directeur artistique se trouve ainsi à la croisée d’enjeux esthétiques et commerciaux qui deviennent indissociables. Le rôle d’un Boris Vian chez Philips est à cet égard révélateur. Directeur artistique de la compagnie entre 1956 et 1959, il y milite pour la cause du jazz et rencontre l’oreille attentive de Jacques Canetti, qui dirige la section variété de la marque. En trois ans, Vian supervise 132 séances d’enregistrement, dont 15 dans le domaine du jazz stricto sensu et surtout 117 dans le domaine de la chanson [20]. Au cours de ces séances, les interprètes de variété sont très souvent accompagnés par des musiciens de jazz choisis par Vian, qui a été musicien semi-professionnel et connaît parfaitement le milieu jazzistique. Et si Vian a été guidé dans ce travail par sa passion du jazz, il est clair que la coloration jazzistique de la musique de variété produite par la marque fait partie de la politique commerciale décidée par la direction de l’entreprise.
13Dans cette stratégie musico-commerciale, il faut faire une place à un autre personnage central de la complexification du processus de production et auquel les compagnies discographiques font de plus en plus souvent appel à partir des années 1950 : l’arrangeur. À l’origine, celui-ci a pour rôle d’orchestrer des thèmes écrits par les auteurs-compositeurs en écrivant des parties pour tous les instruments et en adaptant le thème à l’effectif de l’orchestre et à sa composition instrumentale. C’est dire s’il joue un rôle fondamental dans le résultat sonore final. Le succès du jazz dans la France d’après guerre aidant, les dirigeants des compagnies discographiques font appel à des professionnels reconnus pour colorer la production de leurs artistes de variété. Les Américains étant les plus performants dans ce domaine, les compagnies se tournent vers eux : Versailles, compagnie fondée par Ray Ventura, gloire du jazz français d’avant guerre, s’offre ainsi les services du tromboniste de jazz Billy Byers pendant un an et demi en 1956-1957. Professionnel reconnu des studios new-yorkais depuis la fin des années 1940, il a notamment réalisé de nombreuses musiques de films pour la Metro Goldwyn Mayer. Son rôle chez Versailles est non seulement d’écrire des arrangements pour orchestre mais aussi d’aider les ingénieurs du son de la compagnie à obtenir dans les enregistrements de variété un American Sound [21]. C’est à cette occasion que Sacha Distel, neveu de Ray Ventura et directeur artistique de Versailles en même temps que musicien de jazz, fait sa connaissance. Lors d’un deuxième séjour de l’Américain en France en 1959-1961, Distel, devenu entre-temps vedette de la chanson, le chargera tout naturellement d’arranger quelques-unes de ses œuvres qui atteindront rapidement les sommets du hit-parade. Eddie Barclay met en œuvre la même stratégie. En 1957, Blue Star est devenue une grande entreprise et prend le nom de Barclay. La firme possède désormais des structures financières assez solides pour permettre des projets de plus grande ampleur. Son directeur décide alors la création d’un grand orchestre dont il confie la direction à l’Américain Quincy Jones, qu’il fait venir des États-Unis pour orchestrer les œuvres écrites par et pour des chanteurs de variété sous contrat avec Barclay, mais aussi pour accompagner des solistes de jazz. Quincy Jones séjourne donc dans l’Hexagone d’avril 1957 à novembre 1958 en tant que chef d’orchestre et arrangeur. Il va ainsi superviser 28 séances de grand orchestre entre 1957 et 1958 [22], date à laquelle un autre arrangeur américain, Jimmy Mundy, lui succède à la tête de l’orchestre pour américaniser le son des vedettes « maison ».
14À la fin des années 1950, les compagnies de disques spécialisées dans le jazz sont donc devenues de grandes entreprises ; grâce à elles, le jazz possède désormais un relais de poids dans l’industrie du disque et le grand public dispose de nombreux disques parus aux États-Unis sans passer par le circuit compliqué et coûteux des petites associations de vente par correspondance. D’autre part, grâce à leur stratégie musico-commerciale rapidement imitée par leurs concurrentes, mais aussi grâce à la « division du travail » [23] culturel qu’elles mettent en place et dont témoigne l’apparition de nouvelles professions qui vont prendre une importance croissante, la musique noire américaine infiltre le secteur de la variété française qu’elle contribue à renouveler en profondeur. L’industrie du disque entre donc ainsi dans une logique caractérisée par la complexification de la chaîne menant de la production à la diffusion, et le jazz en est l’un des premiers bénéficiaires. C’est dire si la connaissance de la culture de masse gagnerait à faire une place à l’histoire des compagnies discographiques qui y jouent un rôle capital mais n’ont guère suscité l’intérêt jusqu’à présent [24].
La médiatisation
15La place croissante prise par les médias dans la diffusion du jazz est aussi une caractéristique majeure de l’après-guerre. Le premier signe en est l’ouverture de la presse générale à la musique noire américaine, sous la pression de nombreux amateurs qui conquièrent ça et là des rubriques régulières : ainsi Boris Vian en 1947 dans Combat ou Pierre Drouin au Monde l’année suivante. Au début des années 1950, le jazz est bien installé dans la presse écrite, aussi bien quotidienne (outre les deux titres déjà mentionnés, citons France-Soir, Franc-Tireur, Le Figaro ou Paris-Presse) qu’hebdomadaire (on citera des périodiques aussi différents qu’Arts, Les Lettres françaises, Paris-Match, Images musicales, Action, L’Express), tandis que de très sérieuses revues comme Les Temps modernes ménagent épisodiquement une place à la musique noire américaine. Même la presse à scandale accorde de temps à autre ses faveurs à la vie privée de quelques artistes de jazz, signe par excellence que leur notoriété a largement dépassé le cercle des amateurs [25].
16Mais surtout, la médiatisation du jazz ne se limite pas à la presse écrite : à partir de 1946, la radio d’État ouvre peu à peu ses ondes, sous la forme d’émissions hebdomadaires animées par Hugues Panassié, Charles Delaunay, Sim Copans, et surtout André Francis, qui inaugure en 1948 une longue carrière radiophonique, d’abord sur le Poste parisien de la Radiodiffusion française, puis sur la modulation de fréquence. La radio joue donc un rôle décisif dans la diffusion du jazz, d’autant plus que depuis 1948, elle retransmet les grands concerts, comme ceux qui ont lieu lors des festivals et salons. Dès le milieu des années 1950, la présence du jazz à la radio est une réalité incontestable : de 8 émissions par semaine en 1950, exclusivement parisiennes, on passe à 20 en 1955, puis à plus de 40 au début des années 1960, dont 20 émises à partir de stations provinciales [26]. Dans la conquête des ondes par le jazz, le lancement de la station privée Europe no l en 1955 est un palier important. La direction de la nouvelle station charge Frank Ténot et Daniel Filipacchi de présenter quarante minutes quotidiennes de musique syncopée. « Pour ceux qui aiment le jazz », c’est d’abord un nouveau ton qui tranche avec l’érudition un peu lourde des émissions de la Radiodiffusion française. Il s’inscrit dans la politique générale de la nouvelle station qui est de prendre le contre-pied des chaînes existantes en substituant « des animateurs cordiaux, détendus, souriants » aux « speakers traditionnels » [27], suivant en cela le modèle des radios américaines. Dès son lancement en avril 1955, l’émission connaît un succès immédiat dû à la volonté affichée par Ténot et Filipacchi de communiquer avec leurs auditeurs en lançant des consultations qui recueillent tout de suite un vif succès : 3 200 réponses en octobre 1955 [28], 15 000 l’année suivante [29], 27 000 en mai 1958 [30], 32 000 en 1959 [31], le tout avec « un courrier qui, en importance, dépasse celui des émissions de variétés » [32], se montant en 1956 à « un millier de lettres par semaine » [33]. L’association des auditeurs à l’émission se traduit aussi par l’enregistrement en public de celle-ci, formule qui connaît tout de suite un vif succès. Enfin, l’émission est variée, chaque jour correspondant à un thème précis, organisation qui évite le piège de la monotonie du rendez-vous quotidien tout en permettant de rallier les diverses tendances d’amateurs : les férus de jazz moderne pourront prendre l’antenne le lundi et les fans de Nouvelle-Orléans le lendemain, tandis que le mercredi est consacré à la retransmission en direct des concerts. Le jeudi est le jour du concours d’érudition, permettant aux auditeurs les plus « calés » de gagner des disques microsillons. Le vendredi, des représentants des maisons de disques viennent proposer leurs nouveautés. Après la relâche du samedi, le dimanche est l’occasion d’une émission plus longue dont la programmation est décidée par les auditeurs eux-mêmes, qui appellent la station pour demander le passage de leurs titres favoris à l’antenne. Jusqu’à sa disparition en 1971, « Pour ceux qui aiment le jazz » constituera une émission de référence pour tous les amateurs.
17À la télévision, en revanche, le jazz reste rare et même, avant 1955, totalement absent ; il est vrai que celle.ci est alors encore dans l’enfance. La première émission a lieu en février 1955, mais il faut attendre 1957-1958 pour qu’une régularité s’installe, notamment grâce à l’action de Jean-Christophe Averty. Mais même épisodique, la présence du jazz sur le petit écran joue un rôle non négligeable dans la popularisation du jazz : lors de la retransmission du festival d’Antibes en 1963, c’est devant plus de 8 000 000 de spectateurs que se produit la chanteuse américaine Sarah Vaughan. Mais à tout prendre, plus que des concerts retransmis, c’est peut-être d’autres types d’émissions telles que le jeu télévisé qui favorisent la popularisation du jazz. Ainsi en mai 1958 par exemple, lorsqu’un jeune amateur de jazz, Raymond Le Moël, se présente à l’émission « Le gros lot », pour répondre aux questions de Pierre Sabbagh portant sur le jazz et dotées de 5 000 000 de F de prix. Pendant cinq semaines, les téléspectateurs découvrent un érudit d’un nouveau genre capable de reconnaître de nombreux musiciens à la première écoute et de répondre aux questions les plus pointues.
De nouvelles formes de sociabilité
18On aurait toutefois tort de réduire la culture de masse à un mode de production industriel soutenu par une forte médiatisation qui permettrait d’imposer un produit à un public supposé passif. Cette vision négative largement issue des analyses pionnières de l’école de Francfort [34] ignore la dynamique propre du public qui participe de la formation d’une culture de masse et ne se contente pas d’ingurgiter des produits préfabriqués [35]. De ce point de vue, il est clair que la réception du jazz change radicalement au cours des années d’après-guerre. Le premier symptôme en est l’évolution de la sociabilité jazzistique. À partir de 1945 en effet, le Hot club de France, qui a commencé à essaimer en province pendant l’Occupation, connaît une courte phase de croissance liée à la popularisation du jazz, suivie rapidement d’un déclin irréversible dès le début des années 1950. C’est que depuis 1945, les disques importés des États-Unis arrivent beaucoup plus nombreux en France, et surtout, à partir de 1951 apparaissent les premiers microsillons, dont le temps d’écoute est bien plus long que celui des 78 tours pour un prix qui va rapidement devenir moindre. D’autre part, les tournées d’artistes américains, rares avant 1939, deviennent de plus en plus nombreuses après la guerre, comme nous l’avons vu plus haut. Enfin, la multiplication des revues de jazz, mais aussi des rubriques dans la presse écrite et radiophonique permettent à l’information de mieux circuler d’un bout à l’autre du territoire hexagonal. Les deux principales missions du Hot club (l’écoute en commun et l’apprentissage d’un savoir jazzistique) deviennent donc rapidement anachroniques. Mais le déclin de cette forme associative ne signifie pas que la sociabilité disparaît du paysage jazzistique hexagonal, bien au contraire : la massification culturelle, loin de se réduire à une atomisation des masses, se caractérise par l’apparition de nouvelles formes de sociabilité qui ont leurs propres règles et que l’historien doit traiter comme telles, faute de quoi il ne peut saisir l’enracinement social de la culture de masse. Le cas du jazz permet de repérer deux de ces nouvelles formes : la première est le grand concert comprenant plusieurs milliers de personnes, qui marque l’émergence de ce que l’on peut appeler une sociabilité de masse [36] qui prendra son essor dans les années 1960 avec les grands concerts pop. La deuxième est la naissance d’un nouveau type d’association qui apparaît alors que les Hot clubs achèvent leur déclin, et qui, lui aussi, va connaître une fortune considérable à partir des années 1960 : le fan-club ; le premier, dédié au culte de Sidney Bechet, est fondé en novembre 1956. Alors que les Hot clubs avaient pour élément fédérateur la musique de jazz, les fans-clubs se regrouperont autour d’un musicien en particulier : un déplacement qui indique un changement important dans les pratiques culturelles, notamment de la jeunesse, qui, précisément, commence à se constituer une culture autonome dont le succès du jazz auprès de la catégorie des 15-20 ans est l’un des premiers symptômes. Rien d’étonnant, donc à ce que cette jeunesse qui commence timidement à prendre conscience d’elle-même s’invente de nouvelles formes de sociabilité.
19Mais la nouveauté ne réside pas seulement dans la forme des nouvelles sociabilités. Elle se manifeste aussi dans les pratiques qui lui sont associées. De ce point de vue, l’évolution du rapport du public du jazz aux musiciens témoigne de l’apparition après 1945 d’un phénomène de vedettariat qui, là encore, s’amplifiera dans les années 1960. La naissance de ce phénomène est visible lorsque l’on analyse l’évolution de la presse jazzistique. Jusqu’à la fin des années 1940, elle se caractérisait par une érudition austère réservée aux initiés : longs articles analysant l’œuvre d’un musicien ou d’un orchestre et s’attachant à identifier ses influences, ses disciples et à préciser sa place dans l’histoire du jazz, le tout agrémenté d’un vocabulaire technique et de références discographiques pointues. La popularisation du jazz provoque l’apparition d’un nouveau public aux attentes duquel la revue Jazz Magazine va répondre. Créée en 1954 par Jacques Souplet et dirigée par Frank Ténot et Daniel Filipacchi, elle insuffle dans le monde des amateurs de jazz un nouvel esprit que symbolise bien son titre : alors que Jazz Hot était le symbole d’un combat esthétique en faveur de la reconnaissance du jazz, Jazz Magazine présente les informations sous une forme attractive agrémentée de documents photographiques inédits, en insistant plus particulièrement sur les reportages illustrés. Les rédacteurs s’inspirent en cela de la presse magazine née aux États-Unis puis développée en France à partir des années 1930. Daniel Filipacchi, photographe à Paris-Match avant de créer Jazz Magazine, place ainsi les musiciens de jazz dans une situation analogue à celle des vedettes de cinéma dans d’autres périodiques. Le courrier des lecteurs est une autre innovation inspirée des magazines : « Frère jazz » répond aux jeunes lecteurs sur un ton dynamique et familier. L’information obéit aussi à cette nouvelle logique en multipliant les « Nouvelles d’Amérique » donnant l’impression du direct et les interviews donnant aux amateurs une impression de proximité avec les musiciens. Forte de ces atouts, Jazz Magazine connaît un succès immédiat : débutant à 5 000 exemplaires en décembre 1954, elle monte à 15 000 deux mois plus tard et arrive en 1959 à 25 000.
20Sidney Bechet constitue une fois de plus l’exemple achevé de ce nouveau rapport entre le public et les musiciens, car il est le seul jazzman qui ait accédé en France au rang de grande vedette, non seulement parmi les amateurs mais aussi auprès d’un public bien plus large. Le saxophoniste cristallise en effet sur sa personne les premières manifestations d’un culte de la vedette chez les jeunes qui se retrouvera à une tout autre échelle dans les années 1960 avec les chanteurs yé-yé puis les stars du rock. Ce type de rapport à l’artiste, que l’on pouvait déjà observer avec les stars de cinéma dès les années 1920 [37], va désormais s’appliquer à la sphère musicale. Dès 1949, la presse jazzistique ajoute aux études techniques sur le style de Bechet des reportages anecdotiques sur ses faits et gestes, notamment sur son mariage en août 1951 à Juan-les-Pins, qui est un événement mondain. Si l’identification des jeunes fans avec les musiciens américains est forcément limitée en raison de leurs brèves incursions dans l’Hexagone, elle est beaucoup plus facile avec le Français d’adoption qu’est devenu Bechet. D’un bout à l’autre, la Bechetmania a reposé sur l’ambivalence de l’image acquise par le saxophoniste, à la fois vedette charismatique sur scène et Français comme les autres, comme en témoignent entre autres les numéros de Jazz Magazine parus au moment de son décès : on y trouve non seulement une longue suite d’articles prenant la forme d’un feuilleton intitulé « Sidney notre ami » [38] et racontant l’histoire de sa vie agrémentée de passages dialogués donnant l’impression du direct et du vécu, mais aussi de nombreuses photos qui le montrent dans les attitudes de monsieur-tout-le-monde : il apparaît ainsi à la fenêtre d’un wagon de train, coiffé d’une casquette à carreaux, ou encore avec trois pains sous le bras et demandant son chemin à un policier, mais aussi attablé à la terrasse d’un café en train de deviser avec ses fans, arrosant son jardin, jouant avec son fils, faisant la cuisine et choisissant des vins dans sa cave. Toutefois, c’est naturellement au concert que le nouveau rapport entre le public et la vedette se manifeste le mieux. Là encore, le phénomène n’est pas limité à Bechet, mais c’est avec lui qu’il apparaît le plus nettement. D’une manière générale, les concerts de jazz des années 1950 se caractérisent par une ambiance électrique qui surprend tous les commentateurs de l’époque, qui trouvent rapidement un nouveau mot pour caractériser ce public : les « fans » [39], qui se différencient des « amateurs » de la génération précédente par la passion bruyante et parfois violente avec laquelle ils manifestent leur enthousiasme, comme en témoigne l’émeute qui suit le concert gratuit donné par Sidney Bechet à l’Olympia le 19 octobre 1955 pour fêter la vente de son millionième disque [40]. Au-delà de l’aspect spectaculaire, la ferveur pleine de décibels dont les fans entourent leur vedette apparaît comme un élément important d’une culture juvénile en formation.
21Le jazz est donc à la fin des années 1950 une musique dont le succès semble durable. Et pourtant, celui-ci va connaître un déclin extrêmement rapide dès 1959, en raison de la conjonction de plusieurs phénomènes. Le premier est la disparition cette année-là de Sidney Bechet, qui constituait en quelque sorte sa locomotive. Le deuxième est l’évolution musicale de l’art noir américain, dont la composante populaire (le style Nouvelle-Orléans) s’épuise à partir de la fin des années 1950 et entraîne la lassitude du public, tandis que les courants les plus en pointe poursuivent un processus de recherche esthétique qui n’est pas propre à leur rallier les masses : c’est le cas notamment du courant dit « free jazz » qui abandonne tous les repères tonals, rythmiques et mélodiques employés par le jazz jusque-là et s’engage dans une voie résolument expérimentale qui le rend incapable de prendre en charge les aspirations d’une jeunesse numériquement ascendante et culturellement émergente. Au même moment – c’est le troisième phénomène – arrive en France un concurrent sérieux : le rock. Celui-ci s’est fait connaître dès 1956, mais il n’avait rencontré qu’un demi-succès car il était chanté en anglais. C’est à partir de 1960 qu’a lieu la percée décisive lorsque apparaît son succédané français, rapidement connu sous le nom de yé-yé et qui recueille immédiatement les faveurs des baby boomers parvenus à l’adolescence. Le yé-yé va de ce fait ravir au jazz le statut de porte-drapeau générationnel que celui-ci n’est plus en mesure de symboliser. Mais la filiation entre les deux existe : non seulement sur le plan musical, dans la mesure où le yé-yé est un lointain avatar ultra-simplifié de la musique noire américaine ; mais aussi sur le plan des structures de diffusion, dans la mesure où l’organisation de la vogue yé-yé doit beaucoup à Frank Ténot et Daniel Filipacchi, qui ont fait sous le signe du jazz leurs premières armes dans le journalisme écrit et radiophonique ainsi que dans l’organisation de concerts, et qui, sentant parfaitement le vent changer, mettent à profit leur expérience en créant « Salut les copains », l’émission en 1959 puis la revue en 1962, appelées au succès que l’on sait. La vogue du jazz dans la décennie 1950 se situe donc à un moment charnière, lorsque la jeunesse commence à se constituer en groupe socioculturel autonome, et lorsque s’opère un passage de témoin entre le cinéma et la musique, qui va devenir à partir des années 1960 l’emblème culturel de la jeunesse. Mais le jazz sera alors passé de mode et c’est la musique pop qui deviendra le symbole de toute une génération en rassemblant des auditoires bien plus vastes que n’avait jamais pu le faire son aîné.
Mots-clés éditeurs : médias, Jazz, culture de masse, XXe siècle, sociabilité
Mise en ligne 01/02/2008
https://doi.org/10.3917/rhis.011.0109Notes
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[1]
Philippe Gumplowicz, Les travaux d’Orphée, Paris, Aubier, 1987.
-
[2]
Esteban Buch, La neuvième de Beethoven, une histoire politique, Paris, Gallimard, 1999.
-
[3]
Jane Fulcher, Le grand opéra en France : un art politique (1820-1870), Paris, Belin, 1987.
-
[4]
Alain Corbin, Les cloches de la Terre, Paris, Albin Michel, 1994.
-
[5]
On citera quelques exceptions, notamment, pour le rock, Bertrand Lemonnier, L’Angleterre des Beatles. Une histoire culturelle des années 1960, Paris, Kimé, 1995, et pour le jazz, Ludovic Tournès, New Orleans sur Seine, histoire du jazz en France, Paris, Fayard, 1999.
-
[6]
Pour la recension de quelques-unes de ces pistes, voir Ludovic Tournès (dir.), De l’acculturation du politique au multiculturalisme. Sociabilités musicales contemporaines, Paris, Librairie Honoré-Champion, 1999.
-
[7]
Voir par exemple, Kathy Ogren, The Jazz Revolution, Twenties America and the Meaning of Jazz, New York, Oxford University Press, 1989 ; Ted Vincent, Keep Cool, The Black Activists who built the Jazz Age, London, Pluto Press, 1995 ; ou encore Scott DeVeaux, Mo’better Bebop. A Social and Musical History, Berkeley, University of California Press, 1997.
-
[8]
Sur l’analyse de ce processus et sa périodisation, voir Ludovic Tournès, Jazz en France (1944-1963) : histoire d’une acculturation à l’époque contemporaine, thèse de doctorat, Université Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines, 1997, 1 010 p., publiée sous le titre New Orleans sur Seine (voir n. 2).
-
[9]
Où situer la limite quantitative entre ce qui appartient à la culture de masse et ce qui n’y appartient pas ? C’est assurément un problème important, mais dont la résolution ne saurait suffire à faire avancer de manière décisive la connaissance de l’objet historique « culture de masse ».
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[10]
On trouvera de nombreuses données chiffrées dans quelques synthèses sur l’histoire culturelle de la France contemporaine : Pascal Ory, L’aventure culturelle française 1945-1989, Paris, Flammarion, 1989, limitée au dernier demi-siècle ; plus récent, l’ouvrage dirigé par Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, Histoire culturelle de !a France, notamment le vol. 4 : Le temps des masses, Paris, Le Seuil, 1998 ; ou encore André Burguière et Jacques Revel (dir.), Histoire de la France, vol. 3 : Choix culturels et mémoire, Paris, Le Seuil, nouv. éd., juin 2000.
-
[11]
Américanophilie qui n’est nullement contradictoire avec l’anti-américanisme virulent qui va se développer rapidement en France. La coexistence de ces deux attitudes est d’ailleurs une constante chez les amateurs de jazz. Sur ce point, voir Ludovic Tournès, « La réinterprétation du jazz : un phénomène de contre-américanisation dans la France d’après-guerre », in Sylvie Mathé (éd.), L’anti-américanisme, Marseille, Publications de l’Université de Provence, p. 167-183.
-
[12]
Une recherche détaillée, à la fois historique et musicologique, concernant l’influence du jazz sur la variété, reste à faire. C’est peut être le domaine dans lequel l’influence américaine est la plus évidente et la plus profonde.
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[13]
Jazz Hot, décembre 1950.
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[14]
À partir de 1948, le tournoi annuel des musiciens amateurs devient une grande manifestation qui regroupe souvent plus de 100 orchestres venus de toute la France, signe de la vitalité d’un mouvement musical amateur qui, lui aussi, attend ses historiens et permettrait de prolonger l’étude pionnière de Philippe Gumplowicz (voir note 1).
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[15]
Voir les éditions de ces journaux entre le 2 et le 9 décembre 1950.
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[16]
Ces chiffres ainsi que les suivants ont été obtenus en multipliant le nombre de concerts par la capacité théorique de la salle où ils ont lieu. Ils correspondent donc à une capacité de remplissage de 100 %.
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[17]
Pour une chronologie détaillée des concerts de jazz et des spectacles de variété intégrant du jazz au cours de cette période, voir Ludovic Tournès, Jazz en France..., op. cit. (voir note 8), annexe I, p. 1-41.
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[18]
Rappelons pour mémoire les 350 à 400 millions de spectateurs que draine le cinéma chaque année au cours de la décennie 1950.
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[19]
Ce mélange sonore peut être diagnostiqué sans difficulté, et indépendamment de tout jugement de valeur, grâce à l’analyse musicale dont on voit ici quel peut être l’apport dans une étude d’histoire culturelle.
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[20]
Voir la liste complète dans Noël Arnaud, Les vies parallèles de Boris Vian, Paris, Christian Bourgois, 1981, p. 462-465.
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[21]
Jazz Hot, février 1956.
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[22]
Voir Michel Ruppli et Jacques Lubin, Discographie Blue Star - Barclay, Paris, Association Française d’Archives Sonores, 1993. Les discographies sont une source essentielle pour l’histoire culturelle des faits musicaux. Elles contiennent, pour une compagnie donnée, toutes les séances de studio réalisées, avec leurs lieux, dates, noms des musiciens employés, titres des œuvres enregistrées, numéro de matrice et numéro de publication des disques.
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[23]
Edgar Morin, L’esprit du temps, t. I : Névrose, Paris, Grasset, 1975, p. 37.
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[24]
Si l’histoire de médias tels que la radio et la télévision commence à être bien balisée, celle du disque est encore presque totalement vierge et ce, notamment, en raison de la difficulté d’accès aux archives des compagnies privées qui, en outre, ont connu de multiples fusions et rachats à partir des années 1960.
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[25]
On citera par exemple le récit de l’agonie de Sidney Bechet dans Paris-Journal, les 13, 14 et 15 mai 1959, ou encore la tentative de suicide d’Ella Fitzgerald dans Ici Paris, 19-25 avril 1961.
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[26]
Chaque mois, la revue Jazz Hot publie un récapitulatif de l’ensemble des émissions audibles sur le territoire français, avec leurs références précises.
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[27]
Christian Brochand, Histoire de la radio et de la télévision en France, Paris, La Documentation française, 1994, t. II, p. 360.
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[28]
Jazz Hot, décembre 1955.
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[29]
Jazz Magazine, novembre 1956.
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[30]
Jazz Magazine, mai 1958.
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[31]
Jazz Magazine, mai 1959.
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[32]
Combat, 6 août 1956.
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[33]
Jazz Hot, septembre 1956.
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[34]
Citons notamment les travaux de Walter Benjamin, notamment l’article « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproduction mécanique » (in Illuminations, New York, Shocken Books, 1968), ou encore Max Horkheimer et Theodor Adorno, La dialectique de la raison, Paris, Gallimard, 1974 (traduit de l’allemand). On rappellera que l’analyse de la culture de masse par les théoriciens de l’école de Francfort est intimement liée à celle du totalitarisme dont le développement des industries culturelles leur semblait être une des manifestations.
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[35]
Les travaux de Richard Hoggart (La culture du pauvre, Paris, Minuit, 1970, traduit de l’anglais) ont bien montré comment le message véhiculé par les médias pouvait faire l’objet d’une réception sélective voire d’un détournement par le public, relativisant ainsi fortement la thèse alors communément admise de l’abrutissement des classes populaires par la culture de masse.
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[36]
Sur la notion de sociabilité de masse, voir Ludovic Tournès (dir.), De l’acculturation du politique au multiculturalisme, op. cit. (voir note 6), p. 26-33.
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[37]
Voir Edgar Morin, Les stars, Paris, Le Seuil, 1972.
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[38]
Jazz Magazine, juillet-novembre 1959.
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[39]
La première occurrence du terme semble se trouver dans l’hebdomadaire Arts, 20 octobre 1954.
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[40]
Voir le témoignage sonore de ce concert : Sidney Bechet, Le soir où... l’on cassa l’Olympia, 1955, Vogue VG511 822004.