Notes
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[1]
NDLR : À noter toutefois que toutes ces communications ont été présentées à la revue Recherches familiales et ont suivi le même processus de sélection et de validation que les autres articles publiés dans la revue : lecture par deux ou trois évaluateurs ; discussion en comité de rédaction ; acceptation (éventuellement sous réserves de modifications) ou refus de l’article.
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[2]
Isabelle ASTIER, Les nouvelles règles du social, Paris, PUF, 2007.
-
[3]
Reprise ici du titre de l’article de Lise DEMAILLY : « Fortunes et ambiguïtés de l’accompagnement », Empan, Érès, n° 74, 2009, pp. 21-28.
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[4]
Maryse BRESSON, La psychologisation de l’intervention sociale : mythes et réalités, Paris, L’Harmattan, 2006, Sophie DIVAY, « Psychologisation et dépsychologisation de l’accompagnement des chômeurs », Réponses sociologiques, n° 17/2, 2008, pp. 55-66.
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[5]
Maryse BRESSON, « La psychologisation de l’intervention sociale : paradoxes et enjeux », Informations sociales, CNAF, n° 169, 2012, pp. 68-75, p. 74.
-
[6]
Daniel BERTAUX, Les récits de vie, Paris, Nathan, coll. « 128 », 1997. Daniel Bertaux souligne dans cet ouvrage que depuis le début des années 80, nombre de sociologues ont remis en cause le cloisonnement des champs, le récit de vie étant de fait un outil permettant d’articuler les différentes sphères de la vie sociale.
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[7]
Bénédicte ZIMMERMANN, Ce que travailler veut dire : une sociologie des capacités et des parcours professionnels, Paris, Economica, Coll. « Études Sociologiques », 2012, p. 88.
-
[8]
Daniel BERTAUX, op. cit.
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[9]
Christian LALIVE d’ÉPINAY, Jean-François BICKEL, Danilo SPINI, Stefano CAVALLI, « De l’étude des personnes âgées au paradigme du parcours de vie », in D. MERCURE (dir.), L’analyse du social : les modes d’explication, Québec, Les Presses de l’université de Laval, 2005, pp. 141-167.
-
[10]
À propos des effets de la « mise en intrigue », Paul Ricœur adopte une position affirmée : « Nous racontons des histoires parce que finalement les vies humaines ont besoin et méritent d’être racontées. Cette remarque prend toute sa force quand nous évoquons la nécessité de sauver l’histoire des vaincus et des perdants. Toute l’histoire de la souffrance crie vengeance et appelle récit » : Paul RICŒUR, Temps et récit, Tome 1, Paris, Éditions du Seuil, 1983.
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[11]
Danilo MARTUCELLI, Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine, Paris, Armand Colin, 2006.
1 Ce second dossier thématique prolonge les analyses présentées dans le premier. Il regroupe une série d’articles issus de communications présentées au Réseau thématique « Parcours de vie et dynamiques sociales » (RT 22) de l’Association française de sociologie (AFS), lors du IVe Congrès de l’AFS à Grenoble en juillet 2011 et des interventions au séminaire annuel du réseau [1]. Ces articles traitent de la prise en compte des parcours des individus et des familles dans un contexte d’intervention sociale auprès des familles, en particulier lorsqu’un des membres de la famille (femme, adolescent ou enfant) se trouve accueilli ou placé en institution.
2 Les travaux qui touchent au placement des mineurs montrent pour la plupart d’entre eux des parcours inféodés aux structures encadrantes, des individus soumis et construits par des normes institutionnelles, voire dépouillés d’une individualité propre. Parallèlement, d’autres auteurs analysent les changements à l’œuvre dans les actions publiques et d’intervention sociale : ils mettent au jour un « renversement de la dette sociale » qui voit un modèle fondé sur le principe d’une société devant intégrer et protéger les individus, basculer dans un modèle où « l’individu doit expressément manifester sa volonté d’adhérer à la société » [2]. C’est alors le rapport des professionnels à ceux désignés comme « usagers » de l’intervention sociale et de l’accompagnement qui s’est transformé : il s’agit aujourd’hui de « travailler avec autrui » et non plus « pour » ou « sur » autrui. L’obligation de constituer autrui comme une personne individualise le traitement des problèmes sociaux et enjoint l’usager à s’engager et à se dévoiler psychologiquement.
3 L’enjeu semble donc bien être de dégager les ambivalences de l’intervention sociale et de l’accompagnement, à un nouvel âge de l’individualité. À cet égard, des voix s’élèvent pour pointer certains paradoxes institutionnels, posant la question en termes de « fortunes et d’ambigüité de l’accompagnement » [3] des publics en difficultés, et s’interrogent sur la psychologisation qui s’opèrerait ou pas dans l’intervention sociale [4] et sur ses effets à travers la modalité du récit biographique. Selon Maryse Bresson, l’accompagnement viserait alors de manière sous-jacente à transformer l’individu « pour le rendre conforme à une des figures normatives promues par les politiques (en particulier, celle de l’individu “autonome’’) » [5] ; l’auteur se demandant au final si l’accompagnement ne serait pas une forme de contrôle social de l’individu transformé en sujet. Les articles composant ce dossier mettent en réflexion la question de l’accompagnement et la construction d’un sujet autonome au prisme du parcours biographique. La perspective proposée ici soutient l’idée que l’approche biographique, revue au prisme de la notion de parcours, peut nous amener à penser sous un autre regard les effets de l’encadrement institutionnel sur les familles et leurs membres. Tout d’abord, le parcours de vie permet d’être attentif tout à la fois à la subjectivité des individus exprimée à travers des récits de vie [6] et aux contextes sociaux dans lesquels il s’exprime et prend sens. Par ailleurs, il a l’avantage de considérer les moments charnières de la trajectoire, d’intégrer les bifurcations, mais surtout de mettre « l’accent sur ce qui se passe entre eux, sur la manière dont une personne va de l’un à l’autre », autrement dit, il permet d’analyser leurs enchevêtrements [7]. De fait, si la parole des enfants et des familles, en position d’usagers des services d’action publique, a longtemps été marquée par le sceau de la suspicion, l’approche biographique peut apporter une compréhension renouvelée de l’accompagnement des enfants et des familles en lien avec les contextes sociaux. Tout d’abord, elle permet de sortir les familles et les enfants de leur statut institutionnel et normatif d’usagers de l’intervention publique dans la mesure où le récit de vie rend compte de l’imbrication forte entre les différentes sphères de la vie sociale des individus [8] et aide à mieux cerner « l’historicité du sujet » [9]. Par ailleurs, la mise en mots du récit (la « mise en intrigue » [10], l’énonciation des parcours biographiques) par les individus met en exergue non plus seulement les manques, mais les ressources pour agir et interagir dans un contexte de contraintes où la violence symbolique et la coercition sociale sont éminemment présentes. Le récit biographique pourrait ainsi permettre de réhabiliter les individus en tant que sujets, c’est-à-dire acteurs de leur histoire, et au chercheur de mieux saisir la capacité d’agir face aux épreuves sociales [11].
4 On peut alors se demander comment, dans ce contexte de transformation du paradigme de l’intervention sociale, la figure de « l’individu » et le recours au parcours biographique émergent dans l’intervention sociale. Plusieurs questions nous intéressent : quelle place est donnée au parcours de vie dans ce nouveau paradigme du traitement social ? À quels registres d’actions des professionnels et des « usagers » renvoie-t-il ? Mais si le recours au parcours biographique est engagé dans les décisions de prise en charge, le parcours biographique est aussi, pour le chercheur, un outil d’analyse du social qui a très largement montré ses qualités heuristiques. En quoi le recours au parcours biographique comme outil d’analyse du monde social est-il pertinent pour l’analyse de l’action publique ? En quoi peut-il être approprié à l’analyse de la relation entre professionnels et usagers ? C’est à ces différentes questions que les auteurs de ce dossier proposent d’apporter des réponses circonscrites à des terrains empiriques variés.
5 Dans les six contributions qui suivent, le récit de vie est tout d’abord analysé comme support méthodologique pour le chercheur : il sert d’outil d’analyse du monde social par l’accompagnement par le chercheur de la mise en récit de son parcours de vie. Ceci est particulièrement vrai dans le travail de Bernadette Tillard et d’Anna Rurka (« Trajectoires résidentielles familiales et interventions sociales à domicile ») qui centrent leur attention sur l’accompagnement des familles. Elles étudient en particulier les collaborations développées par les parents avec les différents professionnels notamment les TISF (technicien d’intervention sociale et familiale) qui interviennent auprès d’elles et dans leur espace privé. Ici, les ruptures de suivis suite à des mobilités résidentielles créent un espace d’autonomie ou de flottement dans la trajectoire de placement que l’analyse sociologique peut saisir comme autant d’indicateurs des modes d’accompagnement. De même, tous les auteurs présentés dans ce numéro mobilisent le parcours de vie comme support analytique de leur objet d’études.
6 Néanmoins, si le parcours de vie appréhendé par le récit de vie éclaire le sociologue, il est aussi support d’action des individus par la capacité réflexive qu’il génère. C’est particulièrement perceptible dans le travail proposé par Pierrine Robin et Nadège Séverac (« Parcours de vie des enfants et des jeunes relevant du dispositif de protection de l’enfance : les paradoxes d’une biographie sous injonction »). Elles ont procédé à l’analyse d’entretiens biographiques d’enfants et de jeunes placés ayant entre 11 et 25 ans, et à des entretiens avec des professionnels en charge de ces situations. Les deux auteurs montrent le sens que les enfants et les jeunes donnent à leur parcours : ce dernier devient source de création et d’action. Support d’analyse pour le chercheur, le parcours de vie est aussi dans ce cas étudié comme mise en intrigue de soi et moteur de changement. Dans le même ordre d’idée, Anne-Marie Lavarde (« La demande d’hébergement transitoire en résidences sociales caritatives : un événement clé dans le parcours de vie des femmes ») s’inscrit dans ce registre dans son travail sur la demande d’hébergement de femmes en résidences sociales caritatives. Elle montre notamment que ces femmes développent des capacités d’appropriation positive de l’environnement physique et organisationnel qui leur donnent prise sur leur parcours et leur biographie. On comprend dès lors combien la résidence sociale caritative apparaît non seulement comme un support matériel dans un parcours de vie, mais aussi, et surtout, support d’une reconstruction identitaire. Enfin, dans la continuité, Christian Léomant et Nicole Sotteau-Léomant (« Itinéraires de vie d’usagers de la Justice des mineurs. Précarisation sociale et citoyenneté ») se sont attachés au parcours à partir des histoires de vie de jeunes et de parents croisées avec des récits de professionnels et au parcours de jeunes adultes en placement socio-judiciaire. Leur propos est de s’interroger sur les effets des mesures de protection judiciaire, sur le devenir de ce que les usagers formalisent comme « itinéraires de vie ». Les auteurs cherchent à voir si les mesures de protection judiciaire créent ou non les conditions permettant la constitution de ressources de tous ordres (familiales, salariales, résidentielles, institutionnelles, relationnelles...) mobilisables par les usagers pour s’insérer dans la société et accéder aux droits et devoirs inhérents à la citoyenneté. Ils montrent alors comment l’accompagnement de professionnels amène dans certains cas à une recomposition des biographies et ouvre le parcours de vie sur de nouvelles perspectives.
7 Ce dossier se termine sur deux recherches. La première s’inscrit dans la continuité des premières, mais en développant une réflexion non plus sur l’accompagnement familial, mais sur l’impact d’une politique publique sur la vie quotidienne des familles. Ici, Aurélie Maurice (« L’éducation alimentaire en collège à l’épreuve de l’histoire familiale des élèves ») analyse, par le recours au parcours biographique et au récit de vie de familles, la diffusion de normes nutritionnelles à travers l’école, via les enfants désignés relais des politiques publiques nutritionnelles. L’intérêt d’une telle approche est d’utiliser le récit de vie pour rendre compte ce que d’aucuns appellent l’éducation nutritionnelle des familles. S’attachant à caractériser le rapport que les élèves entretiennent avec l’école, mais aussi avec le groupe des pairs, l’auteur montre ainsi comment l’appropriation ou non de normes alimentaires via l’école par les enfants et leur famille s’inscrit dans le parcours de vie de la famille ainsi que celui des membres qui la composent. La seconde recherche de Veronika Duprat-Kushtanina (« Le care auprès des enfants dans un parcours de vie féminin, les rôles des mères et des grand-mères (France-Russie) ») sort du cadre des politiques publiques et convoque la question du care de l’enfant qui s’intègre au cœur du parcours de vie de l’adulte. À partir d’entretiens biographiques portant sur les relations intergénérationnelles dans des familles françaises et russes, et des données de Gender and Generation Survey, elle met l’accent sur les modèles de distribution de rôles parentaux et grand-parentaux ; ladite distribution des rôles se négociant pour les adultes entre des modes de conciliation travail-famille. L’auteur montre alors des pratiques différenciées en fonction du niveau social.
8 Au final, ce dossier montre tout l’intérêt heuristique du parcours biographique dans l’étude de l’intervention publique et sociale auprès des enfants et des familles. Outil d’analyse pour le chercheur, le parcours biographique se révèle aussi être un support dans le processus d’historicisation des sujets : grâce ou en dépit des contraintes de l’injonction à être soi, les individus puisent, dans le contexte de prise en charge, certaines ressources de production d’un autre soi.
Notes
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NDLR : À noter toutefois que toutes ces communications ont été présentées à la revue Recherches familiales et ont suivi le même processus de sélection et de validation que les autres articles publiés dans la revue : lecture par deux ou trois évaluateurs ; discussion en comité de rédaction ; acceptation (éventuellement sous réserves de modifications) ou refus de l’article.
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Isabelle ASTIER, Les nouvelles règles du social, Paris, PUF, 2007.
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Reprise ici du titre de l’article de Lise DEMAILLY : « Fortunes et ambiguïtés de l’accompagnement », Empan, Érès, n° 74, 2009, pp. 21-28.
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Maryse BRESSON, La psychologisation de l’intervention sociale : mythes et réalités, Paris, L’Harmattan, 2006, Sophie DIVAY, « Psychologisation et dépsychologisation de l’accompagnement des chômeurs », Réponses sociologiques, n° 17/2, 2008, pp. 55-66.
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[5]
Maryse BRESSON, « La psychologisation de l’intervention sociale : paradoxes et enjeux », Informations sociales, CNAF, n° 169, 2012, pp. 68-75, p. 74.
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[6]
Daniel BERTAUX, Les récits de vie, Paris, Nathan, coll. « 128 », 1997. Daniel Bertaux souligne dans cet ouvrage que depuis le début des années 80, nombre de sociologues ont remis en cause le cloisonnement des champs, le récit de vie étant de fait un outil permettant d’articuler les différentes sphères de la vie sociale.
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[7]
Bénédicte ZIMMERMANN, Ce que travailler veut dire : une sociologie des capacités et des parcours professionnels, Paris, Economica, Coll. « Études Sociologiques », 2012, p. 88.
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[8]
Daniel BERTAUX, op. cit.
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[9]
Christian LALIVE d’ÉPINAY, Jean-François BICKEL, Danilo SPINI, Stefano CAVALLI, « De l’étude des personnes âgées au paradigme du parcours de vie », in D. MERCURE (dir.), L’analyse du social : les modes d’explication, Québec, Les Presses de l’université de Laval, 2005, pp. 141-167.
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À propos des effets de la « mise en intrigue », Paul Ricœur adopte une position affirmée : « Nous racontons des histoires parce que finalement les vies humaines ont besoin et méritent d’être racontées. Cette remarque prend toute sa force quand nous évoquons la nécessité de sauver l’histoire des vaincus et des perdants. Toute l’histoire de la souffrance crie vengeance et appelle récit » : Paul RICŒUR, Temps et récit, Tome 1, Paris, Éditions du Seuil, 1983.
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Danilo MARTUCELLI, Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine, Paris, Armand Colin, 2006.