1 Dans leur ouvrage publié en mai 2016, le chef de bataillon Frédéric Chamaud et le colonel Pierre Santoni, tous deux passés par le Centre d’entraînement aux actions en zone urbaine de Sissonne (CENZUB)-94e RI, s’intéressent à un environnement de combat particulier : l’espace cloisonné, confiné qu’il soit urbain (habitations, zone industrielle, complexe universitaire, etc.) ou naturel (jungle, forêts, etc.) À ce titre, les affrontements militaires en milieu confiné de l’époque contemporaine (bataille de Stalingrad en 1942, bataille de Madrid en 1936, siège de Grozny en 1995, bataille de Fallouja en 2004) constituent autant de leçons pour le tacticien ou Lhistorien. La réflexion des auteurs, nourrie d’exemples pris dans l’histoire récente comme dans leurs expériences personnelles, leur permet de distinguer les principaux aspects de la guerre rapprochée, au-delà des spécificités et des contingences propres à chaque conflit. Combattre sur un terrain cloisonné est un exercice très compliqué. En effet, l’engagement peut prendre la forme d’un ensemble de micro-théâtres, où s’affrontent une multitude d’équipes aux effectifs réduits. Or compte tenu du manque de visibilité (poussière, fumées, absence de perspectives), de l’entremêlement des adversaires et de la difficulté à communiquer (les bâtiments agissant comme des barrières physiques), ces équipes doivent être capables d’agir de manière autonome. S’il met les corps et les esprits à rude épreuve, cet environnement devrait par conséquent marquer le retour à la bataille classique, où le courage des soldats est un facteur déterminant. Il ressort donc de cet ouvrage un premier constat : lorsqu’elles sont engagées dans un milieu confiné, les armées conventionnelles ne peuvent employer la même organisation tactique inspirée destinée à un affrontement en espace découvert et élaborée à l’époque de la Guerre froide qui fut envisagée comme un conflit « classique », c’est à dire se situant en dehors de la ville. La guerre en milieu confiné vient ainsi remettre en question les acquis de la pensée militaire traditionnelle théorisée par Clausewitz au XIXe siècle.
2 En plus d’être un bon combattant (capacité de résistance, endurance, autonomie, réactivité), les auteurs insistent également sur le fait qu’un soldat respectant le droit de la guerre peut aujourd’hui être amené à combattre en présence de civils (qui sont quelques fois utilisés comme des boucliers humains). Il faudra que ce soldat soit capable de passer de l’action violente létale, – qui peut mettre en jeu de l’artillerie, des blindés ou de l’aviation-, à l’action humanitaire, et ce en très peu de temps. Ces deux actions peuvent même quelquefois être menées simultanément. Le soldat engagé sur le terrain doit donc être extrêmement polyvalent, réactif, entraîné ; les chefs militaires doivent pour cela disposer de « petits gradés » de qualité. Autre particularité du milieu confiné : si la supériorité technologique pallie l’infériorité numérique en terrain découvert, en ville, le nombre fait encore la puissance. En effet, le compartimentage du champ de bataille nécessite qu’une importante quantité de soldats soit déployée, surtout lors d’un siège destiné à encercler de manière étanche un ennemi retranché sur ses positions. L’organisation tactique prend alors un aspect fortement décentralisé.
3 Enfin, les auteurs n’omettent pas la dimension humaine de ces guerres : la pression psychologique que subit le soldat, ainsi que les effets du danger permanent sur sa santé mentale, du stress des combats « à distance de conversation », ou de la vue d’une ville dévastée, où de tout ce qui peut renvoyer à des lieux sacralisés (lieux de culte, écoles, jardins publics, etc.) est anéanti.
4 Les auteurs s’interrogent enfin sur les difficultés de la guerre urbaine dans l’avenir : comment se mènera une guerre de type asymétrique, déjà très difficile pour une armée conventionnelle, à l’heure de l’explosion démographique des années 2040-2050 ? Avec la multiplication des mégapoles c’est-à-dire de villes de plus 10 millions d’habitants, il est fort probable que les groupes irréguliers feront le choix d’attaquer des villes plutôt que la rase campagne, pour leur valeur médiatique et politique. Sera-t-il alors possible pour les armées occidentales d’affronter un adversaire déployé sur un espace de plusieurs dizaines de kilomètres carrés, compartimenté par des immeubles hauts de plusieurs centaines de mètres ? Les États seront-ils en mesure de déployer l’immense quantité de soldats nécessaires, ces derniers devant en plus disposer de capacités technologiques toujours plus importantes ? Pierre Santoni et Frédéric Chamaud invitent ainsi le monde militaire à revoir ses principes d’engagement, afin qu’en ce début de siècle, les armées occidentales conservent de véritables capacités d’action.